Dossier Finance - Bank Of Africa

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Dossier Finance - Bank Of Africa
Dossier
ÉRIC LEGOUHY/BOA
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Finance
EXPANSION
RÉGIONALE
Au Nord, tous !
PORTRAIT
Le tsunami
Sanusi
p Le Marocain
a pris les rênes
de la filiale africaine
de BMCE Bank
en 2011.
N O 2732 • DU 19 AU 25 MAI 2013
JEUNE AFRIQUE
CHINAFRIQUE
Ces banques qui
œuvrent dans l’ombre
MAROC
Au cœur de la
salle des marchés
PRIVATE EQUITY
I&P invente
l’investissement sociétal
BOURSE
Place aux petites
entreprises
INTERVIEW
Mohamed Bennani
« Le modèle des banques
marocaines mérite d’être adapté
au sud du Sahara »
Alors que les résultats de Bank of Africa sont positifs,
le PDG du groupe fixe le cap : s’implanter dans les
économies africaines, séduire le grand public et développer
une véritable stratégie de banque universelle.
D
Propos recueillis par
FRÉDÉRIC MAURY
iscret, Mohamed Bennani l’avait
été jusqu’à présent. Le patron du
groupe Bank of Africa (BOA),
nommé PDG en janvier 2011,
entre dans la lumière médiatique
en accordant à Jeune Afrique son
premier entretien depuis sa prise de fonctions. Le
moment est propice: BOA est à présent le premier
contributeur aux bénéfices du marocain BMCE
Bank, son actionnaire majoritaire (68,55 % des
parts). En trois ans, le produit net bancaire a bondi
de 77 %, les profits de 62 %, le nombre de comptes a
doublé et celui des agences a progressé de 71 %. Les
fonds propres, très modestes il y a quelques années,
dépassent désormais les 450 millions d’euros.
Pour le groupe bancaire panafricain, beaucoup
de choses se jouent maintenant. Le succès futur de
BOA dépendra en effet de sa capacité à développer
enfin une véritable stratégie de banque universelle:
bancariser, fidéliser le grand public d’un côté, servir
au mieux les entreprises de l’autre. Les plans sont
là. Reste à faire adhérer les 4 900 collaborateurs à
ce nouveau modèle tout droit inspiré des banques
marocaines, grâce auxquelles une personne sur
deux dispose aujourd’hui d’un compte dans le
royaume, contre une sur quatre il y a dix ans.
Développements au Cameroun, au Nigeria ou en
Guinée équatoriale, maîtrise des risques, retrait des
banques françaises, panafricanisme… Mohamed
Bennani nous a reçu dans les locaux parisiens du
groupe, à deux pas de la place Vendôme.
JEUNE AFRIQUE
JEUNE AFRIQUE : Vous êtes à la tête de Bank of
Africa depuis deux ans maintenant. Quelle a été
votre priorité durant cette période ?
MOHAMED BENNANI: Avant d’en prendre la tête,
je connaissais Bank of Africa depuis 2008, année où
j’ai été nommé administrateur. Je le suis également
pour la plupart de ses filiales depuis 2010. Aussi
avais-je conscience des points forts et des faiblesses
du groupe. Et nous avions les idées claires sur les
actions à entreprendre rapidement, des quick wins,
et sur les plans à mettre en place, pour assurer dans
de bonnes conditions la transposition du modèle
de banque universelle de BMCE Bank.
Des exemples pratiques ?
Nous avons adapté et précisé la politique de
collecte et de rémunération des dépôts à terme,
ce qui s’est traduit rapidement par une baisse
des charges. Nous avons spécialisé les réseaux en
distinguant des équipes consacrées à la banque de
détail et d’autres aux entreprises. Nous avons enrichi
la palette des produits destinés aux particuliers et
ouvert des centres d’affaires pour les entreprises.
J’avais conscience des points forts
et des faiblesses du groupe.
Ce fut un changement dans la continuité ou dans
la rupture ?
Les deux à la fois. La continuité car quelque
chose de solide a été construit avec des équipes
engagées de qualité. Il a surtout fallu leur apprendre
à travailler ensemble. Nous avions également un
système informatique performant, mais perfectible,
notamment sur le plan de la sécurité. Nous disposions également d’un fonds de commerce riche et
diversifié, qu’il faut entretenir et développer, ainsi
que d’une présence panafricaine à la fois dans les
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pays francophones et dans les pays anglophones,
dans l’ouest comme dans l’est de l’Afrique. Le
changement a principalement porté sur la mise
en place d’un business model axé sur le développement de la banque de détail et de proximité et
sur le renforcement de la corporate bank, avec une
nouvelle approche de la relation avec la clientèle
et de la gestion du risque. De nouvelles pratiques
commerciales et managériales ont été instaurées.
SYLVAIN CHERKAOUI POUR J.A.
