Les PME, socle du développement économique en
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Les PME, socle du développement économique en
Dossier financement des pme en afrique Les PME, socle du développement économique en Afrique Paul Derremaux Président Bank of Africa Avec une implantation dans 11 pays africains, le groupe Bank of Africa est le seul établissement originaire d’Afrique francophone à pouvoir prétendre relever le défi de la consolidation du secteur bancaire, actuellement en cours. Comme ailleurs sur le continent, les PME occupent une place croissante dans la stratégie du groupe et constituent une clientèle de plus en plus prisée par les établissements. L ’émergence de champions continentaux et le durcissement de la concurrence, amènent les banques à adapter leur stratégie. C’est une donne du marché africain qui change : jusqu’à une période récente, les banquiers africains attendaient leurs clients dans leur bureau. Aujourd’hui, ils luttent pour aller chercher les clients où qu’ils soient. ■■Comment définiriez-vous une PME africaine ? En Afrique, presque toutes les entreprises peuvent être qualifiées de PME. Ce terme est souvent synonyme de propriétaire unique ou familial, de structure financière encore fragile, de forte dépendance de l’environnement. En dehors des entreprises filiales de groupes internationaux, la plupart des entreprises africaines présentent une ou plusieurs de ces caractéristiques qui amènent ainsi à les classer comme des PME. L’éventail des activités à financer est donc large. ■■Quelle est l’importance du marché des PME en Afrique ? 10 C’est un secteur fondamental, évidemment. Questions de définitions mises à part, leur financement est donc vital pour le progrès sur le continent. Certains secteurs, comme les télécoms, l’extraction minière ou la production de pétrole, essentiellement sur la base de grandes compagnies multinationales, sont appelés à se développer et le rôle des investisseurs nationaux, privés ou non, reste très souvent modeste. Sans le développement des PME, il n’y aura pas d’appareil industriel et commercial national capable de garantir un développement durable. ■■Quel type d’offre avez-vous mis en place pour les PME ? Nous progressons dans notre positionnement sur cette catégorie de clientèle, avec une approche que je crois fondamentale : celle du partage du risque entre un banquier local et un ou des bailleurs de fonds internationaux ou bilatéraux. Les encouragements de la Banque mondiale et d’autres initiatives, appelant à un développement des PME, sont très Banque Stratégie n° 263 octobre 2008 louables, mais ce développement a un coût élevé. Les banques ne peuvent pas le supporter seules. Nous mettons donc en place des projets pour partager ces financements avec des bailleurs. Nous avons pris cette initiative depuis près de vingt ans. Les premières opérations de ce genre ont été faites au Mali, avec l’Agence canadienne de développement international, ainsi qu’au Bénin, avec la Banque mondiale, dans les années 1990. Nous sommes en train de refaire un projet de ce type avec la BOA-Mali. Nous venons pour cela de signer un accord avec la SFI. C’est un système de partage des risques qui semble efficace, avec une assistance technique de spécialistes des PME imposée par la SFI. Nous sommes également en train d’élaborer un système de ce genre qui devrait fonctionner d’ici le début de 2009 dans nos quatre pays d’Afrique de l’Est. C’est un projet régional, toujours en partenariat avec la SFI. Nous espérons continuer sur d’autres pays avec éventuellement d’autres partenaires. Bank of Africa. Un champion continental ■■ Le groupe Bank of Africa (BOA), fondé en 1982 au Mali, est présent dans 11 pays (carte). Il compte aujourd’hui environ 2 300 collaborateurs, au sein de onze banques commerciales, trois sociétés de crédit-bail, deux sociétés d’assurance vie, deux sociétés d’investissement, une société de bourse, un bureau de représentation à Paris et une filiale informatique. En 2007, le total de bilan des BOA s’est accru de plus de 32 % à près de 2 milliards d’euros, poussé par une