Louise Labé - Le blog de Jocelyne Vilmin

Transcription

Louise Labé - Le blog de Jocelyne Vilmin
Lecture analytique 1 - Louise LABÉ (1524-1566), Sonnets (1555), XI
Question : comment ce poème traduit-il les tourments de l’amante ?
Introduction
quelques mots sur l’auteur : Louise Labé est une poétesse de l’École lyonnaise, qui regroupe des
humanistes du XVIe siècle comme Maurice Scève ou Pernette du Guillet. Inspirés par Pétrarque et son
Canzoniere, ils composent des poèmes d’amour. Louise Labé est l’auteur d’une seule œuvre comportant
Le Débat de Folie et Amour, trois Élégies et vingt-quatre Sonnets.
Présentation du poème : Ce sonnet en décasyllabes « Ô doux regards, ô yeux pleins de beauté » est
le onzième du recueil et reprend un thème constant dans l’œuvre de Louise Labé : le déchirement de
l’amante. Ici le plaisir du regard s’oppose au tourment du cœur.
- lecture
- Reprise de la question et annonce du plan : À travers l’explication linéaire du poème, nous verrons
comment se dévoile la souffrance de la femme aimante. En effet, ce sonnet décrit dans les quatrains les
raisons de la souffrance : les yeux de l’être aimé source d’un plaisir visuel ; le cœur souffrant de l’amante
puis les tercets insistent sur la conséquence de ce déchirement.
I – Les quatrains
Ils sont construits sur l’anaphore du « Ô » lyrique : les premiers vers des deux quatrains comportent
cette anaphore à l’initiale du vers et à la césure, à la quatrième syllabe :
« Ô doux regards, ô yeux pleins de beauté » / « Ô cœur félon, ô rude cruauté »
L’opposition « doux regards » / « cœur félon » ; « yeux pleins de beauté »/ »rude cruauté » structure le
poème.
La ponctuation est forte : le point d’exclamation témoigne de l’emprise des sentiments
1er quatrain :
énonciation : il s’agit d’une apostrophe aux yeux de l’être aimé
le quatrain joue sur les regards : ceux de l’aimé « doux regards, yeux plein de beauté » / ceux de
l’amante « mon œil ». Le regard semble être la source de l’amour.
Les yeux de l’être aimé suscitent l’admiration de l’amante : le lexique est mélioratif :
➜ Au premier vers, les caractéristiques des yeux de l’être aimé sont évoquées par l’adjectif « doux » et le
complément du nom « pleins de beauté » (hyperbole ) ; au deuxième vers la métaphore est méliorative :
image gracieuse « petits jardins » : image aussi d’intimité que continue la personnification « fleurs
amoureuses »
Les sonorités sont douces : assonances en (in) : « pleins », « jardins » ; en (ou ) : « doux »,
« amoureuses »
Dans les vers 3 et 4, intervient ce qui va ternir ce plaisir des yeux : Amour et ses « flèches dangereuses » ;
il s’agit de la représentation du dieu Amour ou Éros et de son pouvoir de faire naître l’amour,
représentation inspirée de l’antiquité.
- L’inversion des constituants du GN : « d’Amour les flèches » au lieu de les flèches d’Amour place
« Amour » à la césure et le met ainsi en relief.
