ATTITUDES ET COMPORTEMENTS DES FEMMES CELIBATAIRES
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ATTITUDES ET COMPORTEMENTS DES FEMMES CELIBATAIRES
Article original ATTITUDES ET COMPORTEMENTS DES FEMMES CELIBATAIRES AYANT EU RECOURS A L’IVG AU SEIN DU CENTRE REGIONAL D’EDUCATION ET DE PLANIFICATION FAMILIALE DE SOUSSE Manel Limam*, Thouraya Nabli Ajmi*, Chekib Zedini*, Meriam El Ghardallou*, Manel Mellouli*, Afef Skhiri*, Ridha Gataa**, Ali Mtiraoui*. * Laboratoire de recherche qualité des soins en santé périnatale-Département de médecine familiale et communautaire-Faculté de Médecine Ibn El Jazzar, Sousse. ** Centre Régional d’Education et de Planification Familiale de Sousse. RESUME Objectifs Décrire les comportements à risque et les pratiques sexuelles chez les jeunes femmes célibataires demandeuses d’une interruption volontaire de grossesse dans la région de Sousse, et les facteurs qui lui sont associés. Patientes et méthodes Etude transversale de nature descriptive entreprise auprès de femmes célibataires demandeuses d’une interruption volontaire de la grossesse, et ce, de février 2005 à janvier 2006 dans le Centre Régional d’Education et de Planification Familiale de Sousse. Résultats Au total, 438 femmes ont été enquêtées. Leur âge moyen était de 23,7 ± 4 ans. Il ressort de notre étude que 61,5% des enquêtées pensaient qu'il est habituel d'avoir des relations sexuelles à leur âge. Les comportements à risque relevés étaient : le tabagisme dans 47,5% des cas, la consommation d’alcool dans 20,8% des cas et les drogues illicites dans 4,5% des cas. L’âge moyen de la première expérience sexuelle était à 19,7 ans. Le nombre moyen de partenaires sexuels variait de un à deux. La moitié des femmes (51%) a déjà eu une grossesse antérieure ou un avortement. 77 Article original Discussion Nos résultats étaient similaires aux autres études en ce qui concerne les conduites à risque sauf pour l’usage des drogues qui reste limité dans notre pays. Conclusion La population de femmes célibataires sexuellement actives est une population à haut risque en termes de santé de la reproduction. D’où l’importance de mettre au point des programmes éducatifs spécifiques pour inciter à une prise de conscience de la nécessité d’agir afin de prévenir les grossesses non désirées et les infections sexuellement transmissibles. Mots clefs : comportements à risque, attitudes, femmes célibataires, interruption volontaire de la grossesse, Tunisie. INTRODUCTION A la suite à la conférence du Caire sur la population et le développement (CIPD) de 1994, la communauté internationale a élaboré un accord visant à protéger et à promouvoir la santé sexuelle et reproductive des jeunes pour aborder avec plus de franchise les réalités de leur existence. En effet, le tiers (2,1 milliards d’individus) de la population mondiale se compose de personnes âgées de 10 à 24 ans dont l’énergie, l’idéalisme et les idées nouvelles représentent une source considérable pour l’humanité à condition d’une vie saine et épanouie [1]. Les recommandations de la conférence du Caire sur la santé reproductive des jeunes, sont fondées sur la vulnérabilité de cette population en raison des changements de mode de vie et l’avènement de facteurs qui peuvent avoir des répercussions néfastes sur leurs comportements et, par voie de conséquence, leur santé. En effet, l’urbanisation, le développement des télécommunications au-delà des frontières culturelles et géographiques, la multiplication des déplacements, le mariage à un âge plus tardif, la diminution de l’influence et du pouvoir de la famille et l’intensification de la violence, y compris la violence sexuelle [2], peuvent se révéler déterminants si les jeunes adoptent, en outre, des comportements à risque tels que les rapports sexuels précoces et non protégés, la déviance sexuelle et la toxicomanie (tabac, alcool, drogues) [3]. Ces comportements sont souvent générateurs de problèmes de santé tels que les infections sexuellement transmissibles (IST) et les 78 Article original grossesses non désirées, suite auxquelles les jeunes filles se trouvent souvent dans l’obligation de pratiquer des interruptions volontaires de grossesses (IVG). Celles-ci sont parfois répétées et même clandestines, et ont un retentissement