D`ici là - Le Monde

Transcription

D`ici là - Le Monde
D'ici là
Frank Smith
– extraits –
Pour Mahmoud Darwich & Avot Yeshurun
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« First, there is the need; then, the way, the name, the formula. »
Charles Reznikoff
3
Ce livre se concentre sur les événements qui ont eu lieu lors des interventions militaires
menées à Gaza, entre le 27 décembre 2008 et le 18 janvier 2009, sous le nom d'« Opération
Plomb durci ». Il est fondé sur une publication de l'Onu, Rapport de la Mission
d'établissement des faits de l'Organisation des Nations Unies sur le conflit de Gaza.
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PREMIÈRE PARTIE
Ici
5
I
Quand les hostilités ont éclaté, le 27 décembre 2008,
l'homme, de 59 ans, a demandé à sa femme et ses enfants de quitter leur
domicile,
où il est resté seul.
Le neuvième jour des opérations, après une journée de bombardements
d'artillerie,
les forces terrestres ont envahi la partie nord-ouest du secteur
où se trouve la maison de l'homme.
Le dixième jour des opérations, vers minuit,
les forces armées ont pénétré chez lui.
L'homme était alors caché sous l'escalier, au rez-de-chaussée :
il a crié et levé les bras lorsqu'on l'a découvert.
Les soldats avaient des torches électriques attachées à leurs casques
et le visage peint en noir.
À la pointe du fusil,
les soldats ont ordonné à l'homme de se déshabiller ―
ce qu'il a fait ―
en gardant ses sous-vêtements.
Les soldats lui ont ensuite demandé de se retourner,
puis de se rhabiller.
On lui a ligoté les mains derrière le dos,
attaché les chevilles
et bandé les yeux.
Après l'avoir roué de coups,
on l'a emmené dans la maison d'un voisin.
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L'homme a alors confié qu'il était très asthmatique
mais les soldats ne lui ont pas permis d'emporter
son inhalateur.
Dans la maison du voisin,
l'homme a été interrogé par un officier qui voulait savoir
où se trouvait Gilad Shalit1
et quels étaient les emplacements des tunnels du Hamas
ainsi que des lance-roquettes.
Les soldats ont menacé de faire sauter sa maison
s'il ne répondait pas.
L'homme a déclaré ne rien savoir de tout cela
et fait valoir qu'il avait travaillé pendant plus de trente ans en Israël,
où il avait construit des centaines de maisons.
L'homme parle bien l'hébreu
et c'est dans cette langue qu'il communiquait avec les soldats.
Au bout d'une trentaine de minutes,
on a emmené l'homme à un autre endroit dans le voisinage
et on l'a fait asseoir.
Un quart d'heure plus tard,
on l'a de nouveau fait se rendre à pied ailleurs.
Un des soldats dirigeait ses pas
tout en le tenant à la pointe de son fusil.
L'homme avait encore les yeux bandés
et, même si l'on avait légèrement desserré les liens qui lui entravaient les jambes,
il avait du mal à marcher.
Dans une maison qu'il reconnaîtra ensuite comme étant celle d'un voisin,
un soldat lui a détaché les jambes
et débandé les yeux ―
les mains toujours ligotées.
L'homme a alors découvert un certain nombre de soldats dans la maison,
et une quinzaine d'officiers assis dans le salon.
Il y avait, disposés devant eux,
des plans et des radios.
1
Gilad Shalit, né le 28 août 1986 à Nahariya (Israël), est un soldat de l'armée israélienne capturé par le
Hamas le 25 juin 2006 lors de son service militaire près de la bande de Gaza, en territoire israélien.
Retenu depuis comme otage, Gilad Shalit a été libéré le 18 octobre 2011.
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L'un des officiers, qui avait trois galons à l'épaulette,
lui a demandé de localiser sur une carte
l'emplacement de sa maison,
puis les endroits où étaient situés les tunnels
et où étaient installés les lance-roquettes.
