Le droit québécois - Electronic Journal of Comparative Law

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Récents développements en droit des successions: Le droit québécois
Brigitte Lefebvre 1
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L’orientation des diverses réformes en droit québécois a inscrit le Québec dans
l’environnement juridique canadien, renforçant ainsi la qualification de système de droit
mixte appliquée au Québec. 2
D’un point de vue comparatiste, les grandes réformes de ces dernières décennies en
droit de la famille, droit des successions et autres matières civiles témoignent de la capacité
des juristes, universitaires, juges et réformateurs, de faire évoluer le droit en vue d’une
meilleure adéquation avec les aspirations de la société contemporaine tant québécoise que
canadienne. Citons, par exemple, les réflexions menées tant dans les provinces de common
law qu’au Québec sur l’égalité de la femme et du mari 3 puis, de l’égalité souhaitable quant au
traitement juridique de l’union libre et du mariage ou bien de l’égalité des couples
hétérosexuels et homosexuels ou encore, de l’égalité du conjoint survivant par rapport au
conjoint séparé judiciairement ou divorcé. 4
Rappelons que le Québec est la seule province francophone dans un espace
majoritairement anglophone; seul territoire à avoir connu une succession de régimes
politiques français et anglais, ayant entraîné l’application des coutumes de l’Ancien droit, puis
1
Docteur en droit et notaire, Professeure titulaire, Faculté de droit, Université de Montréal, Titulaire de la Chaire
du notariat. Thuy Tran, doctorante, a grandement collaboré à la recherche et à la rédaction de ce texte.
2
Voir notamment Jean-Louis BAUDOUIN, «Quebec (Report 2)», dans Vernon V. PALMER, Mixed
Jurisdictions Worldwide, The Third Legal Family, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 355.
3
Ce problème a été traité dans les provinces de common law par l’adoption des Married Women’s Property Acts
à la fin du XIXème siècle tandis qu’au Québec, l’émancipation de la femme s’est faite plus tard en plusieurs
étapes. En 1931 par la Loi modifiant le Code civil et le Code de procédure civile, relativement aux droits civils
de la femme (S.Q. 1930-1931, c. 101) donne à la femme séparée de corps la pleine capacité juridique tandis que
la femme mariée devra attendre la Loi sur la capacité juridique de la femme mariée (S.Q. 1964, c. 66 en 1964).
4
Les provinces de common law dont les législations se rapportant à la répartition des biens «familiaux» ou
«matrimoniaux» qui ne permettent pas encore au conjoint survivant de déposer une requête en répartition du fait
du prédécès du conjoint sont en butte à certaines critiques quant à l’inégalité de traitement entre le conjoint
survivant et le conjoint séparé judiciairement ou divorcé. Ainsi, en Alberta, l’Institut de réforme juridique avait
pointé cette injustice dans son rapport et recommandé l’admission d’un nouveau cas de répartition ouvert au
décès d’un des conjoints (voir Alberta Law Reform Institute, Division of Matrimonial Property on Death, Final
report n°83, Edmonton, 2000, p. xiii). Cette modification a été adoptée en 2000 dans la nouvelle loi intitulée
Matrimonial Property Act (R.S.A. 2000, c. M-8).
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plus tard plusieurs des principes du Code Napoléon de 1804, 5 des certains principes de
common law et d’equity originairement importés d’Angleterre.
Ce bref retour historique suffit à souligner la place toute particulière du droit
québécois dans le droit dit canadien, à la croisée des traditions juridiques de common law et
de droit civil. Le droit des successions est un exemple fascinant de la vitalité du Québec dans
la recherche d’une solution propre répondant aux attentes des québécois d’aujourd’hui, tout en
les conciliant avec ceux des autres canadiens anglophones, soumis à la common law. 6 En
effet, les mêmes évolutions sociétales touchant à la structure familiale (famille recomposée
par exemple), aux rythmes de vie familiale modelés sur ceux du travail et la paupérisation de
certaines cellules familiales (famille monoparentale notamment) sont des réalités qui existent
dans toutes les provinces canadiennes mais les traitements judiciaires et les réponses
législatives ont pu quelquefois différer en raison des philosophies différentes. Arrêtons-nous
par exemple sur la problématique des rapports pécuniaires des conjoints: le droit québécois
fondé sur les principes de droit civil français édicte des règles à travers les régimes
matrimoniaux tandis que les provinces de common law ne connaissant pas ce concept ne
s’intéressent qu’à la répartition des biens suite à la dissolution du mariage. Pourtant, en
pratique, des mécanismes équivalents sont mis en place dans chaque système afin de
solutionner un certain nombre de difficultés: la société d’acquêts adoptée en 1970 permettait
de préserver l’indépendance des époux dans la gestion des biens durant le mariage, point
saillant de la philosophie anglo-saxonne qui préfère ignorer les interactions conjugales
pendant le cours du mariage alimentant la thèse de ceux qui assimilaient la séparation à une
absence de régime, 7 tout en associant les avantages d’un partage des biens en fin de mariage.
Cette tendance a été accrue par l’institution d’un patrimoine familial en 1989, mécanisme qui
se superpose au régime matrimonial, et qui est très proche des régimes de partage différé mis
en place dans les diverses provinces de common law.
Hormis la protection du conjoint survivant, une des préoccupations majeures du
législateur québécois, ces dernières décennies, en droit des successions, a été d’harmoniser la
protection de certains membres de la famille immédiate du de cujus au décès de ce dernier
avec l’exercice la liberté absolue de tester, principe hérité de l’Acte de Québec 8 en 1774, et si
cher a priori aux québécois. 9 La liberté de tester et la possibilité pour les immigrants anglais
5
Jacques BEAULNE, «Quelques points de comparaison entre le droit des successions selon le droit civil
québécois et la common law», dans Louise BÉLANGER-HARDY et Aline GRENON (dir.), Éléments de
common law et aperçu comparatif du droit civil québécois, Toronto, Carswell, 1997, p. 563.
6
Citons entre autre la problématique de l’articulation des droits successoraux, des droits matrimoniaux et de
ceux ayant trait à l’obligation alimentaire post-mortem du conjoint survivant. Le Québec et la Saskatchewan
admettent le cumul des trois catégories de droit étant les plus généreux; ajoutons qu’au Québec, le conjoint
survivant peut en plus recueillir la moitié des acquêts de son conjoint précédé tandis que le Saskatchewan octroie
une part préférentielle au conjoint survivant dans la succession ab intestat et une fraction du reliquat de la
succession s’il y a lieu. La Nouvelle-Écosse approuve le cumul des droits successoraux et du droit au partage des
biens matrimoniaux, l’Alberta celui du droit au partage des biens matrimoniaux et le droit de demander une
contribution alimentaire.
7
Denise GUAY-ARCHAMBAULT, «Regards sur le nouveau droit de la famille au Canada anglais et au
Québec», (1981) 22 C. de D. 723, 766.
8
An Act for making more effectual provision for the government of the province of Quebec in North America, 14
Geo. III, c. 83.
9
Voir les mémoires présentés par la Chambre des notaires et le Barreau du Québec à la sous-commission des
institutions sur le Livre «Des Successions» du projet de loi 20 dans le ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des
débats, Commissions parlementaires, sous-commission des institutions, 6 juin 1985, pp. 279-282 et 301-303. Il
est intéressant de mettre en relief qu’il semble exister un écart entre la version avancée par la plupart des auteurs
québécois quant à l’introduction de la liberté de tester d’origine anglaise en droit québécois et celle de certaines
études d’histoire du droit qui tendent à démontrer, par ailleurs, que du XIIe siècle au Wills Act de 1837, le
système anglais allouait une part raisonnable des biens personnels à l’épouse et aux enfants. Ce ne serait qu’à
2
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de tester selon les formes de leur pays 10 ont été la monnaie d’échange du rétablissement des
règles de l’Ancien Droit français et de l’application de la Coutume de Paris comme cadre
juridique du droit civil de la Nouvelle-France. Par la suite, l’Assemblée législative du Bas
Canada a, par une loi du 8 avril 1801, 11 consacré la liberté illimitée de tester en abrogeant
l’institution de la légitime 12 et en consacrant la disparition de la réserve héréditaire. 13 Depuis,
la liberté de tester est considérée comme un principe fondateur du droit successoral québécois.
