géopolitique du nigéria

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géopolitique du nigéria
GÉOPOLITIQUE
IEP 4 e année
Préparation du contrôle écrit*
À l'aide des informations contenues dans le dossier ci-joint
(et exclusivement celles-ci),
vous préparerez et apprendrez des fiches en vue de traiter
(si la matière est tirée au sort) le sujet suivant :
GÉOPOLITIQUE DU
NIGÉRIA
- Vous lirez attentivement la documentation et vous étudierez les cartes
pour recenser, conformément à la méthode d’analyse présentée et illustrée
en cours, les facteurs permettant d’expliquer la situation au Nigéria.
- Vous prendrez garde de n'oublier aucun domaine important.
- Vous préparerez et apprendrez des fiches regroupant et commentant les
informations retenues en vue de l’exercice de synthèse qui vous sera
proposé ultérieurement si la matière est tirée au sort.
----------------------------------------------------------* Les étudiants étrangers prépareront tous ce travail et ils
seront interrogés à l’oral sur ce dossier
NIGÉRIA :!
QUELQUES CARTES
POUR AIDER À
COMPRENDRE!
Atlas de l'Afrique, Paris, 2011, Éditions du Jaguar, p. 186!
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c6/!
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c6/!
Atlas du Nigeria, Paris, 2003, Éditions Jeune Afrique, p. 65!
Atlas du Nigeria, Paris, 2003, Éditions Jeune Afrique, p. 67!
Atlas de l'Afrique, Paris, 2011, É
Éditions du Jaguar, p. 188!
Atlas de l'Afrique, Paris, 2011, Éditions du Jaguar, p. 189!
Atlas du Nigeria, Paris, 2003, Éditions Jeune Afrique, p. 101!
Atlas du Nigeria, Paris, 2003, Éditions Jeune Afrique, p. 123!
Atlas de l'Afrique, Paris, 2011, Éditions du Jaguar, p. 187!
Alain Dubresson, Jean-Yves Marchal, !
Jean-Pierre Raison, !
Les Afriques au sud du Sahara, !
Géographie universelle, Paris 1994, Belin p. 96!
Population & Avenir, n° 682 (mars-avril 2007)!
http://news.bbc.co.uk/media/images/!
http://www.artheos.org/!
http://www.cosmovisions.com/Nigeria-CarteEthnographie.htm!
Atlas du 21e siècle, Paris, 2009, Nathan p. 120!
http://ddc.arte.tv/cartes/252!
http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-16510922!
http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-16510922!
http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-16510922!
Amaël Cattaruzza, Atlas
des guerres et conflits :
Un tour du monde
géopolitique, Paris, 2014,
Autrement, p. 63!
Amaël Cattaruzza, Atlas des guerres et conflits : Un tour du monde géopolitique,
Paris, 2014, Autrement p. 62!
http://www.arcre.org/2014/05/06/boko-haram-veut-traiter-les-lyceennesenlevees-en-esclaves/!
Baga !
avant et après!
l’attaque de !
Boko Haram!
Georges Duby (s. d.), Atlas historique mondial, Paris, 2011, Larousse, pp. 258-259!
Georges Duby (s. d.), Atlas historique mondial, Paris, 2011, Larousse, p. 278!
Georges Duby (s. d.), Atlas historique mondial, Paris, 2011, Larousse, p. 279!
Atlas du Nigeria, Paris, 2003, Éditions Jeune Afrique, p. 73!
Atlas du Nigeria, Paris, 2003, Éditions Jeune Afrique, p. 74!
Nigel Dalziel, The Penguin Historical Atlas of the British Empire!
London, 2006, Penguin, p. 72!
Nigel Dalziel, The Penguin Historical Atlas of the British Empire!
London, 2006, Penguin, p. 73!
Atlas des esclavages p. 24 & p. 36!
Nigel Dalziel, The Penguin Historical Atlas of the British Empire!
London, 2006, Penguin, p. 31 !
Atlas des guerres et des conflits p. 62!
Atlas des guerres et des conflits p. 42!
Atlas des esclavages pp. 82-83!
G E O G RAP
SOUS
HI E T]I\IVE
tA DIRECTION
RS E LLE
DE ROGER BRUNET
Les Afriques
ru sud du S ahata
ALAII\
DT]BRESSON
JEAN-YVES MARCHAL
JEA]\-PIERRE RAISON
ATTENTION : LES CHIFFRES SONT ANCIENS
ACTUALISEZ AVEC LE DOCUMENT SUIVANT
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PT]BLIÉ AVEC LE COI\COURS
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U CEI{TRE 1\ATIOI\IAL DU LIVRE
RECLT]S
I\igeia: l'Afrtque du nombre
d'un cinquième de la population totale de l'Afrique noire, le Nige4a est un géant
ümograpbique. Espace tripolaire subtilemenT gouuerné, grâce à un systèmefédéral com,plexe, le pays a connu.
dans les années 1970, la ricbesse par le pétrole, qui a donné I'illusion du deueloppement mais a surtout
engmdré une crise finAnci,ère, alimentaire et urbaine dont les conséquences sont difficiles à géru,
Riche à lui seul
«Ceux
Seul le pays yoruba, construit sur des cités-États, présente, sauf danq
qui rendent impossible le changement pacifique
rendent inévitable le changement violent».
l'Edo, une grande homogénéité ethnique. Côté nord, les Haoussa
Wole Sovtnrn
vivent à l'ombre de leurs conquérants fulani (peul) et ne sont majoritaires que dans moins de la moitié des États. Côté sud-est, les Igbo
sont majoritaires dans quatre États (Abia, Anambra, Enugu et Imo)
epuis sa création en l9l4,1e Nigeria connaît différentes tensions
mais sont en butte à l'hostilité de leurs voisins, qui les gênent dans
entre les enracinements multiples des groupes et la volonté de
leur désir d'expansion. Mis
Il
à
part le pays ibibio (État d'Akwa Ibom),
oscille en permanence entre la culture des
les périphéries moins denses sont devenues autant de zones de colo
tenoirs et celle des cités, entre une vision rurale bornée par un horizon
nisation pour les trois pôles, quand ceux-ci ont connu des phases
local ou régional et une tradition marchande internationale. Construit
d'expansion politique ou économique: une colonisation qui a suscite
sur le modèle d'un fédéralisme en trompe-l'æil, le Nigeria malaxe sans
résistances, replis sur soi, acculturation ou alliances défensives avec
anêt son espace politique de peur de le figer dans un mouvement tantôt
le pôle le plus éloigné contre le plus proche.
construire une nation.
girondin, tantôt jacobin, aidé en cela, depuis 1913, par l'argent du
pétrole, quelque peu tari aujourd'hui. La fédération affiche une inso-
Si l'espace nigérian est divisé par l'«Y>> Niger-Bénoué, grande voie
lente capacité à construire petit à petit, par-delà les aléas d'une histoire
fluviale navigable qui traverse le pays sur plus de 1 500 km, les berges
récente chaotique, un tenitoire, base de son affirmation nationale. Si le
des fleuves, quasi désertes, ne
passé n'avait été si prégnant dans la vie politique et culturelle
façonné par les constructions politiques anciennes, qui se sont préoc-
actuelle, on pourrait consid
*w
que la classique césure zonale
l'ont en aucune façon structuré.
cupées de tenir les routes marchandes tenestres,
qu'il
Il aélé
s'agisse des
commandée par les précipitations détermine seule les subdivisions du
États ayant affronté les conquérants britanniques (royaumes yoruba.
tenitoire nigérian. Les constructions politiques précoloniales et la
empires de Sokoto et du Bornou) ou de leurs anciens vassaux conune
référence ethnique ne constitueraient pas des horizons en apparence
les quat orzeÉtats haoussa, le royaume nupé ou encore celui du
pff
Bénin
indépassables si les colons britanniques et leurs héritiers n'en avaient
Rebutés par une côte basse à lagunes et à mangrove,
fait un usage inconsidéré pour consolider leurs visées hégémoniques
délicate à franchir, les populations nigérianes et le colonisateur britan-
plus que pour forger un tenitoire national. Ce qui divise, ce qui exclut
nique n'ont pas donné, sur la côte orientale, un nouveau souffle aur
ou ce qui unit est à rechercher dans ce passé revisité.
cités fluvio-maritimes esclavagistes du delta du Niger, de la Cross
une bane
River ou de l'empire aro, florissantes au xxe siècle, mais ont préféÉ
créer, de toutes pièces, des villes nouvelles à f intérieur: Onitsha
['esp îce tripolaire
Enugu, Aba, Oweni ou Port Harcourt. Peuplées par les anciens
esclaves igbo, plus prolifiques et plus dynamiques sous la colonisation
epuis fort longtemps, 1'espace nigérian est organisé par trois
que d'autres peuples, celles-ci sont devenues dominantes au détriment
pôles ayant chacun centre et périphérie: le Nord centré sur le
pays haoussa, le Sud-Ouest sur le pays yoruba et le Sud-Est sur le
de Calabar, capitale du protectorat nigérian à l'aube de la conquête
britannique, qui n'a plus d'arrière-pays depuis qu'en 1961 la Came-
pays igbo. Mal reliés entre eux, ces pôles sont loin d'être homogènes.
roons Provinc e a été rattachée à la fédération camerounaise.
UA
Nlgeria: l'Afrique du nambre
Tr- Loc Tchad
NTGER
I3.1 - Les trois pôles ethniques
du Nigeria
Entre les trors noyaux dense5
haoussa-peul, yoruba et igbo,
héritiers d' organ sations pol fttq ues
ayant su maîtnser le milieu et
capitalser /es hommes, et chacune
de leurs périphériet se forgent
alliances et oppositions qui
consoldent ou écartèlent le Nigeria.
BENIN
CAME ROU N
Limite d'Etot
-
les trois pôles
ethniquei
Villes
{en milliers d'hobitonts
Logos
(,rooo
()
Océon Atlantique
t/
O
}
Wcæur
O
@
@
5oo
200
100
Ainsi le Nigeria a-t-il tourné le dos à la mer pendant que la «chefferie
Limite de l'Étot
fédérol
Yorubo
lsbo
Hoousso-Peul
ffiPériphérie
C'est ainsi que les communautés païennes des savanes se sont réfu-
traditionnelle» a réussi à peser sur la vie politique et à occuper des
giées sur les plateaux, inselbergs ou montagnes qui émaillent le
positions de pouvoir en vue dans l'appareil administratif et écono-
Nigeria central, conservant leurs institutions, leurs rites et leur mode
mique. Le califat de Sokoto ne fut-il pas l'un des plus puissants États
de vie communautaire dans une grande frugalité, au prix de mille
de l'ère précoloniale, avec un tenitoire de plus de 400 000 km2,
innovations.
à
À leur pied s'étendent des espaces vides où la végétation est une niche écologique pour les glossines qui rendent la
Middle Belt insalubre tant aux animaux qu'aux hommes sur de
longue distance de la cola et des objets artisanaux produits dans les
vastes étendues. De même, dans la forêt, les Igbo, cible favorite des
villes passées sous son autorité? Comment construire le Nigeria
intermédiaires de la traite, n'ont eu d'autre issue que de s'enfoncer
contemporain sans donner leur part aux descendants des cavaliers
loin des fleuves, d'où venaient les chasseurs d'esclaves, dans
d'Usman dan Fodio et à ceux de la civilisation d'Ife?
formations végétales denses. Soumis à un prélèvement massif, ils
s'étendant de I'actuel Burkina-Faso au Cameroun central, diffusant
f islam par
ses prédicateurs (mallams) et permettant
le commerce
les
utilisèrent pourtant leur fécondité pour submerger et dominer à leur
La
craiHte de
la maladie du sommeil et les difficultés techniques
tour leurs voisins, anciens oppresseurs, qui ont pris leur revanche
d'aménagement des tenes fluviales et deltarques mises à part, les
lors de la guene du Biafra.
conditions écologiques générales noont guère pesé sur la répartition
du peuplement. En revanche, fuir les raids esclavagistes venant de la
Des minoritês gffafites de l'unitê nationale
côte ou des États constitués de f intérieur a été I'obsession des populations non organisées d'un pays qui a longtemps payé un lourd tribut
'N'existant
à la traite transatlantique et à I'approvisionnement en esclaves de la
plupart des États gueniers et marchands de la savane et de la forêt.
pas «en soi>>, l'ethnie est d'abord qualification de
f I l'extérieur et, en même temps, affirmation
Il
d'une différence
en résulte des distorsions géographiques étonnantes dans Ia répafii-
culturelle réelle ou supposée qui surgit quand des relations asymé-
tion d'un peuplement guidé par la recherche de la sécurité d'abord,
triques entre groupes sociaux prennent le pas sur le métissage, les
puis de la subsistance, et enfin de la salubrité écologique.
emprunts ou f intégration consensuelle. En fait, elle a servi d'abord à
171
quadriller le Nigeria grâce àl'indirect rule mise au point dès 1891 et
I
«gâteau national» en faveur de leur région. Le recours à
l'ethnie sert
la qéation
théorisée ensuite par lord Lugard, le premier haut-commissaire du
aussi les politiciens dans leurs intérêts de classe, par
Nigeria septentrional, devenu en 1914 gouverneur généralde la fédé-
réseaux étendus de clients et de protégés. Les Haoussa d'Ibadan en
ration nouvellement constituée à son initiative: au «gouvernement
ethnique» légitime ou créé de toutes pièces, comme celui des
sont un bon exemple. Ils cherchent à garder le monopole du groupe
de
sur certaines filières commerciales (cola, bétail), en interdisant
warrants chiefs du Sud-Est, d'assurer la régulation sociale locale; à la
l'accès aux autres musulmans influents. Dans les groupes scindés par
puissance colonisatrice le soin d'extraire les ressources et de réguler
la frontière internationale (Yoruba, Haoussa, Ekoi) se crée
les conflits intertribaux. Diviser et régner.
activité marchande d'autant plus dynamique qu'elle renforce la
communauté culturelle. Tant et si bien que le multipartisme à la
Aux origines des premières organisations de la vie politique actuelle,
l'Action Group ou le National Council of Nigerian Citizens (NCNC),
il faut rechercher le mouvement culturel pan-yoruba Egbe )mo
)dunwa et les associations d'Igbo (Tribal Unions) établies dans les
nigériane a bien du mal à promouvoir un gouvernement soucieux
une
d'une gestion saine et rigoureuse des affaires de l'Etat,
En raison du fractionnement ethnique et des rivalités, la classe politique
villes et les régions d'immigration à des fins d'entraide. Devenus
doit, pour assurer sa base régionale à l'intérieur d'un système décen-
partis politiques d'obédience régionaliste, ces mouvements se sont
tralisé, contracter alliance avec les groupes les plus éloignés de
transformés d'abord en machines de guene contre le colonisateur,
centres d'intérêt contre ses propres voisins:
puis en groupes de pression agissant pour un partage préférentiel du
I
172
ses
Ijo appuyés par les Haoussa
contre les Igbo, par exemple. Ceci a été institutionnalisé en 1979:
pour être élu président,
il faut en effet réunir au moins 25Vo des vorx
I
30 en
l99l), la réduction
autoritaire du nombre de partis (deux selon
succès. Ce système
la constitution de 1989, le Social Democratic Party et la National
Republican Convention) et le maintien du statut laiQue de la fédéra-
d'alliances permet aux petits groupes d'avoir un rôle hors de propor-
tion. L'annulation des résultats des élections présidentielles de 1993,
tion avec leur poids démographique, tant que les trois grands sont
rivaux. Au point que l'existence même du Nigeria serait le fait des
qui avaient vu la victoire d'un Yoruba musulman, et le maintien de
l'armée au pouvoir sonnent pour une durée indéterminée le glas de
ethnies minoritaires, plus soucieuses que les autres des avantages que
cette troisième république que les militaires voulaient contenir dans
procure l'intégrité du pays. Investissant la fonction publique fédérale
des
exprimées dans les deux tiers des États, ce qui conduit à rechercher
des relais hors de la région où
l'on est assuré du
limites constitutionnelles strictes.
et l'armée, elles se sont donné les moyens de faire prévaloir leur point
de vue quand la fédération s'adonne aux jeux dangereux des dissen-
L'islam, ptr son statut de première religion du pays, par le nombre
sions internes. En !954 pourtant,la constitution de Lyttleton donnait
des fidèles et I'ancienneté de leur conversion, aurait pu déstabiliser la
le pouvoir aux groupes dominants des trois grandes régions. Dans ce
construction toujours fragile de l'État, La fédération nigériane n'est-
schéma, Lagos, centre politique, ne disposait que d'une faible marge
elle pas la nation de confession islamique la plus peuplée du
de manæuvre.
Il
continent? On voit naître dans cette masse de fidèles différentes
façons de vivre leur religion: courant légitimiste du Nord qui
faudra les troubles de 1963 et la guene de sécession
de 1967 -1970 pour offrir aux «sans grade» l'occasion de participer au
D'où leur lutte pour un pouvoir fédéral fort, la multiplication
des États fédérés (5 en 1963,12en 1967,19 en 1976,2l en1987,
s'oppose à des courants insunectionnels au sein même de la région,
partage.
I
173
islam singulièrement plus tolérant du pays yoruba... Refuser la loi
:
[a gestion d'un désordre
I
e
Nigeria doit à lord Lugard la uéation de son entité tenitoriale à
^LJ partir de trois unités (ou régions) administrées indépendamment,
le «protectorat direct» du Sud, la concession privée du Nord, la
colonie de Lagos, et d'un mode de gestion indirecte favorisant les
notables en place. Le drainage économique vers l'extérieur a précédé
l'élaboration d'un cadre administratil et les points forts de ce réseau
n'ont guère changé avec le temps. Tout l'effort a consisté ensuite à
créer et à renforcer un système fédéral installé en 1954 et que les
Britanniques avaient voulu faible. C'est la guene du Biafra, «gueffe
de sécession» nigériane, qui permit au «quatrième quart» du Nigeria
d'affirmer la prééminence du central sur le régional. Structurée
autour du système urbain, du réseau de communications remodelé
en fonction des progrès techniques (du fleuve au rail, puis à la route),
I'organisation de l'espace a pris appui sur les pôles économiques
constitués autour des cultures de rente (cacao, coton, arachide) entre
1950 et 1973, puis du pétrole et de
f industrie: une organisation
destinée à drainer des rossources vers l'extérieur.
Le rail a facilement vaincu la voie d'eau dans les années 1920-1930,
puis la route a détrôné le rail à la fin des années 1950. Bien que Ie coût
du transport des marchandises par route ait été quatre fois supérieur à
celui du rail entre 196l et 1985, ce sont les routes qui ont bénéficié des
'y''CAMEROUN
investissements publics; leur kilométr age aété multiplié pw 2,6 entre
1950 et 1980, et celui des voies goudronnées par 16. Cependant, entre-
tenu par des autorités locales sans grands moyens propres, le réseau
routier de desserte demeure en revanche en piteux état.
IJorganisation coloniale de l'espace a contribué à creuser les dispa-
l3.I
rités économiques et sociales entre régions: plus grande concentration
- blam et ethnies
Pfernse religion du Nigeria, l'isbm
est majoritaire
du produit national à Lagos, retard du Nord ,partage inégal des dotations en infrastructures et des revenus favorisant le Sud-Ouest. Le
au Nord et
grisant au Sud-Ouest, où sa pratique esf toutefois plus
&Éante- Les nombreuses minorités ethniques militent pour
calcul économique des avantages comparatifs entre régions, celui de
un fËdBalisme prononcé, inégalement soucieuses d'une unité
rm-m,"rale que les particularismes haoussa-peul et igbo
ut
la dotation en ressources ne peuvent que privilégier les aires déjà
prfois menacée.
favorisées, rendant tout effort de réaménagement du tenitoire dispendieux et inefficace dans une économie de marché. Pour compenser le
retard économique du Nord conservateur, les Britanniques lui attribuèrent la prééminence politique et constitutionnelle.
inlamique pour l'ensemble du Nigeria, réprimer les courarits milléna-
Le dynamisme des sociétés civiles ne pouvait que mettre à mal cet
rises et fondamentalistes, faire entrer le Nord conservateur dans la
sæiété du xxe siècle en s'appuyant sur les «sans importance» et
dÉnoncer la «mafia» de la ville de Kaduna tout en passant des accords
ordre géographique favorable aux mieux situés par rapport à la côte
tr'æ elle, telle aété la stratégie des fédéralistes
et aux trois groupes dominants, en utilisant tous les instruments
disponibles. Voici des collectivités locales qui se veulent au-dessus de
dans les années 1980,
la mêlée sous f influence de la «chefferie traditionnelle», des partis
æll€s de tous les périls pour Ia fédération. En définitive, s'il appar-
politiques à base régionale exacerbant le sentiment ethnique et les
tient au pouvoir fédéral de désamorcer les conflits, d'apaiser les
lemsions et d'endiguer le flot montant des tentations centrifuges,
clivages subethniques dans la compétition pour le pouvoir, ou encore
!"aptrd des minoritaires n'est pas de trop dans cette création continue,
non-natifs. On ne trace pas impunément des frontières, on ne désigne
qur s'est accomplie jusqu'ici avec un certain succès. Jusqu'à quand?
et on ne crée pas des pôles et des axes privilégiés sans que des
des Étah fédérés prenant des mesures discriminatoires contre les
174
NIGER
13.3 - Prépondérance
du réseau routier
politique de grands
travaux publics, le réseau routier
bitumé esf /e plus dense d'Afrique
Favorisé par la
occidentale. Appuyé sur l'armature
urbaine, il draine les régions
d'agriculture d' exportation, le SudEst pétrolier et rayonne à partir des
noyaux industriels.
BENIN
CAMEROUN
)
Aumroun
Logos
Rogn rewfæ
-:=:-=:::
Océon Atlontique
o
Pish
VOie bnÉg
Næd rodicr
conflits ouverts ou feutrés ne s'instaurent. Au Nigeria, ce jeu se fait à
fédéralisme se construisant par scissiparités successives, encouragÉ
deux contre un, avec des alliances changeantes, les minoritaires obser-
vant le ring et sifflant les fins de round par militaires interposés. Au
par le mode de financement des États, selon le princip d'égalité
entre chacun, pondéré par la taille démographique pour 5t% dÊ la
point que ces derniers incarnent, plus que les civils, la rigueur dans la
dotation. On peut donc se demander si les mesures prises pour gercr
gestion et l'intérêt national face aux intérêts locaux ou régionaux.
le pluriculturalisme et les disparités ne vont pas conduire à une
désir
tégration par le bas en multipliant les frustrations. C'est pour æla
k
f
Nigeria actuel commença à voir le jour après le regroupement du
des processus de centralisation viennent s'opposer à ce démembre-
Sud et du Nord, en 1914, puis fut redécoupé en trois régions en 1939:
ment du pouvoir, en attribuant à l'échelon fédéral le soin de repdtir
le Nord, l'Ouest et l'Est. Le processus de décolonisation ne fit que
renforcer ce jeu tripolaire en concédant aux trois régions une forte
les fonds ou de prendre les décisions dans les secteurs stratégiques
autonomie, chacune utilisant les caisses florissantes des Marketing
les lieux du pouvoir
Boards (caisses de stabilisation des produits agricoles d'exportation)
pour se doter d'équipements sociaux et constituer une clientèle
p
I
autour du parti au pouvoir. Avec la création d'une quatrième région,
le Midwest, en 1963, et pour faire face aux menaces de sécession des
lus le nombre des États augmente, moins chacun dispose d'me
viabilité économique suffisante. Les nouveaux Etats dépendcil
trois premières régions qui se sont précisées en l966,le gouvernement fédéral se résolut à accentuer le côté fédéraliste de Ia
ment des ressources pétrolières et douanières, voire des emprms
constitution pour passer un cap difficile. Ainsi, la pondération
internationaux. Cette absence d'autonomie financière a conduit
géoethnique appliquée dans tous les domaines au nom du «caractère
déficit des finances publiques, tout aussi redoutable que la deue emÉ-
fédéral» du pays suscite de fortes tensions, dans la mesure où elle
rieure. À chaque (ÿat devait correspondre une communauté
de l'État central, qui leur attribue un budget provenant essentielk-
u
durcissement des clivages majoritaires est renforcé par le processus
relativement homogène. C'est loin d'être le cas, et I'on reFouve à
cette échelle I'abus de position dominante, le problème des grulpes
d'atomisation de l'espace politique qui se poursuit dans le cadre d'un
divisés, celui de la représentation des minorités ou les conllits
pose en principe f inégalité d'accès aux emplois et aux études. Le
175
:
claniques. Ces nouveaux Etats opposent des banières efficaces à la
mobilité des hommes, en raison de leurs pratiques discriminantes visà-vis de ressortissants d'autres Éhts.
Le transfert de la capitale fédérale à Abuja, dans la Middle Belt, à
480 km de Lagos, a été décidé en 1916 afin de séparer les pouvoirs
politique et économique et d'éloigner le gouvernement du groupe de
pression yoruba.La localisation, à 180 km au sud de Kaduna, a été
discutée. On avaitprojeté d'y installer 1,6 million de personnes pour
l'an 2000. Ce grand chantier coûteux, mis en sommeil en 1983, a été
réactivé en 1991 par la décision du transfert officiel du pouvoir politique. Fin 1993 toutefois, le nouveau pouvoir privilégiait encore
Lagos. Abuja, ville morte avant que d'avoir existé? En 1987 ,le Parle-
ment s'y installait et l'on y comptait 350 000 habitants en 1991,
essuyant les plâtres d'une
ville inachevée, construite sur 256 km2, en
quart de cercle, avec ses gratte-ciel et ses grands hôtels centraux, ses
quartiers résidentiels uniformes c-oupés en deux par une autoroute
urbaine et un espace non constructible.
féd*al tente d'imposer des
mythes fondateurs nationaux et de reconstituer sa marge de
manæuvre. Le passage de régimes civils (1960-1966 et 1979-1983)
à des régimes militaires participe d'un double mouvement: se
Par ce type de décision, le pouvoir
dégager des pesanteurs régionales pour être en mesure d'intervenir
dans celles-ci, calmer un jeu nécessairement dangereux pour
la fédé-
ration. Car les régimes civils au Nigeria sont plus soumis aux
groupes de pression les plus variés. Au reste, si régime civil signilie
ici gouvernement de funambule, fédéralisme est loin de vouloir dire
déconcentration. La multiplication des pouvoirs locaux nuit à
l'exercice de la moindre parcelle de pouvoir. Le gouvernement
fédÉlial a donc tenté, à partir de 1976, parallèlement à la multiplication des États, de mettre en æuvre un système uniformisé de
collectivités locales comme troisième niveau de l'administration.
I1
en existait plus de 500 en 1993. Et, puisque les responsables gouver-
nementaux des États fédérés captaient, à leur niveau, les subventions
destinées à l'ensemble du tenitoire dont
ils avaient la charge, le
gouvernement fédéral tente depuis lors d'attribuer une partie de ces
crédits directement aux autorités locales, et de ne pas favoriser, si
possible, des pôles d'activité existants en leur donnant la qualification de capitale d'Etat.Il espère ainsi, sur le plan financier, et en
partageant avec un plus grand nombre une ressource identique,
T
décourager les demandes de créations d'États.
13.4- Fédéralisme et scissiparité
Divisé par le colonisateur britannique en mailles administrées
selon /'indirect rulg le Nigeria a évolué par scissiparité depuis
l'indépendance. Pour gérer le pluriculturalisme, le nombre
d'États a été multiplié ; mais le pouvoir fédéral, qui distribue les
subsides, n'a cessé de se renforcer.
176
C'est que la culture politique nigériane oscille entre cinq points
d'ancrage: le particularisme ethnique, f individualisme matérialiste
(eat and give to your brother), un mimétisme occidental développé,
un traditionalisme bien conserv é et un optimisme à toute épreuve.
Cette culture est alimentée par une pluralité de f information qui
émerge seulement en Afrique francophone avec les soubresauts de la
transition démocratique: presse et médias audiovisuels très vivants
ont une large audience.
La fonction fédérale de régulation n'est exercée véritablement qu'en
cas d'urgence car le gouvernement central est d'abord source
majeure de profits pour ceux qui le servent comme pour ceux qui le
sollicitent, ce qui entraîne une instabilité chronique et une perte de
contact avec les couches populaires qui n'ont, pour manifester leur
mécontentement, d'autre ressource que la violence. Celle-ci remonte
loin dans le passé: contre les impôts en 1895 à Lagos ou en 1929
chez les femmes d'Aba, pour s'opposer à «1'urbanisme du bulldozer» à Lagos Island en 1956, pour obtenir un relèvement du prix
du cacao dans l'Ouest en 1968-1969 0u contre l'augmentation du
prix du carburant en 1989...
Après l'indépendance, on attendait la sécession du Nord et, suite
aux troubles de 1963, celle de l'Ouest. Ce fut l'Est qui bascula dans
l'aventure de la séparation le 30 mai 1967 ,les autres composantes
se ressaisissant pour combattre
le Biafra. Ce sont les pogroms
lancés en septembre-octobre 1966 contre les Igbo installés dans les
villes du Nord qui ont entraîné la sécession de l'Est. Occupant
nombre de postes clés dans l'ensemble du pays en raison de leur
aptitude à tirer parti de l'éducation, les lgbo, christianisés, étaient
I'ethnie la plus à même de conduire les affaires de la fédération. La
richesse pétrolière concentrée dans l'Est fut l'élément supplémentaire mais non déterminant d'une sécession que rien ne laissait
prévoir.
La guene civile s'est déroulée sur trois fronts favorables à Lagos:
front diplomatique en raison des craintes de contagion du séparatisme, front ethnique avivé par le gouvernement fédéraljouant sur
les oppositions anti-igbo des minorités de la région orientale, front
pétrolier où les fédératx ont obtenu le soutien des principales
compagnies, qui ont transféré leurs activités vers le Midwest (États
d'Edo et du Delta) et l'Etat de Rivers. La «guene de sécession»>
nigériane, soldée par un à deux millions de morts, marque la
revanche des minoritaires face aux trois groupes dominants et la
mise sur orbite de l'armée (250 000 hommes à son apogée, venus
notamment de la Middle Belt) comme force politique face aux
partis. Le renforcement du pouvoir fédéral résulte de cette période
sanglante. La guene du Biafra a accouché d'un Nigeria plus centralisé et maîtrisant mieux ses dissensions grâce à 1'euphorie
financière qui suit le premier choc pétrolier, de 1973 à 1982. Les
difficultés de la dernière décennie du régime militaire montrent
toutefois la fragilité de la construction nationale.
177
vient de s'écouler modifie toutefois les perspectives, avec des migra-
Une connivence ville-campagne
tions de retour de néo-citadins des grandes villes vers les petites et le
milieu rural, dont on ne sait si elles se confinneront.
et campagnes vivent souvent en symbiose au Nigeria.
Autour de Kano ou de Sokoto, des aires agricoles périurbaines
tr'm[ pu se développer qu'avec l'aide et f incitation de la ville. Dans
Villes
V
Le peuplement des villes peut également résulter des migrations entre
lc Srd0uest, les agriculteurs sont eux-mêmes citadins, exploitant la
les cités. C'est une mobilité répétitive: demande d'éducation à
1'adolescence lors du premier déplacement, valorisation d'une
campagne en pratiquant la double résidence. Sans tradition urbaine,
carrière salariée ou libérale lors de déplacements ultérieurs, transfert
ks
lgbo ont investi les postes administratifs coloniaux et, s'ils n'ont
d'un commerce en fonction de la conjoncture. Ces migrations de ville
pas leur pueil pour édifier de petites activités marchandes dynamrtpes, ils n'en oublient pas pour autant leur tenoir, pour lequel ils
à ville sont le révélateur de la constitution d'une société authentiquement urbaine, mais leur importance est très variable. Les
mobilisent une énergie et des sommes considérables. I1 est vrai que
migrations en provenance d'autres villes dominent à Ibadan, contrai-
quelques rares villes ont été implantées en rase campagne, sans
rement à Kano ou à Benin City. Dans les villes moyennes, de 100 000
liffi
avec elle, près d'une mine, d'un complexe agro-industriel ou
à 500 000 habitants (Ilorin, Oshogbo, Abeokouta, Ile-Ife, Calabar,
d'un perimètre d'aménagement hydraulique comme Forcados
Warri), le phénomène reste notable: 40 à 50lo des migrants sont issus
(Deha), Bacita (Kwara), Numan (Adamawa), New Martre (Bornou),
d'autres cités.
vtÉre pour reloger les déguerpis du banage de Kainji comme New
Bussa (Kwara).
ntre citadin au Nigeria
Coté campagne, dans le Nigeria occidental rural, on migre d'autant
que l'on est éduqué, sans trop se faire d'illusion sur
omplexe, le système urbain du Nigeria l'est à plus d'un titre: par
les *lumières de la ville» dans un milieu rural qui connaît une urbani-
l'origine diversifiée de ses villes, mais aussi par la propension du
flus volontiers
setim du style de vie. Ces départs, toutefois, diminuent les ressources
citoyen nigérian à exister de et par la ville. Citadin de cæur, le Nigérian
en maind'cuvre salariée.Le marché du travail urbain ne répond pas
ne conçoit pourtant pas la ville comme antagoniste du monde rural,
rrx
mais complémentaire.
attentes et l'education ne sert plus de passeport pour
l'emploi.La
croissance urbaine est plus impulsée par l'immigration que par
Il
n'empêche que, villes coloniales ou pré-
de
coloniales, les organismes urbains, 0t notamment Lagos, sont
congestionnés, insalubres, en crise dans tous les domaines. Le taux
uurcs denses ou mal exploitées sont les plus grands fournisseurs de
d'accroissement annuel moyen de la population urbaine, estimé à 4 ou
mignnts. Mais les bassins migratoires restent régionaux, même pour
h méropole de la Fédération, ne donnant pas aux villes nigérianes
dte fonction de creuset qui ouvre la voie à une culture nouvelle
570 enfte
hgement déconnectée des racines rurales. La décennie de crise qui
corTrmerçantes et industrielles du Centre et du Nord,
I'uroissement naturel. Les Igbo et les populations provenant
I93l et 1953, a doublé entre
1963 et 1985.
1953 et 1963 et atteint 770 entre
S'il dépassait \0lo dans la banlieue de Lagos, à Wani et
Port Harcourt, villes du pétrole, ainsi qu'à Kaduna et Ilorin, cités
il
se situait entre 7
et l07o pour nombre d'autres cités administratives et industrielles telles
Jos, Lagos, Ogbomosho, Kano, Enugu, Onitsha ou
dépassait pas
3%o
àIfe
Maiduguri, mais ne
et Ibadan, villes touchées par la crise du cacao.
Chaque région a une physionomie urbaine propre. En 1963, plus de la
moitié de la population du Sud-Ouest yoruba résidait dans 84 villes de
plus de 2A 000 habitants, alors que le taux d'urbanisation des autres
régions se situait entre 10 et lT%o, à l'exception de la province
d'Ilorin, peuplée de Yoruba (2910). À f inverse, dans le Nord du
Nigeria, ofl n'observe pas de progression spectaculaire de l'urbanisation en un siècle: 400 000 citadins dans seize villes de plus de
15 000habitants en 1850,600 000 repartis
en37 villes en1963.Là,
un maillage de marchés et d'étapes répartis en fonction des contraintes
de transport et des besoins du commerce transsaharien avait permis la
constitution d'un réseau urbain, où les capitales politiques, religieuses
L duE de la maison
et économiques comme Sokoto ou Kano atteignaient déjà, à la fin du
yoruba
xxe siècle, un haut degré de différenciation sociale et une organisation
traûmce
des vieilles cités; ceffe maison, quoique modeste,
mtqrtait l'aisance par l'ampleur de son toit et la décoration
&sa fade ; elle tombe lentement dans l'abandon.
hiérarchisée du travail: religieux, grands négociants en haut et corporations d'artisans en bas de l'échelle.
178
Au Sud-Ouest, points d'appui de la colonisation d'un espace occupé
absence de collecte des ordures ménagères et manque d'eau potaHc
par des populations techniquement moins avancées, les seize
sont, tout autant que la congestion routière et la pollution, cnrel-
premières villes yoruba ont créé la première trame du peuplement
lement ressentis à lbadan comme à Lagos. Celle-ci est une ville
qu'une deuxième génération, fruit de l'expansion démographique, est
yoruba, mais en marge du pays dominé par Ibadan. lagos Islmd a
venue conforter. Les dernières créations urbaines sont le résultat de
servi de refuge aux Yoruba fuyant les conflits internes et aux esclaves
libérés après l'abolition de la traite. Elle fut le point d'entrée de la
dissensions et de conflits ayant abouti à la ruine des anciennes cités.
religieux,l')ba,
toutes ces
colonisation britannique et c'est le chemin de fer, édifié à paftir de
villes ont été développées par le commerce des produits agricoles et
1895, qui draina les produits de f intérieur et les migrants vers ceüe
par un artisanat florissant (bois, tissu, fer) qui a cédé la place à 1'agri-
métropole. Sa population est passée de 6 000 habitants en
culture, suite à la concuffence européeffie, à partir du xvtue siècle.
28 000 en 1871, 100 000 en 1921,345 000 en 1953, 1,1 M en 1963.
C'est ainsi que les cités yoruba ont un taux élevé d'agriculteurs
2,5
Centres du pouvoir du chef politique et
M
l8m
à
en1973, 5 à 6 M aujourd'hui.
vivant dans leurs murs: près de 60Vo à Oyo.
Les avantages portuaires, l'arrière-pays yoruba, une croissance
Bien des villes anciennes ont décliné ou disparu en se trouvant hors
économique rapide en ont fait une mégalopole engorgée et ingouver-
du champ de la mise en valeur coloniale: Sokoto et Ile-Ife, les villes
nable, où près de 300 000 migrants s'installent chaque annê. Une
sacrées du Nord et du Sud-Ouest, Kukawa, ancienne capitale du
réputation à la mesure de sa démesure: la ville la plus chère et la plus
Bornou, une vingtaine de villes yoruba et les cités-Étam de la côte
(Nembe, Okrika, Old Calabar, Edem Kalabari), qui avaient fondé
drogues dures,
sale d'Afrique, capitale du crime, plaque tournante du
leur expansion sur le commerce des esclaves, puis, plus tatd, sur
l'huile de palme. En attribuant le statut administratif et fiscal de
township à un nombre limité de localités, à partir de I9l7 , les
ur Calcutta
rafic
des
afuicain avec ses taudis au pied des
gratte-ciel. Les conditions d'h abitat sont très précaires: mauvais
drainage autour des parcelles dans 7 4Vo des cas, pas d'accès à I'eau
courante dans 4470 des logements et pas de fosses d'aisilnce pour
téléphffi"
Britanniques contribuèrent à l'expansion ou au déclin des villes. Ils
7270 d'entre eux. Les coupures d'électricité, d'eau, de
consacrèrent ainsi le déclin des capitales culturelles du Nord et du
f insécurité font partie du quotidien. Ni le fédéralisme, ni
la
Sud-Ouest, soutinrent des cités créées ex nihilo pour assurer leur
construction d'Abuja, n'ont pu entraver la concentration du pouvdr
domination comme Kaduna, Enugu ou Port Harcourt, mais n'obtin-
économique, administratif et financier à Lagos; 80Vo des impm-
rent que peu de résultats pour des villes mal situées comme Oron ou
tations en poids passent par son système portuaire. Près de 4t)4b des
Lokoja. C'est que la «mise en valeur» du tenitoire par la construction, entre 1895 et 1927, d'un réseau fené articulé autour de deux
emplois les mieux rémunérés y sont localisés et l'agglomération
apporte plus de 57lo de la valeur ajoutée de la production induÿ
pénétrantes (Port Harcourt-Kaura-Namoda et Lagos-Nguru) eut pour
trielle nigériane. Abuja,la Brasilia nigériane, ne semble pas pres de
effet de marginaliser les cités vivant de la voie d'eau. La répartition
contrebalancer la métropole côtière.
des équipements tertiaires vint par la suite conforter des positions
qui n'ont été remises en question ni par f industrialisation récente, ni
Le pêtrole entre parenthèses
par les transports routiers. Si nombre de villes assument de plus en
plus une fonction d'encadrement, une ville dirigeante, Lagos,
I
surclasse les autres.
e
ffiplement du prix du baril de pétrole brut en l973est anivé au
L-bon
moment pour le Nigeria, juste après Ia guene du Biafta
Mais, plutôt que de s'investir dans la production et la mise en valeur
Congestion et insalubritê: Lagos Metropolis
des ressources, cette rente a plongé le pays dans l'euphorie affairiEe.
Augmentations salariales, affaiblissement de la base agricole,
ifu
f t .rt permis d'espérer avoir de meilleures conditions d'existence
1., ville qu'à la campagne; la mort alitéinfantile y est deux fois plus
trialisation mal conçue, grands projets et «saupoudrage» d'argenl sur
faible, les ressources plus élevées en moyenne, l'usage des biens de
obtint la première concession en 1938. Le premier puits productif
consommation plus répandu. Le logement reste le problème majeur,
découvert à Oloibiri, au cæur du delta du Niger, en 1956. C'est en
en raison de l'absence de confort et de l'insuffisance des équipements
1958 que le pétrole nigérian commença d'être exporté par Port
La qualité des adductions d'eau laisse à désirer. L'énergie
Harcourt. La production dépassatt 20 Mt en 1966. La guene du
nécessaire pour faire la cuisine pose problème: le bois reste largement
Biafra coupa momentanément cet élan: la production chuta d'abord
au tiers, puis excéda 50 Mt en 1970, quand le port de Wani vint
urbains .
utilisé. Ajoutons à cela la congestion urbaine, qui
le tenitoire ont ponctué cette période de fuite en avant. Shell d'Arsy
se manifeste par les
fu
l97t m
embouteillages dans des villes mal prépaÉes à l'afflux de véhicules
prendre la relève de Port Hafcourt, U apogée fut atteint en
individuels, faute d'un réseau de transport collectif adapté. Les désa-
se
gréments de cette vie urbaine chaotique sont bien perçus, sans
Depuis lors, la production annuelle varie entre 60 et 75 Mt, la
capacité d'extraction atteignant, en 1992, 1,9 M de barils par i,ur
induire, à eux seuls, le retour à la campagne. Inondations de quartiers,
179
tint
au-dessus des 100
Mt pendant 5 ans entre
1975
et 19t0.
Au rythme actuel, les réserves de pétrole seraient épuisées vers
La NNPC possède les quatre raffineries qui approvisionnent le pays:
2020; celles de gaz, considérables, pounaient durer plus longtemps
deux situées à Port Harcourt et deux autres à Waffi et Kaduna. Elle a
et être traitées, dès 1995, à l'usine de liquéfaction de Bonny, si elle
acquis une flotte pétrolière et racheté, en 1988, des raffineries dans les
est construite.
pays développés . La NNPC est obligée d'importer des produits
raffinés pour approvisionner un marché pourtant étroit, qui
Ce sont les opérateurs transnationaux qui ont mis en valeur Ia
richesse pétrolière, notamment les compagnies Shell et British
Petroleuffi, dont les gisements fournissaient les deux tiers du brut
ne
consomme que 16lo du pétrole nigérian. Le niveau des subventions
nigérian en 1973. Le souci du Nigeria, dès la fin de la guene du
pour certains produits) comme le différentiel de change favorable au naira jusqu'en janvier 1994, favorisent l'écoulement en
contrebande d'un tiers du carburant vers les pays voisins de la zone
Biafra, fut d'avoir la haute main sur cette richesse et de la valoriser
CEA. Aussi le pays connaît-il des pénuries conduisant à des émeutes,
il adhéra en 1971.
surtout quand le gouvernement fait mine d'établir la «vérité des prix».
en liaison avec les efforts de I'OPEP, auquel
l-Etat
(70%o
créa sa compagnie, la Nigerian National Petroleum Corpora-
tion (NNPC) qui fut chargée de diriger l'activité pétrolière aval
et
Un geantempêffe
amont. Elle acquit 33 à 3570 du capital des principales sociétés en
1971, participation portée à 5570 en 197 4,60 en 1979. Grâce à cette
politique de nationalisation rampante, la NNPC a pu ainsi disposer
de 6Ilo de Ia production en 1980. Les contrats d'exploitation attribuent aujourd'hui 6070 à la société d'État.
l,n
I
180
urant la période d'euphorie (1972-1985), près de 150 milliards
de dollars ont été encaissés. Puis la récession dans les pays déve-
loppés entraîna, dès 1980, une chute de la consommation mondiale et
le Nigeria ne put maintenir sa production. Le pétrole assurait plus de
I
9070 des exportations depuis 197 4, et la diversification (pétrole
raffiné, gaz) n'est devenue un objectif qu'à partir de 1983.
Les
réserves de devises ont culminé à plus de dix milliards en 1980, pour
revenir à moins d'un milliard dès 1983. L'afflux de devises a contribué à la surévaluation du taux de change réel, ce qui a favorisé les
importations au détriment de la production nationale. La distribution
de la rente a engendré une forte demande de services et de construc-
tion en milieu urbain. Si la production industrielle a continué à croître
sur un rythme de l'ordre de l37o l'an avant et après la parenthèse
pétrolière, l'agriculture a décliné de 1 ,5lo en moyenne annuelle lors
des années folles. De 1984 à 1992, elle a progressé, mais le pays est
loin d'avoir restauré un appareil productif agro-alimentaire mis à mal
par le «syndrome hollandais».
Grâce à la politique de nigérianisation (1912 et 1977) et à toutes les
possibilités de spéculation (marchés parallèles de change, surfactura-
tions, licences d'importation), nombre d'hommes d'affaires ont pu
édifier facilement des fortunes. À des niveaux moindres, les classes
moyennes urbaines ainsi que des petits businessmen ont reçu les
miettes de la manne pétrolière en participant à l'affairisme ambiant.
Signe des temps, le nombre des pèlerins nigérians à La Mecque a
dépassé les 100 000 dès 1917. Les gagnants de cette période se
trouvent aussi parmi les grandes firmes occidentales de travaux
publics, comme Dumez (France) et Julius Berger (Allemagne), ou de
montages de véhicules (Peugeot et Volkswagen), de même que les
traditionnelles firmes de négoce (United Africa Company,
A.G. Leventis, John Holt ou UTC), attirées par les grands contrats et
Du pétrole dans la forêt
l'explosion de la consommation. Enfin,l'Etat s'est lancé dans une
politique de grands projets: transfert de la capitale à Abuja, estimé
Station de pompage et torchère à Warri, dans la forêt
du delta du Niger; ou furent ouverts les premiers puits
productifs. La pollution menace /es éléis, témoins
d' anciens défrichements.
à
15 milliards de naira; construction de deux aciéries à Aladja et Ajao-
kouta, et de complexes agro-industriels.
Le boom pétrolier a pu donner f illusion du développement: par la
diffusion de biens de consommation comme l'automobile; par la géné-
ralisation de l'éducation primaire gratuite depuis I976, portant le
nombre d'élèves de 3,5 millions en 1970 à 13 en 1980; par la création
Contrairement à ce qui s'est passé en Indonésie, le bond pemolier
d'une université dans chaqueEtat. Le salaire minimum aurait été
pas
n'r
multiplié par 10 en valeur nominalo, pffi 2,3 fois en termes réels entre
induit de nouvelles orientations économiques et sociales: ont fté
confirmés l'extraversion, le choix urbain, le renforcement de I'admi-
1970 et 1982. En revanche, l'agriculture aurait perdu, entre 1970 et
nistration étatique de l'économie, la redistribution à grande échelle
lg82,27lo de
citadin en
1962-1963,1e revenu moyen en milieu rural n'était plus qu'à l07o en
l'accumulation hors du système productif.
1975. La main-d'æuvre agricole s'est faite rarc et chère. Cette exclu-
grissement à sa manière en évitant l'ajustement «en termes réels»: le
sion du monde agricole est consacrée par l'Etat,qui ne lui a pas attribué
commerce frontalier illégal a connu son apogée entre 1986 et 1993.
plus de 570 des dépenses en capital pendant le bond pétrolier. Aussi
La dette a doublé entre 1983 et1991, son service représente pres
n'est-on pas surpris de relever le grand déclin de la valeur des exporta-
4070 des exportations et quand, en
tions agricoles entre 1973 et 1982, tandis que la production vivrière par
semblait sortir du «pacte colonial» avec la France par une dévalua
tête stagnait. Les principaux perdants du syndrome du pétrole sont
tion «compétitive» de 5070, Abuja réévaluait son naira, multipliam
par 4 sa valeur par rapport au franc CFA. Retour à la case départ m
poursuite de la chute? Le Nigeria cherche encore à retarder &s
ses travailleurs. Évalué à 40Vo du revenu
succèdent des temps
donc les paysffis, alors que les gagnants sont l'élite de la bureaucratie,
des affaires, de l'armée, les classes moyennes salariées et les notabilités
anciennes, qui se sont bien recyclées dans l'Étatmoderne.
I
181
échéances
c
À la période d'euphuh
d'austénté, Le Nigeria réalise sa cue d'mei-
qui seront redoutables.
&
janvier 1994,la zone CEÀ
les trois centres du Nigena
Læ trois grandsfoyerc bistoùques de peuplement, yoruba au Sud-Ouest, igbo au Sud-Fst, peul-haoussa au Nord,
dmteurent les pôlesforts de I'organkation de I'eEace national nigérian. Mais le Nige4a « du milieu»,
où est établie Abuja, nouuelle capüalefédérale, dwient l'un des grenierc alimentaires du pays,
alon que les peripbériesfrontalières sont animées par d'intenses écbanges clandestins que les récentes
manipulations monétaires sur lefranc CFA et le nairapourraienT calmer.
iger et Bénoué séparent plus qu'ils n'unissent les trois
grandes
r
beaucoup moins prégnante au-delà d'Ogbomosho . La présence
Égions, qui se tiennent à I'écartdes fleuves comme de la côte: le
yoruba (19 millions de personnes) délimite précisément, à distance de
Nürd" le Sud-Est et le Sud-Ouest. Trois foyers de peuplement tendent
la côte et à cheval sur la limite forêt-savane, un cæur autour de la
grande ville d'Ibadan et des périphéries, au sud, à l'est et au nord.
à organiser l'espace, laissant toutefois place, sur plus de la moitié du
territoire et au-delà des frontières, à des périphéries, des aires
tampons ou même de quasi-vides. Espace mouvant, tantôt subor-
Au nord, les
dmd
souvent inférieures à 50, moins peuplées par suite des raids fulani de
à l'un
des trois grands groupes, tantôt organisé par des pôles
secondaires, cette quatrième dimension du Nigeria
mrges
lui donne
Kogi, avec des densités
Sokoto, sont devenues le grenier des villes et de la zone cacaoyère,
ses
le tabac autour d'Ogbomosho et fournissent le Sud en
migrants. À l'est, les Étah Edo et Benin (plus de 130 habitants par
de jeu.
§ud-0uest
savanes sèches du Kw ffià, du
produisent
km2), les plus boisés, sont les héritiers directs de la civilisation du
t alarecherche d'un second souffle
Bénin. Peuplés à 60Vo d'Edo, avec de nombreuses populations mino
ritaires, dont des Igbo, leur économie est dominée par l'exploitation
oté d'une forte personn aLité culturelle autour du peuple yoruba
forestière, les plantations d'hévéas et l'extraction pétrolière. Riche en
qui constitue les trois quarts de sa population, marqué par la
essencei intéressantes et proche des cours d'eau, la région de Sapele
Érnsite de I'arboriculture cacaoyère et une urbanisation précoloniale
imposante, le Sud-Ouest subit depuis le milieu des années 1960 une
est devenue la capitale nigériane du bois alors que Wani, près des
crise multiforme: crise de son agriculture, de ses villes et, partant, de
de tagos, la région sud-occidentale ne cesse de perdre des points
Harcourt. Répartie en petits vergers de un à quatre hectares appro
priés par des notables bini, l'hévéaculture semble trouver une
nouvelle jeunesse avec une conjoncture favorable au caoutchouc
jeu à quatre nigérian. L'alerte a été donnée en 1968 -T969, en
naturel. Elle intéresse plus de 100 000 petits planteurs qui ont produit
gisements pétroliers maritimes et du delta, tente de concunencer Port
son affirmation dans l'espace national. En effet, malgré la présence
dans le
t
dépit du climat d'union sacrée contre le Biafra qui régnait, par la
jæquerie paysann e Adegboya dirigée contre l'Etat,les bas prix du
côte, l'extension de l'agglomération de Lagos, peuplée majoritai-
cacao au producteur et le montant des impôts.
rement de Yoruba, donne un coup de fouet à l'activité maraîchère, au
140 000
de latex en 1991, contre 70 000 cinq ans plus tôt. Sur la
transport, à la pêche et à la culture du manioc.
Snr des tenes basses où 6070 de la surface ne dépassent pas 200 m
d'altitude, le Sud-Ouest est partagé entre un Sud sur tenains sédimentaires, bordé de cordons littoraux ensenant des lagunes, et une
Une économie de plutfiîtion en crise
aire de socle parsemée d'inselbergs, au nord et au centre. Les précipi-
tations diminuent d'est en ouest sur la côte (3 700 mm par an
I
a zonedu cacao ou Cocoa Belt forme un demi-cercle, d'Abeo
lJkouta au sud-ouest, et d'Ogbomosho au nord, à Akure à l'est, au
à
Forcados, 1 500 mm à Badagry) et du sud au nord (1 800 mm à Lagos
et
I
200 mm à Oyo à f intérieur), ce qui rend la forêt guinéenne
cen(re d'une région de 47 000 km2 où les densités dépassent 250;
182
300 000 planteurs y exploitent 600 000 ha de cacaoyères, dont on tire
Lieux fortifiés, ces cités ont, du xte au xxe siècle, progressivement
200 000 t de cacao en moyenne, 94Vo de la production du pays. Le
colonisé les campagnes environnantes, donnant naissance dans un
cacao, source de la prospérité yoruba depuis plus d'un demi-siècle,
contexte d'insécurité à un système agraire dominé par des exploitans
qui a fait vivre près de la moitié de la population au temps de son
dont la résidence et J'univers social étaient dans les villes. Cælles<i
ont ajouté à leurs fonctions religieuses, militaires et politiques une
apogée, voisine
ici avec
des ressources plus traditionnelles comme la
litu
cola ou les produits de 1'é1éis. Les hauts et les bas du prix du cacao,
intense activité de commerce et d'artisanat. Chacune est le haut
l'existence de marchés urbains groupant près de 20 millions de
d'un royaume groupé autour de la résidence du roi (oba ou bale),
consommateurs, ont toutefois donné naissance, dès les années 1960, à
immense bâtisse «en du»>, couverte de tôle, établie au milieu d'tme
des productions vivrières tournées vers les besoins régionaux.
grande «concession» fermée. Le marché central fait face au palais.
Au-delà, à l'intérieur d'un périmètre fortifié, desservies par des
nm
sinueuses, slordonnent les maisons des artisans, des commerçants et
Avec 38lo des sols considérés comme pauvres, une pluviométrie
moyenne annuelle de 1 100 à 1 500 ffiffi, le support physique de la
cacaoyère yoruba n'a rien d'exceptiorînel. L adoption du cacao a été
est toujours le cæur de l'agglomération, mais reste largement inacces-
spontanée et précoce. L'arboriculture était une chance au moment où
sible à la circulation moderne. Un deuxième noyau urbain, groupant
les Yoruba étaient obligés de se reconvertir, avec la pax britannica, de
bâtiments publics, banques et commerces de gros comme à Ibadan, a
chasseurs d'esclaves en agnculteurs et en marchands. Les premières
prospéré autour de la gare fenoviaire et du centre des aftaires.
des agriculteurs. Par sa densité et son animation, ceffe
ville ancienne
exportations datent, comme au Ghana, de 1892. La production était
passée à 250 000
t dans les années
fin
1960, avant de décliner pour
L'attachement à la cité de naissance est essentiel pour l'agriculteuq
des années 1980: la surproduction
locale de ce produit mal payé sur le marché international permettra
qui passe une partie de son temps dans son exploitation, ou pour le
migrant qui veille au bon équipement de sa ville par ses cotisatiolls.
Fondements de la vie économique et sociale, les marchés prio-
peut-être de maintenir la production. Malgré la persistance de l'asso-
diques animés par des guildes de marchands, travaillant en réseaux
ciation polyculture vivrière-cacaoyers, 4070 seulement des planteurs
senés et étendus, redistribuent produits agricoles de la forêt et de la
renaître, non sans aléas, à la
mondiale ne permet guère aujourd'hui la relance. La transformation
æsuraient plus de75lo de leurs besoins alimentaires. Monde inégali-
savane et produits importés. En dépit de leurs contacts avec les
taire, la Cocoa Belt voit les revenus de ses producteurs s'étager de 1 à
Européens, de leur urbanisation avancée, de leurs élites et de la
6 pour le cacao, de 1 à 14 pour l'ensemble des ressources. Les exploi-
présence de deux des plus grandes villes du Nigeria, les Yomba
tations ne pouvaient être tenues par des planteurs en grande partie
n'ont pas joué un rôle historique de premier plan. Leur relatif rectrl
économique, lié à l'effacement du cacao comme à leur éloignement
du pouvoir féd&al, la crise urbaine, leurs perpétuelles dissensiom
citadins sans une main-d'æuvre salariée et une adaptation du système
foncier. Ce dernier a pu être ajusté avec la progression de la propriété
privative du sol et f instauration du fermage et du métayage, qui
touche 5ATo des tenes neuves d'Ondo. Le problème de la maind'æuvre n'a trouvé de solution que grâce à de bas salaires et à des
internes sont de lourds handicaps.
migrants saisonniers venant de Sokoto ou du Kw ata. Une bonne
«[e Monde s'est souvent effondrê»
maîtrise du transport et de la commercialisation par les Yoruba soute-
(Chinua Achebe)
nait cette construction fragile. Les déboires du cacao n'ont fait que
renforcer la production vivrière pour les villes et les savanes ont pris
avagé
voici vingt ans par la guene du Biafra, qui a dresÉ contrE
les Igbo rnajoritaires (6210 de la population) les trois
leur revanche sur l'aire forestière cacaoyère.
populuim
minoritaires voisines (Ibibio, Ijo, Anang), le Sud-Est reste, avec plus
de 300 hab./km},Iu région la plus densément peuplée du NigeriaDans un milieu tÈs humide (1 500 à 4 500 mm de pluies annuelles),
Citadins d'abord
largement défriché, la forêt guinéenne originelle a presque dispm;
epuis longtemps, les villes yoruba forment la plus forte concen-
sauf dans les États de Cross River et de Rivers, au profit de la palme-
tration urbaine ouest-africaine. En 1856, 0n comptait trois
raie d'éléis. Le charbon d'Enugu, exploité depuis 1914, et les
pis
villes de plus de 50 000 habitants, Ibadan, Abeokouta et llorin, qui
dominaient un ensemble d'agglomérations de taille respectable. Un
pétroliers du delta du Niger et de la Cross auraient pu constituer ks
siècle plus tard, on comptait 113 centres de plus de 5 000 habitants
gouvernement féd&al n'ont pas permis. La population (19 milliuxs
(dont 5 de plus de 100 000) où vivaient 58lo de la population.
L'urbanisation précoloniale était la conséquence d'un système
d'administration élaboré, reposant sur trois gén&ations de villes
d'habitants), surtout rurale dans les cinq États les plus den#ment
peuplés (Akwa lbom, Abia, Anambra, Imo, Enugu), qui ont une
densité moyenne de 300 à 400, n'avait d'autre ressource que
bases d'une industrialisation, ce que
la guene civile et les choix
ù
créées les unes par les autres. Ile-Ife, établie entre le vue et le
d'émigrer vers des aires moins congestionnées ou vers les villes, nige-
t'
rianes ou étrangères. I1 a fallu rechercher des solutions à ces situations
siècle, exerçait sur l'ensemble un magistère religieux.
183
Densitê
en l9B0 selon les
collectivités locoles
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Cultures
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Réserve forestière
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Hévéo
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- te Sud-Ouest du Nigeria
dæ Yoruba, densément peuplé, longtemps animé par le dynamisme de la «ceinture du cacao>> entre Abéokouta
a @bmosho, /e Sud-Ouest est pourtant en recul dans la Fédération. Le déplacement de la capitale fédérale à Abuja consacre
æ relatif effacement et ne facilite pas la relance économique.
kf
critiques, renforcées depuis 1966 par le retour des migrants igbo et
les savonneries britanniques dès le début du xtxe siècle, l'huile de
les mesures restrictives prises à leur encontre au Cameroun, au
Gabon et en Guinée équatoriale, terres de migration depuis les
palme des oil rivers a ouvert très tôt le Sud-Est sur l'extérieur
(14 000 t exportées dès 1830,45 000 en 1900), ce qui a permis
mnées 1920,
l'enrichissement d'intermédiaires sans scrupules, devenus
warrant chiefs, chefs administratifs désignés par les Britanniques,
et qui mirent la région en coupe réglée. Après la révolte des
Iæs lgbo, 14 millions en 1992, forment la quasi-totalité de la population des États d'Imo, Anambîa et Enugu, entre Niger et Cross
femmes d'Aba en 1929, les Igbo obtinrent une forme adaptée de
gouvernement indirect et purent trouver enfin, dans le cadre
colonial, des chances d'acquérir une meilleure place dans la
River, et de la région d'Aboh et d'Asaba dans l'Etatdu Delta, sur la
rive occidentale du Niger. Ils habitent un réduit de 30 000 km2,
fffendu jusqu'à la dernière parcelle de tenitoire contre le reste du
Nigeria ontre L967 et 197 0. Leur reddition confirma leur place
rffuite dans la fédération, leur isolement dans le Sud-Est comme
leur éloignement des richesses pétrolières dont ils voulaient
§'approprier les fruits. De tout temps, leur nombre les a mis en
société nigériane en création.
Volontiers frondeurs mais profondément religieux, les Igbo ont tenté
de s'adapter à chaque éIpuve ou situation délicate avec plus ou
moins de bonheur. Contraints à l'émigration, ils ont su tirer parti de
porte-à-faux face à leurs voisins de la côte, intermédiaires indispen-
l'éducation dispens ée pu les écoles chrétiennes pour occuper des
sables avec l'extérieur, qu'il s'agisse de la traite des esclaves ou du
postes subalternes dans l'administration coloniale, les mines d'étain
§oürmerce de l'huile de palme. Jusqu'en 1854, plusieurs centaines
de Jos, les houillères d'Enugu 0u les plantations du mont Cameroun
&
et de Fernando Poo. À l'étroit sur des terres peu fertiles, ils ont
milliers d'Igbo auraient été réduits en escl avage et déportés par
læ middlemen ibibio d'Oron, efik de Calabaç ijo de Brass (mais
aussi igbo d'Arochukwu). Pour se protéger des raids, ils n'eurent
cherché à coloniser les plaines, vallées et deltas voisins sous-peuplés.
Agriculteurs ayant un savoir-faire assez restreint, ils ont investi les
villes de leur région, qui sont assez peu nombreuses: Enugu, la ville
du charbon, Onitsha, port fluvial accessible toute l'année et Aba
d'auüe ressource que d'édifier leurs villages loin des cours d'eau,
smr des
collines forestières éloignées des sources d'eau potable, et
d'y cultiver f ignaffie, dont les rendements élevés
(l
à 8 t/ha en
dépassent 350 000 habitants;
moyenne) pouvaient nounir une population dense. Recherchée par
Oweni, capitale de l'État d'Imo, atteint
100 000 habitants. Port Harcourt, le grand port, situé à 64 km de la
TB4
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Densitê génêrote ^.en l9B0 selon les collectiviiés locoles
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Monroc-rgnome
Mon roc-mocobo-plontor
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Forte concentrotion des houpeoux
En soison humiee
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Migrotions
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Zone
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d'oménoge-er'
hydrou ic,e
O
14.2 - Le Sud-Est du Nigeria
A
14.3 - Le Nord du Nigeria
Tradusant la pussance polttrque ef marchande des anciens
émrrats et;ultanats, les atres de fort peuplement haoussa et
peul, autour de Kano et de Zana, ont fournt arachide et coton
lusqu'au bond pétrolrcr, qutles a margtnalrsées. L'élevage y
resfe une ressource maleure et l'évolufion des cultures vivrières
permet d'alrmenter les marchés urbatns
réEon la plus densément peuplée, surtout
dans l'Akwa lbom, l'lmo et l'Anambra, domtnés par les lgbo,
entre Nger ef Cross Rtver La pressrcn sur la terre a provoqué
de nombreuses mgraüons vers les arres pénphénques motns
Le Sud-Esf est la
peuplées ef /es wlles, en partrculrcr Port Harcourt, capftale
pétrolÈre et grand port régrcnal
mer, et capitale pétrolière de I'Est, dépasse le demi-million de
tenitoire igbo. Ils
ont gagné les villes de la fédération et des pays limitrophes pour y
citadins, mais la nouvelle donne économique risqrre de rendre certü
exercer l'artisanat et le négoce, d'Onitsha à Kano et de Lagos
adaptation délicate.
