Les pratiques, recherches et apprentissages de l`ergonomie dans le
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Les pratiques, recherches et apprentissages de l`ergonomie dans le
48ème Archivé électroniquement et disponible en ligne sur : congrès international. Société d’Ergonomie de Langue Française. www.ergonomie-self.org www.informaworld.com/ergo-abs Texte original*. Les pratiques, recherches et apprentissages de l’ergonomie dans le monde : liens ergonomies et sociétés Organisateurs : Mario POYa, Marianne LACOMBLEZb, Cecilia DE LA GARZAc a Centro ICSI/Université de San Andrés, Argentine, [email protected] Université de porto Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation, Portugal, [email protected] c EDF R&D, France, [email protected] b Résumé : Ce Symposium a pour but de montrer, au travers de 6 exemples, des pratiques et des recherches en ergonomie dans des pays distincts. En partant de la tradition de l’ergonomie francophone, et en s’appuyant sur d’autres approches, il s’agit d’explorer la manière dont les enjeux de développement locaux façonnent l’action ergonomique, dans la recherche, la formation, et la pratique. Un réseau d’ergonomes et de psychologues du travail provenant d’Amérique Latine, d’Europe et d’Afrique du Nord apporteront des éclairages. Mots-clés : ergonomie, anthropotechnologie, formation, pratique, politiques publiques Practice, research and learning on ergonomics in the world: relationship between ergonomics and societies Abstract. The aim of this symposium is to show, through six examples, practices and research on ergonomics in different countries. Taking the French tradition on ergonomics as a starting point, and using other theoretical approaches, this symposium investigates how the local development issues influence the ergonomic action in those three fields: research, training and practice. A network of ergonomists and psychologists coming from Latin America, Europe and North Africa will shed new light on these recent developments. Key words: ergonomics, anthropotechnology, training, practices, public policies *Ce texte original a été produit dans le cadre du congrès de la Société d’Ergonomie de Langue Française qui s’est tenu à Paris du 28 au 30 août 2013. Il est permis d’en faire une copie papier ou digitale pour un usage pédagogique ou universitaire, en citant la source exacte du document, qui est la suivante : Santos, M. & Caramelo, J. (2013). Le travail des formateurs au Portugal: entre l'analyse de l'activité et les politiques publiques qui modèlent cette activité Aucun usage commercial ne peut en être fait sans l’accord des éditeurs ou archiveurs électroniques. Permission to make digital or hard copies of all or part of this work for personal or classroom use is granted without fee provided that copies are not made or distributed for profit or commercial advantage and that copies bear this notice and the full citation on the first page. SELF 2013 1 48 Archivé électroniquement et disponible en ligne sur : ème congrès international. Société d’Ergonomie de Langue Française. www.ergonomie-self.org www.informaworld.com/ergo-abs Texte original*. Le travail des formateurs au Portugal: entre l'analyse de l'activité et les politiques publiques qui modèlent cette activité Marta SANTOSa et João CARAMELOb a CPUP, Faculdade de Psicologia e de Ciências da Educação da Universidade do Porto, Porto, Portugal [email protected] b CIIE, Faculdade de Psicologia e de Ciências da Educação da Universidade do Porto, Porto, Portugal [email protected] Résumé. L'introduction des pratiques de reconnaissance et validation des acquis au Portugal a eu pour conséquence l'augmentation significative du nombre de formateurs, indispensables au déploiement de cette procédure. Une première analyse de l'activité de travail de ces professionnels avait mis en évidence des situations fort contrastées, associées à la difficulté pour ceux-ci de se situer, dans l’urgence, face à des défis institutionnels prenant souvent la forme d'injonctions contradictoires. Afin de comprendre les pressions auxquelles étaient soumis ces professionnels et ce qu'elles induisent en termes de stratégies, nous en sommes venus à devoir mieux cerner les politiques publiques mises en place dans le champ de la formation des adultes au Portugal, et à les suivre dans les différentes phases de leur concrétisation, jusqu'à l'activité de ces formateurs. Mots-clés : formateur, analyse du travail, politiques publiques Being a trainer in Portugal: from the analysis of the activity to the public policies that model this activity Abstract. The introduction of practices of recognition and validation of acquired knowledge in Portugal resulted in a significant increase in the number of trainers needed to undertake this training modality. A first approach to these trainers’ work activity brought to light strongly contrasted situations, related to the difficulties they reveal in order to answer the challenges they have to face. Those challenges often take the form of contradictory injunctions. So to better understand under what types of pressure these professionals are and what that pressure induces in terms of strategies, we felt the need to try to realize which are the existing public policies for the adult training in Portugal and to follow their different implementation stages up to the trainers’ activity. Key words: trainer, work analysis, public policies *Ce texte original a été produit dans le cadre du congrès de la Société d’Ergonomie de Langue Française qui s’est tenu à Paris du 28 au 30 août 2013. Il est permis d’en faire une copie papier ou digitale pour un usage pédagogique ou universitaire, en citant la source exacte du document, qui est la suivante : Santos, M. & Caramelo, J. (2013). Le travail des formateurs au Portugal: entre l'analyse de l'activité et les politiques publiques qui modèlent cette activité Aucun usage commercial ne peut en être fait sans l’accord des éditeurs ou archiveurs électroniques. Permission to make digital or hard copies of all or part of this work for personal or classroom use is granted without fee provided that copies are not made or distributed for profit or commercial advantage and that copies bear this notice and the full citation on the first page. SELF 2013 2 émergé de nouvelles activités, exercées au sein de conditions de travail diversifiées. INTRODUCTION Entre 2000 et 2012, le pari principal en matière d’éducation et de formation des adultes au Portugal a correspondu à la mise en œuvre d’un système de reconnaissance et de validation des compétences (RVCC). Les processus de RVCC appliqués dans les Centros de Novas Oportunidades (CNO) – Centres de Nouvelles Opportunités - permettent aux adultes d’obtenir une certification scolaire équivalente aux différents niveaux de l’enseignement définis jusqu’à la fin du secondaire. Ce dispositif a débuté par la mise en place de processus de certification en vue de l’équivalence de 4, 6 ou 9 années de scolarité ; il a été ensuite élargi dans le cadre d’une stratégie d’intervention pour les 12 années de scolarité. Ce système a été globalement inspiré par des modèles qui existaient déjà dans d’autres pays. Ainsi, les présupposés méthodologiques qui le soutiennent, incluent-ils la réalisation d’un bilan de compétences et le recours à l’approche autobiographique, de façon à pouvoir mettre en évidence les compétences acquises au préalable par les adultes dans leur portfolio réflexif d’apprentissages (PRA). Le PRA est construit tout au long de la démarche de validation des acquis. Il doit se matérialiser par un dossier composé de récits et de réflexions personnels qui prouvent les savoirs et compétences acquis tout au long du parcours de vie du candidat. Il doit documenter des expériences significatives et est censé résulter d’une sélection personnelle. Néanmoins, pour obtenir le diplôme scolaire, il faut que les compétences, démontrées dans ce portfolio, aillent dans le sens des évidences prévues dans un référentiel de compétences clés. La mise en pratique des différents volets inhérents au système de RVCC est confiée à des équipes de techniciens (formateurs, médiateurs, techniciens de diagnostic et d’acheminement, évaluateurs externes,…) dont les profils professionnels ainsi que les conditions générales d’exercice de leur fonction sont délimités et réglementés légalement. L'introduction de ces pratiques de reconnaissance et validation a entraîné une augmentation significative du nombre de formateurs, considérés comme étant indispensables au déploiement de cette procédure parce qu’ils étaient censés être à même de traduire et concilier les connaissances prévues dans le référentiel et celles acquises par les candidats tout au long de leur vie. En 2011, il existait 448 centres répartis géographiquement dans tout le pays, lesquels employaient un total de 9.036 personnes dans les équipes technico-pédagogiques (Novas Oportunidades, 2011). L’intérêt de l’étude évoquée ici réside dans la nouveauté et la singularité de ce dispositif (qui ne s’appuie sur aucune tradition en matière d’éducation et de formation des adultes au Portugal), d’où ont SELF 2013 L’ANALYSE DU TRAVAIL DES FORMATEURS Méthodologie Dans le cadre d’un projet international portant sur les conditions d’emploi et de travail des formateurs (Delgoulet, 2010; Santos & Ferreira, 2011), nous avons analysé cette catégorie professionnelle en faisant appel à diverses méthodes, se complétant : entretiens collectifs, budget-temps (Santos & Ferreira, 2012) et analyse de l’activité lors de moments prédéfinis (Castro, 2012). Certaines phases de la recherche ont privilégié l’étude d’un CNO en particulier, d’autres ont fait l’option de la comparaison de CNO différents (Fernandes & Santos, 2012). Approche des activités des formateurs au cours des processus de validation des acquis L’activité de ces formateurs est composée de multiples tâches (moments de contact avec les formés, préparation des séances, analyse des portfolios,…). Celles-ci sont réalisées dans différents contextes (dans plusieurs CNO, mais également dans des entreprises qui établissent des protocoles de collaboration) et s’adressent à différents publics (ayant des âges et des expériences très distincts). L’analyse de cette activité de travail a toutefois mis en évidence l’intérêt d’une approche plus précise de deux moments – la construction d’instruments et l’analyse des PRA –, qui, par leurs caractéristiques, mettent en lumière combien les stratégies adoptées par les formateurs peuvent être fort contrastées. La construction d’instruments de travail à partir du référentiel Chaque référentiel constitue l’instrument mis à disposition par les instances ministérielles, et il représente le principal guide pour le travail des formateurs. Dans la mesure où il est structurant pour l’activité réelle des formateurs, ce référentiel s’implique naturellement dans l’action. Toutefois, bien que chacun de ces référentiels ait été conçu sous un format qui lui est propre et que son mode d’utilisation ait été prédéfini avec précision, les analyses d’activités ont mis en évidence que les formateurs ne les utilisent pas toujours tel que les concepteurs l’ont imaginé. Ainsi (Santos & Fernandes, 2012) : certains formateurs choisissent-ils de construire une grille qui inclut les compétences que chaque adulte doit démontrer, en conservant le langage du référentiel ; d’autres partent de l’identification de ce qu’ils considèrent être de «bons exemples de situation de vie», en espérant que les adultes puissent démontrer 3 les compétences associées ; d’autres encore élaborent des exercices plutôt scolaires. On constate donc que chaque formateur adapte ce référentiel, ce qui lui permet de créer sa propre grille de validation (sa «version» du référentiel) qui finira par orienter son action. Ces « versions » des différents formateurs rencontrés, qui correspondent en fait à une sélection de critères d’attestation des compétences que chacun estime essentiels à la validation dans le domaine concerné (critères minima), présentent de la sorte une grande variabilité. Ce qui signifie que les formateurs utilisent très différemment les référentiels ainsi que les méthodologies de validation. Les demandes adressées aux adultes peuvent donc difficilement être les mêmes (tant en ce qui concerne les « évidences » à présenter dans le portfolio que pour ce qui relève de la quantité de ces « évidences » exigées pour que le PRA soit évalué comme susceptible d’être certifié). MIEUX COMPRENDRE LES STRATÉGIES : LE PROCESSUS DE RVCC AU PORTUGAL Pour permettre une compréhension plus élargie de l’activité mise en œuvre par les formateurs dans les processus de RVCC et des conditions dans lesquelles ceux-ci la développent, nous en sommes venus à devoir mieux cerner les politiques publiques mises en place dans le champ de la formation des adultes au Portugal, pour revenir ensuite aux différentes phases de leur concrétisation, jusqu'à l'activité de ces formateurs. Le processus de création d’un système de reconnaissance des acquis de l’expérience, déjà envisagé dans les années 1990, semblait avoir trouvé l’espace nécessaire à sa mise en pratique, sous la forte impulsion du mémorandum auquel le Conseil européen de Lisbonne avait donné lieu en mars 2000 et sous l’influence des discours sur le paradigme de l’apprentissage tout au long de la vie. Au Portugal, ce débat est passé dans le domaine public au début du XXIe siècle, par le biais de la généralisation et la divulgation de propos qui insistaient sur la nécessité d’articuler l’éducation, la formation et le travail pour résoudre les principaux problèmes du pays : Les questions de l’emploi et de la formation sont, à ce sujet, absolument centrales. Et elles le sont encore davantage pour le Portugal, dont les carences en matière de formation sont largement connues et dont le marché du travail se caractérise traditionnellement par de bas niveaux de productivité et de salaires – des caractéristiques qui peuvent d’ailleurs être en partie renvoyées aux carences en matière de formation. (Pedroso, 2002, paragraphe 1). Les discours politiques ont alors déposé sur l’apprentissage tout au long de la vie des attentes liées à une promotion de l’employabilité de groupes de personnes dont la qualification serait considérée comme insuffisante ou dépassée, en prétendant agir ainsi au niveau de la prévention des phénomènes de chômage et d’un renforcement de la cohésion sociale. Dans le même temps, l’existence d’un décalage entre les compétences que les portugais semblaient détenir et leur traduction en termes de diplômes scolaires devenait de l’ordre de l‘évidence, ce qui rendait impérieux la création d’un système apte à promouvoir “la lutte contre la sous-certification (…) et le gaspillage de compétences qu’elle implique.” (Pedroso, 2000, p.150). Les processus existant dans d’autres contextes européens, notamment, le bilan de compétences et la validation des acquis professionnels, en France, ou le national vocational qualifications et l’accreditation of prior learning, au Royaume Uni, ont alors acquis le statut de références incontournables pour l’établissement d’un système congénère dans notre pays. Toutefois, si la consolidation du système de reconnaissance et de validation des acquis a bénéficié, L’analyse des portfolios réflexifs d’apprentissage (PRA) Comme nous l’avons déjà mentionné, le «produit» qui permettra la validation des acquis se matérialise par un dossier personnel dénommé PRA. Ce PRA sera présenté devant un jury qui pourra certifier et attribuer un diplôme scolaire. L’analyse des entrevues collectives (Santos et Ferreira, 2012) a mis en relief combien cette tâche peut être laborieuse car elle implique, avant le moment de l’évaluation finale, de lire attentivement chaque PRA et d’élaborer des propositions individualisées de suggestions d’amélioration jusqu’à ce qu’il existe des possibilités effectives pour l’adulte de voir ses acquis certifiés. On a en fait constaté qu’il s’agit de la tâche qui prend le plus de temps aux formateurs : par rapport au temps de travail consacré aux processus de RVCC, l’analyse des portfolios représente un pourcentage supérieur à 70%. Dans le cadre d’une autre étude (Castro, 2012), il a été constaté qu’outre son coût en temps, cette tâche est aussi considérée par les formateurs comme la plus exigeante, car : i) le même portfolio est analysé plusieurs fois (“autant de fois que nécessaire jusqu’à ce que le candidat soit certifié”) ; ii) il existe une grande dépendance face au rythme de travail de chaque candidat; iii) il est indispensable d’articuler le travail mené avec les autres formateurs - qui doivent également analyser les mêmes portfolios. Ainsi, et bien que sur le plan de ses principes, ce dispositif soit présenté comme un élément fortement valorisant dans le cadre du processus autobiographique et d’auto-exploration soutenu par les formateurs, ces études mettent en relief une répartition du temps qui contredit ces présupposés : le formateur occupe la plus grande partie de son temps dans une relation avec le «produit» présenté par l’adulte, selon une logique de réappréciation