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LES HABILETÉS POLITIQUES DU DIRIGEANT :
AU-DELÀ DE L’IMAGE ET DU JEU DE L’ACTEUR
Gérard OUIMET, Ph.D.
La présente étude a mis en lumière certains modes d’expression des habiletés politiques de
rayonnement et de représentations du dirigeant. Alors que le recours aux rituels et aux symboles
(tactiques politiques participant au rayonnement de l’image du dirigeant) s’exprimait par
l’intermédiaire de la présidence solennelle de réunions de ressourcement et de l’exploitation de
récits mythologiques, de paraboles et de métaphores, l’utilisation de l’appel à l’inspiration (tactique
politique inhérente aux représentations du dirigeant), s’actualisait au moyen d’un enseignement
spirituel invitant les membres à s’investir dans l’édification d’un monde meilleur.
Mots clés : Psychologie du pouvoir, habiletés politiques, tactiques politiques de rayonnement et de
représentations, leadership spirituel.
INTRODUCTION
L’exercice du pouvoir est une réalité largement répandue dans le monde des affaires. Qui plus
est, pareil exercice est fortement encouragé par les instances décisionnelles. Il est de notoriété
publique que « l’affirmation de son autorité » ou « l’expression de son leadership » confère à
la personne agissante des qualités essentielles à sa progression professionnelle. Capacité d’un
acteur (l’agent) de faire faire quelque chose à un autre acteur (la cible) qu’il n’aurait pas fait sans
l’intervention du premier acteur (Dahl, 1957), le pouvoir, qu’il soit formel (la gestion ou le
management) ou informel (le leadership), est au cœur des activités du dirigeant. S’en remettant
à sa position hiérarchique (composante formelle de l’entreprise), le dirigeant exercera son
pouvoir légitime – ou autorité – en assumant son rôle de gestionnaire. Dans la mesure où son
statut hiérarchique et ses actions managériales lui étant afférentes sont respectivement perçus
légitime et crédibles par la cible, le dirigeant pourra procéder à la gestion des activités courantes
de l’entreprise. Dans une perspective de gestion processuelle de la quotidienneté, son autorité
s’exprimera au moyen du traditionnel PODC, soit la planification, l’organisation, la direction et le
contrôle des opérations de l’entreprise (Fayol, 1979). Quant à l’actualisation de son leadership,
le dirigeant se devra d’exploiter pour l’essentiel sa personnalité (composante informelle de
l’entreprise). Contrairement à la gestion axée sur l’administration opérationnelle du présent, le
leadership concerne la conception stratégique du futur. Au moyen de ses qualités personnelles
charismatiques, à savoir principalement sa vision, sa passion et sa facilité de communication, le
dirigeant se fera le leader du changement. Par sa vision inspirante de l’avenir, sa passion
contagieuse des défis et son aptitude à transmettre de façon convaincante ses messages, le
dirigeant s’efforcera de mobiliser les membres de son équipe à s’engager résolument sur la voie
du changement (Kotter, 1996; Ouimet, 2005). Qu’il s’agisse de gestion ou de leadership, le
pouvoir du dirigeant constitue un facteur grandement valorisé dans le milieu organisationnel.
Toutefois, cette valorisation du pouvoir se révèle conditionnelle au respect des normes et des
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pratiques dûment cautionnées par les entreprises. Effectivement, le recours par le dirigeant à des
moyens non sanctionnés par l’entreprise ternit le lustre des qualités positives de son pouvoir.
DYNAMIQUE ET COMPOSANTES DU POUVOIR POLITIQUE
L’exploitation d’une opportunité d’action par des moyens non prévus et non prescrits par
l’entreprise inscrit le dirigeant sur la voie contestée du pouvoir politique. En effet, la valeur
positive de ce type de pouvoir ne fait pas l’unanimité auprès de la communauté scientifique. Il est
possible d’identifier trois écoles de pensée relativement à la pertinence du pouvoir politique
organisationnel.
Premièrement, il y a l’école des opposants à l’expression du pouvoir politique en entreprise.
Selon les tenants de cette position conceptuelle, le pouvoir politique d’un acteur est
foncièrement nuisible au fonctionnement global de l’entreprise (Beeman et Sharkey, 1987;
MacGregor Serven, 2002; Mintzberg, 1983). Il est en fait le symptôme d’une sévère carence en
matière de qualité de prise de décision et de disponibilité de ressources importantes. C’est ainsi
que l’effet combiné d’une part d’un processus décisionnel et évaluatif complexe et ambigu et,
d’autre part, d’une compétitivité interne suscitée par la rareté des ressources incite les membres
de l’entreprise à sombrer dans l’arrivisme. Seul un mode de gestion, prônant d’une part la
transparence et l’objectivité au chapitre de la prise de décision et de l’évaluation de la
performance et, d’autre part, l’équité lors du processus de répartition des ressources, est
susceptible de faire place efficacement à l’émergence des comportements politiques des
membres de l’entreprise.
Un deuxième groupe de chercheurs estime que l’expression de tels comportements échappera
toujours au contrôle de l’entreprise et ce, peu importe la nature du mode de gestion. Parce que
libre par essence, l’être humain est un « animal politique », à savoir qu’il est capable d’évaluer
le potentiel des opportunités que recèle une situation et, subséquemment, de les exploiter
stratégiquement (Crozier et Friedberg, 1977; Farrell et Petersen, 1982; Kacmar et Ferris, 1993;
Mayes et Allen, 1977; Ouimet, 2005). Cette capacité de profiter des occasions afin d’atteindre
les résultats escomptés ne se révèle pas en soi nécessairement délétère à la vitalité de
l’entreprise. Effectivement, autant un individu peut user de moyens approuvés ou non par
l’entreprise à des fins réprouvées par cette dernière (comportement politique négatif), autant ce
même individu peut recourir à des moyens non approuvés par l’entreprise afin d’arriver à des fins,
cette fois-ci, approuvées par celle-ci (comportement politique positive). Plus spécifiquement,
trois différents types de comportements politiques peuvent être émis par un membre de
l’entreprise. Il y a tout d’abord le comportement politique négatif insidieux consistant en
l’utilisation d’un moyen sanctionné par l’entreprise afin d’atteindre une fin qui, elle, ne l’est pas.
Un exemple saillant de ce type de comportement politique serait la grève du zèle. Le deuxième
type est le comportement politique négatif flagrant, soit le recours à un moyen non sanctionné
par l’entreprise afin de servir une fin également non sanctionnée. Le sabotage est un exemple de
comportement politique appartenant à cette deuxième catégorie. Enfin, le comportement
politique positif constitue le dernier type. Tel que mentionné précédemment, ce comportement
fait référence au recours à un moyen non sanctionné par l’entreprise afin d’arriver à une fin
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sanctionnée par celle-ci. Par exemple, le contournement hiérarchique – communément appelé
bypassing – entre dans cette catégorie de comportements politiques. Bien qu’un employé
s’éloignant de certaines consignes (moyen non sanctionné) afin de respecter les délais de
livraison d’une importante commande (fin sanctionnée) puisse être réprimandé, il n’en a pas
moins aidé l’entreprise à accomplir sa mission. La nature positive du comportement politique fait
exclusivement référence à la défense des intérêts de l’entreprise. Toutefois, elle n’indique
nullement que ceux-ci soient éthiques.