progression de la collecte d’environ 25 % et des crédits de plus de 36 %. Leur PNB, qui s’élève à 182,5 millions d’euros, a augmenté de 23 % ce qui, accompagné d’un volume de dotations annuelles aux provisions sur créances en souffrance et en régression par rapport à 2006, a permis de générer un résultat net en progression de 67 %. TUNISIE MAROC Sans le développement des PME, il n’y aura pas d’appareil industriel et commercial national capable de garantir un développement durable. ALGERIE LIBYE SAHARA OCC. MAURITANIE MALI NIGER TCHAD SENEGAL GAMBIE GUINEE-BISSAO GUINEE GHANA BENIN TOGO COTE D'IVOIRE SIERRA LEONE LIBERIA AGENCES COLLABORATEURS certains secteurs en particulier ? Il n’y a pas de secteur particulier. L’octroi d’un financement est lié à la solidité du projet et aux opportunités de marché. Seuls quelques secteurs sont interdits, afin de se conformer aux règles d’environnement international, comme la production et la commercialisation d’armes ainsi que le travail des enfants. Personnellement, j’aimerais favoriser les secteurs productifs, agricoles ou industriels. C’est difficile, car les investisseurs nationaux privilégient les projets dans les services, comme le tourisme et l’informatique. C’est dommage, mais les banques n’y peuvent rien. ■■Il y a quelques années, le capital inves- tissement était inexistant en Afrique. Les choses semblent évoluer dans ce domaine. Pourquoi ? De mémoire, l’un des points de départs les plus importants et les plus connus a été l’AIG Infrastructure Fund (AIG 1) qui a démarré au début des années 2000, avec plus de 300 millions de dollars d’inves- Bénin Burkina Faso Burundi Côte d'Ivoire Kenya Madagascar Mali Niger Sénégal Ouganda Tanzanie 18* 10 SOMALIE REP. CENTRAFRICAINE CAMEROUN 6 9 ANGOLA 152 NAMIBIE 94 55 732 KENYA ZAMBIE MALAWI ZIMBABWE BOTSWANA MADAGASCAR MOZAMBIQUE 231 AFRIQUE DU SUD 77 SWAZILAND LESOTHO 63 9 4 OUGANDA REP. DEM DU RWANDA CONGO BURUNDI TANZANIE 297 12 8 GABON ETHIOPIE 131 9 DJIBOUTI NIGERIA 340 47 ERYTHREE SOUDAN BURKINA CONGO ■■Financez-vous EGYPTE 182 101 * dont une agence de la banque de l'Habitat du Bénin (BHB). ■■En février 2008, la banque marocaine BMCE Bank est entrée au capital de BOA Holding, la holding du groupe BOA, à hauteur de 35 % de celui-ci. Selon les termes de l’accord conclu, tout projet de nouvelle banque commerciale en Afrique subsaharienne, entre le Maghreb et l’Afrique du Sud, sera un projet Bank of Africa. Les futures implantations de banques d’affaires initiées par Medicapital, banque d’investissement du groupe BMCE Bank, seront menées en joint venture avec le groupe BOA dans tous les pays où le groupe est présent 1. 1. Voir également le portrait de groupe de BMCE Bank paru dans le Revue Banque n° 704 de juillet 2008. Banque Stratégie n°263 octobre 2008 11 Dossier financement des pme en afrique Le capital investissement en Afrique ■■ Les fonds récoltés en Afrique subsaharienne ont crû de presque 200 % en 2006, atteignant 2,3 milliards de dollars. Ceci a fait passer la part de l’Afrique subsaharienne dans les fonds de capital-investissement dédiés aux marchés émergents à 7 %. Bien que ce taux soit bien loin des 58 % de l’Asie, il est comparable aux autres régions émergentes. Source : “Le capital-investissement : à la pointe des opportunités sous les cieux africains ?”, Thomas Dickinson, Repères n° 60, Centre de développement de l’OCDE, avril 2008. Capital-investissement dans les pays émergents (hors Asie) Fonds levés 2003-2006 USD milliards ■ 2003 ■ 2004 ■ 2005 ■ 2006 3,5 3 2,5 2 1,5 1 0,5 0 ECE & Russie Amérique latine & Caraïbes Moyen-Orient Afrique & Afrique du Nord subsaharienne Source : EMEA, 2007. tissement sur l’Afrique. Nous sommes d’ailleurs l’un des actionnaires de ce fonds, à hauteur de 2 millions de dollars. Nous étions une des seules banques africaines présentes au tour de table. Ces initiatives existent en Afrique de l’Ouest depuis quelque temps. En 1996, nous avons été actionnaires fondateurs d’un fonds qui s’appelle Cauris Investissement. Il est basé à Lomé et son principal promoteur est la Banque Ouest-Africaine de Développement (BOAD). Il est orienté avant tout sur des entreprises moyennes. Nous avons pu constater à quel point c’était difficile. C’est simplement alors que ce fonds approche de sa fin de vie, programmée pour 2010, que nous avons commencé à dégager une rentabilité globale positive grâce à quelques investissements. 