Pourquoi il faut adopter le projet d`Acte Uniforme de l`OHADA relatif

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Pourquoi il faut adopter le projet d`Acte Uniforme de l`OHADA relatif
mémoire du Conseiller honoraire Martin Kirsch,
architecte de l'intégration juridique africaine.
D octeu r en D roiL
Charaé d'enseia nemcnts à l'Uni versité de Paris 1
Panthéo n-Sorbonne
[email protected]/o
fr
e temps n'est pas éloigné où le professeur Guyon,
dans sa conclusion relative à la réflexion organisée par 1/\ssociation Capitant sur l'OHADA.
affirmait que « ce n'est un secret pour personne que si
le droit n'est pas une condition suffisante du développement, il en est une condition essentielle » 1• Récemment
formulés, mais non de façon isoléel, ces propos ont le
mérite de mettre l'accent sur la place et le poids de
l'outil juridique dans le développement des systèmes
économiques. C'en est pourtant un truisme : la vie
économique et financière des entreprises d'un pays
voire d'un groupe de pays considéré ne peut s'améliorer qu'à la condition de mettre à leur disposition des
normes d'application constante et homogène 3• Mieux,
l'homogénéité et la constance de l'activité normative
juridique sont davantage présentée comme un facteur
déterminant dans la création de la croissance et non
plus seulement dans son développement".
L
1 Yves Guyon.« Conclus io n )), in Petites Affic hes n° 205 du 13 octo bre 200 4,
pp. 59-63.
Comment pourrait-il en être autrement dans le champ
communautaire africain d'harmonisation ? Cela ne
peut nullement échapper que, dans l'espace européen
de réglementation, les dirigeants des exécutifs nationaux ont, très tôt5 , pris conscience de cette nécessité
régionale de réglementation pour légiférer sur les
normes du travail applicables aux pays membres du
groupement, créant un Code européen du travail aux
fins de rassurer et d'accroître la confiance des investisseurs étrangers ou autochtones, présents ou potentiels.
Les exemples peuvent être multipliés 6. Le lien d'interconnexion logique pertinente entre l'instauration de
règles harmonieuses de régulation et l'attractivité de
nouveaux investisseurs n'est plus essentiel à rappeler7 •
5 On ren voie à ce titre à la lecture la Charte soc iale e uropéenne ado ptée à Turin
le 16 octobre 198 1 qui constitue pour les droits économiques, sociaux et culture ls
ce que re présente la Con vent ion européenne de sauvegarde des dro its de l'homme
et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950 pout les droits
c iv il s et politiques: son pendant no rm atif instauré dan s le mê me cadre du Conseil
de l' Europe., qu ' il conv ie nt de bi en di stinguer du Conseil e uropéen. de la même
manière que la Charte sociale e uropéenne ne peut être confo ndue avec la Charte
sociale communautaire, de Strasbourg.
2 Cf. égaleme nt, Etienne Le Roy,« L'évolution de la justice traditionne lle e n
Afiique Francophone», Canadian Journal of African Studies, Vol. 9, n° 1, 197 5,
p. 75-87 ; comp. All iot Michel, « Protection de la personne et structure sociale>>
(Europe AtTique). Revue j utidiq ue et poli tique Indépendance et Coopération,
1982, p. 720 s.
3 Dans le même sens, il est poss ibl e de se ré férer aux Déclarations de Seydo u
Ba, ancien Président de la CCJA, 4e Conférence Internationale du Droit et de
~'1'b~8~mie, Paris Place de Droit, Paris du 15 au 17 novembre 2005 .
6 Po ur une vue d'ensemble v. :Sécurité jurid ique e t droit écono mique, actes
du colloque organisé les 26 et 27 Octobre 2006 à la faculté de droit de Sophia
Antipoli s, Ni ce 1 par le Centre de recherche e n dro it économique; sous la
coordinatio n de Laure nce Boy, Jean-Baptiste Rac ine, Fabri ce Siiriainen.
7 Pour acqui s de conscience e u éga rd aux caracté ri stiques endogènes de
l'Afrique :Alain Moyrand, « Réflex io ns sur l' introduc tion de PEtat de droit en
Afrique )), Re vue-africaine de droit internati o nal et comparé, juin 199 1, To me 3,
n°2, p. 269.
REVUE DE DROIT UNIFORME AFRICAIN 1 ACTUALITE TRIMESTRIELLE DE DROIT ET OE JURISPRUDENCE N' 005 2011
1'
Le but essentiel de la rédaction de cette contribution
est de montrer à toutes les parties en présence les
avantages majeurs devant découler de la prochaine
adoption du projet d/\cte uniforme de l'OHADA relatif au droit du travail, tant en se plaçant du côté des
salariés qu'en se positionnant dans le rang des entrepreneurs. Dans la perspective de l'adoption d'un tel
instrument capital dans la vie de l'organisation communautaire africaine, il est indispensable d'informer le
public sur les changements à venir. Or il se trouve que
ces changements sont davantage heureux que néfastes.
On a beau chercher dans ce projet d/\cte uniforme
relatif au droit du travail - dont le schéma fonctionne
qui plus est, comme une formalité de
ratification destinée à confirmer des
situations législatives pour l'essentiel
préexistantes dans les champs juridiques nationaux des États parties un point d'achoppemtent susceptible
de décourager de nouvels entrepreneurs ... en vain.