Il est utile d’indiquer que les modifications majeures ayant réformé le droit
patrimonial de la famille et le droit des successions ont été effectuées dans les années 1989 et
1994. L’introduction des dispositions de droit nouveau relatives à l’obligation alimentaire
post-mortem et au patrimoine familial en 1989 sont autant de restrictions indirectes du
principe de liberté de tester, illimitée jusqu’alors. Toutefois, en droit québécois la liberté de
tester demeure un principe fondamental. La réforme de 1994, promeut sous certains angles ce
principe en introduisant un mécanisme judiciaire qui permet que les dernières volontés d’un
testateur soient mieux respectées et prévalent sur l’application supplétive des règles de la
succession légale. En effet, l’adoption de l’article 714 permet au juge de valider un testament
olographe ou devant témoins défectueux sur le plan de la forme mais renfermant de manière
certaine et non équivoque les dernières volontés du testateur. Depuis 1994 l’activité
législative a plutôt cédé le pas à l’activité judiciaire et doctrinale, ces dernières ayant été très
actives afin de clarifier, révéler, dénoncer l’ambiguïté, l’incomplétude, l’incohérence de
certaines des dispositions adoptées.
Dans le même temps, il faut noter que l’esprit réformateur a profité à certaines
personnes. Si nous nous arrêtons sur le cas du conjoint survivant, 14 la première avancée
significative est faite avec l’adoption controversée 15 de la Loi Pérodeau 16 de 1915 ayant
promu ledit conjoint survivant au rang d’héritier légitime, cependant que dans la même
foulée, elle lui interdisait de cumuler les avantages tirés du régime matrimonial et ceux
partir de 1837 (soit presque un demi-siècle après l’Acte de Québec) que l’autonomie testamentaire absolue a été
décrétée et ce, pendant presqu’un siècle: voir Louise AUCOIN, Testaments et successions, Coll. Common Law
en poche, Vol. 17, Bruxelles, Bruylant, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2001, p. 67. Or, la loi locale
québécoise avait consacré dès 1801 la liberté illimitée de tester.
10
On a ainsi introduit en droit québécois le testament devant témoins plus communément pratiqué en Angleterre:
voir Germain BRIÈRE, Traité de droit civil - Les successions, 2e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 1994, n°13,
pp. 19-20.
11
Acte pour expliquer et amender la Loi concernant les Testaments et Ordonnances de dernière volonté, 41 Geo.
III, c. 4.
12
Cette institution empruntée au droit romain visait à limiter le droit de disposer de ses biens par testament en
faveur des descendants uniquement: chacun est assuré de recevoir la moitié de ce qu’il aurait reçu dans la
succession si le défunt n’avait fait aucune libéralité entre vifs ou à cause de mort. Voir notamment G. BRIÈRE,
op. cit., note 10, n°12, p. 18 et Albert MAYRAND, Les successions ab intestat, Montréal, Presses de
l’Université de Montréal, 1971, n°3.
13
G. BRIÈRE, id., n°13, p. 20.
14
Pour l’application des règles de la dévolution légale seules les personnes unies par les liens du mariage ou de
l’union civile sont des conjoints survivants. Le conjoint de fait n’est pas un héritier légal. Il peut toutefois être un
héritier testamentaire comme toutes autres personnes.
15
Le Professeur Charron écrit qu’à l’exception du Doyen Walton de la Faculté de McGill, l’ensemble des
opinions publiées dans la Revue de Notariat semblaient peu favorables à la loi Pérodeau: L. BÉLANGER, «Du
conjoint survivant» (1905-1906) 8 R. du N. 193; Auteur anonyme, Rapport du Comité de législation, (19121913) 15 R. du N. 14; Joseph SIROIS, «Questions et réponses», (1915-1916) 18 R. du N. 78 ainsi que Pierre
Basile MIGNAULT, «Droits du conjoint survivant» (1913-1914) 16 R. du N. 129: voir Camille CHARRON,
«Le conjoint survivant et la succession légitime en droit québécois», (1978) 8 R.D.U.S. 197, 205 sous la note 9.
16
Du nom du notaire Narcisse Pérodeau, qui présenta en mai 1905 le premier projet de loi qui deviendra la Loi
amendant le Code civil relativement aux successions, 5 Geo. V, S.Q. 1915, c. 74.
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inhérents à sa qualité toute neuve de successible du conjoint prédécédé. 17 Cette prohibition ne
sera abolie qu’en 1989 par la Loi modifiant le Code civil du Québec et d’autres dispositions
législatives afin de favoriser l’égalité économique des époux. 18 Entre-temps, le Projet de
Code civil 19 déposé à l’Assemblée nationale en 1978 par l’Office de révision du Code civil
proposait d’accroître la part dans la succession légale à la moitié en pleine propriété ou à la
totalité de l’usufruit, à son choix et quelque soit le nombre de descendants, 20 et de la lui
réserver. 21 Bien que ces mesures n’aient pas été retenues par le législateur ni celle visant à
instituer le conjoint survivant seul héritier successible en cas de prédécès du conjoint sans
postérité, ce dernier a tenu compte des suggestions de l’Office de Révision du Code Civil
quant à l’abolition de la prohibition sus relatée 22 et la création d’une obligation alimentaire
post-mortem en faveur de ceux qui étaient, du vivant du de cujus, ses créanciers
alimentaires. 23
Dans le cadre de la présente étude dédiée aux réformes récentes en droit des
successions, nous nous consacrerons particulièrement à l’étude de la survie de l’obligation
alimentaire et à celle du pouvoir discrétionnaire du juge en matière de validation de testament
défectueux sous le visa de l’article 714 C.c.Q. qui sont des faits saillants. 24
17
Voir l’étude précitée à la note 15 effectuée par le Professeur Charron sur les apports et les limites de la Loi
Pérodeau.
18
Loi modifiant le Code civil du Québec et d’autres dispositions législatives afin de favoriser l’égalité
économique des époux, L.Q. 1989, c. 55.
19
Projet de Code civil, Livre III, art. 1 à 400.
20
Depuis la Loi Pérodeau de 1915, la part ab intestat du conjoint survivant s’élevait à un tiers en pleine
propriété en présence de descendant. Cette proportion est restée inchangée en vertu de l’art. 666 al. 2 C.c.Q.
21
OFFICE DE RÉVISION DU CODE CIVIL, Commentaires sur le code civil du Québec, t. 1, Québec, Éd.
Officiel, 1977, p. 241 à 243.
22
Art. 654 C.c.Q.
23
Comparativement, en droit canadien, la protection en faveur du conjoint survivant varie d’une province à
l’autre: les législations les plus généreuses à son égard lui accordent dans la succession ab intestat une part
préférentielle tout en lui offrant la possibilité de cumuler ces droits successoraux avec ceux au titre de la
répartition des biens familiaux ou matrimoniaux (Nouvelle-Écosse, Matrimonial Property Act, R.S.N.S. 1989, c.
275; Saskatchewan, Loi sur les biens familiaux, C.P.L.M. c. F25) et/ou avec ceux au titre des obligations
alimentaires (Saskatchewan, Loi sur les biens familiaux, C.P.L.M. c. F25); Alberta, Matrimonial Property Act,
R.S.A. 2000, c. M-8).
24
La réforme du code civil a également profondément restructurée la liquidation et le partage des successions
mais ces modifications sont plutôt techniques et nous avons choisi de ne pas en traiter. Notons que lorsque les
règles de la liquidation sont suivies l’héritier n’est plus tenu de façon ultra vires des dettes du défunt et que le
code offre désormais la possibilité d’attributions préférentielles notamment eu égard à la résidence familiale au
profit du conjoint survivant et l’entreprise au profit de l’héritier qui y participe activement. Le nouveau code
prévoit également le maintien de l’indivision dans certaines circonstances.
4
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I.