Kumba. Bloqués dans leur expansion rurale par des instrumen§
personnes mais se trouve, comme Calabar, hors du
légaux et par la xénophobie, ils n'ont pas d'autre issue que de derenir
à
185
dans les autres États. Aire d'élevage malgré les fortes densités
Des densitês asiatiques
humaines, le Nord a subi les effets de l'effondrement de l'agriculture
d'exportation (arachide, coton), dont l'expansion devait beaucoup à
.lï,rf}) et Rivers
la voie fenée. I1 cherche aujourd'hui les voies et moyens de sa recon-
(140) sont, à l'échelle nigériane, peu peuplés, ceux d'Anambra,
Im, Abia (Igbo) et d'Akwa Ibom (Ibibio) affichent des densités deux
version dans les cultures vivrières, l'élevage et f industrie, tout en
A
lors que les deux Etats de Cross River (95
hab
^CI
tirant le meilleur parti du commerce.
à mois fois supérieures. Les trois quarts de la population habitent des
localités de moins de 20 000 personnes. On estime que sur seulement
Organisés très tôt en cités-Éhts (sept au début), islamisés dès le
6% de la superficie régionale se trouve le quart de la population. Sur
xwe siècle, les Haoussa occupent les aplanissements granitiques
or trouve des densités supé-
centraux (Katsina, Kano, Zana), dont les sols seraient médiocres si
rieures à 300. Les exploitations agricoles sont de plus en plus exiguës
(0,10 ha en moyenne en 1981-1982) et la culture à longue jachère
les vents du désert ne les avaient voilés de sables donnant des sols
n'est plus possible. Faute de fumure naturelle ou artificielle (10% des
vaincus, de un à trois, a facilité l'assimilation culturelle réciproqrr
teres recevaient des engrais en 1982),1es rendements de l'igname
des deux populations, l'aristocratie peul continuant à détenir I'essen-
baissent, et son remplacement par le manioc n'est pas une solution
satisfaisante. Des innovations ont été, cependant mises en æuvre pour
preserver la sécurité alimentaire: cultures en tenasses sur le plateau de
tiel du pouvoir. Pour s'attacher les gueniers peul, le sultan de Sokao
leur attribua une partie des tenes des vaincus, gu'ils louèrent ou
donnèrent en métayage, ou qu'ils firent directement cultiver par les
Nsukka, cultures associées et intervenant en rotation dans les jardins
descendants des esclaves. Ainsi,
pres de 19 000 Lrn2 en pays igbo et ibibio,
légers, acceptables. Le rapport démographique entre vainqueurs et
Ia
zone périphérique de Sokoto
de case des aires de forte densité. L'habitat lui-même a été modifié par
(ville de 100 000 habitants en 1850) fut mise en valeur par les
où la densité dépasse 300, les villages-
esclaves des Peul et leurs descendants pour nounir une populatim
rues ou circulaires disparaissent au profit d'un habitat dispersé. Dans
d'aristocrates, de guerriers, d'artisans, de commerçants, vivant
bien des districts, la migration constitue une nécessité. Les liens avec
auprès du sultan. Contrepartie de cette ponction sur les campagrt§
les villages d'origine sont maintenus et des réseaux de solidarité
environnantes, l'aristocratie géraitles stocks de grains pour parer
la pression démographique:
1à
assurent assistance mutuelle et protection des personnes et des biens,
permettant
f intégration à la vie urbaine. Avec des densités
très
arr
soudures et aux pénuries plus graves, et laissait collecter déchets
c
excréments des étables et latrines de la ville, amenés à dos d'âne
m
pays igbo et ibibio est problématique, d'autant qu'aucune industrie
de bæuf sur les champs pour les fumer. Ce système a perdure
puisqu'en 1969 encore à Kano, à la fin de la saison sèche, or estimeit
forte consommatrice de main-d'æuvre n'y a été créée.
que plus d'un
Iæ maintien des fortes densités s'explique par la part des revenus non
Kano, la vieille ville.
élev&s, une agriculture qui utilise peu ou pas d'intrants, la survie en
millier de charges quotidiennes de fumier, transputm
à dos d'âne, sortaient des seize routes rayonnant autour de Bimi
agricoles dans le revenu total, et par la place du palmier éléis, arbre à
h
tout faire et qui rapporte. La survie du système agraire suppose la
Si les aristocrates ont laissé aux autorités étatiques le soin d'assurer
conquête des bas-fonds par des cultures maraîchères ou des rizières,
sécurité alimentaire de leurs anciens sujets, cette époque a marqrc
la réhabilitation de la palmeraie (11 000 km1, l'amélioration de la
une société divisée entre croyants et infidèles, privilégiés et roturierr
culture intensive dans les jardins et des mesures d'enrichissement et
de protection des sols. Mais l'émigration est indispensable pour
L administration britannique s'est appuyée sur l'aristocratie peul en
élargissant son pouvoir grâce à l'administration indirecte. Dans h
société des croyants on a ainsi, d'un côté les sarakuna, petitc
réguler les équilibres: les Igbo ont sans doute plus que d'autres
besoin du maintien de la fédération, mais aussi de la création d'un
minorité constituée des membres des dynasties royales, des courtisans, chefs de village, juges et maîtres coraniques et, de l'autre, lc§
espace économique plus vaste.
talakaw a,
Le
tiers étathaoussa (artisans, commerçants et cultivateurs
Modification d'importance, cependant, deryis f indépendance:
[e foyer haoussa
a ouvert ses rangs aux nouveaux riches, quelle que soit leur
L
l'élir
origir-
Sur un teneau fertile, le monde local des affaires est monté en prir
§
U
i b Nigeria septentrional n'a pas fait sécession, c'est qu'il avait
sance grâce
su
àl'Etat. Dès l'époque précoloniale, le commerce
à
irnprimer, grâce à sa cohérence et au poids politique des Haoussa
longue distance de la cola ou du bétail était aux mains de quelques
et des Peul, sa marque conservatrice à la fédération. Dans les sept
États du bloc nord-ouest (Kebbi, Sokoto, Katsina, Kano, Jigawâ,
Kaduna et Bauchi) où bat, dans des émirats puissants, le cæur de
Eandes familles haoussa. Ces marchands s'établirent ensuite comm
intermédiaires actifs des maisons de négoce, puis des Marketing
Boards, enfin comme importateurs officiels ou officieux. ApÈs les
ætte grande région, les deux peuples constituent près de 9AVa d'une
'"Cultures d'exportation, le commerce de biens de consommation, les
population de 28 millions d'habitants (100 par km2). Si les Peul
services et les participations acquises dans le capital des firmes éman-
Futani qn anglais) dominent à Bauchi, les Haoussa sont majoritaires
gères leur ont permis d'asseoir leur fortune.
186
Les cités haoussa et les points d'appui de l'empire de Sokoto devin-
peul est devenu fragile au cæur même de son quadrilatère central, et iI
rent le siège d'émirats puissants et l'ensemble des villages et petites
est sapé en permanence par des forces centrifuges, celles des 10% de
villes fortifié es (birni) durent leur faire allégeance. Aussi viron
se
paiens, des agriculteurs expropriés par une modernisation agricole
développer autour de Kano, Sokoto , Zaia ou Katsina, des aires de
fortes densités (300 à 500) et d'agriculture pérenne, dans un rayon
favorable aux privilégiés, des mouvements de renovation de l'islam et
des groupes portant les aspirations des «sans importance>).
pouvant atteindre 30 à 50 km. Le réseau urbain s'est organisé autour
de Kano (1,3 Mhab.), la vieille métropole marchande, ancienne
À ta périphêrie: des «roturiers»
capitale de l'aruchide, concunencée aujourd'hui par la ville nouvelle
de Kaduna (700 000 hab.). Plus petite, Zaiademeure la capitale intel-
agronomique de Samaru, tandis que Sokoto s'étiole dans une région
La distribution des populations découle très largement de cette
histoire précoloniale; l5lo des superficies, portant des densités supé-
pauvre. Expression la plus élaborée de la vie haoussa et des divisions
rieures à 150, réuniss ent 4070 de la population, et 40lo du territoire
lectuelle, avec l'université Ahmadu Bello et le centre de recherche
de la société, la ville est caractérisée par un cloisonnement spatial,
sont caructérisés par des densités inférieures à 50. La concentration
reflet des exclusions et des distinctions sociales. À un birni doté d'un
des troupeaux, est particulièrement forte (usqu'à 150 bovins au
marché et où résident l'émir et son entourage, ont été accolfuà bonne
km2) dans hs États de Katsina, du Kebbi et de Sokoto; dans ces deux
distance la ville coloniale et, au-delà d'un espace-tampon inconstruc-
tible, les quartiers des migrants locaux ou venus du Sud. Ce schéma
derniers, les meilleures tenes, les fadama (bas-fonds inondables),
deviennent pâturages d'été. Des seuils critiques sont atteints quand
des années 1960 reste lisible, mais s'est quelque peu brouillé avec la
la densité rurale dépasse 125 ou qu'un bovin dispose de moins
croissance de l'habitat spontané. Le système socioreligieux haoussa-
2ha sans intensification des techniques.
tB7
de
En raison de pluies insuffisantes et inégulières (500 à 1 300 mm avec
une saison des pluies de 3 à 6 mois en période «normaler), le pays
haoussa a connu des pénuries, voire des famines en 1904, 1907
,1913-
1914,1921,1942 et 1972-1973, pour ne citer que les plus importantes.
Enl973, le déficit céréahier a atteint, selon les secteurs, 60 à 90V0. Si la
pluviosité commande, l'ampleur de la détérioration des sols et du
couvert vé;gétal, le durcissement des clivages et des inégalités, rendent
.I
les villageois plus vulnérables et plus démunis face à une crise de
subsistance qui prend aussi de court les pouvoirs publics. Les réponses
llrrn
l1l
locales à la crise alimentaire s'avèrent tragiquement insuffisantes: outre
le recours aux plantes non consommées habituellement (tubercules des
DensiÉ générole
mares et fonio sauvage), on vend ou on hypothèque ses tenes, 0n abat
0
du bétail au plus mauvais momerfl pour se procurer des liquidités, on
cherche des ressources dans les villes proches ou lointaines,
en 1980 selon les collectivités locoles
100 km
(en hob./km2
)
il
,ïw
L
14.4 - Le Nigeria du milieu
Ventre mou du pays, sans réseau urbain structuré, le Nigeria
du milieu est hétérogène. Ses faibles densités ef ses handicaps
(maladie du sommeil) justifient les efforts d'assainrssement ef
Combattie les variations interannuelles des pluies suppose la mise
àZaria, la pluviosité peut varier
du simple au double et la saison végétative débuter entre fin avril et
fin juin, avec des conséquences graves pour le mil ou le sorgho. Pour
limiter les effets de la sécheresse, les paysans ont joué à la fois sur
les combinaisons de cultures dans le temps et leur association dans
en place de mesures de prévention:
d'intensification agricole. Ce << vase d'expansion >> des trois
pôles est un objet d'enjeu et de conquêtes qui bénéficie de la
construction fédérale et abrite la nouvelle capitale.
des
légumes et tabac, les terres sèches sont destinées aux céréales et
plantes à cycle court, comme le mil précoce gero. Enfin, l'associa-
légumineuses de base, qui ne sont anosées que par les pluies, sauf si
tion de l'arbre et des cultures a longtemps été systématique; 0n
il y a peu douze arbres à l'hectare dans un
rayon de 20 kilomètres autour de Kano. Si le cultivateur haoussa
1'agriculteur utilise le chadouf,
dispose de quelques fadamahumides (LTlo de l'exploitation dans le
fumure d'origine urbaine (mais pas l'association élevage-agriculture)
la parcelle avec un usage précis des micro-environnements et
pouvait encore recenser
meilleur des cas), où
il fait pousser
Aux mesures contre la sécheresse, l'agriculture haoussa a ajout é la
et les engrais, si bien que la jachère a pratiquement disparu. Mais
riz, canne à sucre, oignons,
188
internationale, comme les prix intérieurs, avaient eu raison de cette
l'appropriation privée des tenes a aussi un revers, le morcellement
S'il y à,de ce fait,de lamain-
culture, qui reprend aujourd'hui grâce aux investissements d'entre-
d'æuvre disponible au sein du groupe de micro-propriétaires, la
prises textiles. Autre culture de rente, le tabac permet des bénéfices
petitesse des exploitations entrave la nécessaire modernisation
substantiels à Sokoto et àZaria,
agricole. On comprend dès lors la place prise par les activités
complémentaires, occupant 40lo du temps de travail des hommes
Les périmètres agro-industriels inigués (Kano River, bassin Hadejia-
des exploitations lors des successions.
adultes, et l'importance de la migration saisonnière.
lama'are, Rima-Sokoto) ou les projets de développement rural intégré
de Gusau (Sokoto), Gombe (Bauchi) et Funtua (Katsina) constituent-
il des voies de reconversion? Ne concernant
L'aruchide et le coton
que des minorités
aisées, ces opérations ne se sont pas révélées efficaces. À Bakalori
(Rima-Sokoto), les expropriations ont rendu difficile l'adhésion des
Tf
près le temps des caravanes de dromadaires traversant le Sah ffi&,
fl'le
populations. Dans les projets intégrés, l'insuffisance des systèmes de
commercialisation et de distribution d'intrants aurait bloqué une
pays haoussa a connu'la période des pyramides d'arachides et
de coton évacuées par chemin de fer vers Apapa, le port de Lagos, de
production de sorgho, de coton et de maïs qui semblait prometteuse.
l9l4
Peut-on compter sur une industrie agro-alimentaire quand 1'agri-
à 1970. Depuis, on cherche vainement la culture prometteuse ou
les activités diversifiées de substitution. La variation des prix interna-
culture est aussi peu capable d'assurer une production régulière?
tionaux et les aléas climatiques ont entraîné, faute de soutien des prix
internes, l'effondrement de la culture de i'arachide pour l'exporta-
Enfin, héritier de l'ancien empire du Bornou-Kaneffi, édifié voici un
tion, après que le Nigeria a été le premier exportateur mondial en
1965-1966. La production, qui culminait à 1,4 Mt au début des
années 1970, était réduite des deux tiers dix ans plus tard. Depuis
millier d'années par les Kanuri, premiers Nigérians convertis
résisté au
1989, elle a atteint un rythme de 800 000 tonnes. Si Kano est au
marche frontière peu peuplée avec l'émirat de Kano, jalonnée par des
Zaia qui dirige la zoîe
à
l'islam, tourné vers un lac Tchad aujourd'hui rétréci,le Bornou a
xxe
siècle à l'invasion peul et garde de cette époque une
coton-
avant-postes comme les petits émirats de Potiskum ou de Fika. Avec
nière. Favoris é par l'anivée du chemin de fer et la diffusion de la
une superficie de 116 000 km2 et4,1 millions d'habitants, les États du
variété Allen, le coton s'est étendu surdes sols riches à partir de
Nord-Est (Bornou et Yobe) figurent parmi les régions les plus margi-
l9l2;
après avoir culminé à 450 000 ha en 1974-1976,1a superficie
nales et les moins peuplées (35 hab./km2); ils abritent un cinquième
cultivée n'atteignait en 1981-1982 que 46 000 ha et la récolte ne
suffisait plus à la demande de l'industrie nationale.La concunence
du troupeau nigérian. Si l'on excepte le plateau basaltique de Biu, où
centre de la région arachidière, c'est
l'on produit du coton, la majeure partie du Nord-Est est faite
1Bg
de
auprès du lac Tchad ou d'étendues sableuses. La saison des
parmi les décideurs, qui n'ont pas hésité depuis les années 1950 à
multiplier les banages (Kainji, Numan), les complexes agro-indus-
ptuies æt de trois mois seulement. Le chemin de fer qui joint, depuis
triels (Bacita, Numan,Lafiagi, Santi) ou les ranchs (Mokwa, Obudu,
l9ÿ[,
Manchok), à peupler les périmètres de colonisation de Shendam,
Mokwa, de la Niger ou de la Benue River Basin Authority. Si l'on
Èines aux sols lourds et difficiles
fuaires
à travailler, coupées de cordons
Jos à Maiduguri n'a pas eu un effet dynamisant sur l'agri-
culture d'exportation 0t,
s'il a permis le développement
de
Yerwa-Maiduguri (200 000 hab.) comme place de transit vers le
il n'a amené aucun changement notable dans
k secæur a$o-pastoral. L emploi du chadouf pour f inigation dans
ajoute qu'un tiers des tenes cultivables seulement a été mis en valeur
et que la région produit déjà les deux tiers de
Tchad et le Cameroun,
f igname nigériane, plus
de la moitié du riz et du niébé, et qu'clle comble tant bien que mal les
déficits alimentaires du Nord comme du Sud, on peut imaginer
I'aire dunaire, et l'usage d'une variéténaine de mil dans les plaines,
cantribuent à assurer la survie. Les points d'eau naturels ou
aisément son devenir agricole.
ffiagés et les nouveaux périmètres inigués (Alo, Baga, Kirenowâ,
Marte) par la Chad Basin Development Authority composent les
Hormis Abuja; la Middle Belt n'a pas de très grandes villes, mais
quelques rares oasis de verdure du nord bornouan. C'est encore
quelques cités de 100 à 300 000 habitants, vivant de l'exploitation de
I'élevage, concentré dans le nord, l'ouest et le centre de la région,
l'étain (Jos), d'activités industrielles diversifiées (Ilorin) et surtout de
la fonction de capitale d'Ét* (Minna, Makurdi). Si l'agriculture
dispose de terres dans les plaines peu occupées, il manque des
hommes pour les cultiver, plus qu'ailleurs au Nigeria, et il s'avère
avec un
$os bétail sélectionné par les Peul et les Arabes shoa,
oünme la sherwa à robe rouge ou la kuri, qui fournit l'essentiel des
ressouces monétaires.
difficile de recruter alentour
des colons, comme les Britanniques en
firent l'expérience amère au temps du «plan des fuachides» dans les
Au centfe, les «nouvelles frontières»
années 1950. Dans l'émirat de Gombe (Bauchi) par contre, les
grandes familles traditionnelles ont adopté la culture attehée pour
I
travailler leurs exploitations (de 15 à 40 ha).Voilà qui aurait dû
inviter les technocrates à plus de modestie dans leurs projets $andioses. Dans l'aire de la Niger River Basin Authority, où l'on a
e Nigeria ne se résume pas aux BiS Three. Au contraire, son
L)expansion et son équilibre dépendent étroitement
des espaces
intérieurs insuffisamment mis en valeur et des échanges avec les pays
inigués depuis 1977 à raison de
limirophes. À I'intérieur, c'est plus de la moitié du pays qui constitue
aménagé 10 000 ha de périmètres
un espace aménageable; à l'extérieur, entre trois et cinq millions de
15 000 FF par ha, on a dû soutenir chaque colon sous forme de pres-
voisins vivent peu ou prou dans l'orbite économique nigériane, et
tations de services et de fourniture d'intrants subventionnées
plus d'un demi-million de nationaux vivent dans des villes d'Afrique
hauteur de 18 000 FF pour n'obtenir qu'une production totale de
midentale
3,5 tlha de
et centrale.
iz
à
inigué en double culture annuelle!
Ni trait d'union entre régions différentes, ni lieu de focalisation des
activités humaines, les fleuves Niger et Bénoué forment pourtant
Le ærme de Ivliddle Belt désigne un espace économique et climatique
inærmediaire entre le Sud forestier humide et le Nord sahélien, une
axrc «mitoyenne>> entre les grands pôles sociopolitiques méridionaux
et le pays haoussa-peul. Bien que central, ce «Nigeria du milieu» a
avec leurs affluents un réseau fluvial de premier ordre. La Bénoué
intérieur. En cette aire subhumide, définie par les isohyètes 900 et
jusqu'à Garoua au Cameroun, le Niger jusqu'à Yelwa
pendant la saison humide, mais ils ne sont presque plus utilisés audelà d'Onitsha. Leur confluence sert paradoxalement de ligne de
démarcation entre les trois Nigeria que la Middle Belt n'a pas
I
encore réussi à ordonner autour d'elle. Leur large
est navigable
été un lieu de pass r1a, une réserve de tenes disponibles, et devient le
grenier alimentaire d'un pays qui voudrait reconquérJrr son marché
500 mm qui oscillent entre 7 et 12' N selon les moments, la saison
lit a constitué un
végétative dure six à neuf mois, ce qui permet une très large gamme
obstacle, et ils ne sont guère que des bancs d'essai pour aména-
de cultures.
geurs. Pour la construction du banage de Kainji (1967),2 000 L112
Abritant plus de 16 millions d'habitants sur une superficie de
330 000 km2, h Middle Belt a 48 hab./km2, densité qui masque de
l'électricité, accessoirement d'irriguer et de réguler le débit du
ont été ennoyés et 44 000 personnes déplacées afin de produire de
fleuve. Même si l'on peut estimer que les déplaceryents humains
ont été mieux gérés que sur le banage de la Yolt{on déplore des
pertes de tenes inigables, des pâtures de saison sèche et la destruction du système agraire intensif mis au point par les Gungawa.
profondes disparités entre les reliefs, plus salubres, plus faciles à
dfendre, et les plaines envahies par les glossines. Si les deux tiers du
Nigeria central comptent moins de 50 hab. lkmz,77o des surfaces en
supportent plus de 100, groupant un cinquième de la population
Avec la sédentarisation progressive des éleveurs, dont lT%o seule-
totale. I-e faible peuplement de vastes étendues autorise un élevage
ment. restent nomades, alternent entre groupes des situations de
exænsif, avec 30 à AVo du cheptel nigérian; mais les efforts récents
conflit foneier^et de compromis, où les complémentarités sont
d'éradication des glossines, portant sur plus de 200 000 km2, créent
mises à profit: fumure des champs cultivés contre pâture et résidus
les coqditions d'une extension de l'agriculture. Du moins, le croit-on
de récolte.
190
tiv
restructurations politiques et macro-économiques du grand voisin
brûlées régulièremenf, et les villages sans
tionne (carburant, engrais) et ce qu'il réexporte pour acquérir des
espèces convertibles. Quand sa monnaie est surévaluée, les voisim
Ecomusées nupê et
§
LJ
i les savanes dégradées,
caractère rendent
Quand le Nigeia a une monnaie sous-évaluée (1986-1993), il ved
à ses voisins ce qu'il produit (produits industriels), ce qu'il subv*
la Middle Belt souvent monotone, les hauteurs
@nd
granitiques ou volcaniques aménagées en tenasses (Jos, Mandara) ou
l'approvisionnent, en denrées alimentaires essentiellement.
les massifs vallonnés (Sardauna, Mambila, Obudu) colonisés par
il
l'herbe e(pàturés par les troupeaux rompent l'uniformité. Se distin-
tourner les interdictions d'importation de produits alimentaires. I.e
guent aussi les restes de certains royaumes brillants, comme le Nupé,
commerce lié aux complémentarités écologiques n'est que peu dE
chose par rapport aux avantages conparatifs construits pour exfli-
ou les
«écomusées>>, paysages agraires élaborés
par des populations
protège son marché intérieur, ces périphéries sont mobili#es pour
quer
la fièvre de modernisation
du Nigeria. Enclave volcanique et îlot païen dominant I'univers
assiégées ayant miraculeusement résisté à
f importance et le sens des flux sur plus de 3 500 km de
frontière.
musulman qui l'entoure, le plateau de Jos (plus de 100 hab .llrrr:P) s'est
l'étainou la colombite. Bénéfi-
Jouant un rôle majeur dans les échanges clandestins, les règlæ offi-
ciant d'un climat plus tempéré et plus humide que celui des plaines,
une agriculture intensive a pu y prospérer: courtes jachères sur les
cielles et la manière dont elles sont appliquées constifuent des
occasions de transactions et des sources de profit. Llarrêt des impor-
champs clos installés sur des tenasses étagées, culture du foqio et de la
tations céréalières depuis 1987 n'alimente-t-i1 pas les importatim
pomme de tene. Ce bel ordonnancement est mis à mal par l'émigration
béninoises et camerounaises de blé et de riz pour le grand voisin
révélé être un piège à minéraux comme
p
vers les plaines. La croissance de Jos, peuplé de migrants venus de
(estimées à près de 500 000 t), et la chute du naira ne dop-ttlle
tout le Nigeria, plus particulièrement du Sud-Est, a suivi les hauts et
les marchandises et le carburant nigérian vendus sur tous les
bas du prix de l'étain, exploité par une vingtaine de compagnies étran-
frontaliers? Si Niger et Nigeria septentrional arrivent en partie à
parer, par transferts discrets de mil et de sorgho, aux penuries
conjoncturelles qui les affectent, les flux de produits plus régnlitts-
gères: 15 000 habitants en 1931, dix fois plus aujourd'hui.
Occupant une plaine de 18 000 km2 au nord du bassin moyen du
marcÉ
tels ceux de la cola, du bétail et des peaux dessinent, grâce arx
réseaux Alhazai, de véritables courants Nord-Sud. Avec le Benin,
fleuve Nigea les Nupé héritèrent d'un royaume fondé au xve siècle sur
le modèle du Bénin, mais ils ont été incorporés à la civilisation
c'est toute la panoplie des produits importés, contingentés, interüi[s,
haoussa au xvme siècle. Cette intégration a bouleversé le contrôle
chers ou rares qui transite en échange du cacao. Les échanges
foncier d'une région peu peuplée (40 hab .1km21,les féodaux fulani
Cameroun-Nigeria évoluent tres vite en fonction du taux de
à
c@e
s'étant attribué la propiété des deux tiers des tenes dans les villages
entre franc CEA et naira. De 1986
de la rive orientale de la rivière Kaduna, qu'ils louent aux villageois
voyeur structurel de produits agro-pastoraux de toute nature e[ de
contre redevances. Aux côtés de l'igname et du niébé, cultures de
carburant dans les régions septentrionale et sud-occidentale, ahrs
qu'il est déficitaire pour son propre approvisionnement. Il iMÊ
le Cameroun de produits manufacturés réexportés, asphyxiant h
bæe, les tenes iniguées portent des cultures vivrières marchandes: riz,
came à sucre et oignons. À l'habitat groupé des Nupé, vivant dans
une société hiérarchisée et peu mobile, s'opposent
et l'agriculture
tiv: dispersion
1993, le Nigeria aétépour-
secteur industriel de son voisin. Quand le taux de change est fave
iz de la Semy
l'habitat,la société
rable au Cameroun, le flux de bétail s'inverse et le
des concessions groupant une dizaine de
cases rondes, déconcentration du pouvoir dans les lignages et les
ou le coton camerounais trouvent preneur.
familles, itinérance d'une agriculture reposant sur le droit social à
cultiver pour chacun, pâs d'urbanisation. Installés à cheval sur la
Katsina Ala et la Bénoué, les Tiv occupent un tenitoire de23 000 L,12
puplé de deux millions d'habitants, avec des densités inégales: plus
raison de leur caractère illégal. Elles ont revivifié bien des burgadcs
de 100 au sud-ouest, moins de 70 sur la rive droite de la Bénoué. Agri-
monétaires opposées de janvier 1994 devraient logiquement
culteurs de bonne réputation, ils cultivent surtout ignames, céréales et
un avantage comparatif à la zoîe CEA si elle parvient à conuôler
f inflation, mais elle n'a que peu de produits primaires à exputer
Ces activités fluctuent très rapidement et ne sont guère mesurables en
frontalières qui s'étiolaient dans les années 1960. Les maniprlafum
dffi
h
manioc, largement vendus. Depuis deux générations, les Tiv
devrait donc assister à une diminution des échanges illégaux, nm à
s'avancent progressivement sur les tenes de leurs voisins d'Ogoja.
leur disparition. Les implantations nigérianes hors du pays ne susci-
tent pas de vague de xénophobie quand elles sont discÈtes.
[a frontière qui dêmarque
ù
Sud-Ouest ou celle des 100 000 Yoruba du Ghana, elles conduim
h
population autochtone à pratiquer ou à demander des mesures disiminatoires ou d'intimidation, comme à Kumba (Cameroun) ou à
es I57o de Béninois, les 38% de Nigériens et les 25lo de Came-
rounais qui vivent dans l'orbite économique du Nigeria
participent activement à des échanges frontaliers fluctuant selon les
Importantes, comme la colonie des 150 000 Igbo du Cameroun
I
191
Koumassi (Ghana).
Nige lJra: imprêvisible ffalectoire
La rente pétrolière et le « système naira» onf fauoNsé la dépendance alimentaire,
alorc que I'agùculture nigéNane auaü éÉ I'une des plus dynamiques d'Afrique, sans pour autant suscitu
une industrialisaTion fficace, La relance agricole et la restructuration industrielle sont des préalables
à
l'ffirmation inTernationab du NiBeNa, autour duquel pourrait être dynamisée la Communauté
economxque des iitats de I'AfNque de I'Ouest.
vec des densités rurales qui dépassent parfois 300 habitants au
pn2 et dans certains secteurs 1 000, le point de rupture est atteint
personnels expatriés, entrée d'actionnaires nigérians dans les sociétés
dans le cadre de l'agriculture à longue jachère. Pourtant, sans adopter
étrangères) et qu'en 1977 l'accès au capital des entreprises fut limité
un modèle agricole intensif fondé sur l'usage des engrais, une agri-
à 5lo pour les étrangers, tandis que l'État s'appropriait banques et
culture originale avait parfois été élaborée, ce qui n'a pas empêché le
assurances. En 1989, des mesures plus libérales furent prises, permet-
dépérissement et l'effondrement des productions vivrières et d'expor-
tant des participations étrangères jusqu'à 40lo dans les secteurs
tation, sans pour autant que les industries nées du boom pétrolier aient
stratégiques et au-delà dans les autres; 55 entreprises parapubliques
été capables d'absorber le trop-plein de main-d'æuvre.
«f indigénisation» des entreprises date de 1972 (quotas à l'emploi des
À I'abri d'une
ont été vendues dans le cadre de la privatisation.
économie artificielle fondée sur la rente pétrolière, le Nigeria s'est
permis plusieurs dévaluations drastiques de sa monnaie (25 natra pour
un dollar en 1993,mais 37 sur le marché parallèle, contre 1,8 en 1980)
pour retrouver une compétitivité sur le marché international, plongeant ses citadins dans la pauvrcté, et submergeant ses voisins de la
zone Franc de ses produits manufacturés bon marché. N'ayant pas
pour autant retrouvé son équilibre budgétaire,
il
aÉévalué sa monnaie
de l00%o en janvier 1994, prenant tout le monde à contre-pied!
A partir de I973,le pétrole, remplaçant les produits agricoles comme
source de devises, a été considéré comme le garant d'une politique de
développement. Le Nigeria a opté pour un pilotage à vue, donnant la
priorité à la consommation et à une politique d'investissements
calquée sur les idées en vogue dans les années 1970: dans le domaine
agricole, prendre l'Asie de la révolution verte comme modèle; dans le
domaine industriel, substituer des productions nationales aux importations et créer une industrie lourde; dans celui de l'aménagement du
tenitoire, lancer de grands travaux routiers et urbanistiques; enfin,
dans le domaine social, développer le secteur éducatif. Le plan de
Lagos (1980) a fait momentanément du Nigeria le leader d'un
La chaîne humaine
À port Harcourt, déchargement de sacs de ciment, dont le
Nigeria est un grand cohsommateur et dont les surfacturations,
courant interafricain, tixant comme objectifs l' autosuffisance alimen-
taire qt le développement «endogène et autocentré>>.
Il
le détournemenf et /es'revenfes itlegates ont été à |origine de
est vrai que
sca n d a I es po I iti co-fi n a n ci ers.
192
H
La dependance alimentaire
I
'agriculture nigériane, parmi les plus dynamiques de l'Afrique
I,Jen
1960 quand elle alimentait les caisses des régions et de
l'Étü,
est en piteux état trente ans plus tard. Avant la guene du Biafra, le
Nigeria étaitle premier exportateur mondial d'arachides, le deuxième
de cacao, et le premier producteur d'huile de palme et de palmistes.
CAMEROUN
Aujourd'hui, il vend très pou, voire importe ce qu'il exportait auparavant (huile de palme et coton), et surtout achète de gandes quantités
,'
/
tr-r' /'
de céréales pour couvrir un déficit de 25 à3A%. Les quantités exportées (palmistes, cacao, caoutchouc) sont passées de 1,5
240 000
Mt en 1960
t en 1980, et n'apportaient plus alors que 2,570
à
limits
. ---
seotenhionole
des cullures
de fubercuks
Àr{onirr
des devises,
m
proportion qui est restée similaire en 1991. Elles ne couvraient alors
cultures snonrer
k"'
+iuï,
que 25lo de la valeur des importations agricoles. Si l'on peut mettre
iluo,. dominonles
vivrières
en cause la concunence asiatique, on doit aussi incriminer les très
faibles prix à la production, qui ont découragé les paysals. D'autres
Mrîr
sorsl'o
I
I
Pelitmilm
Pos de culture
dominonts
l
éléments ont joué, tel le peu d'intérêt accordé aux infrastructures
rurales qui n'ont reçu, dans le troisième plan (fin des années 1970),
que 4lo des crédits d'équipement. Naguère, le rail avait étélacondition de l'expansion des cultures d'exportation; un bon réseau de
pistes secondaires pourrait jouer un rôle identique. Enfin, les
Marketing puis Commodity Boards, qui visaient, produit par produit,
à supprimer les intermédiaires, à constituer des stocks et une trésore-
rie en vue de stabiliser les prix aux producteurs, ont surtout donné
Abuioo
aux politiciens locaux les moyens de s'enrichir. Les abus ont été tels
qu'ils ont provoqué une vaine révolte paysanne en zofie cacaoyère
(1968-1969), une des premières de ce type signalées sur le continent
africain. Les six caisses de stabilisation, quoique réformées en 1977 ,
ont été emportées à leur tour, en 1988 , pàr la grande purge libérale,
pour n'avoir pu prouver leur efficacité.
3',
u0§
Cultures
'r
Polmier à
qfimenùires
Alors que l'agriculture nigériane perdait pied dans le commerce
international, la population se tournait vers les aliments importés.
0
eu recours aux produits alimentaires étrangers, à hauteur de plus de la
renüe
I
Wil
I
dominontes A,rod'ide m
et de
Avant que leur pouvoir d'achat ne s'effondre, citadins et ruraux ont
hrle
sêsore
200
km
Pos
cffin
de culfure dominonh
r
15.1 - Cultures dominantes au Nigeria
moitié de leurs dépenses pour les citadins et de près d'un tiers pour
Du golfe de Guinée au lac Tchad, une riche gamme écologique
permet aux paysanneries de jouer sur tout le clavier des plantes
cultivées en Afrique de l'Ouest. Les cultures d'exportation,
cacao, palmier à huile, coton et arachide, se sont établies en
<< ceintures » dont la cohésion a beaucoup tenu à l'organisation
les ruraux. C'est dans les villes que la consommation des produits
dérivés du blé est la plus élevée; le pain, luxe avant la guene civile,
est devenu le moins cher des aliments urbains. Sa consommation a
du commerce et des transports.
été multipliée par sept entre 1970 et 1980, pendant que celle du sucre
quadruplait et que celle duizdoublait. Occidentalisation des goûts et
politique en faveur du pouvoir d'achat des citadins aidant, l'évolution
de la consommation de farine de blé, à 95Vo améicaine, enclenchée '
par l'aide alimentaire durant la guene du Biafra, puis encouragée par
facilitées par le «système nairo>, ont persisté: L50 000
les facilités accordées aux filières d'importation jusqu'en 1987, a été
1990 contre 1,3 Mt en 1986, et250 000
conditionnée, enfin, par le quasi-monopole des capitaux américains
sans doute par les entrées clandestines.
t de riz,
t
de ble en
quantités doubl6m
sur la meunerie industrielle, adaptée aux blés durs du nouveau conti-
et sucre, n'ont pu
Jusqu'en 1986 -Ig87,les choix économiques n'ont fait que Éaliffi
l'agriculture. D'un côté, le naira surévalué et le faible niveau dE§
assurer une production suffisante et compétitive, les importations,
taxes d'entrée ont permis des importations massives, dans un
nent. Comme les périmètres hydro-agricoles, aménagés à la hâte à la
fin des années
1970 pour produire blé, maïs,
iz
rg3
iz
projets pilotes. Ce sont donc des périmètres de type agro-industriel,
üailandais se vendaient à Lagos moitié moins cher que les céréales
délicats à gérer, qui ont été privilégiés, ce qui explique quelques
locales. De l'autre, avec f inflation, les prix d'achat réels aux producteurs se sont détériorés. Pendant ce temps, les salaires ruraux
échecs retentissants. Cette modernisation agricole a entraîné d'abord
connaissaient de brusques flambées, rendant inaccessible à beaucoup
de ctrefs d'exploitation l'emploi d'une main-d'æuvre salariée, devenue
pied rapide d'une industrie des fertilisants dont on pense qu'elle
couvrira bientôt les besoins. Cette production, largement subven-
pourtant d'autant plus nécessaire que l'exode des membres de leur
tionnée
oontexte de baisse des prix internationaux: le blé américain et Ie
une importation massive d'engrais (1,5 Mt en 1985), puis la mise sur
, était écoulée pour un tiers dans la zone CFA jusqu'en
avril
famille étnt considérable. Des millions de petits exploitants ont ainsi
1993, où on a augmenté son prix. Le changement technologique sur le
de laisÉs pour compte. Commencé avant le bond pétrolier,
modèle asiatique, dont le Nigeria constitue le banc d'essai, ne pouna
en raison
de prélèvements excessifs à l'exportation, le déclin de l'agriculture
devenir une véritable révolution verte que si les autorités donnent la
d'exportation s'est transformé en faillite.
priorité à l'exploitation familiale et assurent une continuité politique.
Après 1982, avec la baisse des ressources extérieures, une relance de
Un quart du tenitoire, ayant une saison sèche de moins de cinq mois,
I'agriculture fut organisée autour d'un programme d'autosuffisance
est pratiquement à
alimentaire qui a surtout engendré l'aménagement de grands péri-
que des précipitations inférieures à 1 500 mm annuels, de plus en plus
mèEes. Parallèlement, de nouveaux prix d'achat ont été garantis aux
l'abri
des aléas climatiques. Le reste n'enregistre
système de crédit agricole a été enfin mis en place ainsi que deux
inégulières à mesure que l'on s'avance vers le nord: du delta du
Niger au lac Tchad, la durée de la saison végétative passe de
360 jours par an à 80; 570 seulement des tenes cultivées sont ini-
offices de commercialisation, l'un pour les tubercules et l'autre pour
guées: c'est dire l'ampleur du défi à relever par une recherche
l€s céréales, afin de réguler l'approvisionnement des villes et soutenir
agronomique qui balbutie dans le domaine de l'agriculture pluviale et
Ies cours. On encouragea aussi, avec un certain succès, les investisse-
ments agricoles des grandes entreprises pétrolières. La consommation
doit prendre en compte l'éventail complet des plantes cultivées en
Afrique de l'Ouest; le sorgho et le mil sont présents dans 50% des
d'engrais se serait alors amplifiée, mais moins que prévu, faute
exploitations, f igname, le haricot et 1'arachide dans près d'un tiers, le
peüts producteurs, l'engrais a été vendu au quart de son coût, un
d'ap'provisionnement suffisant. Les nouvelles mesures de 1986-1987
maïs et le manioc dans un quart.Lalocalisation des cultures d'expor-
(p,nx plus incitatifs
tation est nettement commandée par le tracé des voies fenées et la
,
crédit agricole plus accessible, suppression des
&rnien Boards) ont sans doute permis
proximité des ports. C'est l'héritage du commerce de traite, qui
des progrès, qui tiennent plus à
a
connu son apogée entre 1950 et 1970: Cocoa, Palm, Cotton et
Groundnut Belts. Pour le reste, il existe des rapports ambigus entre
I'extension des surfaces cultivées qu'à la hausse des rendements. Mais
le redressement provoqué par la dévaluation et les interdictions
d'importation de céréales n'a pas eu l'ampleur espéÉe: suite à
données naturelles et densités de population. Les fortes charges en
I'accroissement de la production vivrière, le secteur agricole participe
pays igbo se rencontrent sur des sols médiocres dont on ne peut
pour 3070 au PNB contre 20Vo dix ans plus tôt, mais les importations
espérer une légère amélioration qu'au
prix de fortes doses de fumure.
Dans le Sud-Ouest, 1'aire de production cacaoyère couvre
22 000km2, dont la productivité est moyenne. Enfin, au Nord, les
officielles ont retrouvé dès 1990 leur niveau de 1986!
Ir
densités élevées des États de Kano, Katsina et Kaduna conespondent
modèle indien à l'épreuve afuicaine
à des sols pauvres, quelquefois cuirassés. Si l'on en croit les statistiques officielles, 1570 de l'espace cultivé supporteraient46,5lo de la
À
/t
population du pays; I4lo seraient «surchargés» au Nord et à l'Ouest;
lors que la puissance britannique avait confié la production
agricole aux paysans, les investisseurs ne leur font pas
3370 au Sud-Est.
confiance, sauf à les transformer en ouvriers agricoles dans les
complexes agro-industriels, ou en paysans pilotes d'une «révolution
Avec les systèmes à longue jachère, la reconstitution de la fertilité
verte» qui se cherche. Du National Accelerated Food Production
demanderait de 5 à 15 ans. I1 faudrait environ 60 ha en savane et
Project, visant à offrir une panoplie d'intrants subventionnés, aux
River Basin Development Authorities, projets concentrés sur des
Érimètres hydrauliques inspirés de la Tennessee Valley Authority
40 ha en forêt pour subvenir aux besoins d'une exploitation rurale
américaine, en passant par les Agricultural Development Projects,
région de Sokoto, l'Est (Nike, Cross Rivet Delta et Rivers), la zone
orientés sur le développement régional intégré, la volonté gouverne-
d'Okene en pays igbira, le Sud du pays tiv et le plateau de Jos. Dans
mentale était alors claire: imposer aux paysans de nouvelles
les deux premières, l'extension des cultures de rente, venue entraver
techniques de production. Par sa conception (diffuser des plantes
celle des cultures vivrières, était avancée comme explication. Dans
améliorées en milieu contrôlé, avec une forte application
celles de Sokoto et du Sud-Est, l'émigration aurait permis de réguler
d'engrais), la relance agricole des années 1980 a soutenu les inter-
le rapport entre population et tenitoire, dans les années 1950; par la
ventions dans les régions à fortes potentialités sous la forme de
suite, celui-ci se serait dégradé.La faible efficience des techniques
moyenne. Partant de cette hypothèse, plusieurs zones nettement déficitaires avaient été identifiées: la région de Kano, l'aire cacaoyèrc,|a
rg4
,
culturales expliquerait les déficits d'Okene et du pays tiv tandis que,
maintenue durant toute la période coloniale, facilitant évictions et
sur le plateau de Jos, l'érosion liée au surpâturage serait en cause. En
ventes de parcelles. Au début des années 1960, seulement un tiers de
pays igbo et ibibio, la densité critique pour la reconstitution de la
la superficie cultivée relevait encore de l'ancienne formule de tenure
fertilité sans apport de fumure était estimée à 200 ou 300 hab./km2;
or, en lgg0, dans les États d'Anambra, d'Enugu, d'Imo, d'Abia et
collective des teffes. Ailleurs, mais pour d'autres raisons, l'évolution
d'Akwa Ibom , 54lo de la superficie supportaient des densités
Delta et en pays igbo, près de la moitié des tenes relève aujourd'hui
a
été,
sensiblement la même; par exemple, dans les États d'Edo et du
moyennes de 250 avec, localement, des pointes de plus de 400. Dans
du marché foncier libre. De telles proportions ne sont pas atteinæs
le Nord, oil périphérie des vieilles villes haoussa, une culture perma-
partout, mais
il existe au Nigeria une dérégulation de I'ancien
nente, fondée sur l'association céréales-légumineuses, continue
système de tenure qui ne s'observe pas au même deEé dans les pays
d'approvisionner régulièrement les marchés locaux sans que les
voisins, sauf aux abords des villes. Ceci est considéré comme
services agricoles aient à intervenir.
bonne chose par les «développeurs», nationaux ou étrangers, qui y
uË
voient la possibilité d'investir dans la tene. Le Land Use Decree de
1978 n'afait que consacrer cette évolution en décidant que, sur tout
Latene insaisissable
§ eton les pédologues
du Land Resource Survey,
\J les «bonnes tenes» occuperaient
le territoire, la terre serait bien national et que les collectivités
locales n'en garantiraient que le droit d'usage. C'était la porte
il
ouverte aux investisseurs de moyen et gros calibres qui ont ohenu
app arûtque
moins de 1\Vo de la superficie
des
du pays, mais qu'une meilleure gestion de 1'espace, avec de
nouvelles techniques (dont f irrigation), hors de portée pour le
moment de la plupart des exploitants, permettrait de quintupler
cette proportion. C'est à partir d'un tel constat qu'a été envisagé
I'aménagement, au moyen de l'inigation, de plus de
ll
certificates 0f lccupancy (baux emphytéotiques), notamnmt
dans les États du Nord.
Dragon ou relais
?
000 km2
I'AfrllE
classés hautement productifs sur les rives du lac Tchad et dans les
e Nigeria a parfois été présenté comme le «dragon» de
vallées des Riffiâ, Sokoto, Hadejia, Gongola, Niger et Bénoué.
Peut-être eût-il été plus approprié d'envisager la bonification des
au sud du Sahara, un pays pouvant posséder une bæe
Le capital étranger qui se désespère de ne rencontrer en Afrique qu'm
vallées et des abords du lac Tchad au profit d'une colonisation de
marché atomisé dispose ici d'une plate-forme à sa mesure; il es
peuplement, à partir des aires habitées proches. Ces quelques
présent. Toutefois, après vingt ans d'efforts, le «dragon» panît
mi-
souffrant: filières industrielles désarticulées, valorisation derisoire
exemples suffisent à montrer que le tableau agricole du Nigeria est
une marqueterie ignorée des technocrates, publics ou privés.
infuwie{le
Diffi-
fu
ressources nationales et recours continuel aux importations.
cultés de survie ici, innovations aux résultats performants là, le
maintien des systèmes agraires ou leur amélioration passe par une
Alors que l'agriculture était négligée, l'activisme indusriel a €te
forte disponibilité en main-d'æuvre et la diversification
règle: prise de contrôle des entreprises par les nationaux, mise en
des
dE
fm-
tionnement d'industries de substitution aux importations et créatim
activités, avec une fine adaptation aux situations locales.
d'industries lourdes. Cependant, tout a été mené dans la precifitratin
fu
En l970,l0lo des exploitations agricoles disposaient de moins d'un
dans une atmosphère de redistribution de la rente aux clientèles
hectare, la taille moyenne s'établissant à 62 ares, avec des écarts de
régimes successifs et sous f influence des multinationales. L'absme
un à vingt, selon la pression foncière locale: entre 10 ares et20 ares
de planification à long terme rend l'industrie fragile, peu sructuroe en
dans le Sud-Est, de 35 à 60 dans
réseaux adaptés au marché national, dépendante de l'éranger
le Sud-Ouest et les États du Nord,
pou
au-dessus de la moyenne ailleurs. Les exploitations sont minuscules
sa maintenance. Le nombre de salariés travaillant dans les eme-
et continuent d'être fractionnées de génération en génération. Pour
prises de plus de dix employés a quintuplé en moins de vingr mq;
survivre, nombre de ruraux ont une double activité. Les grandes
moyens modernes de production, sont rares: moins de 2 000 ont été
60 000 en 1963, 150 000 en1972,450 000 en 1981, mais lespum
d'emplois ultérieures (125 000 entre 1981 et 1983) montreu le
vulnérabilité d'un secteur dépendant de la distribution des revm
recensées. Cette situation s'explique au Nord par la conquête peul du
aléatoires du pétrole ainsi que de politiques tarifaires et
rxe
siècle, au Sud par l'extension des cultures d'exportation, et
partout ailleurs par la croissance démographique récente et les
changeantes. Tous comptes faits, le secteur manufacnrier emqisuÉ
migrations intenégionales. La gestion communautaire de la tene
exploitations,qui disposent de près de 100 ha et ont accès aux
monffitr
ne représente que 5,570 du produit national en 1990 (57o en 1965
.yft
s'est complètement distendue. Au Nord, f invasion peul a engendré
en 1985); il se place loin denière le secteur informel, I'agricultuc
et les services. L'industrie n'est pas devenue le fer de lanæ de h
non seulement le paiement d'un tribut par les villageois, mais encore
croissance: si les importations de produits manufacturés ont dimime
la transformation de leur statut: pour les conquérants, ils devenaient
de moitié entre
des «fermiers» révocables. La charia, du fait de l'indirect rule, f:ut
demande, non de la croissance de la production.
195
l9l0 et 1990 c'est en raison de la conmactim
de
h
Pour l'essentiel, le Nigeria a accédé à la technologie industrielle en
cinq fois plus nombreux que les expatriés mais ces derniers dis-
s'associant aux firmes étrangères. De nombreux investissements
posaient toujours de l'essentiel du savoir-faire technologique et
éttangers directs ou en contrats d'association (entreprises mixtes et
gestionnaire, d'autant que nombre de grandes firmes, telles United
assistance technique) ont été réalisés selon les lois de nigérianisation.
Africa Company, sont des filiales de multinationales.
Avant celles-ci, le capital industriel appartenait pour 5870 aux étran-
de I6Vo de la branche textile; son retour a été encouragé lors des priva-
L importation de matières premières comme de machines constitue
toujours le talon d'Achille du système. En 1983, 68To des matières
premières utilisées dans le secteur manufacturier provenaient de
tisations. Une élite appartenant à la fonction publique, au commerce et
l'étranger, et sur 53 branches étudiées lors d'une enquête, 10 seulement
aux professions libérales a pu accéder aux actions des sociétés cotées
avaient recours exclusivement aux ressources nationales, certaines
gers, pour 970 ausecteur privé national et pour 33lo aux États (fédéral
etfédérés). En 1988, le capital étranger possédait officiellement moins
en bourse de Lagos. C'est ainsi qu'à Kano, six grands Alhazai, dont le
depuis peu: cimenteries, traitement du caoutchouc, fabriques de
marchand le plus célèbre du Nord, Aminu Dantata, ont reçu la moitié
meubles, tanneries, brasseries, huileries. Surévaluation du naira et taux
des actions de 54 sociétés touchées par les décrets d'«indigénisation>>.
de protection élevés avaient permis
Le système de quotas entre personnel expatrié etpersonnel nigériafi a
permis également aux cadres d'accéder à la gestion des entreprises.
tion aux importations (montage de véhicules, électronique grand
public. . .) qoi se sont effondrées à cause de la dévaluation de la
Dans un cas comme dans l'autre, les bénéficiaires ne sont pas devenus
monnaie, renchérissant de 2 40010 le coût de leurs importations entre
pour autant des entrepreneurs. En 1983, les cadres nigérians étaient
1985 et 1991. Seules les branches à fort contenu de matières premières
196
la création d'industries de substitu-
locales ont subsisté, les petites entreprises, plus souples, s'adaptant
manque pourtant pas de ressources, tant dans le domaine énergétique
mieux à des circonstances difficiles (textile, agfo-alimentaire, industries
(pétrole , gà2, charbon, hydroélectricité) que dans celui des minerais
du bois, du cuir...). L inflation et les restrictions à l'octroi de devises ont
(cassitérite, colombite, piene à chaux), mais toute la branche extrac-
favorisé un tissu industriel national dont l'existence pounait être remise
tive est aujourd'hui malade: les mines d'étain de Jos n'assuraient que
en cause par le nouveau virage de la politique monétaire.
20 000 emplois en 1984 contre 50 000 en 1980. Si l'on doit imputer
l'effondrement de la production d'étain à la chute des cours, c'est un
les marchandages font l'espace
équipement obsolète qui explique les difficultés des houillères
d'Enugu (qui tentent pourtant d'exporter) et le ralentissement des
activité,s du bâtiment ou de l'extraction de la piene à chaux. Les
I
'Etatest d'abord intervenu en créant des zones industrielles à
Llproximité des villes pour orienter la localisation des firmes sur
centrales hydroélectriques de Kainji (achevée en 1967), de Jebba
(1983) et de Shiroro (1991) fournissent un tiers de la production élec-
l'ensemble du territoire; mais l'emploi industriel reste concentré à
trique totale, alors que les centrales thermiques (Afam, Delta et
plus de 9070 en une quinzaine de sites et à 70lo dans huit villes:
Sapele) tournent au maximum.
Lagos, Kaduna, Kano, Sapele, Port Harcourt, Wani, Onitsha et Aba.
La localisation des usines est toujours l'objet d'un vaste marchan-
Le pouvoir féd&aln'a pu lever les considérations liées aux avantages
comparatifs et, après 1973,
il
a laissé se créer
dage politique. C'est au président Gowon (homme de la Middle Belt)
une gén&ation d'indus-
que l'on doit le compromis final permettant
tries liées aux ports et aux grandes dessertes routières. Le pays ne
197
la
création du complexe
I
rno
Oshogbo (Osun). Des cimenteries furent, de même, octroyées
à presque tous les États . L'industrie textile, 63 000 emplois,
ll3 établissements, dominée par le capital indien, ne dispose sur
place que de 1 570 ducoton qui lui est nécessaire, alors que la produc-
tion locale couvrait plus de 50lo des besoins en 1918, Les industriels
ont donc décidé de produire leur propre coton sur de grandes planta-
BE
tions et complètent leurs approvisionnements par l'importation. Si les
industries de consommation finale sont localisées à proximité des
principaux marchés urbains, les usines qui peuvent compter sur les
I
I
matières premières locales ont été généralement rapprochées de leurs
I
I
sources d' approvisionnement.
t
La crise financière a déclenché un retournement de situation. Les
priorités gouvernementales mettent aujourd'hui 1'accent sur l'achè-
Océon
Atlantique
vement de programmes dits d'intérêt national: sidérurgie,
Forte densité de populotion
\--r
Porf Horcourt
Forte pression foncière
=
W
pétrochimie, tandis que les tarifs douaniers sont moins favorables
aux importations
15.2 - La pression foncière
. L'Etat fait pression sur les entreprises pour
qu'elles s'intéressent davantage que par le passé aux matières
locales. Les ressources pétrolière et gazière se voient mieux valorisées: capacité de raffinage portée à 445 000 barils par jour avec les
Manquant de moyens, les fortes populations agricoles n'évitent
pas la dégradation des sols, surtout au Nord et dans le pays
igbo. Le seuil de tolérance serait dépassé dans de nombreux
États, et la question de l'intensification est posée, la
consommation d' engrais demeurant très faible.
installations de Port Harcourt, IVani et Kaduna, meilleure utilisation
du gazpar l'industrie, projet de liquéfaction du gazà Bonny, expan-
sion de la pétrochimie, augmentation de la production d'engrais à
Onne. Durant le bond pétrolier, la ftpartition spatiale et sociale de la
e a aggravé les déséquilibres existants. Non seulement les
disparités Nord-Sud et villes-campagnes restent fortes, mais s'y
richess
ajoutent celles entre centres et périphéries dans les trois ensembles
délimités par l'«Y» du fleuve Niger et de la rivière Béno:ué,La cure
d'austérité entamée en 1982, et qui risque de se prolonger, modifie
en profondeur la structure des revenus issue de l'euphorie pétrolière.
Elle ponctionne brutalement le pouvoir d'achat, diversement selon
les milieux: meilleure rémunération des produits agricoles mais
blocage des salaires dans un contexte de libération des prix et
d'inflation non maîtrisée. Les inégalités sociales sont plus tranchées
que par le passé; la pauvreté est visible dans les taudis urbains
comme dans les campagnes.
Bénê ficiaires de
l'intêrieur
amplifié la redistribution
par différentes pratiques qui relèvent en fait de la conuption.
e multipartisme et le fédéralisme ont
15.3 - lndustries nigérianes
Dispersée en raison de la politique de respect des équilibres
régionaux par le pouvoir fédéral et de la distribution des centres
de consommation, l'industrie nigériane, qui valorise encore peu
les matières premêres locales, manque de compétitivité.
Comme les ressources financières des Etats proviennent aux trois
quarts du budget fédéralet que tout citoyen nigérian peut, de
loi,
parla-'
accéder aux fonctions et ressources fédérales, cela encourage
la gestion laxiste des fonds et la multiplication des emplois
accorder des compensations, sous la forme d'une autre aciérie à
publics, voire l'augmentation du nombre des Émts. L'économie
«mixte» a favorisé, par la relation croisée incessante entr e l'Etat et
les intérêts privés, la mise en place de réseaux de captage de
profits, le processus favorisant en priorité ceux proches du pouvoir.
Aladja (Edo) et de laminoirs à Jos (Plateau), Batagurawa (Kaduna) et
Rien en cela de bien spécifique au Nigeria, si ce n'est la masse des
sidérurgique d'Ajaokouta (Kogi), à proximité de la mine de fer
d'Itakpe (360 Mt de réserves). Pour parvenir à cette décision,
il dut
lg8.
capitaux en jeu et f institutionnalisation de la «combire». Protec-
[e foisonnement des échanges
tions données par la puissance publique et prêts bancaires accordés
à des
taux avantageux ont fait en peu de temps de quelques milliers
de Nigerians des hommes d'affaires: une bourgeoisie nationale est
es besoins alimentaires des villes, l'existence de zones défici-
en gestation.
taires et le goût des Nigérians pour le commerce, expliquent qrrc
la production agricole soit insérée dans 1'économie de marché.
Dans la hiérarchie des bénéficiaires, mais bien en dessous, se place
L échange intenégional et transnational est, ici, une réahté ancienne.
l'armée des bureaucrates, sécrétée par une fonction publique en
expansion accél&ée, du permanent secretary (secrétaire général
Il
porte notamment sur un volume important d'ignames produiæs au
Sud et de mil cultivé au Nord, de fortes quantités de mars, de
ria
d'un ministère) au clerk (employé de bureau). Les fonctionnaires et
assimilés se sont multipliés en une trentaine d'années; ils étaient
près de deux millions en 1983. Ils ont anaché des avantages sala-
tous les États de la Fédération. Sur les six grandes régions agru
riaux et su utiliser leur position pour prélever une part croissante de
en forêt (Est, Centre et Ouest), sont déficitaires comme aupamyant
la richesse nationale. Les 30 États que compte la Fédération disposent chacun d'un service public autonome réservé à ses
igname et manioc, huile de palme, maïs et cola. Cette situuion eE
d'huile de palme, de niébé et de viande bovine circulent aussi dîns
écologiques prises en compte par les services agricoles, trois, siméæ
ressortissants, dans lequel 1'éducation occupe une place de choix
depuis la décision, prise en 1976, de scolariser tous les enfants. On
imagine la masse d'enseignants nécessaire à l'encadrement scolaire
de 15 millions d'enfants dans le primaire et 3 dans le secondaire.
Comptons aussi les entreprises publiques: 500, dont 200 relevant
directement du niveau féd&alet des communes (/oc al governments).
Au début des années 1980, le secteur public mobilisait le tiers du
produit national, contre lZ%o dix ans plus tôt. Les classes moyennes
ont du mal à émerger, hormis à Lagos, et partout les classes popu-
Équipement
laires urbaines comme rurales n'ont recueilli que les miettes des
hospitolier
redevances pétrolières.
En
1981
,l2lo
de «riches» se partageaient le
( te82 l
{ re82
( 1e80
)
(
( leso
)
( re8o)
}
tiers du revenu national disponible; le capitalisme populaire n'est
pas encore à l'ordre du jour. L'ajustement structurel a réduit le
secteur rentier public et parupublic, suite à la vente de nombreuses
entreprises.
de 5
Il
a supprimé des emplois et réduit les revenus de près
millions de salariés.
La pauvreté se répand. La solidarité, tant de fois évoquée pour
expliquer la capacité des Africains à faire face aux difficultés, n'est
pas sans limite; au Nigeria, 0n tout cas,
providence>> comme dans
il n'y
te80l
a plus de «famille-
les économies moins monétarisées des
pays voisins. I1 est impossible d'estimer le nombre de pauvres issus
de l'économie pétrolière; en 1983 ,3070 des non-salariés
salariés recensés en
etl4lo
ville auraient disposé d'un revenu
des
mensuel
inférieur à 20 naira soit, au cours parallèle, moins de 72 francs.
Aujourd'hui, la vie citadine s'avère plus difficile en raison de
l'inflation, qui touche notamment les denrées alimentaires, alors
que les salaires ont cessé d'être indexés sur les prix, et que le
chômage progresse depuis 1980. Cependant, de 1965 à 1985, la
dégradation des termes de l'échange s'est faite au détriment des
campagnes, rendant incertaine la vie des exploitants, de ceux
ffi
ffi
Fovorisé
E
Proche de lo moyenne notionole I
Défovorisé
Pos
t
1
/2écort ô lo
moyenne
)
notamment qui ne disposaient que de petites superficies ou
manquaient de main-d'æuvre familiale, de ceux qui ne dégageaient
que de faibles surplus. Les fournisseurs de produits vivriers ont
mieux profité que les planteurs des réajustements successifs de prix
15.4 - Les disparités régionales au Nigeria
L'héritage colonial, le modèle agro-exportateur puis
le modèle pétrolier ont favorisé /es arres méridionales
du pays, en particulier le Sud-Ouesf cacaoyer et le Sud-Est
pétrolier. Les écarts de revenus entre Nord et Sud
mais, partis de plus bas, tout juste ont-ils ruttrapé le retard.
n'ont cessé de se creuser.
Lgg
de donnée
m
mm d'eou
Sohel
Sovone
ffit;['iflo'
ffi^.
HI#rïl Lolon
-500
r-t'ï**t
-]
[fl|]
000
Proirie
-r 000
W,Cocoo
-1 500
ffi,ïm Polmier à
ffi
huile
Sovone
-2 000
-3 000
Forêt
Mongrove
Longues et ethnies
Zones ogricoles
Pluies et végétotion
ffi
W
I
2
3
4
5
Arochide
Fortes densités
15.5 - Organisation de l'espace
nigérian
Trois ethnies majeures, trois foyers
de peuplement inégaux sur un fond
écotogique en bandes zonales et,
pour l'équilibre, un effort de
promotion du centre près du
confluent du Niger ef de la Bénoué.