Le devoir d'information est assurément nécessaire à accomplir, pour dissiper les réticences ou hésitations encore observées ici et là dans la volonté
de donner vie à cette norme. Il en est
ainsi tant pour l'information que pour
la formation des juristes et élites africains, ainsi qu'il
fut affirmé avec une acuité particulière, dans les mots
sémillants du nouveau Directeur Général de l'Ecole
Régionale Supérieure de la Magistrature de l'OHADAB,
lors des interventions successives à la récente Conférence « Pour un développement de la recherche en Droit
OHADA».
L'économie générale du projet d'Acte uniforme de
l'OHADA doit être restituée du point de vue d'un travailliste comparatiste, qui possède une certaine expérience dans l'analyse des relations individuelles et
collectives du travail ou de l'emploi (1). Au-delà des
socles d'inquiétudes qui peuvent résulter de l'idée de
concrétiser ce projet, la lecture et l'examen minutieux
des prescriptions qu'il renferme incitent davantage à
entretenir une assurance plutôt que de se laisser ronger par le doute d'ordinaire véhiculé par l'inculture.
Bien au contraire, l'exercice de lecture et l'examen minutieux du texte poussent à souhaiter qu'il soit applicable et appliqué dans les brefs délais, tant il regorge
une utilité plurielle à déclinaison foisonnante pour les
plus vives aspirations de tous (Il).
1- ÉCONOMIE GÉNÉRALE DU PROJET
Il est un principe essentiel selon lequel la non connais8 Dr. Félix Onana Etoundi s'exprimait lors de la conférence organisée au Conseil
Supérieur du Notariat à Paris le vendredi 06 mai 20 Il .
12
sance d'un texte est de nature à susciter des appréhensions sur son objet L'œuvre primordiale de vulgarisation est indispensable à accomplir dans le contexte
actuel. qu'on pourrait dire en proie à une certaine méfiance. Pour le dire autrement, le caractère indispensable sinon nécessaire du besoin de vulgariser- dont il
n'est plus opportun de rappeler le dessein complémentaire de démocratisation - prend un relief particulier
sur le projet d'Acte relatif au droit du travail. Un bref
rappel du cadre institutionnel sui generis dans lequel
il a été pensé, permet de comprendre le bien-fondé de
la précision. Il en est de même pour l'invocation des
différentes hésitations ayant entouré les premières
tentatives liées à son adoption.
A. Cadre institutionnel sui generis
d'élaboration
du Projet
Le projet d'Acte uniforme de l'organisation communautaire africaine relatif au droit du travail épouse des spécificités certaines qui remontent aux
particularités inhérentes à l'organe
dont il émane. Son architecture en est
entièrement imprégnée.
1. Des particularités structurelles
dei'OHADA ...
L'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du
Droit des Affaires connaît bien des originalités. Encore
faudrait-il remonter à sa source pour s'en apercevoir.
Tout est parti du début des années 1990. En ce moment
alors caractérisé par l'orgueil contagieux des pays africains à une aspiration louable aux valeurs démocratiques du respect de l'État de droit, de la démocratie,
des droits des personnes et des libertés fondamentales9, la perspective de doter la zone franc 10 d'un outil
efficace de régulation et de réglementation des règles
de droit a conduit les Etats membres à confier au juge
Kéba MBAYE et à son «ami»" Martin KIRSCH, le projet
d'élaborer un instrument juridique d'envergure. L'objet principal de cette initiative était d'homogénéiser les
dispositions juridiques existantes à l'échelle africaine.
Résultat de cette collaboration fructueuse, l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Af-
9 Cf. O. Bourmaud, P. Quantin,« Le modèle et ses doubles: les Conférences
nationales en Afrique noire (1990-1991) ».in Yves Mény, Les politiques du
miméti sme institutionnel. La greffe et le rej et, Paris, L' Harmattan. 1993, p. 167.
10 Espace monétaire. mais aussi lingustique, puisque l'Afrique de l'Ouest et du
Centre francophone étaient concernés par le projrt à l'origine
Il Pour reprendre la formule employée par l'intéressé même à l'égard de ce
dernier
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faires, actuellement composée de 16 pays 12 mais appelée à s'élargir en raison des procédures d'adhésion en
cours 13, vit le jour.
Précisément, l'OHADA a été créée par le Traité de PortLouis (Île Maurice) du 17 octobre 1993, révisé le 17 octobre 2008 au Québec par les chefs des États membres.
A ce jour, l'espace géograhique OHADA abrite 105 millions d'habitants parlant au moins quarante langues
différentes. Ces objectifs sont déclinés comme suit :
trouver les solutions juridiques les meilleures et les
mettre à la disposition de tous les pays quelles que
soient leurs ressources humaines; instaurer la sécurité
juridique ; restaurer la sécurité judiciaire ; encourager
la délocalisation vers l'Afrique de certaines grandes entreprises; rétablir la confiance des chefs d'entreprises
et des investisseurs ; développer l'arbitrage en Afrique
; faciliter l'intégration économique sur le continent ;
renforcer l'unité africaine 14 •
Mais c'est à l'article 10 du Traité de
I'OHADA qu'il faut se référer pour
s'apercevoir de la véritable originalité
des textes de l'organisme. Cet article
dispose que « les Actes uniformes
de I'OHADA sont directement applicables et obligatoires dans les États
parties nonobstant toute disposition
contraire de droit interne, antérieure
ou postérieure ». Il s'agit là d'une différence fondamentale avec les autres
systèmes régionaux. Alors que le droit
communautaire européen se trouve
placé à certains égards « dans et sous la Constitution
française » 15 (par exemple 16), force est de constater
que les textes de I'OHADA (on pourrait aussi ajouter
12 Dont quatorze de la zone franc que sont: le Bénin, le Burkina-Faso, le
Cameroun, la Centrafrique, le Congo, la Côte-d'Ivoire, le Gabon, la Guinée
Bissau, la Guinée équatoriale, le Mal~ le Niger, le Sénégal, le Tchad et le Togo.