12 Depuis quelques années, l’environnement économique de l’Afrique s’est amélioré. Le rythme de croissance s’est accéléré, même si l’embellie que certains annoncent est à mon avis exagérée par rapport à la réalité. La hausse des prix du pétrole a provoqué un afflux de liquidités important : malgré les grandes opportunités d’investissement en Asie et au Moyen-Orient, il est resté des excédents de capitaux qui ont été orientés vers l’Afrique. Les fonds d’investissement qui ont été créés à cet effet ont bien fonctionné dans l’ensemble, mais ils sont restés concentrés sur quelques secteurs de base assez rentables, notamment les télécoms et les mines. AIG 1 a eu un très bon taux de rentabilité, mais lié en bonne partie aux plus-values élevées dégagées par quelques sociétés de télécommunication. Banque Stratégie n° 263 octobre 2008 Ces différents éléments conjugués– un afflux de financement, une croissance plus marquée – ont amélioré les conditions de financement des acteurs économiques. Je pense cependant que la situation actuelle de raréfaction des liquidités va contribuer à un ralentissement. ■■Faites-vous également de la micro- finance ? Nous en faisons notamment à Madagascar. La banque que nous avons rachetée en 1999 faisait du microcrédit dans le milieu rural. Nous sommes aussi actionnaires d’une société de microfinance, toujours à Madagascar. Nous devrions à court terme devenir actionnaires d’une autre société en Afrique de l’Ouest. Nous faisons également du refinancement de sociétés de microfinance. Nous aimerions trouver un partenaire avec lequel passer un accord global de microfinance pour l’ensemble de notre groupe. C’est un secteur dans lequel nous souhaiterions aller de l’avant. En effet, ce secteur nous paraît constituer un point de passage intéressant entre le secteur informel et les banques, d’une part, un moyen de tirer celles-ci vers de nouveaux types de clientèle et, d’autre part, une approche pédagogique pour favoriser la culture financière des entrepreneurs. ■■Comment se passe une relation au quotidien avec un entrepreneur ? La dimension conseil est-elle plus importante ? Ce serait souhaitable, mais ce n’est pas toujours le cas. La réalité, ce sont des insatisfactions mutuelles de la part du banquier et de l’entrepreneur. Beaucoup d’entrepreneurs ne comprennent pas les contraintes qu’ils sont obligés de respecter pour que leur société vive. Lorsqu’ils le comprennent, il est parfois trop tard. Il faut également qu’ils apportent des moyens financiers à leur structure, car le banquier ne peut pas prendre tous les risques. Les banques doivent aussi faire des progrès dans leur rôle de conseil, pour améliorer le projet, rechercher des idées originales, en matière de garanties notamment, face aux difficultés multiples de mise en place de garanties immobilières en particulier. Beaucoup de choses restent à faire dans ce domaine. C’est pour cela que le financement de ces entreprises est le point le plus difficile de la vie d’un banquier en Afrique. Le fait que l’on ne soit pas encore arrivé à le résoudre complètement explique certainement la lenteur avec laquelle les choses évoluent sur le continent. Les banques doivent aussi faire des progrès dans leur rôle de conseil, pour améliorer le projet, rechercher des idées originales, en matière de garanties notamment, face aux difficultés multiples de mise en place de garanties immobilières en particulier. ■■Quels sont les marchés les plus matu- res dans vos pays d’implantation ? Vraisemblablement ceux d’Afrique de l’Est anglophone, et tout particulièrement le Kenya. Ce marché est extrêmement concurrentiel. Il est déjà très sophistiqué sur le plan des instruments. De tous les marchés sur lesquels nous sommes présents, c’est sans doute le marché leader. ■■Et les plus prometteurs en