Le Sud est favorisé par le
développement (adapté de
Chr. Maurin, Mappemonde, 1986,
n"4).
urboines
Logos, lbodon, llorin
Abuio
Koduno
Kono
Port Horcourf, Onilsho
Comeroun,
r 961
Limites et ruptures
Vers un nouveou centre
liée autant à la concurrence exercée depuis longtemps par les
Ces flux interrégionaux et internationaux portent sur des quantités importantes de vivres, impossibles à estimer mais sensibles au
change officiel ou parallèle. L'exportation ou la réexportation,
cultures d'exportation qu'au taux d'urbanisation de plus en plus
élevé et à la forte pression foncière. De plus, la région forestière
cenffale, qui écoulait ses surplus d'ignames et de gari (semoule de
comme la distribution intérieure, ne conespondent pas obligatoire-
manioc) sur les marchés des deux régions voisines, a vu son dyna-
ment aux situations de surplus ou de pénurie. C'est la recherche
d'une marge bénéficiaire qui commande les flux, qu'ils soient
misme agricole entamépar la flambée pétrolière. Les autres régions,
savane sèche, savane intermédiaire et mosarQue forêt-savane servent
internes ou en relation (officielle, clandestine ou tolérée) avec l'exté-
donc de greniers, au point que l'on a pu noter une extension plus
rieur. Le
septentrionale de la culture du manioc (mosarque forêt-savane) et, au
entrent au Nigeria quand le naira est surévalué. Mais c'est au tour des
Nord, en savane sèche, uû effacement relatif de l'arachide au profit
céréales locales et des produits importés de franchir la frontière
camerounaise de temps à autre. Ce mouvement de balancier
du niébé.
iz et le bétail camerounais, ainsi que le iz
thaïlandais,
s'obserye aussi du côté du Bénin, le «poumon de la contrebande» des
Aux flux intenégionaux enffe campagnes et villes, se superpose la
distribution par la ville des produits importés et transformés: farine
produits importés dans tout le golfe de Guinée, par où ont transité,
sont majoritairement les petits producteurs qui font l'offre et que
entre 1986 et 1993, des centaines de milliers de tonnes de blé et de
riz, ou du côté du Niger, l'«arrière-cuisine» du Nigeria par Haoussa
interposés, qui lui fournit régulièrement haricots, niébé et bétail
celle-ci, indépendamment des conditions climatiques de l'année,
contre des produits introduits soit parLagos, soit par le Bénin.
de blé, pain et biscuits, boissons, sucre et produits laitiers. Comme ce
reste largement insuffisante, l'élasticité des prix observée sur le
généité des filières commerçantes, toutes privées. Des cartels se sont
Les investissements étrangers dépendent des capacités d'approvisionnement, de 1'exploitation possible des ressources locales
constitués, encadrant le marché de la viande et de la noix de cola. Ces
(pétrole
filières mobilisent de très nombreux intermédiaires répartis en de
multiples réseaux: neuf sont connus pour le commerce de la cola,
associée aux contingentements dans les importations (selon les
ayant chacun de quatre à sept intermédiaires successifs, entre produc-
époques), les investissements publics soutenus, la surévaluation du
marché intérieur ne dépend pas du milieu rural mais de l'hétéro-
,
étain, par exemple) et, bien entendu, du désir d'être présent
sur un large marché de consommateurs . La politique
tarifairé:'
teurs du Sud et consommateurs du Nord qui, de plus, exportent
naira ainsi que l'activité bancaire ont été de puissants facteurs
souvent. Autre exemple: en pays haoussa, le commerce des grains
d'incitation. Malgré tout, jusqu'à la période de récession, la production industrielle nigériane n'a pas été compétitive en Afrique de
l'Ouest, a fortiori au plan international. La dévaluation et la baisse
mobiliserait une dizaine de circuits commerciaux partant des boutiquiers de village, aboutissant aux négociants des villes et contrôlés
par des personnes bien placées qui savent manier l'argent.
I
200
drastique du pouvoir d'achat des citadins ont changéla situation de
1986 à 1993: la demande nigériane et l'exportation vers les pays de
I
la zone CFA se limitent de plus en plus aux produits indispensables
L'atout du nombre
(alimentation, textile, engrais). Les véhicules d'occasion se substituent aux engins neufs montés sur place. Les firmes britanniques
restent dominantes, quoique grignotées par la concurrence améri-
epuis l982,le Nigeria vit une crise, observée de l'extérieur avec
caine, allemande et française, à laquelle s'ajoute la présence de
avait été impressionnante au cours de la décennie précédente, jusqu'à
l'Italie et du
Japon. Les investissements étrangers se sont toujours
créer l'illusion de la puissance et de la prospéité. Si crise signifie
portés prioritairement sur le secteur extractif (pétrole et mines);
prise de conscience du poids de la dette extérieure et de l'ampleur du
venaient ensuite le secteur manufacturier, la construction, les travaux
déficit interne, le terme prend tout son sens aux yeux des Nigérians
du fait de la remise en cause du mode de développement suivi, et de
d'autant plus d'attention que l'expansion économique du pays
publics, le commerce et les services, surtout après le premier choc
pétrolier. En revanche, le contre-choc de 1982-83 s'est traduit par un
la distribution au compte-goutte de la richesse nationale. Le change-
ralentissement très net des prêts et investissements: stratégie d'attente
ment de cap s'est fait sans implosion, comme si les Nigérians avaient
mesures
compris que les lampions de la fête étaient éteints. Doit-on parler
favorables à f investissement étranger, l'anêt du processus de nigé-
d'une bonne occasion pour l'État, obligé, enfin, de se conformer à
rianisation, la purge libérale et la dévaluation ont redonné confiance
une discipline économique et financière stricte, tout en limitant son
aux investisseurs qui n'avaient pas cru bon de quitter le pays, mais
n'ont pas refait du Nigeria le marché attractif qu'il fut: l'Afrique du
rôle à la régulation de la construction nationale? L'après-pétrole
pourrait se jouer sur la mise en valeur d'atouts insuffisamment
des firmes à
l'affût d'un réveil du marché. Depuis 1987,les
Sud a pris le relais.
I
20r
utilisés: les ressources du sous-sol, le rôle politique en Afrique, les
millions d'habitants. Le Nigeria d'aujourd'hui a Ia nostalgie
mées
des
Un sous-continent
1980 (naira accroché au dollq politique interventionniste), à
cmtre+ourant dans un monde néolibéral. Attitude hétérodoxe: pour
mbien
f)
L
de temps?
urr la Communauté
économique des États de l'Afrique de
l'Ouest (CEDEAO), le poids démographique nigérian égale
Avec une masse démographique officiellement recensée de
tEJ millions en 199I, sans doute sous-estimée, environ le cinguime de la population au sud du Sahara, le Nigeria se dirige vers
les ll8 millions en l'an 2000 et 155 pour 2010 (avec un taux de
poser en pôle d'impulsion économique dans une Afrique occidentale
croissance de 2,6V0 par an). Les estimations couramment admises lui
et centrale quelque peu éclatée obliger aît I'Etat nigérian à dépasser
donnaient 20 millions d'habitants en 1930, 34 millions en 1950,
les problèmes de gestion de son fédéralisme: vaste perspective pour
44 millions en 1960. S'il s'impose donc par la masse de sa popula-
ce «pouvoir en puissance». Même
tion, celle-ci ne peut constituer un facteur positif que si elle est
grande transformation économique et sociale en cours, un tel scénario
maîuisee dans sa croissance, régulée dans sa répartition et valorisée
est encore
pu la formation,
notamment celle des futurs cadres de la nation. Le
sous-continentale manque singulièrement de fermeté et de continuité.
marché que représente la population est déjà réel. Une société de
Si les liens culturels et les réseaux marchands anciens ainsi que, plus
ousommation avait fait son apparition avant l'ajustement, comme
le prouvent les deux millions de comptes bancaires, les lTlo de
récemment, les migrations de travail, ont pu dessiner un espace
l0lo
celui de ses quinze associés réunis .Lapopulation de certains États de
la Fédération, tels Kano ou Sokoto, surpasse même celle de pays
comme le Togo, la Siena Leone, voire le Bénin pour Kano. Mais se
s'il paraît être
dans la logique de la
loin d'être assuré. C'est que l'action de l'État sur la scène
économique transfrontalier, encore faudrait-il que cette situation soit
de propriétaires
l'objet d'attention de la part des dirigeants. Or ceux-ci semblent plus
d'un véhicule. Combien auront sauvé ce niveau de vie quand le pays
préoccupés par les questions internes que par la nécessité de conso-
sera sorti de la crise?
lider les points d'appui extérieurs du réseau commercial, à moins de
Ia
question qui se pose est plutôt celle de la diversité des emplois
penser QUe, par souci diplomatique, ils ne veuillent rien entreprendre
dans ce sens. Il apparûtpourtant que les pays frontaliers du Nigeria
qui devraient être offerts à moyen terme à une jeunesse fortement
scolarisée. L'emploi dans le secteur formel ne concernait que
doivent constituer, à court terme, la cour et l'anière-cour de son
activité économique et l'aire d'expansion d'une population en pleine
4,5 millions de personnes pour une population active de
croissance démographique.
menages urbains possédant un téléviseur et les
26 millions. En une quarantaine d'années, le Nigeria est parvenu à
se dispenser de l'assistance extérieure dans les universités et le
secteur pétrolier: aboutissement d'un effort considérable en
muière de scolarisation et de sélection. Vingt universités existent
Si un corps de soldats nigérians a été envoyé au Tchad pour particrper
au rétablissement de
l'ordre à Ndjamena (1979),le gouvernement ne
sait, ou ne veut, pas s'opposer aux interventions étrangères en Afrique
aujourd'hui, accueillant 120 000 étudiants; ils étaient 2 500 à
I'indépndance. Si I'empire du nombre est peut-être la promesse
de la puissance à l'extérieur, c'est aussi la certitude d'une mul-
une politique à la Monroe pour l'ensemble du continent. De même,
ütude de charges à assumer sur le plan intérieur: scolariser plus de
pourtant favorisé la mise en place, en 1975,afin de créer une zone de
$ millions
subsaharienne alors
qu'il affiche,
dans les conférences interafricaines,
après avoir contribué à minimiser le rôle de la CEDEAO dont
il
avait
d'enfants et subvenir peu ou prou aux besoins de près
libre-échange, le Nigeria n'entretient aujourd'hui d'accords de coope-
de 16 millions de personnes âgées de plus de soixante ans (autant
ration économique qu'avec le Bénin et le Niger. Avec le Cameroun,
qu'en Allemagne) à la fin du siècle.
«pays complémentaire>», l'ancien contentieux de 1960 sur le partage
de la région camerounaise, placée jusque-là sous tutelle britannique, a
limites des zones de pros-
Ces données indiquent l'ampleur des transferts sociaux à prévoir.
été réactivé par les différends portant sur les
Car, pour l'ÉtaL une population nombreuse peut devenir rapide-
pection pétrolière et de pêche dans le delta de la Cross. L importante
ment un fardeau si les systèmes de gestion, d'encadrement et de
contribution du Nigeria aux forces de rétablissement de l'ordre au
régulation restent inopérants face aux problèmes collectifs: surcharge démographique des campagnes, défaillance des services
urbains et organisation des échanges commerciaux laissée au
Liberia montre son désir d'assumer un rôle de puissance régionale,
marché libre, au risque de déclencher des pénuries de ravitaillement
Le Nigeria garde une politique attentiste vis-à-vis des pays de la zone
en ville. Pour le moment, la limitation des naissances n'est pas la
franc. I1 n'y pénètre que soutenainement, malgré les intérêts évidents
piorité du gouvernement même si, depuis l964,les méthodes
de
que le pays peut y trouver, et cela pour trois raisons essentielles:
planning familial sont tolérées et ont été bien acceptées dans les
familles citadines du Sud, les mieux éduquées. Il faut donc
l'attachement du pré cané francophone à la monnaie CFA (garantie
par le Trésor français), le maintien dans la zone de banières doua-
s'attendre à un alourdissement de la masse démographique pendant
nières et les accords de défense qui lient les pays francophones au
encore deux gén&ations au moins.
«gendarme» français. Le Nigeria est obligé de composer. Après la
mais f inefficacité, de ces forces est symbolique.
202
C'est sur le taux de change que s'est organisé le changement de
politique économique, tant il est évident qu'une dévaluation profite
tentative de sécession biafraise soutenue par la France gaulliste et la
Côte-d'Ivoire, qui voyaient
1à
l'occasion d'affaiblir le Nigeria, le
marché nigérian s'est ouvert aux entreprises françaises. Le gouverne-
aux exportations. Auparavant, la surévaluation du naira favorisait
ment a également pris des positions voisines de celle de la France à
les importations bon marché, qui démantelaient peu à peu des pans
propos du Tchad. La dévaluation du franc CFA de janvier 1994,
entiers du secteur productif national, mais elle permettait, mois après
marquant le début du repli hexagonal français, peut laisser une place
mois, de limiter f inflation sans toucher au pouvoir d'achat des
vacante. Sera-t-elle occupée?
citadins, aux profits des intermédiaires, aux dépenses publiques et au
crédit. Les mesures prises ont eu pour effet, à l'extérieur, de rendre
La réponse est d'autant moins évidente que l'ensemble nigérian reste
compétitifs les produits nigérians et, à f intérieur, de multiplier pu 24
écartelé entre des champs socio-politiques contradictoires. Les diffé-
le prix des produits importés;
rents corps sociaux, à commencer par les technocrates, l'armée et
l'intelligentsia, jouent chacun leur partition, rendant problématiques
d'enrichissement illicite, par le trafic de contrebande. Mais pour
quiconque, dans toutes les catégories sociales, ne profite pas de celle-
l'élaboration et la mise en æuvre d'un projet de construction natio-
ci le contrecoup a été rude:
nale. A fortiori, doit-on s'intenoger sur la capacité de ces groupes à
licenciements et renchérissement du coût de la vie. Cette conjoncture
susciter une politique extérieure claire et cohérente. Les rivalités
a entraîné le retour (provisoire?) de certains citadins au village
ethniques et les divisions religieuses, périodiquement exacerbées,
pendant que, dans le même temps, les agriculteurs, bénéficiant d'un
restent les fondements du jeu politique, obligeant le pouvoir fédéral
marché plus favorable, accroissaient leurs productions.
il
en est résulté de nouvelles occasions
suppressions des sociétés publiques,
à composer entre démembrement territorial et centralisation du
pouvoir. Souvent encore, face à la permanence de ces problèmes qui
La politique monétariste et libérale donne un coup de fouet. Il reste au(
minent I'Etat, c'est le spectre du chaos qui légitime la prise de
pouvoir des militaires, gardiens, jusqu'à présent, de 1'unité natio-
secteurs productifs à s'adapter. Mais l'industrie nigériane n'est pas à
même de conquffil, sans les avantages comparatifs artificiels produis
nale. Le retour au régime civil n'a pas eu lieu comme prévu, laissant
par la dévaluation du naira, les parts de marché qui pounaient lui
pendantes bien des questions: reconstruction économique du pays
revenir si bien QUe, à l'exception du textile et des produits alimentaires,
sur des bases durables, renforcement de l'unité de la Fédération
bruts ou transformés, ce sont les produits réexportés ou nigérians
subventionnés qui passent les frontières. Le secteur privé national,
notamment.
même
s'il est encouragé,
sans risques, à
L'imprêvisible
la concunence internationale. C'est donc le capital
multinational qui est sollicité pour prendre les devants sous pavillon
nigérian.
I
est trop jeune et trop fragile pour tenir tête,
Il lui est aussi demandé de recomposer le tissu industriel,
a profondeur de la crise enregis trée à tous les niveaux tient
voire de susciter le dynamisme agricole du pays, sous la forme d'inves-
Usurtout à I'ampleur du déficit intérieu1 dû à l'importance des
tissements dans la création de blocs agro-industriels. Dans les termes,
le système fiscal brillait par
tout cela ne représente pas un grand changement par rapport au pæ#
dépenses publiques engagées alors que
son inefficacité et que les bénéfices autrefois perçus sur les produc-
récent. On sait aussi ce que de tels projets sont capables de produire.
tions agricole et industrielle étaient à la baisse. Le devenir du Nigeria
pæserait donc par la révision complète de sa politique économique,
sera inévitablement le coût social de la remise en question de
l'économie nigériane qui fera le tri entre le «programmé» et le
ce qui est plus facile à énoncer qu'à mettre en application. La crise,
«possiblerr, dans l'effort d'assainissement et d'ajustement demandé.
c'est d'abord Ia dégradation de la balance des paiements, à la suite de
Peut-on encore, dans les villes, réduire un pouvoir d'achat déjà
la baisse du prix du pétrole (1981), concomitante des engagements
financiers exorbitants pris par 1'Etat. D'un tiers de la valeur des
étudiants qui risquent de se retrouver sans emploi, alors qu'au début
C,e
diminué de moitié? Peut-on continuer à di$ribuer des diplômes à des
exportations en 1980, l'endettement total extérieur (près de
des années 1980 un quart de ceux qui sortaient des universités rencon-
milliards de dollars) était passé en 1992 à37710 de celles-ci. Le
traient déjà des difficultés pour se placer? De nouvelles formes de
),jigeria, dans l'incapacité d'assurer le service de sa dette, a dû solli-
régulation de l'économie, de la société, de la démographie et de
citer de nouveaux prêts, qui ne pouvaient lui être accordés qu'assortis
l'espace national seraient à inventer pour parvenir à un développement
de conditions draconiennes. Le Nigeria les refusa. C'est seulement
acceptable. Le contexte socio-politique, toujours lié aux vapeurs peme
30
qu'il
se résigna à une dévaluation
lières, est brouillé, et le chemin à parcourir est semé d'embûches,
brutale pour obtenir, en 1988-1989, le rééchelonnement de sa dette,
même si l'on est en droit d'avoir quelque confiance dans la formidable
æsorti de prêts d'ajustement structurel.
capacité des Nigérians à se tirer d'affaire.
sous la menace de la banqueroute
203
Popu lotion
Aires régionoles
Poys
ffiï:itti]î
E
L $'ifl $ $ï#r$ H [fi
mfifi*Ïfl$$T*üüïïtw
ntreprises
Secteu rs
$ËI
Écho nges
Russle
Ie retclur de puissance ?
POPULATION . SOCIÊTÊ
ÉcoromrE - ÊcHAilGEs
Population totale zot3 hab.
t73 615
Superficie km'
94
Densité 2ot3 hab.km'
Accroissement naturel annuel %o
Mortalité zor3 7o"
Natatité zot3 %oo
Mortatité infantile zot3 o/oo
Espérance de vie 2ot3 f., h. ans
52
Féconditê zor3 enfants par femme
Moins de r5 ans zot3 %o
Plus de 65 ans zot3 %o
VIH fin 2otz
estimation haute 3 8oo
estimation basse 3 1oo
Dépenses publiques de santé zo72 % du PIB
Dépenses publiques d'éducation % du PIB
Population avec moins Oe z $/iour zoro %o
Femmes parlementaires (chambre basse)
IDH zorz
Émigration nette zot3
(rang)
o/oo
Taux d'abonnés têléphonie mobile
zop
zot4%
3oo
768
789
2r8
73
42
97
57
6
44
3
ooo
ooo
6,7
n.d.
84,5
6,7
0,477 (rSl")
%o
o
$
PIB zor3 Md
o pârt de I'agriculture dans le PIB
o part de I'industrie dans le PIB
en
zotz
o part des services
PIB/hab. 2ot3 US$
Taux de chômage
1286,+1
%
o/o
dans le PIB %
officiel zott
%o
33,1
4e.,6
26,3
lr 6gzl
lzl,gl
Population active zotz hab.
lSz 6t+z 3361
e part du primaire f., h. %
n.d. n.d.
o pârt du secondaire f .,h. o/o
n.d. n.d.
o part du tertiaire f., h. %
n.d. n.d.
Taux d'urbanisation zot3 %"
50
lmportations Fab zotz M $
53 640
Exportations Fab zop M $
96 48
ro 856
en 2ot2 o import. alimentaires M $
o export. alimentaires M $
rt 276
lnvest. Directs Étrangers 2ot2 (flux) M US$
7 tot
Consommation d'énergie 2ott kepthab.
72t
o,9
Dépenses militaires, part dans le PIB zotz %o
t5 73o
Dette extérieure totale zog M $
67
[ ] : donnée
estimée f., h. : femmes, hommes
PRIilCIPALES PRODUCTIONS
o gsz naturel 36,r Mdmr (zor3), pétrole
ur,3 Mt (zor3), pêche 856 614 t (zorr)
.ananasl42oooot(zorz),agrumes3gooooot(zorz),arachides3oToooot(zorz),cacao383ooot(zorz),
caoutchouc naturel 143,5oo t (zorz), ignames 38 ooo ooo t (zorz), légumes 6 zoo ooo t (zorz), mai's 9 4ro ooo t
(zorz),manioc54oooooot(zorz),millet5oooooot(zorz),sorgho6gooooot(zotz),riz4833ooot(zorz),
bovins r9 2oo ooo têtes (zorz), caprins 57 6oo ooo t (zorz), ovins 38 5oo ooo têtes (zorz)
r grumes, sciages, placages 7 roo ooo m: (zorz)
. exportations de produits de haute technologie 7z MS (zorz), mouvements de conteneurs u1 o3s EVP (zorz)
La bombe à retardement démographique et ses défis colossaux
Fort de 173,6 millions d'habitants en2073,le Nigeria pourraitbien atteindre les 400 millions d'ici à 2050. C'est dire les défis gigantesques (économiques, urbains, alimentaires,
éducatifs, sociaux, environnementaux, énergétiques, etc) auxquels sera confronté ce pays
dont 85 o/o delapopulation vit toujours avec moins de 2 dollars par jour. Pour l'heure, ce
pays connaît depuis 2009 un taux de croissance d'environ 7 o par an (6,8 o/o en 2073)
qui, s'i1 devait se poursuiwe, devrait lui permettre de dépasser celui de lâfrique du Sud et
de devenir la première puissance économique du continent africain. Une diversification
économique vers l'industrie est envisaseable à moyen terme. En effet, jusque-là pénalisées par un sous-équipement énersétique et des problèmes récurrents d'accès, les entreprises concernées ont applaudiles pouvoirs publics qui ont décidé de privatiser en20\3
le secteur électrique en proie à de profonds dysfonctionnements. Les industries lourdes
(sidérurgie, raffrnage, extraction minièrg papeterie, etc.) et manufacturières (automobile
et texüle notamment) dewaient en profiter en toute logique. Encore faut-il que les investissements dans les infrastructures de transport se mettent au diapason. Mais, là aussi,
des décisions importantes ont été prises, comme la réhabilitation de la ligne ferroviaire
reliant la capitale pétrolière, Port Harcourt, et Makurdi (au centre du Nigeria), ainsi que
1a réouverture après 17 années d'intermption de la ligne reliant Lagos (15 millions d'habitants) à Kano au Nord.
310
Les hydrocarbures, encore et toujours
Liéconomie nigériane est dominée depuis les années 1960 par le secteur des hydrocarbures (pétrole et gaz) dont 1e pays est quasi mono-exportateur (99 oto de la valeur de ses
exportations,39 o duPIB, mais seulementl % des emplois en 2013). Avec2,9 % de
la production mondiale (soit environ 2,4 millions de barils par jour), ce pays est par ailleurs le septième producteur de l'Organisation cles pays exportateurs de pétrole (OPEP)
et le premier en Afrique. Ses réserves sont considérables (36 milliards deb./j. environ,
soit 3 7o des réserves prouvées mondiales), ce qui lui garantit durablement une attractivité forte auprès des investisseurs étranglers (États-Unis et Chine en premier lieu, soucieux de sécuriser leurs approvisionnements). Au total, 60 % cle la production est assurée
par des compagnies étranSères. Pour autant, les hydrocarbures ne concourent qu'à hauteur de 73,7 c/o au PIB national, qui reste dominé par l'agriculture (39,2 %, quLi emploie
plus de la moitié de la population) et le commerce (20 '/").
Le gaznattrel fait de son côté l'objet de toutes les attentions (notamment de la part du
russe Gazprom), d'autant que les réserves prouvées seraient plus importantes encore que
celles du pétrole (5 250 milliards de mètres cube), alors qu'il a longtemps été peu valorisé.
En 2011, le Nigeria est d'ailleurs devenu le troisième producteur de gaz du continent.
Lusine de liquéfaction de Bonny - en voie d'achèvement - portera à terme la production
à 27 millions de tonnes, ce qui fera d'elle l'une cles plus importantes au monde. Les centrales thermiques au gaz se multiplient et visent à fournir de l'électricité au pays. Or,
celle-ci fait cruellement défaut. La suppression et janvier 2013 de la subvention portant
sur le prix du carburant (qui a entraîné son doublement et cle très nombreuses §rèves)
vise à transférer quelque 8 milliards de dollars au profit de la production et des infrastructures électriques.
Insécurité chronique
Dans la région du delta du fleuve Niger (États du Oelta, d'Edo, dâkwa Ibom, de Cross River
et de Rivers et Bayelsa), de loiu la plus riche en pétrole, f insécurité yire au cauchemar
depuis plusieurs années pour les compa§nies pétrolières, sous l'action notamment du
Mouvement pour l'émancipation du delta du Niger (MEND) qui multiplie enlèvements de
cadres expatriés contre rançon, sabotagies des infrastructures et vols de plusieurs millions
de tonnes de péhole.
Le Niseria est aussi l'un des pays parmi les plus menacés par f implosion religieuse,
ethnique (300 ethnies, 400 groupes linguistiques) et sociale. Larégron deJos (centre du
pays) est particulièrement concernée par les flambées de violence qui voient s'affronter,
depuis les années 1980, chrétiens (ma.jpritaires au Sud) et musulmans (majoritaires au
Nord). Uintroduction par le passé de la charia dans une doozaine d'États de cette fédération (l'État de Zamfaraen a donné le signal dès 2000) a notamment exacerbé 1es tensions
religieuses.
Enfin, les attentats atrribués à la secte islamiste Boko Haram (née en 2002 et que l'on
peut traduire par
"l'éducation occidentale est tmpéclté ") font chaque année plusieurs
centaines de morts, notamment dans 1a région de Kano (norcl du pays), principalement
sous le feu de kamikazes en moto ou d'attentats contre des bâtiments publics. La secte
s'est sinsularisée en 2014 par l'enlèvement de plus de 200 lycéennes dans la région du
Chibok, qui ne sont toujours pas libérées.
Fnnuçors Bosr
311
Nigeria : l'eldorado... de demain
Christophe LE BEC, Jeune Afrique, 16 octobre 2013
Tel est le Nigeria : des ressources
pétrolières dont l'exploitation est
gênée par l'insécurité. Un beau
potentiel
agricole,
mais
peu
d'infrastructures pour transporter la
production.
Un
vaste
marché
intérieur, divisé par de profondes
inégalités. Richement doté, le pays
met la patience des investisseurs à
rude épreuve.
Comme Lagos, dont la population croît de 3 %
par an, les grandes villes du Nigeria sont en
pleine expansion. © George Osodi /PANOS
PICTURES
"Celui qui n’est pas implanté au Nigeria
n’est pas implanté en Afrique!!" a affirmé
Ngozi Okonjo-Iweala, la ministre des
Finances, pleine de conviction face aux
investisseurs venus la rencontrer mi-
septembre. Et son message a été reçu cinq sur cinq par Nicole Bricq, la ministre française du
Commerce extérieur, en visite à Abuja et à Lagos. "Le Nigeria joue un rôle de locomotive régionale et
nous voulons être l’un de ses partenaires stratégiques", annonçait celle-ci dès son arrivée dans la
capitale fédérale. "On ne peut passer à côté de ce pays, en particulier dans les secteurs du BTP, de la
production électrique, de l’agriculture et de l’environnement", a-t-elle répété aux chefs d’entreprise
français, qu’elle souhaite emmener au-delà du "pré carré" francophone.
Pour les prétendants, la fiancée nigériane ne manque pas de charme!: ses quelque 170 millions
d’habitants – autant de consommateurs en puissance –, sa production pétrolière – près de 95 milliards
de dollars (plus de 73 milliards d’euros) de recettes d’exportation en 2011 –, et son potentiel agricole
inégalé en Afrique de l’Ouest.
De nombreuses opportunités
Selon la banque d’affaires Renaissance
Pour les prétendants, la fiancée
Capital, le pays pourrait même devenir la
nigériane ne manque pas de
première économie du continent d’ici à cinq
charme
ans, devant l’Afrique du Sud. En 2012, son
PIB atteignait 268,7 milliards de dollars
(contre 384,3 milliards pour la nation Arc-enCiel), mais il pourrait augmenter de 40 % pour peu que le pays mette à jour sa base de calcul en
intégrant des variations de prix et de production omises pendant ces vingt dernières années.
Un argument utilisé par les autorités pour renforcer l’image de leur pays auprès des investisseurs,
même si sa réputation reste écornée par les problèmes sécuritaires, dans le Nord avec la présence de
la secte islamiste Boko Haram (basée dans l’État de Borno), et dans le Sud-Est avec la subsistance des
groupes armés dans le Delta du Niger.
"Ce n’est pas un pays facile, mais les occasions ne
manquent pas", assure Massimo De Luca, conseiller
commercial de l’Union européenne (UE) à Abuja. "En
plus de sa puissance démographique, le Nigeria
bénéficie
de
ses
bons
fondamentaux
macroéconomiques. Avec Ngozi Okonjo-Iweala aux
Finances, l’inflation est contenue (autour de 10 %),
l’endettement public aussi (à 19 % du PIB), et la
croissance tourne autour de 7 % ", ajoute ce
diplomate italien, en poste depuis quatre ans et qui
voit les missions commerciales occidentales et
asiatiques se succéder à Abuja. "Le pays peut aussi se
prévaloir de sa stabilité politique, grâce à un subtil
équilibre entre le niveau local et le niveau fédéral, et
de son attitude ouverte vis-à-vis du secteur privé et
des investisseurs étrangers. Ici, il n’y a pas de risque
de nationalisations."
Plusieurs vitesses
Un pays attrayant, donc, mais de quel Nigeria parle-t-on!? Celui des milliardaires comme Aliko Dangote
et Tony Elumelu, installés à Victoria Island, le quartier huppé de Lagos!? Ou celui des 70 % de la
population qui vivent avec moins de 1 dollar par jour dans les campagnes et les bidonvilles!? Sur un
territoire immense (plus de 923!000 km", soit près de trois fois la superficie de la Côte d’Ivoire)
coexistent en effet des réalités très contrastées. Le gouverneur de chacun des 36 États fédérés dispose
d’un budget conséquent et de larges compétences, couvrant tous les domaines, à l’exception des
fonctions régaliennes (défense, justice et monnaie).
Résultat!: un paysage économique à plusieurs vitesses. "S’il y a une chose que je retiens de ma visite,
notait ainsi Nicole Bricq à la fin de son séjour, c’est la différence majeure entre le nord et le sud du
pays!; pas uniquement pour des raisons sécuritaires, mais surtout en termes de richesse et de
perspectives économiques." Et la ministre de s’étonner!: "Dans les États du Nord, la croissance n’est
que de 1 % par an… quand elle est de 14 % dans ceux du Sud!! L’État de Lagos à lui seul pèse 65 %
du PIB non pétrolier du Nigeria, soit davantage que la Côte d’Ivoire, le Cameroun et le Sénégal réunis."
Les entreprises françaises de sa délégation affichaient d’ailleurs un intérêt plus marqué pour les
grandes villes du Sud, en pleine expansion (la population croît de 3 % par an à Lagos). "Dans les
technologies de l’information, la finance, la banque, la mode, les médias, l’éducation et les services
portuaires, nous sommes incontournables", se félicite Babatunde Fashola, le gouverneur de Lagos.
L’élite du secteur privé, qui avait fui la ville lors du déplacement de la capitale fédérale à Abuja, y est
revenue.
Dans le Nord, les perspectives sont moins brillantes, notamment en raison d’un niveau d’éducation plus
faible et de l’absence d’industries. Mais là encore, la situation est loin d’être homogène. "L’État de Kano
[9,4 millions d’habitants], qui abrite la capitale commerçante haoussa, est dirigé par le gouverneur
Rabiu Musa Kwankwaso, qui a réussi à y faire progresser la production agricole [riz, arachide et sucre]
et textile, notamment grâce à l’amélioration des infrastructures routières, indique Massimo De Luca. Il
a été jusqu’à présent épargné par la menace islamiste, contrairement au nord-est du pays." Une
menace que subit en revanche l’État voisin de Katsina (extrême Nord)!: "Là-bas, nous avons dû cesser
nos opérations après une attaque islamiste et la prise en otage de l’un de nos salariés", indique Jérôme
Douat, président de l’entreprise française Vergnet, qui y installait une centrale électrique.
Déficits
D’un secteur à l’autre, les situations sont également contrastées. "Contrairement à une idée reçue, la
croissance nigériane n’est plus bâtie sur l’or noir, analyse Hervé Boyer, directeur commercial du groupe
Standard Bank pour l’Afrique de l’Ouest. En 2013, l’immobilier devrait croître de 7 %, les télécoms de
6 %, l’agriculture de 5 %… et le secteur pétrolier décroître de 1 %." Pourvoyeur de 80 % des recettes
fédérales, ce dernier n’est en effet plus à la fête. Les pertes dues à des fuites dans les oléoducs et à un
trafic à grande échelle dans la zone du Delta du Niger, qui échappe en partie au contrôle des autorités,
ont atteint un niveau considérable (quelque 400!000 barils par jour en avril), entraînant une baisse de
la production de 17 %. Le manque à gagner pour les compagnies et l’État est d’environ 1 milliard de
dollars par mois. "Cette baisse a toutefois un côté positif, relativise De Luca. Le gouvernement a moins
d’argent à distribuer, ce qui diminue le poids du secteur public au profit du secteur privé et limite les
risques de corruption."
Reste que réussir au Nigeria – quel que soit
le secteur ou la région – demande de pallier
la défaillance chronique des infrastructures.
"Le plus dur est la gestion de la logistique et
de l’approvisionnement en électricité",
Le pays tout entier ne dispose
que de 4 500 mégawatts
prévient le patron d’un important groupe
industriel occidental, en poste depuis cinq
ans. "La corruption gangrène et ralentit la plupart des grands projets", renchérit le conseiller
commercial de l’UE.
En matière énergétique, le déficit est dramatique : "Le pays tout entier ne dispose que de 4 500 mégawatts, contre 40 000 MW pour la seule Afrique du Sud, trois fois moins peuplée", reconnaît
Chinedu Nebo, le ministre de l’Électricité. Le programme de privatisation d’une partie de la production,
qui doit augmenter la capacité de 6 000 MW, a connu un beau succès en 2012, attirant des
investisseurs locaux sérieux comme Tony Elumelu (Transcorp) ou Femi Otedola (Zenon Petroleum &
Gas). Mais leurs centrales n’atteindront pas leur pleine capacité avant… 2020. En attendant, les
industriels s’adaptent. "Nous demandons sans succès depuis plusieurs années le raccordement à un
pipeline gazier d’une centrale électrique que nous sommes prêts à construire dans l’État d’Ogun (au
nord de Lagos) pour alimenter une de nos cimenteries", s’est plaint Jean-Christophe Barbant, directeur
Nigeria de Lafarge lors d’une rencontre avec Chinedu Nebo.
Des partenariats complexes
En ce qui concerne les transports, le réseau routier a été amélioré, notamment
dans le centre du pays, mais beaucoup reste à faire : "C’est indispensable pour
que l’agriculture décolle réellement, grâce à un meilleur approvisionnement en
intrants agricoles, et à une circulation plus aisée des productions de manioc ou
de riz", note Massimo De Luca. Mené par des groupes chinois (dont China Civil
Engineering Construction Corporation, CCECC), le chantier de rénovation des
voies ferrées est, lui, encore au milieu du gué. La ligne Lagos-Kano a été
rénovée, mais les autres grands projets, en particulier à partir de Port
Harcourt, n’avancent qu’à petits pas.
Autre écueil, la gestion des partenariats – aussi bien avec les sociétés locales
qu’avec les gouvernements – se révèle complexe, notamment en ce qui
concerne les importations. "Les mesures censées encourager la production
locale sont parfois appliquées “à la tête du client”, notamment dans les
secteurs du pétrole, du ciment, des intrants et produits agricoles. Les groupes
privés proches des autorités – locales ou fédérales – peuvent parfois bénéficier de passe-droits pour
importer, voire transgresser les règles sans être inquiétés", confie un industriel.
Visé par ces critiques, Aliko Dangote, l’homme le
plus riche d’Afrique, justifie les politiques
protectionnistes dans les secteurs du ciment et
de l’agroalimentaire, où il intervient : "Le Nigeria
n’a pas besoin d’entreprises qui veulent
seulement exporter leurs produits, mais nous
sommes prêts à accueillir ceux qui veulent être
nos partenaires pour produire sur place." Le
tycoon de Lagos a su cultiver ses relations avec
les présidents Olusegun Obasanjo puis Goodluck
Jonathan pour passer du statut d’importateur à
celui d’industriel, en bénéficiant d’un quasimonopole sur ses produits à son démarrage, puis d’un appui dans son expansion.
Investir au Nigeria exige de faire preuve de patience, de jongler avec les différents échelons
administratifs et les partenaires locaux. Mais le jeu en vaut la chandelle, en particulier dans le secteur
des biens de consommation de base, comme en témoigne le succès des mastodontes de
l’agroalimentaire Nestlé et Cadbury. Le géant nigérian ne s’est pas encore complètement éveillé, mais
c’est maintenant qu’il faut s’en rapprocher.
Tentations autarciques
Sur le plan politique, on a vu le président Goodluck Jonathan
très actif pour tenter de résoudre les crises ivoirienne et
malienne, soucieux de contrebalancer l'influence de l'Afrique
du Sud dans l'ouest du continent. Mais sur le plan
économique, le Nigeria est encore loin d'être intégré à la
sous-région ; les barrières fiscales à l'entrée restent élevées,
en particulier sur les produits pétroliers et agricoles ainsi que
sur les matériaux de construction.
"Il
faudra
du
temps
avant
qu'existe
une
véritable
convergence économique et une monnaie commune en
Afrique de l'Ouest. Chacun de nos pays doit mettre de l'ordre dans sa maison", estime Ngozi
Okonjo-Iweala, la puissante ministre des Finances, pourtant soucieuse de renforcer la
coopération régionale, notamment avec la Côte d'Ivoire d'Alassane Ouattara.
En matière d'activisme panafricain, les entreprises montraient jusqu'à présent l'exemple en
s'implantant dans plusieurs pays du continent, en particulier dans les domaines bancaire
(notamment UBA et Access Bank), industriel (Dangote Group, Transcorp, etc.) et des télécoms
(Globacom).
Mais elles semblent aujourd'hui se concentrer sur leur marché domestique. Pour Aliko Dangote,
interrogé à Lagos mi-septembre, "il y a tellement d'opportunités au Nigeria qu'on a du mal à
sortir du pays". "La construction de notre première grande raffinerie au Nigeria [d'un coût total
de 6,6 milliards d'euros] va mobiliser une large partie de nos ressources financières. Avant, notre
objectif était d'y réaliser 50 % de notre chiffre d'affaires et 50 % ailleurs en Afrique. Mais avec ce
projet, la part du reste du continent ne devrait atteindre que 20 % à 25 % dans cinq ans.
Néanmoins, quand nous aurons une trésorerie suffisante, nous réinvestirons en dehors du pays",
assure le milliardaire.
TERRORISME
Nigeria : le pétrole, un espoir de développement étouffé
par Boko Haram
28/09/2014 à 16:51 Par AFP
Le pétrole découvert dans le nordest du Nigeria pourrait apporter à
cette
région
défavorisée
le
développement dont elle a un besoin
vital, mais la rébellion du groupe
islamiste Boko Haram empêche son
exploitation.
Tous les experts le disent, et le pouvoir
nigérian le reconnaît, pour sortir de cet
Vue arienne de la plateforme pétrolière de
interminable conflit, la riposte militaire ne
Total à Amenem, à 35 km de Port Harcourt, au
suffit pas. Pour éviter que les jeunes se
Nigeria. © AFP
tournent vers l'islamisme radical et
rejoignent les rangs de la rébellion, il faut leur offrir des perspectives.
Mais le conflit -- qui a fait plus de 10.000 morts et 700.000 déplacés en cinq ans -- empêche toute
initiative de développement économique et social dans la région, et bloque en particulier
l'exploitation des ressources pétrolières découvertes sous le bassin du lac Tchad. Les explorations
menées dans l'Etat de Borno en 2012 laissent espérer des réserves atteignant jusqu'à trois milliards
de barils de pétrole, de quoi transformer l'économie de la région.
A condition que ces ressources soient bien utilisées, contrairement à ce qui a été fait dans la région
pétrolifère du Delta, au sud-est du Nigeria, qui n'a que très peu bénéficié des retombées financières
de l'or noir. Selon l'ancien patron de la compagnie pétrolière nationale nigériane (NNPC), Andrew
Yakubu, les projets pour débuter la production de pétrole ont été gelés à cause du conflit.
Ces derniers mois, Boko Haram s'est emparé de nombreuses villes et de pans entiers de territoires
dans l'Etat de Borno, qui borde le lac Tchad, multipliant massacres et exactions contre la population.
Devant le danger, les géologues, les ingénieurs et tout le personnel technique ont quitté la région.
"Nous avons conseillé à nos membres d'éviter la région du Nord-Est parce que nous ne voulons pas
qu'ils soient tués", a expliqué Babatunde Oke, un responsable du syndicat des employés du pétrole,
le Pengassan. Un haut responsable de la NNPC a assuré à l'AFP que des actions étaient en cours
pour sécuriser les sites pétroliers contre les attaques rebelles, mais il a reconnu que "pour le
moment, le projet est au point mort à cause des violences de Boko Haram".
Pour l'ancien gouverneur de la banque centrale nigériane, Lamido Sanusi, un personnage respecté
devenu un des plus hauts dignitaires musulmans du pays en tant qu'émir de Kano, il est pourtant
crucial d'investir dans le nord du Nigeria pour stopper le mouvement de radicalisation.
"Une bénédiction, non une malédiction"
L'argent du pétrole pourrait servir à réduire la pauvreté, le chômage et les carences du système
éducatif, autant de facteurs qui permettent aux islamistes radicaux de recruter largement parmi une
jeunesse sans espoir, estime Mustapha Ibrahim, professeur de sciences politiques à l'Université
d'Etat de Yobe.
"Nous devons nous occuper de ce malaise social pour résoudre le problème Boko Haram, et c'est
possible si nous faisons bon usage de l'argent du pétrole du bassin du Tchad, quand la production
commencera", insiste-t-il. "On pourra lancer des programmes économiques et sociaux qui seront
efficaces sur le long terme pour lutter contre Boko Haram". Encore faudra-t-il -- à condition que le
conflit prenne fin -- tirer les leçons des erreurs commises dans la région du Delta, d'où sortent près
de deux millions de barils de pétrole par jour, faisant du Nigeria le premier producteur d'Afrique.
En raison de la mauvaise gestion et de la corruption généralisée autour de la manne pétrolière, les
populations du Delta n'ont quasiment pas profité des retombées financières. Au contraire, la région a
plongé dans des décennies de violences, avec des attaques répétées contre les installations
pétrolières et les personnels des compagnies, mêlant banditisme et revendications politiques de
groupes rebelles exigeant une meilleure redistribution des richesses.
La situation a été apaisée depuis quelques années, gouvernement et compagnies ayant finalement
accordé de larges concessions. Le Delta a en outre été terriblement souillé par la pollution liée à la
production de pétrole, par des majors internationales peu soucieuses du respect de l'environnement.
"Le pétrole doit être une bénédiction et non une malédiction", plaide Debo Adeniran, de l'ONG
Coalition contre la corruption des leaders. "Il faut tout faire pour éviter ce fléau" du détournement
des ressources. Seule la bonne gouvernance permettra de venir à bout de l'insurrection de Boko
Haram, et c'est un important défi à relever pour le Nigeria, estime le professeur Ibrahim.
"Si on n'y arrive pas, le conflit avec Boko Haram ne se terminera jamais. Même si ce groupe est
vaincu (militairement), une autre insurrection éclatera dans quelques années avec les mêmes
causes", avertit le professeur.
(AFP)
Tous droits de reproduction et de représentation
Superficie 924 000 km2 -É,tatfédéral de 30 Ét"tt
=
Population z 123 millions
Composition ethnique : plus de 250 groupes ethniques
dont Haoussa-Peul (32 %o), Yoruba (21,3 o/o),
Ibo (l8o/o),Ibibio (5,60/o), Kanouri, Edo, Tïv,
Ijaw, Katafi, Ogoni, etc.
Religions : musulmans (50 o/o), chrétiens (40
cultes ancestraux (10 o/o)
e Ni§eria fait figure {s * Eléant de I'Afrique,.
Ce pays dispose de nombreux atouts pour prê
tendre exercer un leadership en Afrique occidentale, voire dans toute I'Afrique subsaharienne:
o/o),
qui dépasse les 12O millions d'habitants, dont des
élites de bon niveau, qui forment une société civile
dynamique et avide de démocratie;
- d'importantes richesses énergétiques (pétrole,
- une position géo§raphique trè favorable, au carre
four de plusieurs axes stratégiques: axe saharien
reliant Ia Méditerranée à I'Afrique subsaharienne,
gaz, mais aussi li§nite, charbon et hydroélectricité),
axe sahélien, travercant le continent d'ouest en est,
du Cap\êrt à la mer Rouge, zxs « §uinés6 ,, lon§eant
Pourtant, le Nigeria apparaît comme un « colosse
aux pleds d'argile », en raison des multiples li§nes
de fractures internes qui le parcourent, de nature
ethnique, confessionnelle, régionale ou historique.
l'Atlantique, de la Mauritanie au golfe de Guinée;
- une population, considérable à I'échelle africaine,
UNE ENTTTÉ COMPLEXE
ET VULNÉNIELE
La ftdération nigériane apparaît comme
une entité artificielle. Fruit des aléas
de la colonisation britannique, elle
regroupe des territoires fortement
contrastés et des ethniCI culturellement
très diverses. Le pays souffre de ce fait
de puissantes contradicdons internes.
Depuis son indépendance, il n'a cessé
de lutter contre des forces centrifuges :
révolte des Tiv de la Midd.le Beb en
1960 et 1964, insurrection des Ijaw
dans le delta du Niger en 1966 et sur-
qui lui procurent des rentrées massives de pétrodollars.
tout
sécession biafraise à partir de
1967. Ceconflit biafrais, qui a fait plus
d'un million de victimes demei1967
à janvier L970, a longtemps incarné
l'archétype du conflit interne, avec son
cortège de massacres et de famine,
avant que de telles horreurs ne se
banalisent en Afrique au cours des
années 90, comme en témoignent
les tragédies du Sud-Soudan, de la
Somalie, du Liberia, du Rwanda et,
plus récemment, du Darfour.
Ce sinistre épisode biafrais a durablement marqué les esprits au Nigeria et
a longtemps servi de repoussoir à toute
tentative d'instrumentalisation des clivages ethno-régionaux visant à remettre
en cause le fragile équilibre fédéral. I-"e
pouvoir nigérian a su gérer de manière
exemplaire la sortie de ce conflit fratricide, en tournent intelligemment la
page et en multipliant les efforts pour
réintégrer les Ibo au sein de la communauté nationale. Mais, plus de trente
ans après la fin du drame biafrais, les
cruelles leçons de l'histoire semblent
avoir été oubliées par certains apprentis
sorciers, qui n'ont eu de cesse, ces dernières années, de manipuler les clivages
ethniques, religieux ou régionaux afin
1{igeria.145
de préserver leurs positions dominentes, conserver leurs accès privilégiés à la rente étatique et paralyser le
fragile processus de transition vers la
démocratie.
Une mosairque ethnique difrlcile à
appréhendêr. La structuration
de
l'espace politique nigérian est souvenr
présentée comme reposant tantôt sur
un clivage binaire, de nature
géo-
graphique et religieuse, opposanr un
Nord musulman et politiquemenr
dominant à un Sud christianisé et animiste, économiquement plus prospère
;
tantôt sur une articulation ternaire,
constituée autor,u des trois grandes eth-
nies dominantes (les Big Tbree): les
Haoussa-Peul du Nord, de confession
musulmane (appelé Haussa Fulani en
anglais), les Yoruba du Sud-Ouest, à
I'appartenance religieuse diversifiée,
et les Ibo du Sud-Est, en grande parrie
christianisés.
Ces trois grands ensembles ethniques
regroupent chacun entre 15 et25 millions de personnes. Ils se distinguenr
fortement les uns des autres du fait
de leur spécificité religieuse, de leur
identité linguistique et de leur enracinement territorial. Leur puissance
démographique, culturelle, politique
et économique leur a permis de déborder de leurs territoires historiques et de
satelliser certaines minorités voisines.
Mais ces représentations d'un Nigeria
binaire ou ternaire, bien que reposant sur un fond de vérité, apparaissent
somme toute beaucoup trop sommaires. Elles ne permerrent pas de saisir dans toute son ampleur le caractère
segmenté et plural de la société nigé-
riane. Une bonne appréhension de la
réalité nigériane nécessite une analyse
plus fine, mettant en lumière deux facteurs trop souvenr négligés :
- la population du Nigeria est composée, outre les Big Tbree, de plus de
250 communautés linguistiques (donr
certaines ne comptent que quelques
dizaines de milliers d'individus). Ces
« petites ethnies » forment fu
facto un
quatrième ensemble, certes hétérogène
mais néanmoins influent car bien
représenté au sein de l'armée et majoritaire dans les États fédérés du Sud-Est,
dont les gisements d'hydrocarbures
constituent la richesse essentielle de la
fédération. Refusant l'hégémonie des
Big Three,les groupes minoritaires ont
su nouer des dliances complexes, leur
permettant de constituer des contrepouvoirs efficaces. Ayant tout à perdre
d'une éventuelle implosion de laîédération, ces minorités se veulent les
garantes de l'unité fédérale, et l'ont
prouvé en prenant une parr prépondérante dans la résolution de la sécession
biafraise à la fin des années 60. En
retour, elles ont été les grandes bénéficiaires du processus de fragmentation
administrative de l'espace politique
nigérian qui a fait passer le nombre
d'Etats fédérés de 3 à 36 enue 1960
et 1996;
-les Big Three ne constituent pas, loin
s'en faut, des ensembles homogènes.
Chaque grande zone (nord, ouest, est)
est parsemée de groupes minoritaires,
ethniquement et/ou religieusement.
Dans le Nord haoussa islamisé sont
ainsi disséminées des poches christianisées peuplées de groupes minoritaires.
Lensemble yoruba, le plus homogène
ethniquement, est toujours percouru
par des rivalités régionales aux racines
historiques (remontant aux rivalités de
jadis qui ont déchiré l'empire d'Oyo).
Quant à la zone est, la prédominance
démographique des Ibo y est vivement
contestée par une kyrielle de petites
ethnies qui ont refusé, pour la plupart,
de s'engager dans l'aventure sécessionniste en 1967, ce qui a laissé de profondes traces, toujours perceptibles
rujourd'hui.
D'une manière plus générale, les rapports entre les diftrenres ethnies peuplant la fedération sont toujours mar-
taires dans le nord du pays chez les
Haoussa et en voie d'extension parmi
les Yoruba du Sud-Ouest; les chrétiens, majoritaires au sein des ethnies
o sudistes », principalement chez les
Ibo et les petites ethnies du Centre
(Middle Beb) erdu Sud-Est, mais présents sous forme de poches minoritaires au Nord ; et enfin les adeptes des
« cultes ancestraux », encore vivaces
parmi les populations du Sud, en particulier chez les Yoruba. Ces trois grands
ensembles religieux ne coïncident pas
exactement avec le système ternaire
ethnico-géographique (Nord haoussa,
Ouest yoruba, Est ibo). il en résulte
des situations complexes. Ces dernières
décennies, l'islam a fortement progressé
en pays yoruba, modifiant l'image
de I'islam nigérian, jusqu'alors principalement marqué par les Haoussa
nordistes. Mais cela s'est traduit par
l'émergence d'un clivage à la fois
géographique et ethnique au sein de
la ,. ç9s1111snauté des croyants ,, les
Yoruba musulmans ayant tendance à
faire primer leur filiation ethnique sur
leur appartenance religieuse. Quant au
Nord, son caractère islamisé doit être
relativisé par l'existence de populations
n non haoussa », animistes ou christianisées. Cette zone est le théâtre de la
confrontation entre un prosélytisme
panislamique, animé par des groupes
radicaux financés par des pays moyenorientaux, et une vague de u nouvelle
évangélisation » qui touche les ethnies
minoritaires non musulmanes et est
encouragée par des sectes protestantes,
principdement d'origine nord-américaine.
Il s'ensuit
de régulières flambéCI
qui perpétuent un climat
qués de manière plus ou moins latente
de violence
par les ffaumatismes provoqués par le
de tensions ethniques et confession-
d'entre
nelles exacerbées dans les régions septentrionales du pays.
passé esclavagiste de certaines
elles. Cette dichotomie fondamentale,
tabou majeur de nombreuses sociétés
africaines, est rarement évoquée en
tant que telle. Mais elle induit tou-
jours des rancæurs sous-jacentes et
non dépassées, qui se cristallisent
ponctuellement sous l'effet de diverses
câuses, et expliquent bien des antagonismes d'aujourd'hui.
Un tilptyque religieux en pleine
efreruescence. La carte religieuse du
Nigeria comprend trois grands blocs :
les musulmans, très largement majori-
UNE ACCUMUI.ATpN DE
DYSFONCTTONNEMENTS
Sur ce fond ethnique, religieux, régio-
naliste et historique complexe est
venue
se greffer une série de facteurs
politiques, économiques er sociaux,
susceptibles de rompre le fragile équilibre institutionnel instauré au sein
de la fedération. Les élites au pouvoii
apparaissent incapables de dépasser les
particularismes géo-ethniques.
t{lgeria.
L47
Un Etat en crise permanente.
de l'exploitation pétrolière a beaucoup
IJorganisation institutionnelle du pays
n'a cessé d'osciller entre une série
d'alternatives : ftdération ou confédération, régime civil ou militaire, régime
diminué au profit du pouvoir fédéral.
démocratique ou autoritaire. Depuis
1960, le Nigeria a connu une alternance de régimes civils et militaires,
ponctuée par plus d'une douzaine
de coups d'É,tat ou de tentatives de
putschs militaires (le dernier en date au
printemps 2004), une série d'assassinats de responsables politiques (dont
deux généraux-présidents et un Premier ministre fédéral) et une longue
suite de décès aussi brutaux que mystérieux, faisant parfois suspecter de
possibles empoisonnements, camouflés
en « crimes parfaits ,. Cette culture de
la violence politique se plaque paradoxalement sur une culture démocratique à l'anglo-saxonne, très vivace,
illustrée par une société civile particulièrement active (comme le prouve
le foisonnement d'associations de
défense des droits de l'homme), une
presse libre et variée et une justice relativement indépendante. En dépit de
l'existence de tels atouts, preuves d'une
certaine maturité démocratique, le
pays a souffert d'une grande instabilité
de son organisation constitutionnelle
et administrative. Il a connu six Constitutions et autant de redécoupages
explosives.
Un pays en léglession. Le Nigeria
e connu au cours des années 70 un
véritable n âge d'or ,, celui de l'argent
facile et des grands projets, Mais le
retournement du marché pétrolier et
les grandes évolutions de l'économie
planétaire ont sévèrement mis à mal
n
l'eldorado nigérian ,. Le revenu par
habitant n'a
cessé de décroître au cours
des années 80, passant de
I
000 dollars
par habitant en 1980 à,250 au début
des années 90. Dans le même temps,
la dette extérieure n'a
cessé de gonfler. Ladoption d'une politique déflationniste destinée à rétablir les grands
équilibres a engendré des conséquences sévères sur le plan social pour
les populations : inégalités croissantes,
paupérisation et frustration des classes
moyennes, défaillance des grands
services publics (éducation et santé),
développement de l'économie infor-
administratifs, qui, sous prétexte de
satisfaire les revendications identitaires
des ethnies minoritaires, ont permis de
préserver la domination des élites des
Big Three. La prolifération des É,tats
ftdérés et des collectivités locales au gré
des differents redécoupages politicoadministratifs a engendré le développement d'un micro-nationalisme dans
melle et des trafics illicites (essence,
voitures volées, armes), essor de la corruption, montée de l'insécurité (Lagos
certains États fédérés, en particulier
ceux abritant des richesses pétrolières.
Cela a favorisé l'émergence de véri-
compte plusieurs cartels très puissants,
ayant su nouer des alliances avec leurs
tables sentiments xénophobes,
asiatiques. Ils dirigent des réseaux
transcontinentaux, faisant de l'Afrique
les
autorités locales privilégiant les autochtones (natiues) eu détriment des nouveaux arrivants (settler) attirés par la
manne pétrolière. Mais le dossier
potentiellement le plus déstabilisateur
pour I'avenir de la fédération concerne
148
De nombreuses communautés, comme
Ogoni ou les Ijaw, s'estiment lésées
par une péréquation inéquitable entre
États fédérés producteurs et pouvoir
fédéral.Il s'ensuit depuis le début des
années 90 une vive agitation antigouvernementale dans le sud-est de
la fédération, avec des répercussions
les
figure parmi les villes les plus dangereuses
du monde). Dans le
même
temps, l'économie s'est profondément
criminalisée, du
fait de l'essor
du
trafic de drogue. Le Nigeria fait désormais figure de n narcocratie r, Le pays
u
homologues, latino-américains et
la plaque tournente de nombreux trafics destinés à approvisionner l'Europe
occidentale et l'Amérique du Nord en
différentes drogues (héroine, cocaine,
cannabis). Depuis une dizaine d'an-
le contrôle et le partage de la rente
nées, ils encouragent le développement
pétrolière. Depuis l'indépendance, la
de la consommation de drogues dures
part des royabies redistribuéCI au* États
fédérés ou aux populations locales
subissant les contrecoups écologiques
ou de pqychotropes au sein
.Afrique
des
popula-
tions africaines, adaptant leurs prix
au pouvoir d'achat de ce n marché,
démographiquement prometteur. Surtout, les « parrains » nigérians ont infiltré les plus hauts sommets de l'État et
parviennent à influencer la politique
tant intérieure qu'extérieure du pays.
Ainsi, l'implication du Nigeria
au
partir de 1990, outre l'affirmation de son leadership régional,
Liberia
à
peut s'interpréter comme la volonté de
contrôler la seule économie du continent appartenant à la zone dollar, et
faciliter ainsi le blanchiment d'argent
sale dans l'économie mondiale.
Une amée omniprésente et omn[
potente. Depuis
Nigeria
son indépendance, le
a essentiellement été
dirigé par
des régimes militaires. Avant de revenir
au pouvoir en 1999,les civils n'ont
exercé le pouvoir qu'à trois reprises :
-pendant la Première République
(d'octobre 1960
à
janvier 1966), qui
fut marquée par la radicalisation
des
rivalités ethniques entre les Big Three
et la montée des tensions sécessionnistes qui devaient aboutir à la guerre
du Biafra;
-la Deuxième République (d'octobre
1979 à décembre 1983), caractérisée
par la dégradation de la situation économique, l'affairisme des hommes
politiques et une accumulation d'irrégularités électorales ;
l'éphémère Toisième République (de
-
juin à novembre 1993), torpillée par
l'annulation de l'élection du milliardaire Yoruba Moshood Abiola.
Ces expériences se sont toutes termi-
d'État militaire (respectivement le 15 janvier 1966, le
31 décembre 1983 etle 17 novembre
nées par un coup
1993).
Pour autant, la vie politique du Nigeria
ne peut se résumer à une simple alter-
nance de régimes civils et militaires.
Larmée a toujours gouverné avec des
civils, et inversement ; et les civils, à
l'exception de la Première République,
ont spécialement pris soin de ménager
les militaires. Pendant la Deuxième
République, le président Shehu Shagari
attention au
moral des troupes. Les dépenses récura ainsi prêté une grande
rentes du budget de la Défense ont
considérablement augmenté en 1980
et, après avoir un peu diminué de 1981
à 1982,les investissements en capital
ont également été réévalués en 1983, cæ.
qui ne devait d'ailleurs pas empêcher le
coup d'É,tat de la Saint-sylvestre cette
année-là. De même pendant la Quatrième République, le général à la
retraite Olusegun Obasanjo, une fois
élu à la présidence en 1999, a re-professionnalisé l'armée en la dotant de
nouveaux équipements.
exemple, s'est institutionnalisé et est
Les liaisons dangeleuses entre
et du prolétariat ouvrier,
hiérarchle militaire
et élites
civlles.
Les régimes militaires n'ont
jamais gouverné seuls. Larmée a littéralement acheté le soutien de la société
devenu l'unique interlocuteur officiel
du gouvernement pour les questions
liées à Ia condition féminine. É-anrtion de la bourgeoisie urbaine et de la
classe dirigeante, il a publiquement
pris position en faveur de l'austérité
financière et de l'ajustement structurel.
Peu soucieux des masses paysannes
il a notamment approuvé la destruction des
petits commerces de rue dont vivaient
les femmes issues de milieux plus
notables et des chefs coutumiers lors
modestes. En fait d'opposition féministe, le NC\7S a reproduit la domination masculine sur les cercles de pou-
d'élections locales et d'assemblées
voir,
civile, à commencer par le vote
des
constituantes placées sous haute sur-
veillance. Malgré leur réelle autonomie financière vis-à-vis de l'État, les
milieux d'affaires ont été séduits par
la promesse de contrats alléchans, tandis que le secteur associatif, beaucoup
plus démuni, s'est souvent laissé corrompre. Destinées à solliciter l'appui
du secteur privé pour financer le ser-
vice public, les fondations d'États
comme Kano et Katsina ont révélé
l'étroite imbrication des intérêts marchands et militaires. Leurs relations
avec l'armée ont toujours été ambivalentes, sur la base d'un échange de services. Lors de son lancement en 1986,
la Kano State Foundation s'est engagée
à reverser le quart du revenu de ses
campagnes de souscription à un fonds
gouvernemental en faveur de l'éduca-
tion ; à charge de revanche, les autorités régionales lui ont donné gratuitement un terrain où édifier son siège en
1989. Du fait de leur poids financier,
ces organisâtions de développement
sont d'ailleurs assez vite devenues un
enjeu importânt des rivalités locales.
Calqué sur le modèle de Kano, le
conseil d'administration de la Katsina
State Foundation, un temps présidé
par le général Mohamed Buhari,
a
ainsi été dissous en 1991 par le gouver-
neur militaire John Madaki, qui vou-
lait prendre le contrôle des fonds de
l'institution.
Les pratiques de patronage ont également permis à l'armée de canaliser les
velléités d'opposition des syndicats
ou des mouvements sociaux. Fondé
en 1959 à Ibadan, le National Council of'§ÿ'omen's Societies (NC\üIS), par
l'indépendance, d'une pert, et d'endiguer la multiplication des revendications communautaires, voire sécessionnistes, d'autre part. Ils ont prétendu
refuser de souscrire à des logiques ethniques en essayant de dessiner des États
sur la base de critères géographiques ou
économiques, quitte à leur donner des
noms délibérément neutres sur le plan
culturel. En 1967, par exemple, il a été
un momenr quesrion que l'État
des
Rivers s'appelle Pabod, en réftrence aux
premières lettres des divisions administratives de Port Harcourt, d'Ahoada,
de Brass, d'Ogoni et de Degema. En
l975,larégion du Midwest, elle, deve-
l'instar du Better Life for Rural
'W'omen
Program lancé en 1987 par
nait l'État du Bendel, amalgame de
Benin et du Delta. En 1996, enfin,
l'épouse du général Ibrahim Babangida
et relaye localement par les femmes des
gouverneurs militaires et de la Nigerian fumy Officers'Wives fusociation.
naissait l'É,tat du Bayelsa, ecronyme
à
Des syndicats aux confréries musulmanes en passant par les lobbies ethniques, nombre d'acteurs sociaux
ont ainsi collaboré aux diverses juntes
qui se sont succédé à Lagos puis à
Abuja, la nouvelle capitale fédérale.
Des hommes d'affaires comme
futhur
Nzeribe, qui a soutenu l'annulation
des élections de 1993 puis la candida-
ture du
général, Sani Abacha à la prési-
dentielle (avortée) de 1998, ont par
ailleurs servi de faire-valoir. Et la classe
dirigeante n'a pas non plus rechigné à
joindre à des gouvernements militaires. Des politiques issus de la lutte
pour l'indépendance ont pu préconiser un « mariage de raison » evec une
armée symbolisant I'unité nationale et
se
le maintien de l'ordre depuis sa victoire
sur les sécessionnistes biafrais en 1970.