La survie de l’obligation alimentaire
L’adoption du principe de l’obligation alimentaire post-mortem résulte d’une longue genèse. 25
D’après la conception prédominante contemporaine, la protection des membres de la famille
proche du de cujus participait d’une problématique plus large concernant les droits
économiques des conjoints. Cette approche est le fruit de l’influence directe des réflexions et
réformes adoptées par les provinces de common law, 26 et notamment l’Ontario, 27 en vue de
pallier, notamment, les effets drastiques des ruptures des liens matrimoniaux.28
Les débats témoignent de la tendance médiatrice ayant gouverné cette réforme visant à
mettre en place la protection la plus adéquate en faveur de certaines personnes réputées
dépendantes économiquement du de cujus et envers lesquelles il a le devoir moral et social de
veiller à ne pas les laisser dans le dénuement suite à son décès. 29 Plusieurs institutions ont été
analysées à cette fin: réserve héréditaire, en propriété ou en usufruit ou encore en fiducie ou
rente, l’attribution de biens familiaux, 30 au profit de personnes spécifiques, contribution
alimentaire post-mortem.
25
G. BRIÈRE, op. cit., note 10, pp. 651-652. Ce mécanisme, qui ne figurait pas dans le premier projet de loi dit
107 (Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des successions, Projet de loi n°107, 3e session, 32e
législature (Québec)), déposé par le gouvernement le 17 décembre 1982, a été introduit dans une deuxième
version du projet de réforme (projet de loi n°20) (Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des
personnes, des successions et des biens, Projet de loi n°20, 5e session, 32e législature (Québec)) le 20 décembre
1984 dans un chapitre intitulé «De la survie de l’obligation alimentaire» (art. 703-716) puis substitué dans une
version remaniée du projet de loi n°20 par un chapitre plus court «De la créance alimentaire contre la
succession» (Art. 715, 715.1 et 716 du projet de loi n°20 modifié. Voir Journal des débats, Commissions
parlementaires, sous-commission des institutions, 29 août 1985, pp. 1017-1018) cédant la place d’honneur au
principe de la réserve héréditaire privilégié, à l’époque, par le gouvernement (Selon l’article 703 alinéa 2, la
réserve est établie au profit du conjoint survivant, des enfants mineurs du défunt et de ceux qui, sans être
mineurs, étaient à sa charge au jour du décès. L’article 704 alinéa 2 précise que la réserve au profit du conjoint et
d’un enfant est égale à la moitié de la part à laquelle il aurait pu prétendre si cette masse avait été dévolue
suivant les règles de la dévolution légale. Voir ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats, Commissions
parlementaires, sous-commission des institutions, 29 août 1985, pp. 1017-1018) Cependant, les réactions
défavorables (Voir mémoires cités dans la note 3 et les interventions orales devant ladite sous-commission de la
Chambre des notaires, dans le Journal des débats, Commissions parlementaires, sous-commission des
institutions, 1er octobre 1985, p. 1046 et du Barreau du Québec, p. 1088.) de plusieurs organismes consultés
officiellement ont entraîné le retour au premier plan de l’idée d’obligation alimentaire post-mortem, couplée avec
celle de patrimoine familial dans le projet de loi n°146 présenté le 15 mai 1989 (Loi modifiant le Code civil du
Québec et d’autres dispositions législatives afin de favoriser l’égalité économique des époux, Projet de loi
n°146, 2e session, 33e législature (Québec).
26
Luce M. DIONNE, «La survie de l’obligation alimentaire», dans Développements récents en droit familial
(1996), Service de la formation permanente, Barreau du Québec, Cowansville, Éditions Yvon Blais, p.25, à la
page 48. Voir aussi Denise GUAY-ARCHAMBAULT, loc. cit., note 7, 725.
27
Éthel GROFFIER, «La réforme du régime des biens des époux en Ontario», (1978-1979) 81 R. du N. 485.
28
Éthel GROFFIER, «Un droit des successions plus humain au Québec et dans les provinces anglaises», (1980),
11 R.D.U.S. 242, 254: «Les restrictions à la liberté de tester se généralisent et c’est surtout grâce au plus grand
pouvoir discrétionnaire laissé aux tribunaux par les “Family Relief Act” qu’elles ont gagné du terrain. Ce
système qui oblige la famille du testateur irresponsable à s’adresser aux tribunaux est-il inférieur à la réserve?
Les rédacteurs du Projet du Code civil du Québec n’ont pas voulu trancher puisqu’ils ont retenu les deux
systèmes.»
29
Gil REMILLARD, Commentaires du ministre de la Justice, t. 1, Québec, Les Publications du Québec, 1994,
p. 407.
30
Jacques BEAULNE, «Liquidateur successoral, déclaration de transmission, conjoints de fait et succession ab
intestat, survie de l’obligation alimentaire», [1996] C.P. du N. 95, 99. Il est intéressant d’attirer l’attention du
lecteur sur le fait que seules les provinces suivantes permettent de présenter une demande en partage des biens
familiaux ou matrimoniaux suite au prédécès d’un des époux: Ontario, Saskatchewan, Manitoba, Nouveau5
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Les échanges parlementaires attestent que les avantages et inconvénients réciproques 31
de la réserve successorale, mécanisme propre au droit civil, et de la créance alimentaire post
mortem, dispositif retenu par les provinces canadiennes de common law pour limiter les effets
néfastes de la liberté de tester, 32 ont été vus, exposés et appréciés d’un point de vue de leur
efficacité, de leur effectivité, de leur perception par les personnes qui y seront soumises, des
praticiens et juges qui devront la même en œuvre. De façon générale, les désavantages de l’un
constituent les qualités de l’autre et réciproquement. De manière non exhaustive, les auteurs
de doctrine et les intervenants, ont souvent mis en relief d’une part, les caractères
automatique, prévisible, permanent et rigide de la réserve et, d’autre part, les aspects
conditionnel, incertain, ponctuel et souple de la créance alimentaire.
Aux termes de l’analyse de droit comparé tant du côté du droit civil continental dont le
système français est un des représentants privilégiés que du côté de la common law et au
premier chef, la province voisine de l’Ontario, il ressort que le législateur québécois a choisi
d’adopter une ligne originale. Tout en se rapprochant de la philosophie retenue par les
législations canadiennes anglophones fondées sur l’idée centrale de soutien alimentaire aux
personnes à charge, 33 la survie de l’obligation alimentaire dans son mécanisme est imprégnée
de techniques civilistes (par exemple actif fictif, réduction des libéralités etc.). 34
Le régime 35 de l’obligation alimentaire post-mortem est défini aux anciens articles
607.1 à 607.11 C.c.B.C., reconduits avec de légères modifications aux articles 684 à 695
C.c.Q. Par ailleurs, la mise en œuvre prétorienne a permis de préciser certaines imprécisions
du texte relevées par plusieurs auteurs dès 1989. 36
En premier lieu, il faut insister sur le caractère d’ordre public de ces dispositions; par
conséquent, il n’est pas loisible aux parties d’y renoncer par avance. Le tribunal, dans la
décision Droit de la famille - 2060 37 a sanctionné comme étant contraire à l’ordre public et a
déclaré réputée non écrite la clause testamentaire assujettissant les legs faits sous la condition
Brunswick, Terre-Neuve, Nouvelle-Écosse et l’Alberta récemment suite à la recommandation en ce sens de
l’Institut de Réforme Juridique de l’Alberta, loc. cit., note 4, p. 22. Les autres ne l’ont pas permise pour le
moment en raison soit du respect de la liberté de tester soit de l’existence de provisions suffisantes pour protéger
le conjoint survivant (douaire, droits successoraux ab intestat et testamentaires); voir Donald POIRIER, Régimes
matrimoniaux, Coll. Common Law en poche, Vol. 19, Bruxelles, Bruylant, Cowansville, Éditions Yvon Blais,
2001, p. 76.
31
Pour un exposé des divers arguments relatifs au maintien de la liberté de tester, à l’institution d’une réserve
successorale ou encore l’adoption d’une créance alimentaire par la doctrine québécoise, voir Germain BRIÈRE,
«Liberté de tester, réserve héréditaire ou créance alimentaire», (1986) 88 R. du N. 469.
