La canouille - J`vous montre…
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La canouille - J`vous montre…
La canouille Depuis cet automne, je sais. Je connais le secret de famille, secret que je n’avais jamais soupçonné et qui me laisse encore aujourd’hui un sourire au coin des lèvres quand je pense à Pépé d’Lappère. Lappère-les-Amourettes, c’est le nom du village où j’ai découvert en ce dimanche de novembre la chose toujours tue. C’était une corvée. Je n’avais pas prévu de passer mes vacances à nettoyer la maison familiale de ce fin fond de Corrèze. J’avais travaillé comme un forcené toute l’année. Je n’avais même pas pu prendre quelques jours de congé dans l’été. L’hôpital dans lequel je travaillais souffrait, comme tous les hôpitaux, d’un déficit de personnel. Ce n’est donc pas de gaieté de coeur que je montai ce jour-là dans ma nouvelle acquisition, une New Beattle flambant neuve dont je n’avais même pas fini le rodage. Mais le notaire avait été insistant au téléphone : il avait des acheteurs, il fallait donc mettre la maison en état. J’ai un souvenir assez flou de mes grands-parents. “Pépé et Mémé d’ Lappère” comme on les appelait. Petit, j’étais allé passer quelques jours de vacances d’été chez eux. Je me souviens de leur chien qui ne se déplaçait plus que de sa gamelle au fourneau. D’un chat aussi, voleur et espiègle qui se cachait en haut de l’escalier pour me donner quelques coups de pattes griffues. Je n’empruntais que rarement cet escalier qui menait à la chambre de mes aïeuls. Mes parents m’avaient défendu d’y entrer sous prétexte que j’étais un touche-à-tout et que les vieilles personnes n’aimaient pas que l’on touche à leurs affaires. J’ai le souvenir d’y avoir pénétré cependant une fois en compagnie de mon grand-père. Un fatras d’objets divers s’amoncelait sur une table ronde dont on avait baissé un battant, demi-lune appuyée au mur blanchi à la chaux. Au-dessus de la table trônait un cadre dans lequel un dessin en noir et blanc pour le moins énigmatique avait attiré mon attention. J’y voyais mon grand-père représenté assis sur ce qui m’avait semblé être un canard. “Pépé, pourquoi t’es assis sur un canard?” Pépé avait souri, de petites étincelles dans ses yeux usés : “Tu vois bien que c’est pas un canard mon p’tit, c’est une canouille !” Je ne posai aucune question, son ton supposant que je ne pouvais être sans savoir ce qu’était une canouille. Arrivé à Lappère vers 13 heures, je décidai de m’arrêter “Aux p’tits rognons blancs” le café-restaurant du village. La tâche qui m’attendait allait nécessiter de l’énergie. La carte présentait un choix intéressant d’oeufs de mouton, de suites de sangliers, d’amoureuses et autres roubignoles amoureusement apprêtées. Clair potage aux parties de coq Pâté de testicules de taureau Petit potage de testicules de chevreau Amourettes à la vinaigrette ravigotée Brochette d’animelles à la toscane Rognons blancs sauce poulette J’optai pour ce dernier plat qui, selon le restaurateur, était la spécialité de la maison de père en fils depuis trois générations. Il m’expliqua que pendant des siècles, les joyeuses des animaux étaient un mets très prisé. Délices de la cour sous Louis XV, on s’en régalait encore beaucoup à La Villette il n’y a pas si longtemps. Il avait remis les roubignoles au goût du jour. Dégustant mon plat de coucougnettes avec circonspection, l’épisode de la canouille me revint en mémoire. Je me mis à penser que ce petit séjour à Lappère me permettrait peut-être de percer à jour ce mystère. C’est d’un pas moins traînant que j’allai jusqu’à la maison. Elle était comme dans mon souvenir. La couverture en loze, le rosier sur le mur de pierre, le petit jardin au pied de l’appenti. Après m’être échiné sur la porte d’entrée gonflée par les pluies et les années d’abandon, j’entrai. L’odeur de renfermé me sauta à la gorge. Je posai mes bagages sur le clic-clac à peine usé qui dépareillait la cuisine. Mes parents avaient dû l’offrir pour ne plus être obligés de dormir au grenier. Je fis un feu dans la cheminée et entrepris de commencer le rangement. Je n’y mettai aucun entrain et m’arrêtai vite pour faire du thé. Je décidai