Finalement, un troisième groupe de chercheurs estime que le comportement politique est non
seulement indissociable de l’existence humaine, mais surtout essentiel à la résolution innovatrice
de différends entre acteurs (Schermerhorn, Hunt et Osborn, 1991). Appartenant à ce dernier
groupe de penseurs, Butcher et Clarke (1999, 2002, 2003) soutiennent que le comportement
politique de nature constructive favorise le sain rayonnement de la démocratie organisationnelle.
Qu’il fasse l’objet de réprobation, de constatation ou d’engouement, le comportement politique
demeure un phénomène largement répandu dans les entreprises. Devenu pouvoir politique suite
à son actualisation sous forme de production d’influence attitudinale et/ou comportementale
chez autrui, le comportement politique revêt différentes formes d’expression, désignées par le
terme tactiques politiques. Un acteur fera montre d’habiletés politiques s’il procède à une lecture
judicieuse des forces en présence – appelée intelligence politique –, sélectionne la tactique
politique appropriée eu égard au diagnostic précédent et l’applique avec efficacité. Les premières
études abordant la problématique des tactiques d’influence – terme employé à l’époque pour
désigner les tactiques politiques – ont permis l’identification de onze différents types de tactiques
politiques utilisées par les membres d’une entreprise (Kipnis, Schmidt et Wilkinson, 1980;
Schriesheim et Hinkin, 1990; Yukl et Falbe, 1990; Yukl, Lepsinger et Lucia, 1992; et Yukl et
Tracey, 1992). La nomenclature ainsi générée est la suivante : (1) la persuasion rationnelle
(utilisation d’arguments logiques et d’évidences factuelles); (2) l’éveil aux avantages (mise en
exergue des bénéfices personnels afférents à la coopération); (3) l’appel à l’inspiration (référence
aux valeurs ou aux idéaux de la cible ou création d’un ébranlement émotionnel); (4) la
consultation (sollicitation de l’avis de la cible); (5) l’échange immédiat de faveurs (logique du
donnant-donnant); (6) la collaboration (engagement à fournir les ressources désirées si la cible
obtempère); (7) la demande personnelle (requête faite au nom de l’amitié ou de la grandeur
d’âme); (8) la bienveillance (emploi de la flatterie juste avant de formuler une requête); (9) le
recours aux règles (étayement de la demande sur des prescriptions formelles); (10) la pression
(harcèlement, insinuation et menace); et (11) la coalition (recherche du support des autres afin
de limiter la marge de manœuvre de la cible).
S’inscrivant dans la même foulée heuristique, Zanzi et O’Neill (2001) ont circonscrit l’existence
de tactiques politiques additionnelles, soit : (1) la cooptation (introduction de partisans afin de
neutraliser les opposants); (2) les rituels et les symboles (exploitation de la présidence de
pratiques cérémoniales et ostentation de signes de pouvoir); (3) la manipulation (distorsion de la
réalité et dissimulation des intentions); (4) la pupillarité (devenir le protégé d’un acteur puissant);
(5) le mentorat (prendre sous sa coupe des acteurs novices); (5) le placement (supporter la
promotion à des postes stratégiques de gens nous étant favorables); (6) la gestion de
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l’incertitude (constitution d’une réserve de certaines ressources en cas de pénurie); (7) le
contrôle de l’information (sélectionner le contenu du message et son récepteur); (8) le
discernement prescriptif (interprétation intéressée des règles); (9) l’utilisation de substituts
(création d’un tampon absorbant les frustrations de la cible); (10) la construction de son image
(fréquentation de gens puissants et apparition lors d’événements importants); (11) le réseautage
(agrandissement et entretien de son réseau d’influence); (12) le recours aux intérêts supérieurs
(référence à la recherche du plus grand bien); (13) l’exploitation de ressources discrétionnaires
(argent, temps, services, etc.); (14) l’utilisation de son expertise personnelle (connaissances
et/ou habiletés nécessaires à la réalisation d’une tâche); (15) la symbiose (établissement d’une
relation mutuellement renforçante avec un acteur puissant); (16) le blâme ou l’attaque (recherche
d’un bouc émissaire); et (17) le recours à une expertise externe (consolidation de sa position au
moyen des recommandations de spécialistes indépendants).
Pour sa part, Ouimet (2005) propose une typologie regroupant 24 tactiques politiques au sein de
quatre catégories. Selon l’auteur, les tactiques politiques reposent essentiellement sur les
relations que possède l’acteur lui assurant du soutien; la qualité de ses représentations auprès
de la cible; la valeur des ressources disponibles; et son rayonnement dans son environnement
immédiat. Il sied d’examiner plus attentivement ce qui est convenu d’appeler les 4 R du pouvoir
politique.
Les relations de l’acteur lui fournissent l’appui nécessaire à son action politique. Qu’elles
s’actualisent sous forme de mentorat, réseautage, coalition, cooptation, placement ou symbiose,
les relations assurent essentiellement la protection de l’acteur. En associant à l’acteur des
supporteurs, elles ont une valeur dissuasive. Elles forment son assiette politique.
Les représentations concernent le jeu de l’acteur lors d’une tentative d’influence. Il s’agit en fait
d’une prestation scénique ayant pour dessein de persuader (persuasion rationnelle, recours aux
intérêts supérieurs et éveil aux avantages personnels), d’émouvoir (appel à l’inspiration et
demande personnelle), ou d’amadouer (bienveillance, faveur obligataire et discernement
prescriptif) la cible.
Les ressources sont les moyens utilisés par l’acteur lors de représentations auprès de la cible.
Alors que les représentations de l’acteur correspondent à la forme de l’échange avec la cible, les
ressources se révèlent la substance de celui-ci. Contrairement aux récompenses et aux
sanctions formellement inscrites dans le contrat de travail et, lorsque activées, engendrent
respectivement les pouvoirs de récompense et de coercition, les ressources sont à géométrie
variable et leur utilisation demeure aléatoire. Elles dépendent de la volonté stratégique de
l’acteur et non de l’application d’une convention collective. Les principales ressources
discrétionnaires exploitées par l’acteur sont l’argent, le temps, l’information, l’incertitude et
l’expertise personnelle ou externe.
Enfin, le rayonnement renvoie à la construction et à la mise en valeur de l’image de l’acteur.
L’acteur travaille ici davantage sur lui-même que sur la cible. Son action vise à accroître
l’intensité du halo enveloppant sa personne. En recourant à l’utilisation de rituels et de
symboles, à des fréquentations sélectives, à la diffusion de réalisations importantes, à la défense
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de causes nobles et à l’identification de boucs émissaires, l’acteur s’efforce de faire bonne
impression. Il importe de distinguer entre le pouvoir de référence émanant de la personnalité de
l’acteur et le pouvoir politique engendré par son rayonnement. Le pouvoir de référence provient
des attributs internes et naturels de l’acteur : sa personnalité. Qu’elle soit extravertie ou
introvertie, charismatique ou effacée, la personnalité de l’acteur existe sans que ce dernier n’ait
à y penser ou agir. Elle est une partie constituante de sa personne avec laquelle les gens
peuvent s’identifier ou non. Le pouvoir politique produit par rayonnement implique, quant à lui, le
concours des attributs externes et artificiels de l’acteur : son personnage. Contrairement à la
personnalité, le personnage existe uniquement dans la mesure où il est joué. Un acteur pourrait
être foncièrement timide tout en incarnant un personnage hardi et volubile.