32
L. M. DIONNE, loc. cit., note 26, 48.
33
Les lois pertinentes sont les suivantes: Alberta, Dependants Relief Act, R.S.A. 2000, c. D-10.5; ColombieBritannique, Family Relations Act, R.S.B.C. 1996, c. 128; Ile-du-Prince Édouard, Family Law Act, R.S.P.E.I.
1995, c. F-2.1; Manitoba, Loi sur l’aide aux personnes à charge, L.M. 1989-90, c. B2; Nouveau-Brunswick,
Provision for Dependants Act, R.S.N.B c. P.-22.3; Nouvelle-Écosse, Testator’s Family Maintenance Act,
R.S.N.S. 1989, c. 465; Saskatchewan, Loi sur l’aide aux personnes à charge, L.S. 1996, c. D-25,01; TerreNeuve, Family Relief Act, R.S.N.L. 1990, c. F-3; Territoires du Nord Ouest, Dependant Relief Act, R.S.N.W.T.
1988, c. D-4; Territoires du Yukon, Dependants Relief Act, R.S.Y.T. 2002, c. 56.
34
Donovan WATERS, «Invading the succession on behalf of the family – Europe, and common law Canada and
Québec», dans Ernest Caparros (dir.), Mélanges Germain Brière, Collection Bleue, Montréal, Wilson Lafleur,
1993, p. 100.
35
Pour un résumé, voir Pierre CIOTOLA, Le patrimoine familial: perspectives doctrinales et jurisprudentielles,
dans Chambre des notaires du Québec, Répertoire de droit/nouvelle série, «Famille», Doctrine – Document 2,
Montréal, 2001, pp. 23 à 25.
36
Voir, notamment, G. BRIÈRE, op. cit., note 10, et la contribution originale de Jacques BEAULNE,
«Commentaires sur les articles 607.4 et 607.5 C.c.B.-C. ou la mutation d’une réserve héréditaire en contribution
alimentaire post-mortem», (1990) 92 R. du N. 573.
37
Droit de la famille – 2060, J.E. 94-1616 (C.S.).
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de la renonciation contre la succession de la survie de l’obligation alimentaire, par les
légataires.
En second lieu, les créanciers alimentaires au sens du Code civil ou en vertu de la Loi
sur le divorce, 38 législation fédérale qui s’applique par priorité en vertu de la compétence de
la législature fédérale en matière de mariage et de divorce, 39 sont admissibles à cette
protection c’est-à-dire, sauf cas d’indignité, les conjoints mariés ou unis civilement, 40
descendants et ascendants au 1er degré et, l’ex-conjoint (suite à la dissolution du mariage ou
de l’union civile ou à une annulation de mariage ou d’union civile). Notons que la survie de
l’obligation alimentaire au profit de l’ex-conjoint n’existe que si ce dernier percevait
effectivement des aliments au moment du décès ou du moins a précisé la Cour d’appel, dans
Droit de la famille – 1921, 41 qu’il est mis en œuvre les moyens nécessaires pour les percevoir.
Le Professeur Beaulne attire notre attention sur le fait d’une part, que l’article 585 C.c.Q. a été
modifié par la Loi modifiant le Code civil en matière d’obligation alimentaire 42 afin de
restreindre l’obligation alimentaire aux parents au 1er degré en ligne directe, excluant les
grands-parents et les petits-enfants de ce mécanisme de protection. Notons, d’autre part, que
le conjoint de fait n’en bénéficie guère non plus. 43
En troisième lieu, la qualité de créancier alimentaire étant un préalable nécessaire mais
non suffisant, le demandeur devra faire la preuve soit de son état de besoin soit de son état de
dépendance vis-à-vis du défunt, au moment du décès. Ainsi, les distinctions entre la réserve
successorale et la créance alimentaire sont mis en relief; d’une part, en matière de contribution
alimentaire, le créancier possède l’initiative de la demande qu’il doit formuler dans les 6 mois
du décès, car il ne reçoit pas automatiquement une quote-part de l’actif successoral au décès
et, d’autre part, il doit démontrer un besoin alimentaire existant au moment du décès. 44
Autrement dit, il ne peut user du mécanisme de l’obligation alimentaire post-mortem pour
tenter de recouvrer tout ou partie de la part d’héritage dont il aurait été écarté, ainsi qu’il a été
réaffirmé dans la décision R.M. c. W.C. 45 Par ailleurs, la Cour d’appel a précisé dans la
décision Droit de la famille - 2310 46 que le créancier alimentaire n’a pas droit
38
Art. 2(1)(2), L.R.C. 1985, c. 3 (2e suppl.). En vertu de cette législation, l’enfant considéré «à charge»
notamment vis-à-vis d’une personne qui lui a tenu de «parent» – application de la notion in loco parentis
développée par les juridictions de common law et introduite partiellement en droit québécois – a qualité pour agir
en contribution alimentaire dans le cadre des articles 684 et suivants. Cette situation est toutefois très rare.
39
Art. 91(26) de la Loi constitutionnelle de 1867, R.-U., 30 & 31 Vict., c. 3.
40
Depuis la Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, L.Q. 2002, c. 6. L’union
civile est un décalque du mariage et a permis, à son origine, d’accorder un statut légal aux conjoints de même
sexe. Désormais, les conjoints de même sexe peuvent également contracter mariage.
41
Droit de la famille – 1921, [1994] R.J.Q. 303 (C.A.). «Percevoir effectivement une pension alimentaire» peut
signifier la réception des versements directement du débiteur ou encore la mise en oeuvre forcée de la créance
alimentaire à couvert de toute renonciation, comme le recours au percepteur des pensions alimentaires.
42
L.Q. 1996, c. 28, art. 1.
43
Jacques BEAULNE, «Bilan de la première décennie du Code civil du Québec en droit des successions»,
(2003) 105 R. du N. 271, 280 ainsi que la note 15 à la même page.
44
Droit de la famille – 3584, [2000] R.D.F. 281 (C.S.): refus d’octroi d’une contribution alimentaire à une
requérante majeure qui n'a jamais demandé de contribution alimentaire à son père avant son décès, qui n'a pas
apporté de preuve satisfaisante de ses besoins et qui n'a pas, non plus, fait les efforts nécessaires pour atteindre
son autonomie financière.
45
R.M. c. W.C., [2004] R.D.F. 289 (C.S.): refus d’octroi d’une contribution alimentaire à un requérant majeur,
autonome depuis 30 ans et par conséquent qui n’était pas à la charge du défunt au moment du décès. En effet, le
requérant adulte bénéficiaire de l'obligation alimentaire peut obtenir de l'aide pour faire face aux nécessités de la
vie, mais non pour le maintien du niveau de vie.
46
Droit de la famille –2310, [1997] R.J.Q. 859 (C.A.). La réclamation d'une contribution financière de la
succession est d'ordre alimentaire. Il ne s'agit pas de la réclamation d'une portion de la succession ou d'une
réserve, mais d'un système d'aide fondé sur les besoins et les moyens.
7
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automatiquement à la contribution maximale prévue à l’article 688 C.c.Q., laquelle est fixée
en fonction de facteurs multiples prévus par l’article 686 C.c.Q. 47 En l’espèce, la mère d’un
enfant reconnu par le défunt dans un codicille à son testament, lequel codicille prévoyait le
legs en fiducie de 250 000 dollars au profit de cet enfant a déposé une demande pour fixation
de l’obligation alimentaire contre la succession. Le juge Deslongchamps, de la Cour
supérieure, a retenu la thèse de la portia legitima et estimant, qu’il avait le pouvoir
discrétionnaire de fixer le montant attribuable, a accordé la somme de $1 146 765 sur la base
de l’obligation morale du défunt envers son enfant. 48 Or la Cour d’appel a renversé ce
jugement au motif que l’article 684 C.c.Q. prévoit une réclamation contre la succession et non
une réserve successorale et elle insiste sur le fait que la contribution alimentaire maximale
prévue par cet article demeure conditionnelle à la présentation par le créancier alimentaire
d’une preuve que ses besoins sont au moins égaux à cette contribution.