Une telle dyarchie a particulièrement
séduit les conservateurs opposés au
pluralisme, synonyme, pour eux, de
tribalisme et de chaos.
Beaucoup croient en effet que l'armée
est la seule institution à avoir développé un esprit de corps capable d'assurer I'unité du pays et la neutralité
nécessaire à une mission de service
public. Dans une optique jacobine, les
militaires ont rompu avec l'héritage
colonial et présidé à toutes les créations
d'É,tats au Nigeria. En vue de diviser
pour mieux régner, ils ont instauré une
fédération afin de casser les contrepouvoirs des trois régions héritées de
composé à
partir
des local gouernments
de Brass, de Yenagoa et de Sagbama.
Mais, en fait d'esprit de corps, c'est seulement au cours de la guerre du Biafra
qu'une véritable fraternité d'armes a vu
le jour, qui permit ensuite de réintégrer
dans les forces nigérianes les militaires rebelles, radiés à l'occasion de
la mutinerie du lieutenant-colonel
Odumegwu Ojukwu en 1967, tandis
que l'argent facile du boom pétrolier
des années 70 facilitutla reconstruction
du pays. Pour le reste, l'armée n'a pas
plus échappé que les politiques aux
pressions ethniques et aux querelles per-
sonnelles, voire aux controverses idéologiques, comme en témoigne le populisme des jeunes putschistes de janvier
1966 ou le libéralisme à tous crins du
général lbrahim Babangida à partir
d'août 1985. La fréquence des coups
d'État montre bien à quel point l'armée
nigériane est sujette à d'intenses luttes
internes et à de graves conflits de personnes, par exemple entre le leader
de la sécession biafraise, Odumegwu
Ojukwu, et le chef des üoupes ftdérales
à I'époque, Yakubu Gowon, ou bien
entre Ibrahim Babangida et son prédécesseur Mohammed Buhari, arrivé au
pouvoir par un coup d'État fin 1983.
La supervision des civils par des militaires ne rassure pas moins les sceptiques du parlementarisme. Et, évidemment, les militaires ne sont pas
les derniers à défendre cette position.
Après avoir rendu le pouvoir à des civils
en 1979,le général Olusegun Obasanjo
a ainsi proposé l'établissement d'un
ru§g@r§e.149
Conseil d'É,tat composé de techno-
rMe
crates où seul le président de la fédéra-
Olusegun Obasanjo en 1999. Mais
il ne s'agissait plus, là, de justifier le
maintien d'une junte issue d'un coup
d'État, à la différence de Sani Abacha,
qui avait pour modèle l'Indonésie
du général Mohammed Suharto, ou
d'Ibrahim Babangida, qui s'inspirait
tion nigériane aurait été un politique
élu. De son côté, la junte du général
Ibrahim Babangida, au pouvoir de
1985 à 1993, ne s'est pas privée d'exploiter de tels arguments. Sous préto<te
de casser les votes ethniques, elle a
imposé le bipartisme pour mieux surveiller l'émergence d'une nouvelle
classe politique inféodée au:r militaires.
Et, sous prétexte d'éviter les fraudes
électorales, elle a instauré un système
de n vote à ciel ouver t » , l' open ballot,
qui lui a permis de contrôler ses clientèles en obligeant les citoyens à défiler en public derrière le candidat de
leur choix.
Successeur et ancien numéro deux
du général Ibrahim Babangida, Sani
Abacha e$ allé encore plus loin à panir
de 1993.À l'étrang.., il a d'abord tenté
de renforcer sa légitimité internationale en soutenant l'élection d'autres
chefs d'É,tats africains issus de l'armée,
en l'occurrence au Bénin, au Niger et
en Gambie. Soucieux de rompre l'iso-
lement diplomatique de son régime,
il a également engagé l'armée nigériane dans des opérations de maintien
de la paix, notamment au Liberia et
en Sierra Leone. En contrepartie, les
États-Unis, qui voulaient se défausser
de leurs responsabilités et ne souhaitaient plus intervenir directement en
Afrique après l'échec cuisant de l'opération « Restore Hope » en Somalie
en 1994, ont mis un bémol à leurs
critiques de la junte en matière de
violations des droits de l'homme.
Autre « avantege , : la participation du
Nigeria à des formations internationales au maintien de la paix a permis
au régime de contourner les menaces
d'embargo et de se procurer légalement des armes. Sur le plan intérieur,
ensuite, Sani Abacha, qui a longtemps
rechigné à rendre le pouvoir aux civils,
a organisé pour 1998 des élections oùr
tous les candidats se sont récusés pour
lui laisser la place lors d'un simulacre
de référendum; c'est la mort o accidentelle » du dictateur qui a interrompu le processus de légitimation
d'un coup d'É,tat par les urnes.
Lélection d'un militaire à la tête du
Nigeria devait finalement aboutir
dans un contexte de rupture, avec I'ar-
150
.Af;iqüe
au pouvoir du général à la retraite
de l'exemple égyptien (pays à propos
duquel il avait commandité une étude
politique) parce que l'armée y fournissait les candidats à la présidence tandis
que les civils y occupaient le poste de
Premier ministre. À partir de 1999,
I'instauration de la Quatrième Répu-
blique a vraiment obligé les militaires à la retraite à se prêter au jeu
de la compétition électorale avec des
civils, à l'instar du générd Mohammed
Buhari, qui s'est présenté au présidentielles de2003, ou de l'amiralAugustus Aikhomu, qui s'est investi dans
la formation du vétéran nationaliste
Anthony Enahoro, Fourth Dimension
Nigeria. Ibrahim Babangida, lui, est
toujours suspecté de vouloir revenir
au pouvoir et de manæuvrer en sousmain des partis tels que la National
Solidariry fusociation ou National
Frontiers, qui ne sont pas enregistrés
et auraient pour projet de fonder un
vaste National Democratic Party avec
le National Progressive Forum d'Olu
Falae, candidat malheureux face à
Olusegun Obasanjo en 1999...
Le rêglme Obasanjo: entre faux
espolrs et petlts arangements.
À la confluence des réseaux de pouvoir civils et militaires, le président
Olusegun Obasanjo, réélu en 2003,
incarne parfaitement la communauté
d'intérêts entre les politiques et leurs
homologues en uniforme. Bénéficiant
du soutien dCI noables du Sud et d'une
bonne partie des militaires musulmans
du Nord, il s'est empressé, dès 1999,
de placer des fidèles aux postes de
commandes et a purgé l'armée des
éléments les plus compromis avec la
dictature Abacha. Sans préjuger de la
longévité de son régime, il a surtout
réussi à reprendre en main l'institution
militaire sous prétexte de la professionnaliser. Les chefs d'état-major des trois
armées ont ainsi été renvoyés à leurs
foyers parce qu'ils avaient publiquement exprimé des réserves contre les
velléités de réforme du Président avec
l'appui technique des Américains. Sous
lahoulette du juge Chulsvudifu Opua,
une commission d'enquête sur les
violations des droits de l'homme a,
pour sa part, achevé de discréditer
le discours moralisateur des militaires en dévoilant les bassesses de leurs
responsables. Plus connu sous le nom
d'Oputa Panel, l'exercice, retransmis
en direct à la télévision, a été très suivi
par la population.
À la différence de la n commission
Vérité » de monseigneur Desmond
Tutu en Afrique du Sud, ChuhÀ/udifu
Oputa n'a certes pas eu le pouvoir de
remettre les coupables entre les mains
de la justice. Mais il a expressément
reçu le mandat d'identifier les responsables de la répression, d'élucider
les chalnes de commandement et de
déterminer la part d'initiative personnelle et de politique étatique dans
les
violations des droits de l'homme.
À défaut de prévoir
des compensa-
tions pour les victimes, il a été autorisé à émettre des recommandations
au gouvernement en vue de redresser
les torts du passé et de prévenir de
tels dérapages à l'avenir.
Un des princi-
paux mérites de l'Oputa Panel, à cet
égard, est d'avoir aidé à détruire l'idée
fausse selon laquelle les militaires
étaient moins corrompus que les civils.
De surcroît, les audiences publiques
ont eu un fon impact psychologique en
mettânt fin au sentiment d'impunité
des tortionnaires et en rendant officiels
les abus commis du temps des dictatures. Le nom d'Ibrahim Babangida a
été cité à propos du meunre, en 1986,
du journaliste Dele Giwa, tandis que
les généraux Abdulsalam Abubakar
et Ishaya Bamaiyi étaient impliqués
à leur corps défendant dans la mort
mystérieuse, en prison en 1998, de
ChiefMoshood Abiola, le président
dont l'élection en 1993 a utété annulée par les militaires.
Par alliés interposés, le déroulement
d'ailleurs eu pour conséquence de gêner à son tour le prCIident
Olusegun Obasanjo, qü a refrrsé d obliger ses soutiens politiques dans l'armée
des débats a
à
comparaître devant la commission.
Certains ont même fini par y voir
une manæuvre de déstabilisation et
une menace contre la démocratie. De
fait, l'Oputa Panel n'empêchera sûrement pas un prochain coup d'É,tat
militaire. Mais il privera sans doute
régimes civils, quitte à ce que les
l'armée des arguments habituellement
tôt d'écarter du pouvoir
employés en pareil cas : l'intégrité
morale ou le souci de l'unité nationale.
Il rendra également plus difficile la
trop intempestifs.
coopération de civils servant à cautionner les prises de pouvoir par la force.
Hormis quelques personnalités à la
réputation douteuse, les notables du
pays pourraient désormais hésiter à
se compromettre aux côtés de juntes
dépourvues de toute légitimité.
La_crainte pelmanente du coup
d'Etat.
Confronté à des revendications salariales dans la police et à des
mouvements d'humeur dans l'armée,
le gouvernement Olusegun Obasanjo
n'est certes pas à l'abri d'un coup de
force. Si l'on en croit la base de données publiée en septembre 2003 dans
le Journal of Modern African Studies
pour la période 1956-2001, un coup
d'É,tat a 40
o/o
de chances de réussir en
Afrique subsaharienne et le Nigeria
compte précisément parmi les pays oùr
la probabilité d'une intervention militaire est la plus élevée. En février puis
mars 2002, la police a, en l'occurrence,
entamé deux grèves du zele qui ont vite
été qualifiées de mutineries et matées
par l'armée. Sachant la faible influence
politique et le piteux état des forces
de l'ordre au Nigeria, l'apparition d'un
mystérieux syndicat, la Nationd Union
of Policemen, n'aurait sans doute pas
inquiété le pouvoir si les demandes
en faveur d'une augmentation des
soldes n'avaient été relayées par les
obscures prétentions révolutionnaires
d'un fumed Forces and Police Patrio-
tic Front of Nigeria. Lévénement
ne paralt pas complètement anodin
quand on sait que tous les coups
d'Etats au Nigeria ont été le fait de
militaires, et non de policiers.
La contestation au sein de l'armée
pourait devenir particulièrement dangereuse si elle
mettait en évidence des
clivages récurrents entre les hommes
de troupe et la hiérarchie militaire.
De pareilles dissensions, il faut le
noter, ont
motM
le premier putsch du
Nigeria, en 1966, et des tentatives de
coups d'Etat en 1976 puis 1990. Le
mécontentement de simples soldats
a
ainsi pu aboutir au renversement de
d'unités anti-émeutes en vue de proté-
offi-
ger les meetings de sa formation poli-
ciers de l'état-major s'empressent aussi-
tique. En juillet 200l,les Bahasi Boy
sont ensuite allés à l'Assemblée de
des
juniors par
La question policière, elle, se situe à un
autre niveau : par défaut de sécurité,
en quelque sorte, puisque les lacunes
des forces de l'ordre en matière de
lutte contre la criminalité ont incité
la population à monter ses propres
milices d'autodéfense, soit sur une base
ethnique avec I'OPC (Oodua People's
Congress) en pays yoruba, soit sur une
base marchande avec les Bahdssi Boys
en pays ibo, soit encore sur une base
religieuse avec les islamistes qui veillent
à l'application de la charia en pays
haoussa. À l'approche des élections
législatives et présidentielles de 2003,
ces groupes ont été récupérés par
les réseaux politiques en compétition. Dans une fédération comme le
Nigeria, les gouverneurs des États
réclamaient depuis longtemps des
polices locales leur permettant de
l'É,tat d'Ebonyi rouer de coups un
parlementaire de la circonscription
d'Umuahia North qui dénonçait leurs
agissements au moment otr il était
question de les légaliser. En octobre
2001, encore, les Bakassi Boys intewenaient brutalement pour résoudre un
conflit local entre les édiles d'Ishiagu,
toujours dans l'É,tat d'Ebonyi...
I'OPC, pour leur
part, se sont mêlés de politique en attaquant les chefs traditionnels suspectés
de trahir la cause yoruba. l-e,12 janvier
2002 dans l'É,tat d'Ondo, notamment,
ils ont pris d'assaut le palais du o roi ,
d'Owo, l'oba, et ont tenté de le remplacer par un rival qui lui disputait le
trône depuis quatre ans: une affaire
qui s'est soldée par la mort de 36 perIæs autonomistes de
sonnes. La fièvre nationaliste de
I'OPC
a également touché les marches de
la périphérie
À l" lisière
contrebalancer les ingérences du pouvoir central lorsque leur sensibilité
politique ne recoupait pas celle de
Ies revendicati ons r"
la majorité présidentielle. Nombre
un sous-groupe yoruba qui s'était
d'entre eux se méfiaient à juste titre de
la police nationale, très centralisée et
déjà utilisée par la présidence pour
plusieurs fois affronté aux Ijaw à propos de terres riches en pétrole. Dans
écraser l'opposition au moment des
élections de 1983. À panir de 1999,la
restauration d'un régime parlemenaire
et la montée en puissance des groupements d'autodéfense ont alors donné
aux gouverneurs I'occasion de réaliser
des avatars de polices régionales, quoi
qu'il en soit, par ailleurs, de la couleur
politique des États concernés : AD
(Alliance for Democracy) pour I'OPC
à Lagos, PDP (Peoplet Democratic
Party) et APP (All Peoplet Parry) pour
les Bdhassi Boys del'Anambra et d'Abia
resPectivement.
Concrètement, les méthodCI employées
pour museler les dissidences locales ont
pu aller jusqu'à l'assassinat politique.
En avril2000, par exemple, les Bahasi
Boys ont commencé par exécuter un
président APP de la collectivité locale
de Nnewi South, incitant, par contre-
couP, un autre oPPosant du gouverneur PDP de l'Anambra à se rappro-
cher de la police nationale pour
obtenir de celle-ci le détachement
".
r.,f.Iat"rt'rlË
le Kwara, I'OPC a manifesté pour
la déposition de l'émir
d'Ilorin et l'intronisation d'un oba,
demander
l'onilorin, dans une région enlevée aux
Yoruba et conquise par les HaoussaPeul du Nord au début du >(IX'siècle.
Les soutlens réglonaux et transethniques de la tv" République.
Les affrontements de ce rype ne doivent cependant pzs laisser l'impression
que le pays est au bord de la guerre
civile. Malgré son impopularité grandissante et une légitimité compromise
par les nombreuses fraudes qui ont
entaché sa réélection en2003,le prési-
dent Olusegun Obasanjo continue
de bénéficier d'une indéniable assise
sociale dont la complexité des réseaux
clientélistes donne un aperçu. En effet,
le pouvoir fédéral ne repose assurément pas que sur un parti politique, le
PDP (relativement bien implanté dans
le Nord et le Sud-Est), face à l'opposition parlementaire, essentiellement
l'AD (issue des mouvements de lutte
Nigeria.151
contre la dictature militaire en pays
yoruba) et I'APP (rebaptisé Abacha
blique, ce dernier n'a pas caché
People's Parry parce qu'on y a retrouvé
réflexion favorable
un bon nombre de responsables du
précédent régime). La présidence
peut aussi compter sur le soutien des
chefs traditionnels et des milieux
d'affaires qui profitent de ses prébendes. La structuration du champ
politique au Nigeria fait ainsi apparaître l'existence d'alliances régionales
qui transcendent les clivages ethniques,
à l'instar des coalitions Afenifere dans
le Sud-Ouest, Ohaneze dans le SudEst et Arewa dans le Nord.
En pays ibo, Ohaneze Ndi Igbo, la
plus vieille des ffois, a en l'occurrence
été fondée pendant
la
Deuxième
République par des ministres et des
notables proches du NPN (National
Parry of Nigeria) du président Shehu
Shagari, qui, en 1981, s'était brouillé
avec le NPP (Nigerian Peoplet Party)
de Nnamdi fuikiwe. Son objectif initial était de damer le pion à Nnamdi
Azikiwe avec, dans le rôle du o cheval
de Thoie
,, l'ancien leader de la séces-
sion biafraise, Odumegwu Ojukwu,
revenu d'exil et rallié au NPN. Fin
1983, le retour des militaires au pou-
voir
a cependant donné à l'organisa-
tion une autre tournure en l'affranchissant des querelles partisanes pour en
faire un véritable lobby pan-ibo. Après
s'être séparée de l'ambitieux Ojuhvu,
qui, se voyant conférer le titre traditionnel dbzeigbo, avait eu des prétentions à devenir le n patron , des Ibo,
la plate-forme régionale a milité en
faveur d'une confédéralisation du
Nigeria lors des négociations constitutionnelles de 1995. La restauration
d'un régime parlementaire en 1999lui
a alors permis de porter cette revendication sur la place publique à travers la
voix des gouyerneurs des cinq Etats
ibo, qui ont cherché à obtenir le soutien de leurs homologues des régions
côtières pour contester l'hégémonie du
pouvoir centrd.
Regroupement essez hétéroclite de
chefs traditionnels, de politiciens,
de hauts fonctionnaires et d'hommes
d'affaires, l'association pan-yoruba
Afenifere a, pour sa part, été créée px
Bola Ige le 18 janvie r 1993. Ancien
gouverneur UPN (Unity Party of
Nigeria) pendant la Deuxième Répu-
Lô2.Afrique
les
I'Arewa Consultative Forum a été
ambitions politiques d'un cercle de
confiée à un chrétiendelaMiddle Belt,
Yakubu Gowon, qui avait déjà dirigé
le pays et représenté les intérêts des
élites musulmanes du Nord pendant
la guerre du Biafra. Sous la coupe de
Mohammed Dikko Yusufu, un oppo-
l'élection du président Moshood Abiola et opposé à
la dictature du général Sani Abacha.
S'inspirant du modèle de la Fabian
Society et des travaillistes britanniques
du XIX'siècle, Afenifere, qui signifie
« groupe d'action , en yoruba, a repris
à son compte les idéaux progressistes
de l'AG (Action Group),le grand parti
politique d'Obafemi Awolowo dans la
région Ouest à l'indépendance. À l'instar du n Rassemblement pour l'unité ,,
Egbe Imole, qui avait marqué I'UPN
pendant la Deuxième République,
et du
«
à
Club pour la promotion
des
Yoruba r, Egbe llosiwaju Yoruba, qui
avait infiltré le SDP (Social Democra-
sant à la dictature du général Sani
Abacha, l'association ne se bat pas
pour une application intégrale du droit
coranique, la charia, et se distingue de
I'Arewa Peoplet Congress, banni par
Olusegun Obæanjo et essentiellement
composé de partisans d'un retour au
pouvoir de l'armée, à commencer par
le général Haliru Akilu, un ancien responsable des services secrets militaires
du régime Ibrahim Babangida entre
1985 etl993.
tic Parry) à travers un Council for
Unity and Understanding d'apparence
plus transethnique pendant la Tioisième République, Æenifere a panicipé
de près à la formation de l'AD en 1999.
Mais l'association n'a pas empêché la
discorde de régner au sein du camp
yoruba. Certains l'ont accusée d'avoir
usurpé l'héritage et le nom de l'AG.
D'autres lui ont reproché de ne pas
avoir su prévenir la montée en puissance des milices de l'Oodua People's
pt
Congress, ainsi appelé à la fois
ré1érence au mythique ancêtre fondateur
de la nation yoruba et à la n Société des
descendants d'Oduduwa », Egbe Omo
Oduduwa, qui devait donner naissance
à l'AG en 1951.
Lfuewa Consultative Forum,lui,
est le
Il a
justement été créé en réaction à la
dérive xénophobe de |OPC, peu après
des heurts entre Yoruba et Haoussa
dans la banlieue de Ketu, à Lagos,
en novembrc 1999. À la différence
dernier venu sur la scène politique.
Les réseaux de pouvolr locaux.
Parallèlement aux trois principaux partis qui dominent la vie politique, ces
coalitions régionalistes ont chacune
leurs entrées au pouvoir et mettent en
évidence l'importance des associations
de natifs qui continuent de facto it
mailler le pays profond en dépit du
traumatisme de la crise biafraise et de
l'apparente condamnation du tribalisme par les élites politico-militaires.
Dans le Sud, en particulier, les unions
tribales s'avèrent plus proches du
lobby ethnique que du simple club de
notables. Assurant le lien entre la ville
et la campagne, elles promeuvent des
solidarités lignagères à travers les flux
migratoires des ruraux et les échanges
commerciaux d'agricultures vivrières
qui, à défaut de se développer
en
cultures d'exportation, demeurent une
importante source d'approvisionnement pour les centres urbains. En
agglomération, des organisations telles
d'Afenifere ou d'Ohaneze, organisa-
que la Ligue pour le progrès ou le
tions plus homogènes et moins transethniques, l'Arewa Consulative Forum
fait figure de véritable lobby régional
au sens géographique du terme. [æ mot
dreu)a, le n nord » en haoussa, n'est
d'ailleurs pas sans rappeler l'appellation vernaculaire du NPC (Northern
People's Congress) d'Ahmadu Bello à
l'indépendance, le Jamiyyar Mutanem
Arewa, qui avait voqrtion à réunir sous
sa coupe des Haoussa et des Peul aussi
Mouvement pour la défense des droits
et des libertés du peuple de Calabar
ont certes pu, en leur temps, transcender les affiliations tribales et défendre
des intérêts communaux. Mais la
plupart ont, dès l'origine, affiché une
coloration ethnique prononcée, qu'il
s'agisse de l'Efik National League (fondée en 1920), de l'Ijesha Improvement
Society (1922), de I'Ibibio \ÿ'elfare
Union (1927),de l'Ijaw People's .grr.
bien que des Kanouri et des Gwari. De
façon significative, la présidence de
(1941), de l'Oron Union (1942), de
la Qua Progressive Union (1943) ou
t
de
l'Andoni Progresive Union (1949).
Iæ coup d'État militaire de 1966 ayant
officiellement interdit les unions tribales, les associations de natifs ont
ensuite perduré sous la forme de socié-
tés religieuses, sportives, féminines,
éducatives et culturelles. La restauration de régimes parlementaires en
1979, 1993 et 1999 leur a donné
l'occasion de revenir officiellement sur
le devant de la scène, quitte à moderniser leur discours avec un vernis indigéniste ou écologiste suscepdble d'emporter l'adhésion des défenseurs des
droits de l'homme et des lobbies verts
en Occident. La nouvelle génération
d'unions tribales n'en est pas moins
restée engoncée dans des logiques
de terroir. Lancé par l'écrivain Ken
Saro-'§ÿiwa en 1990, le Mosop (Move-
ment for the Survival
of
Ogoni
People), par exemple, ne s'est battu
que pour la « survie du peuple ogoni
»,
qui explique d'ailleurs son incapacité à dépasser un cadre géograce
phique restreint et à rallier les autres
populations du delta à la lutte contre
les compagnies pétrolières ou les
militaires. Quant à l'Ijaw National
Congress, l'article 7 de sa Constitution, qui date de 1993, a donné une
définition purement biologique
de
l'appartenance ethnique. Au nom du
droit du sang dans une société patrilinéaire, seules les femmes mariées à
un Ijaw pouvaient être « naturalisées ,
(sic) eu sein du groupe.
Aujourd'hui, les associations de natifs,
dans toutes leurs limites et leurs fragilités, révèlent une triple dimension
poli-
ristes ditsTan dgaji (n les secouristes »).
l'interdiction des associations eth-
Plus traditionnelles, les confréries
soufies - à savoir la Qadiriyya et la
Tijaniyya essentiellement - ont aussi
joué un rôle caritatif avec des finance-
niques en 1966,les entreprises économiques des unions tribales ont pu perdurer sous la forme de coopératives
qui ont vite dépassé le demi-million
ments qui provenaient surtout des
donations de leurs membres, plutôt
d'adhérents et dont le nombre officiel est passé de 821 en 1951 à l0 591
que de lointains pays arabes.
Les milieux marchands, très présents
dans les confréries, n'ont pas été en
reste et leurs efforts ont pris un espect
en 1976.À l" differ.nce de l'Afrique
francophone, oùr les sociétés de prévoyance avaient été légalisées sous
le contrôle de l'É,tat et du Code de
commerce en 1947 puis 1955, ces
coopératives ont bénéficié du statut
plus corporatiste et religieux que
dans le Sud, en proie à des rivalités
d'apparence ethnique. Placée sous
le signe du triangle daula g,ada, une
pyramide d'arachides symbolisant la
prospérité agricole de la région, la Kano
State Foundation a par exemple été
lancée par un riche homme d'afhires,
Aminu Dantata. Elle a commandité
la construction d'écoles secondaires,
posé les bases d'une banque islamique,
commercialisé la production agricole,
secouru les victimes des catastrophes
par exemple, l'Ibibio Union devenait
aux revenus de ses investissements
et de ses prises de participations dans
les entreprises locales : la culture de
céréales dans le bassin de la rivière
Hadejia Jama'âre, une usine de chaus-
sures sous les auspices des artisans
de la Bagauda Alheri Association, les
activités commerciales de la Kano
Traders' Multi-purpose Co-operative
Society, etc.
pensaires ruraux puis d'une clinique
privée, l'Ibibio State Hospital, à Ikot
Okoro dans le district d'Abak. Après
tion d'aide aux pèlerins nigérians
du service public.
affirmer des identités
à
appel à des donateurs privés, la fondation s'est rapidement financée grâce
à
pu contrecarrer les efforts d'organisation de la société civile, la crise économique a en effet obligé la population à
recourir à des structures informelles ou
caritatives qui ont permis aux élites
locales de consolider leurs clientèles.
Dans le Nord musulman, l'establishffient de la Société pour la victoire de
l'Islam [NI) a ainsi fondé une associa-
les insuffisances
En conribuant
naturelles et soutenu l'actionnariat
populaire lors de la privatisation des
entreprises publiques. Après avoir fait
La Mecque, tandis que les fondamentalistes Izala se dotaient d'une branche
humanitaire sous la forme de secou-
électoraux ; elles défendent des intérêts
locaux ; elles fournissent des services
sociaux que l'É,tat est incapable d'assumer. Si la répression des militaires a
d'une ordonnance coloniale de 1935.
À ce titre, elles ont continué à fournir
des prestations sociales qui ont pallié
ethniques, les State Unions (les associations de natifs) du sud du Nigeria ont
aussi été, à leur manière, les précurseurs du fédéralisme car elles ont milité
en faveur de leur propre entité administrative : d'abord des provinces, püs
des États fédérés. Leur changement de
nom au sortir de la Seconde Guerre
Dans le Sud à dominante chrétienne,
Églises et mouvements ethno-culturels
ont également mené des æuvres
sociales. Pour élargir sa base et venir au
secours des victimes de la répression
militaire, le Mosop s'est doté d'un
Ogoni Relief and Rehabilitation Fund.
Des unions tribales plus anciennes
n'ont pas non plus caché leurs ambitions en matière de développement, à
l'image de l'Ibibio State Union, dont
la devise était : n Amour, unité, coopération, dévouement, indépendance » !
Les efforts se sont notamment portés
sur le plan éducatifet sanitaire, avec,
en l'occurrence, la construction de dis-
tique : elles constituent des lobbies
d'association à but non lucratif en vemr
mondiale est significatif. En 1948,
l'Ibibio State Union ; et l'Ibo Union,
l'Ibo State Union. Inaugurée le 28 avril
1928 à Uyo, aujourd'hui capitale de
l'Akwa Ibom, dans une région qui,
à l'époque, recensait déjà plus d'une
centaine d'unions tribales autour de
Calabar, l'Ibibio Union constitue un
prototype en la matière. C'est une des
plus vieilles associations du genre au
Nigeria et son projet d'É,tat a mis près
de soixante ans pour aboutir, en 1987.
Fondée en 1942 et dominée par les
Ijaw, la Rivers State Union, elle, a dû
attendre vingt-cinq ans pour obtenir
la création d'un Etat des Rivières à la
veille de la guerre du Biafra, en 1967 .
Vivier d'élites, ces unions tribales tissent en quelque sorte la üame de fond
des activités politiques qui, au niveau
le plus local, déterminent les alliances
régionales et nationales. À partir de
l999,la Quatrième République voit
ainsi des personnalités de premier plan
se disputer le contrôle des organisations ethno-culturelles, tels le président
du Sénat, Anyim Pius, et le gouverneur
de l'Etat d'Ebonyi, Sam Egwu, à propos de l'Ishiagu Community Development Union dans l'est du pays ibo.
A{igêria.153
Pour leur part, des figures parmi les
plus en vue des unions tribales de la
Première République conservent toute
leur influence en jouant un rôle d'éminences grises auprès des gouvernants
du jour. Il existe par exemple une filia-
tion directe entre un bon nombre
d'édiles de l'Akwa Ibom aujourd'hui
et le sénateur Udo Udoma, président
de l'Ibibio Union de1947 à 1961, ou
entre le chef de la Rivers State Union,
Harold Dappa Biny., et Melford Okilo,
premier gouverneur élu de l'É,tat des
Rivers en 1979. Aux élections locales
de décembre 1998, ce dernier forme
d'ailleurs un éphémère National Solidarity Movement qui se situe dans la
droite lignée du NDC (Niger Delta
Congress), la branche politique de la
soient-ils, les divers marabouts, prophètCI, cheikhs et prêues qui interagissent avec les hommes de pouvoir obli-
des mascarades, lors des cérémonies
religieuses. Aujourd'hui, les masques
de ces parades sont fabriqués en série et
gent
vendus aux touristes à Oshogbo, en
pays yoruba, ou dans les petites cahutes
en bordure de la route d'Ikot Ekpene,
en pays ibibio. Relativement affran-
à étudier l'influence des forces de
la magie, à en analyser les mécanismes
sociaux et à en comprendre la portée
politique, en particulier au regard de
la puissance de la rumeur.
De fait,le président Obasanjo en personne n'a pas complètement renoncé
à de telles croyances, lui qui a d'abord
suivi une éducation yoruba traditionnelle avent de s'engager dans la
carrière militaire. En 1986, par
exemple, il recommandait publiquement à la presse l'utilisation des armes
de la magie juju en vue de vaincre le
régime d'apartheid en Afrique du
chis de la chefferie coutumière, des
cultes initiatiques de type moderne
et mafieux n'en ont pas moins pris le
relais, notamment sur les campus universitaires oùr les sociétés secrètes étudiantes (les cubistù sont suspectées
d'avoir été lancées par les enfants de
l'élite militaire et civile au pouvoir,
quitte à entretenir des liens avec des
organisations plus anciennes comme la
Fraternité Ogboni Réformée.
La persistance de telles structures officieuses ne menace sans doute pas la
locales à cette occasion, a le soutien
explicite de l'Ijaw National Congress,
Sud ; les guérisseurs yoruba devaient
d'ailleurs reprendre à leur compte sa
déclaration pour demander des subventions gouvernementales dans leur
lutte contre les esprits du mal ! Candidat malheureux aux élections prési-
dont la charte constitutive interdit
dentielles de 1999,le Yoruba Olu
transition démocratique au Nigeria.
Mais elle témoigne d'une criminalisation des pratiques politiques qui a
résisté à tous les changements de
régime depuis le boom pétrolier des
théoriquement
Falae a, pour sa part, accusé Olusegun
années 70. Les sociétés secrètes avaient
Obasanjo d'appartenir à la société
secrète des Ogboni, qui intronisait et
enterrait les rois d'Oyo autrefois et qui
a pris les apparences d'une sorte de
autrefois une fonction disciplinaire.
Aujourd'hui, elles apparaissent plutôt
Rivers State Union dans les années 50.
Le National Solidarity Movemenr,
qui remporte quelques collectivités
à ses membres
d'adhé-
rer à une formation politique
sans,
d'abord, démissionner de I'organisation : une contradiction qui n'est pas
sans rappeler les ambiguïtés des
unions
tribales vis-à-üs des partis nationalistes
à l'indépendence...
les forces de !'invisible. læs réseaux
clientélistes du pouvoir politique
dévoilent ainsi en filigrane des structures parallèles qui n'apparaissent pas
dans l'organigramme officiel de fadministration nigériane. Aux yeux d'une
société imprégnée de sorcellerie, il
ne fait nul doute qu'il existe aux côtés
de l'appareil d'É,tat, ou directement
dedans, des cénacles invisibles otr se
régleraient les plus hautes affaires de la
nation. Confréries religieuses dans le
Nord musulman et sociétés secrètes
dans le Sud jouent en quelque sorte le
rôle que les services occidentaux ont
voulu prêter atx cellules communistes
du temps de la guerre froide, avant que
les islamistes ne viennent remplacer la
menace soviétique. Aussi irrationnels
154.Afriqüe
franc-maçonnerie chrétienne pendant
la colonisation.
À dire vrai, le pays yoruba n'est pas le
seul à connaître de pareilles formes
d'organisations politiques souterraines.
De la même façon que la Fraternité
Ogboni a été accusée d'avoir influencé
l'AG à l'indépendance, les adeptes du
culte Owegbe ont été suspectés d'avoir
infiltré le NCNC (National Council
for Nigeria and the Cameroons) du
président Nnamdi Azikiwe en pays
edo, autour de la ville de Benin. Plus
à l'est encore, on trouve aussi les
sociétés secrètes Okonko chez les lbo,
Ozo chez certains Ijaw d'Asaba, Ekpo
Nyoho chez les Ibibio d'Uyo et Ekpe
chez les Efik de Cdabar. On peut bien
sûr douter de leur poids politique.
Autrefois, la peur qu'inspirait le secret
permettait le maintien de leur autorité,
qui prenait tout son sens au moment
comme des franc-maçonneries dévoyéCI
etdestinées à capter les prébendes de
l'Etat et à favoriser les carrières. De la
même façon que les confréries soufies
défendent les intérêts économiques
de l' estab lis hment mr$ulman du Nord,
les sociétés secrètes du Sud participent au grand découpage du n gâteau
national » nigérian. Plus ou moins
informelle, la redistribution par la
corruption des ressources publiques,
essendellement la manne pétrolière,
confofte finalement les groupes de
pression qui n'hésitent pas à employer
ou à cautionner la violence pour pervenir à leurs fins. De ce point de vue,
l'Etat nigérian semble bièn avoir entériné, voire institutionnalisé, la prédation comme une forme « normale, de
lutte politique. Les pouvoirs publics
savent désormais gérer des niveaux de
violence élevés sans aller jusqu'à l'explosion sécessionniste.
BLOG DÉFENSE
Nigeria : retour sur quarante années de violences
05/09/2014 à 09:35 Par Laurent Touchard
Si les terroristes de Boko Haram
sont aujourd'hui tristement au coeur
de l'actualité, ils ne sont pourtant
pas les premiers a déstabiliser le
pays. Retour sur 40 années de
violences au Nigeria.
Un combattant du groupe islamiste Boko
Haram. © AFP
* Laurent Touchard travaille depuis de
nombreuses années sur le terrorisme et
l'histoire militaire. Il a collaboré à
plusieurs ouvrages et certains de ses
travaux sont utilisés par l'université
Johns-Hopkins, aux États-Unis.
Comme tous les émois internationaux, celui que provoque l'enlèvement des jeunes-filles de Chibok
ne dure pas. Tout comme se sont évaporées les bonnes résolutions des autorités nigérianes.
Intentions vite oubliées qui ont amené les civils du Borno à prendre en main la sécurisation de leur
État, via la milice des jeunes du Borno, contre Boko Haram. Initiative que contrôle insuffisamment le
pouvoir central et qui n'est donc pas exempte de dangers pour la stabilité de la zone. Mais
finalement, rien de nouveau au Nigeria, en proie à des flambées de violences depuis une
quarantaine d'années. Mieux "comprendre" Boko Haram, dont nous parlerons dans un futur billet,
implique de survoler ces crises.
Aperçu des crises intérieures des années 1970 et 1980
Au Nigeria, les facteurs d'instabilité ne manquent pas. La guerre civile de 1967-1970 (Biafra)
constitue la première crise d'ampleur que connaît le pays, alors indépendant depuis 1960. Quand
s'achève le conflit, la paix n'est pas au rendez-vous. Tensions religieuses, ethniques,
communautaires et sociales, croissent à la fin des années 1970. Boko Haram n'est donc pas la
première secte d'inspiration islamiste que combat le gouvernement fédéral. Ainsi, en 1978, le
mouvement sunnite Yan Izala, les "éradicateurs Izala", gagne en influence dans de nombreuses
mosquées du Nord. Ses membres n'hésitent pas à recourir à la brutalité contre les soufis modérés.
En décembre 1980 à Kano, pendant onze jours, les forces de sécurité affrontent les Yan Tatsine (de
courant mahdiste) qu'enflamment les prédications de Muhammad Marwa (alias Mai Tatsine ; le
"Maître de la Condamnation" en haoussa). D'origine camerounaise, l'homme rejette tout ce qui vient
de l'Occident. Après avoir tenté de s'emparer de la mosquée de Kano, les combats dégénèrent avec
la police. L'armée doit intervenir en urgence, avec chars, blindés et artillerie, faisant un usage
disproportionné de la force. Au moins 6 000 personnes sont tuées du 19 au 29 décembre 1980 dans
cette insurrection quasiment oubliée aujourd'hui.
À
la
même
époque,
les
services
de
renseignement d'Abuja surveillent étroitement
Ibrahim al-Zakzaky, responsable de la Société
des étudiants musulmans. Il refuse la
Constitution nigériane, vilipende les soufis qu'il
accuse de collusion avec le pouvoir.
Khomeiniste, il supporte la révolution islamique
Au moins 6 000 personnes
sont tuées du 19 au 29
décembre 1980 dans cette
insurrection quasiment oubliée
aujourd'hui.
iranienne, rejette l'existence d'Israël... Par ailleurs, il milite en faveur de l'instauration de la charia
dans l'ensemble du pays. Des années 1980 à aujourd'hui, il ne cache pas son admiration pour le
Hezbollah. Des membres de son mouvement sont d'ailleurs soupçonnés d'être des soutiens
potentiels d'opérations terroristes que pourrait conduire – si nécessaire - l'organisation chiite
libanaise contre des intérêts américains et israéliens au Nigeria... Dans les années 1990, des liens
sont rapportés entre lui et Mohammed Yusuf, futur fondateur de Boko Haram.
Quant aux Yan Tatsine, ils survivent à la disparition de Muhammad Marwa, qui décède dans la foulée
des événements de 1980. L'"esprit" de Mai Tatsine s'enracine profondément dans le nord nigérian,
notamment dans le secteur de Kaduna, avec la secte Kalakato. En août 1981, les fanatiques
mahdistes sont à l'origine de violences à Maiduguri, puis tout au long des années 1980, en
particulier en avril 1985, avec plusieurs centaines de morts à Gombe. S'ils font moins parler d'eux
pendant les années 1990, ils font leur retour à la fin de la décennie, en septembre 1999, à Kaduna.
Ils s'attaquent alors, non pas à des chrétiens, mais à ceux qu'ils accusent d'être de "mauvais
musulmans" (notamment les soufis)... Ils se manifestent aussi à la fin des années 2000.
1999 : démocratie et explosions de violences
En 1998, des émeutes éclatent à Lagos : des musulmans brûlent des églises à Ilorin, dans l'État du
Kwara. En octobre 1999, l'instauration de la charia dans l'État du Zamfara provoque des émeutes
religieuses. Des chrétiens qui se sentent menacés par cette poussée islamiste en sont les auteurs. Le
phénomène s'étend rapidement dans le nord du pays ; l'État du Cross Rivers se déclare État chrétien
par réaction.
À ces antagonismes religieux se greffent des antagonismes ethniques : entre les Ifes et des
Modakekes dans l'État d'Osun, entre les Haoussas et les Yorubas dans l'État du Shagamu et de Kano,
etc... Dans ce contexte de troubles endémiques, l'attaque d'établissements scolaires n'attend pas les
années 2010 et Boko Haram. Ainsi, le 10 juillet 1999, les membres d'une confrérie estudiantine
vaguement teintée de religion, la Black Axe Confraternity, s'en prennent aux occupants des dortoirs
de l'université d'Obafemi Awolowo. Vêtus de noir, masqués, ils massacrent huit personnes et en
blessent onze à coups de haches et de fusils de chasse... Plus de dix ans après, en septembre 2013,
Adigun Muda, le chef contemporain du groupe (qui existe donc toujours) est arrêté pour le meurtre
d'une dizaine de jeunes entre 2010 et 2013...
Paradoxalement, l'élection d'Olusegun Obasanjo en 1999 et le retour à une démocratie durable
depuis (à savoir, non entrecoupée de coups de force et de régimes militaires) a un effet déplorable
sur les frictions entre entités rivales au Nigeria. Durant les régimes militaires, celles-ci étaient comme
maintenues sous le couvercle d'une cocote minute chauffée au chalumeau. Lorsque s'estompe
l'emprise politico-sociale des militaires, la violence se libère avec les rationalités et les revendications
de tous ; les "réalités locales" dont parle Thierry Michalon (Quel État pour l'Afrique, L'Harmattan
1984). Souvent contradictoires, notamment avec ce que veut imposer Abuja, ces réalités locales se
percutent brutalement.
Ce n'est pas tout : puisque le pouvoir appartient
désormais à ceux qui gagnent les élections - ou
qui influencent leur issue – la force apparaît
être un moyen comme un autre d'influer sur le
résultat desdites élections. Des hommes
De 1999 à 2002 environ 10
000 personnes périssent de
mort non naturelle.
politiques n'hésitent pas à l'utiliser, organisant leurs propres milices. Ils recrutent des laissés pour
compte, des petites frappes. Évidemment, les armes distribuées ne sont jamais récupérées après les
élections, contribuant à la prolifération galopante de ces outils meurtriers. En outre, ces sbires
portent parfois des tenues similaires à celles des policiers, entretenant la confusion ; les exactions
qu'ils commettent sont ainsi imputées aux forces de l'ordre ! La violence devient routinière, presque
banale. Est estimé - en fourchette basse - que de 1999 à 2002 environ 10 000 personnes périssent
de mort non naturelle... Contexte de débilité parfait qui favorise une pathologie comme Boko Haram.
Instauration de la charia au Nord
Avec le précédent du Zamfara, d'autres États du Nigeria adoptent la charia. Pour faciliter son
instauration, ils constituent des milices d'autodéfense, les hisbah. Celles-ci patrouillent pour assurer
l'ordre public, elles veillent à la bonne application de la loi islamique et, accessoirement, s'attaquent
aux chrétiens. Ces milices s'imposent ainsi en police religieuse qui concurrence la police laïque
fédérale. La réaction du pouvoir est par trop timide : par exemple, la dissolution de la hisbah de
Kano est demandée, sans aucun résultat.
Dans neuf des dix-neuf États du Nord, la charia est appliquée. Elle prévaut dans trois autres. Les
chrétiens refusent d'y être soumis. De plus, non sans raison, ils s'estiment menacés. Sentiment
qu'accentue l'apathie du pouvoir central. En toute logique, ils réagissent violemment. Cercle infernal
dans lequel il devient vite impossible de déterminer qui est l'agresseur et qui est l'agressé. Le cycle
des "agressions-vengeance" s'ancre fermement dans les villes et les villages, avec des prétextes qui
ne manquent pas. Le nombre d'enlèvements, notamment de femmes, augmente quant à lui dans
des proportions alarmantes.
Sabotage économique et possession des terres
Coeur et poumons économiques du Nigeria, le golfe de Guinée et du Delta du Niger sont d'une
importance stratégique pour le pays. Le delta, en particulier, représente neuf États qui s'étendent sur
70 000 km2. Aire dans laquelle se sont concentrés 90 % des réserves pétrolières et gazières du
pays... Richesses qui représentent aussi 80 % des revenus de l'État fédéral ! Par ailleurs, environ 1
% de la population travaille dans l'industrie pétrolière.
L'on comprend aisément l'enjeu du contrôle cette partie du Nigeria. Or, cette zone est à son tour
contaminée par les troubles, à partir de 2003. En 2004, les groupes armés dans le delta sont estimés
à une centaine rien que dans le Rivers State. Le MEND (Movement for the Emancipation of the Niger
Delta) est un des plus connus. Ils enlèvent les techniciens des compagnies pétrolières, attaquent les
forces fédérales, volent le pétrole qu'ils récupèrent en sabotant notamment les pipelines...
Dans le reste du pays, la situation se dégrade elle aussi, toujours plus. En 2004, une explosion de
violence entre communes fait plusieurs centaines de morts. L'assassinat politique n'est pas rare, à
l'instar de celui de Dipo Dina en janvier 2010, dans l'État d'Ogun. Les affrontements physiques se
multiplient également entre deux entités sociales et culturelles : les cultivateurs et les éleveurs. Le 7
mars 2010, dans le secteur de Jos (État du Plateau ; où les affrontements sont incessants depuis
1946 !), des éleveurs Fulani tuent plus de 400 villageois. Cette attaque est menée en rétorsion d'une
autre attaque dont ont été victimes les Fulani, en janvier, par des Berom pour l'essentiel chrétiens.
C'est dans ce contexte chaotique que Boko Haram revendique des attentats à la bombe, à Jos.
L'usage des explosifs se "démocratise" alors tristement.
Frontières-passoires et professionnalisation des groupes armés
Dans le delta, une amnistie pour les rebelles apaise fragilement la situation. Toutefois, dans le golfe
de Guinée, le nombre d'actes de pirateries commence à grimper en 2011. Le phénomène passe
relativement inaperçu car le maraudage le long des côtes de Somalie attire alors tous les regards.
S'ajoute, au Nord, la question de la porosité des frontières au bénéfice des bandits et des terroristes
qui se regroupent plus ou moins sous la bannière de Boko Haram, puis de sa dissidence, Ansaru.
Porosité qui profite à des groupes mobiles, à cheval sur les frontières, passant d'un pays à l'autre ;
qui facilite les trafics les plus divers dont celui des otages.
Pour ne rien arranger, ces groupes se "professionnalisent". Ils alignent des combattants de mieux en
mieux entraînés, de plus en plus efficaces dans la tactique des petites unités, dans la guérilla
urbaine, dans les activités de renseignement "du pauvre" (souvent aussi ingénieuses et parfois aussi
efficaces que le renseignement technologique). Au fil du temps et d'un apprentissage "sur le tas", ils
excellent dans le terrorisme "intuitif". Efficacité qu'ils doivent notamment à l'expérience qu'ils
gagnent face à des forces de sécurité défaillantes. Ils se "font la main" sur des cibles "molles"
(écoles, lieux de culte...). Efficacité qu'ils doivent aussi à d'ex-membres des forces de sécurité qui
intègrent leur rang. Efficacité accrue qu'ils doivent enfin à des armes automatiques, à des lanceroquettes antichars et à des explosifs qui foisonnent dans la région.
_____
Delta du Niger : l'insoluble conflit ?
Aymeric Janier, Le Monde, 15 avril 2011
Des combattants du Mouvement pour l'émancipation du delta du Niger, en
septembre 2008. | AFP/PIUS UTOMI EKPEI
Goodluck Jonathan devrait, selon toute vraisemblance, remporter le
scrutin présidentiel du 16 avril au Nigeria, ce qui serait une première pour
un homme originaire du delta du Niger depuis l’indépendance, en 1960.
Pour autant, cette région riche en pétrole, régulièrement en proie à des
tensions, est loin d’être pacifiée. Parviendra-t-il, s’il est élu, à juguler la
violence résiduelle des activistes du MEND et à préserver une amnistie
bien fragile ? Éléments de réponse.
Marquée par une succession de coups d’Etat et de dictatures militaires,
dont la dernière, celle du général Sani Abacha (1993-1998), a laissé un
sinistre souvenir, l’histoire récente du Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique
avec environ 158 millions d’habitants, s’est écrite à l’ombre des armes. Au
sud, le delta du Niger, zone riche en matières
premières, notamment en pétrole, n’a pas été épargné par la violence. Une
violence qui perdure, en dépit des tentatives récurrentes du gouvernement
fédéral d’inciter les rebelles du MEND (Mouvement pour l'émancipation du
delta du Niger) à déposer définitivement les armes.
Aux sources du conflit : la terre et l’or noir
Le conflit de basse intensité qui mine le delta du Niger trouve son origine
dans les années 1980. Largement privées des fruits de la manne pétrolière,
qui a crû dans des proportions considérables à la faveur du boom pétrolier
dix ans plus tôt, les populations locales s’organisent en un vaste
mouvement de protestation. Leur cible ? Les militaires, qui ont fait main
basse sur l’or noir et revendiquent la propriété du sol. A l’époque, la lutte
est pacifique. Mais déjà, les fondements du futur conflit affleurent. "Il y a
deux versants très politiques dans cette rébellion : c’est à la fois une
contestation du Land Use Act de 1978 [lequel dépossède les communautés
locales de leurs droits fonciers au profit de l’Etat fédéral] et du mode de
redistribution de l’argent du pétrole, qui fournit 96 % des recettes à
l’exportation de l’Etat", analyse Marc-Antoine Pérouse de Montclos, chargé
de recherche à l’Institut de recherche pour le développement et spécialiste
du Nigeria. "Le prix du baril tourne autour de 100 dollars. Or, produire du
pétrole au Nigeria ne doit pas coûter plus de 30 dollars. Toute la question
est donc de savoir comment répartir la valeur ajoutée ainsi dégagée entre
l’Etat fédéral, les Etats fédérés et les communautés locales", précise JeanPierre Favennec, expert pétrolier. Sur le plan de la répartition des bénéfices
pétroliers, en effet, deux écoles s’opposent. D’un côté celle de la
péréquation (federal character), en vertu de laquelle les Etats riches paient
pour les plus pauvres, principalement situés dans le Nord sahélien
musulman non-producteur de pétrole ; de l’autre, celle de la dérivation
(derivation principle), qui veut que les régions pétrolifères du Sud – l’Etat
du delta, de Bayelsa et de Rivers – touchent l’essentiel de la rente, fût-ce au
détriment du reste du pays. Nœud gordien de la politique intérieure
nigériane, cette épineuse question est d’autant plus difficile à trancher que
d’autres critères entrent en ligne de compte, comme les besoins en
développement et en éducation.
De la lutte pacifique à l’insurrection armée
Au début des années 1990, l’écrivain et intellectuel Ken Saro-Wiwa est le
premier à donner un vrai sens politique à la protestation des communautés
locales. En invoquant la pollution qui menace le delta, thématique
jusqu’alors largement mise sous le boisseau, il parvient à faire entendre sa
voix aux côtés des grands lobbies environnementaux mondiaux. Il prend la
défense des Ogonis, peuple indigène vivant dans l’Etat de Rivers, et fonde le
Mosop (Mouvement pour la survie du peuple ogoni), qu’il dirigera jusqu’en
1995. Cette année-là, au terme d'un procès truqué, il est exécuté par
pendaison à l’initiative du gouvernement de Sani Abacha. Cet événement
marque un tournant crucial dans la contestation. "A partir de là, beaucoup
ont réalisé que face aux militaires et à un pouvoir fédéral désespérément
sourd à leurs revendications, la seule solution était la lutte armée. Les
Ijaws [ethnie majoritaire du delta, sur les plus de 250 que compte le pays]
ont donc pris les armes", explique M. Pérouse de Montclos. Depuis cette
époque, le Mosop a cédé la place au MEND, dont les actions radicales
ciblent prioritairement les intérêts pétroliers. Est-ce à dire que la violence
est plus prégnante qu’auparavant ? Sur ce point, M. Pérouse de Montclos se
veut nuancé : "Entre 1993 et 1995, pendant la période dure de la dictature
Abacha, le delta du Niger et la zone entourant Port Harcourt étaient à feu
et à sang. Les cadavres se comptaient par milliers", rappelle-t-il, précisant
"qu’aujourd’hui, on se trouve dans une situation où l’on observe plutôt une
décrue de la violence".
Le MEND, une nébuleuse fragmentée et acéphale
Le MEND a vu le jour fin 2005, en réaction à l’emprisonnement d’Asari
Dokubo, fondateur fin 2003-début 2004 de la Niger Delta People’s
Volunteer Force (NDPVF, "Force des volontaires du peuple du delta du
Niger"). Cette arrestation, opérée de concert par la police et les services
secrets nigérians un an après que le chef séparatiste eut été invité à
négocier avec le président Olusegun Obasanjo à Abuja, la capitale fédérale,
a poussé les divers groupes armés dans la clandestinité. Pour autant, le
mouvement n’a jamais affiché de réelle unité. "Le MEND s’apparente
plutôt à une nébuleuse, à une franchise, comme Al-Qaida, mais avec des
objectifs très différents. Il n’y a pas de structure de commandement. Ce
n'est pas une guérilla au sens propre du terme, avec une hiérarchie, un
chef et des troupes qui obéissent", note M. Pérouse de Montclos. "Si le nom
du fournisseur d’armes Henry Okah a souvent été cité [comme chef du
MEND], ce n’est pas nécessairement lui qui commanditait les actions",
ajoute-t-il. A l’heure actuelle, nul ne saurait dire avec exactitude combien
de combattants garnissent les rangs du mouvement. Le seul à avoir accepté,
puis finalement rejeté l'amnistie de juin 2009, John Togo, revendique 186
hommes dans l’ouest du delta, autour de Warri. Mais si l’on agrège
l’ensemble des chefs de guerre locaux dans les villages, le nombre des
rebelles est sans doute bien supérieur. Seule certitude, depuis sa création,
le MEND a perfectionné sa technique de combat. Grâce aux armes fournies
par Henry Okah et aux bénéfices de l’extraction sauvage de pétrole à partir
des oléoducs – une pratique connue sous le nom de "bunkering" qui,
d’après M. Favennec, représenterait des centaines de milliers de
barils/jour, soit 10 % de la production quotidienne –, il a "franchi un saut
qualitatif" lui permettant, par exemple, de s’attaquer à des plates-formes
pétrolières à cent kilomètres des côtes.
Un antagonisme aux ressorts complexes
"Le conflit du delta du Niger est plus complexe qu’il n’y paraît", souligne
M. Pérouse de Montclos, qui récuse le schéma binaire d’une opposition
entre compagnies pétrolières et Etat fédéral ou entre compagnies
pétrolières et communautés locales. "Le bloc même formé par les
compagnies pétrolières est loin d’être homogène : il y a les Chinois, les
Russes, les Indiens, sans oublier bien sûr les grandes multinationales
occidentales [Shell, Chevron, Exxon Mobil, Total, AGIP], qui ne
s’entendent pas nécessairement entre elles. Par ailleurs, il ne faut pas
oublier que, depuis les années 1970, l'industrie pétrolière nigériane est
nationalisée. Via la NNPC (Nigerian National Petroleum Corporation),
l’Etat nigérian détient entre 55 % et 60 % de l’industrie. Il est donc le
premier pollueur du pays !", insiste-t-il. A l’enjeu pétrolier s’ajoute
également une dimension politique, dans la mesure où les rebelles qui
sévissent dans le delta et qui, pour certains, alimentent les effectifs du
MEND, ont souvent, à l’origine, été instrumentalisés par les gouverneurs
locaux pour éliminer physiquement leurs opposants et, par-delà, toute
forme de dissidence. Au sein même de la population, enfin, des lignes de
faille existent aussi, comme entre le Mosop et les Ijaws, ou bien encore
entre les pêcheurs de la côte et les agriculteurs de l’arrière-pays.
Une amnistie encore fragile
Depuis l’amnistie du 26 juin 2009, les groupes armés qui se revendiquaient
du MEND ont officiellement déposé les armes. Dans les faits, la paix
demeure fragile. Elle est surtout portée par l'espoir que suscite l'élection
probable de Goodluck Jonathan à la présidence, un chrétien du delta (il est
né en 1957 dans l’Etat de Bayelsa). Les groupes armés, semble-t-il, veulent
lui laisser une chance. D’autant que Henry Okah, leur fournisseur d’armes,
croupit toujours en prison en Afrique du Sud, où il a été incarcéré pour
terrorisme après le double attentat à la voiture piégée perpétré à Abuja le
1er octobre 2010 (12 morts). Pour autant, une nouvelle flambée de violence
n’est pas à exclure à plus ou moins court terme car le programme
d’amnistie n’a rien résolu sur le plan politique. Certes, une loi est en
gestation, qui prévoit une réforme de l’industrie pétrolière, mais elle ne
touche pas aux principes de péréquation et de dérivation. "Dans ce
contexte, je ne vois pas pourquoi les armes se tairaient", estime M.
Pérouse de Montclos. Et de conclure, mi-réaliste, mi-fataliste : "Une fois
élu, Goodluck Jonathan va devoir faire des compromis à l'échelle
nationale. Il y a trois gros Etats producteurs de pétrole au Nigeria et 36
Etats fédérés au total. Il est impensable que les trente-trois autres disent :
nous renonçons à l’argent du pétrole..."
Aymeric Janier
PÉTROLE
Pétrole : les mystérieux dollars manquants du Nigeria
09/02/2014, Agence France Presse
Au Nigeria, premier producteur d'or
noir du continent africain, des voix
s'élèvent pour réclamer des comptes
sur
les
milliards
de
dollars
manquants de la manne pétrolière.
C'est le gouverneur de la Banque centrale
nigériane, Sanusi Lamido Sanusi, qui a
mis le débat sur la table en septembre,
en accusant publiquement la compagnie
Une usine de pétrole Shell à Bonny Island au
pétrolière nationale (NNPC) de devoir
Nigeria le 18 mai 2005. © AFP
près de 50 milliards de dollars de revenus
pétroliers à l'Etat. M. Sanusi, qui doit quitter son poste dans les prochains mois, a ensuite revu ce
chiffre à la baisse, annonçant qu'il ne manquait "que" 12 milliards de dollars, laissant planer des
rumeurs de pressions politiques.
Cette semaine, à nouveau, M. Sanusi a annoncé que le NNPC devait à la Banque Centrale 20
milliards de dollars sur les 67 milliards de revenus du pétrole gagnés entre janvier 2012 et juillet
2013. "C'est maintenant au NNPC (...) de produire la preuve que les 20 milliards non remis
n'appartiennent pas à l'Etat fédéral ou ont été dépensés de façon légale et constitutionnelle", a-t-il
déclaré devant un comité parlementaire.
Le Nigeria extrait environ deux millions de barils de pétrole par jour. Selon les chiffres officiels, les
recettes d'exportation sont tombées à 49 milliards de dollars en 2012, contre 54 milliards l'année
précédente, sans réelle variation dans la production de brut. L'exportation de pétrole brut représente
80% des recettes de l'Etat au Nigeria.
En 2004, un compte, l'Excess Crude Account (ECA), avait été créé afin de protéger l'économie
nigériane de la volatilité des cours du pétrole et d'investir dans les infrastructures dont le pays
manque si cruellement. L'ECA est alimenté par le surplus de recettes pétrolières, qui correspond à la
différence entre le prix de référence, approuvé par le parlement, et le prix réel du baril. L'année
dernière, le prix de référence avait été fixé à 79 dollars le baril par le parlement, alors qu'il se
vendait au-dessus de 100 dollars sur le marché international. Selon la Banque centrale, l'ECA était
créditeur de 11,5 milliards de dollars fin 2012. Mais en janvier 2014, il ne restait plus que 2,5
milliards sur ce compte.
"Aucune amélioration" du niveau de vie
Au même moment, les réserves en devises ont chuté de 48 milliards en mai à 42,7 milliards
aujourd'hui, d'après la Banque centrale. "Il est malheureux que le gouvernement se soit lancé dans
une telle frénésie de dépenses sans qu'on ne puisse observer aucune amélioration significative du
niveau de vie de la population", déplore l'économiste nigérian Abolaji Odumesi.
Le très influent Forum des gouverneurs nigérians a décidé de poursuivre le président Goodluck
Jonathan en justice, pour avoir retiré 1 milliard de dollars de l'ECA pour créer un nouveau fond
souverain. Le NNPC et le gouvernement ne cessent de répéter que l'argent est investi dans des
projets légitimes et que la baisse des recettes est surtout due au vol de pétrole à grande échelle.
Tout le monde s'accorde à dire que le vol de pétrole, estimé à 150.000 barils/jour, est un problème
majeur qui représente un manque à gagner d'environ six milliards de dollars par an pour le Nigeria.
Mais pour les militants anti-corruption, l'argent manquant a pu être utilisé, au moins en partie, pour
financer la campagne électorale à venir, alors que la présidentielle de 2015 s'annonce comme la plus
serrée depuis la fin des dictatures militaires, en 1999.
"L'administration Jonathan se sert tout simplement dans le but de sa réélection", affirme Debo
Adeniran, de la Coalition contre les dirigeants corrompus, une organisation apolitique à but non
lucratif. "Il est absurde que nos réserves en devises et notre compte ECA baissent au moment où
nous vendons notre pétrole 30 dollars au-dessus du prix de référence" dénonce-t-il.
Pour M. Adeniran, qui félicite le gouverneur de la Banque centrale d'avoir tiré la sonnette d'alarme
sur cette "fraude monumentale", le NNPC a eu tort de dépenser de l'argent qui ne lui était pas dû,
quel que soit le montant au final. "Le NNPC est un foyer de corruption et d'inefficacité (...) Ils n'ont
pas le pouvoir de dépenser ainsi de l'argent qui ne leur a pas été attribué".
Au Nigeria, report des
élections sous tension
Par Jean-Philippe Rémy (Johannesburg, correspondant régional)
LE MONDE | Le 09.02.2015 à 10h56 • Mis à jour le 09.02.2015 à 12h10
i
Pour les cerveaux de l’insurrection djihadiste du nord du Nigeria, cela doit
apparaître comme une victoire majeure : à une semaine d’élections
générales à risque, Boko Haram est devenu le joker électoral du parti au
pouvoir nigérian et de son candidat, le président sortant, Goodluck
Jonathan.
Grâce à Boko Haram, le People’s Democratic Party (PDP, Parti
démocratique du peuple) vient de gagner du temps : au terme de longues
heures de tractations, Attahiru Jega, le président de la Commission
électorale nationale indépendante (INEC), a consenti, samedi soir 7 février,
au report de six semaines du scrutin présidentiel combiné aux législatives
(désormais fixé au 28 mars) ainsi que des élections de gouverneurs (le
11 avril).
Comment
croire qu’en
six semaines
l’armée
nigériane
pourrait
régler le
problème
d’une
insurrection
qui dure
depuis 2010
La manœuvre n’a échappé à personne. Surtout pas à
l’All Progressives Congress (APC, Congrès de tous les
progressistes) et à son candidat, le général
Muhammadu Buhari. Né de la fusion des quatre partis
principaux d’opposition du pays, parvenus à s’entendre
sur un candidat unique, l’APC menace, pour la première
fois, de faire perdre le parti au pouvoir. Muhammadu
Buhari joue sur son image d’homme à poigne pour
promettre de faire le ménage au Nigeria. Car Boko
Haram n’est pas la seule menace. La chute des cours
du pétrole a exposé les faiblesses de la première
économie d’Afrique, à commencer par sa corruption
extravagante. Lamido Sanusi, le gouverneur de la
Banque centrale, avait signalé, documents à l’appui, la
disparition dans la nature de 20 milliards de dollars
(17,6 milliards d’euros) de recettes pétrolières. Il a été limogé. En 2014,
l’index de la Bourse de Lagos a perdu le tiers de sa valeur, plaçant la place
financière nigériane parmi les dernières de la planète, derrière l’Ukraine en
guerre.