sur la morbidité et la mortalité maternelle avec la survenue de stérilité secondaire, d’infections génitales, d’hémorragies graves, de fistules uro-génitales, avec des conséquences néfastes sur le développement social et économique de ces jeunes [4]. Parmi les problèmes de santé de la reproduction qui peuvent se révéler lourds de conséquences pour la société et pour la jeune fille en particulier, se trouve les grossesses non désirées chez les jeunes filles célibataires. En Tunisie, on n’a pas encore identifié les comportements à risque amenant cette population à avoir des grossesses non désirées et à subir des IVG. Dans la région de Sousse (Est de la Tunisie), nous disposons de données colligées au Centre Régional d’Education et de Planification Familiale (CREPF), où le nombre total des consultations pour IVG (femmes mariées et célibataires) n’a cessé d’augmenter passant de 887 en 2000 à 1232 en 2004 et 1262 en 2005. En 2004, les IVG pratiquées au sein du CREPF chez les filles célibataires ont représenté 22% du total des IVG. Le présent travail se propose de décrire les comportements à risque et les pratiques sexuelles de ces femmes célibataires ainsi que les facteurs qui lui sont associés. PATIENTES ET METHODES Il s’agit d’une étude transversale de nature descriptive menée durant une année (de février 2005 à janvier 2006) au sein du CREPF de Sousse auprès de jeunes filles célibataires qui se sont présentées pour pratiquer une IVG. La population de l’étude est constituée de jeunes filles célibataires qui consultent pour IVG. Les femmes mariées ont été exclues de notre étude. Nous avons inclus toutes les femmes célibataires demandeuses d’IVG durant la période s’étalant du 1er Février 2005 au 31 janvier 2006. Au total, 438 jeunes femmes ont participé à ce travail sur un total de 1261 consultations pour IVG enregistrées au cours de cette période auprès de femmes mariées et célibataires, soit 34,7% de l’ensemble des cas. Deux jeunes filles seulement ont refusé de participer à l’étude. Le recueil des données a été fait à l’aide d’un questionnaire anonyme pré-testé. Les jeunes filles sont interrogées avant l’IVG, par 79 Article original un interne en médecine préformé après avoir obtenu leur consentement éclairé et après qu’il leur a expliqué l’intérêt et le but de ce travail. Cette étude ne présente aucune atteinte à l’éthique professionnelle et aux droits des enquêtées. Les données recueillies ont concerné les caractéristiques sociodémographiques et familiales de la jeune fille, ses caractéristiques sanitaires, l’image du corps et l’environnement relationnel, les violences subies, les comportements à risque (tabagisme, alcoolisme, utilisation de drogues illicites, etc.) ainsi que les connaissances, les attitudes et les pratiques sexuelles et contraceptives. Dans ce travail, nous nous sommes uniquement intéressés aux attitudes et aux comportements à risque des femmes célibataires qui consultent pour IVG. Saisie et analyse des données Les données ont été saisies et analysées à l’aide du logiciel SPSS version 11.0, au sein du département de médecine familiale et communautaire de la faculté de médecine de Sousse. Les variables quantitatives continues ont été décrites par des moyennes ± leurs écarts type et les variables qualitatives l’ont été en pourcentages. La comparaison de ces variables a été effectuée avec le test t de Student ou le test de Chi 2 selon qu’elles soient quantitatives ou qualitatives. Le seuil de signification a été fixé à 5%. RESULTATS Caractéristiques sociodémographiques et antécédents Au total, 438 questionnaires ont été exploités. L’âge moyen des femmes était de 23,8 ± 3,9 ans. Les deux tiers des femmes étaient âgées de moins de 24 ans. Trente cinq virgule quatre pour cent des femmes avaient un niveau de scolarisation primaire, 41,8% un niveau secondaire et 21% un niveau supérieur. Parmi les femmes incluses dans l’étude, 60% exerçaient une profession, le plus souvent en milieu industriel (ouvrière, cadre moyen) et 16,7% avaient un statut d’élèves ou d’étudiantes. En revanche, 23,3% d’entre elles étaient sans profession. Près de la moitié des répondantes (45,9%) vivaient seules tandis que 27,9% vivaient avec leurs deux parents, 16,2% avec un seul 80 Article original parent et 10% avec