constante qui est de fait étrangère à l’adulte concerné. SELF 2013 4 à l’évidence, de ces expériences, le processus n’en présente pas moins ses spécificités, en lien avec l’histoire et le développement du pays. Et c’est le niveau de scolarité des portugais qui a, sans aucun doute, été déterminant pour les options qui ont fini par être assumées: le recensement réalisé en 2001 par l’Institut national de Statistiques a permis de conclure que 64,8% de la population portugaise avait, tout au plus, six années de scolarisation, en particulier dans la tranche d’âge des 45-65 ans, à savoir la strate de population qui représentait la plus grande partie des “actifs” employés (Nico, 2011, p. 79). Il se justifiait ainsi d’avancer et de privilégier, par le biais de ce processus, la certification scolaire. Ainsi, en 2001, le système national de reconnaissance et de validation des acquis a été créé en tant que complément des systèmes d’éducation et de formations des adultes existant déjà (Mendonça & Carneiro, 2009). Toutefois, ce n’est qu’en 2005, suite une évaluation extérieure positive (CIDEC, 2004, 2007) qu’a vu le jour l’initiative « Novas Oportunidades», associée à un discours politique qui mettait l’accent sur le besoin de récupérer le retard en matière de qualification des portugais et reposait sur le présupposé du lien entre l’augmentation de cette qualification de la population et la croissance économique. Ce programme se proposait, alors, comme objectif la qualification d’un million de portugais (environ 10% de la population) jusqu’en 2010, avec comme palier de qualification de référence, l’obtention du niveau d’enseignement secondaire (équivalent à 12 années d’enseignement régulier, ANQ, 2010). Dans le cadre de la mise en œuvre de ce programme, les financements des centres et les possibilités d’engagement de professionnels étaient liés au respect d’objectifs quantitatifs se traduisant par le nombre d’inscriptions et de certifications ; ces objectifs étaient revus tous les ans, avec des conséquences sur le plan du financement pour les années suivantes. La traduction politique et organisationnelle de ce programme va donc générer un ensemble d’ambivalences qui, en dernier ressort, se reflètent sur les conditions de travail et d’emploi des formateurs. Dès le départ, l’intention de qualifier 10% de la population, a entraîné une expansion du nombre de centres, et a généré des afflux d’adultes dans ceux-ci peu compatibles avec le respect des processus méthodologiques identifiés pour ce qui concerne le bilan des compétences et les approches autobiographiques. Par ailleurs, la pression exercée pour atteindre les objectifs assumés par chaque centre et la proximité entre les centres, ont généré des logiques de compétition non seulement dans l’accrochage des adultes mais aussi dans la définition d’un «processus productif» guidés par la nécessité d’une efficience (quantité d’adultes certifiés au cours d’une période limitée) apte à garantir le financement et la survie des SELF 2013 centres et, par conséquent, le maintien des postes de travail des professionnels. La construction d’instruments personnels à utiliser au cours du processus et la définition de critères minima aptes à garantir la certification d’un adulte constituent, dès lors, la réponse possible qu’ont trouvé les formateurs pour, simultanément et dans l’urgence : i) répondre à la pression des objectifs locaux et nationaux ; ii) se reconnaître comme de bons professionnels dans le travail développé (cette notion semble associée, dans les études qui ont été menées, au principe du respect des connaissances scientifiques des matières qu’ils représentent et des connaissances expérientielles des adultes impliqués dans le processus); et, iii) tenir compte des implications méthodologiques d’un travail de formation fondé sur les présupposés de la reconnaissance et la validation des acquis de l’expérience. La nécessité de rendre ces injonctions compatibles est particulièrement visible dans le travail réalisé sur le PRA: i) les relectures successives cherchent à valoriser les acquis déjà identifiés par l’adulte et à potentialiser d’autres acquis que le formateur a pu éventuellement percevoir; ii) respecter les critères prévus dans le référentiel et leur formulation sous forme de concepts scientifiques. Les contraintes associées à cette tâche (l’analyse des PRA) doivent en conséquence être pondérées en fonction des conditions contractuelles qui encadrent le travail de ces formateurs ainsi qu’en fonction des objectifs définis par le Centre et qui garantissent son fonctionnement et sa continuité. CONCLUSION L’activité des formateurs dans le cadre des processus de reconnaissance des acquis ne peut pas être comprise en faisant abstraction des injonctions organisationnelles et politiques dans lesquelles elle s’inscrit et qu’elle aide à produire et à reproduire. En effet, les formateurs sont inévitablement confrontés à des situations professionnelles diversifiées, notamment en fonction des différents niveaux de certification scolaire avec lesquels ils travaillent, des caractéristiques des adultes qui s’adressent aux CNO ou des dynamiques intrinsèques à chaque centre et des rapports de ce même centre avec d’autres proches géographiquement, ainsi qu’avec la tutelle de l’État. Hormis ces contingences, d’autres facteurs ont également eu un impact sur le processus de structuration de ces professionnels et de leurs pratiques formatives : la nouveauté du système de RVCC au Portugal et plus particulièrement du travail de formation basé sur des méthodologies de reconnaissance et de validation des compétences ; sa singularité par rapport aux systèmes de reconnaissance des acquis testés dans d’autres pays, notamment l’importance accrue accordée à la certification scolaire des adultes ; la pression politique exercée - avec ses conséquences sur le financement annuel des centres – afin que les objectifs définis 5 condições de emprego, de trabalho e de saúde». Porto, 30 Abril de 2010. Fernandes, J. & Santos, M. (2012). Instruments of trainers’ activity: the use of a referential in processes of recognition and validation of prior learning. Work , 41, Supplement 1/ 2012, 4577-4583. DOI: 10.3233/WOR2012-0754-4577 Mendonça, M. A. & Carneiro, M. A. (2009). Iniciativa Novas oportunidades: primeiros Estudos da Avaliação Externa. Caderno temático 1: Análise da Iniciativa Novas Oportunidades como acção de política pública educativa. Lisboa: ANQ. Nico, L. P. (2011). A Escola da Vida: reconhecimento e validação dos adquiridos experienciais em Portugal. Fragmentos de uma década (2000-2010). Mangualde, Edições Pedago. Novas Oportunidades (2011). Informação estatística. Consultado em 14 de Novembro de 2011http://www.novasoportunidades.gov.pt/np4/estatíst ica Pedroso, P. (2000). Pelo presente e pelo futuro da educação e formação de adultos em Portugal. In A. Melo (Eds.), Educação e Formação de Adultos na Europa: as Competências-chave para a Cidadania e a Empregabilidade: textos e comunicações (pp.144-150). Lisboa: ANEFA. Pedroso, P. (2002). O III Quadro Comunitário de Apoio e as perspectivas de actuação no campo do emprego e da formação [versão electrónica]. 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La connaissance des politiques publiques en matière d’éducation et de formation des adultes mises en œuvre ces dix dernières années au Portugal, ainsi que de ses modes d’implémentation s’est avérée fondamentale pour comprendre l’activité de travail des formateurs. En l’espèce, la façon dont la dimension politique traverse l’activité de travail est bien claire et, même si elle n’est pas toujours évidente pour ceux qui en sont les protagonistes, elle doit probablement avoir des conséquences sur la construction de leur santé. BIBLIOGRAPHIE ANQ (2010). Novas Oportunidades: Aprender compensa. Lisboa: ANQ, I. P. Consultado em 24 de Julho, 2010. http://www.novasoportunidades.gov.pt Barros-Duarte, C., Cunha, L. & Lacomblez, M. (2007). INSAT: uma proposta metodológica para análise dos efeitos das condições de trabalho sobre a saúde. Laboreal, 3, (2), 54-62. Castro, M. S. (2012). A atividade e o debate de valores dos formadores RVC. Dissertação para obtenção do grau de mestre em Psicologia. [Policopiado]. Faculdade de Psicologia e de Ciências da Educação da Universidade do Porto. CIDEC (2004). O Impacto do reconhecimento e Certificação de Competências adquiridas ao longo da Vida. Lisboa: FGFV. CIDEC (2007). O Impacto do reconhecimento e Certificação de Competências adquiridas ao longo da Vida: Actualização e aperfeiçoamento. Lisboa: FGFV. Delgoulet, C. (2010). La population des formateurs, leurs conditions d'emploi et de travail en France : étude exploratoire. Séminaire Université de Porto et Université Paris Descartes «Os formadores e as suas SELF 2013 6 Archivé électroniquement et disponible en ligne sur : 48ème congrès international. Société d’Ergonomie de Langue Française. www.ergonomie-self.org www.informaworld.com/ergo-abs Texte original*. L´analyse ergonomique de l´activité : Une étude de cas en Argentine. Réflexions autour de son appropriation dans un pays d´Amérique Latine Mario POY* Pablo GRANOVSKY** *Centro ICSI - Universidad de San Andrés - Vito Dumas 284 - (B1644BID) Victoria, Buenos Aires – Argentina [email protected] **Universidad Nacional de la Matanza - Florencio Varela 1903 - (B1754JEC) San Justo, Buenos Aires – Argentina, [email protected] Résumé: Le transfert et l´appropriation de l´approche de l´ergonomie de l´activité vers d´autres contextes est loin d´être linéaire et mériterait de faire l’objet d´une analyse antropotechnologique (Wisner, 1981, 1985). Bien qu’en Argentine, un arrêté ministériel ait donné une visibilité légale à l’ergonomie il a de fait généré des problèmes significatifs. Celle-ci se retrouve réduite à une « pratique instrumentale » contribuant à une prolifération d´« ergonomes » et, sur le plan conceptuel, à la valorisation d’une conception biomécanique du travail humain. Face à ces « obstacles épistémologiques », l´ergonomie de l´activité se retrouve dans des situations où elle a intérêt à imposer son approche micro face à des demandes qui feraient plutôt appel à d´autres disciplines. Une étude relative à l´introduction de l´électronique dans les composants de l´automobile en témoigne et illustre comment des opérateurs s’approprient de nouvelles techniques de diagnostic de pannes d´automobile. Mots-clés : Ergonomie - pratiques professionnelles – Introduction et stratégies d´introduction des changements « Ergonomic analysis of activity: A case study in Argentina. Some lines for reflection upon its appropriation in a Latin American country » Abstract: The transfer and appropriation of the activity-centered ergonomics approach towards other contexts are far away from being lineal and deserve to be an object under an antropotechnological analysis (Wisner, 1981, 1985). Although in Argentina, ergonomics has obtained legal visibility through a ministerial resolution, this has produced, at the same time, some remarkable problems: the reduction of ergonomics to an « instrumental practice » which has contributed not only to the proliferation of ergonomists, but also to the valuation of a biomechanical conception of human work. In order to face these « epistemological obstacles », the ergonomics of activity must impose its « micro » approach as an answer to requests which would rather resort to other disciplines. A study related to the introduction of electronic technologies in car components proves that. It shows how operators appropriate the new technologies in car breakdown diagnosis. Key words: Ergonomics - Professional issues - Introduction and strategies for introduction of change *Ce texte original a été produit dans le cadre du congrès de la Société d’Ergonomie de Langue Française qui s’est tenu à Paris du 28 au 30 août 2013. Il est permis d’en faire une copie papier ou digitale pour un usage pédagogique ou universitaire, en citant la source exacte du document, qui est la suivante : Poy, M., Granovsky, P (2013). « L´analyse ergonomique de l´activité : une étude de cas en Argentine. Réflexions autour de son appropriation dans un pays d´Amérique Latine». Aucun usage commercial ne peut en être fait sans l’accord des éditeurs ou archiveurs électroniques. Permission to make digital or hard copies of all or part of this work for personal or classroom use is granted without fee provided that copies are not made or distributed for profit or commercial advantage and that copies bear this notice and the full citation on the first page. SELF 2013 7 QUELQUES CARACTERISTIQUES DU CONTEXTE DE L´ETUDE ET DE LA DEMANDE INTRODUCTION Le transfert et l´appropriation de l´approche de l´ergonomie de l´activité vers d´autres contextes – l´Argentine dans ce cas - est loin d´être une opération linéaire. En ce sens, il mériterait de faire l’objet d´une analyse anthropotechnologique, telle que préconisée par Alain Wisner (1981, 1985) 30 ans avant, dans le cadre du transfert des machines et d´outils (voire des usines) vers les pays nommés alors en « voie de développement industriel ». Quelques études comparatives, menées dans la région il y a quelques années (Poy, Gomes et Soares, 2007 ; Soares, 2006), mettent en évidence que les facteurs macroscopiques tels que les politiques scientifiques, ainsi que les modèles de développement économique, social et éducatif, conditionnent fortement soit la réussite d’un transfert et d’une appropriation, soit l’échec en empêchant de manière significative l’implantation de l´approche de l´ergonomie de l´activité. Bien qu’en Argentine en 2003, un arrêté ministériel a donné une visibilité légale à la discipline, et même un « statut ontologique », il a en même temps généré trois problèmes significatifs : premièrement une réduction de la discipline à une pratique instrumentale (on assiste à une véritable prolifération d’outils d´évaluation des TMS tels que REBA, RULA, OWAS, etc.). Deuxièmement, cette pratique instrumentale a contribué à une prolifération plus ou moins indiscriminée d´« ergonomes ». Enfin, sur le plan conceptuel, une conception biomécanique du travail humain a pris le devant. Ces trois points sur lesquels l´ergonomie a pris un développement assez rapide dans notre contexte sont un « obstacle épistémologique » qui nécessite d’être pris en compte dans l´approche de l´ergonomie de l´activité, de la même manière que les approches « behavioristes » et celles dites « human factors », dans le champ de la sécurité. Une manière de faire face à cette situation est d’agir à partir de la pratique micro face à des demandes qui ne sont pas visualisées comme représentant un intérêt pour l´ergonomie (génération de nouveaux outils et de stratégies de formation associés aux innovations technologiques), et qui font appel à d´autres disciplines (la sociologie du travail, par exemple). Ces dernières vont permettre (du moins en partie) la diffusion et l´appropriation d´autres types d´approches en relation avec l’analyse des situations de travail. Dans cette perspective on présente une étude centrée sur l´impact comme conséquence d’un changement technologique – introduction de l´électronique dans les composants de l´automobile – dans une situation dans laquelle les opérateurs sont formés à la « mécanique traditionnelle ». Cette étude garde en toile de fond les processus d´appropriation des nouvelles techniques de diagnostic de pannes d´automobile. SELF 2013 Le cas présenté ici s’avère un exemple tout à fait représentatif des problèmes soulevés par la façon dont l´ergonomie s´est enracinée en Argentine. En effet, il s´agit d´une demande qui a été adressée uniquement à des spécialistes en sociologie du travail et, de manière plus large, a des experts de la formation professionnelle, l´ergonomie (ou même la psychologie du travail) étant, bien entendu, généralement en dehors du périmètre d´intervention de ce type de projets. Ce projet était guidé par le besoin de modernisation des parcours de formation des opérateurs de maintenance et de réparation de voitures. En particulier, cette étude vise l´activité des opérateurs des garages indépendants, qui ne sont pas équipés par les grands constructeurs automobiles, de dispositifs techniques (scanner, oscilloscope), ni de manuels d´aide au diagnostic. Pour mener à bout ce projet tous les partenaires concernés de la filière maintenance et réparation d´automobiles, ce sont ressemblés: syndicats de garagistes, syndicat de mécaniciens, et les institutions de formation professionnelle. Dans ce cadre, le chef technique du projet a décidé d’engager un professionnel provenant des sciences du travail (mais, un peu par hasard, issu de l´approche de l´ergonomie de l´activité), pour renforcer la formation des consultants qui allaient intervenir sur le terrain, et fournir une assistance lors de certaines étapes clé du projet : choix des cas à étudier, sélection des techniques de recueil et d´analyse des données, etc. C´est ainsi, de façon indirecte, que des concepts (et des méthodes), qui se révèlent d´une approche plus centrée dans l´ergonomie de l´activité, ce sont « infiltrés » dans le projet