Selon Ouimet (2005), il existerait une complémentarité synergique entre les quatre types de
tactiques politiques. Conséquemment, l’exploitation concurrente du plus grand nombre de types
possibles de tactiques politiques participerait à accroître la force du pouvoir politique.
Il existe par ailleurs très peu d’études ayant mis en lumière les modes d’expression des tactiques
politiques. Appelés jeux politiques par Mintzberg (1983), ces modes d’expression nous
renseignent sur la façon dont s’y prend concrètement l’acteur pour construire ses relations,
façonner son rayonnement, livrer ses représentations et exploiter ses ressources. C’est
précisément cette carence analytique qui est à l’origine de la problématique de la présente étude.
PROBLÉMATIQUE
Les études de cas réalisées entre autres par Crozier et Friedberg (1977) et Mintzberg (1983) ont
permis l’identification de certains modes d’expression des tactiques politiques utilisées par les
acteurs évoluant en milieu organisationnel. C’est assurément les jeux politiques visant la
construction de relations et la modulation des ressources qui ont reçu le plus d’attention. Alors
que Mintzberg observe in vivo les comportements des acteurs impliqués dans la composition des
jeux politiques relationnels nommés (1) jeu du parrainage (2) jeu de la construction d’alliances (3)
jeu de la construction d’empires (4) jeu de la budgétisation (5) jeu des compétences spécialisées
et (6) jeu de l’autoritarisme, Crozier et Friedberg décrivent pour leur part, avec moult détails, les
jeux politiques visant l’orientation de la répartition des ressources. Nous savons par ailleurs très
peu de choses au sujet de la façon de procéder de l’acteur lors de l’utilisation de tactiques de
représentations et de rayonnement. Aussi, relativement au premier type de tactiques peu
exploré, nous tenterons d’examiner, dans le cadre de la présente étude, la nature du jeu scénique
de l’acteur sous l’angle des thématiques développées. Quant au deuxième type de tactiques, nos
efforts porteront sur l’identification des jeux servant à la bonification de l’image de l’acteur.
L’examen des représentations et du rayonnement de l’acteur s’appuiera sur une version modifiée
du modèle typologique de Ouimet (2005) présentée au tableau 1.
MÉTHODOLOGIE
L’examen des modes d’expression des tactiques politiques propres aux représentations et au
rayonnement de l’acteur fut rendu possible grâce à une étude de cas réalisée in situ auprès des
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membres d’un certain département d’une firme oeuvrant dans le secteur tertiaire. L’étude de cas
puise son origine d’un mandat d’assistance psychologique à l’intention des membres du
département.
Tableau 1
Adaptation du modèle typologique des 4 R du pouvoir politique
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La direction de l’entreprise craignait que le congédiement du directeur du département, motivé
par la mise à jour d’une importante fraude financière dont il fut l’auteur, n’ait heurté
psychologiquement les employés ayant évolué sous son autorité et, conséquemment, altéré le
lien de confiance les unissant à l’entreprise. Essentiellement, la fraude financière consistait en la
production de faux frais de représentation ; l’allocation à certains fournisseurs de contrats de
service aux montants exagérément élevés en échange de généreuses ristournes personnelles ;
et la vente illicite de certains produits dont les profits étaient entièrement encaissés par le
directeur du département, nommé Monsieur X. Reconnu coupable de malversations, d’abus de
confiance et de trafic d’influence ayant généré une fraude estimée à 270,000$, Monsieur X fut
condamné à une peine d’emprisonnement de quatre ans.
Les dix-sept personnes participant à l’étude de cas sont des cadres intermédiaires et des
professionnels. Suite à une réingénierie profonde du processus d’affaires de l’entreprise, un
nouveau directeur, Monsieur X, fut nommé à la tête de leur département. Son mandat fut d’une
durée de 14 mois et demi. L’intervention en matière d’assistance psychologique débuta cinq
semaines après le congédiement. Celle-ci s’est réalisée au moyen de séances individuelles
organisées par l’entreprise. D’une durée moyenne d’une heure, chacune de ces séances avait
pour objectif d’offrir du support psychologique aux personnes qui en exprimaient le besoin, de
vérifier l’état du lien de confiance liant les membres du département à l’entreprise et, ultimement,
de tourner la page sur ce regrettable événement.
Les entretiens étaient très peu directifs et visaient expressément à permettre aux membres du
département d’exprimer ce qu’ils avaient vécu pendant le mandat du directeur limogé. Au début
de chacune des séances, seulement trois questions étaient formulées, à savoir : (1) Avez-vous
cru en lui ? ; (2) Si oui, pourquoi ; sinon, pourquoi? ; et (3) Comment avez-vous réagi à
l’annonce de son congédiement ? Par la suite, les sujets étaient librement invités à livrer leur
expérience personnelle de ce triste épisode professionnel.
Le choix de l’entretien non directif comme instrument de cueillette de l’information fut motivé par
la nature présumée commotionnelle de l’événement investigué : le congédiement de Monsieur X.
En effet, il existe au sein de la communauté scientifique un large consensus quant à
l’adéquation de l’entretien non directif lors d’interventions dans des situations lourdement
chargées d’affects (Daunais, 1990 ; Grawitz, 1990 ; Smith, 1995).
Puisque l’étude porte sur les manifestations du pouvoir politique, seuls les sujets ayant indiqué,
lors de l’entretien non directif, avoir été influencés par les tactiques politiques de Monsieur X
constitueront notre échantillon non aléatoire. Des dix-sept personnes ayant œuvré sous la
direction de Monsieur X, neuf personnes ont avoué n’avoir pas d’une part trouvé Monsieur X
crédible et, d’autre part, été influencées par les tactiques politiques de Monsieur X s’actualisant
lors de journées de ressourcement tenues à l’extérieur du bureau. Les réponses de ces neuf
personnes, appelées sujets sceptiques, ne feront donc pas l’objet d’une analyse de contenu
dans le cadre de la présente étude. Par ailleurs, les huit autres personnes du département dirigé
à l’époque par Monsieur X ont répondu affirmativement à la question « Avez-vous cru en lui ?».
Qui plus est, toutes ces personnes, appelées sujets adhérents, ont justifié leur croyance en
Monsieur X en alléguant avoir été influencées par celui-ci lors des journées de ressourcement.
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La variable émergente « influence », circonscrite grâce à la deuxième question (Si oui, pourquoi ;
si non, pourquoi ?) et à la période d’échange libre à la toute fin de l’entretien, a été isolée dans
les réponses des sujets adhérents au moyen de paramètres lexicaux rigoureux. Effectivement,
seuls les extraits des réponses comportant les mots synonymiques « influence », « pouvoir » ou
« effet » étaient retenus pour établir l’efficacité des tactiques politiques exploitées par Monsieur
1
X. C’est ainsi que les expressions, « Il m’avait influencé avec ses présentations » , « C’est
2
3
évident qu’il exerçait du pouvoir sur nous » et « Il produisait de l’effet sur moi » servaient
d’indicateurs de la production réussie d’influence de la part de Monsieur X.