Le Nigeria est en guerre, lui aussi. Ces six derniers mois, Boko Haram a
établi son influence sur près de 70 % de l’Etat de Borno, au nord-est du
pays, attaquant à plusieurs reprises sa capitale, Maiduguri, étendant son
« califat » vers deux Etats voisins (Adamawa et Yodé) et organisant des
attentats jusqu’à Abuja, la capitale. Pendant ce temps, l’armée nigériane
restait pétrifiée, abandonnant le terrain et beaucoup de matériel aux
insurgés, et refusant, drapée dans son orgueil, toute aide étrangère
conséquente.
Lire aussi : La riposte régionale contre Boko Haram s’organise
Or, l’élite nigériane, comme une bonne partie de l’opinion publique dans le
sud du pays, demeurait, encore récemment, indifférente à Boko Haram,
considéré comme un problème local, enraciné dans le Nord-Est. Deux
facteurs sont venus bouleverser cette erreur d’analyse : la machine à perdre
les élections du PDP et l’élargissement des activités de Boko Haram aux
pays voisins. L’électrochoc du massacre de Baga par les hommes de Boko
Haram, début janvier, a révélé aussi l’ampleur de la menace régionale
djihadiste, entraînant une extension des opérations militaires des pays
voisins, bientôt réunis dans une force régionale.
Pour le PDP, l’argument de la « sécurité » des élections était tout trouvé. Il a
été mis en avant lors d’un « Conseil d’Etat », réuni vendredi à Aso Rock, la
résidence présidentielle nigériane. Cet organe, dirigé par le chef de l’Etat,
Goodluck Egbe Jonathan, dit GEJ, se réunit lorsqu’il est nécessaire d’élargir
le débat sur de grandes questions nationales. Le Conseil réunissait autour
de l’équipe du président, les gouverneurs (des deux camps), des
responsables des services de sécurité, et d’anciens chefs d’Etat (dont le
général Buhari).
Aucune décision n’a pu être prise lors de cette réunion houleuse. Les
proches du président ont proposé un report de six mois pour permettre aux
opérations militaires contre Boko Haram de s’achever, à la fois pour que le
vote puisse être organisé dans le Nord-Est et que les militaires impliqués
dans une opération en tenaille avec les pays de la région soient libérés pour
veiller à la « sécurité » des élections.
Gagner du temps
Cette dernière question est cruciale. Le pouvoir central doit déployer
360 000 agents des services de sécurité, police et militaires, dans tout le
pays, une force capable d’intervenir, au besoin de manière violente, contre
les électeurs de l’opposition qui seraient tentés de manifester dans la rue.
Le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a déclaré samedi soir que les
Etats-Unis étaient « profondément déçus » par ce report, en insistant sur
« l’importance » qu’il ne soit pas le premier d’une longue liste. Il est
vraisemblable que le PDP tentera à nouveau, en mars, de repousser
l’échéance électorale. A cette date, la force régionale anti-Boko Haram aura
juste commencé à se déployer, même si les pays qui doivent la composer
sont déjà impliqués dans des opérations militaires sur le terrain.
i
L’opposition est convaincue que le parti au pouvoir cherche à gagner du
temps, afin d’organiser une combinaison de fraude et de violences, en
raison de sa crainte de voir Goodluck Jonathan battu. Alors que la secte
islamiste s’est taillé un fief (son « califat ») en expansion régulière au cours
de l’année passée, pourquoi a-t-il fallu attendre la veille des élections pour
lancer une opération de reconquête, alors que des milliards de dollars ont
été engloutis par les services de sécurité, en pure perte ? Comment croire
qu’en six semaines, l’armée nigériane, certes appuyée par les pays voisins,
pourrait régler le problème d’une insurrection qui dure depuis 2010, dans sa
phase actuelle ?
De nouveaux stocks d’armes
Le report électoral risque de donner du temps pour parfaire l’organisation de
la violence : assassinats ou intimidations de responsables locaux de
l’opposition (il y en a déjà eu), préparatifs pour bourrer les urnes ou
fomenter des incidents créant des microsituations de chaos permettant
d’annoncer des résultats invérifiables. Et dans l’intervalle, le parti au pouvoir
est déterminé à « épuiser financièrement » l’opposition, selon une source
nigériane bien informée. Le PDP s’est constitué un trésor de guerre au
cours des dernières années, et peut inonder d’argent les « leaders
d’opinion » (responsables religieux divers, traditionnels, etc.), surpassant
l’opposition, qui utilise les mêmes tactiques, mais n’a pas les mêmes
moyens.
Plusieurs anciens chefs des groupes armés du delta du Niger, qui avaient
abandonné la lutte armée ces dernières années, ont menacé de « se
remettre en guerre » si Goodluck Jonathan, originaire d’un des Etats du
delta, n’était pas réélu. Ils ont récemment acheté de nouveaux stocks
d’armes. Or aucune des deux parties, selon des sources concordantes, ne
compte accepter le verdict des urnes. A l’annonce des résultats, le risque
est grand de voir des violences éclater. Anticipant sur un blocage explosif,
qui en rappelle d’autres (Kenya, Côte d’Ivoire), l’Union africaine a déjà,
discrètement, préparé une équipe de médiation pour tenter d’éviter le pire.
À lire sur Slate Afrique
Pourquoi il faut avoir peur de Boko Haram
par Foreign Policy
le 05/01/2012
Mise à jour du 28 octobre 2012: Une église de la ville de Kaduna au nord du Nigeria a été la
cible d'une attaque à la voiture piégée pendant la messe. Selon la BBC, 7 personnes ont été
tués et 12 blessés lors de l'explosion.
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Le jour de Noël, une bombe a explosé dans l’église catholique sainte Thérèse en bordure
d’Abuja, la capitale nigériane, faisant au moins 35 morts. Deux autres ont explosé lors de
célébrations de Noël ailleurs au Nigeria, tuant cinq personnes. Les attentats ont été
revendiqués peu après par un porte-parole de Boko Haram, groupe islamique radical basé
dans le nord du pays.
«Par la grâce de Dieu, nous sommes responsables de toutes les attaques» a confié un
certain Abou Qaqa, qui se prétend porte-parole du groupe, à un journal nigérian. «Il n’y aura
pas de paix tant que nos exigences ne seront pas satisfaites. Nous voulons que tous nos
frères incarcérés soient libérés; nous voulons l’application totale de la charia et nous voulons
la suspension de la démocratie et de la constitution.»
Les attentats de Noël commis par ce groupe dont le nom se traduit par «L’éducation
occidentale est un péché» sont les derniers en date d’une campagne qui dure depuis un an
contre les Nigérians chrétiens et le gouvernement. Quelques jours avant Noël, plus de 80
personnes ont péri dans des affrontements entre Boko Haram et les forces de sécurité
nigérianes. En novembre, dans une ville appelée Damaturu, des membres du groupe ont fait
exploser une voiture piégée devant des baraquements militaires, incendié cinq églises et
organisé des attaques de commissariats. Dans le même temps à Maiduguri, une ville de l’est
du pays, des kamikazes de Boko Haram ont fait exploser une bombe devant le siège de
l’unité militaire chargée de le combattre. Trois autres bombes ont explosé peu après. En août,
le groupe a fait exploser une bombe dans le complexe des Nations Unies à Abuja, faisant
24 morts. Et à Noël de l’année dernière, Boko Haram avait posé des bombes dans cinq
églises, tuant 32 personnes. Selon l’Associated Press, en 2011 ce groupe aura tué
504 personnes.
Malgré l’escalade des carnages, le président Goodluck Jonathan n’a eu de cesse de
minimiser la menace de Boko Haram. «Nous affrontons des défis en tant que nation, ce matin
encore, un incident vraiment terrible a eu lieu dans un église catholique» a-t-il déclaré après
l’attentat de Noël. «Le problème des attentats est l’un des fardeaux avec lesquels nous
devons vivre. Cela ne durera pas toujours; je crois que cela finira sûrement par cesser.»
Les troubles croissants du Nigeria
Malgré les assurances de Jonathan, les troubles croissants du Nigeria ont attiré l’attention de
la communauté internationale. Le pape Benoît XVI a immédiatement condamné les attentats
de Noël, imité par le président américain Barack Obama. Les États-Unis auraient commencé
à former les soldats nigérians aux techniques de contre-terrorisme et à fournir aux forces
nigérianes des armes et autres équipements. Alain Juppé, ministre français des Affaires
étrangères, a également proposé un soutien militaire et un partage de renseignements dans
la lutte contre Boko Haram.
Bien entendu, ces mesures ne sont pas uniquement destinées à protéger la stabilité intérieure
du Nigeria. Les gouvernements occidentaux ont été mis en alerte par des liens possibles
entre Boko Haram et de plus grands réseaux terroristes internationaux. Abou Qaqa soutient
que son groupe est lié à al Qaida, sans en fournir de preuves. Ses revendications ont été
étayées par le ministre délégué aux Affaires étrangères algérien Abdelkader Messahel, qui a
annoncé en novembre que l’Algérie avait découvert des liens entre Boko Haram et al Qaida
au Maghreb islamique (AQMI), rejeton du réseau terroriste international, qui sévit dans toute
l’Afrique du Nord. «Nous ne doutons pas qu’il existe une coordination entre Boko Haram et al
Qaida» a-il déclaré. «Le mode de fonctionnement des deux groupes et les rapports des
renseignements montrent qu’il y a une coopération entre les deux.»
L’histoire de Boko Haram débute dans les années 1970
Mais à part les proclamations du groupe lui-même, qui relie son idéologie à un islam radical
plus vaste, et l’assertion du gouvernement algérien qui n’avance aucune preuve irréfutable, il
n’existe que peu de preuves pour étayer la revendication que le mouvement Boko Haram est
relié à des réseaux terroristes à plus grande échelle. Et un examen rapproché de l’islam
radical au Nigeria montre que le ressentiment du groupe à l’encontre du gouvernement mijote
depuis trente ans et qu’il n’a pas grand-chose à voir avec un programme islamiste de plus
grande portée.
L’histoire de Boko Haram débute dans les années 1970, lorsqu’un jeune prédicateur camerounais
appelé Marwa arriva à Kano, la plus grande ville du nord du Nigeria. Il ne tarda pas à se
gagner bon nombre de disciples parmi les pauvres de la ville en prêchant contre le
gouvernement laïque du Nigeria, contre la corruption politique institutionnelle et contre
l’establishment religieux modéré. Son mouvement s’appelait Maitatsine.
Les relations entre les autorité nigérianes et Maitatsine se détériorèrent au fil des
années 1970 quand le groupe devint violent. Marwa fut tué en 1980 lors d’affrontements avec
la police et le groupe fut démantelé. Après sa mort, de petits groupes d’extrémistes se
retirèrent dans des zones isolées du nord. Vingt ans plus tard, en 2000, ces factions
fusionnèrent pour former un mouvement national appelé les talibans nigérians. Ce groupe
prônait l’imposition de la charia dans le nord et militait contre ce qu’il considérait comme
l’influence pernicieuse de la culture occidentale sur la société du pays. Il resta actif jusqu’en
2004, lorsqu’il se colleta avec la police dans l’État du nord-est de Borno, affrontement qui se
solda par des dizaines de morts. Les talibans nigérians furent dissous peu après.
Reprendre en main la cause islamique radicale
Un prédicateur du nom de Mohammed Yusuf, qui enseignait à des jeunes chômeurs et
mécontents de Borno, ne tarda pas à reprendre en main la cause islamique radicale. Il fonda
une école islamiste fondamentaliste en 2002, attirant des étudiants de tout le nord du Nigeria.
Parmi ces étudiants figuraient les premiers membres de Boko Haram. Comme les talibans
nigérians, leur objectif était d’imposer la charia dans le nord du Nigeria.
Les membres du groupe sont connus pour leur stricte interprétation de la loi islamique ainsi
que pour leur propension à la violence. Les premières années, ils opérèrent librement dans
tout le nord, lançant des attaques contre des installations policières et militaires. En 2009, les
forces de sécurité nigérianes, qui avaient auparavant ignoré ou écarté le problème Boko
Haram, commencèrent à enquêter sur lui, ce qui déboucha sur l’arrestation de Yusuf qui
mourut pendant sa garde à vue. La police déclara qu’il avait été abattu lors d’une tentative de
fuite, mais des groupes de défense des droits humains prétendent qu’il a été exécuté. La
nouvelle de sa mort provoqua des émeutes dans quatre villes du nord-est du Nigeria:
700 personnes y perdirent la vie.
Après la mort de Yusuf, les dirigeants de Boko Haram quittèrent le Nigeria pour s’installer
dans le Niger voisin, au Cameroun et au Tchad. C’est pendant cette période que, selon
certains, ils établirent des connexions avec des groupes militants étrangers, notamment AQMI
et al-Shabbaab, en Somalie. Le groupe retourna au Nigeria en 2010 avec la plus vaste
mission d’imposer la loi islamique, pas seulement dans le nord mais dans tout le pays. Il
entama une campagne de violences, attaqua les installations de sécurité fédérales et
étatiques, assassinant des hommes politiques et massacrant des chrétiens. Cette campagne
attira l’attention internationale avec l’attentat, en août 2011, du bâtiment de l’Onu à Abuja.
Après l’attentat contre les Nations Unies
Après l’attentat contre les Nations Unies, l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo entra
en contact avec des membres de la famille de Yusuf, associés à la faction plus modérée de
Boko Haram et qui souhaitaient la fin des violences. Le beau-père de Yusuf, Babakura Fugu,
proposa une liste de demandes qui fit naître un espoir que la paix pourrait revenir à court
terme. Mais un membre radical de Boko Haram le tua deux jours plus tard et les
négociations s’interrompirent.
Selon Shehu Sani, président du Congrès des droits civils du Nigeria qui aida à faciliter les
premiers échanges entre le gouvernement et Boko Haram, le groupe est aujourd’hui divisé en
trois factions. L’une est disposée à négocier la paix avec le gouvernement. La deuxième
demande un paiement d’amnistie, semblable à celui qui fut proposé en 2009 aux militants
dans le Delta du Niger. La troisième faction, responsable de la poursuite des violences, veut
continuer à faire la guerre au gouvernement et imposer la loi islamique dans tout le Nigeria.
«Ils ont rejeté toute tentative de médiation» expose Sani. «Ils sont prêts à combattre le
gouvernement jusqu’au bout.»
Le chef de la faction radicale est Abubakar Shekau, l’ancien bras droit de Yusuf. Les autorités
nigérianes croyaient qu’il avait été tué en 2009, mais une série d'enregistrements audio
récemment découverts réalisés par Shekau prouve qu’il est en vie. Il dirige le groupe depuis
l’étranger, en se déplaçant entre le Tchad, le Cameroun et le Niger (bien que Boko Haram ne
soit, d’un point de vue tactique, opérationnel qu’au Nigeria).
Le groupe utilise des tactiques de guérilla semblables à celles d’al Qaida. Contrairement aux
militants du Delta du Niger, bien entraînés dans le domaine des tactiques militaires
traditionnelles, Boko Haram privilégie les attentats suicides contre des organes chargés de
faire respecter la loi, les assassinats, la violence aveugle contre les chrétiens et la destruction
des églises chrétiennes.
Mais les liens entre les groupes ne sont au mieux fondés que sur des présomptions, à en
croire Comfort Ero, directrice du programme africain de l’International Crisis Group, auteur de
recherches très poussées sur le militantisme nigérian. «Les liens supposés avec al-Qaida ne
cachent pas le fait que Boko Haram soit un problème très nigérian» rapporte-t-elle. «Il doit
être appréhendé dans le cadre des problèmes endémiques du Nigeria.»
Dans le nord, la plupart des habitants ne disposent pas d’eau potable
Ces problèmes sont particulièrement graves dans le nord, historiquement ignoré au profit du
sud. Quatre-vingt-quinze pour cent des revenus étrangers du Nigeria sont générés dans le
Delta du Niger pétrolifère, région du sud du pays. Le gouvernement y a concentré ses efforts
de développements pour tenter d’apaiser les militants locaux et pour empêcher que le pétrole
ne sorte du pays.
La moitié nord du Nigeria est couverte de désert, ce qui rend l’agriculture quasi-impossible. La
polio n’y est pas encore éradiquée. La plupart des habitants n’y disposent pas d’eau potable.
Le réseau électrique n’est pas fiable. Les coupures de courant sont nombreuses chaque jour.
La croissance économique y est inexistante. Selon la Banque mondiale, la moitié des
Nigérians sont sans emploi. Soixante-et-onze pour cent des jeunes sont au chômage. En
général, Boko Haram n’aborde pas spécifiquement ces problèmes, mais ces conditions sont
le terreau idéal pour faire du Nigeria une terre d’extrémisme.
Le gouvernement de Jonathan a pour l’instant semblé plutôt lent à réagir à la menace de
Boko Haram. Une commission d’enquête fédérale avait suggéré une amnistie après
l’effondrement des négociations entre l’ancien président Obasanjo et la famille de Yusuf,
proposition rejetée par Jonathan qui avait choisi à la place d’envoyer l’armée nigériane
affronter le groupe. Il persiste à dire que la menace que représente Boko Haram est exagérée
et ne tardera pas à être éradiquée.
inefficacité de la campagne militaire
Les preuves de l’efficacité de la campagne militaire du gouvernement sont difficiles à trouver.
Peu de journalistes occidentaux travaillent dans le nord du Nigeria. Les agences de presse
nigérianes ont aussi réduit leur effectif de journalistes depuis que le groupe a revendiqué les
meurtres commis en octobre d’un caméraman et d’un journaliste de la Nigerian Television
Authority.
«La réponse du gouvernement a été réactive» explique Ero. «Il doit y avoir un bilan au sein
du gouvernement sur la manière de gérer les problèmes plus larges concernant Boko
Haram.»
Les combats se poursuivent
Alors que les combats se poursuivent, les groupes de défense des droits humains font part de
leur inquiétude sur les abus que commettrait l’armée nigériane. Dans le passé, les forces de
sécurité nigérianes ont eu la main lourde dans leur chasse aux terroristes, bombardant sans
distinction des places fortes de Boko Haram et tuant d’innocents badauds au passage. Selon
Human Rights Watch (HRW), les services de police et de sécurité nigérians ont également
procédé à des exécutions extrajudiciaires dans le cadre de leur poursuite du groupe, ce qui
comprend le meurtre de Yusuf en 2009.
En outre, selon Sani, des éléments musulmans du gouvernement et de l’armée nigériane
soutiennent tacitement Boko Haram et veulent que les violences se poursuivent. Les
politiciens du nord musulman du pays sont encore contrariés par la réélection de Jonathan,
un chrétien du Delta du Niger, au printemps dernier. Traditionnellement, la présidence alterne
entre le nord et le sud chrétien. La réélection de Jonathan a interrompu ce cycle.
Les services de sécurité nigérians ont déjà fait le lien entre des membres du gouvernement et
le groupe terroriste. En novembre, le sénateur nigérian Mohammed Ali Ndume, originaire de
Borno, a été arrêté pour avoir fait office de porte-parole. Et Boko Haram dit bénéficier du
soutien d’autres personnes à l’intérieur du gouvernement.
Toute incursion dans le Delta provoquerait la guerre
Boko Haram menace continuellement de s’attaquer au sud du Nigeria. Et outre les attentats
dirigés contre le gouvernement, le Nigeria pourrait bien être confronté bientôt à la violence
entre groupes militants. Dans de récentes interviews, les dirigeants des groupes militants
chrétiens du Delta du Niger ont déclaré que tout en éprouvant de la sympathie envers les
griefs exprimés par Boko Haram et en soutenant sa lutte contre les injustices du
gouvernement, toute incursion dans le Delta provoquerait la guerre.
«Ils ne devraient rien tenter contre la zone sud du Nigeria» m’a récemment confié un homme
qui dit se nommer Eybele, général du Mouvement pour l’émancipation du Delta du Niger.
«Dans notre lutte, nous ne visons pas les individus. Nous n’avons rien contre eux tant qu’ils
ne touchent à aucun de nos citoyens.»
«Si Boko Haram ne cesse pas ses actions illégales et inconstitutionnelles, nous les
affronterons très bientôt» a ajouté un homme surnommé JB, général des Icelanders, groupe
militant qui contrôle de vastes zones de bidonvilles en bord de mer à Port Harcourt, la plus
grande ville du Delta du Niger.
La guerre civile pourra être évitée
Ero estime que la violence de Boko Haram peut être cantonnée au nord, et que la guerre
civile pourra être évitée si Jonathan devient plus proactif dans sa gestion des groupes
militants. Mais elle avertit que «toute incursion de Boko Haram au sud conduirait à une
situation de violence grave et à des problèmes de sécurité pour le Nigeria.»
Une telle incursion semble désormais de plus en plus inévitable à mesure que les éléments
islamiques radicaux de Boko Haram consolident leur contrôle du groupe. À chaque attentat
réussi, le groupe prend un peu plus confiance. La pire de toutes les issues pourrait se réaliser
très vite: des attaques contre les civils dans le sud, une réponse très violente de l’armée dans
le nord, et une déclaration de guerre des militants du Delta qui monteraient dans le nord pour
se battre contre Boko Haram.
La guerre civile n’est pas inconnue au Nigeria: on estime que celle de 1967 entre l’armée
nigériane et le Biafra, un État séparatiste du sud, mena à la mort trois millions de personnes
en trois ans. Le même genre de conflit entre Boko Haram et des militants du Delta—combat
que le faible gouvernement central du Nigeria et son armée seraient impuissants à arrêter—
pourrait avoir des conséquences tout aussi désastreuses. Ce serait une guerre sainte pour
l’avenir du Nigeria.
David Francis (Foreign policy)
Traduit par Bérengère Viennot
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Le Sahel, sanctuaire d'al-Qaida
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Le rôle de la charia dans l'islam nigérian
| 16.01.12 | 14h23 • Mis à jour le
16.01.12 | 16h22
La charia et ses implications politiques sont souvent mal comprises lorsqu'il s'agit du Nigeria, pays anglophone peu connu
des Français en dépit de son gigantisme. Au milieu des années 2000, de grands quotidiens français avaient ainsi tenté
d'expliquer la poussée de l'islam en arguant que la charia y était une nouveauté et que le président d'alors, Olusegun
Obasanjo, était lui-même musulman. En réalité, celui-ci était un chrétien born again, dénomination qui renvoie aux
courants les plus évangélistes et prosélytes du protestantisme. De plus, la charia n'avait pas été "introduite" par les Etats
musulmans du Nord au sortir de la dictature militaire en 1999. Elle existait déjà sous une forme atténuée, réduite aux
affaires civiles, et c'est son domaine d'application qui avait été étendu en matière pénale.
A l'époque, le développement d'une morale publique rigoriste a évidemment affecté la vie quotidienne des minorités
chrétiennes du Nord, par exemple en interdisant la consommation d'alcool ou en imposant la séparation des sexes dans
les transports en commun. Le droit coranique a cependant continué de côtoyer d'autres normes législatives, qui ont
toujours le dessus. Ainsi, les peines de lapidation pour adultère sont restées rarissimes et aucune n'a été appliquée car
les sentences ont été cassées au niveau des cours fédérales, qui s'inspirent du droit commun légué par le colonisateur
britannique.
Dans le même ordre d'idées, les plaignants ou les accusés chrétiens du Nord ne sont pas juridiquement contraints de se
soumettre à la loi coranique. Du fait de leur confession, leur affaire est portée devant des tribunaux de droit commun, à la
différence du système en vigueur au Soudan. Si certains commerçants chrétiens du Nord décident de leur plein gré de
recourir à la justice islamique, c'est que celle-ci a la réputation d'être moins onéreuse et plus rapide.
D'une manière générale, l'islam nigérian n'a rien du caractère totalitaire et intrusif du wahhabisme saoudien. En pratique, il
s'avère beaucoup plus souple et syncrétique, notamment - mais pas seulement - en pays yorouba, dans le Sud-Ouest. De
par leur doctrine et leurs croyances en la magie, les militants de Boko Haram, qui viennent surtout des régions nord-est,
ne correspondent pas non plus au profil type du modèle wahhabite d'Al-Qaida.
Au-delà des cercles de recrutement de la secte, seule une minorité de musulmans salafistes et/ou républicains se
retrouve dans la revendication d'une république islamique qui reviendrait de facto à scinder le pays en deux.
Il convient à cet égard de relativiser la portée révolutionnaire du développement du domaine d'application pénal de la
charia. Depuis 1999, on assiste plutôt à une certaine forme de désenchantement. A leur manière, les islamistes de Boko
Haram expriment ainsi les désillusions des masses quant à un projet qui, initialement, était porteur d'une forte demande
de justice sociale.
>>> A lire aussi, le "Grand Débat" de Marc-Antoine Pérouse de Montclos : "Nigéria
: pas de catastrophisme
!"
Marc-Antoine Pérouse de Montclos est spécialiste des conflits armés en Afrique subsaharienne, il a vécu plusieurs
années au Nigeria et accomplit des missions d'études en Afrique. Il est l'auteur, entre autres, de Le Nigeria (Karthala,
1994), Villes et violences en Afrique noire (Karthala, 2002).
Marc-Antoine Pérouse de Montclos, politologue, enseignant à l'Institut d'études politiques de Paris et
chargé de recherche à l'IRD
Article paru dans l'édition du 17.01.12
Questions de Recherche / Research Questions
N°40 – Juin 2012
Boko Haram et le terrorisme islamiste au Nigeria :
insurrection religieuse, contestation politique ou
protestation sociale ?
Marc-Antoine Pérouse de Montclos
Centre d’études et de recherches internationales
Sciences Po
Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012
http://www.ceri-sciences-po.org/publica/qdr.htm
1
Boko Haram et le terrorisme islamiste au Nigeria : insurrection religieuse,
contestation politique ou protestation sociale ?
Résumé
Au Nigeria, la dérive terroriste du mouvement islamiste Boko Haram interroge le rapport de la violence dite
« religieuse » à l’État. Cette étude de terrain pose ainsi trois questions fondamentales qui tournent toutes autour
de nos propres confusions sur les notions d’islamisation, de conversion, de radicalisation et de politisation du
religieux, à savoir :
– S’agit-il d’une insurrection plus religieuse que politique ?
– En quoi exprime-t-elle une révolte sociale ?
– En quoi signale-t-elle une radicalisation des formes de protestation des musulmans du Nord Nigeria ?
À l’analyse, il s’avère en l’occurrence que le mouvement Boko Haram est un révélateur du politique : non parce
qu’il est porteur d’un projet de société islamique, mais parce qu’il catalyse les angoisses d’une nation inachevée
et dévoile les intrigues d’un pouvoir mal légitimé. Si l’on veut bien admettre que la radicalisation de l’Islam ne se
limite pas à des attentats terroristes, il est en revanche difficile de savoir en quoi la secte serait plus extrémiste, plus
fanatique et plus mortifère que d’autres révoltes comme le soulèvement Maitatsine à Kano en 1980. La capacité
de Boko Haram à développer des ramifications internationales et à interférer dans les affaires gouvernementales
n’est pas exceptionnelle en soi. Loin des clichés sur un prétendu choc des civilisations entre le Nord et le Sud, la
singularité de la secte au Nigeria s’apprécie d’abord au regard de son recours à des attentats-suicides. Or la dérive
terroriste de Boko Haram doit beaucoup à la brutalité de la répression des forces de l’ordre, et pas seulement à
des contacts plus ou moins avérés et réguliers avec une mouvance jihadiste internationale.
Summary In Nigeria, the Islamic terrorism of Boko Haram raises a lot of questions about the political relationship between
so-called “religious” violence and the state. At least three of them expose our confusions about islamization,
conversion, radicalization and the politicization of religion, namely:
– Is it a religious uprising or a political contest for power?
– How does it express a social revolt?
– How indicative is it of a radicalization of the patterns of protest of the Muslims in Northern Nigeria?
A fieldwork study shows that Boko Haram is not so much political because it wants to reform the society, but
mainly because it reveals the intrigues of a weak government and the fears of a nation in the making. Otherwise,
the radicalization of Islam cannot be limited to terrorism and it is difficult to know if the movement is more
extremist, fanatic and murderous than previous uprising like the one of Maitatsine in Kano in 1980. The capacity
of Boko Haram to develop international connections and to challenge the state is not exceptional as such. Far
from the clichés on a clash of civilizations between the North and the South, the specificity of the sect in Nigeria
has more to do with its suicide attacks. Yet the terrorist evolution of Boko Haram was first and foremost caused
by the brutality of the state repression, more than alleged contacts with an international jihadist movement.
Marc-Antoine Pérouse de Montclos est docteur en science politique et chargé de recherche à l’Institut de recherche pour
le développement (IRD). Il travaille sur les conflits armés, les déplacements forcés de population et l’évaluation de l’aide
humanitaire en Afrique subsaharienne. Diplômé de l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris, il a vécu plusieurs années
au Nigeria, en Afrique du Sud et au Kenya et accomplit régulièrement des missions d’études en Afrique. Il est l’auteur
de nombreux articles et livres dont Le Nigeria (1994), Violence et sécurité urbaines (1997), L’Aide humanitaire, aide à la
guerre ? (2001), Villes et violences en Afrique subsaharienne (2002), Diaspora et terrorisme (2003), Guerres d’aujourd’hui
(2007) et États faibles et sécurité privée en Afrique noire (2008).
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Sommaire
I. Boko Haram : un objet mal identifié ...................................................................... 5
II. Une révolte sociale et religieuse ............................................................................ 9
III. L’extension de la menace islamiste, du local à l’international ...............13
IV. Les erreurs à répétition des forces de sécurité ............................................. 16
V. Le retour des théories du complot ...................................................................... 18
VI. Un révélateur du politique ................................................................................... 22
VII. Une radicalisation en guise d’islamisation ? ................................................ 24
VIII. De la différence entre violences « religieuse » et
« interconfessionnelle » ...................................................................................... 28
Conclusion ......................................................................................................................... 31
Bibliographie ..................................................................................................................... 32
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Alternativement qualifié de groupe terroriste, de secte ou de mouvement islamiste, Boko Haram
fait aujourd’hui la Une de l’actualité au Nigeria1. Le 26 août 2011, un attentat-suicide contre les bureaux
des Nations Unies à Abuja a notamment révélé au grand jour la dimension internationale prise par une
organisation dont l’agenda politique et religieux était initialement très local. L’attaque a provoqué la
mort d’une vingtaine de personnes et depuis lors, les analystes se perdent en conjectures sur la nature
des relations entre la secte et les Chabab en Somalie ou Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) au
Mali. Sur la scène politique nigériane, le mouvement Boko Haram est quant à lui devenu un acteur
incontournable, qui a conservé toute sa force de frappe. Basé à Maiduguri dans la région excentrée
du Borno, à la frontière du Niger, du Tchad et du Cameroun, il a ainsi obligé les autorités à renforcer la
sécurité d’Abuja et à célébrer en huis clos le 51e anniversaire de l’indépendance le 1er octobre 2011, ceci
sous prétexte de réduire les dépenses de l’État, en réalité pour éviter les rassemblements susceptibles
de donner lieu à des attentats spectaculaires. La menace terroriste a également transformé le paysage
urbain en poussant le gouvernement à multiplier les checkpoints de l’armée et à interdire les motos
taxis Okada, qui sont parfois utilisées par les militants de Boko Haram pour commettre des assassinats
ciblés. Les embouteillages et les restrictions de circulation que provoquent ces dispositifs sécuritaires
rappellent au quotidien que les autorités ne sont plus à l’abri d’une attaque, y compris dans la capitale
fédérale du Nigeria, Abuja.
Aux yeux des stratèges, le cas Boko Haram paraît d’autant plus inquiétant qu’il se développe dans
un pays qui connaît déjà de fortes tensions « religieuses » et qui compte le plus grand nombre de
musulmans en Afrique. De façon plus conjoncturelle, suite à la guerre en Libye, la prolifération d’armes
au Sahel fait aussi craindre des attaques contre les alliés des États-Unis dans la région, notamment le
gouvernement nigérian du président Goodluck Jonathan, qui est lui-même chrétien. A priori, rien ne
prédestinait pourtant les partisans de Boko Haram à se rapprocher de la mouvance d’Al-Qaïda, qui
professe une forme différente d’Islam. Lorsqu’elle s’enracine à Maiduguri au début des années 2000,
la secte est d’abord et avant tout un mouvement de protestation sous l’égide d’un leader spirituel,
Mohammed Yusuf. Après avoir fomenté leur première attaque contre des postes de police de l’État
de Yobe fin 2003, ses éléments les plus radicaux disparaissent dans la nature et semblent se terrer en
milieu rural. À l’époque, on les suspecte plutôt d’être passés au Niger, au Tchad ou dans les montagnes
Mandara à la frontière du Cameroun. Mais le mouvement se nourrit des désillusions qu’alimente la
corruption des gouverneurs du Nord Nigeria chargés d’appliquer la charia. Il réapparaît sur le devant
de la scène à la suite d’un affrontement avec la police à Kano en 2007. Depuis lors, le mouvement n’a
cessé d’élargir sa base sociale et géographique. Parallèlement, il a changé son mode opératoire en
ayant recours à des attentats à la bombe.
De ce point de vue, l’émergence d’un terrorisme islamiste au Nigeria interroge directement les
sciences sociales, et pas seulement les diplomates et les décideurs politiques. Jusqu’à présent,
Boko Haram a été relativement peu analysé par les chercheurs, une tendance qui reflète sans doute la
difficulté à appréhender et comprendre un mouvement qui perdure depuis bientôt plus de dix ans2. Le
basculement de la rébellion dans le terrorisme questionne pourtant le rapport des insurgés à la violence
politique et à l’État. Les particularités nigérianes de Boko Haram invitent en outre à une comparaison
avec d’autres pays qui ont déjà fait l’objet de nombreuses publications académiques sur le sujet,
notamment dans le monde arabe et afghano-pakistanais. À mon sens, la secte de Mohammed Yusuf
pose trois questions fondamentales qui tournent toutes autour de nos propres confusions sur les
notions d’islamisation, de conversion, de radicalisation et de politisation du religieux, à savoir :
1. J’utilise concomitamment les termes de secte et de mouvement pour désigner « Boko Haram », appellation populaire que j’ai retenue
par facilité de langage, même si la « signature » du groupe renvoie à un autre nom (Jama’atu Ahlis-Sunnah Lidda’awati Wal Jihad).
2. Parmi les rares articles sur ce sujet, on peut citer : Abimbola Adesoji, « The Boko Haram Uprising and Islamic Revivalism in Nigeria »,
Africa Spectrum, vol. 45, n°2, 2010, pp. 95-108 ; Freedom Onuoha, « The Islamist challenge: Nigeria’s Boko Haram crisis explained »,
African Security Review, vol. 19, n°2, 2010, pp. 54-67 ; Abimbola Adesoji, « Between Maitatsine and Boko Haram: Islamic Fundamentalism
and the Response of the Nigerian State », Africa Today, vol. 57, n°4, 2011, pp. 99-119.
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– S’agit-il d’une insurrection plus religieuse que politique ?
– En quoi exprime-t-elle une révolte sociale ?
– En quoi signale-t-elle une radicalisation des formes de protestation des musulmans du Nord Nigeria ?
À partir d’une étude de terrain, il convient à cet égard de revenir sur la genèse du phénomène
Boko Haram, tant dans ses rapports à l’Islam que dans sa capacité à exprimer le rejet de la modernité
occidentale et la frustration des exclus de la croissance3. Sur la base d’une organisation assez lâche
et fragmentée depuis l’exécution de son leader spirituel Mohammed Yusuf en 2009, le groupe tient
à la fois de la secte et du mouvement social. Dès ses débuts, il est sectaire de par son intransigeance
religieuse, son culte du chef, ses techniques d’endoctrinement, son intolérance à l’égard des autres
musulmans et son fonctionnement en vase clos, qui incite les fidèles à se marier exclusivement entre
eux, notamment avec les veuves des « martyrs »4. À mesure qu’il gagne du terrain, Boko Haram prend
ensuite l’ampleur d’un mouvement de protestation sociale. Au-delà de ses connexions avec une
mouvance jihadiste internationale, il est en effet un révélateur du politique : non seulement parce
qu’il dévoile les faiblesses d’un État qui paraît incapable de maintenir l’ordre et de gérer les conflits
autrement que par la répression, mais aussi parce qu’il met en évidence les pratiques mafieuses du
pouvoir et les craintes de la population quant à une guerre de religions susceptible de compromettre
l’unité nationale et la pérennité d’une république de type parlementaire et « laïque »5.
I. Boko Haram : un objet mal identifié
Les protestations islamiques ne sont évidemment pas nouvelles au Nigeria6. Dans le Nord à
dominante musulmane, on distingue historiquement quatre principales tendances réformatrices,
voire révolutionnaires suivant les époques, que l’on peut classer par ordre décroissant d’importance
au regard de leur audience :
– les confréries soufies, essentiellement la Qadiriyya et la Tijaniyya, qui pratiquent la méditation,
cherchent le salut dans l’extase et suivent les enseignements d’un cheikh charismatique et parfois
mystique ;
– les mouvements de type salafi, qui s’inspirent du wahhabisme saoudien et préconisent un retour
à la religion originelle des ancêtres (salaf), notamment la « Société pour l’éradication des innovations
maléfiques et le rétablissement de l’orthodoxie » (Jama‘at Izalat al-Bida wa Iqamat al-Sunna) de feu cheikhs
Abubakar Mahmud Gumi et Ismaila Idriss ibn Zakariyya. Officiellement établie en 1978, cette dernière
s’est scindée en deux factions, l’une basée à Kaduna sous l’égide de cheikh Yusuf Sambo Rigachikun,
l’autre à Jos sous la direction des cheikhs Samaila Idriss puis Sani Yahaya Jingir, qui les a finalement
réunifiées sous sa coupe à la fin de l’année 2011 ;
– les mouvements mahdistes et messianiques, parfois millénaristes, qui croient à la venue
d’un prophète et qui ont pu mener l’insurrection Maitatsine (« Celui qui maudit ») sous l’égide de
Muhammad Marwa à Kano en 1980 ;
3. Les entretiens que j’ai conduits s’étalent en fait sur une vingtaine d’années, notamment avec des chefs religieux, des militants
islamistes et des responsables de milices. Mes dernières missions dans le Nord du Nigeria datent d’octobre 2011 et mars 2012. J’ai
systématiquement conservé l’anonymat de mes interlocuteurs.
4. Murray Last, « The Pattern of Dissent: Boko Haram in Nigeria 2009 », Annual Review of Islam in Africa, vol. 10, 2009, pp. 7-11.
5. Par « laïcité », j’entends ici la neutralité de l’État nigérian telle qu’elle est proclamée dans l’article 10 de la Constitution de 1999,
qui interdit d’adopter une religion officielle et d’établir une théocratie mais qui, contrairement au système français, n’institue pas de
séparation formelle entre l’Église et l’État. Ainsi, le gouvernement finance des tribunaux islamiques et subventionne le pèlerinage à
La Mecque.
6. Marc-Antoine Pérouse de Montclos, , « Vertus et malheurs de l’islam politique au Nigeria depuis 1803 », in Muriel Gomez-Perez
(dir.), L’Islam politique au Sud du Sahara : identités, discours et enjeux, Paris, Karthala, 2005, pp. 529-555 ; « Le Nigeria », in Jean-Marc
Balencie, Arnaud de La Grange (dir.), Mondes rebelles. Guerres civiles et violences politiques, Paris, Michalon, 2001, pp. 721-749.
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– les islamistes « modernes » et républicains sous influence égyptienne ou iranienne, à l’instar des
Frères musulmans, des « chiites » (yan schi’a) d’Ibrahim el-Zakzaky et d’un groupe dissident fondé à
Kano en 1994 par Abubakar Mujahid, le Mouvement pour le réveil de l’Islam (Ja’amutu Tadjidmul Islami).
Lorsqu’il commence à revendiquer ouvertement une application plus stricte de la charia (loi
islmamique) au sortir de la dictature militaire en 1999, le leader spirituel de Boko Haram, Mohammed Yusuf,
s’inspire en l’occurrence des enseignements d’Ibrahim el-Zakzaky, d’Abubakar Mujahid et d’une faction
salafiste des « Éradicateurs » (Izala), la « Communauté des traditionalistes » (Ahl as-Sunnah wa alJama’a)7. De par son sectarisme et l’évolution de sa confrontation avec l’État nigérian, son mouvement
rappelle également l’insurrection de Maitatsine, qui avait entraîné une sanglante répression de l’armée,
la destruction de quartiers entiers, la mort du prophète Muhammad Marwa, l’entrée en clandestinité
de ses fidèles et l’extension des troubles en province dans les années qui suivirent. Il existe ainsi de
forts parallèles entre les massacres de Kano en 1980 et de Maiduguri en 2009, où Mohammed Yusuf
a également été tué par les forces de l’ordre. À l’époque, le mouvement Maitatsine avait resurgi dans
des villes de moindre importance comme Yola, sous l’égide d’un certain Musa Makanika. De même, les
militants de Boko Haram ont survécu à l’assassinat de leur leader en fuyant la répression de Maiduguri
et en se dispersant dans d’autres régions du Nigeria.
Mais la comparaison avec d’autres mouvements islamistes s’arrête là. Dès le tout début des années
2000, Mohammed Yusuf a en effet rompu avec les Izala en essayant de récupérer leurs réseaux pour
gagner des fidèles dans les États voisins du Borno. À la différence des « chiites » d’Ibrahim el-Zakzaky,
encore, il n’a cessé de vilipender les chiites duodécimains et jaafarites, bizarrement décriés comme
des Mazdéens (les Zoroastres) et des « négateurs » Rafidha (parce qu’ils refusent la sunna et suivent la
voie des 12 imams)8. Contrairement à Maitatsine, en outre, Mohamed Yusuf ne s’est pas autoproclamé
prophète et n’a pas ou peu cherché à contester l’ordre islamique traditionnel en codifiant de nouvelles
pratiques religieuses à propos de la façon de prier ou de faire ses ablutions. De ce point de vue, le
mouvement Boko Haram, qui est parfois appelé Yusufiyya, n’est pas une simple confrérie de plus, avec
sa propre « méthode » turuk (pl. tarika). Il se distingue également de la protestation des Izala contre les
cheikhs soufis, d’une part, et des rituels millénaristes de Maitatsine, d’autre part. En pratique, il s’est
surtout engagé dans une logique de désobéissance et de confrontation avec les représentants d’un État
« laïque », bien plus qu’avec les tenants d’un Islam traditionnel. Contrairement à Maitatsine, encore,
Boko Haram n’a pas complètement rejeté la modernité occidentale et n’a pas interdit à ses fidèles
de porter des montres ou de se déplacer en bicyclette ou en moto. Mohamed Yusuf était un homme
d’affaires avisé, qui utilisait des ordinateurs et avait investi dans le commerce de voitures. Au moment
de son arrestation en 2009, il portait un jean, une montre de luxe et un téléphone portable, autant de
signes de richesse et de modernité que rejetait un Muhammad Marwa. Deux de ses enfants auraient
par ailleurs été scolarisés au collège Al-Kanemi de Maiduguri, un établissement public. Avec ses deux
adjoints, enfin, Mohammed Yusuf a repris à son compte l’organigramme de l’administration territoriale
pour organiser la secte en plaçant des « émirs » au niveau de chaque État fédéré et collectivité locale
où il avait des partisans. Il n’a pas non plus hésité à frayer avec les autorités politiques du Borno : en
2000, il acceptait de participer à un comité gouvernemental sur la charia, puis faisait nommer en 2003
un fidèle au ministère régional des Affaires religieuses.
À la confluence des mouvements salafistes et islamistes républicains, Boko Haram relève donc
d’une espèce assez difficile à définir. Le groupe est sectaire quand il cherche à endoctriner les jeunes ;
totalitaire quand il développe une vision holistique d’un gouvernement islamique régulant tous les
aspects de la vie privée ; et intégriste quand il prohibe les vêtements serrés et veut interdire aux femmes
7. À en croire certains, Mohammed Yusuf aurait en fait repris en main le groupe des « Compagnons du Prophète » (Sahaba), créé
en 1995 par un étudiant de l’Université de Médine, Abubakar Lawan. Ce dernier serait ensuite reparti en Arabie saoudite ou aurait
été tué par les forces de sécurité au Nigeria. La « Communauté des traditionalistes » (Ahl as-Sunnah wa al-Jama’a) serait quant à elle
apparue à Kano, au moment où des manifestations populaires célébraient les attentats d’Al-Qaïda contre les tours du World Trade
Center à New York en 2001.
8. Mohammed Yusuf, This is our Faith and our Da’wa, Maiduguri, Al Farba, vers 2005 (livre à compte d’auteur, interdit à la vente).
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de voyager seules ou de monter sur des motos taxis. Sa position religieuse n’en est pas moins ambiguë,
voire syncrétique, et en tout cas éloignée du modèle wahhabite d’Al-Qaïda. Ainsi, Mohammed Yusuf
condamnait dans un même élan le soufisme, le judaïsme, le parsisme, le christianisme, le polythéisme,
l’athéisme et la démocratie. Mais il a épargné la confrérie Qadiriyya, peut-être parce qu’elle était plus
orthodoxe, prêtait peu le flanc à des controverses dogmatiques et comptait moins d’adhérents que la
Tijaniyya. Depuis 1803, la Qadiriyya incarne en effet l’esprit révolutionnaire de la guerre sainte (jihad)
d’Ousman dan Fodio. Un de ses leaders, Cheikh Mohamed Al-Nasir Kabara, a d’ailleurs été le mentor
d’Abubakar Gumi, le fondateur des Izala. En revanche, Mohamed Yusuf ne s’est pas privé de critiquer la
Tijaniyya. Il a par exemple fait circuler une vidéo appelant les croyants à n’adorer que Dieu et vilipendant
la prosternation des Tijani devant leur cheikh Dahiru Bauchi.
La secte est également entrée en conflit avec Jafar Adam, un salafiste d’Ahl as-Sunnah wa al-Jama’a à
Kano. Les désaccords ont notamment porté sur les mérites du modèle démocratique occidental et de la
participation à un gouvernement « laïque »9. Mohammed Yusuf avait formellement interdit à ses fidèles
de trouver un emploi dans la fonction publique, au prétexte que cela les aurait obligé à couper leurs
barbes. En dépit de son rapprochement avec le gouverneur du Borno en 2003, il récusait complètement
la Constitution nigériane, les forces de sécurité et toute forme d’autorité politique importée par le
colonisateur et considéré comme une innovation (bida). Sachant que les Izala ne s’opposent pas à un
État laïque, ne revendiquent pas l’établissement d’une république islamique et comptent de nombreux
fonctionnaires dans leurs rangs, Cheikh Jafar Adam était moins intransigeant à cet égard. Il avait
publiquement dénoncé les déviances doctrinaires de la secte et chassé de sa mosquée des jihadistes qui
furent ensuite arrêtés par la police. Accusé d’être un informateur, Jafar Adam a alors été assassiné à Kano
en 2007, vraisemblablement par des fidèles de Mohamed Yusuf, qui était à l’époque en prison. L’affaire
a d’ailleurs signé le retour à la violence de Boko Haram après la « traversée du désert » de 2005-2006.
En fait de contestation de l’ordre religieux, les partisans de Mohamed Yusuf s’en sont ainsi pris aux
chefs traditionnels suspectés de collaborer avec les forces de sécurité. Dans son fief de Maiduguri,
Boko Haram avait par exemple passé un compromis avec le Shehu héritier de l’Empire kanouri du
Kanem-Borno, Mustapha Ibn Umar Kyari Amin El-Kanemi, qui avait finalement autorisé la secte à
choisir sa propre date pour organiser dans des lieux publics la prière marquant la rupture du jeûne
du mois de ramadan (Aïd al-Fitr). Mais les problèmes n’ont pas tardé à surgir quand les autorités
politiques s’en sont mêlées. Après sa mort en février 2009, Mustapha Ibn Umar Kyari Amin ElKanemi a en effet été remplacé par un ministre et homme lige du gouverneur Ali Modu Sheriff,
Umar Garbai Abba Kyari. Peu respecté par la population, celui-ci n’a guère réussi à endiguer la crise
de Maiduguri quelques mois plus tard. Du fait de son affiliation à un gouverneur corrompu et détesté,
il a au contraire contribué à délégitimer l’autorité traditionnelle et religieuse du Shehu, et son frère a
été tué par les militants de Boko Haram en mai 2011. Dans le même ordre d’idées, la secte a récusé
le sultan de Sokoto, Muhammadu Saad Abubakar III, lorsqu’un comité formé à Abuja par le président
Goodluck Jonathan et dirigé par l’ambassadeur Usman Galtimari a proposé sa médiation en septembre
2011. À la tête d’un califat qui gouverne essentiellement les Haoussa-Peuls du Nord-Ouest du Nigeria,
Muhammadu Saad Abubakar III est en l’occurrence un ancien militaire de haut rang, contesté pour la
tiédeur de son soutien à une extension du domaine pénal de la charia, d’une part, et en raison des
conditions de sa nomination en novembre 2006, suite à la mort de son prédécesseur dans un accident
d’avion aux circonstances mal éclaircies, d’autre part.
Alternativement appelés Talibans, Yusufiyya, Mujahideen, Khawarji (« Renégats »), « Disciples du
Prophète pour la propagation de l’Islam et la guerre sainte » (Jama’atu Ahlis-Sunnah Lidda’awati Wal
9. Dans son livre, Mohammed Yusuf s’opposait en l’occurrence au principe d’une séparation de la religion et de l’État. Pour lui,
la démocratie platonicienne était une « doctrine de mécréants » parce qu’elle favorisait le polythéisme et déifiait les citoyens en
proclamant le gouvernement du peuple par le peuple. À l’en croire, la justice était forcément d’essence divine et les hommes n’étaient
pas en mesure d’arbitrer eux-mêmes leurs querelles. De plus, la liberté d’expression et d’association encourageait le blasphème et
l’immoralité. Il convenait donc de condamner la règle de la majorité parce qu’elle pouvait entériner le règne « de l’erreur, de l’impiété
et de la licence ». Cf. Mohammed Yusuf, op. cit., p. 63ss.
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Jihad) ou « Compagnons du Prophète et de la Communauté des musulmans » (Ahl as-Sunnah wa alJama’a ala Minhaj as-Salaf), les partisans de la secte, eux, réclament une application intégrale du droit
coranique et rejettent la modernité du Sud du Nigeria, dont « l’éducation » dévoyée est considérée
comme un « péché » (c’est la signification du nom Boko Haram). Ainsi, Mohammed Yusuf considère que
l’école occidentale détruit la culture islamique et conquiert plus sûrement la communauté musulmane
que les croisades. Il en condamne tout à la fois la mixité des sexes, le relâchement des mœurs, la
corruption des valeurs traditionnelles, l’utilisation du calendrier grégorien… et la pratique du sport, qui
distrait de la religion. En conséquence de quoi, il demande à ses fidèles de renoncer à fréquenter les
établissements privés d’inspiration occidentale et les écoles publiques nigérianes héritées du système
colonial britannique. Il interdit même aux musulmans de leur louer un terrain, l’objectif ultime étant
purement et simplement d’obtenir leur fermeture.
Le programme de Boko Haram est donc « politique » car il tend vers l’idéal d’une république
islamique intégriste, bien plus que vers la conquête du pouvoir. Le rejet des valeurs occidentales ne
porte cependant pas sur l’éducation moderne à proprement parler10. En effet, les sympathisants de la
secte ne condamnent pas tous les livres importés, seulement les mauvais. En témoigne la polysémie
du mot Boko, qui renvoie en l’occurrence à trois notions en haoussa : le « livre » (d’après book en
anglais), le « sorcier » (boka) et le « mensonge » (boko). Les fidèles, eux, ne se reconnaissent pas dans
l’appellation Boko Haram et préfèrent signer leurs communiqués du nom de Jama’atu Ahlis-Sunnah
Lidda’awati Wal Jihad (« les disciples du Prophète pour la propagation de l’Islam et la guerre sainte »).
Peu après l’exécution de Mohammed Yusuf en 2009, son successeur Sanni Umaru prend ainsi soin
d’expliquer à la presse nigériane que le groupe ne s’oppose pas à l’éducation moderne mais à un
processus d’occidentalisation perverti. Dans son livre, le fondateur de la secte admet lui-même les
bienfaits d’innovations technologiques comme « les avions, les voitures, les téléphones, les ordinateurs,
Internet et le fax », qu’il a largement eu l’occasion d’utiliser à titre personnel. Ce qu’il récuse, c’est la
sanctification des savants qui consiste à mettre de telles inventions sur le compte de l’homme et non
de Dieu, créateur de toutes choses11.
La trajectoire personnelle de Mohammed Yusuf est significative à cet égard. Né en 1970 à Gidgid
dans l’actuelle collectivité locale de Jakusku près de la frontière du Niger, celui-ci a en effet quitté
l’école primaire au bout de trois ans, n’a jamais réussi à être admis à l’université de Maiduguri et a
été chassé de la mosquée Izala où il prêchait parce qu’il n’avait pas les diplômes requis par le cursus
coranique saoudien12. Mohammed Yusuf a eu beau répliquer que le prophète n’avait pas eu besoin de
titres universitaires pour fonder l’Islam, il a gardé un souvenir cuisant de ses revers et a nourri une forte
rancune à l’égard des « savants » en général, qu’ils soient musulmans ou chrétiens. En témoigne son
discours contre l’hérésie du darwinisme en biologie, de la théorie du big bang en sciences naturelles,
de la révolution copernicienne en géographie, de l’existentialisme en philosophie ou du complexe
d’Œdipe dans la psychanalyse freudienne. Citant explicitement Lucien Lévy-Bruhl, Émile Durkheim
et Karl Marx, Mohammed Yusuf a par exemple critiqué les professeurs de droit, de sociologie et de
science politique parce qu’ils remettaient en cause la primauté de la loi religieuse et de la famille
10. Il est d’ailleurs fort possible qu’à l’occasion, certaines déclarations de guerre contre les universités aient obéi à des considérations
très prosaïques. En septembre 2011, des menaces d’attaques contre les campus, relayées par des textos, auraient par exemple été
lancées par des étudiants qui rechignaient à reprendre le travail en pleine période d’examen ! De fait, il est parfois utile d’invoquer les
questions religieuses pour régler des comptes. Lors d’une autre affaire qui avait défrayé la chronique en mars 2007, une enseignante
chrétienne de Gandu (État de Gombe) avait ainsi été accusée d’avoir profané le Coran et tuée parce qu’elle avait surpris et renvoyé
des étudiants musulmans en train de tricher aux examens.
11. Mohammed Yusuf, op. cit., pp. 41, 56.
12. Muhammad Sani Imam, Muhammad Kyari, Yusufuyya and the State: Whose Faulty?, University of Maiduguri, Department of
History, polycop., 2009, p. 3. Voir aussi le compte rendu de la confrontation entre Mohammed Yusuf et les clercs musulmans du
Bauchi, in Issoufou Yahaya, « Boko Haram au Nigeria : le fanatisme religieux comme projet politique », Sfera Politicii, vol. 19, n°164,
2011, p. 15. Selon une version contestée, Mohammed Yusuf aurait cependant suivi une formation coranique au Tchad et au Niger.
Cf. Freedom Onuoha, « The audacity of the Boko Haram: Background, analysis and emerging trend », Security Journal, vol. 25, n°2,
2011, p. 3.
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traditionnelle. Il a également reproché aux géographes d’enseigner les planètes d’un système solaire
qui ne correspondait pas aux sept paradis décrits dans le Coran.
La condamnation des aspects pervers de l’éducation occidentale n’est cependant pas propre à
Mohammed Yusuf. De nombreux salafistes s’opposent ainsi à la modernité d’un enseignement accusé
d’inculquer des valeurs erronées : la débauche et l’homosexualité pour les beaux-arts ; l’usure, la
spéculation, le profit et la création de pénuries artificielles pour les écoles de commerce ; l’emploi
d’engrais, la dégradation de l’environnement et la maltraitance des animaux pour les lycées agricoles ;
la ségrégation sociale pour les urbanistes ; les expérimentations chimiques et le mépris des soins
spirituels pour les facultés de médecine et de psychologie, etc. Musulmans ou non, beaucoup d’Africains
critiquent par ailleurs le modèle éducatif hérité de la colonisation. Ils lui reprochent notamment d’être
impérialiste, élitiste, urbain, agnostique, amoral, prescriptif, rigide, réservé aux jeunes, peu respectueux
des coutumes locales et trop orienté sur la mesure de la performance des étudiants dans une logique
de formatage et de préparation à l’insertion dans une économie marchande et capitaliste.
À sa manière, la critique de Boko Haram contre le monde moderne se rattache donc à un courant
de pensée anticolonial, et pas seulement islamiste et obscurantiste. En effet, l’échec du modèle
éducatif occidental est particulièrement flagrant dans le Borno. À l’échelle du Nigeria, le Nord-Est est
l’une des régions les moins bien pourvues en la matière, avec des records nationaux d’analphabétisme
et d’absentéisme : près de la moitié des enfants n’y sont jamais allés à l’école primaire et plus d’un
tiers n’y suivent pas non plus d’enseignements coraniques. D’après les statistiques les plus récentes,
le Borno était même l’État de la fédération qui, avec le Zamafara, comptait le plus faible taux de
scolarisation primaire (21 %) en 201013. Indéniablement, la détestation de l’éducation occidentale
chez les militants de Boko Haram reflète aussi la composition sociale d’un mouvement qui recrute
beaucoup d’analphabètes et de mendiants itinérants, les almajirai (sg. almajiri)14. Ces derniers sont
des élèves coraniques plus faciles à endoctriner car ils n’ont pas suivi le cursus des écoles primaires
publiques. Également appelés talibé (sans rapport avec les talibans d’Afghanistan, bien qu’il s’agisse
étymologiquement du même mot), ils appartiennent aux strates les moins considérées de la population
et leur position de subalterne n’est pas sans rappeler le profil des Kalakato, une autre secte islamiste
qui répudie l’éducation occidentale et comprend essentiellement des illettrés n’ayant pas atteint le
grade d’étudiant Gardi (pl. Gardawa) ou de marabout Mallam (pl. Mallamai)15.
Le succès de Boko Haram témoigne ainsi de l’échec d’un modèle occidental qui n’a pas réussi à
développer le Nord musulman du Nigeria. À meilleure preuve, le mouvement compte aussi des cadres au
chômage qui n’ont jamais terminé leur cursus universitaire, à l’instar d’Aminu Tashen-Ilimi, un étudiant
de Maiduguri qui a formé le groupe extrémiste des « talibans » avant d’être chassé de sa base rurale
du Yobe en 2003. L’échec de leur projet professionnel s’est en l’occurrence conjugué à un ressentiment
grandissant à l’égard des élites occidentalisées au moment où les élections frauduleuses de 2003 et 2007
mettaient clairement en évidence la corruption des pouvoirs en place, par comparaison aux dirigeants
du Nigeria au moment de l’indépendance, qui étaient moins diplômés mais réputés plus intègres.
13. National Population Commission, Nigeria Demographic and Health Survey (DHS) EdData Profile 2010: Education Data for
Decision-Making, Washington (DC), Research Triangle Institute International, 2011, p. 165.
14. Pour une thèse selon laquelle la frustration des almajirai témoignerait en fait d’une demande en faveur de l’école moderne, et
non d’un rejet, voir Hannah Hoechner, « Striving for Knowledge and Dignity: How Qur’anic Students in Kano, Nigeria, Learn to Live
with Rejection and Educational Disadvantage », European Journal of Development Research, vol. 23, n°5, 2011, pp. 712-728.
15. Les Kalakato sont les héritiers de Maitatsine. Ils sont considérés par les autres musulmans comme déviants, entre autres parce
qu’ils ne préconisent que deux prières par jour, au lieu de cinq. Proches d’un courant de pensée appelé Quraniyyun, ils estiment en
outre que le seul livre méritant d’être lu est le Coran. Leur nom renvoie à l’origine humaine et non divine des hadiths (paroles du
Prophète). En haoussa, Kalakato signifierait : « un simple homme l’a dit », justification qui aurait permis à Muhammad Marwa de
s’autoproclamer prophète.
Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012
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II. Une révolte sociale et religieuse
De par sa genèse et sa posture doctrinaire, le mouvement Boko Haram ne relève pas moins d’une
insurrection qui est d’essence religieuse avant d’être politique. De ce point de vue, il se distingue
fondamentalement des violences communautaires qui, dans l’État du Plateau, voient régulièrement
s’affronter les musulmans et les chrétiens de la ville de Jos en compétition pour le pouvoir et l’accès à la
terre. Ainsi, Boko Haram n’est pas un mouvement ethnique malgré son implantation concentrée dans
le Borno kanouri plutôt que dans les régions les plus occidentales du califat haoussa-peul de Sokoto –
notamment le Zamfara, premier État du Nigeria à réclamer une application intégrale de la charia au sortir
de la dictature militaire en 1999. Certains observateurs font état d’une connexion peule qui expliquerait
des liens tactiques avec le Front patriotique pour le rassemblement (FPR) d’Omar Abdul Kader « Babba
Ladé », un mouvement de lutte armée actif en Centrafrique et au Tchad. Mais l’extension du mouvement
repose essentiellement sur un effort de propagation religieuse en milieu musulman. Mohammed
Yusuf lui-même n’était pas kanouri, pas plus d’ailleurs que Maitastine n’était haoussa. Son mouvement
comptait beaucoup de Gwoza du sud du Borno et a pu recruter des Tiv de la Bénoué comme Aliyu Tishau.
En outre, de nombreux militants ont dû fuir la répression de Maiduguri en 2009 en partant à l’étranger
ou en allant s’installer dans des villes haoussa telles que Kano, qui a un moment fait figure de terre
d’asile (Dar al-Hijra). Depuis lors, le mouvement a largement démontré qu’il était capable de monter des
attaques en dehors de son fief kanouri du Borno. Ses partisans ont plusieurs fois frappé à Abuja, Bauchi,
Yobe, Kaduna, Katsina, Kano et jusque dans l’Adamawa ; si le Jigawa et Gombe ont été épargnés dans un
premier temps, c’est sans doute parce qu’ils ne présentaient pas d’intérêt stratégique majeur.
Nigeria : les 12 États appliquant la charia
SOKOTO
Sokoto
Ni
r
ge
Birnin
-Kebbi
ℂ
Kano
ℂ
ZAMFARA
ℂ
KANO
KADUNA
ℂ
Kaduna
NIGER
KWARA
Ibadan
Abéokuta
OGUN
Ikeja
LAGOS
BORNO
Damaturu
Dutse
Maiduguri
ℂ
BÉNIN
OYO
YOBE
JIGAWA
Katsina
Gusau
KEBBI
ℂ
KATSINA
ℂ
ℂ
Nig
ℂ
ℂ
EKITI
Lokoja
OSUN
Akure
KOGI
EDO
ENUGU
ANAMBRA Enugu
Benin City
Asaba
Océan Atlantique
PLATEAU
NASSARAWA
Oshogbo Ado-Ekiti
ONDO
Jos
ABUJA
Ilorin
DELTA
Yenagoa
BAYELSA
Akwa
BAUCHI
Bauchi
Minna
er
TCHAD
Lac Tchad
NIGER
Lafia
Makurdi
GOMBE
é
ADAMAWA
Yola
Jalingo
TARABA
CAMEROUN
BENUE
ℂ
Abakaliki
État appliquant la charia
Capitale d'État
Frontières internationales
Limites des États
Sokoto
EBONYI
CROSS
IMO ABIA RIVER
ia
Owerri
ah
mu Uyo Calabar
RIVERS U
AKWA
Port Harcourt IBOM
N
Gombe
u
no
Bé
ℂ
ℂ
Territoire fédéral
0
100
200 km
Source : M.-A. de Montclos, IRD
Source : Marc-Antoine Pérouse de Montclos, 2012.
En fait de mouvement ethnique, le recrutement de Boko Haram parmi les exclus de la croissance
évoque davantage une révolte sociale basée sur une sorte de théologie de la libération en faveur de la
justice (adalci en haoussa). La demande de la secte en faveur d’une stricte application de la charia, en
particulier, reflète les aspirations réformistes d’une partie de la population. Elle se nourrit également
des désillusions de la transition démocratique depuis la fin de la dictature militaire en 1999. Ainsi,
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il n’est pas anodin qu’à la différence des États haoussa, le Borno et le Yobe n’aient prononcé aucun
jugement au nom de la charia malgré l’extension du domaine pénal de celle-ci à partir de 200016.