dont le but principal était la reformulation des contenus de la formation professionnelle, la construction de nouveaux matériaux didactiques, ainsi que la définition des équipements nécessaires favorisant le passage de la mécanique dite traditionnelle vers l´électronique. APPORTS CONCEPTUELS DESTINÉS A ENRICHIR LA PROBLEMATIQUE ABORDÉE Dans le but d’enrichir « la boite à outils » des personnes allant intervenir sur le terrain (les garages indépendants), trois approches conceptuelles, proches de l`ergonomie de l´activité, ont été retenues et transmises : - 8 Premièrement, le modèle SRK (Skills-RulesKnowlwdge) (Rasmussen, 1983), très utilisé dans le cadre de la psychologie ergonomique et de l´ergonomie francophone, qui a permis, lors des - - interventions sur le terrain, de mieux comprendre les niveaux d´activité et de contrôle des opérateurs novices et experts, ainsi que les activités déployées dans la phase de diagnostic de pannes et de résolution de problèmes. Deuxièmement, l´approche des activités avec des instruments (Rabardel, 1995) a été retenue afin de cadrer les formes d´appropriation des nouveaux instruments de diagnostic de pannes électroniques dans les automobiles. Cette approche permet en même temps d’envisager un processus de genèse instrumentale, utile à la compréhension des processus de reconversion des compétences des opérateurs, observés chez les mécaniciens de réparation de voitures. Finalement, les concepts de genre et de style professionnel, issus de la clinique de l´activité (Clot, 1991), ont été utilisés comme approche complémentaire pour dégager de l’activité, ce qui est de l´ordre des « règles tacites du métier », et les processus singuliers d´appropriation des objets techniques des opérateurs. procédant à travers des genèses instrumentales successives. Aussi ces concepts ont permis, sur un plan méthodologique, de séparer deux étapes: - celle de la « maîtrise » des programmes d´identification de pannes et, - celle d’un processus d´utilisation des programmes dans la réalité du garage, et leur adaptation à chaque marque et modèle de voiture. L´étude s´est centrée sur le deuxième axe, afin de caractériser les modalités d´appropriation des artefacts dans leurs pratiques quotidiennes de pannes rapportées aux systèmes électroniques de l`automobile. Elle permet ainsi de constater que les processus de transfert technologique sont loin d´être linéaires, à la fois d´un point de vue cognitif, par rapport au niveau de l´expertise requise par les opérateurs auxquels s’adressent ces artefacts, et d´un point de vue des stratégies de transfert vers les filiales par les organisations où ces artefacts ont été pensés et conçus. Transfert et appropriation de concepts rapportés à l´ergonomie de l´activité : quelques exemples. Par ailleurs, la conceptualisation et la distinction faite par l´approche de la clinique de l´activité entre « genre et style professionnel » (Clot, op. cit.) apparaît utile à la compréhension des processus d´appropriation des nouvelles technologies pour le diagnostic de pannes automobiles. En effet, le genre professionnel en tant que porteur de connaissances plus ou moins tacites, construites dans l´action, règle l´activité du collectif de travail. Il se situe aussi bien entre les opérateurs participant à une activité, qu’entre ceux-ci et l´objet de leur activité, définissant les manières d´utilisation des outils, ainsi que l´interaction entre les collègues à travers des critères partagés qui régulent l´activité. De façon complémentaire, le style fait allusion aux manières individuelles d´appropriation du genre tout en lui donnant une nouvelle signification et, par conséquent, en le réactualisant. Dans le cas étudié ici, les étapes suivies lors du diagnostic de la panne sont étroitement liées au fait d’avoir vécu (ou non) la transition de la mécanique vers l´électronique. Le scanner par exemple, est un recours utilisé par les anciens après avoir identifié les systèmes pouvant être affectés, alors que les opérateurs formés à l´électronique utilisent directement le scanner. Pour atteindre les objectifs du programme, c´est à dire, moderniser les parcours de formation, l´élaboration des matériaux, les ressources didactiques ainsi que les équipements de diagnostic pour les institutions de formation professionnelle il a fallu, au préalable, mener des analyses fines de l´activité des opérateurs de maintenance et de réparation de voitures afin de pouvoir comprendre le passage d´une « logique mécanique » à une « logique électronique » dans le diagnostic de pannes. C´est en ce sens que les trois approches mentionnées ci-dessus ont servi comme maille d´interprétation de ces processus de reconversion dans le diagnostic de pannes, par des professionnels engagés dans l´étude. On a pu constater chez les experts, par opposition aux novices, « des raccourcis » face à des situationsproblèmes ainsi que la capacité à établir des typologies d´erreurs possibles. Aussi, du fait d´avoir vécu la transition des systèmes mécaniques vers les électroniques, ils ont développé une capacité pour « gérer les tensions » entre, d´une part réduire les options, tout en laissant ouvert le champ des possibles. Ceci se manifeste « chez les experts », par la mise en place d’une procédure de travail de type réfutation d´hypothèses, qui les différencie des « novices ». Choix des techniques de recueil de données, en relation avec les réalités du terrain Du point de vue des activités avec instruments les données du terrain ont pu être enrichies, car les intervenants ont pu appréhender différentes manières d’appropriation des artefacts (les programmes informatiques des scanners) par les opérateurs, en SELF 2013 Une partie du travail a consisté à accompagner les intervenants dans le choix des situations à étudier, leur catégorisation, puis à sélectionner les cas à analyser. Ceux-ci ont été classés d’après les niveaux 9 du modèle SRK (Rasmussen, op. cit.), d’où certains ont été considérés comme des cas de « routine », et d´autres comme des « cas problème » pour lesquels les opérateurs n´ont pas une procédure de travail adaptée. CONCLUSION REFLEXION PISTES DE Les données relevées dans l´étude mettent en évidence que le raisonnement systémique des opérateurs s´avère un invariant qui leur permet de s´approprier des modifications introduites par les innovations technologiques dans le contexte des tâches de diagnostic de pannes, et par conséquent de compenser les déficits qui découlent d´un « transfert technologique déréglé ». Dans tous les cas, les intervenants ont réalisé des observations de l´activité. Mais pour les cas dits « de routine » ils ont demandé aux opérateurs de verbaliser « à haute voix », pendant leur activité, alors que pour les « cas problème » les verbalisations et entretiens avec les opérateurs ont été « consécutifs » au diagnostic, et à la résolution du problème de panne du système électronique des voitures. À travers cet exemple, ce qu’on a voulu mettre en avant est le rôle joué par les concepts issus de l´approche de l´ergonomie de l´activité, dans la reformulation de la démarche des intervenants de ce projet. Une « approche bottom up » s´avère non seulement possible, mais aussi nécessaire. La stratégie de procéder au cas par cas, au niveau micro, surtout dans des projets où, a priori l´ergonomie n’aurait « rien à dire » devient indispensable, compte tenu de la représentation sociale qui prévaut par rapport à l´ergonomie (TMS et techniques toute prêtes) chez la plupart des acteurs concernés par les problèmes spécifiques du monde du travail. En ce sens, les obstacles épistémologiques signalés dans l´introduction opèrent à la fois comme des entraves à son développement, et comme des défis pour l`ergonomie de l´activité. Le cas de la voiture qui « crache » de la fumée noire À titre d’exemple, on décrit le cas d´une voiture avec injection diesel dont le symptôme est la fumée noire qui sort du pot d´échappement. A ce stade le dialogue de l’opérateur avec le propriétaire de la voiture est une source d´information importante pour formuler une première hypothèse à propos de ce qui peut pouvoir être une altération du mélange oxygène/carburant. Face à ce premier diagnostic l’opérateur adopte la stratégie d´aller « du plus simple au plus complexe » pour résoudre son problème. Son choix de possibles le conduit à cibler les points suivants: le système de contrôle de l´air, le système d´alimentation, le senseur d´air et l’ordinateur du véhicule. En suivant la logique « du plus simple au plus complexe », l´opérateur démarre par le filtre d´air (ce qui pourrait empêcher l´entrée d´oxygène). Mais, cette voie ne s´avère pas être la source du problème ; l´opérateur s’oriente alors vers la régulation de la température de l´air, puis contrôle la température du moteur. Finalement, aucune de ces trois voies explorées s´avère être la cause de la « fumée noire » ; l´opérateur conclut que le problème peut résulter soit, du système de contrôle de l´air, soit des senseurs. Or, il constate que le mélange est bon et arrive « au plus complexe » : les senseurs. D´une part, on a voulu montrer que ces concepts ont une fonction d’« échafaudages », dont la pensée des consultants s’en sert pour mieux saisir et délimiter les problèmes posés par le projet. D´autre part, ce cas permet d’illustrer qu’il est tout à fait possible de transférer des concepts et des méthodes qui vont « du bas vers le haut » ou du « micro vers le macro », à partir de cas réels. Cette démarche est bien sûr complémentaire d´une démarche de type « top down », qui permet de développer une stratégie de transfert de l´approche de l´ergonomie de l´activité au travers la formation des professionnels qui veulent devenir des ergonomes, soit via des mécanismes de certification des connaissances pour le devenir, soit via la participation d’ergonomes professionnels au sein des instances de décision politiques des pouvoirs publiques sur la matière. Cette recherche progressive des pannes électroniques permet aux opérateurs de « gérer » la tension entre bien définir le problème (l´encadrer) et ouvrir différentes lignes de diagnostic au travers des interactions avec le matériel impliqué dans la situation de panne en cours. C´est ainsi qu’un processus d’appropriation des nouveaux artefacts d´aide au diagnostic prend sa place permettant l´intégration des différentes technologies. Il s´agit bien de la construction de nouvelles compétences à partir de pannes réelles, qui permettent aux opérateurs de « maîtriser » ces dispositifs techniques, et de façon parallèle contribuent à la formation de leurs collègues. SELF 2013 ET Finalement, on voudrait souligner que l´approche de l´anthropotechnologie présente ici un double intérêt car elle permet de s’interroger non seulement sur le transfert des innovations technologiques, mais aussi sur la construction des connaissances en situation réelle, tant au niveau individuel que collectif (Geslin, 2004). Elle permet ainsi de s´approprier des objets techniques, dans des contextes qui ne révèlent pas 10 d´un « transfert technologique intégral » (Wisner, op. cit.), tel que le cas présenté ici. Elle permet en outre, de s´interroger sur le transfert même de l´approche de l´ergonomie de l´activité, sur ses difficultés d´appropriation, dans d´autres contextes que ceux où elle a été créé et développée. Dans ce sens, l´anthropotechnologie reste un puissant cadre d´analyse qui permet de maintenir la réflexion ouverte autour des problèmes que pose le transfert, tant des innovations techniques que des approches conceptuelles visant la compréhension du travail humain pour pouvoir le transformer, tel que le préconise l´ergonomie de l´activité. l´Argentine et du Brésil ». In L’analyse du travail en perspectives : Influences et évolutions. Valléry, G. et Amalberti R., éditeurs. Octarès Éditions. pp.79-96. BIBLIOGRAPHIE Wisner, A. (1985). Quand voyagent les usines. Collection Atelier futur. Editions Syros. Paris. Rabardel, P. (1995). Les hommes et les technologies. Approche cognitive des instruments contemporains. Armand Collin. Paris. Rasmussen, J. (1983). « Skills, Rules, and Knowledge; Signal, Signs, and Symbols, and Other Distinction in Human Performance Models », IFSE Transactions on systems, man and cybernetics, MC, 13, 3, pp. 257-266. Soares, M. (2006). Ergonomics in Latin America: Background, trends and challenges. Applied Ergonomics. 37 (4), 555-561. Clot, Y. (1999). La fonction psychologique du travail. Paris: Presses Universitaires de France. Wisner, A. (1981). Vers une anthropotechnologie, Comment pourvoir les pays en développement industriel de machines et d´usines qui marchent. Document du Laboratoire de Physiologie du Travail et d´Ergonomie. Conservatoire National des Arts et Métiers. Paris. Geslin, Ph. (2004). « Agir de concert. Anthropotechnologie et recherches anthropologiques ». In Alain Wisner et les tâches du présent. Sous la direction de Jacques Duraffourg et Bernard Vuillon. Octarès Éditions. pp. 75-81. Poy, M. Gomes, J. et Soares, M. (2007). « L’analyse de l’activité : expériences sud-américaines. Les cas de SELF 2013 11 Archivé électroniquement et disponible en ligne sur : 48ème congrès international. Société d’Ergonomie de Langue Française. www.ergonomie-self.org www.informaworld.com/ergo-abs Texte original*. L’ergonomie à partir d’une perspective des enjeux stratégiques dans les organisations? Quelques réflexions à propos de notre expérience au Brésil SZNELWAR L. I. (1), BOLIS I. (1), MASCIA F. L. (1), MONTEDO U. B. (1), DUARTE F. (2) (1) Universidad de San Andrés Escola Politécnica da Universidade de São Paulo e-mail: [email protected] (2) Universidade Federal do Rio de Janeiro e-mail: [email protected] Résumé : L'un des problèmes majeurs dans les interventions ergonomiques est que si l'on conserve la même structure organisationnelle, les résultats des actions d'amélioration restent partiels et limités. Il devient alors nécessaire d'introduire un processus à plus long terme de suivi et d'alignement des stratégies des entreprises visà-vis d’une transformation effective du travail. L'amélioration des situations de travail est normalement déléguée aux chefs de chaque département sans qu’il y ait une politique claire concernant les questions de projet et de gestion du travail. Dans le cadre de notre expérience au Brésil, il nous paraît évident que la question est de premier ordre surtout quand il y a une grande dissémination des pratiques réductionnistes qui proposent des diagnostics fondés sur des listes de vérification tout en maintenant une profonde méconnaissance par rapport à l’activité de travail. Mots-clés : Organisation – Amélioration conditions de travail – Stratégies d´introduction des changements Strategic issues organization and Ergonomics. Some thoughts regarding our Brazilian experience Abstract: One of the major problems in ergonomic interventions by remaining with the same organizational structure, the results of improvement actions remain partial and limited. It then becomes necessary to introduce a more long-term monitoring and alignment of corporate strategies towards a transformation actually worked. The work situations improvement is normally delegated to the heads of each department without having a clear policy issues and project management work. As part of our experience in Brazil seems obvious that the question is first order, especially when there is a large spread of reductionist practices that provide diagnostic based on checklists and keeping a profound ignorance in relation to work activities. Key words: Organization – working conditions improvement - Strategies for introduction of change *Ce texte original a été produit dans le cadre du congrès de la Société d’Ergonomie de Langue Française qui s’est tenu à Paris du 28 au 30 août 2013. Il est permis d’en faire une copie papier ou digitale pour un usage pédagogique ou universitaire, en citant la source exacte du document, qui est la suivante : Sznelwar L. I. , Bolis I., Mascia F. L., Montedo U. B., Duarte F. (2013). « L’ergonomie à partir d’une perspective des enjeux stratégiques dans les organisations? Quelques réflexions à propos de notre expérience au Brésil». Aucun usage commercial ne peut en être fait sans l’accord des éditeurs ou archiveurs électroniques. Permission to make digital or hard copies of all or part of this work for personal or classroom use is granted without fee provided that copies are not made or distributed for profit or commercial advantage and that copies bear this notice and the full citation on the first page. SELF 2013 12 manières les plus diverses et cela a des retombées significatives sur les demandes en ergonomie. Un exemple très présent dans notre tableau est la quantité d’entreprises qui demandent une espèce de rapport d’évaluation (« laudo ergonomico ») qui servirait surtout à décharger les responsables du fait de ne pas respecter la loi. Entre demander un rapport de ce genre et agir concrètement dans le sens d’une transformation effective du travail, il y a loin. Il faudrait noter encore que ce genre de rapport ne peut pas se comparer à une analyse ergonomique du travail, surtout