COLLOQUE L`image comme stratégie : des usages du médium

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COLLOQUE L`image comme stratégie : des usages du médium
COLLOQUE
L'image comme stratégie :
des usages du médium photographique dans le surréalisme
organisé par
l’Association de recherche sur l’image photographique (ARIP)
et
l’équipe d’accueil « Histoire culturelle et sociale de l’art » - Université Paris
1 Panthéon-Sorbonne (HiCSA)
Institut national d’histoire de l’art (INHA)
75002 Paris
Le vendredi 11 décembre 2009
MURIEL BERTHOU-CRESTEY
(Université Michel de Montaigne - Bordeaux 3) :
Roger Caillois et la photographie : Méduse et Cie
1
« Certaines images agissent comme des « lampes merveilleuses » ou des « sésame » capables d’ouvrir
des cavernes à trésors, d’ailleurs insaisissables ».
Roger Caillois, Le Fleuve Alphée, Paris, Gallimard, 1978, p. 112
Parmi les auteurs ayant temporairement emboîté leurs pas dans le sillage surréaliste,
Roger Caillois (1913-1978) fait sans doute partie de ceux dont les affiliations paraissent les
plus éclectiques. Surréaliste ou surrationnaliste ? Son Œuvre prolifique étonne par la variété
des sujets abordés (le rêve, les pierres, les insectes, la fête, l’histoire, la guerre…). Ses écrits
oscillent entre une démarche heuristique incarnée dans sa fascination pour le chimiste
Mendeleïev et un goût immodéré pour la poésie dont Saint John Perse constitue une figure
tutélaire. Ils marquent la jonction improbable entre une propension avérée pour l’énigme,
corrélée à de savants protocoles d’observation. Dans son Œuvre, tout est affaire de
conciliations entre intuition et entendement réunis au sein de démonstrations étayées sous
forme d’oxymores. En toute logique, Roger Caillois est donc l’inventeur des sciences
diagonales, définies comme la « possibilité de donner prise à différentes disciplines […] par
opposition aux sciences qui sont spécialisées »1. Ainsi, il nous invite involontairement à
repenser la fonction de la photographie au sein du vaste labyrinthe de réflexions qu’il déploie
entre 1937 (date à laquelle paraît son premier texte, « La Mante religieuse ») jusqu’en 1978, à
partir d’une œuvre chorale, Méduse et Cie. Il s’agit d’examiner la récurrence d’un certain type
d’images au sein d’une publication considérée comme le porte-parole de cette relation
privilégiée entre texte et iconographie. Dès lors, en quoi le rôle illustratif de la photographie
nous ramène-t-il à ses précédentes assignations ? Comment s’effectue cette perpétuation et
que nous révèle-t-elle ?
Le fait que Roger Caillois n’ait pas théorisé la fonction de l’image photographique au
sein de ses ouvrages consolide l’idée d’un usage ambivalent de ce médium dans la pensée de
l’auteur, renouant avec les mouvements l’ayant imprégné dans sa jeunesse. Fort de sa relation
amicale avec Roger Gilbert-Lecomte, il devient d’abord membre du « Grand Jeu »
(corpuscule littéraire alors en place entre 1927 et 1932) avant de rejoindre le mouvement
surréaliste placé sous la houlette d’André Breton, pour une courte période allant de 1932 à
1935. Cet héritage conceptuel a considérablement marqué sa pensée, y compris dans les
œuvres postérieures. Ainsi, lorsque Hector Biancotti et Jean-Paul Enthoven l’interrogent dans
1
Propos de Roger Caillois recueillis par Dominique Rabourdin à l’occasion de l’émission télévisée « Les
archives du vingtième siècle », août 1971.
2
le cadre d’un entretien pour le Nouvel Observateur le 30 décembre 1978, l’érudit récemment
promu académicien répond de façon laconique :
En entrant à l’Académie française, je ne me suis pas défendu, dans mon discours, de mes origines
surréalistes, je les ai, au contraire, soulignées2.