L'homme a répondu qu'il n'en savait rien.
On lui a de nouveau bandé les yeux
mais le bandeau n'était pas totalement opaque.
On a fait sortir l'homme de la maison,
sur la route.
Comme précédemment
on le tenait par derrière,
une arme pointée contre son dos.
À cause de l'état de la chaussée, défoncée par les chars et autres engins militaires,
il était difficile de marcher.
L'homme a ainsi déambulé pendant près de deux heures,
sous les ordres des soldats.
Quand ils passaient devant une maison,
les soldats s'arrêtaient et criaient :
« Qui est là ? »
Les soldats ouvraient alors le feu,
forçaient l'homme à pénétrer à l'intérieur pendant qu'eux se regroupaient derrière
lui,
puis tous repartaient une fois la maison fouillée.
Ils l'ont ainsi fait entrer dans cinq maisons différentes
mais n'ont jamais trouvé personne.
Ils ont ensuite marché pendant environ une heure
s'arrêtant de temps à autre,
sans qu'il y ait de coups de feu.
Enfin, on lui a demandé de s'asseoir à même le sol
et on lui a jeté une couverture.
L'homme a été retenu deux jours durant dans ce lieu
dont il a pu déterminer qu'il était proche de l'École américaine,
dans le nord de Gaza.
Pendant ces deux jours,
on ne lui a donné
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ni à manger
ni à boire.
L'homme a ensuite été transporté,
toujours les yeux bandés,
dans ce qu'il pense être un char,
pendant à peu près une heure et demie,
jusqu'à un autre endroit encore
dont il pense qu'il s'agissait de Nitzarim2,
où on l'a jeté à terre.
On l'a retenu là deux jours et deux nuits,
en plein air,
et pendant tout ce temps
les soldats ont refusé de lui donner une couverture.
Au cours de ces deux journées,
l'homme a été interrogé à plusieurs reprises
sur l'emplacement des tunnels du Hamas ainsi que des lance-roquettes,
et sur le lieu où se trouvait Gilad Shalit.
On l'a frappé
et menacé de mort
s'il ne donnait pas les renseignements demandés.
Le deuxième jour,
vers 17 heures,
on l'a emmené dans un véhicule fermé, probablement un camion,
dans un centre de détention situé en Israël
dont il a entendu dire par un soldat qu'il s'agissait du centre de Telmund.
On a alors relevé ses empreintes digitales et on l'a conduit auprès d'un médecin,
à qui il a confié souffrir d'une grosse crise d'asthme
et d'une blessure au dos consécutive à une récente mise à tabac ―
mais le médecin ne lui a délivré aucun médicament.
On l'a ensuite transféré dans une cellule
où là encore on a refusé de lui fournir une couverture.
2
Nitzarim est une colonie israélienne fondée en 1984. À l'origine il s'agissait d'un kibboutz, devenu un
village quelques années plus tard. C'est la dernière colonie de la bande de Gaza à avoir été évacuée, en
août 2005, conformément au plan de désengagement des territoires occupés.
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L'homme a de nouveau été interrogé dans le centre de détention,
cette fois par des civils,
puis transféré dans un autre lieu encore
où il a été détenu avec une cinquantaine d'Arabes.
Au bout de deux jours,
on l'a emmené au poste frontière d'Erez
où on lui a ordonné de retourner dans la bande de Gaza
à pied.
Les soldats lui ont tiré autour des pieds et par-dessus la tête
alors qu'il s'en allait.
Au bout de plusieurs heures, l'homme a finalement réussi
à atteindre la maison de sa sœur,
où il s'est effondré.
On a pu le conduire ensuite à l'hôpital.
(...)
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III
C'est un quartier qui fait partie d'une agglomération
située au sud de la ville de Gaza.
Il est délimité à l'est par la rue al-Sekka,
qui en cet endroit est parallèle à la rue Salah ad-Din, tout proche.
Il abrite les membres de la famille élargie dont il tient son nom
ainsi que d'autres familles.
