Fistules anales
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Fistules anales J. Denis Les fistules anales sont les formes cliniques les plus fréquentes des suppurations ano-périnéales. Leur pathogénie repose sur une communication avec le canal anal (orifice primaire), importante à prendre en compte dans la prise en charge thérapeutique. Le traitement est chirurgical et poursuit deux objectifs : celui de traiter la suppuration de façon définitive et celui de préserver la continence fécale. Les techniques dites « d’épargne sphinctérienne » (lambeau rectal d’avancement, colle biologique) peuvent représenter une alternative séduisante à une fistulotomie parce qu’elles évitent les sections sphinctériennes lorsque les trajets fistuleux sont profonds. Leur bénéfice thérapeutique n’est qu’imparfaitement évalué et le risque de récidive semble plus élevé qu’après fistulotomie. DÉFINITIONS ASPECTS CLINIQUES Les fistules anales sont des affections aiguës ou chroniques dont le point de départ est l’infection d’une glande anale qui s’abouche au niveau des cryptes de la ligne pectinée (1-3). Ceci les différencie des autres suppurations de la région, en particulier, maladie de Verneuil, sinus pilonidal et la plupart des suppurations de la maladie de Crohn. Elles représentent 71 % des suppurations anales et périnéales (4). L’infection peut alors évoluer soit vers la récession soit vers l’expansion qui peut rester localisée dans l’espace intersphinctérien ou traverser les muscles striés pour venir s’ouvrir à la peau (3, 5-7). Il faut donc distinguer : – un orifice primaire (ou orifice interne) toujours présent et situé dans le canal anal au niveau de la glande d’Hermann et Desfosses qui n’est pas répartie de façon égale dans le canal anal, prédominant en arrière (6, 7) ; – un trajet qui chemine soit vers la peau en traversant l’appareil musculaire soit le long de l’ampoule rectale dans l’espace intersphinctérien ; – un orifice secondaire externe en cas d’ouverture à la peau, plus rarement interne en cas de trajet intersphinctérien haut s’ouvrant spontanément dans le rectum. Elle touche l’homme plus souvent que la femme (8, 9) et sa prévalence est estimée à 12, 3 pour 100 000 chez l’homme et 5, 6 pour 100 000 chez la femme (10). Les formes aiguës : l’abcès réalise un syndrome douloureux rapidement progressif avec, au niveau de la marge anale, apparition d’une masse plus ou moins rouge, très douloureuse pouvant s’accompagner d’insomnie, de dysurie et de fièvre plus ou moins élevée. Quand l’abcès est localisé dans la fosse ischio-rectale, ou dans l’espace intersphinctérien, il peut ne pas être visible mais seulement palpable ou perçu au toucher rectal (chez la femme, l’abcès de la région anovulvaire ne doit pas être confondu avec une forme atypique de Bartholinite) ; l’abcès localisé dans la cloison recto-vaginale peut avoir une symptomatologie à prédominance gynécologique. La forme chronique peut succéder à un abcès évacué spontanément ou chirurgicalement, mais peut aussi apparaître d’emblée. À l’examen, on trouve sur la peau périanale un ou plusieurs orifices suppurants (orifice externe ou orifice secondaire). Le toucher rectal essaie de repérer l’orifice primaire et une expansion intramurale. Chez la femme, il existe des fistules sur cicatrice d’épi- 560 Pelvi-périnéologie siotomie souvent confondues avec un abcès sur fils alors qu’il s’agit bien d’une fistule anale. Dans la fistule de la cloison recto-vaginale: le toucher rectal perçoit une masse oblongue plus ou moins sensible, bombant dans le rectum alors que le toucher vaginal est pratiquement normal. Les orifices de chaque côté de la ligne médiane peuvent être le fait d’une fistule en fer à cheval ou d’une fistule double. Le germe en cause est le plus souvent une bactérie d’origine intestinale (11, 12). La tuberculose a pratiquement disparu dans les pays occidentaux, mais persiste dans certaines populations (13). IMAGERIE L’apport de l’imagerie et de sa contribution au diagnostic et au traitement des fistules anales est encore en cours d’évaluation. La fistulographie n’est plus guère utilisée. L’échographie endoanale soit à la sonde linéaire soit à la sonde rotative de 7 à 10 MHz permet de visualiser l’orifice primaire dans environ 54 % des cas, d’identifier le trajet dans 73 % et les expansions dans environ 80, 8 % des cas, ces pourcentages étant augmentés si on utilise l’injection d’eau oxygénée par l’orifice externe. Cette technique permettrait également de visualiser plus difficilement les abcès profonds (14-17). L’imagerie par résonance magnétique avec sonde corporelle ou endoluminale utilise des séquences T2 pondérées et/ou après injection de gadolinium des séquences T1 pondérées ; cette technique visualise bien les trajets, l’orifice interne dans près de 80 % des cas et permet de déceler des collections profondes (18-20). Ces techniques ont donné lieu à des études comparatives entre