Modélisation technico- économique d`un pôle de compétence

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Modélisation technico- économique d`un pôle de compétence
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Aude Schindler est née le 28 décembre 1981 à Roanne
(42). En 2005, elle a obtenu le diplôme d’Ingénieur de
l’Ecole Centrale Paris, option Procédés et Environnement et filière Management de Projets. Depuis 2006,
elle effectue une thèse au Laboratoire Génie Industriel
de l’Ecole Centrale Paris, en partenariat avec le CEA
de Fontenay-aux-Roses, sur la modélisation technicoéconomique d’un centre de recherche intégré en imagerie préclinique.
❒ Résumé
A l’heure des pôles de compétitivité, l’innovation est
considérée comme un facteur clé de succès des entreprises. Mais qu’en est-il réellement du pilotage stratégique des entreprises innovantes ? Il existe à ce jour
peu d’outils réellement adaptés à ce type d’entreprises,
dont la production principale est la production de
connaissances et de compétences nouvelles. Nous proposons dans notre travail un mode de pilotage stratégique particulier pour ces entreprises : le pilotage par les
valeurs. Dans le cadre d’une recherche-intervention,
nous l’avons appliqué sur un cas d’étude : le centre de
recherche intégré MIRCen (CEA), pôle de compétence
en imagerie préclinique en cours conception.
Mots clefs :
Approche systémique, Création de valeurs, Pilotage
stratégique, Balance coûts/valeurs, Management de
l’innovation.
❒ Abstract
At the time of the “poles of competitiveness” (the
French equivalent of clusters), the innovation is considered as a key factor of success of the companies.
But what about the strategic command and control of
the innovative companies? Few tools, really adapted to
this kind of companies, whose principal production is
knowledge and skills production, exist today. We propose in this work a particular strategic command and
control mode for these companies: the command and
control by the values. Through an intervention research, we have applied it to a study case: the integrated research centre MIRCen (CEA), pole of competence in preclinical imaging, under design.
Key-words:
Systemic approach, Values creation, Strategic command and control, Costs/values balance, Innovation
management.
Modélisation technicoéconomique d’un pôle de
compétence : application
au centre de recherche
intégré MIRCen
Aude SCHINDLER
Doctorante 2ème année
CEA – Direction des Sciences du Vivant
18, route du Panorama
92 260 Fontenay-aux-Roses
01 41 13 18 07 / 06 30 35 78 32
[email protected]
Directeur de Thèse :
Jean-Claude Bocquet
Co-Directeur de Thèse :
Aurélie Dudezert
Date de fin de thèse envisagée :
Février 2009
Modélisation technico-économique d’un pôle de compétence : application au centre de recherche intégré MIRCen
Aude SCHINDLER
Contexte et problématique
Face à la mondialisation et afin de conforter la compétitivité de l’économie française, l’Etat a officialisé en juillet
2005, à travers la labellisation de 66 pôles de compétitivité, une dynamique de regroupement géographique et de
création de synergies entre entreprises, unités de recherche et centres de formation. Favorisée par le regroupement de ses acteurs, l’innovation est aujourd’hui considérée comme l’un des facteurs clés de la compétitivité
d’une économie (DATAR, 2003).
Dans la lignée de cette démarche, la Direction des Sciences du Vivant du CEA (Commissariat à l’Energie Atomique) s’est investie dans ces réseaux et a également engagé
une dynamique de création de plateformes technologiques pluridisciplinaires et mutualisantes, au cœur du pôle
de compétitivité Medicen Paris Région, à savoir NeuroSpin, centre de recherche spécialisé dans l’imagerie cérébrale par Résonance Magnétique Nucléaire à haut champ
dont l’inauguration a été faite le 24 novembre 2006 à
Saclay, le Service Hospitalier Frédéric Joliot, centre de
recherche spécialisé dans l’imagerie clinique à Orsay, et
MIRCen (Molecular Imaging Research Centre), centre de
recherche spécialisé dans l’imagerie préclinique de thérapie génique et cellulaire dont l’ouverture est prévue début
2008 à Fontenay-aux-Roses.