De même que deux autres utilisant des monnaies du nom de leur pays constitués
par la Guinée et les Îles Comores.
13 Et notamment de celles se situant à un niveau déjà avancé relatives à
l'admission de la RDC au sein de l'Organisation.
14 On en veut pour preuve les propos des deux grands inlassables artisans : Kéba
Mbaye, <<L'historique et les objectifs de l'OHADA >>, Petites Affiches, n° 205,
du 13 octobre 2004, pp 4-7 ; M. Kirsch « Historique de I'OHADA », Penant no
spécial OHADAo 0 827 mai -Août 1998 pp. 129.
15 P. CASSIA, «Le droit communautaire dans et sous la Constitution française>>,
RTD Eur. , n°212007 p. 3 78 s. ; << Le traité établissant une constitution pour
l'Europe et la Constitution française>>, JCP G 2005. L 108.
ll n'est d' ailleurs pas anodin de recourir aux solutions adoptées en Assemblée
Plénière par les hauts magistrats français dans l'arrêt Fraisse du 02 juin 2000,
(n°99-60.274) pour définitivement mettre fin aux conflits entre les dispositions
internes et les nonnes internationales.
16 Sans aucune prétention de prétendre à l'exhaustivité, on pourrait renvoyer aux
célèbres arrêts Solange Il du 22 octobre 1986 (dans l'ordre interne allemand) et à
la fameuse jurisprudence Fragd du 21 avril 1989 (dans le champ juridique italien).
la Charte de Banjul 17) sont directement applicables et
appliqués devant les tribunaux locaux dans les ordres
internes des États membres 18• L'adhésion des États
parties de I'OHADA participe d'un abandon concomitant de leur souveraineté nationale au profit d'une souveraineté supérieure d'obédience régionale 19 •
La conséquence plausible de cette particularité en est
que l'adoption des Actes uniformes au sein de l'organisation est soumise à la condition non pas de la majorité
ou de la majorité absolue 20 mais à celle de l'unanimité,
l'opposition d'un seul État suffisant à bloquer le processus de réception normative interne. Là est le point
d'ancrage relatif au projet dl\cte uniforme portant
droit du travail.
2 .... Aux spécificités normatives du projet di\cte
uniforme sur le droit du travail
L'idée d'adopter un Acte uniforme sur
le droit de travail ne faisait pas partie,
des aspirations exprimées par les artisans de I'OHADA. C'est seulement lors
de la Conférence des chefs d'États de
France et dl\frique, tenue à Libreville
les 5 et 6 octobre 1992 que cette idée
a été défendue, permettant l'inscription de la branche du droit du travail
dans les matières à harmoniser21 • Les
dirigeants politiques décidaient ainsi
d'intégrer le droit du travail dans le
domaine du droit des affaires, bien
que cela soit resté pendant longtemps
à l'état propédeutique. Surtout, n'est-il pas négligeable
de préciser que cette prise de position sur la nécessité d'adopter un Acte uniforme de I'OHADA relatif au
droit du travail était concomitante à l'enquête IFEJIUBlFRANCE, où il ressortait que 75% des entreprises
consultées jugeaient indispensables, pour la pérennité
des affaires, de mettre en place une réglementation
harmonieuse sur le droit du travail au sein de l'organisation communautaire africaine 22 •
17 Pour des exemples concrets sur les modalités de sa constitutionnalité dans les
pays africians, v. A. Badara Fall, « La Charte africaine des droits de l'homme et
des peuples :entre universalisme et régionalisme», Pouvoirs, 0°129, p. 97.
18 Ph. liger, Le droit des affaires en Afrique, Que sais - je?; PUF, p. 29.
19 A titre indicatif: :J .-J. Raynal,<< Intégration et souveraineté: le problème
de la constitutionnalité du traité OHADA >>, Penant 2000, p. 5.; D. Abarchi,
« La supranationalité de I'OHADA, Revue internationale de droit africain »,
EDJA, n°44, janviers-mars 2000, p. 7. ; G. Kenfack Douajni, << L'abandon de
souveraineté dans le traité OHADA )), Penant, \999, p. 125.
20 Qui constitue la condition requise pour adopter une décision au sein de la
Conférence des Chefs d'États et de gouvernements (Article 27 du Traité) ou
du Conseil des ministres de la Justice et des Finances (Article 28 du Traité),
étant nécessaire de préciser qu'auxjours d'aujourd'hui I'OHADA est composée
globalement de cinq organes (Article J du Traité).
21 Droit africain du travail, numéro spécial927-928,juillet-août 2003, éditions
Juris-Africa.
22 Florent Lager,« Le projet d'Acte unifonne OHADA droit du travail du 24
novembre 2006 permettra-t-il de faire rentrer l'économie informelle dans le
secteur fonnel ? >>, Penant 866, p. 92
REVUE DE DROIT UNIFORME AFRfCAIN 1 ACTUALITE TRIMESTRIELLE DE DROIT ET DE JURISPRUDENCE fr 005 2011
13
A-t-on ainsi été amene a mieux sa1s1r la passerelle
entre la matière du droit des affaires et la discipline du
droit du travail.