d’autres membres de leurs familles. Le niveau d’instruction des parents ne dépassait pas le primaire chez 69,5% des pères et 79,6% des mères. Plus de la moitié des pères (52,5%) et 23,1% des mères avaient une occupation professionnelle permanente. Dans 90,6% des cas, ces femmes résidaient dans le gouvernorat de Sousse mais la majorité d’entre elles étaient originaires du CentreOuest [Kairouan (25,4%), Sidi-Bouzid (8,5%), Kasserine (4,8%), Gafsa (3,2%)] et du Centre-Est [Mahdia (4,3%), Monastir (3%), Sfax (1,8%)]. La moitié des femmes (51,1%, n= 224) avaient des antécédents de grossesse et 51,4% d’entre elles avaient eu leur première grossesse avant l’âge de 20 ans. Des antécédents d’avortement ont été retrouvés chez 51% des femmes. Parmi celles-ci, une femme sur trois a eu deux IVG ou plus. Soixante pour cent des IVG antérieures ont été pratiquées dans un milieu hospitalier public et 40% d’entre elles par un médecin de libre pratique. Aucune pratique clandestine d’IVG n’a été notée. Les conduites à risque Le tabagisme : 47,6% des femmes participantes n’avaient jamais fumé, 7,3% étaient des ex-fumeuses et 45,1% étaient des fumeuses actives, dont 29% de façon occasionnelle. L’âge de début du tabagisme était en moyenne de 18,4 ± 3,6 ans. Il ressort de nos résultats que 69,4% des femmes ont eu leur première cigarette avant l’âge de 20 ans. Les femmes qui consommaient plus de vingt cigarettes par jour représentaient 34,5% de l’ensemble de la population enquêtée. Dans 72,5% des cas, l’initiation à cette consommation était sous l’influence des amis. L’analyse des différents facteurs de risque a mis en évidence une association positive entre la consommation de tabac et les facteurs suivants : la résidence loin des parents (p<0.05), l’âge précoce du premier rapport sexuel (p<0,001) et l’alcoolisme (p<0,001). En revanche, il n’y a pas d’association significative avec l’âge jeune, le niveau d’instruction, le statut professionnel et le milieu d’origine (Tableau I). L’alcoolisme : 66,7% des répondantes n’avaient jamais consommé d’alcool, 18,6% en consommaient régulièrement et 14,7% étaient des ex-buveuses. Parmi les buveuses d’alcool, schématiquement près d’une fille sur cinq (19,4%) consommait ce produit au 81 Article original moins une fois par semaine et 54% d’entre elles avaient déjà été ivres au moins une fois. L’âge moyen de la première consommation d’alcool était de 19,5 ± 3,2 ans. Nos résultats montrent que les principales circonstances de consommation d’alcool étaient les cérémonies (60,9%) et l’échec sentimental (23,2%). La consommation d’alcool dans notre population était positivement corrélée avec l’âge précoce du premier rapport sexuel (p<0.001). En revanche, il n’y avait pas de relation statistiquement significative avec les différents autres facteurs étudiés (Tableau II). La consommation de drogues illicites : Il ressort de notre étude que 3,7% des femmes enquêtées ont déclaré avoir consommé de la drogue au moins une fois dans leur vie et que 60,9% d’entre elles ont révélé avoir connu des personnes qui se droguent. Ce comportement était considéré comme un problème fréquent chez les jeunes par 84,3% des répondantes. Il faut noter aussi que la consommation de drogues était associée significativement à la consommation d’alcool et de tabac (Tableau III). Les connaissances, attitudes et pratiques en matière de santé sexuelle et de contraception Les connaissances : La pilule (98,4%) et le préservatif (88,6%) étaient les contraceptifs les plus cités comme moyens de contraception disponibles par les femmes enquêtées. Le dispositif intra-utérin (DIU) (79%) arrivait en troisième position suivi respectivement des contraceptifs injectables (50,7%), du Norplant et de la ligature des trompes. Par ailleurs, 26% des femmes enquêtées ne savaient pas comment utiliser correctement ces moyens contraceptifs sauf pour le préservatif (dont l’usage est connu par 91,3% de ces femmes). Nos résultats montrent également que 7% des répondantes jugeaient les moyens contraceptifs non nécessaires dans les relations sexuelles et 30% d’entre elles considéraient que ces moyens constituent la principale cause de stérilité et peuvent engendrer des effets secondaires néfastes. Enfin, il convient signaler que moins de la moitié