Signes physiques et verbaux du mensonge : résultats des études
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Signes physiques et verbaux du mensonge : résultats des études
Annales Médico Psychologiques 165 (2007) 369–371 http://france.elsevier.com/direct/AMEPSY/ Communication Signes physiques et verbaux du mensonge : résultats des études américaines Physical and verbal signs of lying: Results of American studies C. Jonas Psychiatre des hôpitaux, docteur en Droit, chef de service, Psychiatrie A, CHU de Tours 37044 Tours cedex 09, France Disponible sur internet le 07 mai 2007 Résumé À partir d’études américaines sont passés en revue les signes qui trahiraient le mensonge lors d’un entretien. Une discussion porte sur la validité de tels symptômes et leur intérêt éventuel en pratique clinique. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract The author has examined American studies and reviewed signs detecting possible lies during discussions. The author then discusses the validity and eventual interest of such symptoms in clinical practice. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Mensonge ; Mythomanie Keywords: Lie; Mythomania Les psychiatres sont-ils plus aptes que d’autres à détecter la mythomanie, le mensonge ou ce que nos collègues américains dénomment les troubles factices ? Plusieurs études américaines ont révélé que le taux de réussite des psychiatres dans ce domaine dépassait à peine celui du hasard, à savoir la capacité de prédire sur quelle face une pièce retombera lorsqu’elle est lancée en l’air. Certains ont même affirmé qu’un bon joueur de poker est certainement supérieur au psychiatre dans cet exercice. Le présent article n’a aucune prétention à l’exhaustivité, ni même à la validité. Il résulte de la réflexion consécutive à la participation à une des très nombreuses sessions du dernier congrès de l’American Psychiatric Association tenu à Toronto (Canada) au mois de mai 2006 et à la traduction d’un article rédigé par un neurologue, Alan Hirsch. Dans son article, il cherche à apporter à ses collègues les données qui paraissent les mieux validées en matière de signes permettant de suspecter Adresse e-mail : [email protected] (C. Jonas). le mensonge. Pour ce faire, il a consulté une vingtaine d’ouvrages et 64 articles sur le sujet parus dans des revues professionnelles. Il dit avoir mis en évidence 23 signes différents verbaux et non verbaux permettant de discriminer celui qui dit la vérité de ceux qui cherchent à la cacher. Il évoque ensuite un certain nombre de précautions pour éviter que le lecteur ne se fourvoie en donnant à ces signes une valeur excessive, permettant d’éviter les faux-positifs comme les faux-négatifs. Ainsi, reconnaît-il qu’il ne peut détecter que les mensonges volontaires et en aucun cas les mensonges pathologiques dans lesquels le sujet est convaincu de la réalité de ses propos. Il précise également que le travestissement de la réalité réalisé pour des motifs très forts (le patriotisme, la conviction religieuse, propose-t-il en exemple) ne s’accompagne en général pas de ce type de signe. Il précise également la nécessité de prendre en compte l’intégralité du contexte, reconnaissant que le simple stress d’un entretien peut aboutir à la présence de nombre des signes qu’il décrit comme pathognomoniques. Il reconnaît également qu’il est nécessaire qu’un très grand nombre de ces 0003-4487/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.amp.2007.03.005 370 C. Jonas / Annales Médico Psychologiques 165 (2007) 369–371 signes soient présents et si possible de manière répétée au fil de plusieurs entretiens pour leur donner une véritable valeur. 1. Quels sont ces signes ? 