Ile Maurice – Francophonie paradoxale

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Ile Maurice – Francophonie paradoxale
Le Monde Diplomatique - Supplément : île Maurice
« Francophonie paradoxale »
Intro: Alors que le français est souvent perçu comme une langue assiégée, à Maurice sa vitalité et
sa créativité séduisent de plus en plus.
par Tirthankar Chanda, septembre 2014
P1: Avec neuf cent mille locuteurs revendiquant une maîtrise plus ou moins avancée du français
sur une population totale de 1,3 million d’habitants (soit 69 %), et une littérature francophone
particulièrement dynamique, l’île Maurice est devenue au cours du demi-siècle écoulé l’un des
pays majeurs de la « francosphère ». Parmi les principaux épigones des lettres mauriciennes
internationalement reconnus et primés figurent Malcolm de Chazal (1), Jean-Marie Gustave Le
Clézio (Prix Nobel de littérature 2008), Edouard Maunick (2), Ananda Devi (3), Shenaz Patel (4) et
Carl de Souza (5), pour ne citer qu’eux. Cette contribution au rayonnement et au renouvellement
de la langue de Molière relève autant de la fidélité au français que du génie propre d’une
population nourrie des valeurs de la diversité, de l’échange et de la créativité.
P2: Langue de prestige, le français est la langue des milieux urbains, celle qu’on privilégie lorsque
l’on monte dans l’échelle sociale. Dans ces conditions, comment s’étonner que Maurice soit un des
rares pays où le français est en progression? La francophonie mauricienne n’en est pas moins
problématique. Les spécialistes parlent de « francophonie paradoxale », dans la mesure où le
prestige dont jouit le français auprès de la population contraste avec son absence de statut officiel
dans ce pays. Ce n’est pas non plus le moindre des paradoxes que cette langue minoritaire, parlée à
la maison par une élite (3,5 % de la population) composée d’une poignée de Franco-Mauriciens
(descendants de colons) et de la haute et moyenne bourgeoisie métisse (« gens de couleur »), soit
devenue l’un des idiomes les mieux compris et parlés par la majorité des citoyens — même si
beaucoup le maîtrisent mal.
Mélange fécond
P3: Ce positionnement particulier dans le paysage linguistique local trouve son origine dans
l’histoire. Si l’île Maurice doit son nom aux marins hollandais de passage, qui la désignèrent
d’après le nom de leur prince (Maurice de Nassau), elle est le produit d’une double colonisation,
française puis britannique. La première intervient en 1715 et dure jusqu’à 1810, date à laquelle l’île
passe aux mains des Britanniques, qui la marquent à leur tour de leur sceau. La colonisation
britannique durera quelque cent cinquante ans, jusqu’à l’indépendance, en 1968.
P4: Les germes du plurilinguisme désormais caractéristique de cette île-carrefour ont été introduits
dès l’époque coloniale française. Les dialectes des régions côtières de l’Hexagone, dont les colons
étaient issus, cohabitaient alors avec des parlers de l’importante main-d’œuvre africaine amenée
de force pour travailler dans les champs de canne à sucre. Du mélange fécond du français et des
langues africaines (notamment le wolof (6), le malgache et le comorien) est né le créole mauricien,
ou morisyen.
P5: Cette situation linguistique se complique encore quand les Britanniques font venir des
travailleurs sous contrat de leurs colonies d’Asie (Inde, Chine). Les langues importées par ces
engagés « volontaires » (le bhojpouri, le tamoul, le bengali, le mandarin, le hakka, etc.) sont encore
couramment parlées, notamment dans les zones rurales, et servent de marqueurs d’identité.
L’Angleterre imposa par ailleurs l’anglais comme langue administrative et de communication
pédagogique.
Une parenté avec le créole
P6: Cette situation a largement perduré après 1968, avec trois langues communautaires se
partageant aujourd’hui le champ mauricien: on parle du trilinguisme créole-français-anglais. Lingua
franca de l’île, le créole est la principale langue véhiculaire, pratiquée par la quasi-totalité de la
communauté. Le morisyen a souffert toutefois de sa standardisation insuffisante, qui l’a longtemps
relégué au domaine de l’informel et de l’oral. Symboliquement, il reste lié à l’esclavage, qui
continue de le dévaloriser aux yeux de la bourgeoisie montante.
P7: Celle-ci perçoit en revanche l’anglais et le français, deux langues socialement valorisées et
tournées vers l’international, comme des instruments de réussite sociale et professionnelle. Tous
deux sont en compétition pour la domination du champ linguistique mauricien. L’anglais semble
avoir remporté la première manche de la bataille qui s’annonce, comme en témoigne son statut
de langue du Parlement, des tribunaux et de l’administration. Il est aussi la langue de
l’enseignement secondaire et universitaire.