Force est de reconnaître que les points communs sont nombreux entre les deux
penseurs bien qu’il soit d’usage d’insister habituellement sur ses divergences d’opinion avec
André Breton, cristallisées par l’anecdote dite des « haricots sauteurs mexicains »3.
Néanmoins, les convictions de R. Caillois l’amènent ensuite à rejoindre des théories
antagonistes propres à la pensée de Gaston Bachelard et à co-fonder le Collège de sociologie
en 1938, aux côtés de Georges Bataille et Michel Leiris. On pourrait aisément prolonger les
linéaments conceptuels de Roger Caillois déjà latents en ce début de carrière : voyages en
Argentine, intérêts éclatés, partis pris et virages théoriques fondent la richesse d’une pensée
dans laquelle les opposés fusionnent. Ainsi n’hésite-t-il pas notamment à concilier les
domaines de la science et de l’art. Dans ce contexte, il s’agit avant tout de remarquer un fait
avéré : nombre d’ouvrages de Roger Caillois comportent une table des illustrations… Au
registre de ses collaborations avec les artistes, on note par exemple les gravures d’Alechinsky
accompagnant La lumière des songes ou encore les illustrations de Patrice Vermeille (pour
l’Aile froide) et de Pierre Albuisson (Trois leçons des ténèbres), les eaux fortes du
photographe Raoul Ubac (Pierres réfléchies), les peintures de Jean Bazaine (Images de
l’Univers)… Au milieu de ces paysages artistiques éclatés, c’est vers l’ouvrage intitulé
Méduse et Cie que se porte notre étude. Abondamment illustré de photographies, cet objet
hybride permet en effet de repenser le lien établi entre les usages photographiques dans le
mouvement surréaliste et la pensée de Roger Caillois.
La moitié environ des clichés qui illustrent cet ouvrage ont été pris à ma demande et spécialement à
cette intention. Aussi, en même temps que le agences et maisons d’édition qui ont autorisé la
reproduction de leurs propres clichés, je tiens à remercier tout spécialement de leur aide MM. Luc
Joubert et Alexis Vorontzoff, ainsi que la direction du Museum of Natural History de Londres et M. F.
R. Cowell, qui a été auprès de celle-ci mon interprète bénévole et écouté4.
En 1960, tout concourt à donner l’idée d’une omniprésence de ce médium pourtant
refoulé avec tant de soin par le futur académicien : ainsi, le titre de l’essai, Méduse et Cie
2
Roger Caillois, cité in « Les dernières énigmes de Roger Caillois », Cahiers pour un temps, Paris, Centre
Georges Pompidou, 1981, p. 25
3
Idem., p. 19. Roger Caillois raconte : « Souvenez-vous de ces fameux « haricots sauteurs » que l’un d’entre
nous avait rapportés du Mexique. Breton voulait que l’on revât sur le prodige. Je préconisais qu’on ouvrît plutôt
l’une des graines pour vérifier si un insecte ou une larve n’y serait pas contenu, ce qui était le cas. Il s’ensuivit
une querelle et dès le lendemain, je rompais avec le groupe. »
4
Roger Caillois, Méduse et Cie, Paris, Gallimard, 1960, p. 53
3
résonne avec force dans notre esprit, avant même d’entamer la lecture des textes qui le
composent. La polysémie du terme permet de l’associer à la fois à l’animal et à la gorgone de
la mythologie, pétrifiant d’un seul regard les êtres vivants croisant son passage. Parabole
photographique par excellence, elle cristallise la puissance d’un aveu peut-être inconscient de
la part de l’auteur, épris des mystères du règne naturel. La référence au mythe intervient
clairement dans le chapitre consacré à Méduse :
Leurs yeux sont dilatés et fulgurants : de vrais ocelles. Elles paralysent et changent en pierre celui
qu’elles regardent ou qui les regarde5.
