Secret de l`instruction et secret professionnel de l`avocat

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Secret de l`instruction et secret professionnel de l`avocat
Version pré-print – pour citer cet article :
E. Vergès, « Secret de l’instruction et secret professionnel de l’avocat », obs. sous Cass. crim. 27 oct. 2004,
Revue pénitentiaire et de droit pénal, 2005-1, p. 230
Secret de l’instruction et secret professionnel de l’avocat
Cass. crim. 27 octobre 2004, bull, n° 259
L’arrêt du 27 oct. 2004 n’est certainement pas un arrêt de principe, mais il paraît néanmoins fort intéressant
en ce qu’il illustre la protection du secret de l’instruction par l’intermédiaire du secret professionnel de l’avocat. Les
faits de l’espèce s’éloignent de l’hypothèse classique d’une violation du secret de l’instruction à destination de la
presse. Il s’agissait d’un avocat, Maître X., qui avait pu consulter le dossier de son client Thierry A. avant
l’interrogatoire de première comparution et avait communiqué les informations issues de ce dossier pour permettre à
un coauteur, Bernard Z., de se soustraire aux poursuites qui allaient être exercées contre lui dans la même affaire. La
Cour d’appel a condamné l’avocat pour violation du secret professionnel par violation du secret de l’instruction ; fait
prohibé par l’article 160 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991. Pour fonder leur condamnation, les juges du
fond se référaient à plusieurs pièces du dossier qui mentionnaient le nom de Bernard Z., comme une personne
potentiellement impliquée dans la commission des infractions dont le juge d’instruction était saisi. La Cour d’appel
en concluait « qu’il est ainsi démontré qu’une partie des renseignements donnés par Me X à Bernard Z, provenait
du dossier de l’instruction auquel il (avait) eu accès avant la première comparution de son client devant le juge
d’instruction ». Dans son pourvoi, l’avocat poursuivi alléguait une violation de la présomption d’innocence car, selon
lui, la Cour d’appel avait fondé sa condamnation sur des affirmations incertaines. Assez logiquement, la Cour de
cassation a rejeté le pourvoi en se contentant de renvoyer à l’appréciation souveraine des juges du fond.
Le secret de la mise en état des affaires pénales est un principe dont la protection est marquée par une
certaine complexité, non seulement en raison des difficultés pratiques d’assurer la confidentialité de l’enquête et de
l’instruction, mais aussi en raison de la protection médiate du respect de l’article 11 du Code de procédure pénale par
l’intermédiaire du secret professionnel. Ainsi, dans son alinéa 2, cette disposition prévoit que « toute personne qui
concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du Code
pénal ». Cette protection particulière du secret exclut logiquement les parties du champ d’application de l’article 11
CPP. Ces dernières n’ont connaissance des informations contenues dans le dossier qu’en raison de leur implication
dans la procédure et non pour des raisons professionnelles (par ex. cass. crim. 9 oct. 1978, bull. n°263). En revanche,
les avocats des parties sont tenus par le secret de l’instruction en raison de leur profession. L’article 160 du décret du
29 novembre 1991 prévoit ainsi que « l'avocat, en toute matière, ne doit commettre aucune divulgation contrevenant au secret
professionnel. Il doit, notamment, respecter le secret de l'instruction en matière pénale, en s'abstenant de communiquer, sauf à son client
pour les besoins de la défense, des renseignements extraits du dossier ou de publier des documents, pièces ou lettres intéressant une
information en cours ». Cette obligation déontologique ne suffit pas à sanctionner pénalement l’avocat et il faut encore la
combiner avec l’article 226-13 du Code pénal selon lequel « la révélation d’une information à caractère secret par une personne
qui en est dépositaire (…) par profession (…) est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000€ d’amende ».
