Discours prononcé par Madame Simone Veil, ministre de la Santé

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Discours prononcé par Madame Simone Veil, ministre de la Santé
Discours prononcé par Madame Simone Veil
ministre de la Santé
Inauguration des nouveaux locaux de l’Inserm
Inserm, le 13 janvier 1975
Messieurs les Présidents,
Monsieur le Directeur,
Mesdames, et Messieurs,
Vous avez eu le souci de donner à cette inauguration des nouveaux locaux de l’Inserm un caractère
aussi peu formel que possible, notamment par cette réunion dans le cadre familier du restaurant
d'entreprise de l'Institut.
Je suis sensible, pour ma part, à cette volonté de simplicité, Elle répond d'ailleurs à mes goûts
personnels, sans altérer le moins du monde la qualité et la courtoisie d'un accueil dont je tiens à vous
remercier.
De cette simplicité voulue à l'austérité du temps jadis qu'évoquaient tout à l'heure M. le Professeur
Jean Bernard à propos de la période souterraine de l’Inserm et M. le Professeur Pierre Royer, au sujet
de la période des caves et cuisines, il y a heureusement un monde
Je pense, en effet, à voir les nouveaux locaux administratifs de l'Institut, ainsi que ses unités les plus
récentes, que cette étape est révolue, sans me dissimuler pour autant cette vérité d'évidence que le
béton ne résout pas tous les problèmes. Que l'on se souvienne, en particulier de la boutade, peut-être
apocryphe, d'un scientifique anglais racontant qu'il y avait eu deux étapes successives dans sa
carrière. En premier lieu, le temps où il était mal logé et où il travaillait avec ardeur et succès, puis
celui où il faisait visiter son beau laboratoire tout neuf. Je suis persuadée que les chercheurs de
l’Inserm sauront éviter ce piège tendu par un confort à vrai dire tout relatif encore.
Mon propos n'est pas de retracer devant vous l'histoire de la recherche médicale dans notre pays.
MM. les Professeurs Bernard et Royer l'ont fait avec trop de talent pour que je m'y risque. Je souhaite
simplement vous exposer la place que cette recherche occupe dans les préoccupations d'un ministre
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de la Santé, qui s'efforce de comprendre, avec l'aide de certains hommes de grande valeur dont j'ai la
chance d'être entourée, à la fois vos objectifs, vos ambitions et les obstacles qu'il vous faut vaincre.
En premier lieu, je pense que la recherche biomédicale est, dans une nation, le fondement
indispensable d'une médecine de qualité. Il fut un temps, en effet, celui que vous rappeliez tout à
l'heure, Messieurs, où tous les progrès médicaux transitaient par aéroports. C’est là qu'arrivaient les
«médicaments miracle» découverts ailleurs, naturellement. C'est de là que partaient, Outre-Manche et
Outre-Atlantique, les malades qui devaient subir une intervention délicate ou les professeurs qui
voulaient se mettre à la page (expression de l'époque pour «se recycler»). Après le temps des
aéroports, est venue, à partir de 1958, de l'accélération du progrès, liée à un grand effort national en
faveur de la recherche scientifique. Cet effort résultait, d'une part, du développement de la Délégation
générale à la recherche scientifique et technique (DGRST) et, d'autre part, de la création des centres
hospitalo-universitaires en faveur de laquelle M. le Professeur Robert Debré a joué le rôle éminent
que l'on sait. Progressivement, nous sommes alors entrés dans le groupe des pays qui apportent une
contribution véritable aux progrès de la médecine.
J’ai la profonde conviction que le médecin ou le chirurgien ne peut se contenter d’être le lecteurtraducteur d'articles scientifiques étrangers, notamment en ce qui concerne les techniques de pointe.
Il sera d’autant plus apte à utiliser une nouvelle méthode thérapeutique qu’il aura contribué à la
découvrir ou à la mettre au point dans le laboratoire de recherche avoisinant son département
clinique.
Et cela est vrai pour les nouvelles méthodes d’exploration biologique, les nouvelles techniques
opératoires, pour l'application d'un nouveau médicament, pour la mise en place d'un outil informatique
et dans bien d'autres domaines. Il s'y ajoute la vertu formatrice d'une activité de recherche, même
limitée dans le temps, pour un futur hospitalo-universitaire qui acquerra par le travail de laboratoire les
qualités de précision, de rigueur, de méthodologie, si nécessaires dans un métier qui est devenu de
nature scientifique sans perdre pour autant son caractère humain.