En quatrième lieu, aux termes de l’article 685 alinéa 2 C.c.Q., la contribution en
faveur l’ex-conjoint divorcé ou dont l’union civile est dissoute, l’ascendant au premier degré,
le conjoint marié ou uni civilement dont le mariage ou l’union civile est annulée ou encore
l’enfant à charge selon la Loi sur le Divorce pouvant agir contre la personne qui lui tient de
parent, est fixée par la loi, tandis que celle en faveur du conjoint marié ou uni civilement et du
descendant est déterminée de façon amiable entre les parties. Ce n’est qu’à défaut d’entente
entre le liquidateur et le créancier alimentaire qu’elle est du ressort du tribunal.
La contribution de l’ex-conjoint fixée automatiquement à 12 mois d’aliments sans
pouvoir excéder 10% de la valeur de la succession. 49 Pour les autres, l’article 686 C.c.Q.
énumère divers critères devant guider le tribunal dans sa tâche, sachant que la contribution est
de toute manière plafonnée à (i) la différence entre la moitié de la part que le conjoint ou les
descendants auraient eue en cas de succession ab intestat et ce qu’ils reçoivent de la
succession 50 et (ii) 6 mois d’aliments sans pouvoir excéder 10% de la valeur de la succession
en ce qui concerne les ascendants, 51 et l’enfant à charge qui n’est pas un descendant en vertu
de la Loi sur le divorce. Parmi les divers éléments à prendre en compte figurent notamment
les besoins et les facultés du créancier, les circonstances dans lesquels il se trouve, le temps
nécessaire pour qu’il acquière une autonomie suffisante, le montant de la contribution
alimentaire effectivement perçue au moment du décès s’il y a lieu, l’actif de la succession, les
avantages qui lui sont éventuellement procurés par la succession, les besoins et facultés des
47
L’article 686 se lit comme suit: «Pour fixer la contribution, il est tenu compte des besoins et facultés du
créancier, des circonstances dans lesquelles il se trouve et du temps qui lui est nécessaire pour acquérir une
autonomie suffisante ou, si le créancier percevait effectivement des aliments du défunt à l’époque du décès, du
montant des versements qui avait été fixés par le tribunal pour le paiement de la pension alimentaire ou de la
somme forfaitaire accordée à titre d’aliments.
Il est tenu compte également de l’actif de la succession, des avantages que celle-ci procure au créancier, des
besoins et facultés des héritiers et des légataires particuliers, ainsi que, le cas échéant, du droit aux aliments que
d’autres personnes peuvent faire valoir.»
48
Ici, finalement deux philosophies s’opposent celle du devoir moral et celles de l’entretien-besoins, le Québec
ayant penché, semble-t-il, en faveur de la seconde option. Les pays de common law connaissent les mêmes
tensions entre ces deux pôles et semblent préférer la première option. Par exemple, dans une situation connexe
relative à la requête en partage des biens matrimoniaux à la suite du prédécès d’un des époux, en ColombieBritannique, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a jugé dans l’affaire Tataryn v. Tataryn Estate, [1994]
2 S.C.R. 807 que «ce qui est adéquat, juste et équitable selon les circonstances pour l’entretien et le soutien» du
conjoint survivant devrait être déterminé selon l’approche basée sur l’obligation morale et non les besoins du
requérant; voir Alberta Law Reform Institute, Division of Matrimonial Property on Death, Final report n°83,
Edmonton, 2000, à la page p. 15 et seq.
49
Art. 688 al. 2 C.c.Q.
50
Art. 688 al. 1 C.c.Q.
51
Art. 688 al. 2 C.c.Q.
8
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autres héritiers et légataires particuliers, les autres créanciers alimentaires potentiels, la valeur
des libéralités reçue par le créancier.
Plusieurs précisions ont été apportées par la jurisprudence à divers niveaux. Par
exemple, une distinction légitime a été faite entre les besoins d’un enfant selon qu’il est à
charge ou non: 52 l’obligation du créancier alimentaire envers un enfant qui n’est plus à charge
est relié à la subsistance tandis que celle existant envers un enfant à charge est une obligation
élargie d’entretien. Par ailleurs, l’actif successoral dont il est question est une valeur fictive
obtenue suite à la comptabilisation des biens de la succession à la date du décès, moins les
dettes de la succession (incluant les legs particuliers, les dettes suite au partage du patrimoine
familial ou de la société d’acquêts ou encore de la communauté de biens), et en ce qui
concerne les réclamations émanant du conjoint ou des descendants, en y ajoutant la valeur des
libéralités effectuées par le défunt par acte entre vifs dans les 3 ans précédant le décès ainsi
que celles ayant pour terme le décès telles certaines donations entre vifs contenues dans un
contrat de mariage. 53
En dernier lieu, pour payer la contribution qui est une somme forfaitaire, 54 le Tribunal
peut ordonner, en cas d’insuffisance de l’actif successoral et concernant uniquement les
réclamations émanant du conjoint et des descendants, la réduction des libéralités faites par le
défunt par acte entre vifs dans les 3 ans précédant le décès ainsi que celles ayant pour terme le
décès, à l’exception de celles auxquelles le conjoint ou le descendant a consenti. Il faut noter
que le Tribunal a un pouvoir discrétionnaire dans la fixation des modalités de réduction s’il en
est besoin. 55 Par ailleurs, seront imputées sur la créance les libéralités que le conjoint et les
descendants auront reçues du défunt. 56 Cependant, il faut préciser que malgré les mécanismes
légaux pour protéger les différents créanciers alimentaires entre eux, lorsqu’il y a concours
entre les créanciers toute catégorie confondue au moment de la liquidation de la succession,
les créanciers alimentaires sont payés après les créanciers de la succession. 57
En conclusion, après plus d’une décennie de mise en œuvre, il est permis d’affirmer
que l’application de ces règles vise essentiellement à pallier les effets néfastes de la liberté
illimitée de tester lorsqu’un créancier alimentaire dans le besoin est en tout ou en partie
déshériter et non pas de permettre de bénéficier indirectement d’une part d’héritage pour
améliorer son niveau de vie.
II. L’accroissement du pouvoir discrétionnaire du juge en matière de validation d’un
testament défectueux quant à la forme
Le testament étant un acte d’aliénation important le droit québécois a toujours encadré
strictement les formes testamentaires permises afin de s’assurer que les volontés qui y sont
contenues sont mûrement réfléchies. Le droit québécois reconnaît trois formes testamentaires,
soit le testament notarié, 58 le testament devant deux témoins 59 et le testament olographe. 60 Le
52
Voir notamment R.M. c. W.C., précité, note 45.
Art. 687 C.c.Q.
54
Art. 685 C.c.Q.: soit au comptant soit sous forme de versements.
55
Art. 693 C.c.Q.
56
Art. 689 al. 2 C.c.Q.
57
Art. 812 C.c.Q.
58
Le testament notarié est reçu par un notaire normalement assisté d’un témoin. (art. 716 C.c.Q.) Dans certains
cas particuliers notamment le testament fait par un aveugle ou par une personne qui ne peut signer, deux témoins
sont requis. Le notaire québécois est un officier public et confère aux actes qu’il reçoit, tel le testament, le
caractère d’acte authentique.
59
Autrefois connu sous le nom de «testament d’après le mode dérivé de la loi d’Angleterre», cette forme
testamentaire nous vient de la common law suite à la conquête de la Nouvelle-France par les Anglais. Le
53
9
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non-respect des formes testamentaires entraîne, en principe, la nullité de ce dernier. La
sanction est donc très sévère.
Sous le Code civil du Bas-Canada, la jurisprudence avait quelque peu assoupli cette
rigidité en considérant, entre autres, à titre d’exemples, que la portion manuscrite à l’intérieur
d’un document dactylographié pouvait valoir comme testament olographe ou que la signature
puisse être apposée sur une enveloppe contenant le testament plutôt que sur ce dernier.
Le code civil du Québec innove en introduisant une mesure qui permet de sauvegarder
le testament olographe ou devant témoins qui ne répond pas à toutes les formalités de forme. 61
Le ministre explique que le nouvel article 714 62 «vise à respecter la liberté et la volonté du
testateur et à faire prévaloir celles-ci sur les exigences formelles, lorsqu’il n’existe pas de
doute sur la portée de l’écrit.» L’autonomie de la volonté que sous-tend le principe de la
liberté de tester est donc renforcée par cette mesure.