À première vue, la combinaison de ces différentes dispositions peut paraître paradoxale. La première finalité
du secret professionnel de l’avocat imposé par le Code pénal consiste à protéger la confidentialité des relations entre
l’auxiliaire de justice et son client. Sont ainsi protégées les consultations adressées par un avocat à son client ainsi que
les correspondances échangées entre eux (cass. civ. 2ème, 7 nov. 1994, bull, n°218). On s’aperçoit alors, que l’article
226-13 C.pén., destiné notamment à protéger l’avocat, peut se retourner contre ce dernier lorsque le professionnel
fait un usage détourné des informations qu’il a pu recueillir dans l’exercice de sa profession. Certaines juridictions du
fond ont implicitement souligné ce double aspect du secret professionnel de l’avocat en considérant qu’il portait non
seulement sur les confidences faites pas le client à son avocat, mais également sur toutes les informations qu’a pu
recueillir ce professionnel à l’occasion de l’exercice de ses fonctions (CA Paris, 1er juillet 1999, D. 1999, IR, p. 230).
Dès lors, les informations recueillies dans le dossier de l’instruction tombent sous le sceau du secret qui s’impose à
l’avocat. La Cour de cassation a pu en juger ainsi à plusieurs reprises, en confirmant les condamnations prononcées
par des juridictions du fond contre des avocats. Dans un arrêt du 18 septembre 2001 (bull, n°179), la chambre
criminelle a relevé une violation du secret professionnel commise par un avocat, lequel avait communiqué des
informations contenues dans le dossier de l’instruction à un tiers dans le but de mettre en œuvre une campagne de
presse pour déstabiliser le juge d’instruction. La Cour de cassation a ainsi constaté que la violation du secret
professionnel provenait de la révélation à un tiers du contenu d’un acte couvert par le secret de l’instruction. Plus
délicate est l’affaire jugée par la Chambre criminelle dans un arrêt du 18 décembre 2001 (bull, n°273). En l’espèce, un
avocat était en conflit avec l’un de ses anciens clients. Il avait alors profité de son statut pour obtenir, auprès d’un
fonctionnaire des services du procureur de la République, des informations couvertes par le secret de l’instruction
dans des affaires relatives à son adversaire. Ces informations avaient ensuite étaient communiquées par l’avocat à un
tiers. Dans cette espèce, l’avocat n’était pas une « personne qui concoure à (la) procédure » au sens de l’article 11 CPP. Il
avait simplement abusé de son statut d’avocat pour obtenir des informations relatives à des procédures qui lui étaient
étrangères. Pourtant, les juges du fond ont motivé leur condamnation en estimant que la révélation des informations
secrètes par un avocat qui en a eu connaissance dans l’exercice de sa profession constituait le délit visé par l’article
226-13 du Code pénal et que c’est bien en raison de sa profession d’avocat que le fonctionnaire de justice les avait
communiquées au prévenu qui a abusé ainsi de sa fonction. La Cour de cassation, pour confirmer cette
condamnation, s’est fondée sur l’article 160 du décret de 1991 en affirmant que « l’avocat, en toute matière, ne doit
commettre aucune divulgation contrevenant au secret professionnel et qu’il ne peut, notamment, communiquer à quiconque, sauf à son
client pour les besoins de la défense, des renseignements concernant des procédures pénales ». En d’autres termes, l’obligation au
secret de l’instruction auquel l’avocat concourt s’étend, à la faveur du secret professionnel, à l’obligation de respecter
le secret de l’ensemble des procédures pénales auquel l’avocat a accès grâce à ses fonctions, bien qu’il n’y participe
pas.
Loin de l’interprétation stricte de la loi pénale, la protection du secret de l’instruction par les juridictions
répressives montre que l’utilisation d’une incrimination dont la portée est générale (la violation du secret
professionnel) permet d’étendre le champ d’application d’un texte de procédure pénale (l’article 11 CPP). Cette
sévérité dans la protection du secret de l’instruction marque certainement une volonté de lutter efficacement contre
une délinquance dont la répression est difficile à mettre en œuvre en pratique.
Étienne VERGES