Marseille sortie de la mer, avec ses poissons de roche, ses

15
20
25
Je fermerai partout portières et volets
Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.
Alors je rêverai des horizons bleuâtres,
Des jardins, des jets d’eau pleurant dans les albâtres2,
Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,
Et tout ce que l’Idylle3 a de plus enfantin.
L’Émeute4, tempêtant vainement à ma vitre,
Ne fera pas lever mon front de mon pupitre ;
Car je serai plongé dans cette volupté
D’évoquer le printemps avec ma volonté,
De tirer un soleil de mon cœur, et de faire
De mes pensers5 brûlants une tiède atmosphère.
Charles Baudelaire,
Les Fleurs du Mal, 1857.
1. Églogues : poèmes qui évoquent la nature et l’amour.
2. Albâtres : vasques en pierre blanche.
3. Idylle : petit poème évoquant la nature et l’amour (synonyme d’églogue).
4. L’Émeute : une révolte populaire, avec peut-être une allusion à la révolution de 1848.
5. Pensers : pensées.
Document B
5
10
15
Marseille
Marseille sortie de la mer, avec ses poissons de roche, ses coquillages
et l’iode,
Et ses mâts en pleine ville qui disputent les passants,
Ses tramways avec leurs pattes de crustacés sont luisants d’eau marine,
Le beau rendez-vous de vivants qui lèvent le bras comme pour se
partager le ciel,
Et les cafés enfantent sur le trottoir hommes et femmes de maintenant avec leurs yeux de phosphore,
Leurs verres, leurs tasses, leurs seaux à glace et leurs alcools,
Et cela fait un bruit de pieds et de chaises frétillantes.
Ici le soleil pense tout haut, c’est une grande lumière qui se mêle à
la conversation,
Et réjouit la gorge des femmes comme celle de torrents dans la
montagne,
Il prend les nouveaux venus à partie, les bouscule un peu dans la rue,
©HATIER
20
Et les pousse sans un mot du côté des jolies filles.
Et la lune est un singe échappé au baluchon d’un marin
Qui vous regarde à travers les barreaux légers de la nuit.
Marseille, écoute-moi, je t’en prie, sois attentive,
Je voudrais te prendre dans un coin, te parler avec douceur,
Reste donc un peu tranquille que nous nous regardions un peu
Ô toi toujours en partance
Et qui ne peux t’en aller
À cause de toutes ces ancres qui te mordillent sous la mer.
Jules Supervielle, Débarcadères, 1927.
Document C
Banlieue pauvre
C’est une ville en ruines
Où les gros autobus débarquent le mercredi
Leurs équipages d’enfants tristes
5
10
Comme des éboulis de rêves en vitrine
Du petit magasin de couleurs
Où l’on vend des poupées de laine
Et des oiseaux bleus en carton.
Les tours arborent des robes noires
Profondes et pailletées de diamants
Ce sont les joyeuses veuves de l’amour
Il reste un damier de jardins
Où crient les gamins et les poules
Le ciel n’a guère d’imagination
Et l’horizon pense à dormir
15
La ville est morte depuis longtemps
Des suites d’un ancien chagrin
Dont se souviennent les passants
Les trains bondés ne cicatrisent pas
Ses lèvres gercées de silence.
Jean-Michel Maulpoix,
La Matinée à l’anglaise, 1982.
©HATIER
m Vous
commenterez le poème de Jules Supervielle (document B), à partir du parcours de lecture suivant :
a) Comment la ville est-elle décrite ?
b) Quelles relations le poète entretient-il avec Marseille ?
D’autres pistes / Pour aller plus loin
m Pour l’écrit
1. Vous ferez le commentaire du poème de Baudelaire « Paysage »
(document A pp. 81-82). Vous pourrez vous appuyer sur le parcours de
lecture suivant :
a) Montrez que le poète pose un regard de peintre sur le Paris du
e
XIX
siècle.
b) Comment néanmoins transfigure-t-il la réalité par son écriture
poétique ?
c) Quelle image du poète et de son art révèle ce poème ?
2. Vous ferez le commentaire du texte de Jean-Michel Maulpoix
« Banlieue pauvre » (document C p. 83). Vous pourrez vous inspirer du
parcours de lecture suivant :
a) Quelle image de la ville ce poème dessine-t-il ?
b) Pourquoi peut-on parler de poésie engagée à propos de ce poème ?
m Pour l’oral
Dans le cadre de l’objet d’étude « La poésie »
• « Paysage » de Baudelaire (document A pp. 81-82)
– Quels aspects de Baudelaire peintre et poète ce poème révèle-t-il ?
– Comment expliquez-vous la présence de ce poème dans un recueil intitulé Les Fleurs du Mal ?
©HATIER
– Pourquoi peut-on dire que ce poème illustre la phrase de Baudelaire :
« Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or » ?
– Quelle définition et quelle image Baudelaire, dans ce poème, suggère-til de la démarche poétique et de l’inspiration ?
• « Marseille » de Supervielle (document B pp. 82-83)
– Montrez comment, petit à petit, se dessinent les rapports entre le poète
et sa ville modèle.
– Étudiez comment le monde humain et le monde naturel s’imbriquent
l’un dans l’autre dans ce poème. Quel est l’effet produit ?
– Quelle est la valeur symbolique de cette description poétique ?
– Montrez qu’au-delà d’un hymne à Marseille ce poème est un hymne à
la vie et à la création poétique.
– Analysez le mélange des tons : enthousiasme, inquiétude et humour…
• « Banlieue pauvre » de Maulpoix (document C p. 83)
En quoi ce réquisitoire contre la ville est-il l’œuvre d’un poète ?
Dans le cadre de l’objet d’étude « Convaincre, persuader, délibérer »
• « Banlieue pauvre » de Maulpoix (document C p. 83)
Peut-on, selon vous, parler de poésie engagée à propos de « Banlieue
pauvre » ?
©HATIER