parce que les méthodes employées visent une appréciation rapide des postes de travail et de certains aspects biomécaniques du travail. Il ne s'agit pas de comprendre et de situer les différents déterminants des tâches, comme c’est le cas d’une AET (Guérin et al, 1997 ; Abrahão et al. 2009 ; St. Vincent et al. 2011). C’est le genre de positionnement qui permet la dissémination de techniques d’évaluation maintes fois nommées, par ceux qui les proposent, méthodes en ergonomie et, qui à la fin, réduisent le travail à des gestes et à des postes de travail. Nous ne pouvons même pas considérer cela comme une ergonomie centrée sur la tâche (Montmollin, 1981 ; Hubault, 2004), il s’agit d’une distorsion des visées dans le champ, modulées par un marché croissant et demandeur de ce genre de pratique. Par contre, sur un autre plan, complètement opposé, il y a des demandes fortement ancrées sur une perspective de l’ergonomie de l’activité et qui débouchent sur des projets d’ingénierie, surtout dans certains domaines de l’économie comme dans l’industrie du pétrole et ses dérivés. Dans ce cas, il y a une forte proposition des entreprises et de ses préposés pour mieux comprendre ce qui se passe dans la réalité de la production, pour obtenir des connaissances basées sur des situations de référence pour les utiliser dans les projets des installations et des nouvelles situations de travail. Dans d’autres domaines, nous pouvons constater que les concepts liés à l’ergonomie de l’activité influencent les actions dans le pays. Un autre type d’action est lié aux pouvoirs publics, surtout quand des négociations sont entamées visant des changements dans la législation ou même pour parvenir à changer effectivement des conditions de travail. Il s’agit de cas comme ceux des normes visant le travail des caissiers de supermarché, des travailleurs dans les centres d’appel, ou même dans la prévention d’accident avec des presses dans l’industrie. Concernant l’ergonomie du produit, il y a de plus en plus d'initiatives pour appliquer des connaissances en ergonomie. Il s’agit d'actions proches d’une perspective proposée par l’école « Human Factors », mais il y a aussi des initiatives basées sur l’analyse des activités visant une conception de produits plus adaptés ou adaptables. C'est ce que montrent un INTRODUCTION Cet article a été conçu pour contribuer à une discussion à propos de l’ergonomie et ses différentes pratiques au Brésil. Loin d’avoir comme objectif de couvrir tout le champ, nous avons voulu mettre en évidence quelques questions, à notre avis, stratégiques, pour le développement de l’ergonomie et, surtout, pour les possibilités visant la transformation du travail. Si ce n’est pas le lieu de faire une présentation de l’histoire de l’ergonomie au Brésil, il est, toutefois, important de mettre son évolution dans une perspective qui est, en bonne partie, construite à partir de nos expériences. Différentes écoles ont contribué à la formation de professionnels en ergonomie dans notre pays. Si nous pensons aux premières manifestations, surtout dans le domaine de l’ingénierie, une forte influence des écoles très proches d’une vision fondée sur les « Human Factors » est notable, ensuite, grâce à la contribution du professeur Alain Wisner (Sznelwar, 2006) et de ses collègues les plus proches, comme le professeur Antoine Laville entre autres, il y a eu une vague importante de professeurs et chercheurs diplômés dans le domaine, formés dans l’école de l’Ergonomie de l’Activité. La plupart de ces élèves sont allés occuper des postes universitaires. La majorité continue à enseigner, à développer des recherches, ainsi que des activités d’extension universitaire auprès des entreprises et des institutions publiques. D’autres types d’insertion des anciens élèves du laboratoire d’ergonomie du CNAM, par exemple dans le Ministère du Travail, ont aussi permis une diffusion significative des points de vue, de l’approche ainsi que des connaissances liées à l’ergonomie de l’activité. Trente ans au moins ont passé, depuis que les premiers ergonomes formés à l’Ergonomie de l’Activité, donc à l’Analyse Ergonomique du Travail, ainsi qu'à l’Anthropotechnologie, sont revenus au Brésil. Toutefois, il ne faut pas croire qu’il s’agit d’un point de vue hégémonique que la majorité des entreprises et institutions publiques dans le pays adoptent. Bien au contraire, il s’agit d’une réalité beaucoup plus nuancée et composée de différents acteurs qui pratiquent des ergonomies très diversifiées. QUELQUES MOTS SUR LE CADRE BRESILIEN La législation locale prévoit que soit menée, sur tous les lieux de travail, une analyse ergonomique du travail. (NR17, Norme du Ministère du Travail et de l’Emploi du Brésil, 2002). La grande question est liée au fait qu’il est possible d’interpréter les normes de SELF 2013 13 devant accepter l’avis des autres qui sont ceux qui ont des connaissances. Changer et faire de l’ergonomie une vraie construction sociale est un grand défi. certain nombre de travaux dans le domaine de l’analyse des difficultés dans l’utilisation des logiciels et dans la conception de véhicules comme des avions, trains et bus. Un autre domaine d’action en ergonomie, au Brésil, est attaché à la recherche universitaire. La prise en compte des questions de l’activité humaine au travail se fait présente de façon significative dans les domaines les plus divers de l’économie, depuis des activités agricoles, des services bancaires, jusqu'au domaine de la santé publique, dans les hôpitaux, en passant par des centres d’appel, des industries de processus continu, ou le transport aérien et terrestre, entre autres. L’EXEMPLE D’UNE TENTATIVE AUTRE Dans le cas ici présenté, nous avons développé un travail visant la constitution d’un Comité Améliorations dans un hôpital au Brésil. La discussion vise à mettre en évidence des difficultés qui existent pour développer des actions concrètes concernant ce genre de proposition, surtout en prenant en compte les cadres existants dans ce genre d’institution au Brésil. Il s’agit d’un hôpital public, lié à une Université de São Paulo et dont les dirigeants étaient désireux de consolider des actions en ergonomie dans l’institution, en tenant compte que des initiatives antérieures avaient eu un succès mitigé, surtout parce que les actions n’avaient pas eu de continuité. La proposition initiale de l’étude était de comprendre les différentes demandes existantes à partir d’études faites avec la direction de l’institution, en ayant comme base des arrêts maladie et les difficultés pour produire des services de qualité en ayant une indisponibilité de travailleurs grandissante, soit à cause de l’absentéisme produit par des maladies, soit par le vieillissement de la population. Les démarches proposées ont été fondées sur des hypothèses et modes d'action de l'ergonomie et de la psychodynamique du travail. L'objectif principal de la création de ce comité était de transformer la portée des actions restreintes jusque là au niveau opérationnel, les déplaçant, vers des niveaux stratégiques de décision. Le but était de mettre en évidence les défis quotidiens des opérations, en ayant un fort appui sur le réel, sur l’activité des travailleurs, pour changer les modes de décision, vis-à-vis des différents déterminants du travail. C'est-à-dire, comment s’appuyer sur l’activité depuis le départ dans les démarches de conception et des projets de production. La constitution d’un comité d’amélioration a été proposée. Le principal aspect mis en relief dans les discussions initiales relevait d’une question centrale. À notre avis, il ne serait pas possible d’obtenir de bons résultats en gardant une position traditionnelle où les participants de ce genre de dispositif seraient les seuls responsables des améliorations dans l’institution et surtout seraient les experts capables de tout savoir, de concevoir des solutions et de décider convenablement. Sans une participation effective des différents acteurs dans l’institution, il nous semblait peu probable que des initiatives d’amélioration aient du succès. Pour faciliter la diffusion des concepts d’ergonomie dans l’institution, une vingtaine de travailleurs ont participé à un programme de qualification en AET. (Neiva, Bolis, Sznelwar, 2010 ; Bolis, 2011). DES QUESTIONS… D’une façon générale nous pouvons affirmer qu’il y a eu un développement significatif de l’ergonomie au Brésil et que l’activité de travail est très présente. Toutefois il y a encore beaucoup à faire, surtout si nous tenons compte de certaines questions : Est-ce que les questions posées à l’ergonomie sont de nature plutôt locale, attachées aux situations de travail, plutôt « micro » comme approche ? Par exemple, comment résoudre les problèmes liés au dimensionnement d’un poste de travail, organiser les outils, ou même l’organisation du temps de travail comme les pauses ou l’organisation du travail posté. Toutefois, des questions plus stratégiques ne sont pas prises en compte. Il s’agit d’un grand défi, parce que, dans la plupart des cas, les représentations que les dirigeants ont, concernant l’ergonomie, sont ancrées surtout sur des aspects de santé et de sécurité. Faire remonter plus haut dans l’échelle hiérarchique ce qu’est du travail réel et ce qui est fait par les travailleurs pour garantir la production, même confrontés à des situations de production dégradées, n’est pas le plus courant. Discuter et mettre sur la table des décisions stratégiques, les aspects économiques, des questions de fiabilité des systèmes et, encore, relier des questions de santé aux choix stratégiques, comme ceux concernant les projets des produits, des systèmes de production, de l’organisation du travail et, quelles sont les ouvertures pour concevoir des travaux intéressants qui permettent le développement d’une carrière professionnelle ne sont pas reliés à ce qui est considéré comme faisant partie du domaine de l’ergonomie. Un autre aspect central concerne la question de la participation des travailleurs et de leurs représentants. Dans la majorité des situations, ils sont consultés, quand ils le sont, d’une façon ponctuelle et pour donner plutôt un avis que participer activement aux analyses et à la construction des solutions. Les syndicalistes sont très rarement mis dans la scène. De la sorte, le rôle des ergonomes comme « experts » est renforcé et celui des travailleurs directement intéressés n’est pas considéré comme celui d’un protagoniste, mais plutôt, comme celui de quelqu’un SELF 2013 14 Différents axes d’actions ont été proposés fondés sur le principe que ce genre de dispositif devrait surtout servir pour diffuser une politique et favoriser des actions d’amélioration plutôt que de centraliser le pouvoir de décision, ainsi que des informations. Les principaux axes étaient les suivants : - Une politique pour les travailleurs ayant des besoins spéciaux, soit des handicapés soit des travailleurs qui retournaient au travail avec des restrictions médicales après de longues périodes d’absence. - Développer une politique d’achat d’équipements, des outils, les systèmes d'information compris, en tenant compte de la réalité de la production et du travail, en ayant pour principe la participation des travailleurs dans les processus. - Promouvoir une adéquation des installations considérant aussi des analyses de l’activité ainsi que les flux de production. - Constituer une politique d’embauche tenant compte des besoins de remplacement d’une population vieillissante et aussi les besoins de qualifications des nouveaux arrivés. Développer un système de vigilance épidémiologique ayant pour objectif principal de détecter des problèmes de santé liés au travail et aussi dans la gestion de la force de travail, vu qu’il y avait de moins en moins de travailleurs disponibles et que la demande de production augmentait. À partir de l'identification de la forte incidence de problèmes de santé mentale dans l'institution, et plus particulièrement avec le personnel infirmier, des enquêtes supplémentaires ont été menées sur la base d'une action en psychodynamique du travail (PDT) (Dejours 2003, 2011 ; Lancman, Uchida 2003). Les résultats de cette action ont été remis aux travailleurs concernés et à la direction de l’hôpital (Sznelwar, Neiva, 2008). DISCUSSION L'analyse de chacun de ces axes a montré l’existence d'occasions d'amélioration significatives, mais les principaux résultats montrent l'importance de la mise en place de nouveaux modèles de travail dans les entreprises, basés sur des hypothèses qui tiennent compte de l’importance du travail réel pour aider à changer les processus de décision dans l’institution et montrer que l’ergonomie a une place dans la conception et les projets (Béguin 2006, Daniellou, 2006). Toutefois, un des aspects centraux de nos préoccupations, situé dans la tension entre la possibilité d’utiliser l’ergonomie comme un outil pour élargir la participation des travailleurs dans les processus de décision des institutions et celle de favoriser une démarche qui la réduise à un affaire d’experts, demeure (Hubault 2001 ; Sznelwar 2007 ; Wisner 2004). Pour favoriser la participation et, par là, viser une émancipation des sujets vu que le travail ne serait pas exclusivement « faire » mais aussi, « réfléchir » et « agir sur des processus de transformation », il serait important qu’il y ait des dispositifs institutionnels pour y parvenir. C’est échouer dans les propositions, comme cela pourrait arriver dans le cas présenté, si le système de production et l’organisation du travail ne prennent pas en compte des processus de qualification, l’allocation de temps et le respect des décisions prises collectivement après des négociations et des délibérations. (Uchida, Sznelwar, Lancman, 2011; Dejours 2012,) Toutefois, dans la plupart des domaines le temps pour développer un projet est de plus en plus court. Même les ingénieurs sont dans des situations de contrainte de temps et de restriction des possibles. La multiplicité des acteurs et, même des entreprises qui participent aux projets, est grandissante et il n’y a pas des vrais dispositifs pour discuter et délibérer (Duarte, Lima 2012). Les situations sont similaires dans un hôpital, dans un centre d’appel ou dans une entreprise de pétrole. Tout est prévu pour des espaces de temps très courts. Il est difficile de convaincre les partenaires de prendre en considération l'activité des travailleurs pour nourrir le processus de conception, surtout s’il faut du temps pour faire des analyses du travail et mettre sur la scène des projets des situations de référence différentes et pour récupérer les expériences des travailleurs. Les rendre disponibles pour nourrir les ergonomes qui travaillent sur des Les principaux résultats ont été les suivants : - Dans l'axe du système de surveillance épidémiologique, un système informatisé de collecte des données a été mis en place pour appuyer les décisions des gestionnaires (nombre de salariés actifs, nombre des employés et des restrictions du type, le sexe, l'âge et la durée de service de chaque employé). - Dans l’axe des politiques pour les travailleurs ayant des restrictions et des besoins spéciaux, les résultats ont été limités. Par l'implication directe de certains responsables, il a été possible de développer des analyses du travail dans les zones les plus critiques. - Dans l’axe de l'acquisition de matériels, équipements, systèmes, il y a eu la mise en place d’une révision des processus. Des entretiens avec les responsables pour les achats, une analyse du processus spécifique pour l'achat des chaises et d’autres équipements hospitaliers a été faite. Une étude basée sur une AET à été faite concernant la perspective d'achat de nouveaux autoclaves pour stériliser les biberons et d’autre objets en verre utilisés dans le service de nutrition et diététique, ainsi que des machines de remplissage automatique pour le lait. Une autre analyse du travail centrée sur des activités avec chariots de transport a aussi été faite. - Concernant l'adéquation des installations, des discussions centrées sur l’activité des travailleurs dans le service de nutrition et diététique ont été réalisées, pour servir de base aux discussions avec des architectes et ingénieurs responsables des travaux prévus dans ce secteur de l’hôpital. SELF 2013 15 projets est déjà difficile. Là, c’est un vrai piège parce que, dans ce cas, la position d’expert des ergonomes et des ingénieurs devient encore plus évidente. Comment faut-il se positionner, vu que la compression des temps de travail atteint tout le monde ? Faut-il favoriser des méthodes d’analyse rapide tout en risquant de réduire encore plus les espaces de participation ou de délibération ? Comment garder une attitude pragmatique pour promouvoir l’ergonomie dans les espaces de conception sans tomber dans le piège de prendre toute la responsabilité de ce qu’il y a d’ « ergonomique » dans le projet du travail ? À notre avis, il n’y a pas de neutralité en ergonomie, il ne s’agit pas d’une activité de professionnels capables de faire une analyse technique du travail et qui sont en mesure de proposer ce qu’il y a de mieux pour les travailleurs. C’est une position d’expert, de savant, qui se situe à l'opposé des propositions de l’ergonomie de l’activité qui a comme concept princeps qu’il n’existe pas quelqu’un ou une profession qui détienne la connaissance et le pouvoir pour changer et adapter le travail. Il s’agit d’un espace d’action politique et il faudrait le partager. Hubault, F. 2001 La relation de service, opportunités et questions nouvelles pour l’érgonomie. Octares Editions. Paris. Hubault, F. 2004 Do que a ergonomia pode fazer a análise? Dans: Daniellou, F. (coord.) A ergonomia em busca de seus princípios: debates epistemológicos. São Paulo: Edgard Blücher, p. 105-140. Lancman S.; Uchida S. 2003 Trabalho e subjetividade: o olhar da Psicodinâmica do Trabalho. Dans: Cadernos de Psicologia Social do Trabalho, vol. 6, p. 79-90, http://www.revistasusp.sibi.usp.br/pdf/cpst/v6/v6a06.pdf Ministério do Trabalho e Emprego, 2002. Manual de aplicação da Norma Regulamentadora no. 17. Brasília : MTE, SIT. Montmollin, M. 1981 Le taylorisme à visage humain, Paris: PUF. Neiva, A. G., Bolis, I., Sznelwar, L. I. 2010 Um comitê de melhorias de condições de trabalho numa instituição publica de saúde In: XVI Congresso Brasileiro de Ergonomia, ABERGO 2010, Rio de Janeiro. 