Face à la mise en place de ces centres de recherche intégrés, en particulier du dernier-né MIRCen, le CEA s’est
posé la question du pilotage tactique et stratégique de ce
type de centres appartenant à des pôles de compétitivité
et des réseaux : qu’en est-il de leur performance ? comment sélectionner et prioriser les projets de recherche ?
comment satisfaire les attentes des industriels tout en
gardant suffisamment de projets de recherche interne ?...
Ces questions nous ont conduit à mener une réflexion
plus en amont sur le pilotage tactique et stratégique des
centres de recherche et des entreprises innovantes à
l’heure de pôles de compétitivité ; en particulier, nous
avons pu mettre en évidence les particularités des entreprises innovantes qui influent sur leur pilotage et le fait
que les modes de pilotage existants ne répondent pas à
tous leurs besoins. Notre objectif est alors de combler ce
manque.
centre de recherche intégré MIRCen, à la fois tactique et
stratégique (simulation de scenarii, calcul de coûts, mesure d’impacts sur l’environnement, pilotage multiprojets, aide à la décision…).
1. Positionnement scientifique de
la recherche
De nombreuses écoles existent en stratégie (Mintzberg et
al., 2005). Deux principaux types d’approches sont distingués en ce qui concerne l’avantage concurrentiel d’une
entreprise : celles qui considèrent que l’avantage concurrentiel d’une entreprise vient de son positionnement par
rapport à son environnement et celles qui considèrent que
l’avantage concurrentiel d’une entreprise vient de ses
atouts internes.
Les modèles les plus connus de l’école du positionnement sont le modèle des forces concurrentielles de (Porter, 1982) et son évolution en théorie de la chaîne de valeur (Porter, 1986). Ces modèles visent à « ajuster
l’entreprise à son environnement » (Teece et al., 1997).
Ils permettent d’analyser l’avantage concurrentiel d’une
entreprise en la situant par rapport à son environnement
(concurrents, fournisseurs, clients…). La notion de valeur
qui apparaît ici est purement économique en ce qui
concerne l’entreprise : « la valeur est la somme que les
clients sont prêts à payer ce qu’une firme leur offre. La
valeur se mesure par les recettes totales qui reflètent le
prix qu’une firme peut obtenir pour son produit et le
nombre d’unités qu’elle peut vendre » (Porter, 1986).
Le second type d’analyse est tourné vers l’intérieur de
l’organisation : c’est en interne qu’elle va puiser son
avantage concurrentiel. L’approche la plus connue est
l’approche par les ressources (RBV) (Arrègle et al.,
2001) proposée entre autres par (Penrose, 1959), (Wernerfelt, 1984) et (Barney, 1991), qui s’est déclinée en
approche par les compétences (KBV), par les capacités
dynamiques (Teece et al., 1997) (Nelson et Winter,
1982)… A ce niveau, l’entreprise doit tirer parti au mieux
des connaissances, compétences, technologies… qu’elle
regroupe : ces notions deviennent stratégiques et leur
gestion, primordiale.
A travers une recherche-intervention (Thiétart, 2003) sur
le cas d’étude MIRCen, nous cherchons à développer et
mettre en place un outil opérationnel de pilotage tactique
et stratégique adapté à ce type de centres de recherche
intégrés.
Si certains auteurs défendent l’une ou l’autre de ces positions, (Martinet et Reynaud, 2001) considère que le vrai
avantage concurrentiel d’une organisation réside dans la
conciliation de ces deux types d’approches : se positionner par rapport à son environnement tout en mettant en
avant et en exploitant au mieux ses atouts internes.
Cette recherche-intervention ingénierique a ainsi pour
objectifs : d’un point de vue académique, de participer
aux avancées de la recherche en termes de pilotage stratégique des entreprises innovantes, en proposant un nouveau mode de pilotage stratégique : le pilotage par les
valeurs, ainsi que, de façon incidente, d’aide à la conception de systèmes organisationnels ; d’un point de vue
industriel, de créer un outil d’aide au pilotage pour le
Ces différents travaux aboutissent à une prise en compte
de plusieurs parties prenantes de l’organisation.