Les problèmes sont d'ailleurs d'une telle complexité, à présent, que le médecin qui se trouve en
contact avec le malade n'est plus, dans une équipe de recherche biomédicale, que le maillon terminal
d'une chaîne comprenant des biologistes, des ingénieurs, des mathématiciens, d'autres encore…
Ainsi s'accomplit un travail multidisciplinaire où s'imbriquent le fondamental et l'appliqué mais avec un
objectif premier qui est l'amélioration de la santé humaine, c'est-à-dire, en définitive, de la condition
de l'homme.
Je ne vois d'ailleurs pas uniquement, dans la recherche biomédicale, le moyen d'améliorer
qualitativement la médecine. En s'agrégeant les sciences humaines, la sociologie, la psychologie,
l'étude des comportements, elle doit également permettre d'améliorer et de rationaliser le système de
distribution des soins, préoccupation importante pour la santé publique.
C'est dire le sentiment de satisfaction que j'éprouve devant la croissance d'un organisme qui a vu de
1964 à 1973 ses crédits passer de 54 millions à 286,5 millions (autorisation de programmes et crédits
de fonctionnement confondus en 1975) et, pendant la même période, son effectif de chercheurs et de
techniciens passé de1 065 à 2 913.
Mais ce n'est qu'une étape et la croissance doit se poursuivre pour répondre à nos besoins et à nos
ambitions.
Avant d’évoquer les unes et les autres, je tiens à rendre hommage à tous ceux qui ont permis
d'obtenir de si remarquables résultats.
Ce sont, en premier lieu, les chercheurs de toutes origines, les techniciens, les administratifs. Ce sont
également, les personnalités qui ont participé à la gestion scientifique et administrative dans tous les
conseils et commissions. A chacun d'eux va notre gratitude.
Que l'on me permette à présent de saluer trois hommes qui ont particulièrement contribué à faire de
l’Inserm ce qu'il est devenu. J'ai nommé les trois directeurs successifs de l’Inserm et de l'Institut
national d'hygiène (INH) auquel celui-ci a succédé.
Monsieur le Professeur Bugnard, vous avez été le créateur, l'initiateur, le pionnier. Votre double titre
d'ancien élève de l'Ecole polytechnique et de professeur de biophysique à la faculté de médecine de
Toulouse vous prédestinait à ce poste de directeur de l'INH.
Dans un pays blessé, affaibli par la guerre à peine achevée, vous avez posé les premiers jalons. Vous
avez choisi avec soin les hommes sur lesquels tout ce qui a suivi fut bâti. Vous avez envoyé aux
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Etats-Unis, pour s'y former, les futurs directeurs de laboratoire. Sur le modèle britannique qui vous
avait séduit, vous avez construit les toutes premières unités de recherche. Ce que nous célébrons
aujourd'hui, Monsieur le Professeur, est le résultat de vos premiers efforts.
Monsieur le Professeur Aujaleu, votre nomination à la direction générale de l’Inserm, en 1964,
succédait à la tâche considérable que vous aviez menée à bien à la Direction générale de la Santé
publique. Dans vos nouvelles fonctions, pour mettre en place l'Institut et en assurer le développement,
vous avez à nouveau témoigné de vos qualités de courage, de ténacité et d'efficacité.
Monsieur le Professeur Burg, il y a cinq ans, à présent, qu'avec la détermination et la persévérance
des hommes des marches de l'Est, vous avez pris en main cet héritage deux fois toulousain. Vous
savez analyser lucidement les problèmes, mesurer exactement les difficultés, vous fixer à vous-même
des objectifs réalistes et les atteindre, quoi qu'il arrive. Vous avez fait de l’Inserm un outil efficace,
adapté aux besoins multiformes de la recherche médicale, l'un des moyens de réflexion et d'action
qu'un ministre de la Santé peut s'enorgueillir de voir placé sous sa responsabilité.
Il était juste qu'un tel hommage vous soit rendu à toutes et à tous, mais il est plus important à vos
yeux, je le conçois, de savoir ce que le ministre de la Santé pense de l'avenir de la recherche
médicale où vous vous 'êtes illustrés.