Après s'être décidé de la sorte, prenant conscience du
lien d'internormativité spécial qui existe entre les pratiques du commerce et la fonction de l'emploi, les décideurs africains devaient prolonger la réflexion dans le
même sens ; un séminaire fut organisé en 1997 sous
l'égide du Bureau International du Travail (BIT) et de
la Banque Mondiale (BM), partenaires distingués de
l'Organisation ; l'occasion offerte dans le cadre de ces
discussions avait permis de lever le voile sur les problèmes éventuels susceptibles d'être soulevés par la
tentative d'adoption d'un Acte uniforme sur le droit du
travail en Afrique : la nécessité liée à l'unanimité des
voies requises pour incorporer ce texte dans le rang
des outils du droit interne n'avait pas moins retenu
l'attention des participants au séminaire.
Deux ans plus tard, en mars 1999, au Conseil des ministres de la Justice et des Finances de I'OHADA, les
décideurs souligneront le caractère « délicat et complexe » du dossier. Ceci conduisit les autorités compétentes - dans le prisme d'un rayonnement de la
démocratie sociale et participative- à décider de commun accord d'instruire le Secrétaire Permanent« d'associer étroitement au processus d'harmonisation les
ministres chargés du travail et les partenaires sociaux
des Etats parties ».
Puis en février 2001, le BIT allait confier, une étude
au professeur Béraud laquelle était intitulée : « Étude
préalable à l'adoption d'un Acte uniforme en Droit du
travail dans le cadre de l'OHADA » 23 • Ce travail constitue une étape déterminante dans le processus d'élaboration de l'Acte uniforme relatif au droit du travail, eu
égard à la pertinence des analyses et des comparaisons
réalisées par l'auteur, entre les législations internes du
travail en vigueur dans chaque État membre et les propositions formulées en vue d'une optimisation et d'une
uniformisation des normes applicables au niveau communautaire.
L'aspect intelligible des propos de l'auteur était tel que,
sans tarder, en février 2002, le même organe normatif du groupement communautaire affirmait le besoin
pressant d'adopter un Acte uniforme en matière du
droit du travail qui « pourrait certainement couvrir
un ensemble de questions suffisamment conséquent
pour en faire un véritable Code du travail uniforme » 24,
à l'instar de ce qui existait déjà dans le cadre communautaire européen. Il est patent de constater les hésitations dont cette ambition réformatrice fera l'objet.
23 Consultable en ligne sur le site de l'Organisation internationale du travail
24 Professeur J.-M . Béraud, in Etude préalable à l'adoption d'un Acte uniforme
en Droit du travail dans le cadre de l'OHADA.
14
B. Les hésitations relatives au(x) projet(s) d~cte(s)
Après les remarquables travaux du Professeur Béraud,
on aurait pu s'attendre à une adoption rapide du projet d'Acte uniforme. L'option était sans doute convaincante, à la lecture des conclusions de l'auteur ci-dessus
cité, par ailleurs spécialiste distingué de la doctrine
travailliste du droit communautaire. L'échec des séminaires de Bamako, de Libreville et d'Abidjan ont pourtant eu raison de cet espoir.
1. L'échec des séminaires du Bamako et de Libreville
Suite à l'Étude préalable à l'adoption d'un Acte uniforme sur le droit du travail dans le cadre de I'OHADA.
un projet de rédaction d'Acte uniforme a été confié à
Madame Couty Fall, laquelle se chargea de le remettre,
ainsi qu'il était initialement prévu, aux commissions
nationales de I'OHADA en juillet 2003 25 • Ainsi, sur la
base du texte de Madame Couty Fall, composé de 480
articles, des assises furent programmées en Afrique de
l'Ouest et en Afrique Centrale en vue d'étudier les modalités de son adoption. Les 22, 23 et 24 juillet 2003, se
déroulait dans la Capitale malienne, un séminaire sous
régional réunissant notamment les membres des Commissions nationales de I'OHADN 6 • Etaient présents à
cette rencontre de Bamako, outre les représentants
tripartites 27 des différents États Parties de l'Afrique de
I'Ouest 28, Monsieur J. P. MARTRES, magistrat, conseiller technique au ministère de la justice représentant
la France, les délégués et représentants d'institutions
telles que la BCEAO, le BIT, le CIPRES, le JURISCOPE,
le PNUD, I'UEMOA, I'UNIDA, l'Union européenne 29 • Ce
séminaire 30 permit essentiellement de débattre de
l'économie générale du projet, mais seulement entre
les experts de l'Afrique de l'Ouest.
C'est du reste la raison pour laquelle, les 2, 3 et 4 septembre suivant, un autre séminaire fut organisé dans la
25 Droit afTicain du travail, numéro spécial 927-928, juillet-août 2003, édition
JurisAfTica
26 Précisons quelques mots sur les conditions administratives dans lesquelles
ces assises ont été organisées; tout était pensé avec minutie. La première journée
fut réservée à l'examen des 40 premiers articles de l'avant-projet de l'Acte. Au
cours de la deuxième journée l'on se concentra sur les articles 41ème au 176ème
du texte. De la sorte, les participants à cette rencontre s'attachèrent pendant la
troisième journée du 24 juillet à l'analyse des articles 176ème et suivants du texte
en gestation.
27 Composés des organisations syndicales des travailleurs des groupements
professionnels des employeurs et des mandataires du pouvoir exécutif.
28 Que sont le Béni~ le Burkina-Faso, la Cote d'ivoire, la Guinée Bissau, la
Guinée Conakry, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Togo.
29 Ce qui illustre, d ' une certaine manière, la volonté des membres de
l'Organisation de ne pas adopter des normes régionales incompatibles aux
prescriptions en vigueur aussi bien sur le plan international que sur celui
européen, dans les traces de « la standardisation des politiques institutionnelles>>.