L’évaluation de la performance et de la création de valeurs économiques y est faite par l’intermédiaire de la
performance concurrentielle. Ces théories de management
stratégique ont entraîné l’apparition de différents outils et
méthodes d’évaluation de la performance et d’aide au
pilotage des entreprises.
Modélisation technico-économique d’un pôle de compétence : application au centre de recherche intégré MIRCen
Aude SCHINDLER
Plusieurs générations de ces méthodes et outils existent.
L’évaluation des performances peut être faite à deux niveaux : les performances globales de l’entreprise et les
performances des activités. Ces performances sont évaluées par rapport aux objectifs définis par l’entreprise.
Ces objectifs prennent en considération la satisfaction des
parties bénéficiaires de l’activité de l’entreprise. (Perrin,
1999) traite l’exemple de la performance d’une activité
de développement de nouveaux produits. La mesure de la
performance d’une activité doit prendre en compte des
indicateurs de résultat (qualité, coût, délai) et des indicateurs de réalisation. Les méthodes de pilotage évoluent
alors conjointement à la notion de performance. Du Balanced ScoreCard (BSC) à la méthode des 6 Sigma, en
passant par l’Activity Based Costing (ABC) – Activity
Based Management (ABM), la méthode ECOGRAI, le
Design to Cost et coût de cycle de vie, le Quality Function Deployment (QFD), l’analyse des risques, le Total
Quality Management (TQM), l’analyse de la valeur et le
management par la valeur (IST, 2002), de nombreux outils de pilotage ou d’aide au pilotage existent. Mais tous
n’ont pas le même usage (objectifs, niveaux considérés,
phases d’utilisation, critères de performance…).
Certains de ces outils, comme le tableau de bord (Balanced ScoreCard) de (Kaplan et Norton, 1992) et (Kaplan
et Norton, 1996), permettent d’évaluer la performance
globale de l’entreprise, au travers de laquelle sont pris en
compte des éléments liés à la performance financière et
non financière. Plusieurs générations de ces tableaux de
bord existent (Cobbold et Lawrie, 2002). Quatre dimensions de la performance y sont prises en compte : la perspective financière, la perspective des clients, la perspective opérationnelle interne et la perspective de
l’apprentissage et de l’innovation. Différents niveaux et
différentes parties prenantes sont donc pris en compte,
ainsi que, de manière indirecte, le management de
l’innovation. (Olve et al., 1999) ont ajouté une dimension
de dynamique des systèmes pour remédier à l’aspect statique de ces Balanced ScoreCard et les ont fait évoluer en
Balanced ScoreCard Dynamiques (Wolstenholme, 1998).
L’ABM s’intéresse à la performance des activités en termes de coût et de valeur pour le client. Le Design to Cost
est centré sur la dimension coût ; le Total Quality Management sur la dimension qualité…
D’autres outils s’intéressent plus à la performance opérationnelle. Sur le sujet de la performance opérationnelle
pour les entreprises innovantes, plusieurs courants de
recherche peuvent être identifiés : les travaux sur le management de la Recherche et Développement (R&D) ou
Recherche, Innovation et Développement (RID) et les
travaux sur le management des connaissances et des
compétences, selon que l’on considère l’innovation
comme un processus de R&D ou comme une démarche
issue d’un bon management des connaissances.