La genèse mouvementée de l’article 714 C.c.Q, 63 octroyant un pouvoir discrétionnaire
au tribunal en vue de valider certains testaments informes, indique que l’introduction de cette
mesure a été longuement discutée afin de ne pas introduire «une quatrième forme de
testament, le “testament judiciaire” […]». 64 Pour certains, l’adoption de cette règle n’est que
l’aboutissement des évolutions doctrinales et jurisprudentielles favorables à une interprétation
libérale des exigences formelles entourant la confection d’un testament aux fins de donner
effet aux volontés du testateur (enfin à celles qu’on lui prête). 65 Pour d’autres, la disposition
contenue dans l’article 714 C.c.Q. dépasse de loin la tolérance des jugements passés 66 et est
corroboré par le fait que le Ministre de la Justice ait dans ces Commentaires 67 présenté
l’article comme de droit nouveau.
testament devant témoins peut être écrit par le testateur ou par un tiers, de façon manuscrite ou par un moyen
technique. Le testateur reconnaît l’écrit comme étant son testament devant deux témoins. Le testateur ou un tiers,
ainsi que les deux témoins, signent le testament en présence les uns des autres. Chaque page doit être paraphée
par les signataires. Art. 727, 728 C.c.Q.
60
«Le testament olographe doit être entièrement écrit par le testateur et signé par lui, autrement que par un
moyen technique. Il n’est assujetti à aucune autre forme.» art. 726 C.c.Q.
61
Les problèmes de forme n’existent pour ainsi dire pas lorsque le testament est notarié car il est confectionné
par un professionnel qui se doit de connaître les formalités requises. L’article 714 ne peut s’appliquer en
l’espèce.
62
L’article 714 se lit somme suit: «Le testament olographe ou devant témoins qui ne satisfait pas pleinement aux
conditions requises par sa forme vaut néanmoins s’il y satisfait pour l’essentiel et s’il contient de façon certaine
et non équivoque les dernières volontés du défunt.»
63
Inconnue du Code civil du Bas Canada, elle n’est pas le fruit d’une recommandation de l’Office de révision du
Code civil. Prévue par le projet de loi 107 de 1982 (Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des
successions, Projet de loi n°107, 3e session, 32e législature (Québec)), puis reprise dans le projet de loi 20 de
1984 (Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des personnes, des successions et des biens, Projet
de loi n°20, 5e session, 32e législature (Québec)), la disposition a été adoptée le 26 juin 1985 après moult débats
(Voir ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats, Commissions parlementaires, sous-commission des
institutions, 12 juin 1985, p. 497 et 26 juin 1985, p. 619). Le projet 20 ayant été remanié en 1987, l’article a été
modifié de nouveau pour être incorporé au projet 125 de 1990 (Le Code civil du Québec, Projet de loi 125, 1ère
session, 34ème législature (Québec) adopté en 1991. Des différentes moutures, la version finale restreint la
portée de la règle initialement proposée.
64
G. BRIÈRE, op. cit., note 10, n°441, p. 551.
65
Voir notamment l’opinion du juge Taschereau dans Thériault (Succession de), B.E. 99-BE-426 (C.S.), n°16:
«Dans cette perspective, la règle énoncée à l'article 714 C.c.Q. n'a rien de nouveau. Elle codifie un courant
jurisprudentiel déjà solidement ancré et n'y ajoute rien de substantiel».
66
Roger COMTOIS, Les testaments, mis à jour par Jacques BEAULNE dans Chambre des notaires du Québec,
Répertoire de droit/nouvelle série, «Les libéralités», Doctrine – Document 2, Montréal, 2000, n°84, p. 22.
67
G. RÉMILLARD, op. cit., note 29, p. 426.
10
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Il est certainement vrai que l’article 714 innove non seulement par rapport au Code
civil du Bas Canada mais également par rapport au droit français dont le droit québécois tire
en partie ses sources au niveau des formes testamentaires tel le testament olographe 68 et qui
connaît la même sanction du défaut de forme. Jusqu’alors l’intervention judiciaire pour
valider un testament à première vue défectueux passait par le mécanisme de l’interprétation. 69
La mesure introduite au Code civil du Québec se rapproche des règles de common law
applicables dans certaines les provinces canadiennes. 70
L’introduction de l’article 714 C.c.Q qui consacre officiellement une activité tolérée
fait craindre, compte tenu de la disparité de la jurisprudence, que les gardes-fous mis en place
se révèlent insuffisants pour contenir les débordements de l’interprétation créatrice du juge.
En effet, les auteurs critiquent le flou entourant les modalités de mise en œuvre de cet article,
le manque de directive ou de ligne directrice pour guider ou canaliser cette discrétion
judiciaire. L’interprétation et la portée de l’article 714 ont fait couler beaucoup d’encre. Il est
de loin l’article du nouveau droit des successions qui a le plus été discuté par la jurisprudence.
La doctrine 71 a tenté de mettre un peu d’ordre dans ce corpus jurisprudentiel qui a priori
s’avère souvent incohérent ou contradictoire. L’article 714 semble en effet avoir été utilisé à
toutes les sauces durant sa première décennie. Puis peu à peu, la Cour d’appel intervient et
oriente la portée de cet article. Dans les prochaines lignes, nous allons souligner les enjeux et
les embûches rencontrés dans la mise en œuvre de cet article ainsi que les acquis à ce jour.
Il découle de la lecture de l’article 714 C.c.Q 72 que le législateur impose deux
conditions pour que le tribunal puisse valider un testament défectueux et en admette la
vérification. Dans un premier temps, l’article exige que l’écrit satisfasse au préalable aux
règles essentielles de forme testamentaire. Puis dans un second temps, l’article énonce que
68
Le droit français ne connaît ni procédure de vérification des testaments, ni testament devant témoins et institue
encore moins une discrétion judiciaire pour sauver les testaments défectueux.
69
Voir à ce sujet les références de: Germain BRIÈRE, Les Successions, Traité de droit civil, Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 1990, n°439, p.524 plus particulièrement à la note 439-10.
70
Dans les provinces canadiennes de common law, seuls le Manitoba et le Saskatchewan ont mis en place un
pouvoir judiciaire équivalent. Pour comparer, voici le texte des articles:
Loi sur les testaments, C.P.L.M. c. 1985, s. 23: Sur requête, le tribunal peut ordonner qu'en dépit de la nonconformité de sa passation avec la présente loi, un document produise entièrement ses effets, comme s'il avait été
passé conformément aux exigences relatives à la forme imposées par la présente loi, au titre de testament du
défunt ou à celui de révocation, de modification ou de remise en vigueur du testament du défunt ou des
intentions testamentaires comprises dans un autre document, selon le cas, lorsque le tribunal est convaincu que
se trouve énoncées au document ou à toute inscription y portée: a) les intentions testamentaires du défunt;
b) l'intention du défunt de révoquer, de modifier ou de remettre en vigueur un de ses testament ou ses intentions
testamentaires énoncées dans un document autre qu'un testament (L.M. 1995, c. 12, art. 2).
Loi sur les testaments, L.S. 1996, c. W-14,1, s. 37: «The court may, notwithstanding that a document or writing
was not executed in compliance with all the formal requirements imposed by this Act, order that the document or
writing be fully effective as though it had been properly executed as the will of the deceased or as the revocation,
alteration or revival of the will of the deceased or of the testamentary intention embodied in that other document,
where a court, on application is satisfied that the document or writing embodies: a)the testamentary intentions of
a deceased; or (b) the intention of a deceased to revoke, alter or revive a will of the deceased or the testamentary
intentions of the deceased embodied in a document other than a will» (S.S. 1989-1990, c.66, s.9).
71
Pierre CIOTOLA, «Le testateur et son clone inavoué, le juge: clone difforme ou conforme dans la recherche
des intentions du testateur», (2005) 39 R. J.T. 1; Jacques BEAULNE, «L’article 714 du code civil du Québec
huit ans plus tard: erreur du législateur ou égarement des tribunaux?», dans Jacques Beaulne (dir), Mélanges
Ernest Caparros, collection Bleue, Montréal, Wilson et Lafleur, 2002, p.25; Jacques BEAULNE, «Bilan d’une
première décennie en droit des successions», (2003) 105 R. du N. 271; Nicholas KASIRER, «The “Judicial Will”
Architecturally Considered», (1996-1997) 99 R. du N. 3.