JO Présidé par l'intellectuel gabonais Abel Mouloungui et dont le vice président
était le représentant du pays abritant la rencontre, le premier rapporteur étant
burk.inabais, monsieur Bakary Millogo et, le deuxième, le fonctionnaire Sylvère
Legba, ressortissant du Bénin.
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capitale gabonaise, pour recueillir les suggestions des
autres pays de li\frique centrale membre de I'OHADA.
Ce qui nous intéresse davantage ici, c'est la conclusion
issue des différentes discussions. Les participants aux
séminaires de Bamako et de Libreville avaient particulièrement clarifié leurs propos en des termes qui
auraient pu, une fois encore, nourrir l'espoir ; l'embellie projetée était de taille : « il reste maintenant à
organiser une dernière rencontre, réunissant les deux
groupes d'États parties, toujours sur une base tripartite, afin d'établir le projet qui sera soumis au Conseil
des Ministres de I'OHADA. On peut espérer que li\cte
uniforme OHADA portant droit du travail sera adopté
par le Conseil des Ministres de I'OHADA en 2004 et
pourra entrer en vigueur à partir de janvier 2005, dès
son adoption.
Mais c'est sans compter les tractations et rebondissements consécutifs, puisque le projet de Madame Couty
Fall sera remanié et réformé, par un comité présidé
par Me Marie-Andrée Ngwé, proposant à la place un
nouveau projet qui sera également discuté à l'occasion
d'autres rencontres.
2. L'échec du séminaire di\bidjan
A l'origine, le Comité de Me Maire-Andrée Ngwé devait
tenir une seule session de quatre jours pour analyser le
projet. Mais, étant donné le poids des tâches à accomplir, la justesse intenable de l'agenda, une deuxième
session de cinq jours a été organisée par le comité, en
présence du représentant du BIT. Le projet de Madame
Couty Fall du 24 juillet 2003 fut ainsi amendé, pour
donner lieu à une autre version, en date 24 novembre
2006. Les Actes de I'OHADA qui, on le sait maintenant,
ne peuvent être adoptés qu'à l'unanimité et, surtout,
étant d'applicabilité directe dans les espaces internes
des pays membres, il a fallu, ainsi que l'exige à juste
titre la procédure, envoyer cette dernière version au
Secrétariat Permanent de l'Organisation (sise à Yaoundé). Mais en raison des changements à la tête de l'exécutif de I'OHADA, le projet n'a été transmis aux Commissions nationales qu'en février 2007.
Comme pour le projet du 24 juillet, il est de l'ordre de
la procédure d'organiser un autre séminaire aux fins
de discuter de la nouvelle version du texte. Celui-ci
se déroula à Abidjan, les 12, 13, 14 et 15 mars 2007.
Au cours de cette rencontre, ayant porté sur l'objet de
la Connaissance des réalités et enjeux d'une législation
communautaire sur le droit du travail dans l'espace
OHADA, les décideurs de I'OHADA ont affirmé que :
« le présent texte apporte, surtout aux travailleurs,
des avantages indéniables à travers les innovations
constatées »3 1 ; mais ils n'ont pas moins ajouté une
autre précision sous forme d'aveu péremptoire : « il
n'en demeure pas moins qu'en se plaçant du côté des
employeurs, ce nouveau texte contient aussi de nombreuses dispositions au sujet desquelles des réserves
peuvent être émises » 32 • Et les acteurs communautaires
de conclure : « si une bonne protection sociale est nécessaire pour les travailleurs, une réglementation trop
protectrice freine ou empêche la venue de nouveaux
investisseurs. De même, elle pèse sur la gestion sociale
des entreprises déjà installées. En clair, une protection
sociale excessive est de nature à pénaliser l'emploi, et
par voie de conséquence, constitue un frein au développement économique >> 33 •
Comment ne pas dès lors parler d'« hésitations»- qui
s'apparentent en vérité à des incompréhensions - sur
le projet d'Acte uniforme de I'OHADA relatif au droit
du travail? Et que dire de la suite des évènements ! Le
Conseil des ministres a invité les États parties à accélérer l'examen des projets d'Acte en cours dont, notamment, celui établi en matière du droit du travail. Il était
également demandé à chaque État de transmettre ses
observations au Secrétariat Permanent au plus tard le
31 mars 2008 34• Le 20 décembre 2010, au cours de la
première Conférence des Chefs d'États et de gouvernements tenui à Ndjamena, les conclusions finales
de ces travauX'préliminaires 35 sur le projet di\cte uniforme portant droit du travail ont été déposées par
l'ensemble des États parties. Ce texte nécessite à l'évidence d'être adopté dans les brefs délais, en raison de
l'utilité plurielle qui le caractérise.
Il- UTILITÉ PLURIELLE DU PROJET
L'idée qui consiste à vouloir considérer le projet d'Acte
de I'OHADA relatif au droit du travail comme pouvant
constituer un frein au développement économique
(sans pour autant nommer concrètement la manière
dont il serait susceptible de provoquer un tel frein)
n'est pas conforme à la réalité. A rebours de ce qu'on
pourrait penser à titre liminaire, le projet di\cte uniforme portant droit du travail dispose d'une utilité tant
d'un point de vue économique (A) que sociale (B).
A. La dimension économique de l'utilité
Qu'on se souvienne des propos des entrepreneurs privés dans l'enquête IFEJI-UBIFRANCE qui témoigne de
la volonté majoritaire des entreprises consultées de
32 Ibid. Étant cependant nécessaire de préciser l'absence d' invocation formelle et
d 'énonciation concrète desdites éléments constitutifs des« réserves >>susceptibles
d'être émises à l'encontre de ce texte...