des femmes (43,8%) étaient conscientes des risques encourus par l’avortement. Attitudes envers la sexualité Pour 45.5% des femmes enquêtées, la sexualité chez les jeunes est une réalité et 21,3% pensaient qu’il est normal d’avoir des 82 Article original relations sexuelles avec un inconnu. Enfin, 62,4% d’entre elles trouvaient habituel le fait d’avoir des relations sexuelles à leur âge. Nous avons également recueilli les motifs évoqués par les femmes incluses dans l’étude pour expliquer leurs relations sexuelles. Il s’est avéré que pour 46,9% d’entre elles, le rapport sexuel est un acte d’amour. Dans 29,8% des cas, le rapport sexuel faisait suite à une promesse de mariage et dans 9,9% des cas il est motivé par un besoin d’argent. Pour 6% des répondantes, le rapport sexuel était l’occasion de vivre une expérience nouvelle ou de satisfaire un besoin naturel pour 4,1% d’entre elles. Mais paradoxalement, environ 71,6% de ces jeunes femmes ont déclaré que la femme doit sauvegarder sa virginité jusqu’au mariage. Les filles ayant un niveau de scolarisation élevé étaient plus favorables au comportement sexuel permissif (p<0,001) ainsi qu’à la perte de la virginité avant le mariage (p<0,003). Dans 54,1% des cas, les enquêtées ont jugé les jeunes filles sexuellement actives coupables tandis que 51% d’entre elles les considéraient comme des victimes. Cela veut dire que pour certaines enquêtées, les filles sexuellement actives sont à la fois victimes et coupables. Les femmes interrogées dans cette enquête étaient favorables à l’éducation sexuelle dans les établissements scolaires. En effet, 67,7% d’entre elles avaient répondu par la négative à la question «trouvezvous que l’éducation sexuelle favorise le relâchement des mœurs ?». Quant aux informations que ces femmes souhaitaient recevoir, elles portaient essentiellement sur l’éducation sexuelle en général (87,8%), la planification familiale (88,4%) et le développement du corps (40,9%). Les sources d’information les plus indiquées en matière d’éducation sexuelle étaient le personnel de la santé (80,2%), les pairs et les médias (49,2%) et la famille (22,5%). Les pratiques sexuelles et la contraception Il ressort de nos résultats que l’âge moyen des femmes au premier rapport sexuel était de 19,8 ± 3,4 ans avec des extrêmes allant de 11 à 35 ans. Il s’avère également que 67,4% des femmes ont eu leur premier rapport sexuel avant l’âge de 20 ans. Quant au nombre de partenaires sexuels, il variait entre 1 et 5 avec une moyenne de 1,3. La proportion des femmes célibataires 83 Article original ayant eu plusieurs partenaires sexuels était de 16%. Près du tiers des femmes enquêtées (32%) avaient des rapports sexuels irréguliers. Nos résultats ont montré aussi que 59% de ces femmes n’ont jamais utilisé de moyens contraceptifs et que seulement 11,7% d’entre elles les utilisaient de façon régulière. La pilule était le moyen contraceptif le plus utilisé (76%) par les femmes célibataires, suivie par les contraceptifs injectables (13,5%) et le préservatif (5,3%). Les motifs de non-recours aux moyens contraceptifs étaient nombreux; les plus cités étaient : la peur des effets secondaires (20,3%), les relations sexuelles irrégulières et sporadiques (14%), l’ignorance et la négligence de l’effet protecteur de ces moyens (11,3%) ainsi que le fait que la femme craint pour sa réputation (6,7%). Notre étude révèle également que 12% des femmes enquêtées trouvaient le préservatif difficile à utiliser et que pour 41,4% d’entre elles la décision de son utilisation revenait au partenaire sexuel seul. Il s’avère aussi que les principaux motifs poussant les femmes à utiliser ces moyens contraceptifs étaient essentiellement l’évitement d’une grossesse non désirée (dans 70% des cas) et la prévention des infections sexuellement transmissibles (dans 30% des cas). Il convient aussi de noter que le recours aux moyens contraceptifs était corrélé positivement avec l’existence d’une discussion au sein du couple concernant la prévention d’une grossesse non désirée (p<0,05). Nos résultats ont permis de constater, enfin, que dans la majorité des cas (79% des femmes enquêtées), la décision de pratiquer une IVG a été prise par la femme elle-même. Cette décision a, en revanche, été prise sous la pression de son partenaire dans 15,2% des cas et de celle de sa mère dans 2,7% des cas. DISCUSSION Notre travail a porté uniquement sur les femmes célibataires demandeuses d’IVG au CREPF de Sousse, seul lieu public pratiquant ce type d’intervention dans la région. Cette restriction ne nous permet pas de généraliser les résultats obtenus pour toute la population de femmes célibataires qui recourent à l’IVG dans la région de Sousse, puisque certains prestataires privés (cabinets médicaux et cliniques) offrent ce même service. 