Un tel « laxisme » n’est évidemment pas le seul élément d’explication. Des États musulmans comme
Gombe et le Niger n’ont pas non plus appliqué la charia qu’ils étaient censés mettre en œuvre17. Pour
autant, ils ont été relativement peu touchés par la violence des protestations islamistes. Kaduna, en
revanche, a connu des affrontements importants quand les autorités locales ont commencé à vouloir y
étendre la juridiction pénale des tribunaux coraniques, avec des émeutes qui, selon Eyene Okpanachi,
ont fait jusqu’à 3 000 morts en février et mai 2000 (1 295 officiellement). À la même époque, l’État
de Kebbi, qui est plus homogène sur le plan ethnique, n’a pas connu de tels évènements alors que
l’application de la charia y était encore plus stricte et qu’il abritait aussi d’importantes minorités
chrétiennes et animistes – probablement jusqu’à 40 % de la population18. Au-delà de la frustration des
fondamentalistes, il s’avère qu’une multitude de facteurs explique en réalité pourquoi, après 1999, les
demandes d’extension du domaine pénal du droit coranique ont provoqué des troubles dans certaines
régions du Nord musulman et pas dans d’autres.
Dans le cas du Borno, la persistance des inégalités et des injustices sociales a en l’occurrence été mise
sur le compte de la mauvaise application d’une charia dévoyée à l’avantage des riches et au détriment des
pauvres, plutôt que par l’échec du projet politique des islamistes. L’opposition parlementaire n’a guère
proposé d’alternative à cet égard. Un moment acoquiné avec le gouverneur du Zamafara et accusé d’être
proche des islamistes du temps où il était le chef de file du All Nigeria Peoples Party (ANPP), au pouvoir
dans des États appliquant la charia, Muhammadu Buhari a au contraire déçu les milieux salafistes.
Principal candidat de l’opposition au moment des élections présidentielles de 2011, il a en effet entrepris
de séduire les chrétiens du Sud en prenant pour coéquipier un pasteur pentecôtiste, ancien musulman
converti à la chrétienté et donc susceptible de s’attirer les foudres des fondamentalistes condamnant
l’apostasie par la peine de mort ! Par contraste, l’intransigeance de Boko Haram a pu donner l’illusion
d’une moindre compromission avec des pouvoirs politiques « laïques ».
Certains observateurs voient ainsi dans la secte un mouvement de protestation sociale comparable
à des groupes armés comme l’Oodua Peoples Congress (OPC), le Movement for the Actualization of the
Sovereign State of Biafra (MASSOB) et le Movement for the Emancipation of the Niger Delta (MEND)
qui, dans le Sud du Nigeria à dominante chrétienne, ont également su capter les frustrations de la
jeunesse et développer des connexions internationales pour amplifier leur rébellion contre les élites
au pouvoir. La différence est que Boko Haram ne professe pas de discours ethnique et qu’il a mobilisé
la population du Borno avec des arguments religieux plutôt qu’en invoquant un sentiment de classe
assez diffus. En pays haoussa, au moment de l’indépendance, le clivage entre les masses talakawa et
la noblesse sarakuna avait en l’occurrence pu donner naissance à un parti populiste et radical comme
la Northern Elements Progressive Union (NEPU). En dépit de son recrutement parmi les exclus de la
croissance, Boko Haram ne semble cependant pas avoir vraiment cherché à exploiter politiquement les
stratifications sociales du Nord musulman. De ce point de vue, il diffère peu de la révolte Maitatsine qui,
pendant la seconde république (1979-1983), avait été instrumentalisée par le parti gouvernemental de
l’aristocratie, le National Party of Nigeria (NPN), contre l’héritier de la NEPU, le People’s Redemption
Party (PRP), au pouvoir à Kano mais dans l’opposition au niveau national.
Indubitablement, l’émergence de la secte de Mohamed Yusuf ne procède pas uniquement d’une
révolte des pauvres et des almajiri. Au Nigeria, l’extrémisme islamiste n’a en effet pas eu besoin du
16. Gunnar Weimann, Islamic Criminal Law in Northern Nigeria: Politics, Religion, Judicial Practice, Amsterdam, Amsterdam
University Press, 2010.
17. Suite à un recours contre une condamnation prononcée dans l’État du Niger en 2004, la Cour suprême a par exemple rappelé que
les tribunaux coraniques étaient régis par une loi religieuse et ne pouvaient donc pas invoquer le code pénal hérité des Britanniques.
Autrement dit, ils n’étaient pas qualifiés pour juger d’affaires criminelles puisqu’il n’existait pas de code pénal islamique au niveau
fédéral. Cf. Philip Ostien, A Survey of the Muslims of Nigeria’s North Central Geo-political Zone, Oxford, Nigeria Research Network
Working Paper n°1, 2012, p. 36.
18. Eyene Okpanachi, Ethno-religious Identity and Conflict in Northern Nigeria: Understanding the Dynamics of Sharia in Kaduna and
Kebbi States, Zaria, IFRA, polycop., 2009.
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terreau de l’analphabétisme pour se développer et, depuis l’indépendance, l’université a été un
important foyer de radicalisation pour des mouvements comme les « chiites » et la Muslim Students
Society (MSS). Dans le même ordre d’idées, les auteurs d’attentats-suicides sont généralement des
jeunes issus des classes moyennes, et non des paysans sans terre et illettrés19. Au Nigeria, l’argument
de la misère, de l’analphabétisme et de l’aliénation ne suffit sûrement pas à expliquer pourquoi le
soulèvement de Boko Haram s’est produit à Maiduguri plutôt que dans d’autres villes du Nord qui sont
bien aussi ravagées par la pauvreté, la corruption et la violence20. À l’évidence, l’exode rural, la sécheresse
ou le déclassement social ne sont pas non plus les seuls éléments ayant contribué à cristalliser les
tensions politiques et communautaires autour de confrontations d’apparence confessionnelle dans
des agglomérations comme Jos, Kaduna ou Kano. Murray Last argue par exemple que Jos et Kaduna
ont été très touchées par les violences parce qu’il s’agit de villes nouvelles21. Peuplées de migrants, ces
agglomérations connaissent une forte compétition pour l’accès à la terre et leurs gisements d’emplois
se sont taris avec la disparition des industries minières et textiles. Cependant, de vieilles cités comme
Kano n’ont pas non plus échappé aux affrontements interconfessionnels ; de fait, l’urbanité et le
contrôle social des autorités traditionnelles n’ont pas toujours permis d’y régler les conflits à l’amiable.
De ce point de vue, Maiduguri ne comptait certainement pas parmi les villes les plus violentes du
Nord musulman. Comme Jos autrefois, le chef-lieu administratif du Borno faisait figure de bourgade
provinciale et paisible. Outre le banditisme de grand chemin à la campagne, la criminalité en milieu
urbain relevait surtout du cambriolage ou de la délinquance juvénile, par exemple au moment des
éclipses lunaires, qui étaient souvent l’occasion d’exprimer le mécontentement social des jeunes
almajirai. Au début des années 1980, l’épicentre de l’agitation islamiste se situait plutôt à Kano, d’où la
révolte de Maitatsine devait brièvement atteindre Maiduguri dans le quartier de Bulunkutu en 198222.
Relativement épargné par la guerre civile du Tchad, le chef-lieu administratif du Borno avait sinon
profité de la contrebande avec les pays riverains et les pratiques religieuses de ses habitants étaient
conservatrices mais pas extrémistes, dans une région qui avait commencé à s’islamiser dès le xie siècle,
plusieurs centaines d’années avant le pays haoussa. De façon tout aussi significative, l’agglomération
n’avait pas non plus connu d’importantes violences communautaires à caractère confessionnel. En effet,
les chrétiens de Maiduguri ne sont pas confinés dans un ghetto urbain et se répartissent à travers toute
la ville. À la différence de Kano, ils sont d’autant moins stigmatisés que les minorités chrétiennes du
Borno ne sont pas des immigrants du Sud du Nigeria, mais des autochtones, notamment des « tribus
païennes » de Biu, Shani, Awul et Gwoza.
Autrement dit, les différenciations religieuses de Maiduguri ne recoupent pas les clivages sociaux
et spatiaux qui, à présent, déchirent des villes comme Jos. À partir de 2010, les attaques de Boko Haram
contre des églises traduisent plutôt l’engagement de la secte dans un discours jihadiste international
qui dénonce l’occupation des « Croisés » en terre d’Islam et appelle à venger les massacres de
musulmans commis par des chrétiens du Plateau au Nigeria. Auparavant, le mouvement ne ciblait pas
spécifiquement les infidèles, à l’exception de quelques pasteurs trop virulents et des tenanciers des
bars clandestins qui violaient les prohibitions de la charia en matière d’alcool dans le Borno. Lorsqu’ils
se sont retirés pour établir une cité céleste à Kanama en 2003, les premiers militants de Boko Haram
19. Scott Atran, « Genesis of Suicide Terrorism », Science, vol. 299, n°5612, 2003, pp. 1534-1539.
20. À en croire des statistiques officielles de 2010, Sokoto est en fait l’État le plus pauvre de la fédération. Cf. National Bureau of
Statistics, Nigeria Poverty Profile 2010, Abuja, NBS, 2012, p. 23.
21. Murray Last, « Muslims and Christians in Nigeria: An economy of political panic », Round Table : The Commonwealth Journal of
International Affairs, vol. 96, n°392, 2007, p. 613.
22. En 2004, un conflit a également opposé les Hausa d’une banlieue de Maiduguri, Zabarmari, aux Kanouri du quartier du palais
du Shehu. Héritiers des Yantatsine, les premiers voulaient organiser en plein centre-ville la prière de l’Aïd al Kabir sans respecter les
consignes du sultan de Sokoto. Les affrontements ont fait un mort. Fin 1998, des islamistes avaient par ailleurs brûlé des églises et tué
une vingtaine de personnes quand le gouverneur militaire de l’époque avait voulu introduire des manuels scolaires chrétiens dans les
écoles primaires de la ville. Cf. Muhammad Nur Alkali, Abubakar Kawu Monguno, Ballama Shettima Mustafa, An Overview of Islamic
Actors in Northeastern Nigeria, Oxford, Nigeria Research Network Working Paper n°2, 2012, p. 15 ; Jan Harm Boer, Nigeria’s Decades
of Blood 1980-2002, Belleville (Ont.), Essence, 2003, p. 95.
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– les « Talibans », également appelés les « Migrants » (Muhajirun) – faisaient d’ailleurs référence à
l’hégire des fidèles du Prophète qui allèrent trouver refuge dans l’Abyssinie chrétienne en 615, bien
autant qu’au repli tactique d’Ousman dan Fodio de Degel à Gudu pour lancer sa guerre sainte en
180423. Par la suite, les fidèles de Mohammed Yusuf ont conservé le même cœur de cible, à savoir
les forces de sécurité24. Dans le même façon, la secte n’a pas non plus essayé de s’en prendre aux
chrétiens du Plateau ; c’est après l’assassinat de son leader spirituel qu’elle a commencé à commettre
des attentats dans la ville de Jos fin 2010. Dans les États de Kaduna et du Niger, des observateurs
estiment pour leur part que certaines attaques contre des églises ont été attribuées à tort aux partisans
de Mohammed Yusuf, plutôt qu’à des rivalités locales.
III. L’extension de la menace islamiste, du local à l’international
Finalement, la spécificité de Boko Haram par rapport à ses précurseurs islamistes tient essentiellement
à sa dérive terroriste dans un pays qui, au cours des années 1980 et 1990, avait déjà connu quelques
attentats à la bombe mais, jusqu’à présent, jamais d’attentats-suicides. Avant la répression de Maiduguri
en 2009, les militants de Boko Haram opèrent uniquement dans le Nord sahélien et ne visent pas Jos
ou Abuja, plus au sud. À l’époque, ils ne touchent ni aux minorités chrétiennes ni aux expatriés et s’en
prennent seulement aux institutions gouvernementales, aux représentants de l’État nigérian et aux
« mauvais musulmans ». C’est quand il sort des frontières du Borno que le conflit commence à avoir
des répercussions au niveau national puis international. Parallèlement, les attentats se multiplient alors
contre des casernes militaires, des prisons, des commissariats de police, des bâtiments officiels, des
banques et des mosquées ou des églises, notamment au moment des fêtes religieuses musulmanes
et chrétiennes. À défaut d’un véritable cycle, cependant, les attaques ne semblent pas toujours très
coordonnées. De plus, certaines sont imputées sans preuve aux partisans de la secte, quitte à exacerber
le climat de panique et à renforcer l’impression générale d’un désordre grandissant. Des militants de
Boko Haram ont par ailleurs continué de faire exploser régulièrement des bombes à Maiduguri ou
Damaturu pour demander le retrait de l’armée et démontrer qu’ils existaient toujours.
L’attentat-suicide contre les bureaux de l’Organisation des Nations Unies (ONU) à Abuja marque
à cet égard une rupture qui signale la profonde évolution de la secte depuis la mort de son leader
spirituel25. En effet, l’internationalisation des cibles du mouvement oblige à reconsidérer son modus
operandi. Dans sa version locale, Boko Haram s’en prenait essentiellement à ses ennemis jurés, à
savoir la police et l’ancien gouverneur du Borno, Ali Modu Sheriff, qui étaient largement responsables
de l’exécution de Mohamed Yusuf en 2009. Dans sa version internationale, le mouvement pourrait
toutefois poursuivre un agenda lié à la politique extérieure du Nigeria. Goodluck Jonathan, notamment,
23. Umar Danfulan, « Commentary », in Philip Ostien, Jamila Nasir, Franz Kogelmann (dir.), Comparative Perspectives on Shariʿah
in Nigeria, Ibadan, Spectrum Books, 2005, p. 279. Il convient à cet égard de noter qu’au tout début du xxe siècle en pays haoussa,
des islamistes de tendance mahdiste ont pu se regrouper sous la bannière du Christ pour protester contre l’arrivée du colonisateur
britannique ! Encore aujourd’hui à Kano et Kaduna, un petit groupe de musulmans, les Isawa, continue de placer la figure de Jésus
(Isa) au centre de la révélation d’Allah.
24. Du fait d’une politique délibérée de brassage national, nombre de policiers postés dans le Nord sont en l’occurrence des chrétiens
du Sud. Mais ils ont été visés en tant que représentants d’un État impie. Des récits contradictoires laissent entendre que, dans le Yobe,
les premiers « Talibans » s’en seraient peut-être pris aux rares habitants chrétiens de Kanama en janvier 2004. En l’état actuel de nos
connaissances, rien ne permet cependant de le confirmer, pas plus qu’il ne paraît possible de vérifier les rumeurs sur l’implication
de mercenaires recrutés dans les rangs de Boko Haram au moment des violences électorales de Jos en novembre 2008. Dans son
livre, Mohammed Yusuf appelle surtout à désobéir et à se soulever contre les musulmans tyranniques et corrompus qui n’appliquent
pas correctement la charia. Il n’est pas question de tuer les chrétiens ou les juifs. Une seule page invite explicitement les fidèles à
les éviter afin de protéger la religion. Pour Mohammed Yusuf, il convient ainsi de ne s’associer avec les chrétiens ou les juifs « dans
aucune de leurs méthodes comme la démocratie, la dictature, le communisme, le capitalisme ou les régimes parlementaires ».
25. En principe, l’Islam condamne le suicide et je n’ai trouvé aucun élément démontrant que Mohamed Yusuf aurait justifié cette
pratique. À en croire les observateurs, certains attentats-suicides pourraient d’ailleurs être dus à des erreurs de manipulation des
explosifs.
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paraît très proche des Américains. Il lui est reproché par exemple d’avoir été l’un des premiers chefs
d’État africains à reconnaître le Conseil national de transition (CNT) en Libye, avant même la chute
du régime de Mouammar Kadhafi, empressement qui contraste avec ses réticences à reconnaître la
Palestine aux Nations Unies. L’internationalisation de Boko Haram signifie également que la secte va
vraisemblablement chercher à étendre ses opérations en dehors du Nord musulman.
On peut alors s’interroger sur sa capacité à s’extraire de son terroir régional. Les professionnels
du terrorisme, en l’occurrence, n’ont pas besoin d’une grosse logistique et d’une base sociale pour
agir dans le Sud à dominante chrétienne. En revanche, le « canal historique » et purement nigérian
du mouvement ne paraît pas en mesure de frapper des villes comme Lagos ou Port Harcourt sans
trouver des relais auprès des minorités musulmanes ou des groupes rebelles susceptibles de lui faciliter
la tâche localement. Or les premières n’ont guère intérêt à se compromettre dans des actions qui
entraîneraient de violentes représailles à leur encontre. Quant aux seconds, ils ne sont plus vraiment
en situation insurrectionnelle. À Lagos, les éléments les plus radicaux de l’OPC, qui étaient souvent
des Yorouba musulmans, sont aujourd’hui rentrés dans le rang et ne contestent plus l’autorité de
l’État. À Port Harcourt, Asari Dokubo, un Ijaw converti à l’Islam et précurseur du MEND, a également
abandonné la lutte armée. Dans un encart publié dans le journal This Day du 5 octobre 2011, il a
d’ailleurs réaffirmé son soutien au gouvernement fédéral et fermement condamné Boko Haram, dont
il estimait les demandes incompatibles avec la « liberté de conscience ».
En attendant un éventuel attentat islamiste dans le Sud du Nigeria, force est de constater
l’internationalisation des cibles, de la formation et, peut-être, du recrutement de la secte. L’affiliation de
Boko Haram à Al-Qaïda reste cependant douteuse. Les attentats-suicides et l’élargissement des cibles
aux Nations Unies ne suffisent pas à établir la preuve d’un lien organique. En Algérie, par exemple, le
Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) a d’abord pris soin en janvier 2007 de changer
son nom en AQMI avant de s’en prendre aux bureaux de l’ONU à Alger en décembre de la même
année26. En Somalie, les Chabab ont en revanche commencé en septembre 2006 par commettre des
attentats-suicides avant de proclamer leur affiliation à Al-Qaïda en septembre 200927. Autrement dit,
la diversité des cas de figure empêche de généraliser abusivement. Concernant Boko Haram, l’attentatsuicide contre l’ONU à Abuja pourrait tout aussi bien témoigner d’une scission entre les partisans et
les opposants d’une négociation avec le gouvernement nigérian, à l’instar du processus qui, dans la
Corne de l’Afrique, a vu l’Union des tribunaux islamiques puis l’Alliance pour la libération de la Somalie
imploser entre la faction djiboutienne de Cheikh Sharif Ahmed et les extrémistes « érythréens » de
Hassan Dahir Aweys, à l’origine du groupe Hisbul Islam puis d’une partie des Chabab.
Sur le plan tactique, on voit certes se dessiner des convergences d’intérêts en vue d’entraîner des
artificiers ou de se procurer des armes. En février 2003, Oussama ben Laden avait lui-même mentionné
le Nigeria comme une cible potentielle. Depuis lors, la mouvance jihadiste a sans doute été tentée
d’instrumentaliser Boko Haram afin d’internationaliser le conflit du Borno et de pénétrer un pays
qui avait coutume de « produire » ses propres extrémismes religieux et qui se montrait plutôt rétif
aux idéologies fondamentalistes importées de l’étranger. Mais il paraît peu probable que la secte de
Maiduguri obéisse désormais aux injonctions d’Al-Qaïda en vue de coordonner ses actions dans le
cadre d’une vaste stratégie visant à islamiser l’Afrique de l’Ouest jusqu’à la côte Atlantique. Sur le plan
idéologique, Boko Haram ne répond sûrement pas aux « canons » du wahhabisme car ses militants
croient aux forces de l’invisible et utilisent des amulettes pour se protéger des attaques de la police
ou de l’armée. Quant au chef spirituel du mouvement, Mohammed Yusuf, il professait des idées
syncrétiques et était réputé avoir recours à la sorcellerie pour envoûter ses fidèles en droguant leur
thé28. On voit mal ses successeurs se fondre dans un vaste réseau destiné à entretenir et promouvoir
26. James Forest, « Al-Qaeda’s Influence in Sub-Saharan Africa: Myths, Realities and Possibilities », Perspectives on Terrorism, vol. 5,
n°3-4, 2011, p. 65.
27. Brian Hesse (dir.), Somalia: State Collapse, Terrorism and Piracy, Londres, Routledge, 2011, p. 38.
28. La « doctrine » de Boko Haram est assez ambiguë à ce sujet. Dans son livre, Mohammed Yusuf condamne explicitement
« la magie, la divination, la prestidigitation, la géomancie, […] les djinns, les idoles, les amulettes, le recours aux cordelettes », la
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l’héritage politique d’Oussama ben Laden. S’ils ont revendiqué l’attentat contre l’ONU, c’est plutôt la
preuve qu’ils veulent continuer de maîtriser l’agenda terroriste au Nigeria.
Concrètement, l’internationalisation et la radicalisation de Boko Haram tiennent plutôt à d’autres
raisons. À l’ère de la « globalisation », d’abord, la pratique des attentats-suicides témoigne du progrès
des communications dans des régions reculées, autrefois injoignables par téléphone et moins
directement en prise sur des modèles étrangers, afghans ou saoudiens. Migrations économiques,
exils politiques et bourses d’études vers les pays arabes – et pas seulement sahéliens ou limitrophes
– ont également favorisé les contacts avec la mouvance jihadiste internationale. Le pèlerinage à La
Mecque semble en revanche avoir joué un rôle moins déterminant. Victimes de la crise économique,
de moins en moins de Nigérians ont eu les moyens de se payer le voyage en Arabie saoudite. À la fin
des années 1990, ils n’étaient plus qu’une vingtaine de milliers à se rendre à La Mecque, contre une
centaine de milliers au moment du boom pétrolier des années 1970, même si leur nombre est depuis
lors remonté à 88 000 selon la National Hajj Commission of Nigeria (NAHCON) en 201129.
En fait d’internationalisation et de professionnalisation terroriste, c’est surtout la brutalité de la
police et de l’armée nigérianes qui explique l’évolution du mode opératoire de Boko Haram pour inverser
un rapport de force défavorable en recourant à des attentats. En effet, la stratégie insurrectionnelle de la
secte à ses débuts n’était guère efficace. Contrairement au MEND, qui disposait d’un levier économique
pour attaquer le gouvernement en sabotant la production pétrolière, Boko Haram ne pouvait pas menacer
le « portefeuille » de l’État dans des régions pauvres et sans grandes ressources naturelles ; à l’exception
de la répression de 2009, le mouvement a d’ailleurs fait l’objet d’une relative indifférence jusqu’à ce qu’il
commette des attentats dans la capitale fédérale. De plus, la secte n’était guère en mesure de remporter
des victoires « militaires » face à l’armée ou la police. Des 2 214 morts provoqués par des événements liés
à Boko Haram entre le 17 avril 2007 et le 16 avril 2012 et recensés par la base de données Nigeria Watch,
il s’avère que beaucoup ont en fait été tués par les forces de sécurité nigériannes30. Généralement peu
soucieuses d’épargner les civils, la police et l’armée nigérianes sont en l’occurrence réputées pour leur
culture de la violence, en toute impunité. En outre, il est possible que les troupes envoyées sur le terrain,
qui provenaient d’autres régions du Nigeria, se soient montrées particulièrement irrespectueuses des
populations locales, musulmanes et analphabètes. De façon délibérée, certains policiers ont également
exécuté les suspects de crainte qu’ils ne soient traduits en justice et relâchés faute d’avoir pu prouver
leur participation aux combats ou leur appartenance à un groupe terroriste.
Dans les quartiers pauvres de Maiduguri, en particulier, le manque de discernement des forces
de l’ordre a alimenté les rangs de la secte dans une logique de vendetta. Contraints de fuir la terrible
répression de 2009, des membres de Boko Haram sont aussi partis en exil dans les pays sahéliens de la
région, où ils ont visiblement été récupérés par des réseaux jihadistes31. Le recyclage des éléments les
plus radicaux du mouvement s’est ainsi conjugué aux tentatives d’infiltration du mouvement par des
Nigérians formés à l’étranger, à commencer par Abu Umar, un étudiant de l’Université de Khartoum où il
sorcellerie, les prétentions à la prophétie et le culte préislamique des ancêtres. Mais il approuve « l’exorcisme légal influencé par le
trésor du message prophétique » et croit à « la mission […] du Seigneur des mondes à destination de tous les djinns et les hommes ».
29. Victor Chukwulozie, Muslim-Christian Dialogue in Nigeria, Ibadan, Daystar Press, 1986, p. 218 ; Robert Bianchi, Guests of God:
Pilgrimage and Politics in the Islamic World, New York, Oxford University Press, 2004.
30. Dans un communiqué du 24 janvier 2012, Human Rights Watch (HRW) soutient que Boko Haram a tué 935 personnes depuis
2009, dont 253 dans les trois premières semaines de 2012. Comme les autres organisations de défense des droits de l’homme,
l’ONG ne cite cependant pas ses sources et ne renvoie pas à une base de données qui permettrait de tester la validité de son calcul.
En l’occurrence, les chiffres de Nigeria Watch et de HRW sont un peu différents, avec respectivement 679 et 550 morts en 2011.
À en croire HRW, Boko Haram a tué 682 personnes en 2009-2011, moins de la moitié des 1 618 victimes répertoriées au total par
Nigeria Watch pendant la même période. Voir HRW, « Nigeria : Boko Haram poursuit sa campagne de terreur », 24 janvier 2012,
www.hrw.org/fr/news/2012/01/24/nigeria-boko-haram-poursuit-sa-campagne-de-terreur et http://www.nigeriawatch.org/.
31. Dès août 2009, un communiqué d’AQMI condamnait en l’occurrence l’exécution de Mohamed Yusuf. En février 2010, « l’émir »
algérien du groupe, Abu Musab Abdul Wadud, promettait ensuite d’envoyer des combattants et de livrer des armes aux musulmans
du Nigeria afin de les aider à se défendre contre les attaques des chrétiens du Plateau. Désormais, certains communiqués de
Boko Haram sont également diffusés via le département de communication d’AQMI, Al-Andalous. Apparemment fondée vers 2011
par des Mauritaniens et des Maliens, une dissidence d’Al-Qaïda, le Mouvement unicité et jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), a par
ailleurs vocation à accueillir des combattants étrangers, notamment nigérians.
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avait rencontré Oussama ben Laden au milieu des années 1990 avant de passer la main à Mohamed Ali,
un disciple du fameux cheikh salafiste Jafar Adam, assassiné à Kano en 2007. Selon des sources bien
informées, la mouvance se réclamant d’Al-Qaïda disposerait aujourd’hui de deux cellules dormantes
au Nigeria : l’une à Kano sous l’égide d’un certain Abu Yasir ; l’autre à Jos sous la direction d’al-Bany
(ou al-Amin) Aljasawi. Les services de sécurité d’Abuja prétendent de leur côté qu’un Algérien du
GSPC, Barnawi Khalid, aurait commencé à financer Boko Haram dès 2006. On remarquera cependant
que, pour l’instant, la mouvance d’Al-Qaïda ne semble guère avoir réussi à recruter des combattants
directement au Nigeria. Les Nigérians impliqués dans des actes terroristes à l’étranger ont tous été
endoctrinés en dehors du Nigeria, notamment au Pakistan et au Yémen (comme par exemple dans le
cas d’Umar Farouk Abdulmutallab, auteur d’un attentat raté contre un avion américain fin 2009).
IV. Les erreurs à répétition des forces de sécurité
Un rapide retour sur la genèse de la secte Boko Haram montre ainsi que le mouvement de
Mohammed Yusuf n’a pas, initialement, de visées terroristes et insurrectionnelles. Ce sont surtout la
répression et les erreurs à répétition des forces de sécurité qui contribuent à le radicaliser. Au départ,
quand il rompt avec le courant salafiste des « éradicateurs » Izala en 1999, Mohammed Yusuf n’est
qu’un prêcheur virulent qui demande une extension du domaine d’application pénal de la loi coranique
dans le Borno. Basé à Maiduguri, il a pignon sur rue à Damboa Road et officie depuis la mosquée Izala
d’un riche homme d’affaires, Mohamed Indimi, qui a fait sa fortune dans le pétrole avec la compagnie
Oriental Energy Resource Ltd. Habile orateur, Mohammed Yusuf élargit progressivement son audience
et rallie à sa cause de nombreux fidèles. Dans l’État voisin de Yobe, d’où il est originaire, ses partisans
les plus extrémistes, emmenés par Ismail Ladan et Mohammed Alli, s’en vont alors fonder vers 2002
une ferme collective dans la forêt de Jaijin Biri (Zagi-Biriri), près de Kanama dans la collectivité locale
de Yusufari. Calquée sur le modèle de la fuite (hijra) du Prophète à Médine, leur démarche répond en
l’occurrence à un besoin de retour à la terre pour échapper à la corruption des villes. D’une certaine
manière, leur « cité céleste » évoque un peu les procédures de regroupement rural et de recueillement
des évangélistes chrétiens ou de Dar al-Islam, une secte islamiste non violente dont les fidèles prêtent
allégeance à une sorte de « gourou », Amrul Bashir Abdullah, et dont le camp de Mokwa sera détruit
par la police dans l’État du Niger en août 2009, peu après la répression militaire du mouvement de
Mohammed Yusuf dans le Borno et le Bauchi.
Concernant l’embryon de Boko Haram à Jaijin Biri dans le Yobe, la situation se dégrade en
l’occurrence assez rapidement. Surnommés « talibans » à cause des collines où ils se sont établis et qui
évoqueraient des paysages afghans, les membres de la secte sont vite suspectés d’avoir monté un camp
d’entraînement. Après s’être querellés avec les autochtones à propos de droits de pêche dans un étang
à proximité, ils sont attaqués par des milices de chasseurs au service des autorités locales. Les forces
de sécurité, elles, ne parviendront jamais à démontrer que les « talibans » avaient déjà des armes à
feu lorsqu’ils ont été chassés manu militari de leur refuge32. En revanche, les militants de Boko Haram
mettent effectivement la main sur des arsenaux quand, pour se venger, ils attaquent des commissariats
de police et des écoles primaires de l’État de Yobe à Kanama, Damaturu, Geidam et Babban Gida (dans
la collectivité locale de Tarmuwa) en décembre 2003. L’engrenage de la violence est alors enclenché.
Expulsés de l’État de Yobe, certains « talibans » se regroupent ainsi à Maiduguri autour de
Mohammed Yusuf, d’abord sur Damboa Road, puis à la mosquée de Daggash, et enfin sur des terres
données au leader de la secte dans la banlieue dite de Markaz Ibn Taijmiyya, près de la gare33. Sous la
direction d’Abubakar Aliyu Abubakar, d’autres militants s’établissent à Limankara dans le sud du Borno,
32. Muhammad Sani Imam, Muhammad Kyari, Yusufuyya and the State: Whose Faulty?, op. cit., p. 15.
33. Adeniyi, Olusegun, Power, Politics and Death: A front-Row Account of Nigeria under the Late President Yar’Adua, Lagos, Kachifo,
2012, p. 107.
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où ils affrontent les autorités à Bama et Gwoza en septembre et octobre 2004. La situation dégénère
d’autant plus que les désaccords personnels entre Mohammed Yusuf et le gouverneur Ali Modu Sheriff
exacerbent les tensions et politisent le ressentiment religieux contre l’ANPP, au pouvoir dans la région.
À cela s’ajoute l’amplification du dispositif de répression en 2008 avec l’opération Flush, qui réunit
l’armée, la police et la douane. Désormais, les autorités sont prêtes à intervenir à l’arme lourde dans les
quartiers pauvres de Maiduguri. L’occasion s’en présente quand, en juin 2009, les fidèles de la secte se
rassemblent pour enterrer quatre de leurs membres morts dans un accident de voiture sur une route
de campagne34. Parce qu’ils sont plus de deux par moto et qu’ils refusent de porter des casques pour
des raisons religieuses, certains sont arrêtés et la police tire dans la foule lors des échauffourées qui
ne manquent pas de s’ensuivre. L’armée, quant à elle, interdit l’accès à l’hôpital où sont emmenés les
blessés et refuse d’accepter les dons du sang des fidèles, qui jurent en conséquence de prendre leur
revanche et commencent à attaquer des commissariats la nuit. Fin juillet 2009, les forces de l’ordre
écrasent alors les rebelles et assassinent Mohammed Yusuf35.
Aujourd’hui, le gouvernement fédéral admet lui-même à mots couverts que la brutalité de la
répression s’est avérée contre-productive. Des notables du Borno, dont des généraux à la retraite,
demandent le départ des troupes de l’opération Restore Order, qui a succédé à l’opération Flush.
Le problème est qu’entre-temps, les rescapés de Boko Haram se sont évanouis dans la nature, bien
décidés à mener une guerre asymétrique contre l’État nigérian. Légitimés par l’ampleur des massacres
commis par les forces de l’ordre, les partisans de la violence terroriste ont désormais le vent en poupe.
Incarnées par le beau-frère de Mohammed Yusuf, Alhaji Baba Fuggu Mohamed, qui s’était de lui-même
rendu aux autorités avant d’être froidement exécuté par la police en juillet 2009, les « colombes » ont
perdu beaucoup de terrain. En septembre 2011, le fils de Baba Fuggu Mohamed, Babakura Fuggu, a
ainsi été tué par les « faucons » du mouvement parce qu’il avait entamé des pourparlers de paix avec
l’ancien président Olusegun Obasanjo et rompu un tabou en acceptant des compensations financières
pour les familles des victimes de la répression.
De ce point de vue, il importe de souligner combien l’exécution de Mohammed Yusuf a été
une grave erreur stratégique. En créant un martyr, elle a en effet généré un courant de sympathie
en faveur des victimes de la répression, tout au moins dans le Nord-Est. À défaut d’une véritable
adhésion populaire à la doctrine extrémiste du mouvement, l’omerta en vigueur dans la région
témoigne toujours de la crainte que suscite tout à la fois le fanatisme des fous de Dieu et la brutalité
de militaires qui ont pu faire apparaître Boko Haram comme une force de résistance face à des troupes
d’occupation. L’élimination de Mohammed Yusuf a par ailleurs légitimé les éléments les plus radicaux
de la secte, favorables au basculement dans la violence terroriste. De plus, elle a conduit les partisans
de Boko Haram à se disperser en province et à entrer dans la clandestinité la plus complète. À leurs
débuts, les membres de la secte étaient reconnaissables à leur turban, leur longue barbe, leur bâton
de pèlerin et le petit bâtonnet de bois qu’ils mastiquaient en permanence pour se laver les dents36.
Ils portaient des pantalons courts, des foulards rouges ou noirs et d’amples boubous blancs, tandis
que leurs femmes étaient entièrement voilées de la tête aux pieds. Mais aujourd’hui, les militants
de Boko Haram sont invisibles et insaisissables. L’exécution de Mohammed Yusuf a fragmenté le
mouvement et privé les négociateurs d’un interlocuteur capable de commander ses troupes. Les porteparole se sont multipliés avec les mallamaï Abu Suleiman, Sanni Umaru, Aliyu Teshako puis Abu Qaqa.
Quant à l’ancien adjoint du leader de la secte, Abu Muhammad Abubakar bin Muhammad « Shekau »,
il n’a pas vraiment réussi à s’imposer. Né à Shekau, un village du Yobe, et élevé à Mafoni, un quartier
34. La version officielle, rapportée par la presse chrétienne du Sud, est assez différente et prétend que les partisans de
Mohammed Yusuf se seraient en fait rebellés à la suite du démantèlement par les forces de sécurité, le 26 juillet 2009, d’un repaire
du Bauchi, Dusten Tenshin, où ils cachaient leurs armes et explosifs. Cf. Abimbola Adesoji, « Between Maitatsine and Boko Haram:
Islamic Fundamentalism and the Response of the Nigerian State », Africa Today, vol. 57, n°4, 2011, p. 105.
35. Voir : http://www.aljazeera.com/news/africa/2010/02/2010298114949112.html (consulté le 24 mai 2012).
36. Leur accoutrement était d’ailleurs assez semblable à celui des fidèles de la Muhammadiyya, un groupe rural apparu dans le
Borno en 1986 et replié dans le village de Wiringile-Bajoga. La Muhammadiyya n’a rien à voir avec son homonyme d’Indonésie et
est essentiellement composée de paysans peuls venus de Gombe et parfois appelés Aljanna Tabbas (« la certitude du paradis »).
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pauvre de Maiduguri, il n’a ni le charisme ni l’art oratoire ni l’éducation religieuse de son tuteur.
Suspecté de fumer de la marijuana, il attire moins de fidèles et se voit contester par Maman Nur,
un militant d’origine tchadienne, entraîné en Somalie et, d’après les services de sécurité nigérians,
auteur de l’attentat contre les bureaux de l’ONU à Abuja. À court d’argent et de cotisations, « l’imam
Shekau » (également surnommé « Darul Tauhid ») ne peut pas non plus compter sur les « subventions »
d’AQMI, à qui il aurait refusé de rendre des comptes37. Il continue donc d’attaquer des postes de police
pour se procurer des armes et doit désormais se financer en pillant des banques, au prétexte que
l’Islam interdit la thésaurisation et l’usure. Une pareille évolution ne laisse pas d’inquiéter, même si les
militants de Boko Haram se distinguent des milieux criminels de droit commun lorsqu’ils assassinent
des personnalités politiques en pénétrant par effraction dans leurs maisons sans y voler d’argent.
Enfin et surtout, l’exécution de Mohammed Yusuf a ranimé les théories du complot qui attisent
les tensions entre les musulmans du Nord et les chrétiens du Sud. L’élimination du leader de la secte
est probablement due à un coup de sang des unités anti-émeutes de la police, les Mopol, qui ont
voulu venger leur chef égorgé peu auparavant par des militants de Boko Haram. Selon des témoins
sur place, l’interrogatoire a en effet dégénéré et les assassins n’ont pas eu besoin d’instructions
gouvernementales pour se défouler jusqu’à ce que mort s’ensuive. De fait, les Mopol comptent parmi
les unités les plus indisciplinées, entre autres parce que leurs commandants ne sont pas entraînés avec
les hommes du rang et ont le plus grand mal à se faire obéir. Relativement autonomes, ils vivent dans
des casernes spéciales et échappent en partie au contrôle des commissaires de police. Leur surnom
habituel – « ceux qui tuent et puis s’en vont » (kill and go) – en dit long sur la brutalité et la fréquence
de leurs pratiques extrajudiciaires38. Soucieuse de se disculper et de se distinguer des Mopol, l’armée,
qui avait capturé Mohammed Yusuf peu auparavant, a d’ailleurs laissé « fuiter » les images du leader de
la secte afin de prouver qu’il était bien vivant avant d’être remis entre les mains de la police.
Mais peu de gens considèrent qu’il s’agit là d’une simple bavure. D’après la version la plus populaire
des événements, Mohammed Yusuf aurait été délibérément exécuté car il était un élément rebelle et
un témoin gênant, susceptible de révéler les turpitudes des autorités locales. Depuis lors, le gouverneur
ANPP de l’époque, Ali Modu Sheriff, n’aurait pas été inquiété car il se serait acheté une immunité en
finançant la campagne présidentielle de Goodluck Jonathan, candidat du People’s Democratic Party
(PDP). De même, il aurait réussi à faire relever de ses fonctions le chef des renseignements militaires,
le général Babagana Monguno, au moment où celui-ci allait révéler les conclusions d’une enquête qui
impliquait l’ancien gouverneur et son beau-frère Abba Lawan Dawud dans le meurtre, en avril 2011,
du président de la collectivité locale de Jere, Mustafa Bale (ce dernier avait réussi à remporter les
primaires de l’ANPP en vue de se faire élire député du Borno).
V. Le retour des théories du complot
Quoi qu’il en soit par ailleurs de ses connexions plus ou moins opérationnelles avec la mouvance
jihadiste internationale, Boko Haram menace ainsi la stabilité du Nigeria car la crainte d’une guerre
sainte excite toutes sortes de fantasmes susceptibles d’entraîner des représailles contre les minorités
musulmanes du Sud ou chrétiennes du Nord. En demandant une stricte application de la charia, la
secte exacerbe en outre l’impression d’un pays à deux vitesses, avec des lois différentes d’une région
à l’autre. Le clivage paraît d’autant plus marqué qu’il dépasse le domaine pénal et s’étend au secteur
financier dans le cadre des réformes que développe l’actuel gouverneur de la Banque centrale pour
autoriser l’établissement de banques islamiques, avec leurs propres règles de fonctionnement. Sur
le plan politique, enfin, les agissements terroristes de Boko Haram rallument le spectre de la guerre
37. Entretiens dans le Nord du Nigeria, octobre 2011.
38. Ainsi, avant même l’émergence de Boko Haram, plusieurs opérations de police, dites Damisa (« Le Léopard ») ou Zaki (« Le
Lion »), avaient déjà été montées pour liquider les bandits armés du Borno sans autre forme de procès.
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civile et risquent d’attiser des discours religieux extrémistes qui sont peu propices à la production de
consensus et à la formation de coalitions régionales.
Les provocations verbales des Yorouba, des Ijaw ou des Ibo, qui se disent prêts à en découdre avec
la secte, ne sont guère rassurantes à cet égard39. En juin 2011, l’attentat de Boko Haram contre le siège
de la police à Abuja était en effet une réaction directe à une déclaration intempestive de l’inspecteur
général Hafiz Ringim, selon qui le mouvement de Mohammed Yusuf avait définitivement été écrasé par
les forces de l’ordre. À leur manière, les gesticulations des activistes yorouba de l’OPC, ijaw du MEND ou
ibo du MASSOB pourraient donc inciter la secte à démontrer sa capacité de nuisance en frappant une
cible symbolique dans le Sud. Elles pourraient également pousser les fidèles de Mohammed Yusuf à
exacerber délibérément les tensions interconfessionnelles en focalisant davantage leurs attaques contre
les minorités chrétiennes établies au Nord et originaires du Sud. À la différence de Jos, où le conflit
voit surtout s’opposer des migrants musulmans à des autochtones chrétiens, une ville comme Kano
abrite par exemple des Ibo qui, en cas de décès, rapatrient généralement les corps pour les enterrer
« décemment » dans le village de leurs ancêtres. Or les violences suivent souvent le trajet des funérailles,
entraînant alors des représailles contre les minorités musulmanes des régions méridionales40.
D’une manière générale, la menace islamiste a réveillé les théories du complot qui, depuis
longtemps, tendaient à opposer les musulmans du Nord aux chrétiens du Sud. Pendant les dictatures
militaires, les Haoussa-Peuls ont en l’occurrence été accusés d’accaparer le pouvoir au sein d’une
mystérieuse « mafia de Kaduna », un concept pour le moins ambigu, tant sur le plan de sa localisation
géographique que de sa composition religieuse41. La guerre du Biafra (1967-1970), notamment, a été
présentée par les sécessionnistes ibo comme un génocide commis par des musulmans soutenus par
les pays arabes. En réalité, le chef d’État nigérian de l’époque, le général Yakubu Gowon, était chrétien,
avec un père évangéliste, une femme Ibo et une éducation très religieuse42. Peu avant la chute de
l’enclave sécessionniste, la propagande biafraise ne réussissait d’ailleurs plus à convaincre de l’existence
d’un « génocide confessionnel » et s’est donc recentrée sur l’opposition irréductible entre des Haoussa
« arriérés » et féodaux d’une part, et des Ibo « progressistes » et éduqués qui combattaient pour
l’émancipation de la « race noire » et une « deuxième indépendance » définitivement affranchie de
l’impérialisme britannique d’autre part43. En 1970, la victoire militaire de l’armée nigériane n’a alors pas
mis fin au ressentiment des chrétiens du Sud. En effet, la junte du général Yakubu Gowon a entrepris
de nationaliser les écoles des missionnaires, qui avaient été accusés de soutenir les rebelles. Dans
le Nord, certains établissements ont en conséquence été rebaptisés avec des noms musulmans, ce
qui a suscité des tensions44. Malgré son discours nationaliste, la junte a également semé le trouble
39. Apparemment composé de ressortissants de la Middle Belt, de Hausa convertis et d’anciens militants du MEND ou du MASSOB,
un groupe chrétien extrémiste, Akhwat Akwop, a par exemple fait son apparition dans les grandes villes du Nord Nigeria en septembre
2011. Structuré en réponse aux attentats de Boko Haram, dont il a repris le nom dans une langue vernaculaire, il a distribué des tracts
promettant d’étendre les actes de terrorisme aux pays accusés (sans preuve) de soutenir le mouvement de Mohammed Yusuf : Iran,
Syrie, Arabie saoudite, Mauritanie et Soudan. Il a également menacé de mettre le Nigeria à feu et à sang si un musulman du Nord
était élu à la place d’un chrétien Ibo du Sud-Est en 2015.
40. La remarque vaut évidemment pour tous les groupes en présence. Craignant des représailles à la suite d’émeutes à Jos fin 2008, les
autorités ont ainsi interdit aux Haoussa de la ville, les Jasawa, d’aller à Kano enterrer les corps de leurs parents tués par des chrétiens.
Cf. Adam Higazi, The Jos Crisis: A Recurrent Nigerian Tragedy, Abuja, Friedrich-Ebert-Stiftung, Discussion Paper n°2, 2011, p. 21. Pour
d’autres exemples où la vue des cadavres des victimes a été la cause immédiate de violences populaires et interconfessionnelles, en
l’occurrence à Tafawa Balewa en 1991, Kaduna en 1992 et Kano et Onitsha en 2004, voir aussi Jan Harm Boer, Studies in ChristianMuslim Relations. Christian: Why this Muslim Violence?, Belleville (Ont.), Essence, pp. 196, 217 ; Fatima Oyine Ibrahim, « Dimensions
of Ethno-Religious Crises : An Analysis of the 2004 Reprisal Attacks in Kano State », in Isaac Olawale Albert, Willie Aziegbe Eselebor,
Nathaniel Danjibo (dir.), Peace, Security and Development in Nigeria, University of Ibadan, Peace and Conflict Studies Programme,
2012, p. 194 ; Hussaini Abdu, State, Society and Ethno-Religious Conflicts in Northern Nigeria, Kaduna, Devreach, 2010, p. 163.
41. Marc-Antoine Pérouse de Montclos, Guerres d’aujourd’hui : les vérités qui dérangent, Paris, Tchou, 2007, pp. 60-62.
42. Jonah Isawa Elaigwu, Gowon: The Biography of a Soldier-Statesman, Ibadan, West Books Publisher, 1986.
43. Anthony Douglas, « ‘Resourceful and Progressive Blackmen’: Modernity and Race in Biafra, 1967-70 », Journal of African History,
vol. 51, n°1, pp. 41-61.
44. Lorsque l’Université de Sokoto a été nommée en l’honneur d’Ousman dan Fodio, héraut de la guerre sainte (jihad) de 1803,
les chrétiens du Sud ont par exemple essayé de donner à l’Université de Lagos le nom de Samuel Ajayi Crowther, premier évêque
anglican noir du Nigeria. Des querelles tout aussi symboliques ont touché l’Université d’Ibadan, à tel point qu’au milieu des années
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en introduisant en 1973 une devise, le Naira, dont les billets étaient initialement ornés d’inscriptions
en arabe. Après une première crise à propos de l’établissement d’une cour d’appel pour la charia en
1977, les militaires ont de nouveau inquiété les chrétiens quand ils ont négocié l’adhésion du Nigeria
à l’Organisation de la coopération islamique (OCI) en 1986. Arrivée au pouvoir en 1993, la junte du
général Sani Abacha, enfin, a été suspectée de vouloir réformer l’administration territoriale en 1996
afin de favoriser les musulmans, par exemple en créant un État de Nassarawa pour leur permettre
d’échapper à la domination des chrétiens du Plateau.
Les Nordistes n’ont cependant pas été en reste en matière de théories « conspirationnistes ». Ainsi,
ils ont accusé des migrants et des médecins chrétiens de chercher à empoisonner ou stériliser les
musulmans à l’occasion de campagnes de vaccination45. Au sortir de la dictature militaire en 1999, les
protestations des Occidentaux contre l’extension du domaine pénal de la charia ont alors été comprises
comme une tentative de laïciser le Nigeria et d’y étendre la guerre contre le terrorisme. Sous prétexte
de sauver deux femmes dont les peines de mort par lapidation n’ont jamais été appliquées, le tapage
médiatique des organisations de défense des droits de l’homme devait, selon la rumeur, servir à faire
d’une pierre deux coups : justifier l’installation de bases militaires américaines, d’une part, et détourner
l’attention des atrocités autrement plus massives commises par Israël en Palestine ou par les ÉtatsUnis en Irak et en Afghanistan. D’après Sanusi Lamido Sanusi, le résultat paradoxal de l’activisme des
Occidentaux à propos de la charia a finalement été de conduire une partie des musulmans du Nord du
Nigeria à se réfugier dans un Islam parfois radical46.
Dans un tel contexte, la dérive terroriste de Boko Haram a également donné un nouvel élan aux
théories de la conspiration. Dernier hebdomadaire de langue anglaise encore diffusé dans le Nord depuis
la disparition du journal gouvernemental New Nigerian, en l’occurrence à Kaduna, le Desert Herald
regorge ainsi d’histoires truculentes sur le grand complot américain contre les musulmans africains. À
en croire une certaine coalition « verte-blanche » qui porte haut les couleurs du drapeau nigérian, Boko
Haram serait en fait une couverture de la Central Intelligence Agency (CIA) en vue de démanteler le pays
le plus peuplé du continent47 ! Prétendument annoncé dans les rapports de stratèges américains qui
évoquent l’éventualité d’une implosion du Nigeria d’ici une dizaine d’années, l’objectif de Washington
serait de provoquer des troubles en vue de justifier une intervention « humanitaire » et de négocier un
mandat onusien pour envoyer des troupes occuper le territoire et obtenir in fine un accès illimité aux
ressources naturelles de la région48.
Bien entendu, ces théories de la conspiration n’épargnent pas non plus la classe politique locale.
Pour les Sudistes, Boko Haram serait surtout un complot de l’opposition nordiste en vue de miner
l’assise d’un gouvernement présidé par un chrétien. Dans un tel scénario, Al-Qaïda fait office de simple
1980, il a fallu ériger sur son campus une sorte de « mur de la honte » pour séparer la mosquée et l’église. Avec le retour à un régime
civil en 1979, le parti d’opposition au pouvoir dans le Sud-Ouest yorouba a pour sa part été accusé de favoriser les chrétiens quand il a
entrepris de restituer aux missionnaires les écoles confisquées du temps de la dictature militaire. Cf. Toyin Falola, Violence in Nigeria:
The Crisis of Religious Politics and Secular Ideologies, New York, University of Rochester Press, 1998, pp. 175-177.
45. Maryam Yahya, « Polio Vaccines, ‘No Thank You !’ Barriers to Polio Eradication in Northern Nigeria », African Affairs, vol. 106,
n°423, 2007, pp. 185-204 ; Judith Kaufmann, Harley Feldbaum, « Diplomacy And The Polio Immunization Boycott In Northern
Nigeria », Health Affairs, vol. 28, n°4, 2009, pp. 1091-1101 ; Douglas Anthony, Poison and Medicine : Ethnicity, Power, and Violence in
a Nigerian City, 1966 to 1986, Oxford, James Currey ; Elisha Renne, The Politics of Polio in Northern Nigeria, Bloomington, Indiana
University Press, 2010.
46. Sanusi Lamido Sanusi, « The West and the Rest. Reflections on the Intercultural Dialogue about Shariah », in Philip Ostien,
Jamila Nasir, Franz Kogelmann (dir.), Comparative perspectives on Shariʿah in Nigeria, op. cit, p. 261.
47. Green-White Coalition, « Boko Haram: A CIA covert operation », Desert Herald, février 2012, pp. 38-39.
48. Bizarrement, ces rapports américains ne font en fait pas référence à Boko Haram. Bien que publié en février 2011, le dernier en
date table plutôt sur un affrontement entre le califat de Sokoto et le MEND à l’horizon 2030. Comme souvent dans ce genre d’études,
les auteurs se nourrissent exclusivement d’une littérature anglo-saxonne qui fait la part belle aux théories de l’État failli et qui écarte les
points de vue différents des auteurs venus d’autres horizons, y compris les Nigérians anglophones. Les arguments retenus ne sont pas
contrebalancés et vont tous dans le sens d’une partition confessionnelle du Nigeria. À partir du constat économique d’une aggravation
des écarts de développement entre le Nord et le Sud, les analystes militaires américains reprennent ainsi à leur compte la thèse du
clash des civilisations. Cf. National Intelligence Council, Mapping Sub-Saharan Africa’s Future, Washington, NIC, 2005, p. 16 ; Christopher
Kinnan et al., Failed State 2030 : Nigeria—A Case Study, Maxwell Air War College (Alabama), Center for Strategy and Technology, 2011.
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prestataire de services et d’artificiers. À défaut de promouvoir un projet de société islamique, l’attentat
contre l’ONU, lui, prend tout son sens car il a réussi à démontrer que Goodluck Jonathan n’était pas
capable de faire régner l’ordre. Autre élément de preuve, les partisans de la thèse du complot nordiste
mettent en évidence les complicités locales dont a pu bénéficier Boko Haram. Ils évoquent notamment
le cas de l’ancien gouverneur du Borno, Ali Modu Sheriff, dont un ministre des Affaires religieuses,
Bugi Foi, a été tué aux côtés de Mohammed Yusuf lors de l’insurrection de 2009. Très controversé,
ce pilier de la politique locale a en l’occurrence été suspecté de chercher à recruter des almajirai de
Boko Haram pour liquider l’opposition régionale et imposer son poulain à l’approche du suffrage de
2011. En vain d’ailleurs, puisque le candidat d’Ali Modu Sheriff a précisément été tué par des membres
de la secte, visiblement dans un esprit de revanche suite à la sanglante répression de 2009. L’idée
que Boko Haram pouvait servir à déstabiliser le gouvernement de Goodluck Jonathan n’en a pas
moins gagné du terrain au vu des suspicions qui ont pesé sur d’autres éminents Nordistes comme le
général Ibrahim Babangida au moment de l’attentat d’Abuja pour les cérémonies du 50e anniversaire
de l’indépendance en 2010.
De façon significative, la théorie du complot est tout aussi prégnante dans le Nord. Vu de Kano, de
Kaduna ou de Maiduguri, Boko Haram serait en réalité une machination destinée à discréditer l’Islam
pour justifier une division de facto et, partant, la sécession des chrétiens du Sud… et des réserves
pétrolières du delta. Une telle partition confessionnelle viserait notamment à se débarrasser de
la charge financière des régions pauvres et sahéliennes du Nord49. À meilleure preuve, la secte de
Mohammed Yusuf s’en prend essentiellement à des musulmans. De plus, elle dessert la cause du Nord
car elle aggrave son retard en matière de développement en interdisant aux croyants de voter, d’aller à
l’école et de postuler à des emplois dans la fonction publique. À en croire certains, le nom Boko Haram
(« L’école est un péché ») serait même une fabrication de la presse et des chrétiens pour dénigrer le
mouvement, qui préfère se faire appeler Jama’atu Ahlis-Sunnah Lidda’awati Wal Jihad. D’aucuns voient
d’ailleurs dans les attentats de la secte la main des services secrets nigérians plus que de l’étranger.
En effet, le mouvement était très infiltré par les State Security Services (SSS) : chargé d’espionner
Mohamed Yusuf, Aliyu Tishau (ou Teshako, selon les orthographes) a ainsi défrayé la chronique parce
qu’il s’est converti à l’Islam et a rejoint Boko Haram avant d’être arrêté par les autorités puis relâché
dans des circonstances encore mal éclaircies en septembre 2011.
Sur place, des observateurs remarquent également que la secte a parfois bénéficié de la complicité
de la police et de l’armée, ce qui a permis à ses militants les plus aguerris de revêtir des uniformes
militaires pour se livrer à des exactions et des viols en vue de discréditer les forces de l’ordre… à moins
que ce ne soit le contraire, quand des soldats ont signé leurs méfaits en prétendant qu’il s’agissait de
Boko Haram ! À dire vrai, il est difficile de savoir si les islamistes ont vraiment réussi à infiltrer l’appareil
sécuritaire de l’État comme le prétend le président Goodluck Jonathan. La thèse d’une connivence
avec les anciens escadrons de la mort de la dictature du général Sani Abacha, qui ont partiellement
réintégré la police, paraît surtout répondre à la stratégie de communication de l’actuel gouvernement,
qui se présente comme démocratique. Mais sur le terrain, les compromis passés avec les militants de
Boko Haram témoignent plutôt de la faiblesse, de la corruption et des dysfonctionnements habituels
de policiers mal équipés et démotivés, notamment en milieu rural. Mohammed Yusuf interdisait
formellement à ses fidèles de travailler pour la police ou l’armée. On voit donc mal par quel tour de
passe-passe doctrinaire les militants de Boko Haram auraient pu justifier une stratégie de pénétration
et d’endoctrinement délibérés des forces de sécurité.
Dans tous les cas, les Nordistes ne manquent pas de souligner que le mouvement de
Mohammed Yusuf a aussi pu servir les intérêts d’Abuja afin de gêner un gouvernement régional aux
mains de l’opposition dans le Borno. À en croire ses détracteurs, le président Olusegun Obasanjo aurait
49. Rappelons à cet égard qu’en 1990, des officiers chrétiens de la Middle Belt, financés par un homme d’affaires évangéliste du
Delta, avaient mené une tentative de coup d’État qui réclamait l’expulsion de la fédération des États septentrionaux de Sokoto,
Katsina, Borno, Kano et Bauchi.
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par exemple dépêché un émissaire spécial, Jerry Gana, pour payer la caution de Mohammed Yusuf et le
faire libérer des geôles où l’avait enfermé le gouverneur Ali Modu Sheriff en 2008. À la même époque, le
chef de l’État aurait également envoyé un avion pour ramener le leader de la secte à Abuja et négocier
un compromis avec lui, un peu comme il l’avait fait avec Asari Dokubo dans le delta fin 200450. Lors des
présidentielles de 2007 et 2011, les troubles du Borno ont ensuite servi de prétexte pour empêcher le
principal candidat de l’opposition, Mohamed Buhari, de poursuivre sa campagne jusqu’à Maiduguri.
Après l’élection de Goodluck Jonathan, encore, la menace islamiste du Nord a dissuadé les rebelles
du delta pétrolifère de reprendre le combat en les ressoudant autour de « leur » président, qui était
lui-même un Ijaw. Aujourd’hui, enfin, la possibilité d’une connexion avec Al-Qaïda et la présence de
Tchadiens ou de Nigériens parmi les insurgés permettent aux politiciens d’Abuja de solliciter l’aide des
Occidentaux, de trouver des boucs émissaires à l’étranger et d’occulter leurs propres responsabilités
dans l’origine profonde de cette révolte sociale. C’est au nom de la lutte contre le terrorisme que le
gouvernement a prévu d’allouer un quart du budget de l’année 2012 aux forces de sécurité : un record
depuis la fin de la dictature militaire en 1999, et la promesse de fructueux contrats51.
VI. Un révélateur du politique
À sa manière, Boko Haram est donc un révélateur du politique : non parce qu’il serait porteur d’un
nouveau projet de société, mais parce qu’il catalyse les angoisses d’une nation inachevée et dévoile
les intrigues d’un pouvoir mal légitimé. La relation de la secte au gouvernement régional du Borno est
particulièrement emblématique à cet égard. À travers un processus d’instrumentalisation (plutôt que
d’assimilation) réciproque, elle témoigne en effet de pratiques politiques que les Nigérians désignent
sous le nom de democrazy et de godfatherism, en référence aux « parrains » mafieux qui tirent les
ficelles dans l’ombre52. Ainsi, les gouverneurs ont l’habitude de recruter des gangs pour éliminer leurs
opposants locaux au moment des élections, que ce soit dans le Sud à dominante chrétienne ou dans
les États musulmans du Nord. Dans les régions septentrionales, par exemple, ils ont utilisé des milices
appelées Yan Daba à Kano, Kawaye à Kaduna, Yan Mage à Katsina, Kalare à Gombe, Tarafuka à Bauchi
et Ecomog dans le Borno et Yobe. Munis de bâtons et d’épées, ces groupes n’ont généralement pas
d’armes à feu. Mais ils peuvent être extrêmement violents et recrutent parfois dans les milieux les plus
conservateurs des étudiants coraniques et des almajirai, à l’instar des Sara-suka (« ceux qui coupent et
tranchent ») à Bauchi et Gombe.
Malgré son rejet d’un État « laïque » et sa profession de foi en faveur de l’établissement d’une
république islamique, Boko Haram a ainsi entretenu des relations pour le moins ambiguës avec les
autorités du Borno. Après avoir accepté en 2000 de participer à un comité officiel en vue d’étendre le
domaine d’application pénal de la charia dans la région, Mohammed Yusuf a notamment négocié un
modus vivendi avec le gouverneur Ali Modu Sheriff à l’approche des élections de 2003. En échange du
soutien de la secte, ce dernier a donné à un fidèle de Boko Haram, Bugi Foi, le portefeuille du ministère
des Affaires religieuses, qui allait être restructuré en 2005. Mais l’accord n’a pas tenu longtemps.
Soucieux de sa réputation, Mohammed Yusuf avait lui-même refusé d’entrer dans le gouvernement
régional du Borno et il s’est rapidement querellé avec Ali Modu Sheriff à propos des modalités
d’application de la charia. De fait, les autorités locales ont surtout cherché à utiliser l’Islam comme un
50. Accusé par la police d’avoir cherché à recruter des terroristes et reçu des financements d’Al-Qaïda au Pakistan, Mohammed Yusuf
a en fait été arrêté à deux reprises, en 2007 et 2008, et à chaque fois acquitté par les juges d’Abuja, faute de preuves.
51. Rappelons à cet égard que la junte du général Sani Abacha avait également créé une agence de lutte contre le terrorisme afin de
liquider ses opposants.
52. Marc-Antoine Pérouse de Montclos, Vers un nouveau régime politique en Afrique subsaharienne ? Des transitions démocratiques
dans l’impasse, Paris, Études de l’IFRI, 2009.
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argument de campagne. Après le départ de Bugi Foi, Boko Haram a alors recyclé une partie des jeunes
miliciens Ecomog, lâchés après le scrutin de 200353.
De ce point de vue, les modalités d’insertion de la secte dans la politique politicienne du Nigeria ne
diffèrent pas fondamentalement de la trajectoire d’autres mouvements insurrectionnels dans le Sud
à dominante chrétienne, à l’instar de la Niger Delta People’s Volunteer Force (NDPVF) d’Asari Dokubo
après les élections de 2003 et sa brouille avec le gouverneur du Rivers, Peter Odili. Dans le Nord, les
élus qui ont voulu recruter des gangs et utiliser la charia pour se débarrasser des oppositions locales
et promouvoir leur propre carrière ont en fait créé des monstres incontrôlables qui ne sont pas sans
rappeler la dérive xénophobe des « milices » ethno-nationalistes du delta et du pays ibo ou yorouba. En
effet, ils ont permis aux religieux d’interférer dans le champ politique et de contester au nom de Dieu
les décisions prises par les gouverneurs des États appliquant le droit coranique. En outre, ils ont fourni
des armes, au sens littéral comme figuré, à des groupes qui contestaient l’ordre établi tout en frayant
avec une partie de l’élite, à l’instar du gouverneur de Yobe, Bukar Abba Ibrahim, dont le fils est mort au
combat dans les rangs des « talibans » en 2004.