1.2. Signes verbaux ● Qualificatifs–Adverbes : ce peut être par exemple « pas nécessairement », « mais », « quoi qu’il en soit », « ordinairement », « presque », « la plupart du temps », « généralement », « essentiellement », « parfois », « d’habitude », « potentiellement », « actuellement », « rarement », « spécifiquement ». ● Forme développée ou contractée : les mythomanes ont tendance à insister sur les négations. Ils utilisent plus fréquemment les formes développées que contractées d’un verbe ou d’une locution. ● Les dénégations de mensonges : le mythomane prend soin de préciser qu’il n’est pas en train de mentir et insiste sur la fiabilité de ses réponses. Par exemple : « Je n’ai absolument aucune raison de vous mentir », « franchement », « manifestement », « pour être à 100 % honnête », « pour vous dire la vérité », « croyez-moi », « honnêtement », « autant que je sache ». ● Erreurs dans le discours : il peut s’agir de changement du cours de la pensée au milieu d’une phrase, d’erreurs grammaticales, d’erreurs de temps, de personne, de pronom ou encore de lapsus. ● Besoin de remplir les vides du discours : Il s’agit alors d’onomatopées destinées à ne pas laisser l’impression d’une hésitation. ● Bégaiement : ce peut être différents embarras de la parole allant du bredouillement au véritable bégaiement. ● Besoin de s’éclaircir la gorge : dans cette catégorie, les auteurs évoquent également des sons tels les pleurnicheries, les gémissements ou les grognements ! 1.3. Signes non verbaux ● Le mythomane a tendance à éviter de pointer un doigt pour illustrer ou souligner un point de son exposé. Peut-être, pense l’auteur, de peur que la vérité puisse s’échapper à travers ce doigt (!). ● Changement de posture : lorsqu’il travestit la réalité, le mythomane a tendance à se pencher en avant, à appuyer les coudes sur les genoux ou sur une table et à changer constamment de posture ou de position sur sa chaise. ● Mouvements de la lèvre : il existerait une augmentation de la fréquence du mouvement consistant à passer sa langue sur les lèvres externes. ● Plissement des lèvres : le sujet a tendance à fermer fermement la bouche et les lèvres comme s’il ne voulait rien laisser échapper. ● Boire et avaler : il existerait une augmentation de la soif et du besoin d’avaler sa salive. ● Rires ou sourires : augmentation des sourires, le plus souvent insincères, ou de rires inappropriés. ● Diminution des mouvements des mains : l’auteur affirme que les personnes fiables ont tendance à user de larges mouvements de balayages des mains lorsqu’elles cherchent à illustrer un point de leur discours. Les menteurs auraient beaucoup moins de mouvements de ce type. ● Frottements du visage : il y aurait une augmentation des mouvements des mains touchant la face, les oreilles ou les cheveux. ● Soupirs, inspirations : tendance chez ces sujets à des soupirs audibles ou visibles et à de profondes inspirations. ● Mouvements de mains et haussements d’épaules : le mythomane aurait tendance à élever les mains, paumes en l’air et à hausser les épaules pour affirmer son incertitude. ● Manipulation d’objets : elle est en augmentation, avec manipulation d’objets tels que lunettes, stylo ou papier. ● Évitement du regard : tendance à un regard de côté ou lointain ou encore dirigé vers le bas après un premier contact visuel avec l’interlocuteur. ● Clignement : il y aurait une diminution du clignement chez les sujets manipulateurs. ● Bras croisés : les bras sont pliés, croisés comme pour mettre en place une barrière face à l’interlocuteur. ● Mains fermées, doigts croisés : les doigts sont repliés sans être visibles, ou entrecroisés entre les deux mains. ● Se toucher le nez : on constate souvent que le sujet se frotte, se gratte ou simplement se touche le nez. 1.4. Hypothèses biologiques et psychopathologiques L’auteur avance plusieurs hypothèses psychologiques ou physiologiques pouvant expliquer ces signes dissimulateurs. Il parle de l’expression d’un conflit inconscient avec des actions symboliques destinées à prévenir le mensonge telles que le fait de se couvrir la bouche, croiser les bras ou les jambes ou encore de commettre des lapsus. Selon lui la manipulation des objets peut symboliser la manipulation des personnes. Les hésitations du discours, l’emploi de nombreux modificateurs, adverbes ou mots vides de sens auraient également une signification symbolique. Sur un plan physiologique, il y aurait des connexions entre les muscles faciaux et le système limbique, si bien que là où le vocabulaire peut être contrôlé, les expressions faciales manifesteraient la vérité. Ainsi, selon lui un sourire en coin