72
Art. 714:«Le testament olographe ou devant témoins qui ne satisfait pas pleinement aux conditions requises
par sa forme vaut néanmoins, s’il y satisfait pour l’essentiel et s’il contient de façon non équivoque les dernières
volontés du défunt.»
11
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l’écrit doit contenir de façon certaine et non équivoque les dernières volontés du testateur.
Cette deuxième condition ne pose pas de problème. Les tribunaux exigent la preuve non
équivoque des dernières volontés du défunt. 73
Quelques années après l’entrée en vigueur de l’article 714, la Cour d’appel dans
l’affaire Paradis c. Groleau-Roberge 74 a du rappeler les trois conditions requises pour se
prévoir de cet article:
1. Ne peut être présenté un testament atteint d’une nullité sur le fond; seul peut être
discuté un testament atteint d’un défaut de forme.
2. Ne peut être présenté un testament dont les formes essentielles ont été omises;
seule la transgression des règles secondaires peut permettre le recours à la
discrétion judiciaire.
3. Ne peut être présenté un document ne contenant pas de manière certaine et non
équivoque les dernières volontés du défunt.
Ainsi, la discrétion judiciaire ne peut s’exercer que si le document satisfait pour
l’essentiel aux conditions de forme et ne saurait reposer uniquement sur l’expression non
équivoque des volontés du défunt. Cette démarche a été énoncée par le juge Taschereau dans
l’affaire Thériault (Succession de) 75 et a été saluée par la doctrine. 76 L’examen de la
jurisprudence démontre toutefois qu’elle n’a pas toujours été suivie. On constate que plusieurs
jugements ont fait prédominer les volontés du testateur plutôt que le respect des formalités
exigées en matière testamentaire. 77 Cette attitude des tribunaux s’explique en partie par la
difficulté que soulève l’application de cet article dans le cadre du testament olographe. Les
formalités du testament olographe sont réduites au minimum soit: être écrit par le testateur et
signé par lui. Étant un acte personnel et souvent secret, la formalité de l’écriture se justifie
pour assurer que le document émane bel et bien du testateur et non d’un tiers. Quant à
l’exigence de la signature, elle confirme l’intention arrêtée de tester au moyen de ce
73
Cette exigence traduit une exigence de fond soit l’existence de l’animus testandi. Veilleux c. Veilleux, J.E. 97698 (C.A.); Moufrage-Renaud c. Lehan, J.E. 97-849 (C.A.); Martel, c. Laska, J.E. 2001-410 (C.A.).
74
Paradis c. Groleau-Roberge, [1999] R.J.Q. 2585 (C.A.), dont la demande d'autorisation d'appel à la Cour
suprême a été rejetée.
75
Thériault (Succession de), précitée note 65: refus de valider un testament écrit à la machine à écrire par un des
fils du testateur qui l’a ensuite signé devant ce dernier.
76
Voir notamment J. BEAULNE, loc. cit., note 71, 35.
77
P. CIOTOLA, loc. cit., note 71, 27. Ainsi, dans une affaire Mercier c. Mercier-Charron, (1995) R.J.Q. 1446
(C.S.), le juge Jean Frappier, se fondant en partie sur les Commentaires du Ministre de la Justice, justifie ainsi sa
décision de valider un testament écrit par la légataire universelle et signé par le défunt sur la base de l’équité et
du respect des dernières volontés du défunt: «Dans les circonstances particulières de la présente espèce, il serait
injuste tant pour la requérante que pour le respect des volontés du défunt de ne pas vérifier le testament». Le juge
Frappier avait préalablement attiré l’attention sur une difficulté inhérente à l’article 714 C.c.Q. sous les
paragraphes 24 et 25: «Si, pour appliquer l'art. 714 dans le cas d'un testament olographe, il fallait tenir qu'il doit
nécessairement répondre aux deux seules conditions requises par sa forme, il faudrait conclure que cet article
n'est d'aucune utilité et le tribunal ne peut exercer sa discrétion même s'il est convaincu que l'écrit contient
l'expression des dernières volontés du défunt. Il y a donc lieu de recourir à l'intention du législateur qui a édicté
l'art. 714». Cette difficulté a également été perçue par le Professeur Beaulne, loc. cit., note 71, n°22, p. 39, sans
pour autant préconiser de transgresser si allègrement la première exigence de l’article 714 C.c.Q; Un autre arrêt,
ayant encouru des critiques doctrinales sévères (P. CIOTOLA, loc. cit., note 71) a mis en exergue le même
travers dans l’usage de l’article 714 C.c.Q. Prêchant une analyse contextualisée dans Rioux (Succession), J.E. 97263 (C.S.), le greffier Michaud a donné préséance à la volonté de la défunte contenue de façon certaine et non
équivoque dans un document enregistré sur une disquette signée par celle-ci, au mépris du texte du Code civil du
Québec refusant d’admettre tout moyen technique. Dans un arrêt ultérieur, Perreault c. Desrochers, J.E. 2000102 (C.S.), la disquette et le document imprimé n’ont pas été admis comme testament olographe.
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document. 78 Peut-on dans un tel cas y retrouver des formalités qui ne sont pas essentielles?
Poser la question c’est un peu y répondre. Ainsi, si le postulat de l’article 714 repose sur le
non–respect des formalités secondaires, cet article était voué à ne pas pouvoir trouver
application en matière de testament olographe. Pourtant, le libellé de l’article 714 énonce
clairement qu’il s’applique tant au testament olographe que devant témoins. Le législateur
n’étant pas sensé parler pour ne rien dire, les tribunaux se sont sentis autorisé à faire prévaloir
les volontés du testateur sur le caractère non -essentiel des vice de forme se trouvant ainsi à
permettre quelque peu l’existence d’un «testament judiciaire».
Tout dernièrement, la Cour d’appel 79 a eu le loisir de réitérer la justesse de la
démarche énoncée dans l’affaire Thériault. Selon la Cour, l’examen de la seconde question
n’a pas lieu d’être si la première condition relative à l’absence de vices de forme essentiels
n’est pas remplie. L’examen des volontés du défunt est alors inutile et sans objet.
Il importe donc de déterminer quelles sont les modalités essentielles dont le
manquement ne peut donner ouverture à la mise en oeuvre de l’article 714. «La principale
difficulté réside dans la détermination du caractère essentiel ou non des formalités exigées par
le législateur» comme le constate la cour. 80
La doctrine s’est penchée sur la manière d’apprécier le caractère essentiel des
formalités. Le Professeur Kasirer a favorisé une analyse subjective (in concreto) des
formalités, selon les circonstances particulières de chaque espèce. 81 Pour le professeur Kasirer
l'analyse subjective consisterait à se demander non pas si la condition est une condition
essentielle (analyse objective) mais plutôt si, compte tenu des circonstances, la condition est
essentielle pour assurer que les objectifs de cette condition sont atteints. À titre d’exemple, il
faut déterminer si la formalité essentielle a été respectée en réalité même si la forme est
défectueuse à première vue. Ainsi, le testament fait en présence de deux témoins alors qu’un
seul des témoins ne signe le document pourrait être validé. En effet, a priori, l’absence de la
signature de l’un des témoins rend le testament informe mais l’essentiel des formalités a été
respecté car deux témoins étaient présents. Pour certains, la proposition du Professeur Kasirer
est louable mais elle annonce, en fait, les difficultés pratiques et les dérives de certains
jugements à «verser le formalisme testamentaire à la corbeille. 82 Le Professeur Beaulne relève
que la majorité des tribunaux ont eu tendance à procéder à un examen objectif (in abstracto)
c’est-à-dire à tenter de déterminer la formalité imposée par le législateur est essentielle ou
pas. 83 Une approche essentiellement objective avait d’ailleurs été jugée inappropriée. En
obiter, le juge Forget s’exprime ainsi «je ne suis pas certain qu'il serait approprié d'établir une
liste des conditions essentielles et une autre de celles qui ne le sont pas, apportant ainsi une
distinction que le législateur n'a pas jugé utile de faire et privant, par le fait même, de toute
discrétion les juges appelés à vérifier de tels testaments 84».