Le même procédé restrictif de repérage lexical fut appliqué afin de déterminer les modes
d’expression du pouvoir politique de Monsieur X, à savoir les types de tactiques politiques
utilisées. Les 38 pages de verbatim regroupant l’entièreté des réponses des huit sujets
adhérents furent examinées à l’aide d’une grille définitionnelle des seize tactiques politiques de
représentations et de rayonnement constituée à partir du modèle de Ouimet (2005). Seuls les
extraits comportant les termes exacts ou synonymiques des définitions des différentes tactiques
politiques ont été sélectionnés afin d’établir l’utilisation efficace de celles-ci par Monsieur X. Ce
filtrage terminologique serré a permis l’identification de trois tactiques politiques, à savoir la tenue
de rituels, l’exploitation de symboles (tactiques politiques de rayonnement) et le recours à
l’appel à l’inspiration (tactique politique de représentations). Plus spécifiquement, l’existence de
la tenue de rituels était confirmée par la présence, dans les propos des sujets, des mots et des
locutions nominales suivantes : « journées de ressourcement », « rencontres », « réunions »,
« retraites fermées » et « meetings ». L’exploitation de symboles était systématiquement
établie par l’utilisation des mots « mythes », « paraboles » et « métaphores ». Enfin,
l’identification du recours à l’appel à l’inspiration était rendue possible par la présence des
expressions «promotions de valeurs fondamentales » et « poursuite de grands idéaux ».
Quoique conscients que l’analyse limitative du contenu des entrevues puisse occulter
l’expression plus nuancée et subtile d’autres tactiques politiques afférentes aux représentations
et au rayonnement de Monsieur X, nous estimons que cette méthode d’analyse des données,
basée sur l’acceptation littérale des indicateurs des variables à l’étude, s’imposait tout
particulièrement dans le présent contexte d’études où le recours à la technique de la
4
triangulation ne fut pas permis. Effectivement, l’analyse qualitative des réponses des sujets
n’ayant pas fait l’objet soit d’une approbation consensuelle de la part d’au moins un autre
chercheur (triangulation interprétative), soit d’une corroboration fournie par d’autres sources de
données, tels des notes de service, des témoignages de témoins externes à la situation, etc.
(triangulation informationnelle), soit d’une convergence des constatations émanant de l’utilisation
de plusieurs techniques de recherche, tel l’emploi d’un questionnaire standardisé (triangulation
méthodologique), il s’avère à plus forte raison impérieux que celle-ci respecte rigoureusement le
principe de parcimonie conceptuelle (Glaser, 1993 ; Lapierre, 1997 ; Lincoln et Guba, 1985 ;
Nastasi et Schensul, 2005). Selon ces auteurs, la réduction de la description d’un phénomène
en une représentation conceptuelle synthétique minimise les risques de l’apparition d’une
discordance entre les données empiriques et leur interprétation. Découlant de ce principe,
l’acceptation restrictive de la teneur définitionnelle des variables explicitées ci-dessus visait
expressément la bonification de la validité interne de la technique de recherche utilisée, soit
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l’entretien non directif. Essentiellement, la validité interne traduit la capacité d’un instrument de
cueillette d’information à faire correspondre le plus fidèlement possible ce qui est observé (les
indicateurs) avec ce qui est conceptualisé (les variables). Enfin, l’entretien non directif, n’étant
conduit qu’une seule fois et ce, auprès d’un très petit échantillon non aléatoire de sujets, les
critères de fiabilité et de validité externe, relativement aux indicateurs captés, ne peuvent être
rencontrés. Cette limitation en matière de robustesse temporelle (fiabilité) et spatiale (validité
externe) se veut souvent inhérente aux études de type exploratoire.
Les deux groupes de sujets présentent de grandes similitudes entre eux en matière de sexe,
d’âge, d’ancienneté au sein de l’entreprise en question et de niveau d’instruction. C’est ainsi que
comparativement au groupe des huit sujets adhérents (quatre femmes et quatre hommes) ayant
un âge moyen de 43.3 ans, le groupe des neuf sujets sceptiques (quatre femmes et cinq
hommes) affiche un âge moyen de 41.6 ans. De même, l’ancienneté des membres des deux
groupes au sein de l’entreprise ne présente pas de différences marquées, soit 17.1 ans dans le
cas du groupe des sujets adhérents et 15.8 ans dans le cas du groupe des sujets sceptiques.
Enfin, le nombre d’années de scolarité des sujets des deux groupes est passablement le même
(17.6 ans pour le groupe des adhérents versus 18.4 ans pour celui des sceptiques).
Afin de préserver l’anonymat des personnes interviewées, leurs noms ainsi que celui de
l’entreprise sont passés sous silence. Nous utiliserons le vocable « sujet » pour désigner
chacune des personnes ayant pris part aux séances d’assistance psychologique. De plus,
aucune information ayant trait à la nature des opérations menées par le département des
membres et au secteur d’activités de l’entreprise ne sera fournie. Puisque les agissements et la
condamnation de Monsieur X ont été rapportés par certains médias, la localisation de l’entreprise
ainsi que la période où se sont passés les événements ne sont pas divulguées.
Dans le but de synthétiser le traitement des différents modes d’expression des tactiques
politiques mises de l’avant par Monsieur X, l’analyse se limitera, pour chacun de ces modes, aux
extraits les plus significatifs des réponses fournies par les sujets adhérents, c’est-à-dire ceux qui
ont cru en lui. De plus, afin de reproduire le plus fidèlement possible la teneur de ces extraits,
nous avons procédé à la retranscription du verbatim des propos recueillis. Les définitions des
mots et des expressions utilisés par les sujets et n’appartenant pas en propre à la langue
française seront présentées en notes infra-paginales.
RÉSULTATS
La teneur des réponses recueillies lors des échanges ayant trait à l’expérience personnelle des
sujets relativement à l’incident de Monsieur X a permis de constater que la totalité de ceux-ci se
portaient bien et que leur confiance en l’entreprise n’en avait pas été amoindrie par autant.
Aucun des sujets ne s’est absenté de son travail suite à l’annonce du congédiement de Monsieur
X. Ayant tous manifesté l’intention de demeurer à l’emploi de l’entreprise, les sujets entrevoient
leurs prochains défis professionnels avec optimisme et enthousiasme. Hormis le sujet no 17 qui,
bien qu’en précisant son adhésion à la mission corporative de l’entreprise et son désir de
poursuivre sa carrière à l’intérieur de ses murs, tenait responsable la direction de l’entreprise de
ce triste épisode, les autres sujets, tout en déplorant l’événement en question, estiment qu’il
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s’agit là d’un cas isolé, difficilement prévisible et qu’il est maintenant temps de passer à autre
chose. Les extraits des propos du sujet no 13 sont représentatifs de l’état d’esprit des membres
du département.
Sujet no 13 : […] Nous nous en sommes parlé entre nous et je pense que tout le monde en ait
arrivé à la même conclusion. C’était un accident de parcours comme il en arrive des tas, non
seulement dans le monde des affaires, mais également dans la vie courante. Même en prenant
toutes les précautions nécessaires, nous ne sommes jamais à l’abri de déceptions. Il faut
seulement en tirer les leçons qui s’imposent afin d’éviter que ce genre de situations ne se répète
dans le futur.
Si les dix-sept membres du département affichent entre eux une forte similitude en matière de
sérénité et d’engagement organisationnel, il en est autrement de leur adhésion au mode de
gestion de Monsieur X. Les réponses aux questions se rapportant à leur confiance en lui et à
leurs réactions suite à son congédiement ont permis d’une part d’identifier deux groupes
distincts de membres, les adhérents et les sceptiques, et, d’autre part, d’explorer a posteriori
une problématique émergente, non prévue au moment des entretiens non directifs, à savoir : les
modes d’expression du pouvoir politique de Monsieur X auprès des membres ayant cru en lui.
