journalisme economique et ethique
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journalisme economique et ethique
JOURNALISME ECONOMIQUE ET ETHIQUE Par M. Kader Diop* J'ai choisi de vous parler de journalisme économique et d'éthique et de déontologie. C'est sans doute prétentieux de ma part d'aborder cette problématique devant un auditoire de spécialistes. Mais, en tant que président du CRED et un des doyens de la presse sénégalaise, je me permets cette audace en comptant sur votre indulgence. Auparavant, je voudrais remercier le comité d'organisation avec à sa tête mon jeune frère et confrère Hamadou Tidiane Sy qui était un de mes collaborateurs à l'AFP. Son sérieux et sa rigueur, son obsession du travail bien fait et la grande sympathie que je lui voue, m'ont convaincu de participer à ce séminaire. Pour commencer, je ne vous ferai pas l'insulte de définir l'information économique que vous connaissez et pratiquez mieux que moi. Pour aller vite, attachons-nous pour les analyser aux insuffisances de certains articles sur l'économie. Ces insuffisances relèvent souvent d'un manque de rigueur et d'un manque de professionnalisme ou d'un manque culture économique, qui conduisent souvent à la légitimation pure et simple du discours économique. Sans aucune précaution. Un exemple me vient en tête : un directeur dune société nationale annonce un bénéfice de plusieurs milliards. L'information est reprise à la une de plusieurs journaux. Trois mois après le directeur est limogé pour mauvaise gestion Le bénéfice annoncé était fictif. Les journalistes ont été floués, manipulés de bonne ou mauvaise foi et ils ont trompé le public qui leur a fait confiance pour l'informer. La déontologie journalistique voudrait que le journaliste cultive le doute et observe une certaine distance avec ses informateurs, fussent-ils les plus hauts placés. L'information de notre directeur de société ne serait pas publiée telle quelle si le journaliste avait pris la précaution de la vérifier auprès d'autres sources, s'il n'avait pas pris pour argent comptant les informations servies, privilégiant la langue de bois ou le mensonge officiel. Dans mon exemple, l'exercice est d'autant plus difficile que la société en question est l'un des plus grands annonceurs de presse, donc l'un des plus gros clients des journaux. Comment traiter les informations concernant une telle entreprise dont dépend la vie ou la survie d'un journal, tout au moins en partie ? Parfois le choix de l'objectivité, de la critique est difficile, mais nécessaire au nom de l'éthique et au nom du mandat du journaliste qui est de protéger les intérêts du public contre les actions politiques ou économiques qui peuvent devenir une menace. Il est incontestable que la presse est un partenaire aux réformes économiques. C'est par son intermédiaire que les politiciens, les décideurs entrent en contact avec la société pour obtenir un appui et établir un lien de confiance. Mais, elle ne doit jamais oublier sa fonction d'opposition qui, au delà de protéger les intérêts publics, peut aider les décideurs à s'interroger sur leurs stratégies et l'impact de leurs décisions. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de se former, d'acquérir le vocabulaire de base, de connaître les théories qui sous-tendent des décisions prises par l'Etat et les entreprises pour les replacer dans leur contexte. Toutes ces connaissances n'autorisent pas le journaliste à se prendre pour un spécialiste. Surtout pas, car il faut faire grand public pour être compris et il n'y pas plus rebutant que le jargon des spécialistes que l'on adopte par snobisme parce qu'on a peur d'avouer qu'on n'y comprend rien. Parfois, c'est la preuve que le journaliste ne comprend pas et se contente de reproduire les propos exprimés par les spécialistes comme un perroquet. Ce n'est pas, vous en convenez, le rôle du journaliste. L'éthique induit aussi l'obligation de ne pas prendre le parti d'un acteur économique particulier ou de privilégier le point de vue de certains acteurs par choix politique, idéologique ou par peur de froisser un annonceur. La diversification des sources, leur vérification et leur recoupage et la distanciation par rapport à l'informateur, permettent d'établir la véracité de ses informations, d'échapper aux manipulations et, de préserver son indépendance, sa crédibilité et d'entraîner le respect du public et même des décideurs. Dans la rédaction des articles ou des chroniques, il est essentiel de donner la parole à chaque partie en présence non seulement par souci d'équilibre, mais aussi par souci d'objectivité, sinon d'honnêteté. Il faut aussi donner au lecteur la possibilité de distinguer la part exacte du fait vérifié et du sentiment éprouvé. En d'autres termes, il faut séparer les faits et les commentaires. Nous savons tous que les journalistes détiennent un pouvoir dont ils usent et abusent qu'il faut tempérer. Cela veut dire qu'il faut des chartes qui fixent les règles éthiques et déontologiques et des organisations professionnelles qui surveillent et condamnent le non respect de ces règles. Il est inadmissible, au regard de la morale que les journalistes acceptent de l'argent pour publier un article, pour devenir les porte-plumes de personnalités. Un éminent sociologue français, Cyril Lemieux, suggère dans un livre sur la presse, que les journalistes soient soumis à des mises en demeure publiques de s ‘expliquer sur leurs dérapages. Qu'on le veuille ou non, mon sentiment est qu'on va y arriver : des observatoires de la presse ont commencé à naître un peu partout en Afrique. Et, je crois que beaucoup de choses vont changer. * Journaliste, Président du Conseil pour le respect de l'éthique et de la déontologie CRED, Sénégal) NOTES Eviter les conflits d'intérêts 1 S'abstenir d'écrire si le journaliste entretient des relations économiques, familiaux, amicaux avec une entreprise ou une organisation publiques ou personnes privées 2 S'abstenir de profiter des informations privilégiées en leur possession pour procéder à des transactions boursières ou pour en faire profiter des tiers. 3 Voyages et invitations. Le journal doit couvrir tous les frais liés a ses articles et enquêtes et ne répondre donc à l'invitation d'une entreprise ou d'une organisation publique (voyages de presse) que si l'intérêt journalistique de cette invitation est patent. En acceptant l'invitation, il ne s'oblige nullement à publier un article. S'il en publie un, il le fait dans un esprit de totale indépendance, sans omettre de mentionner l'invitation dont il est le fruit. 4 Cadeaux. N'accepter aucun cadeau ni avantage matériel dont on serait gêné de s'ouvrir publiquement. 5 Sponsoring et partenariat. Lorsqu'un journal conclut des accords de partenariat ou des contrats de sponsoring avec des entreprises, des personnes privées ou des organisations publiques, pour l'organisation d'événements ou d'opérations rédactionnelles, il indique clairement l'identité des partenaires et des sponsors.