Plaquette Concert 2

Transcription

Plaquette Concert 2
ORCHESTRE
DE L’OPERA DE LYON
Direction musicale
STRAUSS SCHONBERG
Emmanuel Krivine
OPERA de LYON
RICHARD STRAUSS
TOD UND VERKLÄRUNG
[MORT et TRANSFIGURATION]
POÈME SYMPHONIQUE op. 24
CAPRICCIO
KONVERSATIONSTÜCK für MUSIK
[« CONVERSATION EN MUSIQUE »] en UN ACTE
Sextuor, Musique au clair de lune & scène finale
Nancy Gustafson soprano
ENTRACTE
ARNOLD SCHÖNBERG
VERKLÄRTE NACHT
[LA NUIT TRANSFIGURÉE]
op. 4
ORCHESTRE DE L’OPÉRA DE LYON
EMMANUEL KRIVINE DIRECTION MUSICALE
Samedi 19 mars 2005 à 20 h 30
RICHARD STRAUSS
(1864-1949)
TOD UND VERKLÄRUNG
[Mort et Transfiguration]
Poème symphonique op. 24
Né douze ans avant la Première Symphonie de Brahms, mort tandis
que pointait l’école post-sérielle de Darmstadt, Richard Strauss traversa
les décennies sans perturbations majeures, fidèle au langage tonal hérité
des derniers romantiques. « M. R. Strauss n’a ni mèche folle, ni gestes
d’épileptiques », décrivit Debussy. « Il est grand et a l’allure franche et
décidée de ces grands explorateurs qui passent à travers les tribus sauvages avec le sourire aux lèvres. » Adversaire de la musique « pure », il
se raconta au travers de sept poèmes symphoniques où, de Macbeth
(1888) à Une vie de héros (1897-1898), il se voyait en conquérant.
Après ce point sur lui-même, il chanta inlassablement la féminité, dans
la centaine de lieder et les treize opéras de sa maturité.
Romain Rolland, ami et défenseur de Strauss, résuma ainsi l’argument de Mort et Transfiguration : « Dans une misérable chambre [...],
un malade gît sur son lit. La mort approche [...]. Sa vie repasse devant
ses yeux : son enfance innocente, sa jeunesse heureuse, les combats de
l’âge mûr, ses efforts pour atteindre le but sublime de ses désirs, qui lui
échappe toujours. Il continue de le poursuivre et croit enfin l’étreindre ;
mais la mort l’arrête […]. Il lutte désespérément et s’acharne, même
dans l’agonie, à réaliser son rêve ; mais le marteau de la mort brise son
corps, et la nuit s’étend sur ses yeux. Alors résonne dans le ciel la parole de salut à laquelle il aspirait vainement sur la terre : Rédemption,
Transfiguration ! »
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STRAUSS TOD UND VERKLÄRUNG
Strauss se défendit pourtant que son poème symphonique, composé
en 1887-1889, fût autobiographique. Après une œuvre principalement
en mineur (Macbeth), puis une seconde cheminant du majeur au mineur
(Don Juan), il souhaitait seulement emprunter le chemin inverse, du
mineur au majeur, de l’ombre à la lumière. Un parcours lisztien, en
quelque sorte : les poèmes symphoniques du maître de Weimar, comme
ses deux symphonies, sont familières de ces héros glorifiés au terme de
douloureux combats. Encore Liszt aime-t-il s’appesantir sur les happy
ends. Dans Tasso, lointain modèle de Mort et Transfiguration, « Lamento » et « Trionfo » s’équilibrent, alors que la « Transfiguration »
straussienne n’est que la péroraison d’un long combat entre un malade
agonisant et la Faucheuse.