L’établissement de l’adhésion des membres à leur directeur fut établi au moyen des réponses
fournies à la première question de l’entretien (Avez-vous cru en lui ?). Seules les personnes
ayant exprimé n’avoir nourris aucun doute à l’endroit de leur directeur ont été identifiées en tant
qu’adhérents. Au nombre de huit, les membres ayant cru en Monsieur X ont mentionné que ce
dernier les avait influencé dans leurs activités professionnelles et pratiques de gestion. Selon ces
huit membres, le pouvoir qu’exerçait Monsieur X sur eux proviendrait de la tenue de séances de
« ressourcement stratégique » se déroulant à l’extérieur du lieu de travail. Il importe ici de
préciser que Monsieur X pratiquait au quotidien un style de gestion plutôt distant. Quatorze des
dix-sept sujets ont mentionné que la presque totalité de leurs échanges avec lui avait eu lieu lors
de ces séances. Durant son mandat, soit 14 mois et demi, Monsieur X a présidé seize journées
entières de « dynamisation énergétique du potentiel créateur stratégique de l’être humain ».
Alors que les neuf sujets sceptiques ont exprimé soit un doute, soit un malaise, ou soit encore
une vive aversion à l’endroit de ces journées de ressourcement collectif, les huit sujets adhérents
se sont dit avoir été impressionnés et influencés par les enseignements qui s’y donnaient.
L’exploitation de la problématique de recherche émergeant du mandat d’assistance
psychologique, soit l’étude des modes d’expression du pouvoir politique de Monsieur X, découle
de l’examen des données recueillies auprès du groupe des huit sujets adhérents. Numérotés de
1 à 8, ces huit sujets ont précisé la nature de l’influence exercée sur eux par Monsieur X lors des
séances de « ressourcement stratégique » en répondant aux questions (1) Avez-vous cru en
lui ? et (2) Si oui, pourquoi ?
Il convient de souligner que le pouvoir de Monsieur X sur ce groupe de sujets est de nature
politique. Effectivement, la direction de l’entreprise a mentionné n’avoir jamais autorisé la tenue
de ce genre de réunions (moyen non sanctionné). Cette dernière a admis qu’il était normal que
des réunions de travail se tiennent occasionnellement à l’extérieur de ses murs. Toutefois, ces
réunions doivent strictement porter sur la planification stratégique des objectifs ou
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l’établissement de bilans trimestriels de performance. Selon la direction de l’entreprise, il n’est
pas dans la culture de la firme de permettre la tenue de séances de croissance personnelle et,
d’autant plus, si celles-ci font appel à des notions et pratiques inhabituelles. Par ailleurs, eu égard
aux fins poursuivies par Monsieur X lors de ces séances, il n’est pas possible de statuer à
l’effet qu’elles soient sanctionnées ou non par l’entreprise. Il se peut que l’influence exercée par
Monsieur X auprès des membres ayant cru en lui ait contribué à un raffermissement de leur
estime de soi et de leur confiance en leurs moyens et, conséquemment, accru leur performance
au travail. Il importe enfin de préciser qu’il n’est pas possible d’affirmer que le pouvoir politique
de Monsieur X sur les huit sujets adhérents ne se soit révélé délétère pour ceux-ci. La fraude
orchestrée par Monsieur X concernait l’entreprise en tant que telle et non ce groupe spécifique
d’employés.
L’examen des propos des huit membres adhérents se disant avoir été influencés par Monsieur X
lors des séances de ressourcement révèle que le pouvoir politique de celui-ci reposait
essentiellement sur l’utilisation de tactiques de rayonnement et de représentations.
Rayonnement
Les tactiques de rayonnement employées par Monsieur X sont le recours aux rituels et aux
symboles.
Les seize journées de ressourcement stratégique s’apparentent à des rituels à la fois de
célébration de l’excellence des membres du département et d’exploration de la puissance de
leurs forces mentales et spirituelles. Toutes les journées étaient présidées par Monsieur X qui
accueillait personnellement chacun de ses employés sous le porche d’une petite auberge
champêtre située dans un coin retiré. Les tables de la salle de réunion étaient disposées en
forme de U et Monsieur X prenait place au centre à l’avant de la pièce. Le programme de la
journée était protocolaire en ce sens que la programmation des différentes activités respectait
toujours la même séquence. En premier lieu, Monsieur X entretenait ses employés des questions
d’intendance à la base du fonctionnement des opérations du département. Puis, il procédait à
mettre en exergue la valeur et le mérite de chacun des membres du département dont le succès
et la renommée leur étaient largement redevables. Enfin, le reste de la journée était consacrée à
l’approfondissement de notions à la base de la croissance des individus et du développement des
entreprises. À l’occasion, un formateur était invité à livrer certains enseignements et à guider le
cheminement didactique des membres. Lorsque l’animation était confiée à un invité, Monsieur X
demeurait tout de même à l’avant de la salle et intervenait fréquemment lors de la présentation
des concepts ou de l’exécution des exercices. Les huit sujets ont tous mentionné lors des
entretiens avoir été influencés par la tenue de ces journées de ressourcement. L’influence ainsi
produite s’est manifestée au chapitre soit de l’estime de soi, du sentiment de compétence, du
sentiment de supériorité ou de la charge émotionnelle. Les extraits des réponses des sujets 2,
7, 3 et 6 explicitent respectivement les quatre principaux effets ressentis.
Sujet no 2 (extrait portant sur l’estime de soi) : Le matin, après avoir fait le tour des questions
de régie interne, on avait droit à notre moment de gloire. […] Il se levait toujours et se dirigeait
vers le centre du demi-cercle formé par les tables. Et avec sa voix un peu feutrée, vous savez
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une voix de crooner à la Bing Crosby, il nous regardait chacun dans les yeux en nous disant à
quel point il était fier de travailler avec nous. À chaque fois, ce moment-là de nos rencontres
produisait de l’effet sur moi. […] Je pense qu’au plus profond de nous, nous avons besoin de se
faire dire que nous sommes bons et beaux. […] Ça fait tellement de bien à l’ego !
Sujet no 7 (extrait portant sur le sentiment de compétence) : […] À l’époque, je croyais dans la
valeur de ces exercices. Ils me faisaient du bien et me donnaient la sensation de posséder une
grande force à l’intérieur de moi. Pendant un certain temps, je ne voyais plus le monde de la
même façon. […] J’avais l’impression que je pouvais réussir tout ce que j’entreprenais.
Sujet no 3 (extrait portant sur le sentiment de supériorité) : Sa principale force consistait à nous
faire sentir différents des autres. Je dirais même, supérieurs aux autres. En pleine réunion, il
n’hésitait pas à vanter nos mérites et dire à quel point il était important de prolonger notre passé
glorieux. On devait tous être solidaires et travailler ensemble afin de demeurer le département no
1. […] Il avait réussi à nous faire croire que nous formions l’élite de l’entreprise.