Certes, le mouvement Boko Haram se distingue d’autres organisations rebelles comme l’OPC, le
MASSOB et le MEND car il ne tient pas de discours ethniques, autonomistes ou sécessionnistes. Mais
sa revendication en faveur d’une application intégrale de la charia au niveau national n’est absolument
pas envisageable pour le Sud à dominante chrétienne. Elle revient donc à entériner de facto l’idée d’une
séparation avec le Nord musulman. Le problème n’est d’ailleurs pas nouveau. Dès 1976, la demande de
création d’une Cour d’appel de la charia avait ainsi répondu au besoin du Nord d’affirmer son identité
culturelle par opposition à la domination économique du Sud54. Au sortir de la dictature militaire du
général Sani Abacha, qui était d’origine kanouri, les musulmans ont ensuite eu le sentiment de perdre
le pouvoir politique avec l’élection en 1999 d’un président chrétien et yorouba, Olusegun Obasanjo, qui
s’est empressé de reprendre en main une armée autrefois dominée par les Haoussa et certains peuples
de la ceinture centrale du pays, la Middle Belt. La demande d’extension du domaine pénal de la loi
coranique a alors permis aux États du Nord de revendiquer leur autonomie en testant la solidité et la
flexibilité du système fédéral, quitte à prendre en otage leurs minorités chrétiennes afin de négocier des
concessions auprès du gouvernement à Abuja55. La milice islamiste Hisba, qui n’est pas rattachée à un
courant islamiste en particulier, a par exemple été créée et soutenue par le gouverneur de Kano en vue de
contester la mainmise du pouvoir central sur les affaires de police au niveau local56. De façon significative,
les mouvements qui nourrissaient des velléités sécessionnistes dans le Sud ont eux-mêmes interprété
l’agitation en faveur de la charia comme une revendication d’émancipation des musulmans du Nord57.
Dans un contexte de cristallisation des tensions politiques autour des appartenances confessionnelles,
la dérive terroriste de Boko Haram a également ravivé le spectre jihadiste d’une guerre sainte qui, dans
l’imaginaire post-colonial du Nigeria, renvoie directement à l’histoire de la création du califat de Sokoto
et de la conquête peule d’Ousman dan Fodio jusqu’aux marches de l’empire yorouba d’Oyo au xixe siècle.
53. Parmi ces derniers se trouvait par exemple Ali Sanda Umar Konduga. Surnommé « Usman Al-Zahawari », celui-ci a finalement été
arrêté et a avoué qu’il travaillait pour le compte d’un sénateur de la circonscription du Borno Sud, Ali Ndume, qui avait rejoint le PDP
parce qu’il s’était disputé avec Ali Modu Sheriff et qu’il n’avait pas réussi à gagner les primaires de l’ANPP en vue d’être le candidat
du parti aux élections régionales de 2011.
54. David Laitin, « The Sharia debate and the origins of Nigeria’s Second Republic », Journal of Modern African Studies, vol. 20, n°3,
1982, pp. 411-430.
55. Johannes Harnischfeger, Democratization and Islamic Law: The Sharia Conflict in Nigeria, Francfort, Campus Verlag, 2008, p. 127 ;
Sanusi Lamido Sanusi, « Politique et Charia dans le Nord du Nigeria », in René Otayek, Benjamin Soares (dir.), Islam, État et société
en Afrique, Paris, Karthala, 2009, p. 287 ; Philip Ostien, « Ten Good Things about the Implementation of Shari‘a in Some States of
Northern Nigeria », Swedish Missiological Themes, vol. 90, n°2, 2002, pp. 163-174.
56. Six autres États du Nord Nigeria se sont d’ailleurs dotés de pareilles milices, dont certaines ont un statut d’ONG. Cf. Rasheed Olaniyi,
« Charia, groupes d’autodéfense et gouvernement local à Kano (Nigeria) », in Claire Bénit-Gbaffou, Seyi Fabiyi, Elisabeth Peyroux
(dir.), Sécurisation des quartiers et gouvernance locale : enjeux et défis pour les villes africaines (Afrique du Sud, Kenya, Mozambique,
Namibie, Nigeria), Paris, Karthala, 2010, pp. 303-322.
57. Voir par exemple la position d’un leader de l’OPC à ce sujet : Michael Ogbeidi (dir.), Leadership Challenge: Gani Adams and the
Oodua People’s Congress, Lagos, Publishers Express, 2005, p. 168.
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En réalité, l’islamisation de la région a surtout suivi les chemins du négoce à partir du xie siècle, plus que
des raids et de l’esclavage58. Dans la Middle Belt, elle a également pu recouper les logiques d’expansion
de corporations professionnelles59. Relayées par le puissant lobby de la Christian Association of Nigeria
(CAN), les craintes des chrétiens du Nigeria n’en ont pas moins réveillé le fantasme d’une islamisation
forcée, notamment dans la région du Plateau60. De fait, les déclarations intempestives de certains groupes
fondamentalistes ont alimenté la peur. Officiellement chargée de maintenir l’ordre moral et de veiller
au respect de la charia, la milice Hisba s’est par exemple vantée d’avoir converti 565 personnes rien qu’à
Kano entre 2004 et 200661. Dans le Sud, des extrémistes à la tête de mouvements de lutte armée ont
par ailleurs puisé leurs références dans un Islam radical. À Port Harcourt, Asari Dokubo, un converti, s’est
réclamé du modèle révolutionnaire iranien et a nommé son fils Oussama en hommage à qui l’on sait62.
À Lagos, le leader de la faction la plus dure de l’OPC, Ganiyu Adams, a quant à lui été éduqué dans une
école secondaire de la société Ansar Ud Deen et son hagiographe l’a comparé à l’ayatollah Rouhollah
Khomeini parce que celui-ci n’avait pas non plus suivi d’études universitaires63 !
VII. Une radicalisation en guise d’islamisation ?
La poussée de l’Islam n’est pourtant pas évidente dans un pays dont les recensements évitent
soigneusement de poser des questions sur les appartenances confessionnelles. Les musulmans du Nord
reprochent en l’occurrence au colonisateur d’avoir bloqué l’expansion de l’Islam sahélien vers la mer,
pendant que les chrétiens du Sud accusent les Britanniques d’avoir délibérément favorisé l’aristocratie
haoussa-peule du califat de Sokoto64. Réalisés juste avant et après l’indépendance, les deux derniers
recensements comprenant des données confessionnelles livrent en fait des résultats surprenants
puisqu’ils montrent une légère diminution de la proportion de musulmans à l’échelle du Nigeria –
de 47,4 % de la population en 1953 à 47,2 % en 1963. Entre-temps, le pourcentage de chrétiens a
sensiblement progressé – de 21,1 % à 34,3 % – essentiellement au détriment des religions traditionnelles.
À l’époque, la région Ouest était en fait la seule où le nombre de musulmans avait proportionnellement
augmenté, mais à un rythme bien moindre que chez les chrétiens. Même le Nord avait vu sa proportion
de musulmans diminuer face à l’arrivée massive de migrants du Sud65. La baisse est d’autant plus
significative que le recensement de 1963 est réputé avoir été manipulé en gonflant les chiffres de la
population du Nord66.
Depuis lors, les hypothèses en la matière ont essentiellement relevé de l’extrapolation ou de la
spéculation, avec des proportions de musulmans oscillant entre 47 % en 1978, 48 % en 1997 et 50 % en
200767. Bien entendu, les religieux s’en sont mêlés en manipulant les chiffres dans un sens comme dans
58. Alhadji Bouba Nouhou, Islam et politique au Nigeria : genèse et évolution de la chari’a, Paris, Karthala, 2005.
59. Elizabeth Isichei (dir.), Studies in the History of Plateau State, Nigeria, Londres, Macmillan, 1982.
60. Sachant que le diable se cache dans les détails, des évangélistes s’inquiètent par exemple des couleurs blanche et verte du drapeau
nigérian. Conçu en 1959, celui-ci est censé évoquer la paix et l’abondance des ressources forestières du pays. Mais les fondamentalistes
chrétiens y voient désormais une menace cachée à travers la couleur verte de l’Islam. Pour dénoncer les « plans secrets » des musulmans,
ils recourent par ailleurs à des sortes de Protocoles des sages de Sion et invoquent souvent une littérature américaine engagée,
notamment un livre que je n’ai pas pu consulter : Edwin et Jody Mitchell, The Two Headed Dragon of Africa, Santa Fe, Josiah Pub., 1991.
61. Rasheed Olaniyi, Hisba and the Sharia Law Enforcement in Metropolitan Kano, Zaria, IFRA, polycop., 2009, p. 15.
62. Marc-Antoine Pérouse de Montclos, « Conversion to Islam and Modernity in Nigeria: A View from the Underworld », Africa
Today, vol. 54, n°4, 2008, pp. 71-87.
63. Olugbenga Onasanya, « Who is Gani Adams? A Biographical Sketch », in Michael Ogbeidi (dir.), Leadership Challenge: Gani Adams
and the Oodua People’s Congress, Lagos, Publishers Express, 2005, pp. 72-74.
64. Isidore Nwanaju, Christian-Muslim Relations in Nigeria, Lagos, Free Enterprise, 2005, p. 4.
65. Philip Ostien, Percentages By Religion of the 1952 and 1963 Populations of Nigeria’s Present 36 States, Oxford, Nigeria Research
Network Background Paper n°1, 2012.
66. Ita Inyang Ekanem, The 1963 Nigerian Census: A Critical Appraisal, Benin City, Ethiope Publishing Corporation, 1972.
67. Alford Welch, « Islam », in John Hinnells (dir.), A Handbook of Living Religions, Harmondsworth, Peguin, 1991, pp. 164-165 ;
John Owhonda, Nigeria: A Nation of Many Peoples, Parsippany (N.J.), Dillon Press, 1998, pp. 6-7 ; John Paden, Faith and Politics in
Nigeria: Nigeria as a Pivotal State in the Muslim World, Washington D.C., United States Institute of Peace Press, 2008.
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l’autre. Dans un de ses pamphlets, la CAN affirmait par exemple que 60 % de la population était chrétienne
et que le recul de l’Islam avait précisément conduit les musulmans à engager une « guerre sainte » pour
contre-attaquer68. Lors d’un séminaire tenu en 1977, des représentants de l’Islam prétendaient quant à
eux que 75 % des Nigérians étaient musulmans, alors même que leurs élus allaient s’avérer minoritaires
dans les assemblées constituantes de 1979 et 198969. À défaut d’un véritable recensement confessionnel,
les chercheurs n’ont guère été plus convaincants en la matière. Dans un même article, le professeur
François-Georges Dreyfus soutenait ainsi que les musulmans du Nigeria étaient devenus majoritaires
et qu’ils représentaient désormais 40 % de la population, sans craindre la contradiction et sans préciser
son mode de calcul70. Tablant sur une « instauration » de la charia en 1999, plutôt que sur une extension
de son domaine d’application pénal, il en tenait pour preuve la multiplication des confréries. D’autres
se sont pour leur part inquiétés de la multiplication des mosquées et des ONG islamiques71. Mais dans
ce dernier cas, l’augmentation du nombre d’associations ne permet pas de conclure à une poussée du
fondamentalisme et montre surtout que les musulmans ont investi un créneau autrefois dominé par les
chrétiens. Le constat est assez rassurant car les ONG symbolisent la « société civile » telle que définie
par la modernité occidentale et sont devenues des outils assez conventionnels de lobbying sur la scène
politique intérieure et internationale72. Quant à la multiplication des mosquées et des confréries, elle
témoigne tout aussi bien d’une fragmentation et d’un affaiblissement de l’Islam, de la même manière
que le foisonnement des églises évangéliques participe d’un éclatement de la chrétienté73.
Dans tous les cas, il convient assurément de pondérer la « poussée » de l’Islam nigérian par les
avancées d’un christianisme qui est lui aussi en pleine expansion, notamment grâce au succès des Églises
pentecôtistes. Aujourd’hui, les phénomènes de conversion d’une religion à l’autre restent en fait limités
et très rarement contraints, au Sud comme au Nord. Les tentatives de prosélytisme des musulmans, en
l’occurrence, ne sont pas l’apanage des islamistes « modernes ». Les confréries soufies traditionnelles
ne sont pas en reste et les jeunes Tijani de Fityan al-Islam (« Héros de l’Islam ») se sont par exemple
vantés d’avoir converti une dizaine de milliers d’habitants du Plateau au cours des dernières années74.
À l’indépendance, le gouvernement de la région Nord a pour sa part entrepris une campagne officielle
de da’wa (conversion), brutalement interrompue par le coup d’État militaire de 1966. Dans le Sud, les
conversions à l’Islam ont en revanche résulté d’initiatives personnelles75. Au sortir de la guerre du Biafra,
quelques Ibo ont décidé de devenir musulmans pour négocier leur insertion dans le camp victorieux
et se placer sous la protection des soldats haoussa restés en poste dans l’ancienne région Est76. Selon
le chercheur pakistanais Abdur Rahman Doi, ils étaient moins de 4 000 au début des années 198077.
Dans le Nord, des migrants chrétiens ibo ont également choisi de devenir musulmans pour accéder aux
marchés et aux réseaux commerçants de la communauté haoussa78. À certains égards, leur démarche
68. Jan Harm Boer, Studies in Christian-Muslim Relations. Christian: Why this Muslim Violence?, op. cit., pp. 22, 248.
69. Joseph Kenny, « Sharia and Christianity in Nigeria: Islam and a ‘Secular’ State », Journal of Religion in Africa, vol. 26, n°4, 1996, p. 360.
70. François-Georges Dreyfus, « Religion et politique en Afrique subsaharienne », Géostratégiques, n°25, octobre 2009, pp. 57-68.
71. Mohamed Mohamed Salih, « Islamic NGOs in Africa », in Alex de Waal (dir.), Islamism and its Enemies in the Horn of Africa,
Londres, Hurst, 2004, p. 157.
72. Marc-Antoine Pérouse de Montclos, « Les ONG humanitaires islamiques en Afrique : une menace ou un bienfait ? », Sécurité
globale, n°16, pp. 9-19. Dans le cas du Nigeria, voir aussi John Lucas, « The State, Civil Society and Regional Elites: A Study of Three
Associations in Kano, Nigeria », African Affairs, vol. 93, n°370, 1994, pp. 21-38.
73. Marc-Antoine Pérouse de Montclos, « L’islamisation de l’Afrique noire : un jugement à nuancer », Débats (Courrier d’Afrique de
l’Ouest), n°46-47, juillet 2007, pp. 57-60.
74. Philip Ostien, A Survey of the Muslims of Nigeria’s North Central Geo-political Zone, op. cit., p. 17.
75. Sur la conversion soudaine du village d’Anohia dans la région d’Afikpo en 1958, après le retour d’un migrant ibo devenu riche
et musulman en voyageant à l’étranger, voir Simon Ottenberg, « A Moslem Igbo Village », Cahiers d’études africaines, vol. 11, n°42,
1971, pp. 231-260.
76. Umar Birai, « Islamic Tajdid and the Political process in Nigeria », in Martin Marty, Scott Appleby (dir.), Fundamentalisms and the
State: Remaking Polities, Economies, and Militance, Chicago, University of Chicago Press, 1993, p. 185 ; Egodi Uchendu, « Being Igbo
and Muslim: The Igbo of South-Eastern Nigeria and the Conversions to Islam, 1930 to Recent Times », The Journal of African History,
vol. 51, n°1, 2010, pp. 63-87.
77. Abdur Rahman Doi, Islam in Nigeria, Zaria, Gaskiya Corporation, 1984, p. 182.
78. Douglas Anthony, « Islam does not belong to them: Ethnic and Religious Identities among male Igbo converts in Hausaland »,
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n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle des Ibo qui revendiquent une origine juive afin d’obtenir des visas
pour Israël79. Mais le déterminant de ces conversions est souvent économique, quoi qu’il en soit des
convictions personnelles et des formes d’interactions religieuses80. Parfois, il apparaît même que les
efforts de prosélytisme sont syncrétiques. Pour répondre à la concurrence des « born again » et des
Églises du Réveil, les Yorouba musulmans du Sud ont ainsi adopté les méthodes des évangélistes : ils
invoquent une théologie de la prospérité, prônent la réussite individuelle, établissent des cités célestes,
organisent des camps de prière, tiennent des veillées de nuit et célèbrent le jour du seigneur le dimanche
plutôt que le vendredi. Les emprunts, en l’occurrence, sont réciproques et datent en réalité du début
du xxe siècle, quand les mosquées s’inspirent de l’architecture des églises pendant que les autels de la
secte chrétienne des Aladura sont peints en blanc en imitant le modèle des lieux de culte musulmans81.
Sur le long terme, l’islamisation du Nigeria est davantage susceptible de provenir d’une « bombe à
retardement » démographique, et non d’un prosélytisme agressif. Selon les données du recensement
de 2006, le taux de croissance de la population des États du Nord est à peu près équivalent à celui du
Sud. À en croire certains observateurs, il est en outre possible que le nombre d’habitants des zones
sahéliennes ait été gonflé car il conditionne en partie le calcul du montant du budget fédéral qui
est redistribué aux régions. Mais les enquêtes de santé publique montrent que le taux de fécondité
des États du Nord-Est et du Nord-Ouest, qui tourne autour de sept enfants par femme en âge de
procréer, est bien supérieur à celui du Sud, qui est inférieur à cinq82. À terme, il se pourrait donc que
le Nigeria devienne avec l’Indonésie le premier pays musulman du monde si l’on suit les projections
de l’Institut national d’études démographiques (INED) au-delà de 2050. Certes, il n’y a pas lieu ici de
spéculer sur l’évolution des répartitions confessionnelles à l’intérieur même des frontières nationales.
Notons simplement que ce différentiel de fécondité est sans doute dû à l’amorce d’une révolution
démographique qui commence à toucher les grandes villes du Sud mais pas encore les campagnes du
Nord. Si les Nigérians ne sont pas les derniers à questionner l’influence de la polygamie et de la religion
sur les comportements sexuels, il convient surtout de ne pas confondre l’éventualité d’une islamisation
« douce » avec un processus de radicalisation de l’Islam.
En effet, une certaine littérature engagée a beaucoup glosé sur ce qui était présenté comme une
« introduction » de la charia en 1999, alors qu’il s’agissait d’une extension du domaine d’application
pénal de la loi coranique83. Rappelons à cet égard qu’auparavant, les 19 États de l’ancienne région
Nord avaient chacun maintenu une cour d’appel pour les affaires civiles relevant de la charia84. Depuis
1999, la nouveauté a surtout consisté à établir des tribunaux pénaux coraniques de première instance
dans 12 États sahéliens. Aujourd’hui, il est de bon ton de souligner que l’application de la charia était
plus « humaine » et « civilisée » du temps de la colonisation britannique, qui en avait banni les peines
les plus cruelles, comme les mutilations, les crucifixions et les lapidations. Dans le Nord Nigeria, la loi
islamique n’en a pas moins été une des plus strictes de l’empire, avec Aden85. Jusqu’à la fin des années
1940, en outre, les tribunaux coraniques de l’époque traitaient aussi d’affaires criminelles, à tel point
Africa, vol. 70, n°3, pp. 422-441.
79. Les mythes à ce sujet sont en l’occurrence alimentés par les historiens du cru. Voir par exemple Onwukwe Alaezi, Ibos: Hebrew
Exiles from Israel. Amazing Facts and Revelations, Aba, Onzy Publications, 1999 ; Ik Ogbukagu, The Igbo and the Riddles of their
Jewish Origins, Enugu, Chobikate, 2001.
80. Murray Last, « Some Economic Aspects of Conversion in Hausaland (Nigeria) », in Nehemia Levtzion (dir.), Conversion to Islam,
New York, Holmes & Meier, 1979, pp. 236-246.
81. John David Yeadon Peel, « Un siècle d’interactions entre Islam et christianisme dans l’espace yorouba », Politique africaine, n°123,
octobre 2011, pp. 27-50 ; Humphrey Fisher, « Independency and Islam: The Nigerian Aladuras and Some Muslim Comparisons », The
Journal of African History, vol. 11, n°2, 1970, pp. 269-277.
82. National Population Commission, Nigeria Demographic and Health Survey 2008, Abuja, Federal Republic of Nigeria, 2008, p. 54.
83. Pour une analyse de cette confusion, voir Marc-Antoine Pérouse de Montclos, « Le Nigeria à l’épreuve de la ‘sharia’ », Études
vol. 394, n°2, 2001, pp. 153-164.
84. Les États de la Benue et du Plateau se partageaient en l’occurrence une même cour d’appel coranique. Cf. Philip Ostien,
Albert Dekker, « Sharia and National Law in Nigeria », in Jan Michiel Otto (dir.), Sharia Incorporated: A Comparative Overview of the
Legal Systems of Twelve Muslim Countries in Past and Present, Leiden, Leiden University Press, 2010, p. 578.
85. James Norman Dalrymple Anderson, Islamic Law in Africa, Londres, Her Majesty Stationery Office, 1954, p. 11.
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qu’ils avaient trouvé le moyen de condamner à mort un non musulman86. À présent, les aspects pénaux
de la charia n’ont force de loi que pour les musulmans et, concrètement, sont peu appliqués si l’on en
juge par le nombre de sentences rendues et exécutées.
À partir de 1999, l’extension du droit coranique aux règles de conduite dans la vie publique a certes
eu des conséquences pour les chrétiens du Nord, par exemple en ce qui concerne la prohibition de
l’alcool, la façon de s’habiller ou la séparation des sexes dans les transports. Auparavant, les minorités
de la région se plaignaient déjà de discriminations quand les tribunaux islamiques rejetaient leurs
demandes de permis de construire et tranchaient systématiquement les conflits fonciers en faveur
des musulmans. Depuis lors, elles ont aussi le sentiment que la charia a ravivé la stigmatisation des
« mécréants » (arne ou kafiri). Mais si les chrétiens du Nord se plaignent d’être considérés comme des
citoyens de seconde classe, c’est surtout à cause des lois de discrimination positive qui privilégient
l’emploi des autochtones, notamment dans la fonction publique. En l’occurrence, ce n’est pas tant la
charia que le système fédéral qui instaure effectivement un traitement différencié des habitants suivant
leur lieu de naissance. Il n’est d’ailleurs pas anodin que, parmi de nombreuses recommandations, le
comité dirigé par l’ambassadeur Usman Galtimari pour résoudre la crise de Boko Haram ait proposé
fin 2011 de suivre le modèle du gouverneur de Sokoto, qui a supprimé les dispositions favorisant les
autochtones et pénalisant les citoyens originaires d’autres États du Nigeria87. Sous prétexte de permettre
aux régions les plus pauvres de rattraper leur retard de développement, de telles discriminations privent
la fonction publique territoriale de personnels compétents et exacerbent les tensions sociales88.
En fait d’islamisation du champ judiciaire et politique du Nord Nigeria depuis 1999, on a ainsi assisté
à une politisation des questions religieuses. Telle qu’elle a été mise en œuvre, la charia n’avait aucune
chance de déboucher sur un modèle saoudien d’État totalitaire complètement régi par l’Islam. Depuis
1999, aucune peine de mort ou de lapidation n’a jamais été appliquée au nom de la loi coranique89.
En fonction de leurs intérêts du moment, les politiciens locaux ne se sont d’ailleurs pas privés de
contourner la charia, notamment sur la question des condamnations pour apostasie. Le cas du colistier
de Muhammadu Buhari au moment des élections présidentielles de 2011 a déjà été mentionné.
Mais on pourrait aussi évoquer Adams Oshiomhole, le gouverneur de l’Edo depuis 2008 et un ancien
syndicaliste né musulman, converti à la chrétienté et jamais inquiété par les fondamentalistes du temps
où il vivait à Kaduna.
D’une manière générale, il convient de ne pas exagérer la portée révolutionnaire de l’extension
du domaine pénal de la charia au sortir de la dictature militaire en 1999. Tant les milieux paysans
que les élites urbaines ont exprimé de fortes réticences à l’encontre d’une radicalisation des pratiques
islamiques traditionnelles90. Quant à l’aristocratie haoussa-peule, elle s’est toujours montrée hostile
à l’application d’une charia susceptible de remettre en cause des principes de succession héréditaire
et un système féodal d’exploitation des masses91. Les débats des intellectuels musulmans ont été
significatifs à cet égard. Effarés par le sous-développement structurel de leur région, beaucoup ont en
effet souligné la nécessité de moderniser la loi coranique plutôt que de la durcir. L’actuel gouverneur
86. La sentence rendue en 1947 ne fut jamais exécutée, pas plus que ne furent appliquées les deux peines de lapidation qui
mobilisèrent tant les ONG internationales en 2002-2003. Le conflit de droit de 1947 obligea finalement les Britanniques à restreindre
en 1956 l’application pénale de la charia aux seuls musulmans. Cf. Alhadji Bouba Nouhou, « Islam et politique au Nigeria : du
malikisme au wahhabisme », Afrique contemporaine, n°201, 2002, p. 74.
87. Le gouvernement est censé publier ce rapport.
88. Le problème vaut bien entendu pour les régions où les chrétiens sont majoritaires. Du temps des dictatures militaires, par
exemple, le Plateau avait été administré par des militaires qui étaient accusés de favoriser les musulmans. Après le retour au pouvoir
des civils en 1999, les autochtones chrétiens de la région ont donc voté pour des gouverneurs clairement engagés dans un discours
offensif à l’égard de l’Islam, à l’instar de Jonah Jang, un Birom élu en 2007. Dans le même ordre d’idées, ils ont pris le contrôle du
conseil municipal des banlieues nord de Jos, où se concentrent les musulmans de la ville. Le système fédéral de discrimination
positive leur a alors permis d’accaparer les meilleurs postes et d’en exclure les « étrangers » qui n’étaient pas chrétiens. Le procédé
n’est pas pour rien dans les violences interconfessionnelles qui ont régulièrement ensanglanté la région à partir de 2001.
89. Philip Ostien (dir.), Sharia Implementation in Northern Nigeria 1999-2006: A Sourcebook, Ibadan, Spectrum Books, 5 vol., 2007.
90. Murray Last, « La charia dans le Nord-Nigeria », Politique africaine, n°79, 2000, pp. 141-152.
91. Mallam Lawan Danbazau, Politics and Religion in Nigeria, Kaduna, Vanguard, 1991, p. 58.
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de la Banque centrale, Sanusi Lamido Sanusi, a notamment critiqué la vision fondamentaliste d’une
charia qui excluait les femmes et aggravait les inégalités sociales en introduisant des peines plus
sévères à l’encontre des crimes avec violence commis par des pauvres92. De façon assez étonnante, des
personnalités aussi opposées qu’Ibrahim el-Zakzaky et Abdullahi Ahmed An-Na‘im ont finalement pu
arriver à des conclusions similaires quant à l’impossibilité d’établir une théocratie au Nigeria. Partisan
du modèle révolutionnaire iranien, le premier a dû admettre les limites d’un projet politique religieux
dans un cadre fédéral. Proche des Frères républicains soudanais de Mahmoud Mohammed Taha, qui
avait été condamné pour apostasie et pendu par la junte de Khartoum en 1985, Abdullahi Ahmed AnNa‘im a quant à lui rappelé qu’historiquement, la codification de la jurisprudence coranique s’était faite
indépendamment de l’État et n’avait pas eu besoin du relais des pouvoirs publics pour se développer
pendant les trois premiers siècles de l’Islam93. Selon lui, la charia aurait donc gagné à être diffusée
sur une base volontaire et consensuelle (ijma‘), plutôt qu’en étant imposée officiellement par les
gouverneurs du Nord Nigeria.
Au sortir de la dictature militaire en 1999, l’adhésion populaire à un modèle islamique intégriste
a ainsi été moins massive qu’il n’y paraissait au premier abord du fait de la pression sociale et de la
crainte de l’anathème. De plus, la mise en œuvre pénale de la loi coranique a vite déçu les pauvres
qui y voyaient un moyen d’endiguer la corruption, de limiter les abus des riches et de redistribuer
les ressources plus équitablement. Au terme de leur mandat, les gouverneurs Attahiru Bafarawa,
Sani Yerima et Saminu Turaki, qui s’étaient respectivement chargés d’appliquer la charia dans les États
de Sokoto, Zamfara et Jigawa, ont par exemple été poursuivis devant les tribunaux pour détournements
de fonds et diverses malversations. En matière de justice sociale, le désenchantement à l’égard de
la loi coranique n’a finalement rien eu à envier aux désillusions qui ont suivi le retour des civils au
pouvoir dans un cadre prétendument démocratique. Un tel contexte invite plutôt à reconsidérer la
perspective d’une islamisation à travers une secte, Boko Haram, dont certains vont jusqu’à nier le
caractère musulman.
VIII. De la différence entre violences « religieuse » et « interconfessionnelle »
Il convient ainsi de s’interroger sur l’hypothèse d’une radicalisation de l’Islam au Nigeria. Au-delà
de sa dérive terroriste et du caractère inédit de ses attentats-suicides, Boko Haram n’a sûrement pas été
aussi mortifère que la révolte Maitatsine, qui avait fait plus de 4 000 morts rien qu’à Kano en 198094. À
bien des égards, la radicalisation des revendications islamiques de la secte s’apprécie plutôt en termes
de contenu et non d’intensité de la violence. Il importe cependant d’en relativiser la portée politique. Si
le retour à un régime parlementaire a dévoilé la politisation du religieux, la demande de charia était déjà
très virulente du temps des dictatures militaires95. De plus, l’instrumentalisation politique de l’Islam par
la classe dirigeante du Nord Nigeria n’a rien de nouveau en tant que telle96. Historiquement, il convient
en outre de souligner qu’au Nigeria, les mouvements islamistes ont tous fini par rentrer dans le rang.
92. Sanusi Lamido Sanusi, « The West and the Rest. Reflections on the Intercultural Dialogue about Shariah », op. cit., pp. 251-274.
93. Abdullahi Ahmed An-Na‘im, « The Future of Shariah and the Debate in Northern Nigeria », in Philip Ostien, Jamila Nasir,
Franz Kogelmann (dir.), Comparative Perspectives on Shariʿah in Nigeria, op. cit, p. 333.
94. Pour un récapitulatif des violences communautaires et sectaires du Nord Nigeria entre 1980 et 2002, voir Enoch Oyedele, « A
Historical Survey of the Causes, Nature, Patterns, Contexts, and the Consequences of Violent Communal Conflicts in Nigeria in the
20th Century », in Joel Dada (dir.), Issues in History and International Studies: Essays in Honour of Professor David Sarah Momoh
Koroma, Makurdi, Aboki Publishers, 2007, pp. 133-138.
95. Pour une mise en résonance des deux dernières décennies, voir Adigun Agbaje, « Travails of the secular state: Religion, politics
and the outlook on Nigeria’s third republic », The Journal of Commonwealth & Comparative Politics, vol. 28, n°3, 1990, pp. 288-308 ;
Rotimi Suberu, « The Sharia Challenge: Revisiting the Travails of the SecularState », in Wale Adebanwi, Ebenezer Obadare, (dir.),
Encountering The Nigerian State, Basingstoke, Palgrave, 2010, pp. 217-241.
96. Jonathan Reynolds, The Time of Politics. Zamanin Siyasa: Islam and the Politics of Legitimacy in Northern Nigeria, 1950-1966, San
Francisco, International Scholars Publ., 1998.
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Ainsi, il faut se rappeler que même une confrérie aussi bien établie que la Qadiriyya avait, à l’origine, une
vocation révolutionnaire au moment du jihad d’Ousman dan Fodio. C’est la colonisation britannique qui a
achevé de l’institutionnaliser après le départ des derniers irréductibles du califat de Sokoto, partis en exil
au Soudan sans combattre, en se référant à la fuite du Prophète à Médine97. Les mouvements islamistes
apparus depuis l’indépendance ont également connu des processus d’assimilation qui ont atténué la
portée de leurs revendications réformistes. Sous la coupe de Cheikh Abdullahi Bala Lau, les Izala sont
aujourd’hui bien représentés dans les instances gouvernementales du Nord. Quant à Ibrahim el-Zakzaky,
maintes fois emprisonné et un moment très isolé du fait de ses positions extrémistes, il a dû se rallier à
l’idée d’appliquer la charia dans un État fédéral séculaire, sous peine de perdre ses derniers fidèles en
allant contre le sens de l’histoire au sortir de la dictature militaire en 199998.
De ce point de vue, il se pourrait que le « canal historique » de Boko Haram finisse aussi par
trouver un jour sa place sur l’échiquier politique et religieux du Nigeria. Si l’on veut bien admettre
que la radicalisation de l’Islam ne se limite pas à des attentats terroristes, il est en revanche difficile
de savoir en quoi la secte serait plus extrémiste et fanatique que ses prédécesseurs. Sa capacité à
développer des ramifications internationales et à interférer dans les affaires gouvernementales n’est
pas exceptionnelle en soi. A priori, Boko Haram semble plutôt affaiblir et diviser les forces politiques
et religieuses des musulmans du Nord. Cependant, la secte est également en train de susciter une
certaine unanimité contre elle. Dans les années 1970, l’émergence des Izala avait en l’occurrence obligé
les confréries soufies à taire leurs rivalités. Au cours de la décennie suivante, l’insurrection Maitatsine
a ensuite poussé les clercs musulmans à se regrouper sous l’égide d’un Conseil des Oulémas créé en
1986. Aujourd’hui enfin, la réunification des deux factions Izala n’est pas anodine. La mort du leader de
la faction « Saddam » de Kaduna, cheikh Musa Maigandu, n’y est sans doute pas pour rien99. Mais le
défi que représente la secte de Mohammed Yusuf a certainement poussé les Izala à se réconcilier sous
la houlette de la faction « Bush » de Jos.
De fait, la situation a contraint les différents courants de l’Islam nigérian à formuler ensemble des
réponses cohérentes à la double menace de Boko Haram et de la lutte contre le terrorisme. L’objectif
était en l’occurrence de contenir la déviance doctrinale de la secte et les velléités d’interférence du
gouvernement, qui souhaite à présent réguler et encadrer plus strictement les prêches à la mosquée
et les enseignements dispensés dans les écoles coraniques. Réunis en « conclave », des clercs
musulmans de diverses tendances ont ainsi commencé par rappeler que l’Islam condamnait le suicide
et approuvait l’emploi de la force en cas d’autodéfense100. À ce titre, estimaient-ils, les soldats et
les policiers musulmans tués par Boko Haram pouvaient être considérés comme des martyrs parce
qu’ils cherchaient à protéger la communauté des croyants. Partant, les représentants des principales
écoles de pensée de l’Islam nigérian ont donc légitimé les forces de l’ordre d’un État séculaire. Autre
effet paradoxal et rassembleur, Boko Haram a aussi obligé les clercs musulmans à se retrouver autour
de valeurs qui transcendaient leurs divergences théologiques101. On a alors assisté à de curieux
rapprochements, par exemple entre les Tijani et les « chiites » pour célébrer en commun la fête
(maulud) de l’anniversaire de la naissance du Prophète102.
97. Muhammad Sani Umar, Islam and Colonialism: Intellectual Responses of Muslims of Northern Nigeria to British Colonial Rule,
Leiden, Brill, 2006.
98. Notons qu’Ibrahim el-Zakzaky était lui-même contesté de l’intérieur par un dissident de la mouvance « chiite », Cheikh
Muhammad Nura Dass, qui est parti en 1992 pour établir sa propre fondation, Rasulul Aazam. Plus modéré, celui-ci ne conteste pas
la nature séculaire de l’État nigérian.
99. En 1991, celui-ci avait en l’occurrence condamné l’intervention de l’armée américaine et de George Bush en Irak. Il s’était alors
opposé à la faction « Bush » de Jos, qui avait refusé de soutenir Saddam Hussein, un mauvais musulman et un dictateur accusé
d’avoir envahi un autre pays musulman, à savoir le Koweït.
100. Da’wah Coordination Council of Nigeria, The “Boko Haram” Tragedy: Responses to 26 of the most commonly asked questions
regarding the “Boko Haram” crisis and tragedy, Minna, DCCN, 2009.
101. Seules les tensions entre les Izala et les confréries traditionnelles restent particulièrement vives. En effet, les premiers continuent
de vilipender les soufis comme des infidèles du fait de leur culte des saints. Encore récemment, au moment des élections de 2011, le
cheikh des Tijani, Dahiru Bauchi, affirmait pour sa part qu’il préférerait voter pour un chrétien plutôt que pour un Izala.
102. Muhammad Nur Alkali, Abubakar Kawu Monguno, Ballama Shettima Mustafa, An Overview Of Islamic Actors In Northeastern
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En tant qu’insurrection islamiste née d’une grande frustration sociale, Boko Haram est ainsi
susceptible de modifier les relations des différentes composantes de la scène politique et religieuse.
En revanche, il paraît difficile d’apprécier précisément ses effets à plus ou moins long terme. Il
serait notamment délicat de voir dans sa dérive terroriste un échec de l’islam politique103. À notre
connaissance, la secte n’a jamais sérieusement ambitionné de conquérir le pouvoir et s’est contentée
de développer la vision holistique d’une société où l’État et la religion se confondraient. En outre,
ses idées radicales restent complètement étrangères à l’immense majorité des musulmans du Nord.
Enfin, un projet politique religieux paraît de toute façon peu plausible dans un pays qui ne compte
pas de démocratie chrétienne ou de parti islamiste, y compris dans les minorités qui, précisément,
auraient pu être tentées de se mobiliser autour d’identités confessionnelles afin de défendre leurs
spécificités culturelles. Les chrétiens de la Middle Belt, par exemple, n’ont guère réussi à se retrouver
sur une plateforme politique commune. De même, les musulmans yorouba ne sont pas parvenus à
constituer un lobby pour gérer ce que John Peel appelle leur « double complexe d’infériorité » vis-àvis des Yorouba chrétiens, généralement mieux éduqués, et des Haoussa, qui prétendent pratiquer un
Islam plus « pur »104.
Aussi convient-il de recentrer le débat sur la question de la violence et de son rapport à l’État, loin
des clichés sur un prétendu choc des civilisations entre le Nord et le Sud. Au Nigeria, la singularité de
Boko Haram s’apprécie d’abord au regard de son recours à des attentats-suicides. À sa manière, la
trajectoire de la secte interroge donc la notion assez ambiguë de « violence religieuse ». Sachant que
les confrontations interconfessionnelles ne sont pas toutes d’essence religieuse, il importe en effet de
préciser les choses. Conjuguée à l’attrait des médias pour les guerres de religions et la menace terroriste
islamiste, la focalisation des décideurs et de certains analystes sur les affrontements entre chrétiens
et musulmans est en l’occurrence assez trompeuse. En premier lieu, elle tend à ignorer les religions
traditionnelles et à occulter les tensions à l’intérieur de chaque communauté. De plus, elle revient
souvent à amalgamer toutes sortes de violences sociales à partir du moment où leurs protagonistes sont
de confessions différentes, au risque d’exagérer l’ampleur du problème. Au cours des trois dernières
décennies, Abiodun Alao soutient par exemple que, nonobstant le Soudan, le Nigeria serait le pays
d’Afrique où les violences dites religieuses auraient provoqué le plus grand nombre de déplacés (cinq
millions) et de morts (jusqu’à 50 000 entre 1980 et 2008)105. À l’en croire, ces conflits auraient ainsi tué
1 781 personnes par an en moyenne, soit un résultat supérieur aux estimations des lobbies chrétiens
américains sur la période 1999-2009 (1 090), sans parler de la base de données Nigeria Watch de 2006
à 2011 (410)106.
À l’inverse, d’autres théories nient quant à elles la possibilité même de « violences religieuses »,
puisque toutes les confrontations d’ordre confessionnel seraient en fait instrumentalisées par la classe
dominante, et donc de nature politique. Au Nigeria, le musulman marxiste Yusufu Bala Usman incarnait
parfaitement ce courant de pensée lorsqu’il mettait systématiquement les affrontements entre chrétiens
et musulmans sur le compte du pouvoir en vue de diviser pour mieux régner, de manipuler les masses
et de les « endormir » avec l’opium du peuple107. Dans un registre moins excessif, d’autres auteurs ont
pour leur part argué que l’identification confessionnelle des cibles ou des protagonistes ne signifiait pas
forcément que les violences avaient une cause religieuse. Pour les émeutiers, par exemple, les mosquées
et les églises sont aussi des objectifs stratégiques car elles constituent des centres d’information et des
Nigeria, Oxford, Nigeria Research Network Working Paper n°2, 2012, p. 31.
103. Olivier Roy, L’Échec de l’islam politique, Paris, Seuil, 1992.
104. John Peel, « The Dilemma of Yoruba Islam », Paris, conférence du Centre d’études africaines à l’EHESS, 14 mai 2008.
105. Rien que dans le Bauchi, l’auteur évoque un total de 10 000 victimes au cours d’une dizaine d’émeutes religieuses entre avril
1991 et février 2009. Cf. Abiodun Alao, Islamic Radicalisation and Violence in Nigeria, Londres, King’s College, Conflict Security and
Development Group, 2009, pp. 5, 35, 61.
106. Felice Gaer et al., Annual Report, Washington DC, United States Commission on International Religious Freedom, 2009, p. 57 ;
Abiodun Alao, Islamic Radicalisation and Violence in Nigeria, op. cit., 2010, p. 80 ; Nigeria Watch, Nigeria: Third Report on Violence
(2006-2011), Paris, Nigeria Watch, 2011. Voir http://www.nigeriawatch.org/index.php?html=7 (consulté le 24 mai 2012).
107. Yusufu Bala Usman, The Manipulation of Religion in Nigeria, 1977-1987, Kaduna, Vanguard Printers and Publishers, 1987.
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abris pour les parties en lice. Selon l’anthropologue Murray Last, elles sont d’abord attaquées parce
qu’il s’agit de bâtiments particulièrement visibles dans le paysage urbain, et parce qu’elles symbolisent
des points de rencontre communautaires, bien plus que religieux108. À Jos, les fameuses émeutes de
septembre 2001 sont ainsi parties des mosquées au moment de la grande prière du vendredi. Mais
elles étaient clairement animées par des motivations ethniques et non religieuses109.
Conclusion
Une analyse plus fine de l’enchaînement des événements qui conduisent à des violences
interconfessionnelles oblige ainsi à prendre en compte toute une multitude de facteurs. Parmi eux,
la religion apparaît alors comme un élément plus ou moins important qu’il convient d’apprécier à sa
juste mesure, sans le grossir démesurément et sans l’évacuer complètement. De par sa dimension
symbolique, la religion joue souvent un rôle dans le processus de mobilisation des protagonistes,
surtout lorsque les appartenances confessionnelles recoupent les allégeances ethniques. Point de
rencontre des aires d’influence chrétienne du Sud et musulmane du Nord, la ville de Jos est significative
à cet égard. Centre de prosélytisme pour les évangélistes comme pour les islamistes, qui y ont fondé
les Izala en 1978, elle oppose en effet des settlers (colons) et des natives (autochtones) qui se disputent
l’accès à la terre et aux prébendes de l’État. Or les revendications foncières des uns et des autres ont
vite pris un tour religieux en voulant s’approprier la paternité du nom de la ville. Selon les Haoussa
musulmans, Jos renverrait en l’occurrence au mot « païen » (majus) ; selon les Birom chrétiens, à
l’acronyme des premières missions de la région (Jesus our Saviour)110. Dans tous les cas, la récurrence
des affrontements intercommunautaires a fini par « injecter » de la religion dans un conflit de nature
politique et économique. À mesure que les violences prenaient de l’ampleur, les habitants de Jos se
sont bientôt regroupés dans des ghettos confessionnels où ils ont constitué des milices d’autodéfense
en se plaçant sous la protection d’Allah ou de Jésus111.
En d’autres termes, les causes politiques et économiques d’un conflit ne préjugent en rien de son
éventuelle « confessionnalisation ». Pour l’analyste, la difficulté réside dans le fait que les confrontations
interconfessionnelles ne sont pas systématiquement de nature religieuse, et que les violences religieuses
ne sont pas toutes interconfessionnelles. À Zango Kataf et à Kaduna dans les années 1980 et 1990, ou à
Jos depuis le début des années 2000, les affrontements entre musulmans et chrétiens ont ainsi mis en
évidence l’âpreté de la compétition économique entre les settlers et les natives à propos de l’accès à la
terre et aux prébendes de l’État. La religion y a surtout été un mode de mobilisation qui a exacerbé les
tensions sociales en permettant aux parties en lice de s’organiser autour d’identités confessionnelles.
Mais fondamentalement, les belligérants ne se sont pas battus pour des enjeux qui auraient eu trait à
leurs croyances, à leurs pratiques religieuses ou à leurs tentatives de prosélytisme. De ce point de vue,
l’insurrection de Boko Haram relève d’un tout autre agenda idéologique car sa rébellion est d’abord
motivée par des revendications islamistes, quoi qu’il en soit de ses compromissions avec l’affairisme
des politiciens nigérians. Largement structurée par la répression des forces de sécurité, la violence de
la secte doit finalement peu aux appartenances confessionnelles des protagonistes, le conflit opposant
surtout des musulmans à d’autres musulmans. Si la dérive terroriste du mouvement Boko Haram est
intrinsèquement religieuse, c’est plutôt dans son rapport politique à l’État qu’il convient de l’analyser.
108. Murray Last, « Muslims and Christians in Nigeria: An economy of political panic », op. cit., p. 614.
109. Umar Habila Dadem Danfulani, Sati Fwatshak, « Briefing: The September 2001 events in Jos, Nigeria », African Affairs, vol. 101,
n°403, 2002, p. 250. Pour un point de vue contraire, selon lequel la religion est bien le déterminant des violences émeutières, voir
Joseph Kenny, op. cit., p. 360.
110. Umar Habila Dadem Danfulani, Sati Fwatshak, op. cit., p. 246.
111. Un tel processus de partition est tout aussi flagrant à Kaduna, où les communautés en lice se sont retrouvées de part et d’autre
de la rivière Kaduna dans des quartiers rebaptisés de noms évocateurs (La Mecque, Kandahar, Jalalabad, New Jerusalem), avec les
« moujahidines » au nord et les « combattants de l’armée de Jésus » au sud.
Questions de recherche / Research Questions – n°40 – Juin 2012
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33
NIGERIA
Boko Haram : la sale guerre du Nigeria
04/12/2013 à 18:26 Par Joan Tilouine
Parce que tous les moyens sont
bons, l'armée a donné la chasse aux
islamistes armés, dans le Nord, et à
tous ceux qui sont soupçonnés de
leur être liés. Et ce sont les civils qui
en paient le prix.
Devant le cimetière de Maiduguri, des
L’assaut donné à Baga, en avril, illustre la
violence des méthodes gouvernementales. ©
AFP
militaires montent la garde. Chaque jour,
à la nuit tombée, selon plusieurs
témoignages recueillis par des ONG, des
camions-bennes y déversent des corps
d'hommes mutilés, torturés ou froidement
assassinés par l'armée nigériane.
Les informations en provenance du nord-est du Nigeria sont rares depuis que l'état d'urgence y a été
décrété, en mai. Dans la région de Maiduguri, les télécommunications sont coupées et les
observateurs sont tenus à l'écart par l'armée. Capitale en déréliction de l'État de Borno, cette ville de
2 millions d'habitants est l'un des épicentres des âpres combats qui opposent la force spéciale mixte
associant police et militaires (Joint Task Force, JTF) aux membres de la secte islamiste Boko Haram,
qui y a été fondée en 2002. Entre la répression aveugle et massive de l'armée nigériane et les
attaques sanglantes de Boko Haram, les populations subissent, impuissantes, l'escalade incontrôlée
de la violence. La boussole de la terreur renvoie vers les deux camps et, selon l'ONU, plus de 37 000
personnes ont trouvé refuge de l'autre côté de la frontière, au Niger. À en croire un informateur au
sein de l'armée, cité dans un rapport d'Amnesty International, plus de 950 personnes soupçonnées
d'être des membres ou des partisans de Boko Haram ont trouvé la mort au cours des six premiers
mois de 2013, alors qu'ils étaient détenus dans des centres de détention militaire. L'une de ces
prisons d'exception est établie dans la caserne de Giwa, à Maiduguri. Les corps de ces membres ou
partisans présumés de Boko Haram ont-ils fini par s'amonceler dans le cimetière municipal ?
L'armée de l'air mobilisée
"J'ai reçu des témoignages crédibles concernant des membres de grandes familles du Nord tués par
les services de sécurité", confirme l'ancien ambassadeur américain au Nigeria, John Campbell. Lui y
voit des similitudes avec les tortures commises par des militaires américains dans la prison d'Abou
Ghraib, en Irak, dont les photos avaient été publiées dans la presse du monde entier. Cette fois, ce
sont d'abord des images satellite rendues publiques par Human Rights Watch qui ont illustré la
violence d'un assaut mené par l'armée en avril à Baga. Plus de 2 000 maisons de ce village de
pêcheurs lové au bord du lac Tchad, à 165 km au nord de Maiduguri, ont été incendiées.
Pour la première fois depuis la sanglante guerre du Biafra, en 1970, l'armée de l'air est mobilisée
pour appuyer les opérations au sol. Selon Elizabeth Donnely, du think tank britannique Chatham
House, la question des droits de l'homme n'est clairement pas la priorité de la JTF, qui arme et
entraîne des jeunes civils de la région. Ceux-ci sont parfois rémunérés par des gouverneurs locaux.
Depuis Abuja, le conseiller du président, Doyin Okupe, balaie ces accusations et nie formellement les
turpitudes des soldats nigérians dans ce Nord musulman, pauvre et négligé par l'État. La culture de
la violence qui irrigue l'administration sécuritaire y trouve un terrain d'expression. "Ce ne sont pas
des bavures, mais un système qui repose sur l'usage extrême de la force", précise un diplomate
occidental. Les gardes mobiles de la police nigériane y sont d'ailleurs surnommés les Kill and Go...
Un rapprochement avec les frères ennemis d'Ansaru
Pour l'instant, les sénateurs nigérians font bloc derrière Goodluck Jonathan. Ils ont toutefois réclamé
des rapports détaillés sur les accusations de violations massives des droits de l'homme commises au
cours de ces opérations militaires qualifiées de "succès" par les autorités, qui s'enorgueillissent
d'avoir délogé Boko Haram de son fief de Maiduguri et d'infliger des pertes quotidiennes dans les
rangs islamistes. Un enthousiasme à relativiser, selon Marc-Antoine Pérouse de Montclos, spécialiste
du Nigeria : "Plus on a tapé sur Boko Haram, plus la bête est devenue hideuse." Et d'ajouter : "Parmi
les effets pervers de cette offensive, il y a les débordements de Boko Haram vers les pays voisins et
un possible rapprochement avec les frères ennemis d'Ansaru, qui s'inscrivent dans une mouvance
terroriste beaucoup plus mobile et globale, avec des connexions plus évidentes avec Al-Qaïda."
Délogés de leur fief et scindés en plusieurs factions, les combattants de Boko Haram fourbissent
leurs armes depuis les provinces alentour et la zone frontalière avec le Niger. Malgré les quelques
patrouilles mixtes composées de soldats nigérians et nigériens, qui évoluent le long des 1 500 km de
frontière entre les deux pays, les insurgés naviguent sans mal dans la zone. De quoi faire peser une
menace à l'échelle régionale. Pour Goodluck Jonathan, la sale guerre en cours vise à empêcher la
"bête" de s'internationaliser et de frapper au Sud, au coeur de ce Nigeria "utile" et à domination
chrétienne. Au risque de se couper de sa base électorale parmi les musulmans du Nord-Est pris en
étau entre Boko Haram et la JTF.
Comment les lobbys chrétiens ont influencé Washington
Le 12 novembre, sur demande du président Goodluck Jonathan, l'état d'urgence a été prolongé
de six mois dans les États de Borno, Yobe et Adamawa. L'armée y agit en toute impunité,
renforcée par la décision de l'allié américain, qui vient d'inscrire Boko Haram et l'organisation
Ansaru (qui retenait en otage le Français Francis Collomp) sur sa liste des organisations
terroristes. Une décision controversée, car fermant la porte à toute négociation, mais perçue à
Abuja comme un soutien diplomatique de Washington, où des lobbys chrétiens proches du
pouvoir nigérian sont à l'oeuvre. Toutefois, au département d'État comme à l'ambassade
américaine d'Abuja, des diplomates pointent du doigt les abus de l'armée nigériane et
défendent une approche plus "modérée", quitte à établir des canaux de dialogue. Le secrétaire
d'État, John Kerry, lui, a condamné les deux camps : "les atrocités commises par certains ne
doivent pas excuser celles commises par d'autres".
Comment l'armée nigériane tente de faire face à Boko
Haram
Laurent Touchard, Jeune Afrique, 20 mai 2014
À cause des options stratégiques des
quinze dernières années, et de la
multiplication des foyers de menaces
intérieures,
les
forces
armées
nigérianes sont démunies face à
Boko Haram. Mais leur récente
réorganisation devrait bientôt porter
ses fruits face à la secte islamiste.
Décryptage de Laurent Touchard*.
Capture d'écran d'une vidéo de Boko Haram
mettant en scène son chef, Abubakar Shekau.
© HO / AFP
* Laurent Touchard travaille depuis de
nombreuses années sur le terrorisme et
l'histoire militaire. Il a collaboré à
plusieurs ouvrages et certains de ses travaux sont utilisés par l'université Johns-Hopkins, aux ÉtatsUnis.
8 mars 2012, banlieue de Birnin Kebbi, État de Kebbi (nord-ouest du Nigeria) : les terroristes sont
sur le point de changer le lieu de détention de leurs otages, Chris McManus et Franco Lamolinara.
Avec l'aide des Britanniques, les services de renseignement d'Abuja sont parvenus à les localiser. Si
les kidnappeurs déménagent, le risque qu'ils disparaissent dans la nature est important. Le temps
presse. Est donc décidé de lancer l'assaut contre la "safe house", en plein jour.
Pour ce faire, des membres des forces spéciales britanniques, appartenant au Special Boat Service
(SBS), assistent directement les Nigérians, sous leur commandement. Malgré leur présence et leur
savoir-faire, c'est un échec cuisant. Les terroristes affiliés à Boko Haram exécutent leurs prisonniers.
Par la suite, des SBS imputeront la responsabilité de ce tragique raté aux commandos nigérians qui
conduisent l'attaque. Selon eux, l'approche a été menée sans la moindre discrétion. Dès lors, les
"bad guys" repèrent l'unité avant même que celle-ci soit positionnée... Ébahis, les Anglais voient
alors leurs "hôtes" charger furieusement, dans le désordre, dans un fracas de cris et de rafales
d'armes automatiques, en contradiction avec toutes les règles tactiques. La fusillade qui éclate
durera une dizaine d'heures, jusqu'à épuisement des munitions de la cellule terroriste. Le 31 mai
2012, c'est au tour d'Edgar Fritz Raupach, un autre otage de la secte islamiste, de périr lors d'une
tentative de libération...
Deux opérations conduites par la "crème" des forces de sécurité d'Abuja, deux échecs impitoyables...
Ce triste bilan à quelques semaines d'intervalle résume à lui seul la situation qui prévaut aujourd'hui
au Nigeria face à Boko Haram ou à d'autres groupes armés, d'autres gangs. Une partie des
responsables politiques et militaires ne sont pas aussi apathiques qu'il est répété à l'envi, les
membres des forces de sécurité ne manquent pas de bonne volonté, policiers et militaires nationaux
ne sont pas des lâches en dépit de toutes les carences de leur institution.
Cependant, ils sont victimes d'un manque de savoir faire devant les méthodes qu'imposent
terroristes et insurgés divers. Défaillance qui doit beaucoup aux divisions d'un pays gangrené de
divisions et lourd d'un passé complexe. Contexte historique, religieux, ethnique, social et
économique difficile dans lequel l'évolution des forces de sécurité depuis 1999 – date de l'avènement
d'une démocratie durable au Nigeria, après 15 ans de régimes militaires – s'est accomplie lentement,
tout au long d'un cheminement d'erreurs et de décisions hasardeuses.
L'organisation des forces
L'Armée de Terre se compose de grandes unités (GU), à savoir, une division blindée (la 3ème), trois
divisions d'infanterie mécanisée (1ère, 2ème et 81ème) et une division d'infanterie composite à
dominante amphibie (la 82ème). S'ajoute la Brigade de la Garde dont les bataillons accomplissent
eux aussi des missions de sécurité intérieure.
En août 2013 est mise sur pied la 7ème Division d'Infanterie, avec 8 000 hommes prélevés sur les
unités existantes à Yola, Mongono, Sokoto et Yobe, avec les hommes de retour du Mali, ou
provenant de recrutements. Elle est chargée de protéger la zone nord-est, ainsi que les frontières
avec le Niger, le Tchad et le Cameroun. Zone qui auparavant cela était à la fois sous la responsabilité
de la 1re Division d'Infanterie à Kaduna et de la 3ème Division Blindée à Jos. Cette création rend
donc le dispositif plus cohérent. La Joint Task Force (JTF, ou Joint Military Task Force ; voir plus
loin), qui aligne des unités relativement mieux formées au contre-terrorisme (notamment avec les
unités d'intervention du DSS) et à la contre-insurrection lui est rattachée. Malgré tout, la tâche à
accomplir est énorme : la superficie de la zone représente environ 155 000 km2 !
Chaque division se compose de trois ou quatre brigades : blindées, mécanisées, infanterie,
amphibie, génie, artillerie, ainsi qu'un bataillon de reconnaissance blindé, des unités de
commandement, de transmissions, de soutien... Dans les années 1980, la 82ème Division est à
dominante aéroportée/aéromobile, avec la 2ème Brigade Aéromobile et la 31ème Brigade
Aéroportée. Elles sont composées de bataillons susceptibles d'être rapidement déployés par
aéronefs, et entraînés à opérer de concert avec les hélicoptères. L'instabilité dans la zone
économiquement stratégique du delta du Niger dans les années 1980 amène à la transformation de
la grande unitié en une entité à dominante amphibie, habituée à opérer sur le terrain spécifique du
delta et de son littoral. Elle ne conserve qu'un bataillon para-commando (le 72ème).
Ce choix non clairvoyant est aujourd'hui lourd
de conséquences. En effet, il prive le Nigeria de
groupements aéromobiles très manouvrants,
capables de traquer en souplesse et depuis les
airs des insurgés. Si de telles unités existaient
encore, elles contesteraient fortement la liberté
Le Nigeria s'est privé de
groupements aéromobiles très
manouvrants,
capables
de
traquer en souplesse et depuis
les airs des insurgés.
d'action de Boko Haram ; elles se rendraient
avec célérité dans les localités attaquées, s'affranchissant des déplacements par la route avec le
risque inhérent d'embuscades. D'autant plus que la secte n'a qu'un armement air-sol modeste
(mitrailleuses et mitrailleuses lourdes montées pour l'essentiel sur des pickups, accessoirement des
lance-roquettes antichars RPG-7 contre les hélicoptères à très basse altitude et faible vitesse).
L'engagement dans les missions de sécurité
Les nombreuses attaques de Boko Haram focalisent l'attention sur l'engagement de ces forces contre
la secte, dans la partie septentrionale du pays. Situation qui amène à oublier que d'autres graves
problèmes de sécurité intérieure existent également. Illustration de cela : le 7 mai 2013, à Alakyo
(État de Nasawara, au centre du Nigeria), 46 policiers et 10 SWAT du DSS sont tués (jusqu'à une
centaine de membres des forces de sécurité abattus selon d'autres sources) par la secte Ombats
(pratiquant un culte ancestral teinté d'islamisme)... En dépit de l'amnistie de 2009 (dont il sera
question dans un prochain billet, sur les stratégies anti-insurrectionnelles du gouvernement fédéral),
la situation est loin d'être excellente dans le delta du Niger.
Toutes ces crises, les foyers de crises potentiels, impliquent l'engagement de la police qui, du fait de
ses insuffisances doit être appuyée par l'armée. Elles impliquent autant de zones dans lesquelles il
est nécessaire de maintenir des forces importantes, avec un entraînement spécifique dans le cas du
delta. Autant de zones dans lesquelles doivent être dispersées des unités, des ressources...
Cependant, les meilleures unités, les mieux entraînées à ce genre de guerre non conventionnelle ne
peuvent être partout à la fois... Avec les pertes, les échecs et la nature psychologiquement (et
physiquement) éreintante de ce type de guerre, avec les critiques nationales et internationales (en
partie justifiées), avec l'entraînement insuffisant et l'équipement inadapté, le moral des militaires et
policiers en permanence sur la brèche, chute. La nervosité favorise l'usage excessif de la force
contre les suspects qui ne sont pas tous des terroristes, la confiance vis-à-vis des chefs s'écroule. Le
problème sécuritaire du Nigeria n'est pas "juste" Boko Haram ; c'est une kyrielle de sectes
susceptibles d'être dangereuses, de groupes armées avec des revendications diverses qui basculent
dans le banditisme crapuleux... C'est la fragmentation et la diversité de ceux que doit combattre le
gouvernement fédéral.
Concernant la traque pour retrouver les jeunes-filles kidnappées, est mentionné le déploiement de
"deux divisions", puis de "quatre divisions". Annonces largement relayées alors qu'elles s'avèrent
douteuses. Deux divisions, en comptant la totalité des 8 000 hommes de la 7ème, ce sont de 16 000
à 18 000 hommes... Volume qui demanderait un effort logistique bien au-delà des capacités de
l'armée nigériane. Ne parlons pas de "quatre divisions" : il s'agirait alors de la quasi totalité de
l'Armée de Terre ! En réalité, il est question d'éléments détachés de deux, puis de quatre divisions,
dont, semble-t-il, le 72ème Bataillon Spécial, qui renforcent donc la 7ème Division. Cette recherche
des otages est effectuée conjointement avec des unités nigériennes, tchadiennes et camerounaises.
Dans le même temps, l'aviation effectue plus de 250 sorties au-dessus de la forêt de Sambisa.
JTF, commandos et SWAT
La Joint Military Task Force (JTF) est parfois décrite comme une unité (ou des unités) de "forces
spéciales ". Il n'en est rien. Créée à la mi-2011 dans les États du Borno et de Yobe, elle amalgame
des éléments des armées de Terre, de l'Air, de la Marine, de la Police Mobile et des forces
d'intervention du Department of State Service (DSS ou State Security Service - SSS). Une "JTF" est
une structure temporaire destinée à faciliter la coordination entre les différentes composantes qui lui
sont rattachées. Concept enseigné dans les manuels d'instruction de l'armée nigériane. Concept
appliqué avant cela, par exemple dans le delta du Niger en mai 2009 avec la création d'une autre
JTF dans le cadre de l'opération Harmony, ou encore en 1996, dans la péninsule de Bakassi. Une
Special Task Force (STF) opère quant à elle dans l'État du Plateau. Insistons bien
Maiduguri n'est pas une unité de forces spéciales.
: la JTF de
En dépit d'assertions erronées, le Nigeria ne dispose d'ailleurs que d'un très petit nombre de
militaires réellement qualifiés "forces spéciales ". En 2000, quatre bataillons d'infanterie (5 000
hommes) sont entraînés par 225 Bérets Verts américains du 3rd Special Force Group (Fort Bragg).
Ce stage survient juste avant le déploiement des Nigérians en Sierra Leone, afin de mieux les
préparer à leur (difficile) mission. Si le professionnalisme est amélioré, les hommes ainsi formés ne
gagnent pas pour autant le "label " de "forces spéciales ".
Toujours au sein de l'armée, une unité antiterroriste est signalée à Jaji, le Quick Response Group
(QRG). Mais il semble ne s'agir que d'une structure ad hoc, de type commando ou SWAT (force
d'intervention/antigang de police, en théorie capable d'entrer en action lors de prises d'otages, pour
maîtriser des forcenés, accomplir des missions qui exigent davantage de doigté ou une puissance de
feu supérieure aux forces de police classiques). L'existence d'une autre unité similaire est rapportée
en 2012, au sein de la 82ème Division, à Enugu. À noter enfin que la police aligne une unité
antiterroriste, officiellement désignée Counter Terrorist Unit (CTU). Là aussi, c'est un SWAT et non
d'un élément de forces spéciales.