Dans ce secteur d'aspect rural
se trouvaient des maisons flanquées de poulaillers,
agrémentées d'oliveraies ou de figueraies
et jouxtant de petites parcelles cultivées.
Il se dressait au centre du quartier une petite mosquée.
Arrivant de l'est, les forces terrestres participant à l'offensive
ont atteint le quartier le neuvième jour des opérations,
vers 4 heures du matin.
Ces forces armées étaient, selon toute probabilité,
appuyées par des unités héliportées
dont les membres étaient postés sur le toit-terrasse de plusieurs maisons du
secteur.
Les habitants du quartier ont déclaré
qu'il y avait eu des tirs dans la nuit du huitième au neuvième jour
ainsi que la nuit suivante,
et ont affirmé n'avoir aperçu alors
aucun combattant palestinien.
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Parmi les graffitis déposés dans l'une des maisons par des soldats,
figuraient les inscriptions suivantes :
en hébreu, sous l'étoile de David,
« Le peuple juif est bien vivant »,
le tout surmonté d'un “T” [désignant l'armée Tsahal],
et « Ceci [la lettre “T”] a été écrit avec du sang » ;
en anglais et en arabe, par-dessus un dessin représentant une tombe,
« Les Arabes, 1948-2008 » ;
et en anglais,
« Vous pouvez courir, mais pas vous cacher »,
« Mort à vous tous »,
« Un de moins, restent 999 999 »,
« Mort aux Arabes »
et « Faisons la guerre, pas la paix ».
(...)
12
VI
Pour pénétrer dans la maison de l'homme,
les soldats ont frappé à la porte en enjoignant les occupants d'ouvrir.
Toutes les personnes qui se trouvaient alors à l'intérieur
sont sorties une par une,
et le père de l'homme a décliné l'identité de chacune d'entre elles,
s'adressant aux soldats en hébreu.
Selon l'homme,
les occupants de la maison ont demandé la permission de partir
pour la ville de Gaza,
mais les soldats ont refusé
et leur ont ordonné de se rendre chez son frère aîné,
qui habitait de l'autre côté de la rue.
Les soldats avaient exigé des habitants de plusieurs maisons du quartier
de se rendre aussi chez le frère aîné de l'homme :
si bien que le neuvième jour des opérations, vers midi,
la maison de celui-ci abritait une centaine des membres de la famille élargie ―
alors qu'il n'y avait là que très peu d'eau
et pas de lait du tout pour les nourrissons.
Vers 17 heures,
une des femmes a pu finalement sortir
pour aller chercher du bois de feu.
Il restait un peu de farine dans la cuisine
et elle a pu cuire du pain
dont chacune des personnes présentes a reçu un morceau.
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Le dixième jour des opérations, entre 6 h 30 et 7 heures du matin,
quatre frères de l'homme sont sortis à leur tour
pour aller chercher du bois de feu.
Un cinquième frère, dehors lui aussi,
se tenait alors debout à proximité de la porte d'entrée de la maison.
Tout à coup,
un projectile a atterri à proximité de l'endroit où se tenaient les cinq hommes,
près de la porte de la maison ―
tuant deux d'entre eux,
les autres frères ayant réussi à se réfugier à l'intérieur.
Cinq minutes plus tard,
deux ou trois autres projectiles ont frappé directement la maison :
s'agissait-il de missiles lancés depuis des hélicoptères Apache ?
L'attaque a fait vingt-et-un morts et dix-neuf blessés
parmi les membres de la famille.
On compte parmi les morts :
le père de l'homme,
sa mère
et sa fille, âgée de 2 ans.
Trois des fils de l'homme,
âgés de 5 ans, 3 ans et moins de 1 an,
ont été blessés
mais non mortellement.
Parmi les membres de la proche famille du frère aîné de l'homme,
l'une des filles, de 14 ans, et l'un des fils, de 12 ans,
ont été tués
et deux autres enfants plus jeunes
ont été blessés.