Mort et Transfiguration emprunte également le procédé lisztien de
la « variation psychologique » : les thèmes musicaux prennent divers
visages, chargés à chaque apparition d’émotions différentes. Ainsi, dans
l’introduction lente, flûtes, hautbois et clarinettes s’échangent-ils des
motifs qui, sur la respiration irrégulière des timbales et d’autres instruments, paraissent les derniers sursauts d’une vie qui s’échappe. Repris
plus loin comme désamorcés, alors que le thème furieux de la Mort laisse
quelque répit, ils prennent valeur de souvenirs bienheureux et fugaces,
ponctués par une harpe cristalline. Puis ils se muent en élans passionnés,
une sorte de valse déglinguée à quatre temps : les amours passées du
héros. Ces avatars restent toutefois dans le cadre de la forme sonate et
profitent au maximum des espaces de liberté que laisse ce moule
contraignant : introduction, développement et coda – la « Transfiguration » –, où un thème jusque-là mineur, attribué généralement à
l’Idéal, s’épanouit sur les sonorités étales de longues pédales. Des
motifs entendus précédemment, ne restent plus que des réminiscences,
flottant comme un halo sonore autour de l’âme pacifiée.
C’est Alexandre Ritter qui avait fait découvrir Liszt à Strauss. Ce
musicien de l’orchestre de Meiningen fournit le médiocre poème préfaçant la partition, dont le compositeur devait, en 1894, préciser certains
termes : « Il y a six ans, j’ai eu l’idée de représenter en un poème symphonique les dernières heures d’un homme qu’avait animé l’idéal le
plus élevé – peut-être un artiste... » Malgré le démenti du compositeur,
ces derniers mots suggèrent une identification au moins partielle et
métaphorique à son personnage. Sur son lit de mort, Strauss devait
confier à son fils : « Maintenant, je peux t’affirmer que tout ce que j’ai
composé dans Mort et Transfiguration était parfaitement juste ; j’ai vécu
très précisément tout cela ces dernières heures... »
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RICHARD STRAUSS
CAPRICCIO, Konversationstück für Musik
[« Conversation en musique »] en un acte
Sextuor, Musique au clair de lune & scène finale
D’abord la musique, ou d’abord les mots ? C’est ce débat, aussi
vieux que l’opéra, que Richard Strauss plaça au cœur de son ultime
opéra, Capriccio. Pour sa part, Strauss travaillait main dans la main avec
ses librettistes, emboîtant ainsi le pas à Verdi et à Wagner – ce dernier
ayant résolu la controverse en rédigeant ses textes lui-même. Son association avec Hofmannsthal est restée la plus fameuse, engendrant des
chefs-d’œuvre comme Le Chevalier à la rose, Elektra et Ariane à Naxos.
A la mort du poète, en 1929, Strauss se tourna vers Stefan Zweig, et il
en résulta La Femme silencieuse, créé en 1935. C’est le célèbre romancier qui dénicha un livret vieux de cent cinquante ans, Prima la musica
e poi le parole [D’abord la musique, ensuite les mots], œuvre de l’abbé
Giambattista Casti ; ce livret avait été mis en musique en 1786 par celui
dont Pouchkine fit le rival de Mozart, Antonio Salieri. Zweig soumit à
Strauss l’idée d’un opéra sur ce sujet mais dut y renoncer lorsque l’arrivée au pouvoir des nazis le contraignit à quitter l’Allemagne. Strauss
pensa alors à Joseph Gregor, le librettiste des trois ouvrages composés
en 1938-40, Daphné, Jour de paix et L’Amour de Danaé. C’est toutefois
sans enthousiasme qu’il se tourna vers ce collaborateur, et il fit rapidement part de ses craintes à un ami fin lettré et excellent connaisseur du
théâtre, le chef d’orchestre Clemens Krauss : « Jusqu’à aujourd’hui, il
n’a toujours pas compris ce que je voulais vraiment : non pas du lyrisme, de la poésie ou une rêverie sentimentale ; mais un théâtre de
l’intelligence, un jeu de l’esprit, une pure plaisanterie ! » Strauss finit
par libérer Gregor de son engagement et co-signa le livret avec Krauss.