Est annoncée en avril 2010 la création d'un bataillon de ce type. Toutefois, il apparaît finalement qu'il
s'agit d'une re-désignation du 72ème Bataillon Parachutiste en 72ème Bataillon Spécial, implanté à
Makurdi. Seule unité aéroportée depuis la transformation de la brigade parachutiste et de la brigade
aéromobile de la 82ème Division, elle est de type para-commando, intégrant quelques éléments de
forces spéciales. De son côté, la Marine aligne une unité très spécialisée, le SBS. D'après des
documents nigérians, le sigle signifie "Special Board Service " et non "Special Boat Service". Créée
en 2008, ses membres sont des experts du combat nautique (intervention à bord des navires aux
mains de pirates, sur les plate-formes pétrolières, dans les installations navales...). Quant au
Nigerian Air Force Regiment de l'Armée de l'Air, il peut s'apparenter à une unité commando chargée
de la protection des bases aériennes.
Le CTCOIN
Face à la menace croissante des sectes et
groupes armés dont les capacités s'améliorent,
l'armée crée le 10 juin 2009 un centre de contre
terrorisme et de contre-insurrection (Counter
Terrorism and Counter Insurgency Centre ;
Des formations de base au
contre terrorisme et à la contre
insurrection se tiennent donc,
de plus en plus fréquemment au
CTCOIN à Jaji ainsi qu'à Kachia
et à Kontagora.
CTCOIN) à Jaji, dans l'État de Kaduna. À cette
occasion fusionnent la Special Ops Wing et la
Counter Terrorism Wing. Le CTCOIN devient emblématique des efforts fédéraux pour aguerrir les
troupes. Malgré tout, l'armée nigériane n'est pas encore prête à affronter le terrorisme, cette
méthode de guerre bien particulière qui neutralise la plupart des méthodes conventionnelles. Elle
n'est pas formée à faire face aux engins explosifs improvisés (EEI). Elle n'est pas formée aux
tactiques de guérillas, aux kidnappings, souvent de femmes. Elle manque d'unités aéromobiles
dignes de ce nom.
Néanmoins, les responsables politiques militaires les plus avisés ne baissent pas les bras. Des
formations de base au contre terrorisme et à la contre insurrection se tiennent donc, de plus en plus
fréquemment au CTCOIN à Jaji ainsi qu'à Kachia et à Kontagora. Mais les unités qui en bénéficient
ne peuvent – là encore - être qualifiées de "forces spéciales ". Pas davantage de "commandos ".
Tout au plus s'agit-il de séjour de quatre à six semaines pour une instruction de base durant laquelle
les hommes s'entraînent au tir, suent le long de parcours d'obstacles, apprennent ou réapprennent
des fondamentaux pour l'entrée et la progression en milieu clos, en zone habitée, s'initient aux
dangers des EEI (engins explosifs improvisés), suivent quelques cours théoriques sur l'importance du
renseignement (une des lacunes de l'armée alors que ce principe est pourtant en bonne place dans
les manuels d'instruction), de ripostes proportionnées aux attaques...
Manque de forces spéciales
On l'aura compris : pour impressionnants qu'ils soient, des hommes "baraqués" en tenues noires,
caparaçonnés dans des gilets d'assaut et pare-balles, lourdement armés, cagoulés ne sont pas, dans
la plupart des cas, des forces spéciales. Même s'il s'agit de membres d'unités commandos ou SWAT,
relativement bien entraînés, capables d'accomplir certaines missions spécialisées, ils n'ont pas le
niveau de compétence, les particularités des forces spéciales.
Jusqu'en janvier 2014, ce manque dans l'armée nigériane (qui fait écho au manque d'unités
aéromobiles) nuit à la lutte contre Boko Haram en particulier et contre l'ensemble des groupes
insurgés en général. Là où les fantassins des bataillons d'infanterie motorisée et mécanisée, sont
patauds, avec seulement des connaissances très basiques (dans le meilleur des cas) en lutte
antiterroriste et anti-insurrectionnelle, où les commandos sont limités par leur entraînement, leur
matériel, leur cadre d'emploi, eh bien les forces spéciales peuvent opérer de manière indépendante
en zones hostiles, durant de longues périodes, pour des missions stratégiques (élimination d'un chef
ennemi, observation et collecte de renseignements...).
La révolution du NASOC
Pour pallier cette déficience, est créé début janvier 2014 le Nigerian Army Special Operations
Command (NASOC ; commandement des opérations spéciales) avec l'aide de l'US Africom. Cette
structure constitue une révolution pour le Nigeria. À terme, elle regroupera l'ensemble des futures
unités de forces spéciales. Elle permettra en outre d'effectuer des entraînements communs à ces
unités, de définir des procédures communes, de faciliter l'acquisition d'équipements spécifiques aux
missions spéciales, leur mutualisation, leur entretien...
Début mai est évoqué l'entraînement d'un
nouveau bataillon de rangers, de 650 à 850
hommes, par les États-Unis. Sitôt qu'ils seront
prêts, ils pourraient rapidement représenter un
danger mortel pour Boko Haram dans la réserve
Ces commandos seront
formés à la tactique des petites
unités, aux patrouilles, aux
opérations nocturnes.
de Sambisa ou aux frontières... Ces commandos
seront formés à la tactique des petites unités, aux patrouilles, aux opérations nocturnes. Dans le
même temps, les Américains enseigneront le "métier" d'instructeurs à des militaires nigérians qui, à
leur tour, devraient préparer 7 000 hommes à la contre-insurrection.
Bien entraîné, bien commandé, le soldat nigérian peut se révéler être un combattant exceptionnel.
L'histoire l'a souvent prouvé. Avec les orientations prises depuis l'été 2013, avec des mesures
judicieuses à l'instar de la création du NASOC ou encore avec des plans de modernisation et
d'acquisitions cohérents et enfin, avec la volonté politique (et militaire) résolue de coopération
régionale et internationale (renseignement et formation), le Nigeria met de son côté toutes les
chances de retrouver et de libérer les écolières de Chibok ainsi que tous les autres otages. Malgré
tout, il convient de ne pas oublier la folie meurtrière de ceux qui les détiennent... C'est donc un très
difficile combat qui se déroule actuellement. Combat qui ne résume pas juste au nombre de soldats,
aux nombre de divisions, à la puissance de feu. Dans cette lutte, quelles que soient les lacunes de
l'armée nigériane, les "bad guys" sont ceux à qui elle fait face.
_________
BLOG DÉFENSE
Nigeria : de l'impéritie de la police à la brutalité de l'armée
Laurent Touchard, Jeune Afrique, 18 juin 2014
Après avoir rendu compte de la
réorganisation en cours des forces
de sécurité du Nigeria, confrontées à
de nombreux enjeux sécuritaires,
Laurent Touchard* se penche sur
leur état d'esprit. Et sur leurs
relations
avec
une
population
qu'elles sont censées protéger.
* Laurent Touchard travaille depuis de
nombreuses années sur le terrorisme et
l'histoire militaire. Il a collaboré à
plusieurs ouvrages et certains de ses
travaux sont utilisés par l'université Johns-Hopkins, aux États-Unis.
Des soldats nigérians dans les rues de Baga,
dans l'Etat de Borno, en avril 2013. © Pius
Utomi Ekpei/AFP
Une réforme du secteur de la sécurité (RSS) nécessaire mais bancale
Lancée à partir de 2000, la réforme du secteur de la sécurité (RSS) vaut aussi – et même davantage
– pour la police que pour l'armée. Comme pour cette dernière, le projet de transformation démarre
sur les chapeaux de roues, avec une volonté manifeste de rebâtir une institution démocratique au
service des Nigérians. Toutefois, alors que la RSS marque le pas pour le militaire, elle se se
transforme en vaste catastrophe dans le cas de la police.
Dans un premier temps, les salaires sont rehaussés, mais surtout, entre 2000 et 2004, 40 000
policiers sont recrutés chaque année. D'environ 140 000 en 1999, leurs effectifs grimpent ainsi à 330
000 cinq ans plus tard ! Une recommandation de l'ONU stipule qu'un rapport minimum d'un policier
pour 400 habitants est souhaitable ; avec 330 000 hommes, le Nigeria s'en rapproche. Sauf qu'il ne
s'agit que de chiffres, non de la réalité du terrain. Dans les faits, en raison de la répartition des
effectifs, des spécificités géographiques et démographiques des États, le rapport se situe souvent à
un pour 600 habitants. Parfois, il n'est que d'un pour 900 !
Négligée jusqu'en 1999, l'institution ne manque
pas seulement d'effectifs compétents, mais
aussi d'équipements : les armes, les véhicules,
les moyens de communications font défaut. Le
niveau des fonctionnaires est déplorable. Si
Pour répondre aux quotas
de
recrutement
fixés,
des
individus peu scrupuleux ou
physiquement inaptes ont été
enrôlés en quantité !
l'embauche massive de 2000 à 2004 règle - en
apparence - le problème des effectifs, il en crée un autre... Les capacités de formation déjà limitées,
ne sont plus du tout à la hauteur pour absorber cet afflux de personnels. Pas assez d'instructeurs,
des infrastructures insuffisantes... Pis, pour répondre aux quotas de recrutement fixés, des individus
peu scrupuleux ou physiquement inaptes ont été enrôlés en quantité !
Au bilan, cette masse de 330 000 hommes se transforme en un fardeau écrasant. En 2007, environ
11 000 sont remerciés, dont un grand nombre ayant été recrutés entre 2000 et 2004. Mesure
davantage symbolique que réellement efficace. Cette situation reste figée jusqu'en 2012-2013,
aucune solution valable n'étant véritablement apportée (ni même cherchée) aux carences humaines
et matérielles.
Salaires insuffisants, corruptions et méfiance des Nigérians
Si les salaires augmentent après les élections de 1999, leurs niveaux restent néanmoins modestes.
Trop modestes. Un inspecteur honnête peut alors espérer gagner environ 1 000 dollars par an
(environ 1 143 en dollars constants 2014), un policier de base, 442 dollars (505 en dollars constants
2014) ! Moins d'une cinquantaine de dollars par an, pour un travail ingrat, souvent dangereux... Les
fonctionnaires prennent donc d'eux-mêmes les mesures qui s'imposent : racket, corruption...
Sous-payés et corrompus, insuffisamment entraînés, mal équipés en dehors de quelques unités
spécialisées, ils sont en général incapables de combattre le crime et la subversion. Les civils ne leur
font aucunement confiance, en conséquence de quoi, ils ne leur "parlent" pas. Défiance qui induit un
dramatique déficit en renseignement humain, pourtant essentiel aux activités policières en général, à
la lutte anti-insurrectionnelle en particulier.
Employés par une institution mal aimée (pour ne pas dire détestée), la plupart du temps sans la
fierté de l'uniforme qu'ils portent, impuissants à accomplir les missions qui devraient leur incomber,
les policiers n'hésitent donc pas à abuser de leurs prérogatives, profitant d'un de leur rare privilège :
l'impunité. Peu scrupuleux, ils commettent de nombreuses exactions, des exécutions extrajudiciaires,
à l'instar de l'élimination du chef historique de Boko Haram. Capturé en 2009 par l'armée,
Mohammed Yusuf est remis à la police, qui l'abat au cours de ce qui est présenté comme une
tentative d'évasion. Explication qui laisse perplexes nombre d'observateurs.
Corruption, laxisme, démission au quotidien des
plus motivés qui jalousent les moyens de
l'armée résument donc ce qu'est la police
nigériane. Deux chiffres sont parlants : Interpol
mentionne des effectifs actuels de 350 000
hommes. Dans le même temps, le budget 2014
n'est approximativement que d'un milliard de
Corruption,
laxisme,
démission au quotidien des plus
motivés
qui
jalousent
les
moyens de l'armée résument
donc ce qu'est la police
nigériane.
dollars. C'est à dire environ 2 857 dollars par
policier pour les salaires, l'équipement, le coût des enquêtes, des formations... Une misère.
Lorsqu'ils doivent gérer un conflit, les soldats se montrent fréquemment partiaux. © Pius Utomi
Ekpei/AFP
L'armée à défaut de police capable
Cette conjoncture explique beaucoup le développement de Boko Haram. Outre tous les facteurs
endogènes (fractures religieuses, sociales...) et exogènes (guerre contre le terrorisme, Aqmi...), la
secte (ainsi que d'autres groupes subversifs qui pullulent dans le pays) bénéficie de l'impéritie de la
police. Faute d'être éliminés "dans l'oeuf", ses membres disposent de l'espace minimum de
"gestation". Ils gagnent en confiance, ils s'imposent dans les zones géographiques et morales où ils
s'implantent. Dès lors, la police n'est plus en mesure de juguler le danger.
Conformément à ce qu'autorise la Constitution de 1999, le président n'a alors d'autre choix que de
faire intervenir l'armée contre la subversion et en appui des autorités civiles pour restaurer l'ordre.
Ce qui pose un autre problème : même si la thématique des opérations au profit de la sécurité
intérieure est abordée dans les manuels d'instruction de l'armée nigériane, les militaires manquent
autant d'entraînement en la matière que de mesure dans leurs réactions aux problèmes de
violences. À leur décharge, ceux-ci sont confrontés à une menace qui relève, au départ, des
compétences de la police, de ses unités d'intervention et spéciales...
Brutalité militaire et faiblesses des compétences dans la lutte anti-insurrectionnelle
Les civils n'apprécient pas plus les soldats que les policiers. En dépit de leur implication dans des
missions de maintien de la paix comme au Liberia, en Sierra Leone, au Darfour, ou encore au Mali,
beaucoup de Nigérians conservent une image négative de l'armée "politique" d'avant 1999.
Sentiment que renforce la brutalité "légendaire" des militaires lors des précédentes crises intérieures.
Quant aux missions de maintien de la paix, en dépit de la bonne réputation qu'elles confèrent au
pays, elles sont entachées de pléthore de vols, d'agressions sexuelles, d'actes d'indiscipline... Par
ailleurs, si le problème de la drogue est tabou, il existe bel et bien...Quant à l'entraînement, s'il est
meilleur que dans la police, il n'est pas non plus exceptionnel. Nuançons toutefois : d'importants
efforts sont accomplis depuis plusieurs mois. Le dernier en date - début juin 2014 - consistant à
réactiver des centres de formation à l'échelle divisionnaire.
Lorsqu'ils doivent gérer un conflit, les soldats se
montrent fréquemment partiaux, favorisant le
Face aux attaques de Boko
"camp" communautairement ou religieusement
le plus proche d'eux. Cette attitude est
particulièrement prégnante lors des émeutes
qui éclatent après les élections de 2011. Dans
un
pays
socialement,
religieusement,
Haram qui se multiplient, la
réponse
qu'apporte
l'armée
pourrait être caricaturée par
cette formule lapidaire "Tirer
dans le tas !"
économiquement fragmenté, les conséquences
de ces partis pris peuvent être terribles.
Autre fléau : l'impunité dont bénéficient les militaires, plus encore que les policiers. Quels que soient
leurs actes, ils ne risquent pas de passer devant la justice. À tel point qu'un comité de notables de
Maiduguri sollicite de Jonathan Goodluck qu'il retire la Joint Task Force (JTF) censés les protéger !
Face aux attaques de Boko Haram qui se multiplient, la réponse qu'apporte l'armée pourrait être
caricaturée par cette formule lapidaire "Tirer dans le tas !". Phénomène qui accentue l'attrait pour
l'autodéfense et l'organisation locale, officieuse, de groupes idoines, avec tous les dangers inhérents
en terme d'instabilité.
Capacités d'anticipation anémiques et Chibok
À l'incurie dans le recueil, l'exploitation et la diffusion du renseignement, répond l'apathie
intellectuelle de l'armée, incapable d'anticiper, de faire preuve de "créativité militaire". Les objectifs
potentiels de Boko Haram sont mal ou pas protégés. Quelques mois avant Chibok, début juin 2013,
des militaires malmènent des étudiants dans une école coranique. Facteur déclencheur d'une
infernale spirale de violences contre les étudiants et écoliers, qui deviennent la cible de Boko Haram
à partir du 16 juin. Leur folie meurtrière culmine le 6 juillet 2013. Dans l'école de Mamudo (Etat de
Yobe), ils massacrent alors 42 enfants et surveillants. Shekau dément que son groupe soit
responsable. Mais sa responsabilité ne fait guère de doute. De fait, les établissement scolaires
apparaissent clairement comme des cibles privilégiées de la secte. Pourtant, en dépit de cette
menace avérée, ses membres vont réussir un kidnapping de masse, à l'école de Chibok, le 14 avril
2014.
À Chibok, donc, selon de nombreux témoignages, l'armée savait deux heures avant l'opération des
terroristes. Plus précisément, des responsables locaux auraient averti les militaires de Dambua et de
Maiduguri dans la soirée du 14. Le commandant de la petite section de la localité aurait lui aussi été
informé. Il aurait à son tour rendu compte, sans délai, demandant des renforts en urgence. Requête
restée sans réponse. Or, pour faire face au raid, il ne dispose en tout et pour tout que de 17
hommes... Faute de mieux, un dispositif se met en place, dans la hâte. Dispositif trop léger et
dispersé ; quand arrivent les combattants de Boko Haram vers 23 heures 45, il vole en éclat. Les
soldats battent en retraite, suivis de villageois apeurés de Chibok. La secte peut alors kidnapper les
filles, les faire monter dans les camions. Au bilan, 234 écolières prises en otage ; certaines
réussisent à s'évader. Aujourd'hui, 190 sont retenues par Boko Haram.
Clairement, l'opération terroriste n'est pas très
bien montée (les islamistes ne connaissent pas
le nombre exact de pensionnaires et manquent
de camions, plusieurs dizaines parviennent à
s'enfuir...). Remarque qui souligne encore plus
l'inefficacité de l'armée. Si la chaîne de
Une inefficacité que paient
cher les Nigérians au quotidien :
plus de 3 600 tués de 2009 à
2013, 1 500 pour les premiers
mois de 2014...
commandement avait correctement fonctionné,
avec une unité d'intervention rapide disponible en permanence, bénéficiant éventuellement d'un
appui aérien léger (hélicoptères), les terroristes auraient pu être interceptés avant d'avoir atteint
l'école... Inefficacité que paient cher les Nigérians au quotidien : plus de 3 600 tués de 2009 à
2013, 1 500 pour les premiers mois de 2014...
Constat terrible que jalonnent les sempiternels actes d'indiscipline et les mutineries, expression de
bien plus qu'un malaise. La plus récente de ces "péripéties" survient le 14 mai 2014, à Maiduguri.
Des militaires de la 7e Division d'Infanterie accusent leur chef, le général Ahmadu Mohammed,
d'oeuvrer en faveur de Boko Haram, de les avoir envoyés dans un traquenard. En conséquence de
quoi, ils ouvrent le feu sur le général qui réussit à s'échapper de justesse... Troisième commandant
nommé de la 7e Division alors que celle-ci n'existe qu'à peine depuis un an, le général vivait sa
deuxième mutinerie... Autre illustration du climat délétère : l'action de l'armée pour saisir des
journaux, les 6 et 7 juin 2014, après le colportage de rumeurs (une arme de Boko Haram tout aussi
efficace que les bombes) concernant des informations que des généraux auraient fourni à Boko
Haram (faisant écho à la mutinerie du 14 mai)... Autant d'incidents graves qui laminent l'efficacité de
la lutte contre Boko Haram.
Face à Boko Haram, la France plaide
pour un comité de liaison militaire
Le Monde.fr avec Reuters | 16.12.2014 à 02h50 • Mis à jour le 16.12.2014 à 09h33
Le ministre français de la défense, Jean-Yves Le Drian, a appelé
lundi 15 décembre Abuja et ses voisins à la création d'un comité de liaison
militaire pour mieux coordonner leur réponse à la menace de Boko Haram
pour les pays de la région. Lors d'un forum sur la sécurité à Dakar, la
capitale sénégalaise, M. Le Drian a précisé que Paris était prêt à détacher
plusieurs personnes pour contribuer à cette initiative.
Les attaques de villages et les enlèvements d'enfants attribués à la secte
islamiste s'exercent désormais au-delà des frontières du Nigeria, vers le
Niger au nord et le Cameroun à l'est, tandis que le Tchad, au nord-est,
craint d'être entraîné dans le conflit.
MANQUE DE COHÉSION
En mai dernier à Paris, les dirigeants des quatre pays avaient décidé de
travailler en plus étroite collaboration, mais ces promesses ne se sont pas
vraiment concrétisées. De même, les quatre pays, dont les frontières se
rejoignent au lac Tchad, secteur devenu un fief de Boko Haram, s'étaient
engagés au mois de juillet à mobiliser une force commune de 2 800 soldats
pour lutter contre la secte
Cette force n'a pas encore été créée et, si certaines opérations en commun
ont eu lieu, les observateurs critiquent un manque de cohésion dans les
tentatives de lutte contre les insurgés islamistes. « L'action devrait être
proportionnée à l'ampleur de ce qui est en jeu », a déclaré à Reuters
l'envoyée spéciale des Nations unies pour le Sahel, Hiroute Guebre
Sellassie. « Il y a des efforts, mais rien qui me dise que l'ampleur [du
problème] se réduit. Au contraire. »
Pourquoi le Tchad s’engage
dans la lutte contre Boko
Haram
Par Christophe Châtelot
LE MONDE | Le 06.02.2015 à 05h33 • Mis à jour le 06.02.2015 à 13h00
i
Le 17 janvier, répondant à l’appel du président camerounais Paul Biya, des
troupes tchadiennes franchissent la frontière camerounaise pour combattre
le groupe djihadiste nigérian Boko Haram. Puis le 3 février, l’armée
tchadienne a pénétré en territoire nigérian pour prendre le contrôle de la ville
de Gamboru, rapidement reprise à la secte islamiste.
! Aux origines de l’engagement tchadien
Depuis plusieurs mois déjà, le président tchadien alertait la communauté
internationale sur les risques très sérieux de déstabilisation régionale
provoqués par l’extension des violences commises par les djihadistes de
Boko Haram dans le nord du Nigeria. Une menace dont l’ampleur semblait
alors sous-évaluée, diluée dans l’émoi provoqué par l’enlèvement de
plusieurs centaines de jeunes filles, le 14 avril à Chibock, et les vidéos
outrancières du chef de la secte, Aboubakar Shekau. Dès 2014, le Tchad
avait donc renforcé sa présence militaire aux frontières avec le Cameroun et
le Nigeria alors que Boko Haram multipliait les offensives dans le nord-est
du Nigeria et dans le nord du Cameroun.
Mais le facteur déclencheur de l’engagement tchadien correspond à la prise
de la ville nigériane de Baga par les djihadistes au début du mois de janvier.
Boko Haram met alors en déroute les soldats nigérians stationnés sur place.
Symboliquement, les islamistes s’emparent de la base qui devait accueillir la
Multinational joint task force (MNJTF) créée en 2014 par le Tchad, le Niger
et le Nigeria et destinée à lutter contre Boko Haram. Dorénavant, la secte
est physiquement présente à la frontière tchadienne, certes sur l’autre rive
du lac Tchad. A une centaine de kilomètres plus au sud, les incursions
répétées des djihadistes dans le nord du Cameroun menacent directement
la capitale tchadienne N’Djamena, distante de quelques kilomètres
seulement.
! Les raisons économiques de l’intervention
Au-delà de l’aspect purement sécuritaire, les actions de Boko Haram ont un
impact très lourd sur l’économie tchadienne, déjà sévèrement touchée par
l’effondrement du prix des cours du pétrole et le chaos chez ses voisins
centrafricains et libyens. L’un des objectifs centraux de l’intervention
tchadienne consiste donc à dégager les passages frontaliers et les axes de
circulation vitaux pour le Tchad.
L’insécurité dans le nord-est du Nigeria a en effet quasiment stoppé, depuis
un an et demi, le commerce (exportation de bétail sur pied, importations de
biens de consommation) à destination de ce pays. Ces échanges qui
passaient par le lac Tchad à bord de grandes pirogues doivent dorénavant
emprunter une longue route de contournement par le Niger. L’augmentation
des coûts de transport se répercute sur les prix à la consommation.
Simultanément, la chute du commerce prive l’Etat d’importantes recettes
douanières.
Plus au sud, la propagation de la zone d’influence islamiste dans le nord du
Cameroun menaçait donc le Tchad d’étouffement. Peu avant de passer à
l’offensive, N’Djamena redoutait en effet une attaque sur Maroua, la grande
ville de l’extrême nord camerounais. Un tel scénario aurait signifié la
fermeture de la route transnationale N’Djamena-Kousseri-Maroua, qui relie
la capitale tchadienne au port camerounais de Douala, son principal
débouché maritime par où transite la majeure partie des
approvisionnements destinés au sud du pays.
! Quelle est la taille du contingent tchadien
Le 17 janvier, des soldats tchadiens, commandés par le général Ahmat
Darry Bazine, franchissent la frontière camerounaise à l’appel du président
camerounais Paul Biya. N’Djamena ne fournit pas de détails sur la nature de
ce déploiement. Mais selon plusieurs sources, il comporterait trois régiments
de 800 hommes chacun, appuyés par des hélicoptères de combat MI-24 et
400 véhicules, dont des blindés.
Dans le même temps, plus au nord, le Tchad a massé des troupes
(commandées par Mahamat Idriss Déby Itno, le propre fils du président) à la
frontière entre le Niger et le Nigeria, à proximité immédiate de bastions de
Boko Haram. Selon l’AFP, un contingent d’environ 400 véhicules et des
chars est positionné de Mamori à Bosso, deux bourgades de l’est nigérien,
qui ne sont séparées du Nigeria que par une rivière, la Komadougou Yobé.
Leur mouvement vers le sud permettrait de prendre les islamistes en tenaille
! Pourquoi le Nigeria a fini par accepter l’intervention du Tchad ?
Après avoir longtemps rejeté toute ingérence étrangère, les autorités
nigérianes, qui n’arrivent pas à enrayer seules l’expansion militaire de Boko
Haram, estiment dorénavant que la présence de troupes tchadiennes sur
son sol ne remet pas en cause « l’intégrité territoriale du Nigeria ».
Contrairement au Cameroun, dont les forces protégeant Fotokol depuis des
mois sont restées sur leurs positions, le Tchad, étant membre avec le
Nigeria et le Niger de la MNJTF, bénéficie d’un « accord de poursuite » de
Boko Haram en territoire nigérian. Le président tchadien, Idriss Déby Itno, a
clairement dit que l’objectif est la « libération » de la ville nigériane de Baga,
tombée début janvier. A N’Djamena, des sources sécuritaires n’excluent pas
de pousser jusqu’aux faubourgs de Maiduguri, l’ancien fief de Boko Haram,
cible aujourd’hui d’attaques répétées par les islamistes.
! La lutte contre Boko Haram se régionalise
A l’issue du sommet d’Addis Abeba des 30 et 31 janvier, l’Union africaine a
adopté le principe du déploiement d’une force africaine de 7 500 hommes
destinée à combattre le groupe djihadiste. Ce contingent devrait regrouper
des soldats du Cameroun, du Tchad, du Niger, du Nigeria et du Bénin. Si le
principe de ce déploiement a été retenu, il reste encore à finaliser la
stratégie de combat contre Boko Haram, la chaîne de commandement ainsi
que le calendrier.
Sans précision sur la date, l’Union africaine a par ailleurs annoncé qu’elle
saisira ensuite le Conseil de sécurité de l’ONU afin de « conférer à la force
la légalité et la légitimité internationales, ainsi que les ressources
nécessaires à soutenir ses opérations sur le terrain ». En clair : des
financements internationaux.
Sans attendre, le Niger devrait envoyer prochainement des troupes au
Nigeria. Pour ce faire, le Parlement doit se réunir, lundi 9 février, pour
autoriser l’envoi de troupes dans ce pays voisin. Aucun détail n’a été fourni
sur le nombre de soldats mobilisés ni sur la date de leur déploiement.
! La France aux premières loges
L’armée française est géographiquement aux premières loges dans cette
crise. C’est en effet à N’Djamena que Paris a installé, en août 2014, le
quartier général de son opération Barkhane. Pourtant, le ministère de la
défense rappelle qu’il n’est pas question d’envoyer des soldats au Nigeria.
Barkhane, avec ses 3 500 hommes, est destinée à lutter contre le terrorisme
dans la bande sahélo-saharienne, pas contre le djihadisme nigérian,
rappelle-t-on au ministère de la défense.
Paris soutient cependant l’action tchadienne avec des missions de
reconnaissance au-dessus du Tchad et du Cameroun. Une cellule de
coordination et de liaison du renseignement a d’ailleurs été créée à
N’Djamena. Elle doit permettre aux états-majors du Niger, du Tchad et de la
France de partager du renseignement. Par ailleurs, la France participe à la
Cellule régionale de fusion du renseignement, mise en place à Abuja le
11 octobre. L’objectif était alors la libération des jeunes otages de Chibok.
DÉCRYPTAGE
5 questions pour comprendre
la situation dans le sud-est du
Niger
Par Maureen Grisot (Abidjan, correspondance)
Le Monde.fr | Le 17.02.2015 à 09h19 • Mis à jour le 17.02.2015 à 14h54
Niamey a ouvert un nouveau front. Sa frontière avec le Nigeria est
désormais une zone de guerre où l’armée nigérienne affronte Boko Haram.
Quitte à mener des incursions de l’autre côté de la frontière, au Nigeria.
Tandis que ses frontières septentrionales avec la Libye, le Mali ou le Tchad
sont poreuses et, dans cette zone désertique incontrôlable, groupes armés
et contrebandiers circulent sans être inquiétés.
Quand et comment ont commencé les attaques de
Boko Haram sur la région ?
Les combattants de Boko Haram étaient stationnés depuis plusieurs mois
juste de l’autre côté de la rivière Komadougou, frontière naturelle entre le
Niger et le Nigeria. On pense à Malam Fatori par exemple, cette ville du
nord-est nigérian conquise, perdue puis conquise de nouveau par les
islamistes. Les militaires nigériens stationnés à Bosso, près du lac Tchad,
pouvaient par exemple régulièrement apercevoir les combattants de la secte
lors de leurs patrouilles. S’ils se sont longtemps regardés en chiens de
faïence, l’arrivée d’environ 2 500 Tchadiens début février dans la zone a
probablement semé le trouble dans les rangs de Boko Haram.
Quelques jours plus tôt, l’armée tchadienne était déjà intervenue côté
camerounais pour déloger les combattants de la secte de plusieurs villages,
causant de lourdes pertes aux islamistes. Juste après l’arrivée de ces
renforts tchadiens, le gouvernement nigérien a annoncé qu’il réunirait ses
députés le 9 février en session extraordinaire pour leur demander
l’autorisation d’intervenir militairement au Nigeria. Deux jours à peine après
cette annonce, les premiers obus tombaient sur Bosso et Diffa, distantes
d’une centaine de kilomètres de long de la rivière.
À Bosso, les combattants ont cherché à endommager les symboles de l’Etat
comme la Préfecture, avant d’être repoussés assez facilement par les
soldats nigériens et tchadiens. Le lendemain, un obus tombait sur le marché
de Diffa, créant la panique au sein de la population qui avait déjà commencé
à fuir la ville. Deux jours plus tard, une femme se faisait exploser non loin de
là, confirmant la stratégie de terreur de Boko Haram : trop faible en nombre
et en équipement pour affronter des troupes, l’organisation extrémiste
multiplie les fronts et mène des actions très violentes pour créer la psychose
au sein de la population.
i
Pourquoi l’état d’urgence a-t-il été décrété ?
Les autorités nigériennes soupçonnaient l’existence de cellules dormantes
de Boko Haram sur son territoire, et l’attentat mené sur le marché de Diffa
les a probablement confortés dans cette idée. En décrétant l’état d’urgence,
le gouvernement autorise l’armée à mener des perquisitions à toute heure.
Une mesure qui leur a permis de débusquer plusieurs caches d’armes et
d’arrêter de nombreuses personnes, comme un commerçant très connu de
Diffa, présenté comme un lieutenant de Boko Haram au Niger. Le crieur de
la ville arpente les rues depuis quelques jours, encourageant les habitants à
dénoncer ceux qui ont collaboré avec la secte, les menaçant de la « loi du
Coran » s’ils ne collaborent pas.
Certains chercheurs, mais aussi des députés et des organisations
internationales, s’inquiétaient depuis déjà plusieurs mois de l’existence de
ces cellules dormantes. Les jeunes de Diffa sont pour la plupart au
chômage, beaucoup fréquentent des écoles coraniques. Boko Haram leur
propose des sommes d’argent, des habitants parlent de 300 000 Fcfa
(460 euros), pour qu’ils deviennent leurs agents de renseignement ou même
des combattants, qu’ils vont former au Nigeria. Leurs familles sont
menacées pour les dissuader de parler, certains parents ont même été
exécutés ces derniers mois.
Les islamistes se seraient aussi infiltrés parmi les quelque 150 000
personnes qui ont fui les violences du nord du Nigeria pour se réfugier de
l’autre côté de la frontière. Grâce à l’état d’urgence, le calme est aujourd’hui
revenu à Diffa, hormis quelques tirs lointains, et les habitants commencent
progressivement à rentrer chez eux. Les islamistes ont été repoussés loin
derrière la frontière côté nigérian, mais les combattants qui s’étaient infiltrés
au Niger se seraient dirigés vers l’ouest, en tentant de se mêler à la
population qui fuyait les violences : dimanche le gouverneur de Zinder
annonçait avoir arrêté plusieurs dizaines d’islamistes présumés. À Diffa,
d’après une autorité locale, près de 200 personnes ont été arrêtées car elles
n’avaient pas de papiers d’identité : 87 Nigérians, une centaine de
Tchadiens et quelques Nigériens. Les Tchadiens ont été remis aux services
d’immigration, les autres doivent être interrogés par la cellule antiterroriste à
Niamey.
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L’armée nigérienne a-t-elle déjà commencé à
intervenir au Nigeria ?
Jusqu’à présent, les militaires nigériens n’ont effectué que quelques
incursions en territoire nigérian : pour repousser les combattants de Boko
Haram après les assauts sur Bosso et Diffa, ou pour détruire leur armement
lourd après des vols de reconnaissance. Le 9 février dernier, les députés
nigériens ont donné à l’unanimité l’autorisation à leur armée d’intervenir au
Nigeria, mais il est prévu que cette intervention se fasse sous l’égide d’une
opération réunissant les armées des pays de la sous-région touchés par
Boko Haram.
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Les contours de cette force mixte multinationale (FMM) ont d’abord été
esquissés lors de la réunion du Conseil de paix et de sécurité de l’Union
africaine fin janvier, avec comme objectif la participation de 7 500 militaires.
Un chiffre revu à la hausse lors d’une autre réunion, à Yaoundé, entre le 5
au 7 février.
Les experts ont relancé le principe d’une force qui existait à l’état
embryonnaire depuis plusieurs années sous l’égide de la commission du
bassin du lac Tchad, mais en y ajoutant le Bénin. Elle sera composée de
8 700 militaires : 3 250 Nigérians, 3 000 Tchadiens, 950 Camerounais, 750
Nigériens et béninois. La force sera basée à N’Djamena, mais la première
année le commandement sera confié aux Nigérians. Impossible pour
l’instant de savoir comment ce dispositif sera financé ni quand il entrera en
action : les pays attendent peut-être d’obtenir l’aval du Conseil de sécurité
de l’ONU pour rendre publiques les autres conclusions de la réunion de
Yaoundé.
Quelle est la situation humanitaire dans la
région ?
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Il est très difficile pour les organisations humanitaires d’avoir accès aux
populations qui se sont déplacées ces derniers jours. La situation est très
complexe : quelque 150 000 personnes se sont réfugiées au Niger depuis le
mois d’avril 2014, des Nigérians et des Nigériens exilés, fuyant les violences
de Boko Haram. Certaines sont allées dans des camps aménagés par le
Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations Unies (HCR), mais elles sont
minoritaires : pour des raisons de sécurité, ces camps sont construits à une
cinquantaine de kilomètres de la frontière avec le Nigeria, or c’est là qu’ont
lieu les échanges économiques qui permettent à ces populations démunies
de survivre.
Ainsi, la majorité s’est installée dans des familles d’accueil nigériennes :
600 000 personnes vivent dans la zone. Mais la région est très pauvre, en
déficit alimentaire chronique, les habitants ont donc dû supporter un poids
très lourd avec l’arrivée de ces réfugiés et retournés : des villages de 3 000
âmes se sont retrouvés avec 14 000 habitants en quelques mois.
Avec les violences de ces derniers jours, les mouvements de population ont
été très importants, mais difficiles à quantifier. Seul le gouverneur de Zinder
a pu donner un chiffre ce week-end : 4 000 personnes ont trouvé refuge
dans sa ville. Le HCR espère reprendre bientôt ses activités dans la région
de Diffa, mais craint pour la sécurité de ses travailleurs lorsqu’ils doivent se
déplacer entre les villages.
Les Nigériens sont-ils favorables à cette
intervention militaire ?
S’il est vrai qu’une bonne partie de la population du sud du pays partage la
même ethnie, la même langue et la même culture que les habitants du nord
Nigeria, les Nigériens dans leur ensemble qualifient les combattants de
Boko Haram de terroristes, et sont très choqués par leurs attaques,
notamment celles qui ont visé des musulmans et des mosquées au Nigeria.
Malgré les profondes divisions entre le président Issoufou et les partis de
l’opposition, les députés ont autorisé à l’unanimité l’intervention de leur
armée au Nigeria, comme ils l’avaient fait pour le Mali en 2013.
Mais ce consensus national ne durera peut-être pas : l’ARDR, l’alliance des
partis de l’opposition, a annoncé qu’elle ne participerait pas à la grande
manifestation organisée ce mardi 17 février à l’initiative du gouvernement,
en soutien aux populations attaquées par Boko Haram et à ses forces
armées.
Le Cameroun promet
d’« éradiquer » Boko Haram
Par Cyril Bensimon (Yaoundé, envoyé spécial)
LE MONDE | Le 17.02.2015 à 09h58 • Mis à jour le 17.02.2015 à 10h13
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Boko Haram manifeste ces derniers jours sa capacité à ouvrir plusieurs
fronts, mais aussi sa maîtrise du calendrier diplomatique. Après avoir mené
une succession d’attaques au Niger, une première incursion au Tchad et
effectué une démonstration de force au Nigeria dans la ville de Gombe
(nord-est), les djihadistes ont eu un nouvel affrontement, lundi 16 février,
avec l’armée camerounaise.
Un officier du bataillon d’intervention rapide (BIR), les troupes d’élite,
raconte que « l’accrochage s’est produit à 5 km de Waza, au niveau de la
frontière, et après nous avons fait du ratissage jusque dans le territoire
nigérian ». Le Cameroun ne dispose pas de droit de poursuite, mais le
contexte l’incite à faire fi des règles internationales face à un ennemi qui se
joue des lignes de démarcation entre Etats. Le bilan des combats est, selon
cette source, de cinq morts et sept blessés côté camerounais et d’au moins
six insurgés tués. Un blindé que ces derniers avaient arraché à la police
nigériane a également été saisi. Quelques jours plus tôt, selon des sources
tchadiennes, un blindé AML 90 de fabrication française avait été récupéré,
près de Gambaru au Nigeria, par les soldats déployés par N’Djamena.
« Impossibilité de compromis »
Ces derniers combats sont intervenus au moment où six dirigeants de la
Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (CEEAC) tenaient à
Yaoundé un sommet consacré à la lutte contre Boko Haram. Fer de lance
de la riposte régionale, Idriss Déby Itno a repris son rôle favori de stratège
militaire en envoyant aux hommes d’Abubakar Shekau un message
emprunté à Sun Tzu, le général et stratège chinois. « La guerre est
semblable au feu, lorsqu’elle se prolonge, elle met en péril ceux qui l’ont
provoquée », a lancé le président tchadien, copieusement applaudi. Un
instant plus tôt, son homologue camerounais, Paul Biya, avait fixé les
objectifs : « Il nous faut éradiquer Boko Haram », une « secte terroriste »
avec laquelle il existe « une totale impossibilité de compromis ».
Les Etats
d’Afrique
centrale se
sont
engagés à
débloquer
une aide
d’urgence de
76 millions
d’euros et à
apporter un
soutien «
multiforme
» au
Cameroun et
au Tchad
A l’issue de cette réunion, les Etats de la région se sont
engagés à débloquer une aide d’urgence de 50 milliards
de francs CFA (76 millions d’euros) et à apporter un
soutien « multiforme » au Cameroun et au Tchad. « Ils
peuvent nous fournir de l’armement, des avions de
transport de troupes, des hôpitaux de campagne, du
carburant », avance un proche de la présidence
camerounaise, précisant que « cela servira pour le court
terme avant que la communauté internationale vole à
notre secours ».
Le 7 février, les quatre pays (Nigeria, Cameroun, Tchad
et Niger) affectés par les attaques de Boko Haram, ainsi
que le Bénin, s’étaient accordés pour former une force
multinationale mixte (FMM) de 8 700 hommes mais,
selon une source française, « le financement est loin
d’être gagné et les Etats de la région n’ont pas des
capacités infinies avec la baisse des cours du pétrole ».
Le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, est
attendu cette semaine pour signifier le soutien de la
France à cette FMM alors que Paris fait tout pour ne pas être aspiré
militairement dans ce conflit. « Ce n’est plus dans l’air du temps. Avec plus
de 10 000 hommes mobilisés après les attentats, les effectifs manquent »,
estime une source officielle.
Au Cameroun, cette posture a souvent du mal à être entendue. « On
ressent cette froideur entre notre président et François Hollande. Nous ne
demandons pas forcément une intervention directe, mais un encadrement,
des conseils. Après le sommet de Paris [le 17 mai 2014], nous espérions
plus d’engagement », soupire un député du parti au pouvoir, précisant que
cette guerre a déjà coûté à son pays 640 milliards de francs CFA
(975 millions d’euros) en 2014.
Cellules dormantes
Le Cameroun est aujourd’hui plongé dans une guerre qu’il a tout fait pour
éviter. La région de l’extrême nord était devenue depuis plusieurs années un
vivier de recrutement et une zone de ravitaillement des insurgés nigérians,
mais Paul Biya se refusait à ouvrir les hostilités contre l’ennemi de ce voisin
avec lequel les relations, faites de conflits frontaliers, sont loin d’être
apaisées. Lorsque les djihadistes ont commencé à déborder sur son
territoire voilà deux ans, il a opté pour de discrètes négociations menées par
des notables de la région afin d’obtenir la libération des otages français, la
famille Moulin-Fournier le 19 avril 2013 puis celle du père Vandenbeusch, le
31 décembre de la même année. Des rançons ont été payées et des
islamistes ont été libérés des prisons.
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« Lorsqu’il a déclaré la guerre à Boko Haram depuis Paris, la surprise était
totale », reconnaît un proche de la présidence. Depuis, la hiérarchie militaire
dans la région septentrionale a été remplacée. Des hélicoptères de combat,
des blindés, des systèmes de renseignement ne devraient pas tarder à venir
renforcer les lignes qui tiennent la frontière. « Nous sommes en période de
montée en puissance. Dans trois mois, nous aurons beaucoup plus de
moyens », assure le colonel Joseph Nouma, le commandant du BIR dans
l’extrême nord. Trois mille de ces soldats d’élite, conseillés par des
instructeurs israéliens et américains, sont en cours de formation.
Si la guerre est encore circonscrite au nord, la crainte d’attentats à Yaoundé
ou à Douala est réelle. Des sources diplomatiques et sécuritaires évoquent
la probabilité de cellules dormantes dans les deux plus grandes villes du
pays. Dans ce contexte, les autorités ont promulgué, fin décembre 2014,
une loi antiterroriste particulièrement restrictive pour les libertés publiques.
Toute personne reconnue coupable de « terrorisme » est désormais
punissable de la peine de mort et le champ d’application de cette loi va bien
au-delà des actions djihadistes.
En effet, est défini comme « terrorisme » le fait de « contraindre le
gouvernement ou une organisation internationale (!) et de perturber le
fonctionnement des services publics (!) ou de créer une situation de crise
au sein des populations ». Des opposants, des défenseurs des droits de
l’homme mais aussi des proches du pouvoir considèrent qu’au prétexte de
la guerre, un régime d’exception vient d’être instauré afin d’empêcher toute
contestation politique ou sociale.
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La lutte contre Boko Haram entre enjeux nigérians
et politique régionale
L’armée nigériane s’apprêterait à
lancer une opération militaire de
grande envergure contre Boko
Haram. L'appareil sécuritaire a
toutefois reconnu qu'il n’aura pas
la capacité de mener
simultanément une opération
contre le groupe insurrectionnel
islamiste et de sécuriser
e"cacement le processus
électoral en cours.
Dans ce contexte, la commission
électorale a annoncé, le 7 février,
que la série d’élections qui devait
initialement commencer le 14
février, débutera finalement le 28
mars. Les partis d'opposition ont dénoncé cette décision, la considérant comme un
calcul politique émanant du parti au pouvoir alors qu’il se trouve en di"culté à
l’approche des élections.
L’annonce d’une o!ensive imminente - aussi opportuniste puisse-t-elle être sur le
plan politique - découle probablement aussi de la pression régionale et
internationale face à la menace croissante posée par Boko Haram.
«Il n'y aura pas de troupes étrangères au Nigeria pour lutter contre Boko Haram.»
Pendant des mois, telle a été la réponse invariable des autorités nigérianes quand un
appui militaire extérieur leur était proposé. Pourtant, la semaine dernière, les troupes
tchadiennes sont entrées au Nigeria par le Cameroun et ont engagé d'intenses
combats avec le groupe armé islamiste dans la ville de Gamburu.
Ces combats se sont déroulés quelques jours après que le Conseil de paix et de
sécurité de l'Union africaine a autorisé une version revue de la Force Multinationale
Mixte (FMM) contre Boko Haram, lors de sa réunion du 29 janvier, en prélude au
sommet de l'UA tenu à Addis Abéba les 30 et 31 janvier.
Si ces développements ont largement été interprétés comme un changement dans la
politique étrangère et sécuritaire du Nigeria, une lecture attentive indique
cependant que la position d’Abuja n'a pas fondamentalement évolué. En e!et, le
pays demeure réticent quant à une intervention étrangère sur son territoire. Il
compte bien conserver le contrôle et exercer son leadership dans toute tentative de
combattre le groupe terroriste.
Les troupes tchadiennes sont certes entrées au Nigeria, mais c’était dans le cadre
d'un accord militaire bilatéral, et pas dans le cadre d'une force multinationale. Quant
à la FMM autorisée par l’UA, elle ne sera pas déployée sur le territoire nigérian mais
dans les zones frontalières des pays voisins avec, pour objectif, de contenir
l'expansion régionale du groupe terroriste.
Pour ceux qui continuent de se soucier des écolières de Chibok qui ont été enlevées
et des victimes des autres actes terroristes perpétrés par Boko Haram, les modalités
annoncées du déploiement de la FMM constitutent forcément une déception. La
FMM apparaît largement en décalage avec le type de force qui aurait été nécessaire
sur le terrain, au Nigeria, pour éliminer la menace posée par Boko Haram.
Une force robuste à l’image de la Mission de l'Union africaine en Somalie
(AMISOM), qui combat les islamistes d'Al-Shabaab depuis 2007, aurait semblé plus
adéquate. La configuration de l'Initiative de coopération régionale de l’UA pour
l'élimination de l’Armée de résistance du seigneur, qui a été créé en 2011, aurait
aussi pu être envisagée.
Un autre modèle encore aurait pu être trouvé dans le format initial de la Mission
internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA), dans laquelle
l'armée nationale devait jouer le premier rôle dans les opérations, soutenue par la
force africaine, afin de reprendre le territoire alors contrôlé par des groupes armés
sécessionnistes ou djihadistes dans le septentrion malien.
Au lieu de cela, s’appuyant sur des «contingents déployés sur leur territoire
national», la FMM sera mandatée pour conduire des «opérations visant à prévenir
l'expansion de Boko Haram, ainsi que d'autres groupes terroristes et d'éliminer leur
présence». Elle facilitera également «la conduite de patrouilles
conjointes/simultanées/coordonnées et d'autres types d'opérations aux frontières des
pays touchés ».
L'autorisation par l'UA de la Force multinationale mixte a été demandée par les États
membres de la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT) - le Cameroun, le Tchad,
le Niger et le Nigeria - ainsi que par un État non membre, le Bénin, à la suite d’une
réunion ministérielle qui s’est tenue le 20 janvier dernier à Niamey au Niger.
La conférence de planification visant à développer le concept d’opérations de cette
force multinationale a eu lieu à Yaoundé, au Cameroun, du 5 au 7 février dernier. Il a
été convenu que la force de 8 700 hommes basée à N'Djamena, au Tchad, serait
autorisée à exercer un «droit de poursuite» sur le sol nigérian. La finalisation d’un
concept d'opérations est considérée comme une étape cruciale dans la légitimation
de la force - et peut-être dans la mobilisation de son financement - par
l'Organisation des Nations Unies (ONU), à travers une résolution du Conseil de
sécurité de l'ONU.
Il faut donc s’attendre, dans un avenir proche, à voir le Nigeria tenter de s’attaquer à
l'insurrection sur son territoire national tandis que les partenaires régionaux et
internationaux, qu’ils agissent ou non dans le cadre de la FMM, sécuriseraient les
zones frontalières pour empêcher Boko Haram de se répandre davantage dans les
pays voisins.
Jusqu'à récemment, le Nigeria envisageait le problème Boko Haram comme une
question strictement nigériane. Le statut du pays, puissance régionale, voire
continentale, sur les plans politique, militaire, économique et démographique, a
rendu di"cile la remise en cause de cette conception par les partenaires africains et
internationaux du Nigeria malgré les revers militaires graves que ses forces fédérales
ont essuyés.
Toutefois de larges pans du territoire nigérian ont commencé à tomber sous le
contrôle de Boko Haram, un nombre croissant de réfugiés ont a#ué vers le Niger et
le groupe a commencé à commettre des attaques dans le nord du Cameroun tout en
menaçant les routes commerciales vers le Tchad. Il est dès lors devenu flagrant que la
situation était hors de contrôle, et que la réponse du gouvernement nigérian était
insu"sante.
Devant l’apparente incapacité d’Abuja à réprimer l'insurrection, et son refus d’une
assistance militaire sous la forme d'une intervention multinationale étrangère sur
son territoire, seule une solution intermédiaire était envisageable. Une force
multilatérale dont l’objectif serait de contenir la menace était la seule forme
acceptable d'intervention étrangère qu’Abuja pouvait tolérer.
Sans l’assentiment du Nigeria, aucune solution durable au problème posé par Boko
Haram n’est envisageable. Le contexte politique incertain, avec des élections
générales qui se profilent à l’horizon, complique encore davantage la réaction
nationale. La réticence du Nigeria quant à une intervention régionale sur son
territoire peut également être liée à la suspicion qui caractérise les relations entre
certains des pays du bassin du lac Tchad.
C’est précisément pour régler les di!érends et rapprocher ses pays membres sur les
questions de développement, de sécurité et d'intégration que la CBLT a été fondée
en 1964. C’est aussi dans cet esprit que le prédécesseur de la force multinationale
mixte, appelée la Force multinationale conjointe de sécurité, a été créée dans les
années 1990 pour traiter des questions de sécurité transfrontalière dans la région du
lac Tchad.
À son 14ème sommet des chefs d'État et de gouvernement, tenu au Tchad, en avril
2012, la CBLT a décidé de réactiver cette force et d'étendre son mandat pour y
inclure la mission de contenir la menace Boko Haram. Le siège de la force, situé dans
la ville de Baga, dans l'État de Borno au Nigeria, est tombé entre les mains de Boko
Haram début janvier 2015.
Depuis le début des discussions visant à mettre en place la FMM, Abuja a soit
diplomatiquement boycotté l'initiative, soit usé de manœuvres pour s’assurer qu'il
garderait le leadership sur toute entreprise militaire. En plus de la di"culté de traiter
un tel défi multidimensionnel, les explications de ce comportement sont à trouver
dans les questions de souveraineté, de fierté nationale et d'image politique. Les
partenaires du Nigeria devraient garder ces facteurs à l'esprit lorsqu’ils cherchent à
aborder la question de Boko Haram avec le principal pays concerné.
De toute évidence, la force multinationale de la CBLT, dans sa configuration actuelle,
est nécessaire pour contenir l'expansion régionale de Boko Haram; mais cette force
n’a de sens que si le Nigeria joue pleinement son rôle dans la lutte contre
l'insurrection sur son territoire. À cet égard, la pression régionale et internationale
semble avoir déclenché une réponse nationale longtemps attendue.
Alors que le Nigeria et ses voisins se préparent à entreprendre des opérations
militaires majeures, il convient de mentionner que toute solution à long terme
nécessitera une approche qui va au-delà des nécessaires réponses sécuritaire et
militaire. Une telle approche devrait également inclure des réponses politiques,
économiques et sociales, qui rendront la tâche plus di"cile pour des groupes tels
que Boko Haram d’exploiter les griefs légitimes des populations dans les régions
marginalisées.
Lori-Anne Théroux-Bénoni, Directrice du bureau, Division Prévention des
conflits et analyse des risques, L’ISS Dakar Institute for Security Studies, 15 février 2015
Ce travail a été mené grâce à un appui du Centre de recherche en
développementinternational du Canada.
BOKO HARAM
Boko Haram : la sale guerre a commencé
24/02/2015 à 13:00 Par François Soudan
Composée
des
troupes
du
Cameroun, du Niger, du Nigeria et
du Tchad, la force régionale s'est
lancée dans la bataille pour enrayer
l'avancée de la secte jihadiste Boko
Haram. Une course contre la montre
est engagée pour détruire un ennemi
insaisissable et multiforme.
La ville nigériane de Gambaru, réduite en
cendres par les islamistes en mai 2014. © Jossy
Ola/AP photo
Lorsqu'il a fait ouvrir le feu sur les hordes
de combattants qui se ruaient vers la
prison de Diffa, le 9 février à l'aube, le
commandant nigérien de la garnison a
d'abord cru qu'il s'agissait de diables : "Ils paraissaient ne jamais mourir et mes hommes m'ont dit
que leurs grigris étaient très puissants." Avant de s'apercevoir que ceux que lui-même et ses
collègues tchadiens et camerounais appellent les "BH" (Boko Haram) avançaient par vagues suicides
identiques, sans jamais chercher à se protéger. L'assaut a été facilement repoussé ce matin-là, mais
le Niger était, pour de bon, entré en guerre.
La décision de mettre sur pied une force régionale de 8 700 hommes issus de quatre pays frontaliers
du Nigeria plus ce dernier, avec état-major opérationnel à N'Djamena, et destinée à traquer ce qui
est sans doute le groupe armé le plus violent au monde, a été scellée en marge du dernier sommet
de l'Union africaine, fin janvier à Addis-Abeba. Il a fallu pour cela tordre le bras au Nigeria, où la
secte d'Abubakar Shekau contrôle un territoire de 20 000 km! qui s'étend entre les États de Borno et
de Bauchi, et le menacer de déclencher des droits de poursuite sans son autorisation, pour que cette
plateforme mutualisée puisse voir le jour.
Des pressions directes soutenues par les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne, facilitées par
l'entente qui, désormais, est de mise entre les trois présidents francophones de la ligne de front : le
Camerounais Paul Biya, le Nigérien Mahamadou Issoufou et le Tchadien Idriss Déby. Parrain
transfrontalier dont l'armée est déjà engagée au Mali, mais aussi aux confins de la Libye, du Soudan
et de la Centrafrique, ce dernier fait figure de chef de file. Tant par leur puissance de feu que par la
qualité de leur encadrement, les hommes de l'ANT (Armée nationale tchadienne) seront le fer de
lance de l'offensive générale qui s'annonce. Mais si les plans d'attaque, avec pour objectif majeur la
ville de Maiduguri, métropole du Nord-Est nigérian encerclée par Boko Haram, sont prêts, la question
du financement reste encore en suspens.
Américains, Français, Britanniques et Canadiens n'offriront guère plus que du renseignement, des
survols de drones, un minimum d'aide logistique
et technique, du conseil pour la planification
des opérations et quelques dizaines d'éléments
de leurs forces spéciales. L'essentiel du coût de
cette nouvelle guerre devra être supporté par
l'Union africaine, l'ONU, l'Union européenne
peut-être, et les pays concernés eux-mêmes.
Pour l'instant, c'est sur fonds propres et grâce
L'essentiel du coût de
cette nouvelle guerre devra être
supporté par l'Union africaine,
l'ONU, l'Union européenne peutêtre, et les pays concernés euxmêmes.
aux 50 000 litres de carburant que leur livre chaque semaine le Cameroun que les détachements de
l'ANT ont entrepris les premiers ratissages. En attendant le jour J, prévu pour le 1er avril.
L'armée nigériane humiliée
Que se passera-t-il ensuite ? C'est un peu l'inconnu. L'attitude de l'armée nigériane, passablement
humiliée depuis cinq ans par son incapacité à réduire la rébellion jihadiste et minée par la corruption,
demeure une énigme. Ses officiers, dont la majorité est originaire du Sud chrétien (l'état-major
répugnant à laisser le commandement des troupes à des militaires nordistes, par crainte des
défections), et qui ne connaît ni les habitants ni la langue locale, coopéreront-ils aisément avec des
troupes étrangères, pour l'essentiel musulmanes, habituées à ce type de terrain et aux règles
d'engagement différentes ?
Les Tchadiens, dont l'armée est disciplinée, ont ainsi privilégié au sein de leur corps expéditionnaire
des officiers parlant le kanouri, langue d'une communauté transfrontalière de 8 à 10 millions d'âmes
présente au Nigeria, au Niger, au Tchad et dans l'Extrême-Nord du Cameroun et vivier de
recrutement quasi exclusif de Boko Haram. Pas sûr que les chefs des Nigerian Armed Forces
considèrent avec bienveillance ce choix tactique, à leurs yeux extrêmement risqué.
Encore creusé par l'affrontement préélectoral entre Goodluck Jonathan et Muhammadu Buhari, le
fossé Sud-Nord n'a il est vrai jamais autant divisé le Nigeria : "L'opinion partagée dans le Nord est
que Goodluck entretient, voire finance l'insurrection de Boko Haram pour mieux diviser les
musulmans, commentait il y a peu un chef d'État de la région, alors que dans le Sud, il n'est pas rare
d'entendre que plus les musulmans se tuent entre eux, mieux c'est. Vous voyez où ils en sont !"
L'armée nigérienne, ici à Dosso en décembre, a rejoint la coalition régionale le 9 février.
© Vincent Fournier / J.A.
Distributions de nourriture et prières de masse
L'autre point d'interrogation est la capacité de résistance des 6 000 à 12 000 hommes de la secte,
que la force régionale ambitionne de prendre en étau après avoir bouclé les frontières. On sait peu
de chose de la façon dont Shekau et son fantomatique Conseil de la Choura de trente membres
administrent leur "califat". Entre deux séries d'exécutions de "traîtres" (souvent des membres des
milices locales d'autodéfense), qui dégénèrent en tueries aveugles où les vieillards et les enfants ne
sont pas épargnés, les jihadistes nigérians, infiniment plus cruels que leurs homologues maliens,
somaliens ou même syro-irakiens, tentent parfois de gagner les coeurs et les esprits de leurs sujets.
Distributions de nourriture et séances de prières
de masse rythment ainsi la vie de Bama, localité
de l'État de Borno conquise par la secte en
septembre 2014, où l'émir local de Boko Haram
s'est installé dans le palais du Shehu, entouré
Les chefs de Boko Haram
ont pour habitude de droguer
leurs combattants afin qu'ils
soient indifférents à la mort.
de jeunes filles épousées de force. Cet ancien
poissonnier peut il est vrai se permettre un peu de répit : il a, dès son arrivée, fait massacrer tous
les hommes de la localité qui refusaient de lui prêter allégeance. Face à un ennemi multiforme et
insaisissable, adepte des attentats kamikazes, qui a largement infiltré les camps de réfugiés et
enrôle de plus en plus de jeunes au Niger, au Tchad et au Cameroun, l'offensive qui se prépare vise
la tête du serpent afin de la couper de ses métastases.
Les chefs de Boko Haram ayant pour habitude de droguer leurs combattants afin qu'ils soient
indifférents à la mort, cette guerre à huis clos sera sans doute longue - bien au-delà des six
semaines fanfaronnées par le conseiller à la sécurité du président nigérian - et très certainement
sanglante. Nul doute pourtant qu'il s'agisse là d'une guerre aussi juste et nécessaire que le fut, il y a
deux ans déjà, celle du Mali.
INTERNATIONAL
Aux Nations unies, la France peine à mobiliser contre Boko Haram
http://www.lefigaro.fr/international/2015/02/23/01003-20150223ARTFIG00326-aux-nations-unies-la-france-peine-amobiliser-contre-boko-haram.php
À la frontière entre le Nigeria et le Cameroun, la semaine dernière, des soldats tchadiens en lutte contre Boko Haram s'entretiennent avec
leurs alliés camerounais. Crédits photo : Edwin Kindzeka Moki/AP
La diplomatie française tente d'imposer l'idée d'une force africaine multinationale contre la secte islamiste.
Seuls en première ligne face à Boko Haram, le Niger, le Tchad, le Cameroun comptent sur les doigts de la main leurs soutiens
internationaux. La France, un des rares pays préoccupés1 par les gains territoriaux des milices islamistes en Afrique de l'Ouest, joue ellemême en ce sens une partition délicate au Conseil de sécurité des Nations unies. «Seule», selon une source proche de l'ONU, à favoriser
l'émergence rapide d'une force multinationale africaine anti-Boko Haram2, elle se heurte à l'indifférence polie de ses partenaires et au
silence assourdissant, voire au scepticisme, des quatre autres États membres permanents du Conseil. La Grande-Bretagne feint de
s'impliquer. La Russie pourrait suivre mais ne prendra aucune part active dans la mise en place. Idem pour la Chine, qui surveille ses
propres extrémistes comme le lait sur le feu. Les États-Unis, conscients de la débandade nigériane face aux illuminés de Boko Haram,
«regardent de loin», selon un diplomate occidental.
Officiellement, la position de Paris consiste donc à laisser le Tchad et le Nigeria, les deux États membres non permanents du Conseil
concernés au premier chef, «aller de l'avant» et proposer une ébauche de résolution, en se contentant de la soutenir vigoureusement
sans toutefois s'associer à sa rédaction. Selon le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, cité par RFI, cette ébauche de
résolution devrait «d'abord recevoir l'onction de l'Union africaine (UA)», puis «passer au vote, fin mars ou début avril».
Mais, à New York, la pusillanimité des délégations africaines laisse entrevoir un scénario légèrement différent, que certains diplomates
évoquent du bout des lèvres: celui où la France, comme pour la Libye en 2011 ou le Mali en 2013, serait une nouvelle fois appelée à
prendre ses responsabilités dans son ancien pré carré et «porter l'affaire devant les Nations unies» si nécessaire, faute de bonne volonté
de la part de ses partenaires habituels.
Cette implication française, comprise depuis le début des opérations militaires africaines contre Boko Haram comme un soutien
logistique, technologique et matériel, ne pourrait être formalisée que si ces trois États conjuguaient leurs forces de manière à présenter
une structure de commandement unifiée et un concept opérationnel harmonisé, visant à rassurer les parrains potentiels, mais frileux,
d'une telle aventure militaire aux confins de l'Afrique.
À New York, pourtant, ce sont bien les diplomates français qui tirent la sonnette d'alarme: si Boko Haram venait à étendre son influence
sur l'Afrique de l'Ouest francophone, le spectre d'une jonction avec les groupes islamistes libyens ayant fait allégeance à l'État islamique
en Syrie deviendrait réalité, plongeant le continent africain dans une effrayante dérive obscurantiste.
Cette menace peut-elle être encore contenue, voire repoussée et neutralisée, malgré la démission militaire du Nigeria? Une résolution
légitimant l'action des soldats nigériens, tchadiens et camerounais, en pointe face à Boko Haram mais esseulés, semble requise sans
délai. «Nous allons essayer de convaincre l'ensemble des membres du Conseil de sécurité qu'il faut absolument le faire, a ajouté Laurent
Fabius, non seulement sur le plan purement sécuritaire, mais il va falloir aussi accompagner cela d'une aide humanitaire, parce que dans
certaines zones la famine menace, et d'une aide au développement.»
Maurin Picard

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