Après le bombardement de la maison du frère aîné de l'homme,
la plupart des survivants ont décidé de quitter les lieux
et de se rendre à pied à Gaza,
laissant sur place les morts et certains des blessés.
Tous ont essayé de sortir, les femmes agitant leur foulard,
mais les soldats leur ont ordonné de regagner la maison.
Ayant signalé aux soldats que de nombreux blessés se trouvaient parmi eux,
on leur aurait répondu,
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selon l'homme,
en les engageant à
« retourner à la mort ».
Décidant de ne pas suivre cette injonction,
tous ont quitté les lieux et se sont dirigés à pied
vers Gaza.
Arrivés à Gaza,
tous ont marché jusqu'aux locaux de la Société du Croissant-Rouge
où ils ont signalé qu'ils avaient laissé dans la maison
des morts
et des blessés.
(...)
15
SECONDE PARTIE
Là
16
(...)
VI
Le système Tseva Adom — « Couleur rouge » —
est un dispositif radar d'alerte rapide
dont les forces armées ont équipé les villes du sud d'Israël.
Il a été installé à Salah ad-Dinerot, en 2002,
et dans différents quartiers d'Ashkelon, en 2005 et en 2006.
Lorsque le dispositif d'alerte rapide détecte la trace radar
caractéristique du lancement d'une roquette depuis Gaza,
il déclenche automatiquement le système d'alerte radio
qui dessert les localités et les bases militaires proches de la bande de Gaza
et diffuse un signal électronique à deux tons,
répété une fois et suivi d'un bref message enregistré —
les mots « Tseva Adom » prononcés par une voix féminine.
Le message d'alerte est répété
tant que des tirs sont détectés
et que toutes les roquettes n'ont pas atterri.
À Salah ad-Dinerot,
le système donne l'alerte
environ quinze secondes avant l'impact d'un projectile.
Le laps de temps qui s'écoule entre l'alerte et l'impact est d'autant plus long
que la localité est plus éloignée de la bande de Gaza.
Les habitants d'Ashkelon évaluent à une vingtaine de secondes
le délai dont ils disposent pour se mettre en lieux sûrs.
Plus au nord,
les habitants de la ville d'Ashdod,
et ceux de Beersheba, dans le Néguev,
estiment disposer après l'alerte
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de 40 à 45 secondes.
Mais le système Tseva Adom n'est pas infaillible :
un habitant dit qu'il n'a pas détecté une roquette
qui a explosé à Salah ad-Dinerot le 21 mai 2007,
tuant une personne et en blessant deux autres.
Il arrive aussi que le système donne de fausses alertes,
ce qui a conduit les autorités d'Ashkelon à le désactiver en mai 2008.
Il en a résulté que, le 14 mai 2008,
une roquette dont le tir n'avait pas été annoncé par une alerte
a touché un centre commercial,
blessant grièvement trois personnes.
Selon les organismes responsables des services de santé mentale,
le déclenchement périodique du système Tseva Adom,
et aussi la hantise d'attaques non détectées par ce système,
ont de profondes répercussions psychologiques
sur les habitants des zones qui se trouvent à portée des lance-roquettes
et des mortiers de la bande de Gaza.
Il y a quelques années,
on a entrepris de fortifier les villes du sud d'Israël
en les équipant d'abris.
Certaines maisons individuelles
et certains immeubles collectifs comprennent désormais des locaux
à l'épreuve des bombardements.
En mars 2008,
on a équipé à Salah ad-Dinerot
120 arrêts d'autobus d'abris fortifiés.
Tous les bâtiments scolaires de Salah ad-Dinerot ont également été fortifiés
de manière à résister aux bombardements à la roquette.
Environ 5 000 habitants du sud d'Israël,
pour la plupart des immigrants âgés
originaires de l'ex-Union soviétique,
n'ont pas accès à un abri privé
et ne peuvent pas non plus se réfugier dans un abri public.
