La recherche en psychiatrie de l`enfant et de l`adolescent : un outil
Transcription
La recherche en psychiatrie de l`enfant et de l`adolescent : un outil
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 61 (2013) 269–272 Éditorial La recherche en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent : un outil supplémentaire pour le praticien Research in child and adolescent psychiatry: An additional tool for practitioner Cet éditorial se propose de développer l’avis d’un psychiatre universitaire engagé dans la recherche intégrée à la clinique de terrain, sur l’état actuel de la recherche dans notre discipline. Il est l’occasion d’ouvrir un débat sur cette question. Le lecteur y trouvera aussi des informations pratiques, des indications sur le chemin que l’on peut suivre et quelques clefs pour démarrer dans ce domaine. Dans notre discipline, il est fréquent de constater que tout se passe comme si chercheurs et cliniciens appartenaient à deux mondes dont les lignes de partage sont réduites, parfois même considérées comme antagonistes. Cela est déplorable à plusieurs titres. Tout d’abord, les enjeux tant économiques par le biais de l’enveloppe financière missions d’enseignement, de recherche, de recours et d’innovation (MERRI), que scientifiques actuels ne permettront plus de camper sur de telles positions, qui risquent de grever de façon drastique le développement de notre spécialité. La pédopsychiatrie française qui a toujours su développer une psychiatrie ouverte sur le monde, diversifiée, indépendante et à l’écoute de l’enfant et de l’adolescent se doit d’avoir une place et de faire entendre sa voie dans le monde de la recherche actuel. Le récent succès du congrès de l’IACAPAP à Paris en juillet 2012 fait la preuve de cette possibilité. largement démocratisé auprès de la plupart des étudiants en médecine qui, dès le deuxième cycle valident un master I. Cela demande un effort supplémentaire important, un soutien de la part des services hospitalo-universitaires afin de libérer leurs internes. Les bourses de recherche sont difficiles à obtenir, surtout dans notre discipline où les étudiants de troisième cycle sont en concurrence avec des internes issus des filières, comme la cancérologie, propices au développement des recherches fondamentales et translationnelles, qui ont un effet séducteur puissant auprès des conseils scientifiques des facultés de médecine. Aux États-Unis, le constat est tout aussi alarmiste et il semble bien que le nombre de médecins engagés dans des carrières de recherche ait considérablement diminué au cours des deux dernières décennies. Cela a provoqué une prise de conscience du gouvernement et des fonds des National Institutes of Health (NIH) ont été débloqués pour la formation des plus jeunes. En 2006 l’université médicale de Caroline du Nord (MUSC) a développé un programme intégrant efficacement la formation à la recherche durant l’internat sans pour autant augmenter le nombre d’années d’étude [1]. 1. Quelques pistes pour tenter de comprendre le problème de fond Le développement d’interfaces entre les chercheurs fondamentalistes et les pédopsychiatres est encore à ses balbutiements. La recherche fondamentale sur support murin n’apporte que peu d’intérêt en l’état de nos connaissances actuelles en pédopsychiatrie, ne serait ce que par défaut de possibilités de création de modèles animaux transposables pour les pathologies de l’enfant. Cela ne facilite pas l’élaboration de projets de recherche translationnels en psychiatrie de l’enfant et l’adolescent alors que les autres disciplines pédiatriques ont des modèles bien plus simples et il existe un réel essor de ce type de recherche. Cependant, il subsiste bien d’autres domaines dans lesquels notre discipline peut jouer un rôle majeur : l’épidémiologie, la psychopharmacologie indépendante de l’industrie pharmaceutique, les nouvelles technologies, domaine en plein essor qui conduit 1.1. Organisation des études médicales La formation proposée dans le cursus des études médicales ne favorise pas la naissance précoce d’un maillage de pensée entre la recherche et la pratique clinique quotidienne. Les études médicales sont centrées sur l’orientation clinique. Cela peut être lié à l’importance des responsabilités auxquelles est confronté le jeune médecin dès son premier semestre d’internat. En région parisienne et dans les grands centres universitaires (Lyon, Marseille, Toulouse) l’accès