Il nous appartient, en effet, de préparer et de mettre en œuvre, ensemble, le développement de la
recherche biomédicale que les Français souhaitent et placent volontiers au premier plan de leurs
préoccupations, si l’on en croit les sondages d'opinion.
Pour réussir dans une telle entreprise, il faut d'abord être riche en hommes. C'est pourquoi, nous
devons nous efforcer d'orienter, vers cette branche, les meilleurs de nos étudiants venant de toutes
les disciplines : médicales, biologiques, physiques, chimiques, électroniques, mathématiques,
sociologiques, etc. La formation de ces chercheurs doit associer la formation théorique et pratique, les
stages en France et à l'étranger,
Je ne me dissimule pas que le problème des carrières qui leur seront offertes est l'un des plus délicats
à résoudre. Personnellement, je serais favorable, dans un tel domaine, à des solutions à la fois
audacieuses et généreuses.
L'un de nos objectifs doit être d'assurer aux équipes de chercheurs ayant fait sans conteste la preuve
de leur efficacité et de leur créativité les crédits et les promotions qui soient à la mesure du service
qu'elles rendent effectivement à la collectivité.
Mais, c'est dire avec quel soin le futur chercheur doit être choisi, c'est dire aussi, la responsabilité qui
pèse sur les commissions chargées de sélectionner les hommes et d'attribuer les contrats.
Dans le même esprit, j'estime qu'il convient de favoriser, à côté des chercheurs qui «font carrière», la
participation transitoire, mais utile, de ceux qui ne font que passer afin de bénéficier de la vertu
formatrice de la recherche. En un tel domaine, les mots-clés doivent être souplesse et mobilité, sans
que soient pour autant négligés le respect de la dignité des hommes ni le souci de leur sécurité
professionnelle.
Ces chercheurs, ces équipes, cet Institut de la prochaine décennie, dans quelles directions, sur quels
axes vont-ils orienter leurs efforts ?
Je souscris pleinement aux vœux de M. le Professeur Jean Bernard qui souhaiterait voir privilégier la
chimie du cerveau, les recherches portant sur la prévention, tout en sauvegardant, j'insiste beaucoup
sur ce point, un vaste secteur de recherche libre non programmée, la “terra incognita” d'où viennent
certaines des plus grandes découvertes du génie humain.
Cela étant, au même titre que la recherche biomédicale rationnelle associe des spécialistes de
disciplines très différentes, je pense qu'elle doit constituer un réseau étendu allant de la recherche
entièrement libre, laissée à l'inspiration individuelle, jusqu'à la recherche répondant au contrat le plus
précis et le plus limité,
Il est évident que Sir Alexander Fleming ne cherchait nullement à mettre au point un médicament
quand il découvrit le premier antibiotique. Il est non moins évident que la collectivité, qui supporte
financièrement la recherche, a le droit de porter son intérêt sur de grands problèmes qui, pour des
raisons diverses, n'ont pas spontanément attiré l'attention des chercheurs. Le mot-clé me parait être
ici : équilibre.
La Grande Aventure de l'humanité s'est construite depuis les origines sur une séquence de
découvertes ou de créations qui ont transformé la vie, tantôt de manière lente et progressive tantôt, et,
plus récemment, de manière brutale et rapide. Il semblait qu'aucune limite ne doive être assignée au
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génie créateur de l'homme. Ces limites nous sont peu à peu apparues, non certes celles de l'esprit
humain, mais bien celles du monde sur lequel pouvaient s'exercer sa puissance et son emprise.
Contrairement à ceux qui, exagérant les imperfections et les incertitudes de la médecine, concluent
hâtivement à son échec, j'estime que la recherche biomédicale, dans son sens le plus étendu, c'est-àdire débordant largement sur les sciences humaines, peut imprégner, influencer, orienter - en un mot,
humaniser - tous les grands progrès scientifiques et préparer l'homme à son avenir,
Car la finalité de la recherche médicale est bien l'homme et sa lutte contre la maladie et la souffrance.
C'est l'honneur de l'Inserm, de ses chercheurs, de tous ceux qui l'animent et assurent son
développement, que de servir ainsi l'un des idéaux les plus élevés de notre civilisation.
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