Véritable mise en perspective des sciences diagonales, cet exemple se situe au début
d’une escalade de références, comme si le mythe constituait le premier maillon d’une chaîne
sémantique qui ne demande qu’à se déployer en direction de la photographie… Optant pour
une écriture essentiellement descriptive, Roger Caillois se livre à une approche littéraire aux
dimensions elles-mêmes photographiques, où la visibilité des phénomènes prévaut sur leur
connotation intrinsèque. Faisant de cette narration un « récit transparent »6 au sein duquel le
miroir joue, l’espace d’un instant, un rôle décisif, Roger Caillois n’en finit pas de multiplier
involontairement les références au support dont il ne souligne pourtant pas la portée. Parlant
d’une stratégie du « masque » à plusieurs reprises dans sa démonstration, il se positionne, en
actes, à la place de celui qui ne veut pas voir le processus de création de l’image. Tantôt
caricaturés7, stéréotypés ou singularisés au contraire, les masques octroient à ceux qui les
portent la force d’un retrait du monde, et la fragile révélation d’une réalité allant au-delà de
leurs apparences. Or Roger Caillois porte, lui-même, un masque qui paradoxalement, dévoile
ses intentions. Dans le chapitre de son ouvrage Les mots et les choses8, Michel Foucault
insiste sur le rôle du miroir où se tient le visage de Vélasquez, dans l’analyse du tableau des
Ménines. Cet indice doit pointer la présence ambiguë de l’artiste dans le tableau. L’auteur de
Méduse et Cie semble mettre au point une stratégie similaire. Il ne fait pas de photographies.
Rappelons-nous : « les clichés ont été pris à [sa] demande ». De même, il précise, dans le
fleuve Alphée :
Après hésitation, comme l’ouvrage se présentait comme une série de réflexions sur ce qu’avait pu
m’apporter en tous domaines la fréquentation de certaines pierres, je me suis décidé à n’y décrire et à
n’y reproduire que celles qui m’étaient familières, que j’avais souvent regardées, caressées, manipulées.
C’est dire que celles qui figurent dans le présent volume appartiennent toutes à ma collection, à
5
Roger Caillois, Méduse et Cie, Op. Cit. , p. 130
Idem. , p. 131
7
Jacques-André Boiffard, sans titre, 1930 : il se présente affublé d’un masque effaçant tout particularisme et
toute subjectivité, à travers une exagération outrancière des traits.
8
Michel Foucault, Les mots et les choses, Chapitre 1, Les Suivantes, I, Paris, Gallimard, 1966
6
4
l’exception il va de soi des quelques tableaux du XVIIème siècle photographiés à l’Opificio delle Pietre
dure de Florence9.
Organisant le passage du mythe à sa figuration, il en vient à marquer l’analogie
possible avec les stratégies appliquées dans le règne animal, transposée par la photographie :
« le parallèle se répète, de l’ocelle au regard de la Gorgone, du spasme de la chenille ou du
papillon à la transe du sorcier »10, mais aussi de l’observation vers la pensée, du regard à son
enregistrement. Le recours matériel à l’image photographique a donc le mérite de renforcer
cette relation équivoque, entérinant l’impression préalable dégagée par le titre et le style
d’écriture. Avec l’introduction massive d’illustrations reproduites au sein de l’ouvrage, le
passage de la déduction à la preuve en actes marque un point de non retour. Il l’incarne de
matière très stricte et matérielle. Concrètement, que voyons-nous au sein des planches
photographiques insérées à deux reprises dans l’ouvrage ? Un marbre chinois signé K’Iao
Chan « Héros solitaire » photographié par Luc Joubert, des quartz évidés, septaria
apparaissant sous l’objectif de A. Vorontzoff, venus apporter leur pierre à l’édifice d’une
démonstration faisant de chaque observation de pierre une légende. Ces clichés bruts,
frontaux, (objectifs ?), atemporels (sans date) sont pris avec la même précision que des études
botaniques faisant l’objet d’observations scientifiques. Répartie sur quatre planches, la
première partie iconographique de l’ouvrage rassemble avec beaucoup de précisions des
études consacrées au règne minéral faisant l’objet de l’engouement légendaire de R. Caillois,
fervent collectionneur de concrétions naturelles aux allures étranges, auprès desquelles il s’est
plusieurs fois livré à l’œil enregistreur de l’appareil photographique, à la manière des