L’innovation repose sur un processus de création de
connaissances nouvelles et dépend donc de la gestion des
connaissances de l’organisation ; la performance de la
gestion de l’innovation dépend alors de celle de la gestion des connaissances. Des méthodes comme MAGIC
(Measuring and AccountinG Intellectual Capital) (Wagner et Hauss, 2000) ou NIMMeasure (Roth et al., 2000)
existent pour l’aide à l’évaluation de la performance de la
gestion des connaissances. Cette évaluation « repose sur
une analyse des facteurs critiques de succès d’un tel service et une comparaison avec l’existant (activités et processus) en terme de connaissances et de GC vu comme un
processus particulier à optimiser » (Dudezert et Lancini,
2006). Ces approches, très proches des approches sur
l’évaluation de la R&D, sont centrées sur le processus de
la R&D et sur la performance de celui-ci et ne permettent
pas d’avoir une vision globale en termes d’apport à
l’environnement.
D’autres types d’approches existent en management des
connaissances : des approches systémiques faisant le lien
entre performance des systèmes technologiques et organisationnels (comme les systèmes de gestion des connaissances) et activités opérationnelles (Dudezert et Lancini,
2006). Ces travaux, en faisant le lien entre gestion des
connaissances et performance opérationnelle d’une activité vue comme un système organisationnel et technologique, peuvent inspirer des travaux sur la performance
des organisations innovantes.
Les entreprises innovantes nécessitent un pilotage particulier. (Le Masson et al., 2006) définissent les entreprises
innovantes comme des entreprises centrées sur
l’innovation intensive. Leur production principale est
alors la production de connaissances et de compétences
nouvelles. En ce sens, les centres de recherche sont des
entreprises innovantes. Le processus d’innovation intensive passe, selon ces auteurs, par la mise en place de nouvelles fonctions dans l’entreprise et de nouveaux espaces
de valeurs et entraîne un renouvellement permanent de
l’identité des objets et des valeurs de performance. Il
convient donc de prendre en compte de nouveaux critères, autres que la valeur économique seule, pour le pilotage stratégique de telles organisations et de regarder les
caractéristiques de cette production de connaissance.
La création de connaissances est issue d’interactions entre individus, groupes d’individus et environnement ; les
niveaux micro et macro sont ainsi fortement reliés (Nonaka et al., 2000) et nécessitent d’être pris en compte
simultanément dans leur analyse. Le pilotage des entreprises innovantes nécessite donc de ne pas dissocier vision locale et vision globale de l’organisation et de les
considérer simultanément avec leurs interactions.
Le monde de l’innovation et de la création de connaissances et de compétences est un univers très mouvant (Le
Masson et al., 2006) et intangible (Amable et Askenazy,
2003). En particulier, les clients changent sans cesse,
leurs attentes également, ainsi que l’environnement dans
lequel l’organisation de situe, et tous se partagent la
connaissance. Cette particularité des entreprises innovantes imposent une prise en compte plus importante de
l’ensemble des parties prenantes de ces entreprises.
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Les pôles de compétitivité ont pour objectif général de
« favoriser les synergies autour de projets innovants sur
un territoire donné, pour améliorer la situation de
l’emploi et l’attractivité du territoire » (CIADT, 2004).
Ces synergies entre recherche, formation et industrie
permettent avant tout de mutualiser et d’enrichir les
connaissances, compétences et moyens, donc de créer de
la valeur scientifique. Mais la valeur sociétale, à travers la
création d’emploi en particulier, apparaît également de
façon explicite. La valeur macro-économique (renforcement industriel d’un territoire, émergence de nouvelles
activités, amélioration de la compétitivité de la France…)
à l’échelle locale mais aussi nationale est également un
des moteurs de la création de ces pôles. L’évaluation de
ces types de performance (sociale, scientifique, macroéconomique…) est donc importante pour connaître le réel
impact de la création de tels pôles sur leur environnement. Les entreprises innovantes y appartenant doivent
chacune contribuer à ces objectifs : elles doivent donc
non seulement satisfaire des objectifs de performance
micro-économique tels que précisés précédemment (valeurs micro-économiques) mais également des objectifs
de performance macro-économique ainsi que d’autres
types de performance (valeurs macro-économiques, sociétales, scientifiques…). Il est alors nécessaire de repenser leur modèle d’évaluation de la performance et de
création de valeurs, afin de prendre en compte leur performance interne d’un point de vue micro-économique
mais également externe macro-économique, ainsi que
l’ensemble des valeurs et parties prenantes, pour les piloter au mieux.