84 Article original Il ressort de nos résultats que les femmes ayant participé à cette étude étaient pour la plupart très jeunes, âgées, dans 66% des cas, entre 17 et 24 ans et que 8% d’entre elles étaient encore adolescentes au moment de leur recours à l’IVG. Ces jeunes femmes étaient instruites, puisque 63,8% d’entre elles ont dépassé le niveau primaire et 21% ont même un niveau supérieur. La majorité des femmes étaient actives (60%) et il s’agissait le plus souvent d’ouvrières et de cadres moyens. Nombreuses sont les femmes qui dépendaient encore économiquement de leur entourage. Celles-ci provenaient souvent d’un environnement familial plutôt instable. Ce profil est similaire à celui des femmes demandeuses d’IVG dans le monde : femmes jeunes, assez instruites, mal rémunérées, vivant seules, issues d’un milieu socio-économique défavorable, et dont la situation familiale est instable [5]. En effet, selon une enquête espagnole menée auprès de 13699 adolescents de 10 à 19 ans, les dysfonctionnements dans le noyau familial sont associés à une fréquence plus élevée de rapports sexuels (OR 2.06; IC95% [1.72-2.48]) [6]. Les principaux comportements à risque que nous avons pris en compte concernaient la consommation de tabac, d’alcool et de drogues illicites. Ces substances suppriment souvent l’inhibition favorisant ainsi le comportement sexuel à risque et interviennent lourdement dans les agressions et les crimes. D’autre part, les « fêtes » qui accompagnent souvent ces consommations, peuvent favoriser les agressions sexuelles et augmenter le risque d’avoir des rapports sexuels non protégés [7]. Tabagisme : Plusieurs facteurs influencent la consommation de tabac ; ils peuvent être démographiques (âge), socioculturels (niveau d’instruction, promotion du tabagisme dans les médias), environnementaux, économiques (prix de la cigarette) ou psychologiques (estime de soi, image de soi, prise de risque) [8]. Dans la population tunisienne, les études auprès des jeunes ont montré que la prévalence du tabagisme chez les jeunes filles variait entre 3,5% et 12,5% [7,9-12], l’âge de début du tabagisme se situant généralement entre 13 et 17 ans [9-13] et que 50% des fumeuses consommaient plus de 20 cigarettes par jour [12]. Une étude américaine [14] réalisée en 2011 dans 50 états, sur les comportements à risque chez les lycéens a montré que 42,9% des filles ont déjà fumé et 16,1% d’entre elles étaient des fumeuses actives. Cette étude a 85 Article original montré également que 8,4% des lycéennes ont fumé leur première cigarette avant l’âge de 13 ans. L’enquête ESPAD (European School Survey on Alcohol and other Drugs) [15] menée tous les quatre ans depuis 1999 dans 35 pays européens dont la France (observatoire français des drogues et toxicomanies, Inserm) a montré que l’âge moyen de la première cigarette était de 16 ans et que la prévalence du tabagisme chez les jeunes était en baisse : elle est passée de 30 à 16 % entre 1999 et 2007 chez les jeunes filles de 16 ans. Dans notre population d’étude, le nombre moyen de cigarettes fumées par jour est plus élevé que dans certains pays ayant fait des études similaires. Cette moyenne était de 15,5 cig/j chez les jeunes en Turquie [2], 11,8 cig/j en Philadelphie [16]. Comparativement à d’autres pays, notre population d'étude se distingue donc par une plus grande consommation de tabac et un âge de début plus tardif. Alcoolisme : Parmi les femmes enquêtées, 14,7% étaient des ex-buveuses alors que 18,6% avouaient qu’elles consommaient régulièrement des boissons alcoolisées. Parmi ces dernières, une fille sur cinq en consommait au moins une fois par semaine. L’enquête nationale sur la santé des adolescents scolarisés faite en 2000 en Tunisie, a montré que 7,5% des