acqua in bocca - un film de pascale thirode
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acqua in bocca - un film de pascale thirode
Actualité • Les films Acqua in bocca Une figue mûre Olivier Curchod Enquêteuses aux archives Lorsqu’elle débarque du ferry un matin d’hiver 2008 à Bastia pour tenter de savoir qui était Paul Mariani, son grand-père, et dans quelles circonstances il est mort à Ajaccio en juillet 1944, Pascale Thirode n’a pour tout bagage qu’un vieil album familial dépouillé de ses photos, et ses deux filles de onze et quatorze ans, deux gouttes d’eau. « Acqua in bocca », dit l’adage corse : « de l’eau dans la bouche », la loi du silence. Triple silence, en fait, dont la cinéaste filme la levée dans ce documentaire, journal intime. Silence de l’omerta en vigueur sur l’île de Beauté. Tabou des années noires sous occupation italienne. Secret de famille, enfin, car la fille de Mariani, la mère de Pascale, à qui celle-ci dédie son film, s’est toujours refusé à dire qu’elle savait. D’interviews de survivants en séances aux archives, de visites sur des lieux témoins en tentative drolatique d’avis de recherche dans le journal local, le film trace, non sans humour, les étapes d’une quête obstinée, ses déambulations, ses impasses, mais aussi ses brusques avancées qui soudain raniment l’ardeur de nos trois enquêteuses. Deux liens maintiennent le contact avec le continent, les dialogues téléphoniques avec la mère régulièrement informée de la progression des recherches, et ces e-mails que Pascale échange avec une historienne de la guerre en Corse. Peu à peu un portrait se révèle. Mariani était un gros négociant bastiais, pignon sur rue, villa replète. Il avait une maîtresse, la fille de sa gouvernante, une familière de l’occupant, une intrigante, qui l’entraîna dans des agapes à trois avec un général italien, puis à la prison d’Ajaccio au début de l’été 1944. Sa mort ? Selon les uns, en cellule en s’ouvrant les veines, ou bien la gorge avec une fourchette ; selon une paperasse officielle, à l’hôpital d’une banale crise de calculs. Acqua in bocca Car ce n’est pas la France (2009). 1 h 25. Réal. moindre ironie ni et scén. : Pascale Thirode. Dir. photo. : Jean-Marc Selva, Olivier le moindre charme Bertrand. Son : Jean-François du film, le frisson Mabire, Benoît Ouvrard, Frédéric du romanesque Salles. Mont. : Anne Souriau, qui sous-tendait Catherine Zins. Mus. : Pascal la volonté de Bideau. Cie de prod. : Atopic, 504 Productions, Télé Paese, Les savoir ne délivre in Films du soleil. Dist. : Hevadis f ine qu’une vérité Films. bovaryste : eh non, 30 Mariani n’était pas un cacique de la collaboration îlienne, et quel riche boutiquier n’a sa maîtresse ? C’est que l’essentiel n’est pas là. La figure absente, l’album vide, l’eau dans la bouche soudent et ressoudent trois générations de la féminité. Au cœur du dispositif, Pascale, la cheville ouvrière, la quarantaine décidée. En aval, les deux brunettes, qui partagent la chambre d’hôtel de leur mère et, avec elle, sillonnent le cap Corse en beuglant le Sarà perché ti amo de Ricchi & Poveri du toit ouvrant d’un break immatriculé 75. En amont, la mère dépositaire du secret et qu’il s’agit de convaincre de revenir sur une île quittée dès l’âge de sept ans : son entrée à l’image au bout d’une heure, alerte septuagénaire qui n’était auparavant pour nous qu’une voix au bout du fil, est un de ces instants de grâce dont Acqua in bocca ne manque pas. Et puis il y a la Corse, non la Corse du tourisme vulgaire ou parvenu, mais celle, au quotidien, d’une fin d’hiver aux cieux brouillés. Et quand les deux petites déposent dans le caveau de famille une épitaphe de fortune en hommage à leur arrière-grandpère, elles y joindront un brin de muguet printanier. Acqua in bocca… e f ichi maturi, dit l’adage entier : quand le silence se sera tu viendra le temps des « figues mûres ». Enfin l’été. L’album photos… sans photos POSITIF 604 Juin 2011