A l’heure actuelle, peu d’approches proposent de faire le
lien entre les différents niveaux de performance possibles
et les différentes valeurs et parties prenantes.
En particulier, l’innovation est souvent considérée
comme un processus collectif et comme le résultat de la
capitalisation du travail en « réseau » d’acteurs hétérogènes (laboratoires publics, centres de recherche, industries,
utilisateurs…) (Callon et al., 1992). Cette coordination
demande une vision intégrée à la fois au niveau technologique interne des acteurs, mais également au niveau des
marchés et de l’environnement général du réseau. (Deltour, 2000) met en évidence les différents niveaux
d’analyse possibles de la gestion de l’innovation : « Dans
la littérature sur le management de l'innovation, il peut
être fait référence à au moins cinq niveaux d'analyse :
sectoriel, inter-organisationnel, organisationnel, intraorganisationnel et individuel ». Les pôles de compétitivité
favorisent différents types d’interactions entre leurs
membres (Carbonara, 2004) : il n’y a pas une typologie
unique de fonctionnement des pôles de compétitivité, ce
qui rend d’autant plus complexe l’appréciation de ces
interactions et de leur coordination.
A l’heure actuelle, très peu d’outils existent pour rendre
compte de l’ensemble des interactions de ce système
(Louazel, 1996). De plus, dans un contexte économique
instable, les entreprises doivent bien contrôler leurs coûts
et adapter leur production et leur organisation aux besoins changeant de leurs clients. Les entreprises ne peuvent plus concevoir des structures organisationnelles
rigides (Drucker, 1998) : pour rester compétitives, elles
doivent être adaptables et flexibles. Ces nouvelles structures organisationnelles « idéales » doivent prendre en
compte les attentes de toutes les parties prenantes de
l’organisation. Comme le spécifie (Drucker, 1993),
« l’organisation doit « se vendre » à ces membres – employés, volontaires ou collaborateurs, aussi bien et peutêtre avec plus d’attention qu’elle vend ses produits et
services. Elle doit attirer les gens, les retenir, les apprécier et les gratifier, les motiver, les servir et les satisfaire ».
Dans le cas des entreprises innovantes, le pilotage stratégique nécessite une attention toute particulière et encore
plus importante à la prise en compte de toutes les valeurs
autres que la valeur économique seule ne reflétant pas la
réelle performance de la production de connaissances
nouvelles (valeur scientifique, valeur sociétale…). Cette
analyse est d’autant plus fondée dans le cadre des pôles
de compétitivité, dont l’objectif principal est cette création de valeurs. De plus, le monde de l’innovation est un
monde mouvant et la flexibilité des outils de pilotage
stratégique est indispensable. Enfin, la concurrence actuelle présente dans les entreprises innovantes impose la
considération de l’ensemble des parties prenantes de ces
entreprises, ainsi que de leurs attentes.
Les limites des méthodes existantes, pour les entreprises
innovantes à l’heure des pôles de compétitivité, sont de
ne pas conserver une vision globale avec la prise en
compte de l’ensemble des valeurs, autres que les valeurs
micro-économiques, ou de perdre les liens entre stratégie
et niveau opérationnel en restreignant le périmètre
d’analyse à ce niveau opérationnel. L’analyse de la littérature existante sur le pilotage stratégique des entreprises
innovantes fait donc apparaître certains manques, en particulier en ce qui concerne la réalisation de modèles
quantitatifs intégrateurs permettant d’appréhender et de
comprendre le fonctionnement global de la création de
valeurs.