33 Ibid.
34 B. Martor, N. Pilkington, D. Sellers, S. Thouvenot; Le droit uniforme afiicain
des affaires issu de l'OHADA, litec, 2009, p. 31.
31 C( rapport de synthèse du séminaire disponible en ligne sur le site de
l'Organisation.
35 Dont les détails à ce propos sont disponibles sur le site de l'Organisation.
www.ohada.org
REVUE DE DROIT UNIFORME AFRICAIN 1 ACTUAUTE TRIMESTRIELLE DE DROIT ET DE JURISPRUDENCE N" 005 2011
15
voir adopter un Acte uniforme en particulier dans le
domaine du droit du travail. Non seulement l'entrée
en vigueur d'un Acte uniforme portant droit du travail
ne sera pas une protection sociale excessive conférée
aux travailleurs mais, au surplus, dans l'espace originel
africain, gangréné par la problématique récurrente de
l'activité informelle, ce nouvel outil permettra d'apporter d'avantage de sécurité juridique aux investisseurs
étrangers, ainsi qu'il s'apparente également à un élément d'intégration de l'économie informelle dans le
secteur formeP 6•
1. Un nouveau vecteur de sécurité juridique
L'un des principaux buts visés par la création de l'OHADA est d'apporter une sécurité à la fois juridique et
judiciaire aux personnes désirant s'investir en Afrique
pour entreprendre une activité économique déterminée37. Cela ressort clairement des termes du Traité de
Port Louis, récemment révisé 38. Au demeurant, la prépondérance d'une telle ambition s'est par ailleurs traduite par l'organisation, le 20 mars 2010, à l'Université
d'Aix-en-Provence, d'un Colloque international portant
sur le thème de l'OHADA et du droit des investissements39. Comme d'autres contributions d'envergure
l'on souligné avant nous 40, nous voulons en effet, faire
ici remarquer le lien de causalité, ce qu'on pourrait encore appeler la relation d'interconnexion logique pertinente existant entre la pérennité juridique et judiciaire
d'un environnement économique donné et l'attractivité des investissements étrangers en sa direction.
A l'heure où les rapports internationaux sont principalement caractérisés par un phénomène de mondialisation, une globalisation des échanges de plus en
plus accrus entre les différents pays, peut-on procéder
autrement ? Doit-on choisir de tourner éternellement
le dos à cette nécessité de l'évidence économique
qu'appelle l'adoption du projet d~cte uniforme de
l'OHADA relatif au droit du travail ? Il est en effet difficile de répondre par l'affirmative, tant l'expression de
la demande d'établir un tel Acte provient des investisseurs eux-mêmes. Dans le même prolongement d'idée,
il n'est sans doute pas nécessaire pour étayer ces propos de recourir aux procédés actuels de Responsabilité sociale des entreprises, qui visent à permettre
36 F. Lager,<< Le projet d' Acte uniforme OHADA droit du travail du 24
novembre 2006 permettra-t-il de faire rentrer l'économie infonneiJe dans le
secteur f'bnnel ? H, Penant 866. p. 85 s.
l'engagement volontaire des entreprises (très souvent
multinationales) sur le respect des droits, à expression individuelle et collective des personnes. Même si
ce procédé reste encore de nos jours, pour reprendre
l'expression du professeur Alain Supiot, « un symptôme du vertige institutionnel qui saisit les entreprises
fraîchement émancipées du cadre des États nations » 4 1,
il n'est sans doute pas moins révélateur de la dimension économique de l'utilité inhérente à l'adoption de
!~ete uniforme de l'OHADA relatif au droit du travail,
puisque les juges ordinaires n'hésitent plus désormais,
pour trancher les litiges dont ils sont saisir, à recourir à
la règle tu patere !egem quam ipse fecisti leur permettant de conférer une valeur juridique coercitive aux
engagements unilatéraux.
Mis à part ce rôle moteur de véritable catalyseur de
croissance économique et de pilier de développement
de l'activité commerciale que jouera l'entrée en vigueur
du projet d~cte uniforme relatif au droit du travail,
c'est davantage son effet bénéfique sur la résolution
du problème de l'informel et, plus concrètement, sur
l'intégration de l'économie informelle dans le secteur
formel par voie harmonisation qui plaide en sa faveur.
2. Un nouvel élément d'intégration de l'économie
informelle dans le secteur formel
Il s'agit là d'une dimension particulière qui doit inciter
à concrétiser le plus vite possible le texte du droit du
travail. Les chercheurs, observateurs, universitaires de
tous horizons, africains comme européens, ont depuis
toujours, aspiré à trouver une solution durable pour
lutter contre le problème du difficile enracinement
des droits fondamentaux des personnes dans les pays
africains, avec son corollaire constitué par le développement exponentiel de l'activité informelle 42 • Il paraît
relever d'une gageure - difficilement atteignable - de
vouloir lutter contre le problème de l'informel si l'on
se refuse à harmoniser la matière principale souche
de l'exclusion professionnelle : le facteur travail est
en effet le lieu de concentration des principaux faits
générateurs qui conduisent les individus à s'isoler
du cadre administratif préétabli ; sans un minimum
d'homogénéité des règles transcommunautaires applicables dans la discipline du droit du travail, on voit mal
comment le travailleur ou l'employeur informel (qui se
déplace aujourd'hui plus que naguère d'un pays A à un
pays 8) serait amené à délaisser son registre professionnel déréglé pour un autre registre non réglementé.
37 J. Issa Sayegh, <<L'intégration juridique des Etats africains de la Zone Franc >>,
Penant 823, p. 5 s.
38 F. Onaoa Etoundi, << La révision du Traité OHADA de Port Louis », Penant
865, p 397.