surréalistes se prêtant à des portraits de groupe. La deuxième section prolonge la fonction
illustrative de la photographie en pointant cette fois l’étude sur le règne animal : les ocelles
des zèbres se confondent avec des rayures (photo Paul Popper), celles des papillons « Caligo
Prometheus » ressemblent à des yeux (Photo A. Vorontzoff), la forme des chenilles imite
l’environnement pour se protéger en se dissimulant (Photo A. Klots ou encore Van den
Eeckhoudt), etc… Une photo extraite d’un Atlas vient se glisser inopinément dans cette
énumération d’auteurs. Elle est néanmoins signée : Le Cuziat et désigne un insecte à l’aspect
incongru semblant pourvu de cornes protubérantes. R. Caillois nous fait donc vivre les
observations par procuration, grâce aux images. Mais il évoque également le contexte lié à la
prise de vue pour renforcer son propos :
Un chasseur prit des photographies de tigres qu’il distinguait parfaitement dans les plantations de
bambous. La pellicule développée, les tigres avaient disparus. Les rayures alternées jaunes et noires de
9
Roger Caillois, Le Fleuve Alphée, Paris, Gallimard, 1978, p. 127
Roger Caillois, Méduse et Cie, Ibid.
10
5
leur pelage se confondaient parfaitement avec les ombres et les clartés verticales de la mince futaie.
L’homme, qui connaissait d’avance l’image du tigre par les livres et par les jardins zoologiques, n’avait
pas eu de peine à la reconnaître, mais le félin n’était pas visible pour un œil – pour un enregistreur – non
prévenu11.
Ici, l’utilisation du médium photographique est suffisamment révélatrice des
problématiques propres à l’univers de R. Caillois et à son rattachement prolongé au
surréalisme pour être soulignée : Méduse et Cie date de 1960. Pourquoi avoir opté
délibérément pour ce médium dans l’accompagnement de son texte alors même qu’il faisait
montre de multiples collaborations précédentes avec les autres formes d’art ? La solution de
cette énigme est sans doute à chercher dans l’usage qui est fait de l’illustration, envisagée
dans un rôle radicalement différent de celui d’une gravure ou d’une peinture. Là où les noms
des artistes collaborant à ses publications apparaissent habituellement aux côtés du sien, en
couverture, celui des photographes est ici plus discret. Dans le chapitre intitulé Natura Pictrix,
Notes sur la « peinture » figurative et non figurative dans la nature et dans l’art, les
photographies sont transparentes12 et n’ont de valeur qu’au regard de ce qu’elles représentent,
dans un souci d’impartialité. Il eut été intéressant de connaître les consignes données au
photographe tant la comparaison entre ces vues centrées, prises de face en noir et blanc,
génère une impression similaire, laissant entrevoir un protocole d’impartialité. Néanmoins,
l’omission de Roger Caillois sur l’objet photographique et sa périphérie (prises en compte
techniques, matérielles…) paraît plus éloquente, encore. Elle fait état du statut de la
photographie telle qu’elle est envisagée par l’auteur : soit une machine enregistreuse d’images
en tout genre pouvant être utilisées bon gré mal gré en tant qu’illustrations, devenant les
preuves à l’appui de théories scientifiques. L’analogie avec certaines fonctions de l’image
photographique surréaliste se fait paradoxalement prégnante, prolongeant la veine
expérimentale des aspirations d’une jeunesse dont il pensait s’être détourné. Les preuves de
cet usage alternatif de la photographie ne tardent pas à se révéler au lecteur, susceptible d’y
prêter ou non attention, tant le support de l’image lui paraît peut-être accessoire à côté de ce
qu’elles représentent. Ainsi, la légende des clichés fait apparaître alternativement l’identité du
preneur de vue ou celle de l’établissement où elles ont été prises, à savoir le Museum of
Natural History (Londres). Ce démenti de la notion d’auteur rend compte d’un double
phénomène entérinant l’usage ambigu de la photographie ouvert par le surréalisme. La
« photographie document » occupe, avec cette période d’expérimentations naissante au début
11
Roger Caillois, Méduse et Cie, Op. Cit. , p. 106
Au sens de la terminologie barthienne faisant du référent la ligne de mire de tout regard porté sur une
photographie, indépendamment de ses qualités intrinsèques (La Chambre Claire, Paris, Gallimard, 1982).