2. Méthodologie de la recherche
MIRCen est un centre de recherche intégré en imagerie
préclinique de thérapie génique et cellulaire dont
l’ouverture est prévue début 2008 au CEA de Fontenayaux-Roses (92). MIRCen a pour objectif principal de
faciliter et d’accélérer la création et le développement de
nouveaux médicaments et de nouvelles thérapies, grâce
au regroupement sur un même site géographique de compétences technologiques, de compétences médicales et
d’une forte culture industrielle. Il fait partie du pôle de
compétitivité Medicen Paris Région et du tripode NeuroSpin – SHFJ – MIRCen. Les maîtres-mots de ce projet
sont aujourd’hui « excellence scientifique », « innovation
à tous les niveaux » et « recherche transverse ». MIRCen
regroupe et capitalise des compétences existantes et en
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crée de nouvelles, en particulier autour de l’imagerie
médicale. Sa vocation est de devenir un pôle européen
voire mondial. Les techniques d’imagerie utilisées sont la
Résonance Magnétique Nucléaire et la Tomographie à
Emission de Positons. Le projet appartient à l’un des
quatre axes de développement prioritaires du CEA :
« technologies pour l’information et la santé » et résulte
de l’association de plusieurs acteurs. Il fonctionne en
étroite collaboration avec des institutions publiques, des
départements hospitaliers et d’autres pôles et réseaux
(contexte innovant). MIRCen représentera à terme environ 6 000 m², 80 permanents sur site et approximativement 150 personnes liées au projet : physiciens, mathématiciens, chimistes, neurobiologistes, pharmacologistes,
cliniciens, praticiens… Les thèmes de recherche sont des
tests pharmacologiques, les maladies cardiovasculaires,
les maladies du système nerveux central, les maladies
hépatiques et le SIDA. MIRCen a trois objectifs principaux : développer des recherches fondamentales, développer des thérapeutiques innovantes et développer et
valider de nouveaux outils d’imagerie. Mais ce n’est pas
seulement un pôle de développement. C’est également un
pôle de valorisation technologique et il possède différentes missions de formation. Performance, innovation et
création de valeurs sont donc pour ce centre de recherche
une priorité.
A l’origine de notre étude se trouve la volonté du CEA de
concevoir ce centre de recherche dans l’objectif de garantir un niveau de performance globale aussi bien du point
de vue de la création de valeur économique que de celui
de la création de valeurs scientifiques, sociétales et environnementales. L’objectif général de notre travail est de
proposer un mode de pilotage stratégique adapté. A travers cette étude, le CEA vise à trouver un moyen de
concilier au mieux la recherche préclinique, les nouvelles
technologies et les besoins des industriels.
De façon à appréhender les différents niveaux d’analyse
sur lesquels nous nous plaçons, nous travaillons, dans le
cadre d’un travail de thèse lancé en février 2006, en
étroite collaboration avec différentes personnes du CEA :
le responsable des partenariats industriels du centre CEA
de Fontenay-aux-Roses, le chef de projet scientifique du
futur centre de recherche MIRCen, le directeur de
l’Institut d’Imagerie BioMédicale du CEA, le directeur
du centre CEA de Fontenay-aux-Roses et le Directeuradjoint de la Direction des Sciences du Vivant du CEA.
Le choix de ces interlocuteurs privilégiés nous permet
d’avoir à la fois une vision opérationnelle technique,
opérationnelle organisationnelle et stratégique. A l’heure
actuelle, un exemple de ce futur centre de recherche
existe déjà au Service Hospitalier Frédéric Joliot (SHFJ)
à Orsay. Nous profitons donc de cette structure existante
pour nous immerger dans le domaine, ces contraintes, la
culture d’entreprise… L’étude dure en tout 3 ans ;
l’immersion sur le terrain a commencé en août 2006. Le
travail se répartit de deux façons : une moitié du temps
est passée sur le terrain à observer et à réaliser des entre-
tiens semi-directifs avec différents membres du SHFJ ;
l’autre moitié est passée en laboratoire.
La méthodologie de recherche-intervention convient particulièrement à l’analyse de la création de valeurs et du
pilotage de ce centre de recherche. En effet, elle s’appuie
sur une observation participative et un recueil de données
terrain durant la phase préliminaire de structuration de la
problématique à laquelle est confrontée l’entreprise. Dans
le cas présent, cela s’est traduit par plusieurs entretiens
semi-directifs, concernant les processus de l’entreprise,
son environnement, ses moyens…, étalés sur 4 mois, à
des niveaux hiérarchiques très variés. Nous avons ensuite
modélisé et mis en forme ces données en formulant une
solution adaptée répondant aux besoins de l’entreprise.