16
39 Colloque organisé par le Club OHADA d'Aix-en-Provence, et le CDE sous la
direction scientifique du Pr. Jacques MESTRE
41 A. Supio~ «Justice sociale et libération du commerce international »,op. cit.,
p. 141.
40 M. Akouété Akue, << Plaidoyer pour un espace OHADA plus attractif pour les
investissements étrangers », Rev. Lamy N•67-Janvier 201 0, p. 85
42 Cf. sur ce point les mémorables analyses du Professeur M. Samb, <<Réformes
et réception des droits fondamentaux du travail au Sénégal », Afrilex. 2000.
REVUE DE DROIT UNIFORME AFRICAIN 1 ACTUAUTE TRIMESTRIELLE DE DROIT ET DE JURISPRUDENCE N' 005 2011
A l'instar du Professeur Jean Paillusseau 43 , on pense
que l'établissement d'un fondement normatif harmonisé est une condition sine qua non pour lutter contre
le problème du secteur informel et pour permettre la
réalisation du précieux objectif d'intégration économique des États africains dans le concert actuel de la
globalisation des échanges. On ajoute comme l'auteur
qu'il faudra pour ce faire : « a-un droit unique ( ...) ;
b- un droit adapté au particularisme des économies
africaines ; c- un droit adapté aux besoins réels des
entreprises, en particulier dans le domaine du financement et du management ; d- un droit qui assure la
sécurité des créanciers, des tiers et des investisseurs ;
e- un droit qui peut favoriser et accompagner l'essor
économique de la région toute entière ».
Le problème crucial de l'informel, sur lequel les
auteurs se sont toujours penchés, trouve un des éléments de sa réponse dans l'adoption de l'Acte uniforme
visant la discipline du droit du travail. Il serait temps
d'en prendre conscience et d'en tirer
toutes les conséquences sur la dimension économique prépondérante de
ce projet, laquelle ne doit pas être
confondue avec son aspiration sociale.
B. La dimet}sion sociale de l'utilité
Le projet d~cte du 24 novembre 2006
a aussi une dimension sociale. Celuici est d'ailleurs l'objet du principal
procès souvent instruit par les divers
détracteurs à son encontre, voyant
en son sein un Acte destiné à la protection exclusive des prérogatives
humaines des salariés, alors qu'il vise
aussi à garantir les intérêts des entreprises.
1. La protection des salariés
Les frayeurs qui conduisent encore aujourd'hui à entretenir une méfiance à l'égard du texte de l'OHADA
portant droit du travail ne sont en réalité pas spécifiques aux dirigeants communautaires africains. Elles
proviennent d'un champ de réflexion extérieur. Ainsi,
un auteur ne devait pas s'embarrasser pour qualifier
les droits à enveloppe sociale comme étant des« droits
de nuisance » 44 (sic). Les droits à expression collective
des travailleurs qui, selon les formules du doyen JeanMaurice Verdier, représentent la catégorie des prérogatives humaines destinées à permettre aux libertés
individuelles des personnes de ne pas rester à la lisière
de l'entreprise 45 , vont en effet être considérées comme
des « sous-droits », voire de « l'infra-droits », certains
diront des « droits de seconde zone ».
Dans la même veine, le juriste de formation récipiendaire de l'un des premiers Prix Nobel d'Economie en
197 4, Friedrich Hayek, ne devait pas manquer d'associer ces libertés collectives au « principal exutoire de
l'émotion morale », « une idée atavique de justice distributive ».
L'intéressé estime en effet que les inégalités sociales
auxquelles ces droits sont censés répondre, ne sont
imputables à personne, et, par conséquent, qu'il n'est
personne à qui demander justice : ces inégalités sont
seulement le résultat de l'ordre spontané du marché.
Selon ses dires, l'intervention de l'État pour remédier
aux inégalités par la redistribution des droits sociaux
et la restauration des libertés collectives des travailleurs non seulement réduirait les libertés individuelles
des personnes, mais aussi ne serait pas en mesure de
réaliser son objectif de Justice sociale. Car, toujours selon l'auteur, les
inégalités sociales sont la condition
d'exercice des droits de l'homme en
ce qu'elles incitent l'individu à user
de ses pouvoirs de faire pour modifier
sa condition matérielle 46 • L'auteur va
même jusqu'à poser cette situation
des inégalités sociales comme étant
une condition normale de l'exercice des droits de la personnalité. Il
conviendrait donc, dans le prolongement de l'expression de cette pensée,
d'encourager l'accroissement des inégalités sociales plutôt que de souhaiter le contraire.
Or la pratique consistant à tenir le projet d'Acte uniforme de l'OHADA portant droit du travail pour exclusivement protecteur des droits des travailleurs,
conduit à donner quitus à une telle analyse. Cette pratique, par ailleurs davantage postulée que démontrée,
qui retarde de longue date l'harmonisation des règles
du droit du travail (dont il faut préciser la teneur substantielle des principes qu'elles édictent comparable
pour l'essentiel à celles déjà en vigueur dans la plupart
des ordres internes des États membres) aboutit, peu
ou prou, à ériger la Justice sociale au rang d'une« idée
atavique ». Ne faudrait-il pas faire écho aux propos du
Professeur Paul-Gérard Pougoué qui, pour appeler à
la nécessité d'adopter ce texte, dresse un constat pour
le moins amer : « en somme, les droits fondamentaux
de l'homme au travail n'mit jusqu'ici pas été le centre
45 J.-M. Verdier,« Du contrat au statut et du droit-indiv iduel aux libertés
publiques>>, JCP 1971. 1 2422.
