Crise burundaise : Les médias dans le collimateur du régime

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Crise burundaise : Les médias dans le collimateur du régime
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5 mai 2015 – Communiqué de presse
Crise burundaise : Les médias dans le collimateur du régime
Après l’annonce de la candidature du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat le samedi 25
avril, de violents heurts ont éclaté à Bujumbura, capitale du Burundi, faisant au cours des dix derniers
jours 12 morts et des dizaines de blessés. Le bilan de la seule journée du 4 mai est de 4 morts et 45
blessés. Comme d’autres acteurs de la société civile, les médias burundais ont été particulièrement visés
à la suite de cette décision : émissions suspendues, Maison de la Presse fermée, radios empêchées
d’émettre et journalistes harcelés… Le gouvernement verrouille l’information pour éviter la contestation.
Les responsables des principaux médias et des organisations professionnelles des médias sont unanimes :
depuis l’annonce de cette candidature, les libertés d’informer et de s’exprimer ont été gravement mises
à mal au Burundi. A l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, ils ont tenu à rappeler
que « tous les journalistes ont le droit de faire leur métier », qu’ils travaillent pour les médias publics ou
privés.
Les organisations signataires appellent la communauté internationale à réagir rapidement et avec
sévérité à ces atteintes liberticides à l’information. Elles demandent au président Pierre Nkurunziza et
à son gouvernement de mettre fin aux actes d’intimidation et de répression perpétrés par les forces de
sécurité et les jeunes Imbonerakure contre les médias, d’autoriser la réouverture de la RPA et de
permettre aux radios censurées d’émettre à nouveau à l’intérieur du pays.
Dimanche 26 avril 2015
La RPA, Bonesha FM et Radio Isanganiro, trois des radios les plus écoutés au Burundi, ne peuvent
plus émettre au-delà de Bujumbura. Elles sont accusées d'inciter la population au soulèvement dans
le cadre des manifestations contre un troisième mandat du président Pierre Nkurunziza.
Lundi 27 avril 2015, 10h40…
La Maison de la Presse du Burundi, lieu fédérateur incontournable des médias et des journalistes
burundais, est encerclée par la Police. A l’intérieur de l’enceinte, 5 radios (RPA, Bonesha, Isanganiro,
Renaissance et CCIB FM+) diffusent une Synergie des médias, une émission radio diffusée et relayée
en direct par les principales radios membres de l’ABR. L’émission de ce lundi matin apporte
commentaires et analyses sur les manifestations ayant suivi l’annonce de la candidature du Président
Nkurunziza. Alors que Pierre Claver Mbonimpa, Président de l’Association pour la protection des
droits humains et des personnes détenues (APRODH) s’apprête à rentrer dans les studios pour y être
interrogé en direct, il est arrêté. L’émission est stoppée, des journalistes sont frappés et la police
force tous les journalistes à quitter les lieux... La Maison de la Presse est fermée pour une durée
indéterminée.
Lundi 27 avril 2015, 14h35…
Gilbert Niyonkuru, le très réputé journaliste de la RPA, annonce la fermeture de la RPA en direct : "La
radio vient de fermer sur décision des autorités". Quelques minutes plus tôt, la police a franchi le
mur d’enceinte de la plus populaire des radios burundaises et a demandé à ses responsables de
couper l’émetteur. Selon les autorités burundaises, la RPA est accusée de proximité avec l’opposition
d’incitation au soulèvement. Indigné, le Directeur, Bob Rugurika, lance «Laissez-les fermer la radio
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mais qu’ils ne tuent personne et qu’ils ne volent pas le matériel ». Au cours de la même journée, la
RPA-Ngozi, radio communautaire couvrant le nord du Burundi, avait aussi été fermée par le
gouverneur et le procureur de la province sur un mandat qui l'accuse de "complicité à la participation
à un mouvement insurrectionnel".
La radio Bonesha FM subit également de fortes pressions : trois de ces journalistes sont arrêtés dans
la commune de Kanyosha par un groupe d’Imbonerakure, la jeunesse du parti présidentiel, armés de
fusils et de machettes. Finalement, un agent des renseignements qui accompagnait les jeunes
Imbonerakure a réussi à apaiser la situation et les journalistes ont pu partir.
Mardi 28 avril 2015
Les médias sociaux et services de messageries tels que Facebook, Whatsapp, Viber ou encore Tango
sont bloqués par les autorités. Ces services de messagerie sont l’un des moyens principaux pour les
journalistes de communiquer avec leurs rédactions ou de pouvoir faire sortir des informations tant à
l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Plus que jamais, l’information est unilatérale et sur une grande
partie du territoire, seuls les médias portant la voix du pouvoir sont accessibles, à savoir la Radio
Télévision Nationale du Burundi (RTNB) et Radio Rema FM.
Mercredi 29 avril 2015
Des policiers pénètrent de force au domicile d’un journaliste de la RPA, dans la commune Nyakabiga.
Le journaliste et sa famille étaient heureusement absents. Le même jour, un journaliste du magazine
hebdomadaire Burundi Eco a été frappé par un policier et contraint d’effacer les photos qu’il avait
prises d’un véhicule anti-manifestation tombé dans un canal.