Certaines familles ont d'ailleurs condamné les étages supérieurs de leur maison
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pour partager une seule pièce du rez-de-chaussée
parce qu'elles redoutaient une défaillance du système d'alerte
ou craignaient, lorsque celui-ci fonctionnait,
de ne pas avoir le temps de descendre les étages
pour se mettre à l'abri.
En mars 2009,
un centre de récréation se trouvant dans un bâtiment renforcé,
conçu pour permettre aux enfants de jouer sans s'exposer aux tirs de roquettes,
a été inauguré à Salah ad-Dinerot.
Il existe aussi, à Salah ad-Dinerot,
des cours de récréation fortifiées,
équipées de tunnels en béton
peints dans des couleurs
qui leur donnent l'aspect de grosses chenilles.
Le décompte des morts et des blessés ne donne-t-il pas toute la mesure
des incidences que les tirs ont sur la population exposée ?
92 % des habitants de Salah ad-Dinerot n'ont-ils pas vu ou entendu des roquettes
exploser
durant la période allant jusqu'à juillet 2009 ?
La maison de 56 % d'entre eux n'a-t-elle pas été touchée
par des éclats d'engins explosifs
et 65 % d'entre eux ne connaissent-ils pas quelqu'un
qui a été blessé lors d'une attaque ?
Entre le 18 juin 2008 et le 31 juillet 2009,
quatre personnes (trois civils et un militaire),
n'ont-elles pas été tuées en Israël
par des roquettes ou des obus de mortier
tirés depuis la bande de Gaza ?
Le 27 décembre 2008,
un habitant de Netivot, de 58 ans,
n'a-t-il pas été tué
par l'explosion d'une roquette
tirée depuis Gaza,
qui a touché un immeuble collectif ?
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Le 29 décembre 2008, à Ashkelon,
l'explosion sur un chantier d'un missile Grad
tiré depuis Gaza
n'a-t-elle pas tué un homme de 27 ans,
habitant l'implantation bédouine d'Aroar, dans le Néguev ?
Le même jour,
l'explosion dans le centre d'Ashdod d'un autre missile Grad
n'a-t-elle pas tué un homme de 39 ans,
et blessé plusieurs autres personnes ?
Les Brigades Al-Qassam n'ont-elles alors pas revendiqué
la responsabilité de l'attaque ?
Le 29 décembre 2008,
une attaque au mortier
dirigée contre une base militaire proche de Nahal Oz
n'a-t-elle pas tué un soldat, de 38 ans,
originaire de la ville druze de Daliat el-Carmel ?
918 civils n'ont-ils pas été blessés en Israël
pendant les opérations militaires de Gaza ?
Ce total ne comprend-il pas 27 personnes grièvement blessées,
62 atteintes de blessures moins graves
et 829 légèrement blessées ?
Du 19 janvier au 19 mars 2009,
10 personnes blessées par des tirs de roquettes
n'ont-elles pas été soignées par le Magen David Adom3 ?
Il y a des situations où des personnes
se trouvant en état de choc à la suite d'une attaque à la roquette
ont dû recevoir des soins,
mais les particuliers s'indignent du peu de cas que l'on fait
de ce que l'on appelle les « dégâts invisibles »
causés par les tirs de roquettes.
3
Le Magen David Adom (de l’hébreu signifiant « Bouclier de David rouge », mais généralement traduit
par « Étoile de David rouge ») est le service d’urgence officiel d’Israël, d’ambulance et de don du sang.
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1 596 personnes n'ont-elles pas reçu des soins
dans divers centres médicaux israéliens,
entre le 27 décembre 2008 et le 18 janvier 2009,
pour des troubles liés au stress ?
Durant la période allant du 19 janvier au 2 août 2009,
rien qu'à Salah ad-Dinerot,
549 personnes n'ont-elles pas été soignées pour de tels troubles ?
De nombreux adultes
et entre 72 et 94 % des enfants vivant à Salah ad-Dinerot
présentent des signes de stress post-traumatique.