exprimerait le manque de congruence entre le discours et les affects. Sur le plan biologique, il y aurait hyperactivité du système nerveux autonome avec décharge catécholaminergique, ce qui expliquerait la diminution de la fréquence du clignement ou certains mouvements parasites des mains et des pieds. Par ailleurs, l’hyperactivité du système nerveux autonome causerait un engorgement des tissus nasaux érectiles, appelé phénomène de Pinocchio. Par dégranulation des mastocytes, cela entraînerait une sensation de douleur, d’irritation ou de démangeaison conduisant à la nécessité de frottements ou de grattements. D’autres manifestations d’hyperactivité du système nerveux C. Jonas / Annales Médico Psychologiques 165 (2007) 369–371 autonome expliqueraient l’enrouement, la bouche sèche, la protrusion de la langue et donc le besoin de boire. 2. Commentaires Nombre des articles sur lesquels l’auteur s’appuie pour réaliser son travail sont publiés à l’intention des médecins impliqués dans des activités d’expertise et d’évaluation, notamment pour le dommage corporel et psychique, aussi bien dans les accidents de la circulation que la pathologie du travail. Les auteurs estiment cependant que le psychiatre puisse détecter les manipulations des patients, y compris lors des consultations classiques. On comprend l’intérêt de maîtriser des outils de ce type dans un pays où les dommages et intérêts sont particulièrement élevés et même où l’existence ou non d’une pathologie psychiatrique peut avoir des conséquences aussi graves que de permettre ou d’empêcher l’application de la peine de mort. On est cependant étonné d’être face à des propositions simplistes et aussi peu fiables. On se rend compte à quel point ces signes sont aspécifiques et reflètent le plus souvent une simple réaction d’anxiété ou de malaise, explicable par des éléments en rapport avec une personnalité mal affirmée ou encore avec les conditions de la rencontre, notamment lorsqu’il s’agit d’une expertise dont les conséquences majeures sont connues et comprises par le sujet. 371 Les psychiatres français, impliqués habituellement dans des activités d’expertises ou s’interrogeant sur la fiabilité des propos de certains de leurs patients, savent qu’il n’existe malheureusement pas de signe pathognomonique du mensonge et que les faisceaux d’arguments permettant de découvrir la manipulation doivent prendre en compte des paramètres multiples : qualité du contact verbal et physique, modification du rythme du discours, perturbation ou hypercontrôle des émotions, variabilité ou stéréotypies du vocabulaire utilisé, sans jamais avoir de certitude réelle. Pour en savoir plus Ekman P, O’Sullivan M. Who can catch a liar? Am Psychol 1991;46:913–20. Hall HY, Pritchard DA. Detecting Malingering and Deception. Florida: St. Lucie Press; 1996. Harrison AA, Hwalek M, Raney DF, et al. Cues to deception in an interview situation. Soc Psychol 1978;41:156–61. Hirsch AR. Postictal nose wiping: The lateralized sign in temporal lobe complex seizures. Neurology 1999;52:1721. Hirsch AR. Physical and verbal signs of lying. Directions in Psychiatry 2003; 23:15–9. Kohnken G. Training police officers to detect deceptive eyewitness statements: Does it work? Soc Behav 1987;2:1–17. Kraut RE. Verbal and nonverbal cues in the perception of lying. J Pers Soc Psychol 1978;36:380–91. Lillie HI. Some practical considerations of the physiology of the upper respiratory tract. J Iowa Med Soc 1923;13:403–8. Discussion Pr M. Bourgeois. – Qu’en est-il de l’IRM fonctionnelle ? Dr J.-P. Luauté. – Pour répondre à la question de Marc Bourgeois sur les possibilités d’utilisation de l’imagerie fonctionnelle, je pense qu’on est dans la même situation quand on enregistre les corrélats neurophysiologiques avec ce que Carol Jonas vient de nous dire au sujet des signes physiques du men- songe. Comment savons-nous que le sujet ment ou dit la vérité ? On retrouve une autre difficulté quand on demande à des sujets sains de simuler un trouble, par exemple une paralysie. La complaisance du sujet à réaliser la consigne ne peut pas non plus être mise sur le même plan que le comportement d’un vrai simulateur.