filles ont consommé au moins une fois une boisson alcoolisée, et 30% d’entre elles ont déjà été ivres au moins une fois [13]. Nos résultats sont inférieurs à ceux observés chez les jeunes en Ile de France, où la proportion des jeunes qui consommaient au moins une fois par semaine de l’alcool y est de 19,8% [17]. Aux Etats Unis [14], 37,9% des lycéennes consomment couramment de l’alcool et 19,8% d’entre elles rapportent une consommation excessive. Par ailleurs, le niveau d’instruction élevé est associé à la consommation d’alcool chez les jeunes femmes françaises [18] alors que nos résultats sont en faveur d’une augmentation de la consommation chez les jeunes femmes de bas niveau d’instruction mais sans que la différence ne soit statistiquement significative. Consommation de drogue : Dans notre étude, 3,7% des femmes célibataires enquêtées ont déclaré avoir consommé de la drogue au moins une fois dans leur vie. Il n’a pas été facile de connaître le type du produit utilisé par ces demandeuses d’IVG. Par ailleurs, 84,3% des femmes déclaraient que l’utilisation de la drogue est un problème fréquent chez les jeunes d’aujourd’hui. L’enquête réalisée en 2005 par l’Institut National de Santé Publique en Tunisie auprès d’un échantillon formé de 2953 jeunes âgés de 15 à 24 ans a 86 Article original montré que la consommation de drogue par voie injectable concerne 3,5% des jeunes, que 3,8% des jeunes filles ont déjà consommé une drogue et que 1,3% continuaient à en consommer [19]. Cependant, la prévalence observée dans notre population d’étude (4,1%) était nettement inférieure à celles observées dans les pays occidentaux. En 2011, aux USA, 5,7% des lycéennes ont déjà consommé une drogue et 1,8% en consomment couramment [14]. L’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies [20] décrit une variabilité régionale de la prévalence de la consommation de cannabis, d’ecstasy et de cocaïne parmi les jeunes adultes (15 à 34 ans) en Europe au cours de l’année 2004. Cette prévalence est de 4% en Grèce, 6% au Portugal, 12% aux Pays-Bas, 15% en Allemagne, 18% en Espagne, 20% en France, 23% en République tchèque [20]. Les connaissances, attitudes et pratiques sexuelles La jeunesse reste une période très fragile sur le plan sexuel se caractérisant par des comportements sexuels « troubles » [21]. Partout dans le monde, les jeunes ont un changement des mœurs tendant vers la libération, d'autant plus que plusieurs sociétés valorisent l’aspect de plaisir et sont plus permissives face à l’expression de la sexualité [22]. Dans notre société, les tabous concernant la sexualité avant le mariage commencent à être levés mais les connaissances générales sur la sexualité restent assez réduites. Ainsi, une étude réalisée en 2001 auprès de 352 étudiants à Sfax, a noté que les connaissances en matière de sexualité étaient dérisoires chez 41% des filles tandis que 22,1% d’entre elles avaient déjà entamé une activité sexuelle partielle et 6% avaient déjà des relations sexuelles complètes [23]. Concernant les attitudes et les pratiques sexuelles, notre étude a permis de constater que notre société est en pleine mutation dans le domaine de la sexualité chez les jeunes, nos chiffres ayant tendance à s’approcher de ceux observés dans des pays développés. L’interprétation des résultats a montré que les jeunes femmes célibataires adoptaient une attitude permissive envers la sexualité, en particulier les plus instruites d’entre elles. Une relation sexuelle avant le mariage est considérée par 6,5% des étudiantes à Sfax comme indispensable pour l’enrichissement de l'expérience sexuelle et la recherche du plaisir charnel [23]. Pour celles qui l’ont jugée inacceptable, les considérations religieuses et éthiques ont été avancées au premier plan (63%), suivies par la peur de contracter une IST (33%) [23]. 