12
6
des années 1920, une place de grande envergure au sein des revues spécialisées telles que
Minotaure ou La Révolution surréaliste. Les textes célébrant « Les pouvoirs du document »13
se multiplient dans les cercles associés à ce mouvement : Brassaï insiste par exemple sur le
statut amateur des photographes depuis l’invention du médium :
Ceux qui sauvegardèrent et mirent en œuvre la pureté de l’invention ce furent des photographes sans
prétentions artistiques : un Nadar, un Delton, un Adget [sic], des amateurs, des reporters, des
photographes scientifiques. Ils n’avaient pas l’orgueil de recéler des trésors cachés dans les profondeurs
de leurs âmes. Ils ne voulaient pas « intervenir », exprimer coûte que coûte leur personnalité.
Inconsciemment peut-être, ils avaient découvert et accepté la grande loi et lui avaient fait leur
soumission absolue. Ce sont eux qui jetèrent le premier discrédit sur la toute puissance de l’art, qui
usurpait un droit d’exclusivité sur tous les domaines de la réalité14.
Cette particularité se modèle avec une étonnante adaptabilité au contact des
photographies choisies par Roger Caillois à destination de son ouvrage Méduse et Cie. Pour
s’interroger sur les usages des clichés sélectionnés, il s’agit donc de revenir sur la fonction des
preneurs de vue eux-mêmes. A. Vorontzoff, Luc Joubert, A. Klots, Van den Eeckhoudt, qui
sont-ils ? Des photographes de presse, rattachés parfois à des organisations telles que
l’UNESCO, des naturalistes comme le précisent les notes où sont souvent énumérées les
sources iconographiques15. Les photographies ainsi créées appartiennent donc à un contexte
spécifique, prônant d’une part « une photographie nette qui avoue son statut de document »16
et son introduction au sein des ouvrages, comme le montre notamment Nadja d’André Breton.
Là où le rôle de l’image consiste à remplacer la description chez ce dernier, il prend un sens
relativement différent au sein des épreuves rassemblées par R. Caillois trente ans plus tard.
Désormais, l’image étaye la démonstration, en fournit une manifestation en actes, rejoignant
ainsi la vocation première de « l’image mécanique [utilisée pour] accéder à ce qui nous
échappe »17, pour témoigner de réalités contenant un potentiel si extraordinaire qu’il faut bien
en montrer les preuves. Dans le chapitre « Intimidation », Roger Caillois précise :
Je renvoie chacun à la photographie du fulgore. Il me paraît qu’on fait en l’occurrence à l’imagination
une part généreuse. Les éléments de la ressemblance ne sont tels qu’à raison de leur distribution
réciproque. Isolés ou disposés autrement, c’est à bon droit qu’il deviendrait fantaisiste d’y reconnaître
des yeux ou des dents, comme on se plaît à découvrir des formes dans les nuages. Mais, dans ce cas
13
Titre d’une section issue de l’anthologie de textes choisis par Clément Chéroux, in Quentin Bajac, Clément
Chéroux (dir.), La Subversion des images, Paris, Centre Pompidou, 2009, p. 423 et suiv.