termes de potentiel ? Je pense à d’autres pays anglophones comme l’Ouganda et la Tanzanie. En Afrique de l’Ouest, le Burkina Faso connaît une régulière croissance, avec une stratégie économique assez claire. Beaucoup d’autres pays de la zone présentent de bonnes opportunités, si leur potentiel parvient à être exploité. À titre d’exemple, nous sommes présents au Niger depuis 1994 ; le pays traversait alors une phase très difficile, après la croissance et la prospérité apportées par la forte valeur de l’uranium. Depuis deux ans, les prix de l’uranium se redressent, beaucoup d’investissements se préparent. On parle de découvertes de gisements de pétrole. Si les soubassements économiques sont solides, les possibilités de développement sont importantes. Le Mali se trouve dans un cas de figure similaire. Il est le 3e producteur d’or d’Afrique, après l’Afrique du Sud et le Ghana. Il y a en outre le potentiel agricole énorme de la région de l’Office du Niger, située dans le centre du pays. Si l’on arrive à faire face à la crise du coton et à exploiter ce potentiel, ce pays, qui est au cœur de l’Afrique, a de bonnes potentialités en termes de communication et peut être un pôle important de développement. ■■La Côte d’Ivoire, où vous êtes présents, connaît des troubles politiques depuis plusieurs années. Qu’est-ce que cela implique pour une banque ? Nous avons connu toutes les vicissitudes que le pays a traversées depuis noël 1999. L’instabilité politique implique une grande vigilance dans le fonctionnement quotidien d’une banque et dans ses relations avec sa clientèle, notamment en matière de financement. Nous avons été obligés de freiner notre financement des PME, car ce sont elles qui ont le plus souffert de la crise, et nous avons nous-mêmes souffert en conséquence car nous avons eu un nombre croissant d’impayés. Nous sommes convaincus de la capacité du pays à s’extraire de cet état de crise. Nous avons donné la preuve que nous pouvions rester – la banque n’a jamais fermé un seul jour –, mais également que nous pouvions grandir, et investir. C’est ce que nous avons fait. Lorsque nous avons racheté la Banafrique en 1996, elle possédait un total de bilan de 10 milliards de francs CFA, nous étions à la dernière place des 12 banques qui existaient. À l’heure actuelle, nous avons un total de bilan de 180 milliards de FCFA, et nous sommes à la 6e place des 18 banques ivoiriennes. Il y avait une agence, nous en comptons neuf aujourd’hui, et nous sommes en train de nous implanter dans la zone nord du pays. Nous allons continuer à vivre, à investir, et à être un des éléments de la reprise économique du pays, que nous espérons maintenant proche. Il aura besoin de banques solides pour cela. ■■Il se dit que les femmes vont “sauver l’Afrique”, quelle est votre opinion ? La proportion de femmes entrepreneurs est très faible, sans doute en Afrique plus qu’ailleurs, peut-être parce que la société ne leur fait pas la part belle. Mais je suis assez d’accord sur le fait qu’il faudrait donner davantage de poids aux femmes dans la vie économique : elles ont un dynamisme, une volonté de faire et une énergie qui sont vitaux pour la société qu’elles dirigent. La réussite des femmes entrepreneurs est indéniable. Leur dépendance financière est réelle, vis-à-vis de leur famille ou d’usuriers. Elles ont tout intérêt à s’adresser à une banque : c’est plus intéressant malgré ce qui peut se dire, plus intéressant même qu’une société de microfinance. Nous essayons de favoriser les initiatives des femmes lorsque nous le pouvons. Nous sommes d’ailleurs en train de lancer un projet de prêt spécifique pour les femmes entrepreneurs au Mali. Je suis très attentif aux résultats de cette expérience, d’une part parce que je crois effectivement que les femmes joueront un rôle de plus en plus important dans les économies africaines, d’autre part, parce la spécialisation de produits, plus ou moins génériques comme les prêts, nous permettra de toucher une clientèle de plus en plus large et diversifiée. n Propos recueillis par Annick Masounave. Banque Stratégie n°263 octobre 2008 13