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A ergonomia em busca de seus princípios: debates epistemológicos. São Paulo: Edgar Blucher, p. 29-55. BIBLIOGRAPHIE Abrahão, J., Sznelwar, L.I., Silvino, A., Sarmet, M., Pinho, D. 2009 Introdução à ergonomia da prática à teoria. São Paulo: Blucher. Béguin, P. 2006 Taking activity into account during the design process In: Pikaar, R. N.; Koningsveld, E.A.P. (ed.) Meeting Diversity in Ergonomics, Proceedings of the IEA2006 Congress Maastricht, Netherlands. Bolis, I. 2011 Análise Ergonômica em ambiente hospitalar: estudo de caso em um hospital universitário. In: ENEGEP, XXXI Encontro Nacional de Engenharia de Produção, Belo Horizonte. Daniellou, F. 2004 A ergonomia em busca de seus princípios: debates epistemológicos. São Paulo, Edgar Blucher. Daniellou, F. 2006 Simulating future work activity is not only a way of improving workstation design. In: PIKAAR, R. N.; KONINGSVELD, E.A.P. (ed.) Meeting Diversity in Ergonomics, Proceedings of the IEA2006 Congress Maastricht, Netherlands. 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Société d’Ergonomie de Langue Française. www.ergonomie-self.org www.informaworld.com/ergo-abs Texte original*. Du macro au micro: les régulations d´un ergonome au sein d’une entreprise Vénézuélienne Rafael GONZÁLEZ Líder de Procesos en Ergonomía y Neurociencias del Trabajo, Petróleos de Venezuela S.A. República Bolivariana de Venezuela [email protected] Résumé. Le but est de décrire les processus de régulation macro, méso et micro d´un ergonome au sein d'une entreprise vénézuélienne. Les éléments développés tiendront compte des contextes technique, légal, de production et politique qui caractérise une entreprise de ce type, spécifiquement dans l'exercice de la pratique et la recherche de l'ergonomie centrée sur l'analyse de l'activité. L'arrivée au pays de programmes informatiques, qui proposent des analyses ergonomiques du travail (RULA-REBA-OCRA) a généré une pratique de l´ergonome, orientée vers des actions préventives et correctives compte tenu des dimensions instrumentale, axiologique, subjective et communicationnelle. Les régulations meso font le constat d’une absence de normes spécifiques Vénézuéliennes, les obligeant à envisager une réglementation internationale, remise en question sans cesse, compte tenu des conditions économiques, industrielles et sociales du pays. Ce travail a permis d’élargir la pratique et la recherche d'un ergonome interne, formé à l'analyse de l'activité. Mots-clés : Régulation. Analyse de l´activité. Programmes informatiques. Prise de conscience, activité réflexive. From macro to micro : an ergonomist regulations in a Venezuela company Abstract. The aim is to describe the process control macro, meso and micro levels of an ergonomist in a Venezuelan oil company. Elements developed take into account the contexts technical, legal, and political production that characterizes this type of business, specifically in the course of the research and practice of ergonomics focuses on the analysis of the activity. The advent of computer programs in the country, offering ergonomic analysis of work (RULA, REBA-OCRA) generated a practice of ergonomics, focused on preventive and corrective actions, without a real diagnosis. Meso regulations are the finding of a lack of specific standards Venezuelans, forcing them to consider international regulations, questioning constantly, taking into account economic, social and industrial country. This work has expanded the practice and research of an ergonomist, formed to analyze the activity. Key words: regulation, activity analysis, computer programs, awareness, reflexive activity. *Ce texte original a été produit dans le cadre du congrès de la Société d’Ergonomie de Langue Française qui s’est tenu à Paris du 28 au 30 août 2013. Il est permis d’en faire une copie papier ou digitale pour un usage pédagogique ou universitaire, en citant la source exacte du document, qui est la suivante : González, R., (2013). Du macro au micro: les régulations d´un ergonome au sein d’une entreprise Vénézuélienne. Aucun usage commercial ne peut en être fait sans l’accord des éditeurs ou archiveurs électroniques. Permission to make digital or hard copies of all or part of this work for personal or classroom use is granted without fee provided that copies are not made or distributed for profit or commercial advantage and that copies bear this notice and the full citation on the first page. SELF 2013 17 - INTRODUCTION Le but de cet article est de décrire les processus de régulation macro, méso et micro d´un ergonome au sein d'une entreprise pétrolière vénézuélienne. Ce travail s'inscrit dans le cadre de l'activité réflexive (Schön, 1983 ; Falzon, 1994 ; Daniellou, 1994 ; Lamonde, 2000). Les éléments développés ici tiendront compte de l´articulation de la pratique et la recherche de l'ergonomie, centrée sur l´analyse de l´activité. Néanmoins, cette pratique prend du temps et parfois les ingénieurs de production, les médecins du travail ou les administrateurs, veulent des résultats rapides pour prendre une décision. Cette situation s’est compliquée encore plus d'une part avec l'arrivée de programmes informatiques qui proposent aussi des analyses ergonomiques du travail "plus rapides" (Mcatamney, & Corlett, 1993; Hignetts & Mcatamney, 2000 ; Colombini & Occhipinti 2002 ; Nasa TLX, 2003 ; Manero & Rodríguez, 2005), et d’autre part, avec les transferts de technologies réalisés au pays. Mais, étant donnée la complexité de la production dans l'industrie pétrolière, l´anthropotechnologie a permis une approche de la réalité qui a conduit à un renforcement des actions préventives et correctives, compte tenu des dimensions instrumentale, axiologique, subjective et communicationnelle. Autrement dit, il s’agit d’une approche associant des sciences de la nature et de la société. - Les demandes ont été associées à des critères relativement clairs de l'ergonomie, tels que le maximum de confort, le maximum d´efficacité, la prévention des accidents de travail et de maladies professionnelles. Aucune demande officielle n'a été formulée pour décrire la complexité des stratégies qui sont mises en œuvre par les opérateurs, sur la complexité des déterminants de l´activité et encore moins sur la complexité des processus de conception ou la prescription du travail des cadres et des préventeurs. Cependant, sur le terrain, nombre de ces aspects ont été mentionnés. Pour cette étude trente (30) rapports d’études ergonomiques, menées dans différentes parties du processus pétrolier ont été analysés de façon prospective pour la période 2009-2012. Pour chaque chacun d´eux, nous avons examiné la demande formulée, la reformulation de la même, la méthodologie utilisée, les principaux résultats, aussi bien que les changements qui se sont produits sur la situation analysée. Ces études ont été classées, et on a séparé celles ayant conduit à des changements significatifs, de celles n’ayant conduit à aucune modification. Les types de prescriptions La prescription ne vient pas seulement des organisateurs, de la production, des consignes, des procédures et des normes. Elle renvoie aux dimensions de la variabilité, de la complexité, de la contingence et du contexte (Wisner, 1991). Ainsi par exemple, l´activité des travailleurs du pétrole est une activité de contrôle et d´anticipation, ainsi que de récupération d’incidents. Mais aussi la recherche active de l´information, la protection contre la douleur, la fatigue et la gestion de la peur, c’est-à-dire les travailleurs construisent des savoirfaire qui leur permettent de faire face au réel, qui ne peut être prescrit de manière prédictive. Comment cela pourrait expliquer que les accidents se produisent et que les atteintes à la santé se manifestent (Queinnec, Teiger, de Terssac, 1985) ? RESULTATS et des questions Les nombre des questions qui ont progressivement émergé de ces études étaient : - Les problèmes de santé signalés dans 17 rapports en relation avec : Affections péri-articulaires et lombalgies. Douleurs au niveau de l’épaule, des doigts et des mains. Charge mentale. SELF 2013 Les outils de travail, présent dans 8 rapports, où il s’agit tout particulièrement de la chaise en relation avec les caractéristiques d'ajustement compte tenu du nombre d'heures de travail en position statique assise dans le cadre d’un poste de secrétaire, ou d’un poste d’analyste dans un pupitre de commande. L'intensification du travail signalée dans 5 rapports. Différentes types de techniques et d’outils ont été utilisés : questionnaires, observations, entretiens, évaluations sur le terrain, documents et archives. A partir de ces différentes sources d´information, l´analyse a permis de montrer des facteurs de risque liés à : des zones d´atteinte physique et de vision ; des postures, des vibrations et des pressions locales sur les tissus ; la monotonie et la répétitivité de la tâche ; aux exigences cognitives ; la diversité des logiques d´organisation et de production. METHODOLOGIE Des demandes diverses Problèmes psychosociaux. 18 Nous avons montré qu´il ne suffit pas de s´attaquer à un seul facteur de risque ou à un nombre limité de facteurs pour éliminer ou réduire les lésions liées au travail répétitif (LATR). L´adoption de postures dommageables nécessitait d’être mis en relation avec les conditions de travail ; autrement dit, leur origine dépassait le poste de travail et la gestuelle. Une démarche systématique était nécessaire pour mettre en place des interventions efficaces comme la « formation–action ». étant donné qu'ils étaient nouveaux. C'est-à-dire sur 500 camions qui sont arrivés au pays, au début de l’année, 200 étaient arrêtés à la fin de l’année, immobilisés car il manquait une pièce de rechange. Cela générait plusieurs dysfonctionnements. Les camions qui étaient actifs, n'étaient plus dans les meilleures conditions mécaniques. Les conducteurs déclaraient que lorsqu’ils amenaient des camions à l’atelier ceux-ci pouvaient rester bloqués pendant un temps indéfini, voire être utilisés pour réparer d'autres véhicules. Par exemple, dans 14 cas sur 18 camions qui nous avons étudiés, les commandes du siège ou des rétroviseurs étaient endommagées et ne permettaient pas une vision optimale à droite (directe ou indirecte). Selon les conducteurs, l’eau qui fuit dans les camions endommage les systèmes électriques contrôlant les rétroviseurs. Les commandes du siège ne sont quant à elles pas solides. En plus, concernant la posture, il n’y pas de réglage possible de la hauteur des sièges, indépendant du système automatique de suspension qui adapte son amplitude au poids du conducteur. Si ce réglage est modifié, la suspension fonctionne moins bien. C’est un point important étant donné l’effort physiologique modéré que représente une faible torsion du cou vers ce miroir, comparativement à la torsion induite par un contrôle dans l’un des trois rétroviseurs plus à droite. Ce qui génère en définitive une augmentation de l'angle mort touchant la partie avant droite du camion, et qui expliquait la grande quantité d'accidents qui ont survenu. En ce qui concerne l´intensification du travail, notre travail a montré que les travailleurs ne se contentent pas de se confronter aux exigences de la production. Ils considèrent un nombre croissant d´éléments non mentionnés dans la prescription. En effet, l´intensification implique à la fois accélération et standardisation. Une telle situation à des conséquences sur les relations de travail, conflits interpersonnels et atteintes à la santé. Dans la mesure où il n´est pas possible de réaliser tous les objectifs (Davezies, 2006). Un quatrième aspect est que les procédures qui induisent des problèmes doivent être discutées avec les opérateurs. En effet, ceci permet de réexaminer collectivement leurs conditions de validité et d´application. Enfin, des analyses montrent qu´une partie de l´activité des opérateurs est déterminée par des rapports sociaux qui se trouvent loin des postes de travail. Le transfert de technologie L´une des idées centrales de la démarche de l´anthropotechnologie, est celle de l´existence non pas d´un universalisme technique mono centré, mais bien d´un pluricentrisme technique. Il s´agit de comprendre pour agir, œuvrer dans la perspective d´une finalisation des résultats, dans un but de conception ou de transformation des systèmes techniques transférés ou destinés à l´être. L´approche ne se concentre plus uniquement sur les seuls objets techniques et la seule situation de travail, mais plutôt sur le contexte au sein duquel ils seront utilisés. Les transferts de technologies cristallisent donc en un lieu un ensemble de paramètres idéels et matériels qui incitent à considérer les « objets dans l´action ». Le transfert de technologie dans l'industrie pétrolière est un phénomène courant. On peut prendre comme exemple, les accidents touchant la partie avant droite du camion-citerne du transport du combustible liquide, d'origine asiatique. Un camion-citerne étant composé d’une cabine / poste de conduite et d’une remorque comprenant la citerne. Au début, ces accidents étaient attribués aux imprudences du conducteur. Or, ce que nous avons montré est qu’il existe une prévision inadéquate quant à la maintenance de ces camions, SELF 2013 Enfin, parmi l’ensemble des cas étudiés, on peut classer les anomalies du transfert en trois catégories : transfert incomplet, imparfait et inadéquat et cela pour les principaux domaines du transfert d´organisation. Les régulations La stratégie mise en place a été construite et négociée dans certains espaces de l´entreprise et correspondait à des « modes de régulation ». Le premier mode de régulation – MACRO - concernait le chef de l'unité, où l’étude a été menée. Il portait sur la définition des objectifs de l´intervention. Les échanges pouvaient se produire sur une base formelle et informelle. Par ailleurs, l´intervention était évaluée au fur et à mesure de l´étude, et nous avons été interpellés à plusieurs reprises sur les actions en cours ou planifiés, compte tenu de notre statut d’ergonome interne. Le deuxième mode de régulation – MESO – a été mise en place pour nous faire comprendre dans le contexte de la production de pétrole. Il s’agissait d’une approche parallèle qui permettait de démontrer la probabilité de risque, de décrire 19 l´activité et de rendre compte de la mise en œuvre des stratégies pour les opérateurs en même temps, et finalement d’aboutir à la recherche directe de solutions. Tout cela dans le contexte de la République Bolivarienne, marqué par quelques règles liées à l'ergonomie, dont la plupart sont des références scientifiques et normatives nord américaines, et plus récemment européennes. Le troisième mode de régulation – MICRO - se situe au niveau d´un accord entre l´organisation offrant le service et le bénéficiaire, assurant la participation de toutes les parties prenantes, et en même temps, nous nous sommes impliqués dans des actions et des interventions. BIBLIOGRAPHIE Colombini D., Occhipinti E., Grieco A., (2002), "Risk Assessment and Management of Repetitive Movements and exertions of upper limbs". Elsevier. 111-117. Daniellou, F., (1994), L´ergonome est-il un praticien? Actes des journées de Bordeaux sur la partique de l´ergonomie Mars 1994. 9-16. Davezies, P., (2006), Les coûts de l´intensification du travail. Revue Santé et Travail 57. Falzon, P., (1994), Les activités métafonctionnelles et leur assistance. Le Travail Humain. 57, 1, 1-23. Hignetts, S y Mcatamney, L., (2000), REBA: Rapid Entire Body Assessment. Applied Ergonomics, 31, 201-205. Lamonde, F., (2000), L´intervention ergonomique. Un regard sur la pratique professionnelle. Toulouse : Octares. Manero Alfert R., Soto L., Rodríguez T., (2005), Un modelo simple para la evaluación integral del riesgo a lesiones músculo-esqueléticas (MODSI). MAPFRE MEDICINA, 2005; vol. 16, n.