elles et avec l’exploration chirurgicale dans des séries assez hétérogènes (16, 21-23) avec une légère supériorité de l’IRM sur l’échographie, l’IRM pouvant déceler des collections profondes non visualisées lors de l’exploration chirurgicale. La spécificité et la sensibilité de cette technique varient de 74 à 100 %. Le choix entre ces différentes techniques doit se fonder sur l’accessibilité et la qualité des équipes qui les pratiquent. CLASSIFICATION Pour bien comprendre les difficultés rencontrées dans le traitement des fistules anales, il est indispensable de les classer en fonction de leur rapport dans le système musculaire et les espaces celluleux (7, 24). Les trajets principaux : – les fistules transsphinctériennes : – transsphinctériennes inférieures : elles intéressent environ 30 % du faisceau profond du sphincter externe et ce sont de loin les plus fréquentes de 45 % à 90 % selon les statistiques (8, 9) ; – transsphinctériennes supérieures : elles englobent la plus grande partie du faisceau profond du sphincter externe et représentent environ 25 % des trajets (8) ; – suprasphinctériennes : elles intéressent tout l’appareil musculaire sphinctérien y compris une partie du faisceau puborectal du releveur. Elles sont rares (19 %) même dans les services spécialisés (8) ; – intersphinctériennes (ou intramurales ou de l’espace d’Eisenhammer) elles représentent environ 9 % des cas. Elles se développent exclusivement dans les espaces de glissement de la couche longitudinale complexe et peuvent remonter très haut le long du rectum ou elles peuvent s’ouvrir secondairement. Il n’y pas de traversée de l’appareil sphinctérien externe. Elles peuvent avoir des trajets simples, parallèles à l’axe du rectum ou être plus compliquées en spirale ou en V (25). Sur ces trajets principaux peuvent se greffer des expansions essentiellement du côté opposé réalisant la fistule en fer à cheval, le passage se faisant habituellement en arrière dans l’espace sous-sphinctérien postérieur, mais il peut également se faire par la couche longitudinale ou en avant au niveau du noyau fibreux central du périnée. Plus rarement, une expansion de l’espace intramural peut s’associer à une fistule transsphinctérienne (25). Si cette classification est largement utilisée en France et dans de nombreux pays européens, les pays anglo-saxons utilisent préférentiellement celle décrite par Parks (26) qui distingue des fistules intersphinctériennes basses, des fistules intersphinctériennes hautes et des fistules suprasphinctériennes. Plus récemment, une nouvelle classification anglosaxonne a été proposée se rapprochant de la classification utilisée en France (9). Fistules anales TRAITEMENT Le traitement chirurgical a deux impératifs : – tarir la suppuration et éviter la récidive en traitant l’orifice primaire ; – respecter la fonction de continence liée à la fois à l’élément musculaire et à l’architecture globale de l’anus. Cela entraîne, surtout dans les fistules hautes ou complexes, une segmentation des temps opératoires. On utilise la fistulotomie ou la fistulectomie (qui permet l’examen anatomopathologique du trajet), mais il existe également des techniques dites de « préservation sphinctérienne » : suture de l’orifice primaire, lambeau d’avancement, utilisation de colle biologique. Il faut dans tous les cas repérer l’orifice primaire et le trajet. Le repérage de l’orifice primaire se fait par l’examen clinique, l’injection d’air et de colorants (bleu de méthylène) par l’orifice externe. Le repérage du trajet se fait également par l’injection de bleu de méthylène par l’orifice externe, le cathétérisme à partir de l’orifice primaire. Mais, seule la dissection permet d’apprécier la hauteur exacte de la traversée musculaire. Techniques Au stade d’abcès : il faut inciser pour évacuer le pus et, si possible, repérer et traiter le trajet fistuleux. L’absence du traitement de la fistule aboutit à la constitution de la fistule anale ellemême. Au stade de fistule : les fistules transsphinctériennes inférieures sont mises à plat en un temps soit par fistulotomie soit mieux par fistulectomie emportant tout le trajet fistuleux jusqu’au plan musculaire puis par fistulotomie. Le taux de récidive est faible (1 à 6 %), il n’y a pratiquement pas de troubles de la continence (9, 26-28). Cependant, chez la femme, en cas de fistule antérieure même basse, il faut être prudent, d’une part en raison de l’architecture musculaire (l’anneau sphinctérien est ouvert en avant) et d’autre part, s’il existe des antécédents obstétricaux importants. Au moindre doute et même en cas de fistule basse, il est préférable d’utiliser la technique en deux temps (8). 