Ces symptômes sont particulièrement fréquents chez les enfants de moins de 12
ans,
symptômes qui comprennent un sentiment chronique de peur,
une tendance au repli sur soi,
des troubles du comportement,
des difficultés scolaires,
des troubles somatiques,
une tendance à la régression
et des troubles du sommeil.
Un médecin,
psychologue clinicien,
dit avoir rendu visite, en janvier 2009,
à une famille habitant la ville d'Ofakim,
qui se trouve à 15 kilomètres de la frontière de la bande de Gaza ―
la ligne verte.
Son intervention auprès de la famille
avait été demandée par le père,
qui travaille dans une usine du sud, dit le médecin.
Le père se plaignait que son foyer était devenu
« une maison de fous »,
et que la tension y était telle que
« l'atmosphère était devenue irrespirable ».
Lorsque je suis arrivé au domicile de la famille, à Ofakim, dit le médecin,
j'ai trouvé une maison pleine de douze enfants, âgés de 1 an à 22 ans.
C'était une grande demeure, gorgeant de vie
ou, plus exactement, animée par une activité frénétique.
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Je suis arrivé juste au moment où une alerte venait de se déclencher,
et j'ai aussitôt pu observer des réactions d'anxiété,
dont certaines que je qualifierais d'extrêmes.
La mère hurlait à pleins poumons,
sa sœur était devenue blanche comme un linge,
les petits-enfants pleuraient.
La fille aînée, de 22 ans, frappée de stupeur, avait du mal à gagner la pièce
servant d'abri
et son frère cadet, de 14 ans, semblait presque catatonique.
Le père,
qui m'avait appelé,
se dirigeait lentement vers la pièce-abri, l'air accablé.
Se tournant vers moi, et désignant du doigt les membres de sa famille,
le père m'a dit : « Vous voyez ce que je dois endurer tous les jours. »
Sa fille lui criait de se dépêcher,
mais il semblait que plus elle criait, plus il ralentissait le pas.
La fille et le père se sont alors mis à se disputer très bruyamment,
et tous les autres membres de la famille y sont allés de leur propre couplet,
dit encore le médecin.
Une femme,
qui travaille dans un centre de soutien psychologique à Salah ad-Dinerot,
dit que les dix-huit thérapeutes du centre ont soigné plus de trois cent personnes
pendant les opérations militaires de Gaza,
notant que les symptômes post-traumatiques étaient particulièrement marqués
chez les enfants.
Elle dit également
que les effets traumatiques étaient produits
non seulement par les explosions de roquettes
mais aussi par le déclenchement périodique du système d'alerte,
qu'il soit ou non suivi d'une frappe.
Les observations relevées par les organismes
qui dispensent des soins post-traumatiques
confirment les descriptions de la vie quotidienne
dans les localités exposées aux tirs
qu'ont faites les habitants.
Le directeur de collectivité du kibboutz Gevim, près de Sderot,
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dit que 60 % des enfants du kibboutz étaient suivis
par des services de soutien psychologique.
Une femme de Beersheba dit que,
souffrant d'insomnies provoquées par des crises de panique,
elle a dû partir de chez elle
et aller s'installer chez des parents.
Le 29 juillet 2009,
un journaliste,
qui a habité à Salah ad-Dinerot d'avril 2008 à mai 2009,
évoque en ces termes les effets psychologiques de la menace constante
de tirs de roquettes :
On s'y fait plus ou moins.
Cependant, cette menace change votre vision du monde extérieur,
la manière dont il fonctionne — pour toujours.
On n'a plus la même conception de la normalité — pour toujours.
On n'est plus sûr de rien — pour toujours.
Pour les enfants,
les figures traditionnelles de l'autorité — la mère, le père —
ne comptent plus — pour toujours.
On a l'impression
que plus rien ne vous protège,
que rien ne vous protégera plus vraiment.
Pour toujours.
(...)
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