º 2. 12-20 Mcatamney, L. Y Corlett, E. 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Nous avons joué avec ses rapports de plusieurs manières : En mobilisant différents acteurs. En créant des lieux d’échange où les acteurs peuvent construire des compromis qui se traduisent par des choix et des décisions C’est ainsi que, dans la plupart des dispositifs techniques transférés, l´absence de transfert de l´organisation de la maintenance se traduit par une dégradation assez rapide du dispositif initial. Une telle dégradation est parfois attribuée à la médiocrité du personnel. Nous avons démontré que ceci n’est pas tout à fait exact, sans compter que ce type de conclusion ne permet pas de réfléchir à des propositions d’amélioration des conditions du travail. En revanche, l´analyse ergonomique des activités de maintenance dans l´industrie pétrolière s’avère indispensable et conduit à des recommandations très précises pour compléter et rendre plus efficace le transfert de technologie. SELF 2013 20 Archivé électroniquement et disponible en ligne sur : 48ème congrès international. Société d’Ergonomie de Langue Française. www.ergonomie-self.org www.informaworld.com/ergo-abs Texte original*. De l’importance du contexte. Un regard d’anthropotechnologue sur la pratique de l’ergonomie Carole Baudin U.R. EDANA, Haute Ecole Arc-Ingénierie, www.edana.ch, [email protected] Résumé. Cette contribution propose un exercice de style : porter un regard d’anthropotechnologue sur certaines pratiques ergonomiques. L’expérience de l’auteure en est la trame. Le retour sur certaines expériences au Chili,) visera à montrer dans un premier temps, différentes manières de faire et de penser l’ergonomie, dans un deuxième temps, à interroger les modalités de convocation des dimensions contextuelles à l’œuvre dans les pratiques ergonomiques. Cet exercice visera aussi à générer une discussion sur l’évolution et le positionnement du programme anthropotechnologique face à ces diverses expressions de l’ergonomie. Mots-clés : Histoire et future de l’ergonomie. About the importance of context. The point of view of an anthropotechnologist on the practice of ergonomics Abstract. This paper proposes a styling exercise: to shed light on ergonomics practices from a point of view of an anthropotechnologist. The experience of the author is in the frame. The return on some experiences in Chile aims to show, in fist time, different ways of doing and thinking ergonomics and to examine, in a second time, the procedures of convocation of the contextual dimensions at work in the ergonomic practices. This exercise will also generate a discussion on the evolution and positioning of the anthropotechnological program facing these diverse expressions of ergonomics. Key words: History and future of ergonomics *Ce texte original a été produit dans le cadre du congrès de la Société d’Ergonomie de Langue Française qui s’est tenu à Paris du 28 au 30 août 2013. Il est permis d’en faire une copie papier ou digitale pour un usage pédagogique ou universitaire, en citant la source exacte du document, qui est la suivante : Baudin, C. (2013). De l’importance du contexte. Un regard anthropotechnologique sur la pratique de l’ergonomie. Aucun usage commercial ne peut en être fait sans l’accord des éditeurs ou archiveurs électroniques. Permission to make digital or hard copies of all or part of this work for personal or classroom use is granted without fee provided that copies are not made or distributed for profit or commercial advantage and that copies bear this notice and the full citation on the first page. SELF 2013 21 théorique et pratique de l’ergonomie est insuffisant pour comprendre et résoudre les problèmes rencontrés dans d’autres pays que la France » (Leal Ferreira, L., 2012 ; traduction personnelle). Au même titre que Wisner rend visible la nécessité d’une anthropotechnologie, d’un nouveau paradigme et d’une nouvelle méthodologie pour traiter les transferts de technologie, le titre de ce congrès montrait que la pratique ergonomique en Amérique du Sud devait aussi donner lieu à une nouvelle forme d’ergonomie. A l’époque cet événement m’était apparu intrigant. Depuis près d’un an que je commençai en effet à côtoyer la communauté ergonomique chilienne, je constatais que Wisner n’avait eu que très peu d’influence au Chili, au même titre que l’ergonomie de langue française, connue grâce aux séminaires internationaux et à la littérature de l’école espagnole (notamment à travers J. Villena et J. Castillo). Quelques années après, je pouvais même dire que mes pairs chiliens ne cachaient pas leur volonté de se démarquer d’une ergonomie française. Mon statut de française au sein de la société chilienne d’ergonomie (SOCHERGO) pendant trois ans m’a effectivement donné l’occasion de vivre des tensions parfois fortes que pouvaient générer les références à cette ergonomie dans certains contextes de discussions. J’entendais fréquemment que les enjeux qui se jouaient pour l’ergonomie au Chili étaient bien trop éloignés des préoccupations des « primermundialistas » (ceux du premier monde) que je représentais. Dans ces discours, les « fantômes » de la colonisation ont aussi ressurgi quelques fois … Les arguments utilisés se référaient à des enjeux socioéconomiques, politiques et identitaires. Le « transfert » d’une certaine forme d’ergonomie était au cœur d’enjeux plus globaux que le simple transfert de connaissances et de pratiques. C’était un enjeu de positionnement national et régional parmi les puissances mondiales. Un enjeu historique, et identitaire. INTRODUCTION « Porter un regard d’anthropotechnologue sur les pratiques ergonomiques ». Cette entrée en matière suppose, en première lecture que l’ergonomie soit considérée comme une technologie transférée. Le terme de technologie pourrait alors être discuté d’un point de vue épistémologique, ce qui n’est pas le propos ici, d’autant plus que la communauté d’ergonomes a tranché : entre art, science ou technologie, l’ergonomie est une discipline scientifique et une profession (IEA, 2000). D’un point de vue anthropologique, ce n’est pas le statut, voire l’ontologie de l’ergonomie, que nous considérons, mais plutôt les pratiques situées et incarnées qui font émerger ce statut. Dans la lignée d’une science studies (Garfinkel, 1967, Latour & Woolgar, 1988), le regard porté considère la science en train de se faire, plus que la science elle-même. Il ne s’agira donc pas ici de discourir sur ce qui fait l’institutionnalisation de l’ergonomie, mais plutôt d’étudier comment dans différents contextes les acteurs locaux œuvrent pour une certaine institutionnalisation de l’ergonomie, qu’elle soit considérée comme champ disciplinaire ou comme profession. Ce n’est donc pas sur la dimension technologique (ou pas) de l’ergonomie mais bien sur la dimension du transfert que portera la lecture anthropotechnologique proposée. En effet, l’ergonomie, comme ensemble de connaissances et de pratiques, circule. Mais cette circulation n’est pas sans hybridations (Geslin, 2010). Elle donne vie à différentes formes d’ergonomies, sous-tendues par les contextes et les personnes qui les font vivre. A ce titre, c’est à travers le retour sur certaines expériences vécues lors de mes huit ans passés au Chili que je propose d’initier une réflexion sur les modalités de convocation des dimensions contextuelles à l’œuvre dans les pratiques ergonomiques. Cette lecture n’est pas objective, elle est empreinte de mes expériences dans des contextes contrastés (France, Suisse), que je n’aborderai pas dans ce texte mais qui ont été présents tout au long de mon analyse. Entre Maturana et les Chicago Boys L’ergonomie de langue française n’avait que peu d’échos dans la pratique de l’ergonomie au Chili. Les discours entendus au fil des ans m’ont pourtant montré qu’elle était souvent présente dans la philosophie, dans le regard porté par la majorité des ergonomes chiliens sur leur activité. Au pays de Maturana et Varela1, « révélateurs » de l’autopoïèse, les paradigmes compréhensifs, systémiques et constructivistes propres à une ergonomie francophone (par opposition à une ergonomie anglosaxone) soustendaient et sous-tendent toujours le système LES PRATIQUES ERGONOMIQUES : UN ENJEU IDENTITAIRE Novembre 2004, Santiago, Chili. J’assiste au premier congrès ULAERGO (Union des différentes sociétés ergonomiques d’Amérique du Sud) intitulé « Ergonomía con identidad latinoamericana ». Lors de ce congrès, un hommage spécial sera rendu à A. Wisner, décédé la même année. Avec la distance des années, cet évènement revêt un caractère maintenant symbolique. La quête d’identité annoncée dans le titre du congrès, la réunion même de ces acteurs de différents pays, dévoilaient la nécessité de définir une forme d’ergonomie spécifique. Nécessité, déjà pressentie par Wisner et traduite dans son programme anthropotechnologique : « l’arsenal SELF 2013 1 Humberto Maturana, biologiste et philosophe chilien ; Francisco Varela, neurologue, disciple et collaborateur de Maturana, ont élaboré ensemble la théorie de l’autopoïèse, sur les processus biologiques de la connaissance, dans la lignée des travaux constructivistes. Ce travail commun s’est cristallisé dans le livre « l’arbre de la connaissance, racines biologiques de la connaissance humaine » en 1994. 22 d’explication en œuvre dans l’interprétation des réalités qu’ils étudient. Pourtant il m’a toujours semblé étrange que, par exemple, bon nombre de mes collègues puissent prôner une ergonomie visant « l’adaptation du travail à l’homme », et passer une grande partie de leurs efforts à développer des formations sur les « bonnes postures » de travail, ou encore discourir sur l’être humain comme une entité bio-psycho-social, et utiliser un RULA pour évaluer un poste de travail. Cet antagonisme apparent entre les manières de penser l’ergonomie et les manières de la faire, ou de la pratiquer est justement l’élément qui fait la spécificité des pratiques de l’ergonomie au Chili (et certainement dans d’autres pays d’Amérique du Sud). Il n’y a pas là de confrontation entre deux systèmes de représentation (l’un : holiste, compréhensif, constructiviste et l’autre : universaliste, interprétatif, positiviste) mais un système cohérent. Dans les pratiques, la haute bureaucratisation des procédures (comme stratégie pour réduire la corruption), les paradigmes néo-libéraux imposés par la vague des Chicago boys à partir de 732, prônant la privatisation des services et la rentabilité à tout prix, restent un lourd héritage dans les rouages économiques et institutionnels. Le Chili considéré dans les instances mondiales comme étant un « pays en voie de développement », se distingue par une histoire politique qui a marqué les systèmes d’organisation et reste incrustée dans les représentations collectives du travail. Selon, Moulian (1997), sociologue chilien, depuis les Chicago boys, l’organisation sociale, en particulier syndicale, laisse place aux « citoyens credit-card », fruits du « miracle néo-libéral chilien», installant dans les entreprises et les institutions un individualisme « non conflictuel » à la recherche permanente d’ascension sociale, selon les principes de la « méritocratie », dans le but d’être dans la capacité de rembourser ses dettes et de continuer à s’endetter (López Ramírez, M.E, 1998). différents cadres ou univers dans lesquelles elles se sont ancrées. Selon ces cadres, les ergonomes chiliens ont construit un ensemble de pratiques cohérentes, leur permettant d’accéder à des formes de légitimité, et un mode d’existence (Latour, 2012). LES REGIMES DE LEGITIMITE Bien qu’elle soit née dans les universités, notamment par l’œuvre de psychologues formés en France ou en Belgique et de médecins formés en Europe, les auteurs chiliens (Figueroa, 2002) reconnaissent que l’ergonomie au Chili s’est réellement développée à partir de la promulgation de lois touchant le système de sécurité sociale. De fait, le premier ancrage recherché par les ergonomes chiliens dans l’univers académique n’a pas permis à la communauté ergonomique de se développer solidement. Il faut noter à ce titre que le laboratoire d’ergonomie initié par les psychologues n’a pas pu résister à la vague objectiviste et positiviste qui s’est abattue sur l’Education chilienne (Rivera, H. in Figueroa, 2002), puisque par ailleurs, il fallait former un « capital humain » (CNCI, 2005) et une « matière grise » à la hauteur des ambitions de compétitivité économique que se donnait le Chili. C’est donc surtout dans un cadre législatif que l’intervention ergonomique au Chili a reçu, dans un premier temps, sa légitimité. Or ce cadre est extrêmement circonscrit puisqu’il s’agit de deux textes de lois qui ont permis de mettre l’ergonomie sur la scène législative : le décret sur les conditions sanitaires et environnementales au travail (DL 594, 1999) et surtout sur la loi sur la pénibilité au travail (Loi 19.404, 1995) qui a donné lieu à une entité politique nommé la Commission Ergonomique Nationale. Dans ce cadre, l’ergonomie au Chili s’est rendue indispensable à l’organisation sociale du travail et son intervention s’est faite urgente. Elle est devenue la « technique » (Leal Ferreira, 2012) incontournable pour qualifier la pénibilité des postes de travail et ainsi calculer les cotisations sociales des travailleurs. Elle s’est faite « fiscalisante » pour les entreprises ne satisfaisant pas les critères de bases relatifs aus conditions de travail. Elle devenait alors centrale dans le débat politique et social, sans jamais pour autant être le sujet même du débat. Ce cadre de légitimité est certainement une des raisons pour lesquelles, quelques uns de mes collègues de ce symposium (et moi, la première) ont tenté en vain de démontrer l’antinomie qui se cache derrière le terme sans cesse utilisé de « risques ergonomiques »4. En effet, la qualification du « risque ergonomique » est ce qui justifie l’intervention ergonomique au Chili, comme dans la majorité des pays d’Amérique du Sud. Dans ce contexte historique et paradigmatique, entre Maturana et les Chicago Boys, une forme d’ergonomie s’est construite à la croisée de deux logiques3, assumant ce double héritage. Une forme d’ergonomie comme un compromis, résultat d’une négociation entre acteurs de différents horizons qui, à force de traductions (Akrich, Callon, Latour, 2006) pour justifier leur intervention ont fait émerger des pratiques spécifiques qui répondent aux « impératifs de justification » (Boltanski, Thévenot, 1991) des 2 Le surnom de « Chicago Boys » désigne un groupe d'économistes chiliens des années 1970, formés à l'Université de Chicago et influencés par Milton Friedman et Arnold Harberger. Ils travaillèrent pour la dictature militaire chilienne dirigée par le général Augusto Pinochet, et jouèrent un rôle majeur dans ce qui est parfois appelé le « miracle chilien », selon une formule de Milton Friedman (Wikipédia). 