561 Les fistules transsphinctériennes supérieures et suprasphinctériennes sont opérées en deux temps. Premier temps : exérèse du trajet fistuleux jusqu’au plan sphinctérien et mise en place d’une anse de drainage souple de caoutchouc sur le sphincter. Ce Seton marque le trajet dans la traversée musculaire et draine la suppuration. Il stimule une réaction fibreuse du muscle et permettra une éventuelle section directe. Dans ce premier temps, on peut pratiquer la section de la partie haute de l’appareil musculaire ce qui abaisse le trajet sans trop modifier l’architecture globale de l’anus (29). Certains sectionnent la partie basse du muscle (30). Le deuxième temps est pratiqué après cicatrisation de bonne qualité (environ deux à trois mois). Deux attitudes sont possibles : mise en place d’une traction élastique progressive : après avoir enlevé la zone sensible cutanéomuqueuse, on serre un fil de caoutchouc autour du sphincter externe ; cette traction sera resserrée tous les huit dix jours jusqu’à section complète du muscle ce qui demande de trois à cinq tractions (29). Sur des malades bien étudiés, on peut sectionner directement le trajet au bistouri électrique. Le taux de récidive est faible (2 %), les troubles de la continence observés restent le plus souvent mineurs (5 % pour les gaz, 5 % pour les selles liquides, 2,5 % pour les gaz plus selles liquides) (29) mais d’autres études donnent un pourcentage plus élevé (30-32). Les fistules intersphinctériennes isolées sont mises à plat vers l’intérieur de l’ampoule rectale par section au bistouri électrique de la muqueuse, de la couche circulaire et de la partie de la couche longitudinale intéressée. Chez la femme, au niveau de la cloison recto-vaginale, il faut être extrêmement prudent pour éviter la constitution d’une fistule recto-vaginale. Les troubles de la continence sont modérés (25). Les fistules en fer à cheval sont opérées en trois temps, parfois deux de ces temps peuvent être réunis en un seul. Des éventuels diverticules sont traités lors du premier temps opératoire par mise à plat vers l’intérieur de l’ampoule rectale en cas de diverticule intramural, vers la fosse ischio-rectale en cas d’expansion sus-lévatorienne (25, 29). Certaines fistules complexes échappent à toute systématisation et nécessitent une grande expérience de la chirurgie proctologique. 562 Pelvi-périnéologie Techniques dites de « préservation sphinctérienne » CONCLUSION Leur but est d’éviter les troubles de la continence lors de la section d’une partie importante des sphincters dans les fistules hautes. Une fistule anale est liée à l’infection d’une glande d’Hermann et Desfosses. Son traitement est fonction des rapports du trajet fistuleux avec les muscles sphinctériens. Aux traitements classiques par fistulotomie, fistulectomie en un ou deux temps sont venus s’ajouter des techniques de préservation sphinctérienne dans le but d’éviter les troubles de la continence : les lambeaux d’avancement et les colles biologiques qui sont encore en cours d’évaluation. Suture de l’orifice primaire : le trajet est excisé jusqu’au sphincter externe et l’orifice primaire simplement suturé. Le rerouting consiste à transposer le trajet en dedans de la fosse ischiorectale. Technique du lambeau d’avancement : le trajet est enlevé jusqu’au sphincter externe (ou parfois simplement cureté) ; l’orifice interne peut être excisé avec section partielle du sphincter interne, la couche longitudinale éventuellement nettoyée et un lambeau muco-musculaire est abaissé au niveau sur l’orifice primaire. Cette technique, très en vogue dans les pays anglosaxons donne cependant un taux de récidive important de 1 à 24 % des troubles de la continence de 0 à 35 % et un suintement résiduel d’environ 8 % (30-38). Dans l’étude de Schouten et al. portant sur 44 patients suivis plus de un an, il y a 87 % de guérison si le malade a été opéré moins d’une fois avant ; ce pourcentage tombe ensuite à 50 %. Il y a en outre 35 % de troubles de la continence (34). Il a été également décrit une technique utilisant un lambeau cutané, mais avec près de 56 % d’échec et en cas de guérison, 20 % de soiling (39). Les colles biologiques : le but est d’oblitérer le trajet fistuleux sans aucune section sphinctérienne. Cette technique ne doit pas être utilisée en phase d’abcès ce qui implique parfois un drainage par Séton dans un 1er temps (40) et l’absence de cavité résiduelle ou d’expansion (41). On peut utiliser la colle autologue ou hétérologue. La guérison est obtenue dans 50 à 85 % des cas, fonction du trajet, de la nature de la colle utilisée et des antécédents chirurgicaux (40-44). Les facteurs de risque de récidive ont été étudiés : avant tout la méconnaissance de l’orifice primaire, d’éventuelles expansions, l’expérience du chirurgien, le tabagisme (45, 46). Les troubles de la continence sont fonction du sexe, de la topographie de l’orifice primaire, de la hauteur du trajet et du nombre d’interventions antérieures (32, 37, 45). Références 1. Chiari H (1898) Uber Nalen divertikel der Rectumschlienehaut und. Ihre Beziehung zu den Anal Fisteln. Wien Med Press 19: 482 2. 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