Les nouveaux démarches et outils développés sur ce cas
d’étude seront ensuite confrontés à d’autres cas
d’application. L’origine de cette analyse est ancrée dans
le problème du pilotage stratégique du centre de recherche MIRCen. L’élaboration de notre objet de recherche
s’est ainsi faite en grande partie au cours de l’immersion
terrain, à travers l’analyse des réels besoins et difficultés
rencontrés par les industriels à ce sujet. Au fur et à mesure de nos rencontres, le sujet d’étude a été délimité et
les solutions élaborées.
Etant dans une phase de conception, les processus de
MIRCen n’existent pas à l’heure actuelle. Nous avons
donc dû développer une méthode pour concevoir ces
processus. Le système MIRCen étant un système complexe au sens de (Le Moigne, 1999) et son environnement étant mouvant et pourtant très important à prendre
en compte, nous avons choisi de partir de l’approche
SCOS’ développée par (Bocquet et al., 2007) et de
l’adapter à la conception de systèmes organisationnels et
à la modélisation de la création de valeurs. Nos entretiens
semi-directifs se sont basés sur cette approche.
3. Résultats de la recherche
3.1 Pilotage stratégique par les valeurs
L’analyse de la littérature montre le manque de modes de
pilotage adaptés aux entreprises innovantes des pôles de
compétitivité. Celles-ci, caractérisées par la prise en
compte nécessaire de critères de performance autres que
le critère économique, par la mouvance de leur environnement, par la nécessité de ne pas dissocier vision locale
et vision globale, ainsi que par la complexité des interactions entre les partenaires de pôles, nécessitent un pilotage stratégique multicritère et multi-niveaux (local et
global).
Notre proposition consiste en un pilotage stratégique par
les valeurs (économiques, scientifiques, environnementales, sociétales…). Ce choix intègre donc l’aspect multicritère du pilotage. Une modélisation de la création de
valeurs de l’entreprise est alors nécessaire. Pour se faire,
la démarche utilisée doit intégrer quant à elle l’aspect
multi-niveaux (local et global) ainsi que gérer la complexité des interactions entre acteurs. C’est pour cela que
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Aude SCHINDLER
nous avons choisi une approche systémique, présentée
dans la partie suivante.
3.2 La méthode SCOS’D
Basée sur une approche systémique inspirée des travaux
de Jean-Louis Le Moigne, la méthode SCOS’D (Systemics for Complex Organisational Systems’ Design) que
nous proposons est une méthode de modélisation de la
création de valeurs permettant d’intégrer les points de
vue et attentes de l’ensemble des parties prenantes de
l’entreprise. Cette méthode peut également être utilisée
pour gérer l’évolution de la structure organisationnelle.
Elle permet d’intégrer les différents aspects de performance et de création de valeurs (développement durable,
protection de l’environnement, sécurité, hygiène, éthique,
conditions de travail…). La méthode suggérée consiste à
considérer simultanément le système et ses interfaces, ce
qui permet de conserver une vision globale du système.
Elle permet ainsi de couvrir l’ensemble des aspects du
centre de recherche MIRCen et de faire face à sa complexité.
Cette méthode consiste à partir des objectifs stratégiques
de l’organisation pour en tirer une décomposition en systèmes et phases. Pour chaque phase de chaque système,
elle consiste ensuite à lister les parties prenantes (clients
finaux, actionnaires, employés, humanité, fournisseurs,
concurrents et marché), puis leurs enjeux et de les formuler en livrables. Ces livrables sont alors homogénéisés,
puis les moyens nécessaires pour y répondre sont établis.