87 Article original D’autre part, les enquêtes faites sur la santé reproductive des jeunes en Tunisie depuis 1985 ont permis de constater que parler de sexualité n’embarrasse qu’un jeune sur cinq. Ces études ont montré aussi que la proportion des jeunes sexuellement actifs varie entre 22% et 54% selon les régions [21,23,24]. D’après l’enquête nationale sur la santé des adolescents scolarisés faite en 2004, 75% des enquêtés pensaient que les jeunes de leur âge avaient des rapports sexuels [13]. En outre, une autre étude a montré que 63% des étudiants et 22% des étudiantes déclarent avoir déjà entamé une activité sexuelle [23]. Dans différents pays développés, l’activité sexuelle avant le mariage chez les jeunes femmes est un comportement courant ; elle est observée aux EtatsUnis, en Allemagne, au Brésil, au Mexique et en Corée chez respectivement 78%, 50%, 46%, 17% et 12% des jeunes filles [25]. Enfin, il est important de noter que les pratiques sexuelles des femmes célibataires se caractérisaient essentiellement par leur précocité (67,4% sont sexuellement actives avant l’âge de 20 ans), leur caractère irrégulier, peu fréquent et imprévu ainsi que par l’absence de moyens de protection et la multiplicité des partenaires. Ce profil de pratiques sexuelles chez les jeunes femmes célibataires a été retrouvé dans plusieurs autres études [1,13, 23, 25]. Les connaissances en matière d’avortement provoqué et de contraception : Une enquête menée en 2001 par l’Office National de la Famille et de la Population, a montré que 83% des jeunes connaissaient les méthodes contraceptives [9]. Selon une enquête faite en 2009 à Sfax auprès de 140 sujets sur les connaissances relatives à la sexualité des femmes, 60,9% des personnes interrogées pensaient que la contraception n’était pas bénéfique pour les femmes et 51.8% d’entre elles pensaient qu'elle ne favorisait pas l’épanouissement sexuel de la femme [26]. Par ailleurs, l’information sur le mode d’utilisation des moyens contraceptifs reste insuffisante, comme c'est le cas dans notre étude. Le manque de fiabilité de certaines sources d’information en est la principale cause. En effet, devant l’absence de dialogue et de communication dans le domaine de la sexualité au sein de la famille, les informations dont disposent les jeunes proviennent des amis, des pairs, de la télévision et de la presse écrite. De plus, la diversité des sources d’information semble créer un flou dans l’esprit des jeunes, ce qui pourrait expliquer l’imprécision au 88 Article original niveau de leurs connaissances. Les autres causes possibles sont l’absence de programme scolaire ciblé pour les jeunes en matière de santé sexuelle, le niveau d’instruction souvent limité des parents (celui des mères notamment) ainsi que les tabous socioculturels [23]. Les pratiques contraceptives : Dans notre population d’étude, les moyens contraceptifs étaient utilisés régulièrement dans uniquement 11,7% des cas, le moyen contraceptif le plus utilisé étant la contraception hormonale par voie orale. D’après l’enquête nationale sur la santé familiale faite en 2002 par l’ONFP, 42% des jeunes filles utilisent la pilule et 40% utilisent le préservatif lors des rapports sexuels [27]. Il convient de rappeler que, selon le rapport sur les statistiques sanitaires de 2009 de l’OMS, la prévalence de la contraception chez les femmes en Tunisie est de 62,6% [28]. Ce résultat est semblable à celui observé au Maroc où la prévalence de la contraception vaut 63%. En revanche, dans les pays développés, l'utilisation des contraceptifs est plus fréquente. Ainsi, selon l’OMS, la prévalence de la contraception est de 78% au Portugal et 81,8% en France [28]. D’après une étude réalisée en Ile de France [29], près de 60% des étudiants enquêtés utilisaient systématiquement un moyen de contraception. Pour 62% d’entre eux, il s’agit d’une contraception orale. Une autre étude réalisée en France dans les pays de la Loire par l’observatoire régional de la santé a montré que 96% des femmes âgées de 15 à 25 ans et sexuellement actives, utilisaient une méthode contraceptive, le plus fréquemment de type hormonal (87%), peu souvent le préservatif (6%) et rarement le dispositif intra-utérin (1%) [30]. D’autres résultats ont été rapportés dans la littérature internationale. Ainsi, 27% des jeunes en Grèce n’ont jamais utilisé un moyen contraceptif lors des rapports sexuels [5]. Cette proportion est nettement plus élevée dans les pays en développement où les jeunes ont tendance à ne pas utiliser de moyens contraceptifs. En effet, la non-utilisation de tels moyens est de 87% en Jamaïque [31], 70% au Mexique [31] et 90% au Sénégal [25]. CONCLUSION Parmi les enseignements tirés de notre étude, il est à noter que la population de femmes célibataires sexuellement actives constitue une population à haut risque en matière de santé de la reproduction. 