Sujet no 6 (extrait portant sur la charge émotionnelle) : Il était tellement charismatique et
6
passionné. Un vrai preacher ! […] Il vivait tellement ce qu’il te disait que tu ne pouvais pas ne
pas être influencé par lui. […] C’était une boule d’émotions. Ça lui sortait carrément par les pores
de la peau. […] Son émotivité créait dans le groupe un effet d’entraînement. Lorsqu’il parlait, il y
7
avait de l’électricité dans l’air. C’était un gars qui te boostait au maximum. Il savait créer de la
8
chimie dans le groupe.
Le rayonnement de Monsieur X impliquait également l’exploitation de symboles et, notamment,
le mythe, la parabole et la métaphore. Sept sujets ont mentionné avoir été influencés par
l’utilisation du mythe et de la parabole. Quant à l’influence tributaire de la métaphore, celle-ci fut
décelée auprès de six sujets. Alors que l’influence produite par le mythe et la parabole fait
référence à l’émerveillement des sujets, celle afférente à l’emploi de la métaphore renvoie à la
vivacité des images générées par le discours. Les extraits des sujets no 1 et 5 nous renseignent
sur les modes d’expression de cette tactique politique.
Sujet no 1 (extrait portant sur l’émerveillement) : […] C’était une personne qui parlait beaucoup
en paraboles. Il fallait souvent décoder ce qu’il nous disait. Prenez par exemple, nos fameuses
journées de ressourcement. Les thématiques étaient souvent empruntées à la mythologie et aux
forces spirituelles. Il nous a parlé d’Ulysse et des sirènes et de l’importance d’avoir les dieux de
notre côté. Ensuite, on a eu droit aux douze travaux d’Hercule. […] Mais ça finissait toujours bien.
Les bons l’emportaient toujours. […] J’étais en quelque sorte fasciné par tous les héros et tous
les exploits qu’il nous présentait. […] J’ai cru en lui parce qu’il parvenait à susciter en moi de
l’émerveillement. […] Il était un bon conteur et les mythes ont toujours quelque chose de
magique. Le fil d’Ariane et le cheval de Troie sont de belles histoires. […] On entend parler
d’histoires fantastiques avec des héros, des dieux et des monstres. […] On a besoin de rêver et
d’échapper à l’occasion aux activités terre-à-terre du bureau. […] Moi, tout ça me donnait de
l’oxygène. […] Ça me donnait de l’énergie.
Sujet no 5 (extrait portant sur la vivacité des images) : […] Je me souviens très bien de sa
stratégie du dauphin. Il nous avait expliqué que le monde se divisait en trois catégories
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d’individus. Il y avait les requins, les carpes et les dauphins. Et si on voulait réussir dans la vie, il
fallait devenir un dauphin. […] Pour résoudre efficacement des problèmes, il fallait se comporter
comme un dauphin, c’est-à-dire être pragmatique, solidaire et courageux. […] Sa stratégie du
dauphin a connu beaucoup de succès. C’était bien raconté et bien imagé. On voulait tous devenir
des dauphins. […] J’aimais sa façon de nous raconter des histoires. On s’évadait avec lui. […]
C’est vrai que le monde des affaires ressemble à la mer. Les tempêtes sont les fusions
d’entreprise ; les naufrages sont les faillites ; les pêches miraculeuses sont les nouvelles
acquisitions, et ainsi de suite. […] C’était tout cet aspect métaphorique qui m’emballait. J’avais
adopté, jusqu’à un certain point, sa façon de voir le monde. […] Son discours imagé frappait
beaucoup mon imagination. Ça laissait des traces dans notre pensée. C’était facile de se
rappeler exactement ce qu’il nous avait dit.
Représentations
Les tactiques politiques de représentations employées par Monsieur X se résumaient, selon les
propos des membres adhérents, à l’appel à l’inspiration. Cette tactique propose aux membres
l’atteinte d’idéaux élevés, à savoir l’accomplissement d’une œuvre grande et noble par la
transcendance de leurs propres limites. Plus spécifiquement, elle fait la promotion de principes
spirituels de vie et de valeurs fondamentales permettant la construction d’un futur meilleur pour
l’ensemble de la communauté. Six sujets se sont dit avoir été influencés par un tel appel à
l’inspiration de la part de Monsieur X.
L’extrait des entretiens menés auprès du sujet no 2 explicite l’incitation à accomplir une œuvre
grande et noble inhérente à l’appel à l’inspiration formulé par Monsieur X.
Sujet no 2 (extrait portant l’accomplissement d’une œuvre grande et noble): Il avait une de ces
façons d’aller vous chercher. C’était la première fois qu’on nous parlait de valeurs humaines. […]
On devenait des acteurs agissant directement sur le bien-être des gens. […] Il disait que nous
étions des semeurs de bonheur. […] Ses interventions étaient très émotionnelles. Il nous
proposait rien de moins que de devenir les architectes du monde de demain. Et tout cela était
possible si nous acceptions de nous faire confiance et d’exploiter l’extraordinaire pouvoir de
notre génie créateur. […] Il avait même déjà mentionné lors d’une de nos journées passées à
l’extérieur que nous étions tous des dieux en sommeil et que nous devions nous réveiller pour
prendre en main notre destinée.
DISCUSSION ET INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS
D’entrée de jeu, il sied de préciser que le pouvoir d’un acteur, qu’il soit politique ou non, est le
produit de la relation qu’il entretient avec la cible. Sans le traitement perceptuel et,
subséquemment cognitif fait par la cible de la tentative d’influence de l’agent, il n’y a pas de
production de pouvoir. Essentiellement, l’agent ne possède qu’un potentiel d’action. C’est la
nature du filtrage perceptivo cognitif de la cible qui déterminera le type et la force du pouvoir de
l’agent. De toute évidence, les deux groupes de sujets du département de Monsieur X, les
adhérents et les sceptiques, ont traité différemment les tentatives d’influence de Monsieur X.
Ces deux groupes constituent en fait deux cibles distinctes. Qui plus est, il existe une certaine
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variance au sein du groupe des sujets adhérents relativement au type de tactiques politiques
ayant produit chez eux une influence. Alors que le recours aux rituels par Monsieur X a influencé
la totalité des sujets, l’exploitation de symboles (mythe, parabole et métaphore) et l’appel à
l’inspiration ont influencé la majorité de ceux-ci.
L’examen des réponses fournies par les membres adhérents a permis d’identifier les principaux
modes d’expression des tactiques politiques opérantes de rayonnement et de représentations
employées par Monsieur X. Alors que le recours aux rituels et aux symboles, à la base du
rayonnement de son image, s’actualisait au moyen d’une part de la présidence solennelle des
réunions de ressourcement et, d’autre part, de l’exploitation de récits mythologiques, de
paraboles et de métaphores, l’utilisation de l’appel à l’inspiration, sous-jacente à ses
représentations, s’exprimait au moyen d’invitations enjoignant les membres à accomplir une
œuvre grande et noble ; à transcender leurs limites personnelles ; à développer une vision
spirituelle de la vie ; et à participer à la construction du futur. Certaines constatations empiriques
émanant de la communauté scientifique offrent d’intéressantes pistes de réflexion relativement
à la production du pouvoir politique de Monsieur X auprès des huit sujets adhérents. Alors que
la réussite des tactiques politiques de rayonnement – l’exploitation de rituels et de symboles –
serait tributaire de la présence d’un effet Pygmalion positif, d’une contagion émotionnelle, d’un
engouement pour le merveilleux et d’une prégnance accrue des stimuli, celle de la tactique
politique de représentations – l’appel à l’inspiration – découlerait de la satisfaction des besoins
de transcendance de soi. En se référant uniquement aux réponses obtenues au moyen de
l’entretien non directif, examinons de plus près ces avenues conceptuelles interprétatives.