14
Brassaï, « Images latentes », 1932, in L’Intransigeant, mardi 15 novembre 1932, p. 6
15
Roger Caillois précise par exemple, p. 100 : « Photographies dans A. et E. Klots, Living Insects of the World,
Londres, 1959 […] » ou encore p. 157 : « Dans l’Illustrated London News du 5 avril 1924, cliché dû au
naturaliste américain Paul Griswold Hawes […] dans la Nouvelle revue Française, octobre 1957, n° 58, clichés
dus au professeur Séguy pour illustrer mon article « Le Masque » (pp. 625-642) ; dans Endeavour, octobre 1959,
vol. XVIII, n°72, p. 203, fig. 18, cliché en couleurs, mais peu distinct, du professeur John Haywood (Oxford)
illustrant l’article de H. B. D. Kettlewell […] » La succession chronologique est particulièrement représentative
d’une continuité dans la façon d’aborder les problématiques liées au statut de la photographie.
16
Alain Fleig, Etant donné l’âge de la lumière I. Photographie et surréalisme, Op. Cit., p. 13.
17
François Dagognet, « Ne séparons pas le visible et l’invisible. Essai sur la photographie », in Stéphane
Michaud (dir.), Du Visible à l’invisible, Pour Max Milner, Paris, José Corti, 1998, p. 215
7
particulier, tout s’adapte et se compose comme pièces du puzzle. J’accorde que la ressemblance est
absurde, est scandaleuse, mais je ne puis non plus, pour éviter le scandale, nier l’évidence18.
Plus qu’un document, l’image est envisagée comme un leurre capable d’amplifier les
propriétés énigmatiques de la nature et ses mystères. A la manière d’un tableau synoptique,
l’organisation rigoureuse de plusieurs photographies sur la même page devient une
composition privilégiée pour « élaborer un exposé essentiel et succinct, en usant d’une
organisation que le regard embrasse d’une fois »19. Il induit parfois des « formes de raccourcis
saisissants où l’enchaînement peut surprendre et suggérer des idées neuves et faire apparaître
certains liens cachés »20. Regardant plusieurs pierres, Roger Caillois y voit de multiples
sources d’interprétations possibles en direction de la science :
[…] ces stries, ces fondus, ces taches, ces marbrures, beaucoup plus proches de la structure fine de la
matière telle que le révèlent les instruments de précision (microscopes, spectroscopes, etc…) que de la
vision commune. Tel tableau ressemble alors à une coupe biologique, moelle de sureau aplatie entre
deux lamelles de verre et agrandie par l’objectif, ou palpe d’insecte ou flamme décomposée ou argent
incandescent, toute image que la technique donne aujourd’hui de la matière, dès qu’elle réussit à en
faire apercevoir l’architecture intime. C’est au point qu’il pourrait être difficile même pour un critique
d’art averti de distinguer entre de bonnes reproductions en couleurs de tableaux contemporains des
dernières écoles et des photographies scientifiques ou industrielles, telles qu’on les trouve en grand
nombre dans les publications spécialisées21.
La photographie devient microscope, en agrandissant certaines réalités au champ de
notre regard. Paradoxalement dissociés du texte, les clichés forment un réseau d’associations
avec lui. Outre les liens hétéroclites qu’elle entretient avec les différents médiums, la
photographie concourt parfois à leur rencontre : à travers son usage de la photographie,
Méduse et Cie prolonge le concept de sciences diagonales au-delà de son écriture narrative, en
donnant l’illustration la plus probante, au-delà des espérances mises à nu par son auteur
même.
Muriel Berthou Crestey
L’auteur remercie Clément Chéroux et Dominique Rabourdin
18
Roger Caillois, Méduse et Cie, Op. Cit. , p. 157
Michel Poivert, L’Image au service de la révolution, Photographie, surréalisme, politique, Paris, Le Point du
jour éditeur, 2006, p. 33.
20
Idem.
21
Roger Caillois, Méduse et Cie, Op. Cit. , p. 65
19
8