P8: En tant que langue « officieusement officielle », le français est présent dans les domaines de
l’exécutif et de l’éducatif, surtout à l’oral, et cela en raison de sa bonne connaissance par la grande
majorité des Mauriciens. Ces compétences s’expliquent par les liens de parenté lexicale entre le
français et le créole, que tous les locuteurs maîtrisent parfaitement, mais aussi par le dynamisme des
médias francophones : 80 % de la presse généraliste, quatre des cinq quotidiens — Le Mauricien,
L’Express, Le Défi quotidien, Le Matinal (7) — et la plupart des hebdomadaires — Week-end, 5Plus, Le Défi plus, etc. — sont en français, tout comme plus de la moitié des émissions de la radio
et de la télévision d’Etat, la Mauritius Broadcasting Corporation. Mais rien n’illustre mieux
l’ampleur actuelle de la francophonie locale que l’explosion de ses talents littéraires à laquelle
nous assistons, qui faisait dire il y a quelques années à un observateur local : « L’île Maurice
compte un million d’habitants et autant d’écrivains. »
Tirthankar Chanda - Journaliste
(1) Poète et écrivain, Malcolm de Chazal (1902-1981) était également peintre.
(2) Le poète Edouard Maunick fut aussi ambassadeur en Afrique du Sud dans les années 2000. Il est notamment
l’auteur des ouvrages Les Manèges de la mer (Présence africaine, Paris, 1964) et Brûler à vivre/ Brûler à survivre (Le
Carbet-Maison de l’outre-mer, Sarcelles, 2004).
(3) Ananda Devi a reçu le prix des Cinq Continents de la francophonie en 2006 et a récemment publié Les Jours vivants
(Gallimard, Paris, 2013).
(4) Née en 1966, la romancière a reçu en 2005 le premier prix Beaumarchais des écritures dramatiques de l’océan
Indien pour sa pièce de théâtre La Phobie du caméléon.
(5) Lire, par exemple, le roman En chute libre, L’Olivier, Paris, 2012.
(6) Le wolof est parlé au Sénégal, en Gambie et en Mauritanie, pays d’où venaient de nombreux esclaves.
(7) Seul le quotidien The Independent paraît en anglais.
1. Traduisez les mots suivants en anglais.
FRANCAIS
Introduction
percevoir (perçu)
assiégé(e)
séduire
Paragraphe 1
revendiquant (er)
une maîtrise (de)
écoulé(e)
parmi
un épigone
reconnu
(reconnaître)
rayonnnement
renouvellement
relever
autant (de)
Paragraphe 2
un milieu
l’échelle sociale
jouir
dans la mesure où
dont
auprès de
le/la moindre
une poignée
haut(e)
un idiome
un citoyen
maîtriser
Paragraphe 3
le paysage
devoir (qqchose)
un marin
durer
le sceau
marquer du sceau de
intervenir
designer
quelque 10 ans
ANGLAIS
to seduce, charm
amongst
epigone
to recognize
that
a handful
high
a citizen
to master
the landscape
sailor
to last
the seal
to intervene
to
about 10 years
FRANCAIS
Paragraphe 4
un germe
désormais
amener
côtier(ière)
être issu(e) de
un parler
la main-d’oeuvre
les champs
la canne à sucre
le mélange
fécond(e)
Paragraphe 5
un marqueur
d’identité
faire venir
notamment
par ailleurs
Paragraphe 6
une parenté
perdurer
lier
percevoir
l’esclavage
langue véhiculaire
aux yeux de
souffrir
toutefois
Paragraphe 7
remporter
la 1re manche
témoigner
Paragraphe 8
en raison de
la connaissance
les liens
un quotidien
un hebdomadaire
l’ampleur
ANGLAIS
sprout, seedling
to bring
coastal
work/labour force
the fields
sugar cane
mixture, mix, blend
slavery
lingua franca
to suffer
to win
the knowledge
a daily paper
a weekly paper
2. Relisez le texte et répondez par Vrai ou Faux.
1.
2.
3.
4.
5.
6.
L’Ile Maurice est un pays assez secondaire dans le paysage francophone.
Maurice compte de nombreux écrivains.
Le français est surtout parlé dans les campagnes.
A l’Ile Maurice, le français rayonne et progresse.
Le français possède un statut officiel sur l’île.
De nombreux mauriciens parlent de manière approximative la langue de
Molière.
7. Le créole était la langue des esclaves.
8. Sur l’île, le français est aussi valorisé que l’anglais.
9. Le français est peu parlé dans les écoles.
10. La presse de l’île est majoritairement francophone.
3. Répondez aux questions suivantes en français.
Paragraphe 1
1. Quelle est la périphrase utilisée pour désigner la langue française?
2. Le français est-il la langue majoritaire à Maurice?
Paragraphe 2
3. Le français est-il une des langues officielles de l’Ile Maurice?
4. Qui parle le français à l’Ile Maurice?
5. Pourquoi le français occupe-t-il une position paradoxale sur l’île?
(Donnez 3 raisons)
Paragraphe 3
6.
7.
8.
9.
D’où vient le nom de l’Ile Maurice?
Quels sont les différents pays qui ont colonisé Maurice?
A quelles époques ces pays ont-ils colonisé l’île?
Quand l’Ile Maurice devient-elle indépendante?
Paragraphe 4
10. Pourquoi l’île compte-t-elle une population d’origine africaine?
Paragraphe 5
11. Dans quels domaines l’anglais a-t-il été imposé par l’Angleterre?
Paragraphe 6
12. Quelle est la place de la langue créole sur l’île? Explique.
Paragraphe 7
13. Quelle est la langue qui s’est imposée à l’heure actuelle?
Paragraphe 8
14. Pourquoi le français connaît-il un si grand dynamisme à Maurice?
(Donnez 3 raisons)