« mon œil s’est arrêté » : l’amante n’est pas maîtresse de ses émotions : « mon œil » est sujet, ce
n’est qu’une partie d’elle-même qu’elle ne maîtrise pas ; elle est victime de son attirance pour la beauté
de l’être aimé
dans ces deux derniers vers, les allitérations en « r » soulignent le danger de cet amour : « d’Amour »,
« dangereuses », « voir », « arrêté » ; de même que le « t » répété au début et à l’initiale et à la finale
du vers « tant », « arrêté »
2ème quatrain
énonciation : cette fois, c’est le cœur de l’amante qui est apostrophé. On constate une similitude de
construction avec le premier quatrain :
« Ô doux regards, ô yeux pleins de beauté » / « Ô cœur félon, ô rude cruauté »
➜ les termes dans l’un et l’autre vers caractérisent ce dont il est question dans une construction en chiasme :
vers 1 : ô + adjectif + nom , ô + nom + adjectif
vers 5 : ô + nom + adjectif, ô + adjectif + nom
ce deuxième quatrain est consacré aux tourments de l’amour
➜ lexique de la douleur : « rude », « façons rigoureuses », « larmes langoureuses», « ardeur »,
« tourmenté »
➜ mots très forts : « félon », « cruauté »
➜l’image du feu « ardeur » (chaleur vive) : « ardre » : brûler caractérise l’intensité de la douleur
➜ anaphore « tant » : insistance sur la servitude « tant tu me tiens » et ses conséquences : le désespoir
« tant j’ai coulé »
➜ dépossession de la volonté : jeu sur « tu »/ »je » : « tu me tiens » / « j’ai coulé »
la douleur est soulignée par les allitérations en « r », en « t » ; les mots à la rime, et donc mis en
valeur, illustrent tous l’intensité des sentiments : « cruauté », « rigoureuses », « langoureuses »,
« tourmenté »
Là encore, l’amante n’est pas maîtresse d’elle-même : elle subit sa passion, elle en est prisonnière : « sentant
l’ardeur de mon cœur tourmenté » : le verbe « sentant » insiste sur la sensation et non la volonté ; le mot
« tourment » est synonyme de « torture »
II – Les tercets
amènent la conséquence des deux quatrains par l’emploi de « doncques » à l’initiale
l’opposition plaisir/douleur est clairement énoncée
élargissement et appel à l’auditoire ou au lectorat
1ère phrase :
énonciation : v. 9 : apostrophe aux yeux de l’amante à la 2ème personne du pluriel : « mes yeux » + « tant de
plaisir avez » : « par ces yeux recevez »
conclusion logique « doncques »
la réciprocité des regards de l’amant et de l’amante est soulignée : « mes yeux » / « ces yeux »
la première partie de la phrase, jusqu’au point-virgule, met l’accent sur le plaisir : anaphore de
« tant » + mots caractérisant le bonheur « plaisir » v. 9, « bons tours » v.10
on peut aussi constater les allitérations douces en [S] (ces yeux recevez » et [Z] (« yeux », « plaisir »
énonciation : v. 11 : apostrophe au cœur de l’amante à la deuxième personne du singulier : « toi, mon cœur »
+ « vois », « languis », « as »
le vers 11 marque l’opposition : « mais » : au plaisir des yeux répond la douleur de plus en plus intense
de l’amour comme le montre l’anaphore : « plus… » 3 fois, v.11 et 12 et chaque fois soit à l’initiale soit
à la césure.
Les allitérations en [K] (« cœur », « complaire ») et en [P] (plus », « complaire », « plus », « plus »)
2ème phrase :
énonciation : v. 13 : apostrophe aux lecteurs « devinez » : appel à la compassion
déduction marquée « or »
mise en évidence des conséquences de la passion : l’être aimant est déchiré sans qu’elle puisse agir ;
le dernier vers contient les deux constituants de son être qui s’opposent : « mon œil » / « mon cœur »
et le poème se termine par le mot « contraire » qui résume à lui seul les tourments de l’amante.
Les sonorités traduisent ce mal-être : succession de voyelles qui sonnent désagréablement : « si je
suis aise aussi », « à mon œil être à »
Conclusion :
Ainsi ce sonnet parfaitement régulier traduit les tourments éprouvés par la poétesse : dans un premier temps,
il énonce les causes de cette souffrance puis en énonce les conséquences.
Louise Labé est connue pour sa poésie sensible, personnelle, souvent sensuelle. Ici, elle s’inscrit dans la
tradition pétrarquiste : le regard fait naître l’amour qui est source tout à la fois de bonheur et de souffrance.