Tous les sujets adhérents ont mentionné que la rétroaction positive qu’ils recevaient de Monsieur
X lors des journées de ressourcement leur faisait du bien au chapitre de l’estime de soi et du
sentiment de compétence. Plus spécifiquement, la célébration de l’excellence du département
orchestrée par Monsieur X avait pour effet d’induire chez les huit sujets adhérents un sentiment
de supériorité. L’incidence de l’attitude et du comportement d’une personne sur l’appréciation de
soi-même d’une autre personne s’appelle l’effet Pygmalion (Rosenthal et Jacobson, 1968).
Plusieurs études, réalisées en milieux éducationnel, professionnel et sportif, ont clairement
démontré que la nature des attentes d’une personne à l’endroit d’une autre influençait la
perception que cette dernière avait de son propre potentiel et, conséquemment, son rendement
(Fries, Horz et Haimerl, 2006 ; Madjar, Oldham et Pratt, 2002 ; McNatt, 2000 ; Sarrazin,
Trouilloud et Bois, 2005 ; Sarrazin, Trouilloud, Tessier, Chanal et Bois, 2005 ; Tierney et Farmer,
2004).
Parallèlement à l’observation de l’effet des attentes et des appréciations positives de Monsieur
X exprimées à ses employés, il est possible de noter l’incidence de la teneur émotionnelle des
rituels organisés par Monsieur X sur le dynamisme des employés au travail. En effet, l’examen
des réponses des huit membres adhérents indique que la totalité de ceux-ci se disent avoir été
influencés par le témoignage émotionnel de la reconnaissance de Monsieur X à leur endroit
(célébration de l’excellence basée sur l’expression de la fierté) ainsi que par la promotion
également émotionnelle de leur croissance personnelle (exploration de la puissance des forces
mentales et spirituelles). Selon les propos tenus par ces huit membres, la passion de Monsieur X
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lors des journées de ressourcement les aurait survoltés et confortés dans leur motivation à
atteindre les objectifs trimestriels. Plusieurs études portant sur le leadership transformationnel
ont isolé l’existence de la capacité d’influence des émotions. Appelé contagion émotionnelle, ce
type d’influence est, la plupart du temps, généré par un leader charismatique exploitant la
dimension émotionnelle de son pouvoir. C’est ainsi que l’expression verbale et non verbale par
le leader d’émotions positives, tels l’optimisme, l’exubérance, l’enthousiasme, la joie et la fierté
influence positivement l’estime de soi des employés et leur performance au travail (Anderson,
Keltner et John, 2003 ; Anderson et Thompson, 2004 ; Ashkanasy et Tse, 2000; Barsade,
2002 ; Bono et Judge, 2004) ; leur humeur (Cherulnik, Donley, Wiewel et Miller, 2001) ;
l’efficacité du leader et son potentiel attractif (Bono et Ilies, 2006 ; Sy, Côté et Saavedra, 2005).
De plus, l’intensité de cette influence est positivement corrélée avec le nombre de rencontres
réunissant les membres (Lawler, 2001 ; Lawler, Thye et Yoon, 2000 ; Wang et Thompson,
2006). Collins (2004) précise pour sa part que ces rencontres d’expression d’émotions positives
constituent des rituels d’interaction solidifiant les liens de solidarité entre les membres d’un
groupe.
Présente dans les réponses de sept des huit sujets adhérents, l’influence exercée par Monsieur
X au moyen du recours à des procédés narratifs (symboles : mythes et paraboles) est un
phénomène largement connu par la communauté scientifique. Bon nombre de chercheurs ont
établi que l’exploitation par le leader de constructions littéraires narratives, à savoir entre autres
le mythe, la parabole, la fable, le conte, la légende et le récit, intensifiait son pouvoir sur les membres de son équipe (Allan, Fairtlough et Heinzen, 2002 ; Denning, 2001 ; Gabriel, 2000 ;
Simmons, 2001). En fait, l’insertion de procédés narratifs – qu’ils soient de nature mythique,
épique, fantastique ou tragique – amplifie le potentiel évocateur du contenu du message verbal
ou écrit d’un leader. Ce type de procédés stimulerait l’engouement pour le merveilleux présent
chez l’être humain (Gabriel, 2004). La littérature traitant du management stratégique recèle
plusieurs exemples de l’utilisation du merveilleux à des fins managériales (Daft, 2001). Les
nombreuses biographies et autobiographies des hommes et des femmes d’affaires célèbres
constituent indéniablement l’exemple le plus saillant de ce type d’utilisation. À l’instar de contes
de fée orchestrant la transformation d’un individu insignifiant en héros triomphant (voir entre
autres à ce sujet les contes « Le Chat Botté » et « Peau d’Âne »), ces écrits biographiques
présentent les fascinants parcours de gens simples, souvent éprouvés par une enfance
malheureuse, et qui sont néanmoins parvenus, par des voies mystérieuses, à atteindre les
sommets de la réussite financière et sociale. Les sinueux parcours existentiels de Martha
Stewart ou Walt Disney appartiennent au genre littéraire «récits féeriques». Leurs réussites
respectives ne peuvent s’expliquer uniquement au moyen de l’examen rationnel et objectif de
leurs actions. Leur vie est enveloppée d’un halo composé de mystères, sagas et rencontres
fortuites avec le destin. Ces personnages échappent à la réalité strictement humaine. Ils sont des
légendes difficilement pénétrables et dont la compréhension nécessite forcément le concours de
facteurs extraordinaires. La psychologie sociale, la psychanalyse et l’anthropologie ont
abondamment traité la question du sacré (religiosité) et du surnaturel (superstitiosité) chez l’être
humain (Pava, 2003). Qu’il soit justifié par des motifs explicatifs ou fantasmatiques, l’engouement
pour le merveilleux est largement répandu dans les communautés humaines.
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Par ailleurs, six sujets adhérents se sont dit avoir été influencés par la présence de figures de
style (symbole : métaphore) dans les interventions de Monsieur X. Plusieurs études ont
démontré que le recours à une figure de style, telle la métaphore, augmente la valeur persuasive
d’un message (Emrich, Brower, Feldman et Garland, 2001 ; Inns, 2002 ; McGlone, 2006 ;
Schnitzer et Pedreira, 2005). C’est ainsi que le transfert de sens par substitution analogique, à
savoir la description d’une réalité abstraite à l’aide d’un langage imagé, se révèle un puissant
moyen d’influence des leaders charismatiques (Mio, Riggio, Levin et Reese, 2005). Selon Meier,
Robinson et Clore (2004) et Meier et Robinson (2004), la métaphore, de par sa capacité de
générer des analogies entre le sens propre et le sens figuré d’une réalité, augmenterait la
prégnance d’un message écrit ou d’un dessin et, ce faisant, sa portée et sa force.