alors de m’attaquer à la chambre de Pépé et Mémé. Je poussai la porte. Sur la droite, le lit de mes grands-parents était encore recouvert d’un énorme édredon. Au-dessus de la tête de lit, un crucifix arrêta mon regard quelques instants : Jésus y était sculpté grossièrement à grands coups de ciseau à bois mais ses attributs paraissaient surdimensionnés. J’allai vers le dessin, toujours accroché au-dessus de la table encombrée et me rendis compte qu’il s’agissait en fait d’une page arrachée du Vidal. Sur la table, une croix rouge était tracée sur une petite boîte en fer qui avait dû recevoir des gâteaux dans sa prime jeunesse. A l’intérieur, une feuille pliée en quatre dans le même papier que le dessin avec cet article : “ Hernie inguinale On distingue deux sortes d’hernie inguinale : - la hernie dite indirecte - la hernie de faiblesse (dite directe) due à une déficience des muscles obliques de l’abdomen. Symptômes : pesanteur apparaissant à la fatigue - vive douleur scrotale irradiant l’aine - température élevée. Complications : la hernie peut s’étrangler. Elle va peu à peu augmenter de volume, d’abord simple “pointe de hernie”, elle peut atteindre le volume d’une tête d’enfant. Traitement : seul l’acte chirurgical...”etc. A côté de cette boîte était posée une planche de bois d’un mètre environ, assez épaisse, dans lesquels étaient creusées de petites cavités qui allaient par paires, de la plus petite à la plus grande. Sous cette planche, un cahier d’écolier bleu passé, aux pages jaunies. J’ouvris à la première page pour découvrir, dans une écriture qui ferait pâlir les enseignants d’aujourd’hui, une date - septembre 1915 - et une courte liste de noms faisant face à une liste de chiffres. C’était l’écriture de Mémé d’Lappère. Un deuxième cahier était glissé dans le premier. “ Délibérations du Conseil de la Paroisse de Lappère-les-Amourettes - 1910/1930”. Les premières délibérations traitaient des affaires courantes de l’église : dates des mariages, communions et baptêmes, denier du culte, entretien des locaux... L’une des délibérations retint toute mon attention. Elle datait d’août 1915. Le curé avait ouvert la séance avec les affaires courantes puis évoquait le drame de la mobilisation. Voici, de mémoire, la teneur de son discours : “ Tous les hommes en âge de procréer sont partis à la guerre, laissant dans notre village des femmes éplorées et le ventre sec. Or, quel est le plus beau don que Dieu ait fait à la femme? L’enfantement. Marie, dans ses souffrances “le fruit de mes entrailles est béni”, ne nous l’a-t-elle pas montré? Si Marie - que Dieu me pardonne - a pu mettre au monde par l’opération du Saint-Esprit, ça me semble assez improbable pour nos femmes de Lappère qui, quoique pieuses, ne sont pas toutes des saintes. Nous ne savons pas combien de temps va durer cette guerre. Il faut donc trouver dans la paroisse un homme de bonne moralité et en bonne santé qui, par chrétienté, ira ensemencer les femmes.” Un débat s’ouvrait alors sur le choix de l’étalon. Le curé proposa que l’homme qui aurait la plus grosse paire de testicules serait l’homme de la situation. La théorie de Monsieur le curé était que plus ils étaient gros, plus abondante serait la semence et plus sûr serait le résultat. Il ne fallait tout de même pas que l’homme en question eût à s’y reprendre à deux fois, ce qui serait du vice. C’est à ce moment que le mystère de la canouille me fut révélé. Mon grand-père s’avéra, en cette année de 1915, pourvu en la matière, tout le monde le savait dans le village, c’était une chose entendue. Mais il ne devait cette curiosité non à la prodigalité de ses gonades mais à une affection dite “hernie inguinale de faiblesse”. Il n’était pas dit quelle taille atteignaient les bijoux de famille de Pépé. Toujours est-il que si cette difformité l’amenait en haut du podium, il ne pouvait sillonner la campagne pour ensemencer les ouailles, l’affection dite étant douloureuse. Monsieur le curé trancha la chose en annonçant que mon grandpère, de par sa supériorité burnée serait seul membre du jury pour l’élection de l’ensemenceur. Les hommes présents dans l’assemblée ne firent aucune