Grâce à la méthode SCOS’D, nous suggérons que les
entreprises peuvent instaurer un système de management
de leurs valeurs et développer des indicateurs de performance évolutifs, en particulier à travers un outil de pilotage tel que celui présenté dans la partie suivante.
3.3 L’outil SCOS’C²
L’outil de pilotage SCOS’C² (Systemics for Complex
Organisational Systems’ Command and Control) est en
cours de développement pour le centre de recherche intégré MIRCen. Il consiste en une base de données unique
regroupant toutes les informations nécessaires au pilotage
par les valeurs du centre de recherche intégré MIRCen,
permettant de réaliser des études de scenarii, des calculs
de coûts et de taux de charge, des bilans d’activité…
4. Validation des résultats et
perspectives de fin de thèse
Nous avons développé ces propositions grâce au début de
l’étude de cas MIRCen. La poursuite de cette étude est
une des perspectives de notre recherche.
Les premiers modèle et outil ont été réalisés pour le centre de recherche intégré MIRCen et ont aboutit à des résultats encourageants à étayer : il y a adéquation entre les
besoins industriels et les apports théoriques. Notre perspective est d’enrichir ces modèle et outil et de les valider
avec d’autres cas d’application ; deux sont d’ores et déjà
à l’étude : il s’agit du centre NeuroSpin du CEA de Saclay ainsi que du Service Hospitalier Frédéric Joliot à
Orsay. D’autres cas d’extension nous sont demandés.
Cette façon d’appréhender l’innovation devrait permettre
de représenter la création de valeurs de cette innovation.
Ces valeurs sont souvent très subjectives et non quantifiables directement ; il convient de mettre en place des
indicateurs de valeurs comparables entre eux et représentatifs de la réalité, ce qui est une des perspectives de notre
travail.
La capacité d’adaptation des organisations à
l’environnement peut être une de leurs forces. Elle est
selon (Le Masson et al., 2006) une des caractéristiques
des entreprises innovantes. L’approche SCOS’D et l’outil
de pilotage SCOS’C² proposés permettent de créer et de
piloter des structures adaptatives : si l’environnement du
système change, les implications de ce changement sur
les enjeux peuvent rapidement être décelées et évaluées et
les managers pourront ainsi réagir en conséquence. Cet
axe d’étude représente une autre perspective de notre
recherche.
Enfin, des ajustements du pilotage entre niveau local et
niveau global sont nécessaires et constituent une perspective supplémentaire de notre étude.
5. Conclusion : Limites et pistes
de recherche
Dans cet article, nous avons présenté une recherche exploratoire sur un outil de pilotage stratégique par les valeurs des entreprises innovantes et la méthode de modélisation de la création de valeurs incidente. Basée sur une
approche systémique inspirée des travaux de Jean -Louis
Le Moigne, la méthode SCOS’D permet d’intégrer les
points de vue et attentes de l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise. De plus, cette méthode peut être
utilisée pour gérer l’évolution de la structure organisationnelle. Grâce à elle, nous suggérons que les entreprises
peuvent instaurer un système de management de leurs
valeurs et développer des indicateurs de performance
évolutifs, en particulier à travers un outil de pilotage tel
que SCOS’C². Nous avons développé cette proposition
théorique grâce au début de l’étude de cas MIRCen.
La première limite de notre étude vient des cas
d’application, tous internes au CEA. L’extension des
résultats obtenus à d’autres centres de recherche, extérieurs au CEA et même extérieurs au domaine de
l’imagerie médicale, est une des principales pistes de
recherche future.
Ces résultats ont été obtenus pour des centres de recherche dans le cadre de pôles de compétitivité. Leur analyse
dans le cadre d’entreprises innovantes en général est une
autre piste de recherche possible.
Enfin, seuls les indicateurs de valeurs spécifiques au
CEA ont été développés. La complétion de ces indicateurs constitue également une piste de recherche à venir.
Modélisation technico-économique d’un pôle de compétence : application au centre de recherche intégré MIRCen
Aude SCHINDLER
6. Bibliographie
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Aude SCHINDLER