à une formation académique complémentaire à type de master I puis II de recherche s’est 0222-9617/$ – see front matter © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2013.03.002 1.2. Difficulté à entrevoir les liens avec les unités de recherche 270 Éditorial / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 61 (2013) 269–272 vers des interfaces passionnantes avec le monde de l’ingénierie et le développement de nouveaux concepts thérapeutiques. Cependant, force est de constater qu’à ce jour il n’existe qu’une seule unité Inserm dédiée a la pédopsychiatrie. Au-delà de ces contingences réelles, il existe en France, dans notre catégorie socioprofessionnelle, une forme de culpabilité qui interdit encore l’extension de la recherche, comme si l’humain ne pouvait faire l’objet de découvertes scientifiques, ou encore comme si pour un médecin le temps passé à chercher était autant de temps perdu pour le soin. Dans notre spécialité, ce problème se complique d’une difficulté éthique double qui renforce ce sentiment de culpabilité. Elle est liée à notre population d’étude : pédiatrique et en souffrance psychique jusqu’à parfois, comme dans le spectre des troubles envahissants du développement ou dans la déficience mentale, l’impossibilité pour le patient de saisir qu’il va participer à une étude. Pourtant le temps long des prises en charge en pédopsychiatrie, la continuité des soins, la qualité de l’expertise clinique française, qui a su conserver la possibilité d’embrasser l’ensemble de la discipline, devraient produire un terreau tout à fait favorable au développement d’une recherche innovante et de qualité. pour le développement d’une pratique fondée sur l’« Evidence Based Medicine » : « La médecine fondée sur les preuves ». Le secteur aura ici un rôle clef à jouer dans les années à venir. Bien d’autres domaines intégrés à la pratique et aux missions du secteur peuvent encore être développés en France : les études épidémiologiques, la mise en place d’outils informatisés performants auprès de la population, etc. Un mouvement apparaît autour de l’évaluation des pratiques et des projets épidémiologiques où l’on voit de plus en plus souvent les structures de secteurs et universitaires s’associer. Une collaboration forte entre ces deux types de services est un projet d’avenir que nous pouvons construire ensemble. De plus en plus de programmes hospitaliers de recherche clinique (PHRC) vont dans ce sens, comme celui dont les résultats sont attendus sur l’évaluation des pratiques dans l’anorexie mentale : « Évaluation de la prise en charge hospitalière des patients anorexiques mentaux : mesure de l’efficacité des soins et recherche des facteurs prédictifs de l’évolution (EVALHOSPITAM) ». Les travaux de Thurin ouvrent la voie de l’évaluation des pratiques psychothérapiques psychodynamiques. Il pointe les limites de l’utilisation des méthodologies de type d’essais randomisés dans ce domaine, et propose des clefs pour impliquer les cliniciens dans la recherche comme la nécessité de porter une attention particulière aux objectifs des études qui contribuent à une amélioration des pratiques [2]. 1.4. Pratique de terrain 2. Cadre actuel dans les hôpitaux L’organisation sectorielle n’a pas été pensée pour engager une stratégie qui intègrerait la recherche et les soins dans un même dynamisme. Ainsi, on observe aussi une ligne de partage forte qui peine à s’adoucir entre les praticiens hospitalo-universitaires qui se sont vus confiés des missions intersectorielles et les praticiens de secteur. Souvent moins dotés sur le plan médical, recevant moins d’internes, les praticiens de secteur non universitaires semblent défavorisés pour conduire des protocoles de recherche. Cette fracture se retrouve dans l’ensemble des disciplines médicales hormis peut-être la cancérologie, qui par la force des choses a dû introduire la recherche dans la pratique quotidienne en raison du nombre important de phases I à III d’exploration de nouvelles molécules. Pourtant, si le domaine de la recherche fondamentale est plus difficile d’accès pour le secteur, la recherche clinique doit y trouver dans les années à venir un socle fondamental pour l’avancement de notre discipline. Les conflits récents liés aux recommandations de la HAS de mars 2012 sur « Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent » en sont une leçon d’importance. La nécessité de prouver l’efficacité