objection, l’un d’eux déclarant même qu’il ne tenait pas à déballer ses atouts devant tout le canton. Ce fut donc ce qu’il fit jusque quelques années après la guerre, celle-ci ayant quelque peu clairsemé les rangs des procréateurs potentiels. Il fut décrété que l’élection aurait lieu tous les ans, pour ne pas que de mauvaises habitudes se prennent. Mais le cheptel étant réduit au minimum, il s’avéra que Dédé le Couillu comme on le surnomma longtemps fut l’homme de la situation tous les ans. Dans les compte-rendus de délibération d’après-guerre, il est fait allusion à la persistance de la coutume dans le canton de Lappère et dans ses environs au grand dam de Monsieur le curé et des bigotes de service. Quoiqu’obsolète en 1930 - la guerre ayant arrêté son massacre de couillus - Dédé abusait encore de son titre longtemps après le renouvellement des troupes. J’imagine le regard oblique et suspicieux de certains pères à qui on présentait un nouveau-né pourvu d’attributs développés - ce qui est la plupart du temps le cas chez un nourrisson - et essayant de lire dans la pâleur des joues de leur femme ou au contraire dans leur empourprement, le signe d’une trahison. Signe héréditaire révélateur d’une infidélité ou simple générosité testiculaire? Je ne sais ce qui poussa mon grand-père à encadrer l’illustration du Vidal sur la hernie inguinale. Mais je sais maintenant que la canouille n’est autre que le néologisme du mot “canard” et de l’objet de sa nomination. Son esprit malicieux avait saisi l’occasion de ma vision d’enfant pour faire un “bon mot”. Posant le cahier quelques instants, j’eus besoin de reprendre mes esprits. Je me retrouvai donc à presque 60 ans petit-fils de l’unique et donc du plus grand calibreur-ès-couilles de tous les temps. La planche trouva aussi son explication dans les pages de ce cahier. C’est mon grand-père qui avait mis au point ce calibreur pour contrecarrer les éventuelles protestations. Les candidats, les uns après les autres, venaient déposer leur paire de glodines sur la planche posée sur la table de la cuisine, et devaient trouver la cavité qui correspondait le mieux. Mon grand-père relevait alors le petit chiffre gravé au-dessus du réceptacle et l’affaire était terminée. J’imaginai ma grand-mère assise au bout de la table, le cahier ouvert devant elle et la plume à la main, notant scrupuleusement les chiffres que mon grand-père devait annoncer d’une voix grave et clair pour qu’il n’y ait aucune erreur possible. Elle devait bien de temps à autre lever les yeux et réajuster ses lunettes au bout de son nez pour vérifier l’exactitude du calibrage. Je compris alors toute la véracité de la phrase de Mémé d’Lappère à l’heure du bain. Dans la maison, point de douche ni de baignoire. Mémé remplissait d’eau fumante une bassine en zinc placée au milieu de la cuisine. Je me tenais nu, debout à côté de la bassine, attendant patiemment que l’eau soit à bonne température. A 6 ans, on est pudique. Les deux mains croisées sur mon bas ventre dissimulaient mes petites affaires. J’entends encore Mémé: “ Tu veux pas que j’te vois tout nu? C’est pas ton ver de terre et ta paire de c... coccinelles qui vont m’faire peur tu sais. J’en ai vu d’autres”. Et pour cause. Je repris la route de la capitale quelques jours plus tard pour reprendre mon travail d’urologue à l’hôpital. Prédestination? Atavisme? Je n’avais jamais pensé que le choix de ma profession eut été déterminée par mes pères ou devrais-je dire la paire de mes pères. Je n’avais pas remis la maison en état. je n’étais plus si décidé à la vendre. Je me pris à imaginer que j’allais en faire un musée de la couille avec le concours du restaurateur du coin. Le nom de Lappère-les Amourettes aidant, nous pourrions monter une affaire sinon lucrative tout au moins distrayante. Nous pourrions également proposer une visite de l’église. Le curé, convaincu de sa théorie sur la grosseur des testicules, avait fait repeindre le plafond de l’église en faisant ajouter des bourses aux angelots joufflus. A Lappère, petit village haut en couleurs, les anges n’avaient évidemment pas de sexe mais ils avaient des couilles! Sylvaine Mars 2007