Alors que d’une part le leadership transactionnel (contribution de l’employé en échange d’une
rétribution matérielle et/ou symbolique de la part de l’entreprise) permettait aux membres de
l’entreprise de satisfaire leurs besoins d’ordre inférieur (besoins physiologiques, de sécurité et
d’appartenance) et que le leadership transformationnel (habilitation des employés à réaliser leur
plein potentiel) viserait la satisfaction de leurs besoins d’ordre supérieur (besoins d’estime de soi
et d’autoréalisation); d’autre part, le leadership spirituel inviterait les membres à dépasser la
satisfaction de leurs besoins et à s’investir dans la satisfaction des besoins des autres (besoins
de transcendance de soi). S’apparentant étrangement à ce dernier type de leadership, l’appel à
l’inspiration (atteinte d’idéaux élevés, transcendance de ses limites personnelles, promotion de
principes spirituels de vie et des valeurs fondamentales axés sur le bien-être des gens) utilisé par
Monsieur X s’adresserait aux besoins de transcendance des membres, à savoir la recherche de
la satisfaction des besoins des autres. Six des huit sujets adhérents ont mentionné avoir été
influencés par l’appel à l’inspiration lancé par Monsieur X.
La notion de leadership spirituel se révèle des plus congrues eu égard à une tentative
d’explication de l’efficacité de la tactique politique de représentations (appel à l’inspiration) de
Monsieur X auprès de ces six sujets. Effectivement, au cours des dernières années, bon
nombre de travaux ont examiné le potentiel d’inspiration inhérent à ce type de leadership (Fry,
2003 ; Reave, 2005). La plupart des auteurs définissent le leadership spirituel comme étant la
capacité du leader à susciter chez les membres de son équipe la conviction que leur vie à un sens
dans la mesure où ils s’engagent résolument à améliorer la qualité de la vie des gens de leur
entourage ainsi que leur plein épanouissement (Avolio et Gardner, 2005 ; Dent, Higgins et
Wharff, 2005). Plus spécifiquement, le leadership spirituel invite les gens à transcender la simple
satisfaction de leurs besoins personnels et à s’investir socialement dans la construction d’un
monde plus humain au moyen de la promotion d’une vision inspirante (idéaux élevés), de valeurs
altruistes (empathie, compassion, intégrité et humilité) et de l’espérance dans la vie
(persévérance et foi en l’avenir) (Fry, Vitucci et Cedillo, 2005 ; Parameshwar, 2005). Certaines
études ont établi une relation positive significative entre d’une part l’adoption d’un style de
leadership spirituel et, d’autre part (1) l’amélioration de l’assiduité et de la performance des
employés au travail (Paloutzian, Emmons et Keortge, 2003) ; (2) la majoration du niveau de
confiance des employés envers l’entreprise et l’amélioration du climat de travail (Elm, 2003) ; et
(3) l’engagement organisationnel des employés (Dirks et Ferrin, 2002).
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CONCLUSION
Issue d’un mandat d’assistance psychologique auprès d’un groupe d’employés, la présente
étude s’est développée suite à l’émergence a posteriori d’une problématique, à savoir l’exercice
du pouvoir politique au moyen des tactiques de rayonnement et de représentations. L’analyse du
contenu des entretiens, réalisés auprès des membres du département ayant cru en leur directeur,
Monsieur X, et se disant avoir été influencés par ce dernier lors des réunions de ressourcement,
a permis d’identifier d’une part les types de tactiques politiques à la base de la production d’une
telle influence et, d’autre part, les modes d’expression de ces tactiques. C’est ainsi qu’il a été
possible de constater que le pouvoir politique de Monsieur X s’actualisait essentiellement au
moyen des tactiques de rayonnement et de représentations. Alors que les tactiques de
rayonnement renvoient à l’utilisation de rituels et de symboles (mythe, parabole et métaphore),
les tactiques de représentations se résument au recours à l’appel à l’inspiration.
Il est par ailleurs intéressant de constater que les huit sujets adhérents imputent le potentiel
d’influence des rituels à la stimulation de l’estime de soi, du sentiment de compétence, du
sentiment de supériorité ou à l’activation d’une charge émotionnelle. Quant à l’incidence des
symboles, les sujets estiment avoir été influencés par le mythe et la parabole à cause de leur
capacité respective à susciter l’émerveillement. Pour sa part, l’emploi de la métaphore influence
les sujets en vertu de la vivacité des images qu’elle engendre. Enfin, les sujets allèguent que
l’appel à l’inspiration, foncièrement campé sur le dépassement de soi motivé par la réalisation
d’une mission au service de l’ensemble de la communauté, les avait influencés.
Au terme de cette étude exploratoire sur les modes d’expression du pouvoir politique, deux
questionnements de recherche émergent. Dans un premier temps, il sied de réfléchir à
l’existence possible d’une synergie entre les différentes tactiques politiques mises en œuvre par
Monsieur X. L’impact du mythe, de la parabole, de la métaphore et de l’appel à l’inspiration
aurait-il été le même sans la tenue de rituels prenant la forme d’événements spéciaux et,
conséquemment, s’éloignant considérablement des habituelles et routinières réunions de travail
ayant cours à l’intérieur des murs de l’entreprise ? Si tel était le cas, la singularité de la teneur
et de la localisation du rituel pourrait jouer le rôle de variable médiatrice entre les autres tactiques
politiques déployées et leurs effets sur les interlocuteurs. La détermination de la nature exacte
de ces interrelations factorielles permettrait le développement d’un modèle systémique pavant la
voie, contrairement aux actuels modèles linéaires taxonomiques ne pouvant offrir qu’une
description statique des tactiques politiques, à la compréhension de la dynamique s’opérant
entre diverses tactiques politiques exploitées simultanément par un acteur.
Finalement, le clivage du département dirigé par Monsieur X en deux groupes distincts de sujets,
les adhérents et les sceptiques, nous invite à considérer les différents traitements perceptifs et
cognitifs à l’origine d’une telle divergence de l’appréciation d’un même acteur. Une éventuelle
étude comparative entre ces deux types de sujets offrirait un éclairage instructif eu égard aux
limitations, tant idiosyncrasiques que circonstancielles, de l’utilisation des différentes tactiques
politiques.
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Gérard Ouimet est professeur à l’École des Hautes Études Commerciales de Montréal.
Courriel: [email protected]
3000, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, Montréal (Québec) Canada H3T 2A7
NOTES
1
Extrait de l’entrevue réalisée avec le sujet no 7.
2
Extrait de l’entrevue réalisée avec le sujet no 3.
3
Extrait de l’entrevue réalisée avec le sujet no 6.
4
Cette stratégie de recoupement des mesures effectuées permettant l’accroissement de la
validité interne des instruments de cueillette de l’information est explicitement présentée par
Denzin (1988) et Rouan et Pédinielli (2001).
5
Chanteur de charme.
6
Prédicateur.
7
Survoltait.
8
Au sens figuré, chimie signifie « transformation profonde et secrète ».
The study sheds light on some of the ways managers use political skills to exercise influence and
promote ideas. While recourse to rituals and symbols (political tactics that increase influence) used
to take the form of solemn chairing of resourcing meetings and use of mythological narratives,
parables and metaphors, the call for inspiration (a political tactic managers use to promote ideas)
has been brought up to date through spiritual teaching inviting members to involve themselves in
building a better world.
Keywords: psychology of power, political skills, political tactics for exercising influence and
promoting ideas, spiritual leadership.
RÉFÉRENCES
ALLAN, J., FAIRTLOUGH, G. et HEINZEN, B. (2002). The power of tale: Using narrative for
organisational success. Chichester: UK, Wiley.
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