de nos pratiques – comme cela est déjà le cas dans les autres disciplines pédiatriques, médicales et/ou chirurgicales – ne pourra être évitée au risque d’en voir certaines disparaître. L’ensemble de la profession en a récemment pris conscience. Bruno Falissard (pédopsychiatre et professeur de bio-statistique, praticien hospitalier), lors du congrès mondial de l’IACAPAP à Paris a plaidé au cours de sa conférence La survie financière des services sera de plus en plus contingente de leur production scientifique, à travers les financements MERRI qui visent à valoriser les activités de recherche et d’enseignement ou le projet d’évaluation nationale de chaque service selon des grilles de cotation très strictes. Les critères déjà établis au niveau des CHU par les comités de recherche biomédicale et de santé publique (CRBSP) sont fondés principalement sur : 1.3. Population d’étude • les scores système d’interrogation, de gestion et d’analyse des publications scientifiques (SIGAPS) (ces scores dépendent des impacts factors des revues dans lesquelles les articles sont publiés). Dans ce domaine notre discipline est largement défavorisée. La revue qui offre l’impact factor le plus élevé est celui de la revue de l’American Academy of Child and Adolescent Psychiatry (dite « revue orange ») pour laquelle le niveau de qualité méthodologique est très exigeant et qui présente un taux de refus très élevé ; • le nombre d’essais cliniques financés et promus par le CHU avec un fort impact des PHRC, des financements Agence nationale de la recherche (ANR) obtenus, les programmes hospitaliers de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP) sont aussi de plus en plus valorisés. Les essais avec l’industriel pharmaceutique sont moins valorisés ; • le nombre d’essais et de projets déposés ; • le nombre de patients inclus dans des essais cliniques ; • le nombre de médecins ayant des contrats d’interface avec les établissements publics à caractère scientifiques et Éditorial / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 61 (2013) 269–272 technologiques (EPST), unités CNRS ou Inserm, Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA), entre autre. Là encore notre spécialité est défavorisée. Du fait de notre spécificité, les recherches qui peuvent être engagées se prêtent mal à ce type d’interface avec la majorité des structures labellisées CNRS qui sont orientées en recherche fondamentale. En médecine, les conseils scientifiques multidisciplinaires, dans la plupart des cas tenus par une majorité de somaticiens n’ont pas un regard bienveillant sur les recherches transversales avec les sciences humaines et sociales ; • le nombre de praticiens titulaires d’un master II et d’une thèse de troisième cycle scientifique ; • le nombre d’internes ayant obtenus une année recherche ; • enfin la lisibilité de la recherche, son organisation et sa cohérence. Cela demande pour nos services un effort supplémentaire majeur, une véritable stratégie. Les crédits de recherche obtenus par les points MERRI ne sont pas, de plus, réaffectés directement au service qui les a obtenus mais au pôle dans sa globalité. 3. Quelques clefs pour tenter de débuter Comment s’y prendre de façon pragmatique ? Deux nerfs de guerre commandent la possibilité de développer la recherche : le travail et encore le travail, et malheureusement aussi l’obtention de crédits. Le travail n’est pas valorisé au départ et pour produire un projet scientifique de qualité, il faut : • la capacité à transposer les observations cliniques nouvelles en hypothèse de recherche ; • une excellente connaissance de la littérature scientifique, favorisée par un accès qui se démocratise ; • une excellente formation méthodologique ; • et beaucoup de temps de travail. . . Actuellement, chaque CHU est doté d’une direction pour la recherche clinique et l’innovation (DRCI), de mieux en mieux organisée. Elles proposent une aide et un soutien important à la rédaction et la conception du projet. L’obtention de crédits issus de fonds publics est de plus en plus difficile pour ceux qui ne font pas partie d’une équipe de recherche financée de façon pérenne. Il est complexe pour les jeunes équipes médicales de démarrer en recherche car les commissions d’évaluation crédibilisent un projet à partir des publications déjà réalisées. L’adage bien connu « on ne prête qu’aux riches » est malheureusement applicable à l’essor de la