Il appert des récents jugements de la Cour d’appel que certaines formalités doivent
être respectées afin que le juge puisse user de sa discrétion pour valider le testament
défectueux. Toutefois, dans l’analyse du respect ou du non–respect de la formalité l’approche
subjective est privilégiée.
78
Cette formalité donne au testament son caractère définitif. Roy c. Gingras, J.E. 97-108 (C.A.).
Gariépy (Succession de) c. Beauchemin, J.E. 2006-375 (C.A.) Cette règle avait pourtant déjà été énoncé dans
Paradis c. Groleau-Roberge, [1999] R.J.Q. 2585 (C.A.).
80
Gariépy (Succession de) c. Beauchemin, J.E. 2006-375 (C.A.).
81
N. KASIRER, loc. cit., note 71, 3.
82
Pierre CIOTOLA, «La vérification d’un testament sur disquette ou l’art de verser le formalisme testamentaire
à la corbeille informatique» (1997) 6 (n°4) Entracte 10.
83
J. BEAULNE, loc. cit., note 71, n°25, 41.
84
Poulin c. Fontaine, J.E. 2000-1058 (C.A.).
79
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Electronic Journal of Comparative Law, vol. 14.2 (October 2010), http://www.ejcl.org
Selon l’article 726, le testament olographe doit être rédigé par le testateur et signé par
lui. L’analyse des jugements de la Cour d’appel permettent d’affirmer que ces deux
conditions sont tout aussi importante l’une que l’autre et constituent des conditions
essentielles à l’existence d’un testament olographe. Le testament olographe doit être rédigé
par le testateur 85 et non par un tiers et doit être signé par le testateur. 86 Vu ce constat, la portée
de l’article 714 est plus restreinte mais joue quand même un rôle quoique limitée. Ainsi,
respecte l’exigence que le testament soit rédigé par le testateur, l’utilisation d’un formulaire
pré imprimé où sont intercalées des inscriptions manuscrites lorsque la preuve démontre que
le testateur avait l’intelligence du texte imprimé. 87 Un testament olographe sera considéré
comme signé par le testateur lorsque le testateur a écrit au long son nom au début du
document. 88 Il ne faut toutefois pas conclure que l’emplacement de la signature n’a plus
d’importance. Il faut prouver qu’il y a un lien matériel et intellectuel, suffisant pour former un
tout indivisible, entre la signature et le contenu de l’écrit. Ce lien matériel et intellectuel doit
être démontrée lorsque le texte écrit et la signature sont l’un au recto l’autre au verso d’un
document. 89 Ce lien matériel et intellectuel existe lorsque la signature se retrouve sur
l’enveloppe contenant le document que l’on prétend être un testament, ainsi qu’au début du
document et en annexe à ce document. 90 L’exigence de la signature est atteinte lorsque le
testateur signe de son prénom seulement même si ce n’est pas sa façon usuelle de signer. 91
Toutefois, le document qui n’est qu’initialé est plus équivoque et souvent ne permet pas de
conclure qu’il est signé. 92 Il faut tenter de déterminer si le testateur a réellement voulu signer
le document en y apposant uniquement ces initiales. Pour ce faire, il faut y déceler la présence
de l’intention de tester Dans l’analyse du respect de la formalité de la signature, il faut
toujours avoir à l’esprit que le rôle de la signature dans l’écrit testamentaire est de donner au
testament son caractère définitif.
Les formalités du testament devant témoins sont plus nombreuses. Le testament
devant témoins doit être écrit mais peut l’être soit par le testateur soit par un tiers; le testeur
doit reconnaître que cet écrit est son testament devant deux témoins; le testament doit être
signé à la fin du document par le testateur ou par un tiers; s’il l’a déjà signé le testateur doit
reconnaître sa signature en présence des témoins; les témoins doivent à leur tour signer en
présence du testateur; chaque page doit être paraphée par le testateur et les témoins. 93 À
l’heure actuelle, il semble acquis que la présence de deux témoins soit une condition
essentielle requise pour qu’un document puisse valoir comme testament devant témoins. 94
Toutefois, lorsque la présence des témoins est prouvée, l’article 714 permet de valider
l’absence de signature de l’un deux. 95 Selon la Cour d’appel, la signature du document est
également essentielle. 96 Il nous apparaît que cette exigence est en effet normalement
nécessaire pour conclure au caractère définitif du document. Toutefois compte tenu que le
85
Paradis c. Groleau-Roberge, [1999] R.J.Q. 2585 (C.A.).
Gariépy (Succession de) c. Beauchemin, J.E. 2006-375 (C.A.).
87
Poulin c. Duchêne, J.E. 99-1977 (C.A.).
88
Lessard, c. Lessard, J.E. 2002-690 (C.A.); Dans le même sens en obiter: Lehan c. Moufrage-Renaud, J.E. 97849 (C.A.).
89
Succession de Langlais c. Langlais-Bouchard. J.E. 99-1764 (C.A.)
90
Poulin c. Duchêne, J.E. 99-1977 (C.A.).
91
S.T. c. P.T., [2003] R.L. 669 (C.S.); G. BRIÈRE, op. cit., note 10, n°420, p. 529.
92
Martel c. Laska, J.E. 2001-410 (C.A.); Ahern-Tisseyre c. Tisseyre, J.E. 2002-1252 (C.A.).
93
Art. 727,728 C.c.Q.
94
Succession de Patton, J.E. 2003-797 (C.A.).
95
St-Jean-Major c. Cardinal Léger et ses oeuvres, J.E. 2004-185 (C.A.); contra Poulin c. Fontaine, J.E. 20001058 (C.A.). La Cour d’appel semble donc se contredire. Toutefois, dans l’affaire Poulin, la preuve sur la
présence d’un deuxième témoin n’est pas claire. Les propos du juge peuvent être simplement un obiter.
96
Poulin c. Fontaine, J.E. 2000-1058 (C.A.).
86
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testament devant témoins n’est pas nécessairement signé par le testateur et qu’il peut l’être par
un tiers, la reconnaissance par le testateur que le document est son testament nous apparaît,
dans un tel cas, être une exigence essentielle afin de s’assurer qu’il s’agit bel et bien des
volontés du testateur.
Malgré, les enseignements de la Cour d’appel, il est visible que certains tribunaux
éprouvent de la difficulté pour respecter cette première limite posée par l’article 714 C.c.Q.
Vu la liberté prise par certains jugements, le Professeur Beaulne rappelle que l’objet du
pouvoir conféré l’article 714 C.c.Q. vise à donner vie à un testament affecté de vices de forme
mineures et non de l’interpréter. 97 Le professeur Kasirer abonde dans le mêmes sens. «Judges
must not create testamentary paper under art. 714 themselves but content themselves with
reviewing existing but failed efforts by others to dispose of property at death». 98 Le
professeur Beaulne est d’avis que le fardeau des incohérences n’incombe pas entièrement aux
juges mais provient peut être avant tout du législateur qui aurait prise une décision
inopportune en introduisant l’article 714 dans le Code civil du Québec. 99 Cette critique est
quelque peu sévère.
En conclusion, il est souhaitable que le juge dispose d’un pouvoir modérateur mais
non créateur, encouragé à tempérer les conséquences excessivement sévères des sanctions à
l’encontre des testaments atteints d’une défectuosité mineure, mais non à pratiquer l’art de la
divination ou de l’omniscience, en réécrivant les dispositions de dernières volontés.
Cite as: Brigitte Lefebvre, Récents développements en droit des successions: Le droit québécois, vol. 14.2
ELECTRONIC JOURNAL OF COMPARATIVE LAW, (October 2010), <http://www.ejcl.org/142/art1422.pdf>.
97
Jacques BEAULNE, La liquidation des successions, Montréal, Wilson & Lafleur, 2002, n°40, p. 26, sous la
note 66.
98
N. KASIRER, loc. cit., note 71, 24.
99
J. BEAULNE, loc. cit., note 71, n°64, p. 62.
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