3 Logique employé ici dans sons sens originel du logos, signifiant à la fois raison, langage, et raisonnement. SELF 2013 4 23 Les collègues de la liste Ergo se reconnaitront. L’évaluation clinique qui y était décrite, puis sa synthèse par dimension ne semblait pas pertinente car la preuve par le chiffre n’y était pas. Pas d’échelle de risque, pas de données robustes (c'est-à-dire quantitatives) qui permettaient de qualifier les postes de travail. La granulométrie de ce compte-rendu, la multidisciplinarité des éléments abordés ne se justifiait pas dans le cadre législatif et économique, dans lesquels nous nous inscrivions. C’est une « ergonomie de masse » qu’il fallait faire. Une ergonomie permettant que des centaines de préventeurs formés rapidement puissent diagnostiquer en un jour, un, voire plusieurs postes de travail. Dans ces conditions, nous avons proposé une intervention (et non une méthode) basée sur une formation de deux jours pour les préventeurs et experts de terrain qui étaient amenés à analyser les postes de travail appuyée par une « bibliothèque d’instruments de référence » partant du OREGE, LEST, jusqu’aux fameux RULA, NIOSH, OCRA et autres7. La formation visait à véhiculer un regard systématique et systémique sur le travail et l’activité humaine, la bibliothèque étant présentée comme une « boîte à outils ». Chaque outil ayant été l’objet de discussions sur leurs limites et leurs apports. Nous avions avec mes collaborateurs opérés un compromis nous permettant de répondre au régime de légitimité en action, sans pour autant nous corrompre dans nos propres systèmes de valeur. Face à la demande d’une évaluation des conditions objectives des postes de travail, nous avons préféré le transfert et partage de connaissances sur les outils d’évaluation du travail. Cadre législatif Ce cadre législatif a conduit rapidement les ergonomes à se confronter au manque d’informations et de données sur les systèmes de travail et sur les travailleurs. L’ergonomie chilienne s’est ainsi construite dans l’urgence de son intervention. En termes de travaux pénibles, ce pays hautement industriel et agricole, devait en effet pallier à des conditions de travail critiques et extrêmement contrastées (de part la grande diversité géomorphologique, climatique et industrielle du pays). Dans les milieux académiques, les études ergonomiques qui ont alors été privilégiées5 sont celles qui permettaient d’une part d’obtenir des données statistiques (par exemple, les campagnes de mesures anthropométriques) d’autre part des données de références (saluons ici le travail du Laboratoire d’ergonomie de Concepción dirigé par Elias Apúd et ses travaux sur les travailleurs forestiers et mineurs en altitude, qui sont encore des références mondiales en la matière). Les études ergonomiques, dans ce cadre ont donné lieu à des objets « rationnels », basé sur une légitimité scientifique, sur une objectivité donnée par l’évaluation instrumentale et expérimentale. Dans les institutions d’assurance des entreprises6 où l’on retrouvait la plupart des praticiens de l’ergonomie, ce cadre législatif a généré quelques rares travaux sur les aspects méthodologiques. La plupart d’entre eux visant à générer des méthodes ou techniques d’évaluation des postes de travail. (par exemple: « Biomecánica aplicada al análisis ergonómico de puestos de trabajo », Figueroa M.E., 2002). De nouveau, les objets proposés étaient “objectivisant”, les concepts et principes méthodologiques étant souvent issus des modèles d’une Human Factors (Wisner, 1997b), sans, pour autant s’y limiter. Alors que je travaillai au sein du département de prévention de l’institut national de Sécurité Sociale, on m’a donné la responsabilité de mettre en place une méthodologie d’évaluation ergonomique des postes de travail. L’institution étant la seule entité publique assurant les fonctionnaires et les travailleurs indépendants, presque tous les secteurs professionnels et toutes les régions étaient concernés. Mon désarroi fut grand face à une telle tâche. Un premier projetpilote nous a permis, avec des collègues ingénieurs en prévention (qui étaient par ailleurs mes étudiants pour certains) d’élaborer une grille d’analyse permettant de disséquer l’activité d’un travailleur. Nous étions fiers de présenter à nos responsables cette grille d’analyse fine qui allait même jusqu’à l’évaluation des relations proxémiques des activités. Evidemment, l’accueil de cet outil fut un échec. L’approche fut discutée, non pas pour son analyse mais pour son résultat. Cadre politique et normatif Ce compromis entre le discours et la pratique dans l’intervention ergonomique, je l’ai retrouvé quelques années plus tard, lorsqu’on m’invita, en tant que représentante d’un point de vue social et organisationnel à participer à un groupe de travail visant à mettre en place un texte de loi et un instrument d’évaluation des risques d’altérations musculo-squelettiques au travail8. Autour de la table, des représentants du ministère de la santé, initiateurs de ce travail, puis des kinésiologues, des médecins, des ingénieurs en prévention, des inspecteurs du travail, des représentants de la société d’ergonomie chilienne. Une majorité de ces professionnels avaient été formés à une ergonomie de type « human factors » au sein de 7 Ces sigles désignent des outils d’évaluations de poste de travail issus de différents pays. Certains étudient le travail dans une approche globale, par exemple le LEST (issu des usines Renault), d’autres comme le NIOSH, OCRA sont plus spécifiques à l’évaluation de travaux de port de charge ou répétitifs. 8 Ce groupe de travail, initié en 2007 a beaucoup évolué au fil des ans. Il a finalement donné lieu au Décret 4- 2011 qui modifie le décret 594 et à la norme technique d’identification et évaluation des facteurs de risques d’altérations musculo-squelettiques liées au travail (Norma técnica de identificación y evaluación de factores de riesgo de trastornos musculoesqueléticos relacionados al trabajo 5 C’est à dire celles qui ont obtenu un financement du Ministère de l’éducation. 6 Institutions qui administrent et veillent à l’application du DL 594 dans les entreprises. SELF 2013 (TME RT)) 24 l’UPC (Universitat Polytecnica de Catalunya). La démarche adoptée fut de commencer par définir les termes avec lesquels nous allions travailler et mettre en œuvre cette norme. Dès le début de nos discussions, c’est une conception instrumentale de l’activité qui s’est établie, seul registre accepté dans le cadre législatif et prescriptif. Puis, les références aux normes internationales, à celles d’autres pays ont été abordées. Mais c’est une référence plus proche dans le temps et l’espace, la loi et le guide technique relatif à la manutention de charges (loi 20.001 de 2005) qui fut un repère pour la forme de travail que nous allions aborder. Trouver des consensus sur les mots, sur leurs définitions, sur la hiérarchie des dimensions qui participaient au développement de risques de TMS au travail ne fut pas aisé et j’y jouai souvent l’élément perturbateur. Le recours à la littérature d’abord espagnole puis très rapidement anglo-saxonne (encouragée par les politiques éducatives) a permis à mes collègues d’argumenter leur choix, selon des preuves scientifiques collectivement admises par tous. Nous étions pourtant quelques uns à vouloir étendre le point de vue porté sur le travail et les activités au travail. De nouveau, le compromis s’opère dans la méthode. Nous décidons alors de travailler sur la base d’observation de cas. Chacun devait donc rapporter des vidéos de certaines activités au travail pour que nous puissions collectivement réfléchir sur les dimensions à prendre en compte et leur impact respectif. Pourtant cet outil n’a pas permis de construire un registre commun. Loin s’en faut. Il a même exacerbé les divergences entre deux écoles de pensée, en générant des débats sur la focale (activité, ou poste de travail), sur la temporalité des séquences (une tâche, séquences de tâches), sur le type d’informations annexes nécessaires, etc.. La preuve par l’image n’a pas ouvert l’espace de négociation espéré, car l’image menait les discussions sur les aspects invisibles du travail, les dimensions « nonobservables» (Dejours, 2003), qu’il était exclu de discuter dans ce cadre car jugées comme non objectives. L’outil qui nous a permis de rétablir un espace de construction et de négocier autour de certaines dimensions invisibles du travail a été une matrice excel. La même que celle qui avait servi pour l’élaboration du guide technique de la loi 20.001. En colonne : les facteurs de risques, en ligne : les pondérations des risques. Cet instrument permettant la traduction quantitative des risques au travail, a structuré nos discussions et généré un espace de consensus, y compris sur les aspects mesurables. Chaque énonciation de « facteur de risque » chaque pondération était l’occasion d’argumentations ardues, souvent accompagnées d’anecdotes issues de nos terrains d’intervention respectifs. C’était d’ailleurs souvent à l’anecdote la plus représentative et surprenante qui remportait souvent la donne. Pourtant, SELF 2013 dans cet espace de consensus, certaines discussions ne semblaient pas avoir leur place. Par exemple, le débat que j’ai voulu initié sur les formes de rémunération comme facteur de risque, et particulièrement l’indexation des salaires à la productivité (très répandu au Chili). Nous touchions là à des formes d’organisations sociales et économiques établies depuis des décennies qui ne devaient pas être évoquées dans ce cadre législatif. L’intervention ergonomique s’arrêtait aux portes de ce cadre historique, politique et symbolique (cette forme de rémunération ayant participé au « miracle chilien »). Cadre académique et industriel Dans le cadre académique, les nombreux cours donnés sur l’intervention ergonomique aux ingénieurs ou aux professionnels de la santé, la plupart du temps en formation continue, concluaient toujours avec les mêmes commentaires. « Nous ici, on n’a pas les moyens d’intervenir avec beaucoup. Il faut bricoler pour que les postes de travail soient le plus acceptables possibles ». Le « juste nécessaire » était de rigueur. Leur interprétation souvent automatique entre le travail et le poste de travail, permettant de déshumaniser les réalités abordées, semblait leur permettre que ce « juste nécessaire » soit acceptable pour eux. La correction leur semblait déjà trop importante pour commencer à penser à la conception. La problématisation des activités n’était pas pertinente dans cette dynamique d’urgence. Il était plus aisé pour eux de réaliser un diagnostique qui permettait une correction facile, rapide et peu chère. Beaucoup d’experts se sont ainsi fait spécialistes des supports de souris ou appui-coudes, des types d’annuaires à placer sous les écrans, ou encore des pauses gymnastiques dans les entreprises (pratiques extrêmement courantes dans les institutions et entreprises). Le régime de légitimité auquel devait se soumettre l’ergonomie semblait impliquer que son intervention ne puisse être considérée autrement qu’à travers le diagnostique, l’évaluation de risques, éventuellement les recommandations mais certainement pas la mise en relief de problématiques qui devaient avoir des solutions spécifiques. Pourtant comme le souligne Falzon, l’ergonomie comme activité de diagnostique, n’est pas évidente, notamment parce qu’elle suppose « de faire appel à des catégories et des connaissances préétablies » (Falzon, 2004), « permettant d’identifier à un problème donné, une solution donnée ». Une des raisons principales à ce système de représentation des étudiants réside dans le fait que les pratiques ergonomiques n’avaient pas reçu de légitimité dans le cadre industriel. Les acteurs de l’industrie, quoique soumis aux lois et normes du travail les obligeant à ce que leurs travailleurs aient des conditions de travail acceptables, n’étaient pas convaincus par ailleurs de l’apport des pratiques ergonomiques au sein de leur entreprise. « Quand vous me démontrerez que votre intervention me 25 permet d’augmenter mon chiffre d’affaire » était souvent le premier argument avancé. Or, comme le remarque Wisner (1997c), souvent l’ergonomie n’est présentée que d’un point de vue hygiéniste, une ergonomie centrée sur le critère de santé physique et mentale des travailleurs. Au Chili, comme dans beaucoup de pays, cette focale hygiéniste, ne permettait pas aux ergonomes d’aller au-delà d’interventions réalisées dans le cadre de la loi. Dans le cadre industriel, le régime de légitimité se base principalement sur la performance en termes de coût/délai. Dans ce cadre, la focale hygiéniste a certes pu démontrer son utilité en argumentant sur le taux d’absentéisme que pouvait générer de mauvaises conditions de travail, mais cela n’a pas suffi pour convaincre du bien fondé d’une intervention ergonomique en amont, sur les process de travail ou sur les produits. En assimilant le travail au temps de travail, les ergonomes apportaient des preuves acceptables pour les entreprises mais qui n’ont pas permis d’aller au-delà d’interventions très ciblées, consistant le plus souvent en l’orientation d’achat de matériel, ou d’adaptation de concepts aux données anthropométriques locales (quand elles existaient). Dans de rares exceptions, notamment dans l’industrie minière, des interventions participatives un peu plus tournées vers l’amélioration de postes, voire la conception commençaient à voir le jour. Selon Wisner (1997b), le niveau d’industrialisation est un déterminant du type d’ergonomie qui s’applique dans un pays. Pourtant, au Chili, certaines industries présentent un niveau de technicité accrue (industries minières, industries agro-alimentaires entre autres) alors que d’autres restent précaires (notamment les PME). Le peu d’ancrage au sein des industries me semblent plutôt liés dans ce cas à la valeur du travail qui sous-tend la pratique ergonomique. Dans cette tension permanente que doit gérer l’ergonome, dans ce compromis qu’il doit opérer entre l’entreprise, l’institution et les travailleurs (Hubault, 1997), où la valeur du travail est au cœur du débat, les marges d’intervention sont minces. Selon Hubault, il n’y en a que deux : réduire les décalages entre les représentations des acteurs industriels et institutionnels et les travailleurs ; ou au contraire valoriser ce décalage, en assumant que l’activité réelle des travailleurs ne sera jamais ajustée à l’activité prescrite. Cette seconde voie suppose que le sens accordé au travail soit partagé par les acteurs tant du cadre industriel et institutionnel que par les travailleurs. Au Chili, le régime de légitimité des pratiques ergonomiques a favorisé la première voie. Le contexte historique et politique a participé à la diffusion d’une représentation opérative du travail au sein même des travailleurs. Normer, régulariser, prescrire le travail pour qu’il soit plus efficace, plus rentable, et provoque moins d’absentéisme ou d’accident est le consensus auquel était arrivé les ergonomes chiliens pour exister. La voie de la SELF 2013 valorisation du travail supposerait de rompre avec les formes d’organisation sociales, politiques et économiques solidement établies. MODALITES DE CONVOCATION DES CONTEXTES : CADRES ET REGIMES DE LEGITIMITE Dans son analyse de l’ergonomie dans les pays en développement industriel, Wisner (1997b) met en avant des pratiques de l’ergonomie, qui dans les grandes lignes sont proches de celles que je viens de décrire. Dans cette analyse, il identifie le mode de développement, le niveau d’industrialisation des pays comme clé de lecture de la construction de ces pratiques ergonomiques. En mettant en avant les différents cadres dans lesquels s’insèrent les pratiques ergonomiques, et en racontant quelques expériences issues de ces différents cadres, j’ai voulu aller un peu plus loin dans cette analyse en montrant comment ces cadres, en convoquant certains régimes de légitimité, influencent les pratiques ergonomiques. En regardant aussi les objets produits ou utilisés par les ergonomes, en posant un regard symétrique sur les humains et les non-humains (Latour, 1991), j’ai voulu montré que ces pratiques se construisaient dans un espace de négociation permanente, produisant de nouvelles formes d’intervention questionnant les principes, et la posture de l’ergonomie au sein de la société. Cette analyse des pratiques ergonomiques est évidemment extrêmement restreinte, dans ces données, et dans le temps étudié. Elle est aussi superficielle, elle devrait donner lieu à un travail en soi plus systématique d’analyse des situations. Je présente ici les rouages d’une dynamique de construction que j’ai pu voir à l’œuvre pendant un temps, et qui ne cesse d’évoluer à mesure qu’évoluent les cadres face auxquels il faut se rendre légitime pour exister. Je sais que les formes d’ergonomie qui se donnent actuellement au Chili ont déjà une forme un peu différente de celles que je viens de relater. De nouveaux acteurs interviennent, formés à d’autres écoles, et avec des formations plus mixtes, donnant un élan différent, permettant de répondre aux impératifs de justification autrement. CONCLUSION Les pratiques ergonomiques s’ancrent dans un territoire, dans une histoire, dans une mémoire (Geslin, 2002). Elle s’ancre dans un univers de représentations, dans des pratiques, dans des lieux. Elle se construit selon l’urgence du moment, les valeurs actuelles et les réajustements qu’elle doit opérer pour se rendre légitime. Cette construction se base sur des personnes, des outils, des méthodes, des interventions pour répondre aux impératifs de justification que lui impose chaque cadre dans lequel elle s’insère. Ces régimes de légitimités auxquels elles sont confrontées permettent aux ergonomes de négocier entre eux et de stabiliser certaines pratiques 26 permettant de construire une forme d’ergonomie spécifique. Dans cette dynamique, la notion de « preuve » est centrale. Pour émerger et s’établir, les pratiques ergonomiques doivent pouvoir apporter la preuve par le chiffre, la preuve objective de leur légitimité. Cela se fait souvent au détriment du sens, de la valeur accordée au travail, pourtant central dans la pratique ergonomique. Or « nous ne pouvons pas être positivistes sur le sens » (Wisner, 1997a). Dans cette réflexion là, c’est toute la problématique de l’anthropotechnologie qu’il présente, car, pour lui, ce champ disciplinaire se distingue justement de l’ergonomie pour y apporter le « sens ». L’anthropotechnologie, en introduisant les contextes historique, géographique, politique, social et culturel comme déterminant des activités au travail, positionne la valeur que l’on attribue au travail, et à l’activité au cœur de son programme. Pourtant, faute de preuve, ce thème-là est difficilement abordable dans les cadres rencontrés par les ergonomes de pays en voie de développement industriel. Doit-on en conclure que l’anthropotechnologie, telle que pensée par Wisner, ne peut justement pas s’appliquer dans les lieux qui fondent sa raison d’être ? Certains signes montrent que l’anthropotechnologie n’est pour le moment légitime dans ces pays que comme « prolongation de l’ergonomie » ou « tendance de l’ergonomie » (Vidal in Leal Ferreira, 2012). Les régimes de légitimité que connait l’anthropotechnologie en Europe lui permet de s’ancrer progressivement dans les processus de conception industrielle (Geslin, 2012), au sein même des projets de développement. Elle y acquière progressivement ses lettres de noblesse. Mais, n’estelle pas, dans cette forme, une exclusivité des pays hautement industrialisés? Geslin P. (2002). Les formes sociales d’appropriations des objets techniques, ou le paradigme anthropotechnologique. ethnographiques.org, Numéro 1 - avril 2002 [en ligne]. http://www.ethnographiques.org/2002/Geslin.html (consulté le [25 février 2013]). Geslin, P. (2010). 