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En prenant les commandes du groupe, avez-vous
eu de mauvaises surprises ?
Non, pas vraiment, car avant d’acquérir en 2008
une participation au capital de BOA Group, une
due diligence [un audit] a été menée. En outre, un
cadre de BMCE Bank y a été détaché à partir de
juin 2008 en tant que directeur général adjoint.
p Le siège de la
filiale sénégalaise.
Globalement, les équipes sont restées stables ?
Il n’y a pas eu de changement au niveau des
directions, mais les structures centrales vont être
complétées prochainement et des cadres marocains viennent occuper certains postes. Je suis très
satisfait des équipes. Mon objectif est surtout de
les faire adhérer à un certain modèle de groupe,
centré sur la bancarisation.
Pourquoi BOA n’est-il pas présent dans la
Communauté économique et monétaire de
l’Afrique centrale ?
NousrecherchonsuneopportunitéauCameroun
depuisplusdequatreans,sanssuccès.Nousdéposons
début mai [entretien réalisé le 30 avril, NDLR] une
demandedelicenceauprèsdesautoritésmonétaires.
Notre maison mère BMCE Bank y est présente, elle,
depuis 2000 via sa filiale BMCE Capital. Et elle est au
Congo depuis 2004, via la Congolaise de banque.
Depuis l’année dernière, toutes les filiales du
groupe sont dotées de programmes triennaux.
Quelles en sont les grandes lignes ?
Ils visent le développement de la banque de
détail – à travers l’extension du réseau –, l’ouverture
massive de comptes, la fidélisation des clients, une
palette de produits de plus en plus riche et variée,
une qualité de service sans cesse améliorée, la
formation et la motivation financière des collaborateurs… Ainsi que le développement du portefeuille
des crédits aux particuliers et aux entreprises.
Jusqu’à présent, les fonds étaient investis dans des
bons du Trésor. Nous voulons insuffler une culture
du risque et d’intermédiation de crédit. Enfin, nous
visons une meilleure maîtrise des charges et la
professionnalisation de la fonction recouvrement.
Une banque doit-elle être aux deux ou trois premiers rangs dans les pays où elle opère ?
Nous avons une stratégie différente qui ne vise ni
le classement ni la part de marché. La banque, ce
n’est pas une question de compétition, car l’objectif
premier est d’avoir un établissement solide. Nous
ne sommes pas dans la course à la taille.
À de rares exceptions près, comme Madagascar ou
le Bénin, BOA fait rarement partie du trio de tête…
Nous sommes deuxième au Niger et au Burkina
Faso. Ce n’est pas la place sur le podium qui nous
intéresse, mais plutôt la taille critique par rapport
au potentiel d’un marché donné. Raison pour
laquelle nous allons à l’avenir nous développer
plus rapidement au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au
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Ghana, au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie.
Quant aux grands financements, nous y participons
par le biais de la syndication [prêt consenti par un
groupement de plusieurs établissements] entre les
différentes banques du groupe.
BOA en chiffres
(au 31/12/2012)
450 millions
d’euros
de fonds propres
4,38 milliards
d’euros
Pourquoi cette banque congolaise ne rejoint-elle
pas BOA ?
Parce que BMCE n’en est qu’un actionnaire
minoritaire et que les autres actionnaires ont leur
propre stratégie de développement. Ils nous accompagnent d’ailleurs au Cameroun.
de total de bilan
Allez-vous racheter la filiale de Société générale
en Guinée équatoriale ?
300,8 millions
d’euros
Au moment où je vous parle, nous sommes
d’accord sur 90 % des points.
de produit net
bancaire
56,2 millions
d’euros
de résultat net
1,43 million
de comptes
370 agences
4 900
collaborateurs
16 pays
De manière générale, êtes-vous satisfait de la
politique d’implantation de BOA ?
Très satisfait, en raison de la présence du groupe
aussi bien dans les zones francophones qu’anglophones, à l’est comme à l’ouest. Lorsque nous nous
sommes implantés au Ghana, il a été très facile de
constituer des équipes grâce à notre présence plus
ancienne dans d’autres pays anglophones.
Vous vous êtes implanté dans des petits pays.
Était-ce une bonne idée ?
Dans un pays comme Djibouti, il est difficile de
faire fonctionner notre business model, mais c’est
la porte vers l’Éthiopie. Chaque cas est unique.
Allez-vous acquérir la filiale de BNP Paribas aux
Comores ?
lll
JEUNE AFRIQUE
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Dossier Finance
Nous étions sur le point de le faire, mais l’accord
n’a finalement pas été possible. C’est un pays intéressant pour la clientèle de la diaspora en France.