recherche. Mais, il existe de plus en plus d’appels d’offres privés, de fondation, très actives pour aider les recherches liées à la pratique de terrain et qui aident à financer des projets pour des équipes qui débutent. Face à ce constat, faudrait-il se décourager ? Sûrement pas, car comme le soulignait Rutter [3], la recherche dans notre discipline est fondée sur nos qualités de clinicien qui nous autorisent à être à l’écoute de l’inattendu. C’est l’inattendu qui fonde 271 les vraies découvertes et la recherche devient alors un outil méthodologique qui le valide et non l’inverse. Aujourd’hui, les découvertes purement cliniques comme celle de Rett puis de Hagberg et al. en 1983, qui découvrent qu’il existe dans un sousgroupe spécifique de filles présentant un syndrome « autistic like », avec des traits cliniques et une évolution particulière, ne feraient plus l’objet d’une étude clinique à partir de 35 patients [4]. Les reviewers exigeraient une étude contrôlée sur le plan méthodologique avant de pouvoir la diffuser et la publier. La recherche permet ainsi de repérer ce qui dans l’inattendu de la clinique est vraiment généralisable – comme le fut le traitement par méthamphétamine des enfants hyperactifs – ou simplement lié à un biais d’observation du clinicien. 4. Conclusion La meilleure façon de développer la recherche est de la lier à la pratique clinique. Un des risques de la pratique de la recherche est de progressivement se couper de la clinique ce qui peut conduire à une stérilisation des idées, et le risque de rester focalisé sur la méthodologie au détriment de l’originalité. La lecture de la littérature scientifique et le dictat des impacts factors valorisent fortement les recherches translationnelles (la recherche translationnelle correspond à la mise en application médicale des résultats scientifiques de la recherche fondamentale) ce qui donne une importante plus-value aux recherches génétiques (recherche de variants par technique de bio-puce ADN « microrarray », épigénétiques, etc.). Par exemple, dans un article récent, Plomin et Oliver Davis nous disent [5] : « La seule prédiction sûre, c’est que le rythme accéléré des découvertes génétiques va se poursuivre et influencer de plus en plus la recherche en psychiatrie et en psychologie ». Cependant, la recherche clinique présente d’autres axes qui ne doivent pas pâlir face à ce type de recherche : la recherche des différents types de marqueurs phénotypiques comme les facteurs cliniques et neurocognitifs, la recherche épidémiologique, les recherches de santé publique, le développement de recherches en lien avec d’autres disciplines comme l’ingénierie qui s’ouvre à travers les nouvelles technologies au domaine de la santé et peut conduire au dépôt de brevets. Bref, il faut savoir innover et être un pionnier sans craindre la foudre du conservatisme ambiant, accepter le risque d’être discrédité en cas d’absence de résultats ou encore tout simplement le risque narcissique d’avoir beaucoup travaillé pour ne pas aboutir. Chercher est la meilleure façon de faire avancer les mentalités et d’apporter de nouvelles modalités de compréhension et donc de soin en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Back SE, Book SW, Santos AB, Brady KT. Training physician-scientists a model for integrating research into psychiatric residency. Acad Psychiatry 2011;35(1):40–5. 272 Éditorial / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 61 (2013) 269–272 [2] Thurin JM, Thurin M, Midgley N. Does participation in research lead to changes in attitudes among clinicians? Report on a survey of those involved in a French practice research network. Couns Psychother Res 2012;3: 1–7. [3] Rutter M. Interface between research and clinical practice in child psychiatry: some personal reflections: discussion paper. J R Soc Med 1990;83(7):444–7. [4] Hagberg B, Aicardi J, Dias K, Ramos O. A progressive syndrome of autism, dementia, ataxia, and loss of purposeful hand use in girls: Rett’s syndrome: report of 35 cases. Ann Neurol 1983;14(4):471–9. [5] Plomin R, Oliver Davis SP. The future of genetics in psychology and psychiatry: microarrays, genome-wide association, and non-coding RNA. J Child Psychol Psychiatry 2009;50(1–2):63–71. F. Askenazy Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Hôpitaux pédiatriques de Nice, CHU Lenval, 57, avenue de la Californie, 06200 Nice, France Adresse e-mail : [email protected]