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Chaque intervention est un cas particulier et plusieurs contributions de l’ergonomie ou de la clinique de l’activité en ont donné les fondements théoriques et les explications. Il est donc rare qu’une méthode développée dans une entreprise puisse être transférée (appliquée) telle qu’elle l’est ailleurs. Le transfert de modèles théorico-méthodologiques peut-il cependant être envisagé ? Dans quelle mesure la démarche peut-elle tenir compte d’un environnement particulier de travail, de l’organisation spécifique d’une entreprise et de la culture d’un pays concernant la perception des risques, tout en sauvegardant des orientations et des principes considérés primordiaux ? Construire un lieu commun entre la recherche et l’entreprise devrait permettre de donner une pérennité locale à ce type de débats. Mots-clés : Anthropotechnologie, ergonomie, pays émergent, modèles d’intervention. Anthropotechnology and transfer of tools or models of intervention or research in ergonomics. Abstract. Several experiences in Tunisian companies show that the tool or method in ergonomics intervention must ne build in loco. Each operation is a special case and many contributions of ergonomics or clinical activity gave the theoretical foundations and explanations. It's rare that a method developed in a company can be transferred (applied) as it is elsewhere. However, the transfer of theoretical and methodological models can ne envisaged? To what extent the approach can she consider a particular work environment, the specific organization of the company and the culture of a country on risk perception, while safeguarding guidelines and principles considered essential? Build a common place between the company and the research is expected to give a local sustainability in this type of debate. Key words: anthropotechnology, ergonomics, DCIs, tools, models, intervention, research. *Ce texte original a été produit dans le cadre du congrès de la Société d’Ergonomie de Langue Française qui s’est tenu à Paris du 28 au 30 août 2013. Il est permis d’en faire une copie papier ou digitale pour un usage pédagogique ou universitaire, en citant la source exacte du document, qui est la suivante : Mhamdi, A. (2013). Anthropotechnologie et transfert d’outils ou modèles d’intervention ou de recherche en ergonomie. Aucun usage commercial ne peut en être fait sans l’accord des éditeurs ou archiveurs électroniques. Permission to make digital or hard copies of all or part of this work for personal or classroom use is granted without fee provided that copies are not made or distributed for profit or commercial advantage and that copies bear this notice and the full citation on the first page. SELF 2013 28 d'une prise de conscience et d'un partage d’expériences individuelles sur le travail. Elle est aussi une action de mise à jour des connaissances acquises dans l'action par la mobilisation de différentes représentations. Un des attendus de cette approche est que ces réunions développeront des pratiques sécuritaires chez les agents (Mhamdi, 1998a). L’intérêt pratique de cette méthode était de mettre en évidence la variété des points de vue, des significations et des logiques convoquées. La confrontation de ces dernières a comme but le partage d’expérience et la construction de référentiels communs, ou « construction d’environnements cognitifs partagés ». INTRODUCTION Plusieurs expériences dans les entreprises tunisiennes montrent que l’outil ou la méthode d’intervention ergonomique se construit in loco. Chaque intervention est un cas particulier et plusieurs contributions de l’ergonomie ou de la clinique de l’activité en ont déjà donné les fondements théoriques et les explications. On sait ainsi qu’il est rare qu’une méthode développée dans une entreprise puisse être transférée (appliquée) ailleurs. La problématique prend cependant une autre configuration lorsque le « transfert » est opéré dans le contexte d’un pays à « ergonomie émergente ». A travers un exemple concret, nous allons dresser un premier bilan des questions en jeu. Dans un premier temps, nous présenterons une méthodologie de recherche-action telle que nous l’avons mise en œuvre en France et que nous avons voulu reprendre postérieurement en Tunisie. Ensuite, nous présenterons nos questionnements par rapport au transfert de modèles théoricométhodologiques, analysant dans quelle mesure et comment des démarches peuvent parvenir à tenir compte des environnements particuliers de travail. Mode opératoire des ARCAV Le principe des ARCAV consistait à filmer le groupe d’agents qui visionnaient le film du chantier-école réalisé auparavant. Ont assisté aux ARCAV les agents (monteurs, chefs ouvriers et agents « Petites Interventions ») et leur hiérarchie de proximité (contremaîtres, contremaîtres principaux, chefs d’agence, adjoints, et un fonctionnel de la prévention sécurité : l’ingénieur sécurité). Leur nombre varie d’une ARCAV à une autre. L’enregistrement vidéo des ARCAV était assuré par l’ergonome qui n’intervenait que pour demander des éclaircissements. Soulignons que les opérateurs de base, confrontés aux situations de travail réelles, héritent en fait de la totalité des dysfonctionnements et des aléas qui ont pu se greffer sur le processus. Sur le terrain, ils en viennent à élaborer des pratiques de travail, le plus souvent individuelles, parfois collectives, qui méritent d’être portées à la connaissance du collectif. C’est en partie le but visé par cette recherche que de susciter les réactions et les débats des opérateurs : cela constitue une phase préalable indispensable à la mise en place d’actions concrètes puisque, de notre point de vue, les activités réflexives et délibératives sur le travail et par le travail permettent d’élaborer de nouvelles « règles » sécuritaires du groupe pour lui-même. Ainsi, les ARCAV consistent à faire exprimer les opérateurs sur leurs pratiques face à une situation donnée et à faire en sorte qu’ils s’approprient collectivement la « meilleure » pratique, qu’il s’agisse d’une pratique individuelle ou d’une intégration de plusieurs d’entre elles : s’approprier, pour soi, les pratiques des autres quand elles sont efficaces individuellement, identifier les autres pratiques individuelles pour les intégrer dans son propre fonctionnement au sein du collectif. Cela permet aussi l’appropriation de l’expérience des anciens par les plus jeunes et favorise également la création d’une culture de la délibération, du diagnostic et de l’identification des situations à risque, de l’analyse et de la proposition de solutions communes, réalisables et ayant RAPPEL DU CONTEXTE DE LA DEMARCHE Le contexte de la démarche initiale Cette recherche a fait suite à un constat fondé sur une analyse de l’activité (Mhamdi, 1996) : dans les agences (9) d’Electricité de France où les chantiersécoles se pratiquent, il n’y a pas d’accidents d’origine électrique. Ces chantiers-écoles sont mis en place par la hiérarchie locale en accord avec les agents et notre hypothèse était qu’il y a un lien possible entre la pratique des chantiers-écoles et l’absence de ces accidents. C’est pourquoi, sans prétendre expliquer ce lien de manière générale, nous avons cherché des pistes d’explication en analysant et en voulant mieux comprendre ce qui se passait au cours de ces chantiers-écoles. Pour répondre à cet objectif, nous avons analysé le contenu des réunions de discussion collective médiatisées par le film vidéo du chantier-école. Nous avons appelé ces délibérations collectives : « ARCAV ». Du point de vue méthodologique, les ARCAV (acronyme d’Activités de Réflexion Collective Assistée par Vidéo) sont définies comme «des séances de réflexion collective, de délibération et de débat médiatisées par des films de chantierécole dont elles prolongent l'analyse ». Au cours de ces ARCAV, les opérateurs sont en situation d'expliciter leurs activités de travail. Cette explicitation est l'occasion, par son exercice même, 9 Agence : organisation territoriale chargée du contact avec la clientèle, la gestion des petites interventions et du fonctionnement du réseau. SELF 2013 29 l’accord de tous les participants y compris la hiérarchie. Les informations issues de la projection vidéo des films des chantiers-écoles ont servi de situation représentative pour la discussion en ce qui concerne la prévention, la formation et le perfectionnement des connaissances. C’est en cela que réside l’originalité de la méthode et son apport se situe au niveau de : l’analyse compréhensive des discussions, la formalisation et l’interprétation (regard du chercheur), la traçabilité du contenu de la réunion, la transmission possible de ces résultats à d’autres sites. réactions de la part de la communauté des chercheurs et praticiens dans le domaine de la prévention (ergonomie, psychologie du travail, sociologie, etc.). On peut assurément considérer qu’une question essentielle est de mieux saisir dans quelle mesure et de quelle façon les outils conceptualisés et conçus par des chercheurs en viennent à être appropriés par les agents de prévention de première ligne (chargés de sécurité, médecins de travail, psychologues de travail, ergonomes, etc.). Mais une seconde question nous interpelle également, qui est du ressort de l’anthropotechnologie (Wisner, 1984): si le modèle tel qu’il avait été conçu a été difficilement « pris en main » dans l’entreprise tunisienne, c’est probablement aussi en raison des particularités d’un contexte où les préoccupations principales relèvent de conditions de travail fort précaires et, surtout, du maintien de l’emploi. Dans ce cas, comment peut-on transmettre vers les acteurs de la prévention in loco, l’expérience acquise ailleurs par des chercheurs en matière de conception et de modélisation des outils de prévention ? Nous faisons l’hypothèse que le retour réflexif sur les activités de recherche antérieures est une « étape » qui peut permettre de mieux rendre compte des difficultés rencontrées en cours d’élaboration des études et de leur mise en œuvre (Lacomblez, Montreuil & Teiger, 2000). Il peut mettre en exergue certains « points pivot» (De la Garza, 1999) à éviter si on se donne les moyens d’essayer de reprendre ailleurs le projet. Dans l’exemple traité ici, les obstacles qui ont restreint la mise en place des ARCAV en milieu hospitalier tunisien, à ce stade-ci de notre réflexion, peuvent être résumés de la façon suivante : Quels acteurs, ou quelles instances, permettent de donner du temps sur le temps du travail pour filmer les activités réelles de travail, visionner le film ainsi réalisé par une équipe de travail mobilisée pour cette raison, afin de réfléchir collectivement et de débattre pour que des conclusions, des actions ou des recommandations puissent en résulter ? Comment entreprendre ce type de projet au sein d’entreprises où les actions de prévention « ordinaires » ne sont même pas appliquées ? Au-delà du milieu hospitalier, cette question est particulièrement sensible pour les interventions au sein de PME/PMI. Si des actions de prévention les plus élémentaires ne sont que rarement mises en place dans les entreprises tunisiennes, comment « transférer » une méthode comme celle des ARCAV, couteuse en termes financiers et en temps de travail? Ce type de question se pose sans doute dans d’autres pays à « ergonomie émergente ». Ajoutons que l’entreprise française (EDF) s’est appropriée les ARCAV en les adaptant. La société a en effet engagé un cinéaste professionnel qui a produit 4 vidéos sur les conditions réelles de travail. Ces vidéos sont programmées dans la formation des agents et servent de chantiers-écoles. Mise en place des ARCAV en Tunisie Nous avons voulu mettre en place les ARCAV dans le milieu hospitalier tunisien. L’intervention a été réalisée dans une Unité de dialyse dans un hôpital de la région du grand Tunis. La population concernée était constituée du personnel paramédical de cette unité. Malgré les obstacles qui ont surgi dans la phase préalable à l’étude, elle a finalement été menée avec une partie de l’effectif du personnel. Mais les autres membres du personnel se montraient trop réticents pour y participer, invoquant leur manque de confiance quant à l’atteinte des objectifs visés, peu convaincus que la direction engage les moyens nécessaires (financiers et règlementaires) pour toute proposition de changement, de correction ou d’achats de nouveaux matériels. Cette expérience recourant aux principes des ARCAV a montré que les conditions de travail étaient contraignantes et pénibles. Ont été mis en évidence : la manipulation de matériels non réglables (lits, machines) ainsi que de nombreuses situations où des charges lourdes devaient être soulevées ou manipulées manuellement (malades, récipients volumineux, etc.). Toutefois, il est ressorti de cette étude que les craintes des membres du personnel les plus réticents étaient en partie justifiées et il a bien fallu constater qu’aucun responsable administratif, susceptible d’engager des décisions, n’avait assisté aux ARCAV. DES QUESTIONNEMENTS Suite à ces deux exemples, des questionnements ont émergé et méritent une réflexion, voire des SELF 2013 30 Faut-il chercher à évaluer le coût de l’utilisation d’une méthode pour l’entreprise et pondérer un éventuel « manque à gagner » qui en résulterait dans la production, en raison des arrêts de travail? On sait que les « gains » de toute démarche préventive sont difficiles à quantifier quand il s’agit d’accidents ou d’incidents évités. On peut évidemment considérer que la controverse est davantage de l’ordre du débat de valeurs, que rien ne peut justifier que des risques soient pris dans le recours au travail humain. Mais cette « inertie de la preuve » pousse de toute façon souvent les chargés de la sécurité à privilégier l’amélioration de la performance visible à court terme, afin de justifier plus aisément leurs actions (Amalberti, 1996 ; Mhamdi A. 1998b). Le paradoxe des actions de prévention est qu’elles sont fréquemment coûteuses financièrement et parfois difficiles à justifier sur le plan technico-économique. BIBLIOGRAPHIE Amalberti, R. (1996). La conduite de systèmes à risques. Paris : PUF. De la Garza, C. (1999). Fiabilité individuelle et organisationnelle dans l’émergence de processus incidentels au cours d’opérations de maintenance. Le Travail Humain, 62 (1), 63-91. Lacomblez, M., Montreuil, S., & Teiger, C. (2000). Ergonomic work analysis, training and action : new paths opened by the interconnection of approaches. In Proceedings of the IEA 2000/HFES 2000 Congress (pp.647-650). Santa Monica : Human Factors and Ergonomics Society. Mhamdi, A. (1996). L'analyse statistique de données accidentelles préalable à l'analyse ergonomique du travail. Dans les Actes du 31ème Congrès de la SELF. Bruxelles-Belgique. Mhamdi, A. (1998a) Activités de Réflexion Collective Assistée par Vidéo: activité productive de nouveaux savoir-faire. In M-F. Dessaigne et I. Gaillard (coordonnateurs). Des évolutions en ergonomie. Toulouse, Octares Editions, 135-144. Mhamdi A. (1998b). Les activités de réflexion collective assistées par vidéo : un outil pour la prévention, Thèse d'ergonomie, CNAM, Paris. Wisner, A. (1984). L’anthropotechnologie, outil ou leurre? Technologies, Idéologies, Pratiques, 5, 28-59. CONCLUSION Dans cette communication, nous avons présenté l’histoire d’une méthodologie de recherche qui a été développée dans une entreprise française. La méthodologie a été utilisée par la société et a servi de chantiers-écoles pour la formation de ses agents. Cependant, la même méthode a été utilisée en Tunisie sans résultats probants. Cet échec est dû en grande partie au manque d’intérêt des responsables de l’institution. Il est sans doute rare qu’une méthode développée dans une entreprise puisse être transférée (appliquée), telle quelle, ailleurs. Le transfert de modèles théorico-méthodologiques peut-il cependant être envisagé? Dans quelles conditions une démarche peut-elle tenir compte d’un environnement particulier de travail, de l’organisation spécifique d’une entreprise et de la culture d’un pays concernant la perception des risques, tout en sauvegardant des orientations et des principes considérés primordiaux? Nous pensons que le développement de lieux créés en vue de faciliter et soutenir un « retour réflexif » - lieux communs, en interface, entre la recherche et l’entreprise - devrait donner une pérennité locale au traitement des questions soulevées, permettant l’enrichissement de ce type de débats ainsi que la capitalisation des succès et déboires des expériences engagées. SELF 2013 31