Dimanche 3 mai 2015, 10h30
« Tous les journalistes ont le droit de faire leur métier ». Après une semaine de tensions et face aux
inquiétudes de plus en plus lourdes pesant sur les journalistes, qu’ils travaillent pour les médias
publics ou privés, c’est le message qui a été lancé sur les ondes des radios appelant chaque citoyen
burundais à respecter le travail des journalistes. Réunis dans la cour du journal Iwacu, c’est vêtu de
noirs et un scotch sur la bouche que les journalistes ont ainsi exprimé leur crainte d’exercer leur
métier et célébrer à leur manière la Journée mondiale pour la liberté de la presse.
Cette chronologie des faits illustre l’extrême gravité de la situation au Burundi tout en illustrant
également la grande maturité de la grande majorité des médias burundais qui n’ont cessé d’appeler au
respect du pluralisme d’expression et d’opinion.
Bruxelles, le 5 mai 2015
Reporters Sans Frontières, Fédération Internationale des Journalistes, Comité pour la Protection des
Journalistes, Institut Panos Europe, Institut Panos Grands Lacs, VITA, Radio Netherlands Worldwide
Contact
Reporters Sans Frontières
Fédération Internationale des Journalistes
Comité de Protection des Journalistes
Institut Panos Europe
Institut Panos Grands Lacs
VITA
Radio Netherlands Worldwide
Cléa Kahn-Sriber - [email protected]
Ernest Sagaga - [email protected]
Jean Paul Marthoz - [email protected]
Pierre Martinot - [email protected]
Cyprien Ndikumana – [email protected]
Joshua Massarenti - [email protected]
Hélène Michaud- [email protected]
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Extraits des principales déclarations diplomatiques
UE – Service d’action extérieure de l’UE
L'intimidation et la violence, les morts et blessés, l'arrestation de défenseurs de droits de l'homme et la
restriction des médias, le flux de réfugiés vers des pays voisins n'ont pas leur place dans un processus électoral.
Nous appelons tous les acteurs burundais à la retenue, tout en soulignant qu'il revient aux autorités de garantir
l'exercice pacifique des droits civils et politiques y compris le droit de manifestation et d'expression pour tous
les acteurs politiques ainsi que pour la société civile et les médias.
Délégation de l’Union européenne, les Ambassades de la Suisse et des Etats Unis au Burundi
A la veille de la Journée mondiale de la liberté de la presse, elles appellent les autorités à faire preuve de
tolérance et à rouvrir l’espace nécessaire à l’exercice des libertés d’opinion et d’expression, seul moyen de
restaurer le dialogue indispensable à tout processus électoral.
Etats Unis
Le sous-secrétaire d’Etat américain aux droits de l’Homme et à la démocratie, Tom Malinowski, a indiqué que
fermer les radios et bloquer les réseaux sociaux risque d’aboutir à des résultats contraires à ceux escomptés : «
Quand la population ne peut exercer son droit aux manifestations pacifiques, elle ne va pas arrêter, mais va
trouver d’autres cadres pour le faire. »
Royaume-Uni
Le Royaume-Uni s’est dit soucieux de la fermeture de certaines radios: « Toutes les stations de radio privées
doivent reprendre la diffusion des émissions en direct à travers tout le pays à condition qu’elles respectent les
règles du métier de journalisme. »
Suisse
La Suisse réitère son soutien au processus électoral inclusif et crédible. Pour que ces conditions soient remplies,
les libertés publiques doivent être respectées, inclues la liberté d’expression, de réunion et d’association
pacifique.
Belgique
Au cours des dernières années, la Belgique a financé plusieurs projets visant à soutenir une presse libre et
professionnelle au Burundi. La liberté d’expression et la liberté de la presse sont essentielles lors du suivi du
processus électoral. Les ministres expriment leur inquiétude quant aux mesures restrictives qui ont été prises à
l’encontre de quelques radios indépendantes ainsi qu’à l’utilisation des médias sociaux via le trafic mobile de
données. Ils demandent à ce que ces mesures soient levées dès que possible.
Pays Bas
Foreign minister Bert Koenders and development minister Lilianne Ploumen see the closure of independent
radio station Radio Publique Africaine and the arrest of human rights campaigners as violations of the right to
freedom of expression. According to both ministers, the legitimacy of Burundi’s upcoming elections is at stake.
A l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, Jolke Oppewal, l'Ambassadeur des Pays-Bas au
Burundi a répété que « La liberté d’expression et de la presse constitue un élément essentiel du
fonctionnement d’un Etat démocratique dans lequel les journalistes jouent un rôle important en tant que l’un
des gardiens de la démocratie. Sans liberté de la presse, il n’y a pas d’accès à l’information fiable et
indépendante. Ceci est le cœur de la liberté d’expression. »
Italie
La consolidation de la paix au Burundi passe par la tenue d’élections pacifiques, inclusives et respectueuses des
droits de l’homme, et en particulier des libertés d’expression et de manifestation de toutes les composantes de
la société civile.
France (Parti socialiste)
Le Parti socialiste déplore ces morts et exprime ses vives condoléances à leurs proches. Il exige la libération
immédiate du militant des droits de l'homme et la réouverture de la Radio publique africaine.
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