89 Article original Leur profil exige la mise en place de programmes d’intervention ciblés afin de répondre à leurs besoins spécifiques ainsi que pour prévenir les risques qu’elles encourent au premier rang desquels figurent les IST et les grossesses non désirées. Parmi les axes d’intervention potentiels, nous proposons de renforcer l’éducation sexuelle en milieu scolaire et universitaire. Il a été, en effet, prouvé que l’éducation sexuelle joue un rôle déterminant dans la sensibilisation des lycéennes et des étudiantes sur les risques qu’elles encourent. Il s’agit également de promouvoir les programmes d’information, d’éducation et de communication en dehors du milieu scolaire tels que les cellules d’écoute et l’éducation par les pairs. Il est, par ailleurs, fortement recommandé de faciliter aux jeunes l’accès aux services de contraception et de counselling, et ce, en améliorant l’accessibilité géographique, psychologique et temporelle aux espaces spécifiques fournis par la Direction de la Médecine Scolaire et Universitaire et par l’Office National de la Famille et de la Population. Il est aussi de la plus grande importance d’impliquer les parents et les enseignants ainsi que les organisations de jeunes dans les activités d’encadrement, de formation et de sensibilisation en matière de santé sexuelle, l’objectif étant de mener une intervention coordonnée et concertée (donc plus efficace) sur les différents facteurs de risque. BIBLIOGRAPHIE 1. Greene M, E., Rasekh Z, Amen K-A. Population: la génération actuelle et les politiques de santé sexuelle et reproductive dans un monde jeune 2002. 2. Friedman HL. Surmonter les obstacles à la santé des adolescents. Network. 1994;9(2):4-5. 3. Baudier F. Ces jeunes qui nous font peur. Santé publique. 2003;15:181-9. 4. Fonds Des Nations Unies Pour la Population. Kamoun M.R Moalla A. Cherif S.«Santé sexuelle et de la reproduction des adolescents et des jeunes : Réalités et perspectives» Tunis. Janvier 2002. 5. Mavroforou A. Adolescence and abortion in Greece: women’s profile and perceptions. 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REMERCIEMENTS Ce travail a été élaboré en étroite collaboration avec le Centre Régional d’Education et de Planification Familiale (CREPF) de Sousse. 92 Article original Tableau I : Etude des facteurs associés au comportement du tabagisme chez les femmes célibataires demandeuses d’IVG (sur les données disponibles) TABAC OUI NON ≤ 18 ans 4 8 > 18 ans 193 230 Age du 1er rapport sexuel ≤ 18 ans 89 72 > 18 ans 108 168 Résidence loin des parents Oui 102 98 Non 95 142 Oui 66 15 Non 131 222 Analphabète ou primaire 68 94 Secondaire ou supérieur 129 146 Elève/étudiante 31 42 travaille 123 139 Sans profession 43 59 Urbain 118 134 Rural 74 96 Age Alcool Niveau d’instruction Statut professionnel Milieu d’origine 93 P-Value 0,399 0,001 0,022 0,001 0,317 0,631 0,505 Article original Tableau II : Etude des facteurs associés au comportement d’alcoolisme chez les femmes célibataires demandeuses d’IVG (sur les données disponibles) ALCOOL P-Value OUI NON ≤ 18 ans 3 8 > 18 ans 78 344 ≤ 18 ans 49 112 > 18 ans 32 242 Oui 47 154 Non 34 200 Analphabète ou primaire 38 125 Secondaire ou supérieur 43 229 Elève/étudiante 9 62 travaille 47 215 Sans profession 25 77 Urbain 41 210 Rural 38 132 0,439 Age Age du 1er rapport sexuel Résidence loin des parents Niveau d’instruction Statut professionnel Milieu d’origine 94 < 10-4 0,18 0,052 0,131 0,121 Formation médicale continue Tableau III : Etude des facteurs associés au comportement de consommation de drogue chez les femmes célibataires demandeuses d’IVG (sur les données disponibles) DROGUE Age Age du 1er rapport sexuel Résidence loin des parents Niveau d’instruction Statut professionnel Milieu d’origine Tabac Alcool JAMAIS AU MOINS UNE FOIS PValue ≤ 18 ans 12 0 - > 18 ans 399 16 ≤ 18 ans 150 9 > 18 ans 262 7 Oui 186 11 Non 226 5 Analphabète ou primaire 151 8 Secondaire ou supérieur 261 8 Elève/étudiante 70 3 travaille 249 8 Sans profession 93 5 Urbain 242 9 Rural 159 8 Oui 68 12 Non 342 4 Oui 182 12 Non 229 4 63 0,107 0,063 0,278 - 0,743 < 10-4 0,015