43 Jean Paillusseau, << Le droit de I'OHADA - Un droit très important et
originalité, La semaine Juridique, n°44 du 28 octobre 2004, Supplément n°5, p
1-5.
46 F. Hayek, Droit, Légis lation et Liberté, PUF, 1980, La constitution de la
44 C. Atias, D. 04/ 12/1997, p. 386.
liberté, Litec, 1994.
REVUE DE DROIT UNIFORME AFRKAIN 1 ACTUALITE TRIMES TRIELLE DE DROIT ET DE JURISPRUDENCE N" 005 2011
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d'intérêt dans les traités africains. Il n'en a parfois été
question que parce qu'ils étaient un moyen de réaliser
des objectifs économiques. » 47 Ne convient-il pas de
donner suite aux souhaits du vice-doyen de l'Université de Ngaoundéré (Cameroun) pour qui, « annoncé
pour entrer en vigueur en début de l'année 2004, l'Acte
uniforme relatif au droit du travail tarde encore à voir
le jour. Son adoption est vivement attendue par les entreprises et les salariés. »48
Il est en effet réducteur de penser ce texte dans la
protection exclusive des droits des personnes placées
dans une relation de subordination par rapport à l'employeur, les entreprises ont également leur bénéfice à
tirer de son adoption.
2. Le bénéfice des employeurs
Les principaux arguments souvent invoqués à l'encontre de l'adoption du projet d'Acte uniforme de
l'OHADA tirent leur source dans les différentes thèses
d'hiérarchisations (formelle ou matérielle) des droits
des personnes 49 • Certaines prérogatives humaines,
d'ordre civil et politique, doivent être seules considérées comme de véritables droits fondamentaux, à
l'inverse d'autres, considérées comme pourvues d'un
certain coefficient de relativité, consacrées ultérieurement dans la plupart des pays européens, après la
Seconde Guerre mondiale. L'idée prédominante étant
alors que l'aspiration légitime des négociateurs à vouloir optimiser les avantages concurrentiels susceptibles de provenir des échanges économiques internationaux, s'oppose au besoin d'établir des règlements
constants dans la discipline du droit du travail. Deux
observations méritent d'être faites sur ces présupposés en ce qui concerne le texte du 24 novembre 2006.
47 P.-G . Pougoué, Les droits fondamentaux de l'homme au travail dans les traités
africain, in Mondialisation, travail et droits fondamentaux, !. Daugareilh (dir.), Éd.
Bruylant & L.G.DJ, 2005, p. 138.
48 Anathase foko, << La négociation collective en droit du travail : contribution à
l'analyse prospective des normes applicables à la veille de l'adoption d' un nouvel
Acte uniforme de I'OHADA >>, Penant 858, p 7.
49 Pour plus de détails : O. Rousseau, <<Les libertés individuelles et la dignité
de la personne humaine >>, in S. Guinchard, M. Haurichaux, Le grand oral :
Protection des libertés et droits fondamentaux, Paris, Montchrestien, 4e éd., p.
568.
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Il convient de préciser, en premier, le continuum juridique de la démocratie civile et politique et de la démocratie sociale. Les droits dits de la première génération,
trouvent leur prolongement dans ceux proclamés pour
l'essentiel après les douloureux événements de 19391945. Ils participent tous à un même dessein d'émancipation de l'être humain, même dans l'espace de l'entreprise, qui ne peut rester une zone de non-droit. Mieux,
les retombés d'une politique de promotion des intérêts
juridiquement protégés des personnes sur le bien être
de l'entreprise sont de plus en plus mis en exergue 50 •
Le professeur Pougoué, dans l'une de ces récentes
contributions, n'a pas manqué de souligner cette corrélation, précisant la manière dont la reconnaissance
des droits de l'homme au travail postule une kyrielle
d'objectifs relatifs à la protection du salarié, la régulation des conflits sociaux, la performance de même
que le progrès économique et financier de I'entreprise51. Aussi est-il nécessaire d'ajouter, en deuxième,
la nature particulière de cette demande de réglementation de la matière du droit du travail, qui provient
des entrepreneurs eux-mêmes. Il faut, en vérité, voir
dans cette initiative le motif le plus opérant versé au
débat de la finalité polymorphe des intérêts du projet
du 24 novembre 2006. L'intégration de l'Acte uniforme
de l'OHADA dans les dispositions de l'ordre interne des
États membres, requiert sans conteste une urgence.
Faudrait-il croire que les intéressés seraient incapables de défendre leurs propres avantages ! Espérons
en tout cas que ce texte puisse enfin voir le jour. Il en
résultera le progrès des droits des travailleurs et des
intérêts des employeurs aussi bien africains que du
reste des partenaires.
+
50 A titre indicative : !. Daugareilh, E. Poirier,<< Stratégie de développement et
réactualisation des droits économiques et sociaux l>, Conseil économique et social,
Comité des droits économiques, sociaux et culturels, 25e session N .U., Génève,
mai 2001, EC/12/2001 /5 GE.OI-409556 (f).
51 P.-G. POUGOUÉ, Nouveaux enjeux du droit du travail en Afrique noire
francophone et dynamique syndicale, in Droit syndical et droit de l'homme à
l'aube du XXe siècle, Mélanges en hommage à J.-M. VERDIER, Dalloz, p. 128.
À rappr. !. Daugareilh, E. Poirier, << Stratégie de développement et réactualisation
des droits économiques et sociaux >>, Conseil économique et social, Comité des
droits économiques, sociaux et culturels, 25e session N.U., Génève, mai 2001,
EC/1212001/5 GE.OI-409556 (f).
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