Confirmez-vous l’introduction en Bourse du groupe
BOA ? Où ?
lll
Le sujet est régulièrement évoqué lors de nos
conseils d’administration. Ce sera fait quand nous
aurons atteint une certaine taille à l’échelle du
continent et terminé de mettre de l’ordre dans nos
participations. Le choix de la place ou des places
sera fait le moment venu.
Vous continuerez donc à vous installer dans des
petits pays ?
C’est possible. Mais notre volonté est d’abord de
nous implanter dans des pays à forte population,
où notre business model de banque universelle
peut beaucoup apporter.
Comment analysez-vous le retrait des banques
françaises et la montée des banques africaines,
notamment marocaines et nigérianes ?
Donc, après le Cameroun, le Nigeria ?
Pourquoi pas. Nous y étudions des dossiers.
Les banques françaises sont toujours là et sont
encore leaders sur certains marchés. En réalité,
si certains groupes se sont retirés, partiellement
ou totalement, c’est plutôt lié à une réglementation européenne de plus en plus stricte sur une
zone encore considérée comme à risques… Les
banques nigérianes, elles, ont été agressives ces
dernières années, mais la nouvelle réglementation
de la Banque centrale du Nigeria sur les fonds
propres les oblige à revoir leur stratégie. Elles ont
encore beaucoup à faire chez elles, en particulier
dans la banque de détail. Quant aux banques
marocaines – grâce notamment aux bonnes initiatives de Bank Al-Maghrib, la banque centrale
du Maroc –, elles sont plus rigoureuses dans
la gestion des risques et ont acquis un réel
savoir-faire dans le financement de projets
et la gestion de fonds d’investissement, mais
également en matière de bancarisation. Leur
modèle mérite d’être exporté et adapté aux
pays subsahariens.
Le panafricanisme reste votre stratégie ?
Oui, cela ne changera pas. Nous avons un
homme à la tête du groupe, le président Othman
Benjelloun, qui a une véritable passion africaine.
Depuis deux ans, l’agence de notation Fitch souligne le niveau insuffisant des fonds propres de
certaines de vos filiales et la concentration des
risques. N’est-ce pas le problème des banques
subsahariennes en général ?
Fitch se réfère à BOA Niger où, effectivement,
nousétionsassezjustesenmatièredefondspropres.
Mais les choses changent. Une augmentation de
capital a été décidée il y a quelques jours. Ailleurs,
nous respectons les ratios réglementaires, mais
nous nous fixons aussi des ratios internes qui se
rapprochent des normes internationales. D’ailleurs,
notre plan 2013-2015 prévoit une augmentation de
capital de la majorité des filiales bancaires pour une
enveloppe globale de plus de 80 millions d’euros.
En ce qui concerne la concentration des risques,
nous respectons les ratios réglementaires dans
chaque pays. Cela étant, ce phénomène est général
et atteint toute la profession en raison du nombre
limité de clients utilisant des crédits importants.
Comment les banques africaines peuvent-elles
enfin atteindre les niveaux de bancarisation
que connaît le Maroc par exemple ?
Vous approuvez donc la volonté d’un nombre
croissant d’autorités de contrôle d’augmenter
le capital requis ?
L’apport des actionnaires constitue à peine 10 %
à 12 % des risques que prennent les établissements
bancaires, le complément étant principalement
constitué par les dépôts de leurs clients, qui leur
font confiance. Il est donc normal que ce métier soit
régulé et contrôlé pour protéger leurs intérêts, mais
également pour assurer la pérennité du système
bancaire et donc du financement de l’économie.
Seriez-vous prêt à accueillir de nouveaux partenaires au capital de BOA ?
Nous sommes très satisfaits de notre actionnariat actuel mais, compte tenu de nos ambitions
de croissance, interne comme externe, à l’échelle
du continent, d’autres investisseurs pourraient
être appelés à participer au développement de
notre groupe.
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p Le groupe
multiplie les
initiatives pour
bancariser la
population.
C’est un travail à plusieurs: les administrations,
les banques centrales, les banques, les entreprises
privées
pr
et publiques. Au Maroc, le développement
du logement économique – et son financement
par les établissements bancaires, avec l’appui
des autorités et grâce à l’adaptation de certains
ratios réglementaires – a été déterminant pour la
ra
bancarisation des citoyens.
ban
L’Europe, premier partenaire de l’Afrique, est en
crise. La Chine a ralenti en 2012. Le ressentez-vous?
Oui. Et cela confirme le fait que l’Afrique et
les Africains doivent compter davantage sur
eux-mêmes et avoir confiance chacun dans leur
pays et dans leur avenir. Les grands groupes
privés nationaux devraient constituer le moteur
de l’investissement. Au Maroc, les autorités, les
banques et les opérateurs économiques sont
réellement disposés et préparés à accompagner
le développement et l’essor de notre continent à
travers l’investissement, les échanges commerciaux, la formation et le partage de leur savoir-faire
et de leur expérience. l
JEUNE AFRIQUE