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STRAUSS CAPRICCIO
Capriccio vit le jour en 1940-1941. Sa création, le 28 octobre
1942, fit souffler une brise légère sur la ville de Munich, plongée dans
l’obscurité et la peur. Mais cette « conversation en musique « est plus
sérieuse que sa futilité apparente laisse à penser. Incapable de choisir
entre le compositeur Flamand et le poète Olivier, la Comtesse incarne
l’idée que Strauss se faisait de l’opéra, fusion intime de deux arts dont
aucun ne devait prévaloir sur l’autre. « J’ai abordé Capriccio avec la
Glyndebourne Touring Company », confiait la chanteuse Felicity Lott
au mensuel Le Monde de la musique en octobre 2000. « C’était courageux de mettre entre mes jeunes mains un personnage si complexe,
destiné en fait à une actrice expérimentée. La Comtesse possède une
étrange personnalité, elle n’est pas totalement réelle. Elle est la muse
de l’opéra, et matérialiser une idée n’est pas chose aisée. Dans la première scène, avec ses deux soupirants Olivier et Flamand, la Comtesse
est humaine mais distante. Par la suite, lorsque l’opéra s’engage sur
son argument pivot – ce que doit être une œuvre lyrique –, son personnage se réfugie tout entier dans le débat intellectuel et esthétique, et ne
prend vraiment forme que dans la merveilleuse scène finale, l’une des
plus sublimes pages de Strauss et de l’histoire de la musique vocale. »
L’action se déroule dans un château près de Paris, vers 1775. « De
bonne heure dans l’après-midi. Au lever de rideau, et pendant le début
de la première scène, on entend l’Andante d’un sextuor à cordes qu’un
ensemble instrumental joue dans le salon à gauche. C’est l’œuvre du
compositeur Flamand qui est présentée à la Comtesse. La porte du
salon est ouverte, poète et musicien se tiennent auprès de la Comtesse,
ils écoutent et l’observent attentivement. Un peu plus loin, le Directeur
du théâtre est assis dans un fauteuil. Il sommeille. » Ainsi le livret de
Capriccio évoque-t-il les circonstances où est exécuté le sextuor à
cordes ouvrant l’opéra. Composé en juillet 1940, ce « prélude de
chambre » préfigure aussi bien l’esprit que le matériau thématique de
l’ouvrage, et l’un de ses motifs reviendra lors de la scène finale.
Le sextuor fut présenté au public le 7 mai 1941 chez Baldur von
Schirach, ancien chef des Jeunesses hitlériennes, gouverneur de
Vienne depuis août 1940 et protecteur du compositeur. C’est Krauss
qui assura la création de l’œuvre intégrale à Munich le 28 octobre
1942, dans des circonstances contrastant avec la légèreté du sujet, et
que le metteur en scène Rudolf Hartmann rapporta en ces termes :
« Qui, parmi les jeunes, peut vraiment imaginer une grande ville
comme Munich noyée dans une obscurité totale ? Ceux qui se résolurent de se rendre au théâtre pour assister à la création de Capriccio
furent obligés de chercher leur chemin en s’éclairant de petites
lampes de poche [...]. Ils risquèrent ce soir-là une violente attaque
aérienne, mais surmontèrent leurs craintes tant était grand leur désir
d’entendre de la musique [...], de passer quelques instants dans une
ambiance de fête, dans un monde spirituel de beauté, loin des horreurs de la guerre. »
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STRAUSS CAPRICCIO
L’argument est des plus simples. On célèbre l’anniversaire de la
comtesse Madeleine. Flamand et Olivier doivent écrire chacun une
pièce de circonstance. Ils sont rivaux dans le cœur de la jeune femme,
qui a promis de les départager avant le lendemain. Le directeur de
théâtre La Roche les pousse à unir leurs talents dans un opéra racontant
les événements de la journée. Ils commencent par offrir à la Comtesse
un sonnet commun. Au son de la voluptueuse Mondscheinmusik
[Musique au clair de lune], Madeleine apparaît sur sa terrasse. Le majordome lui annonce qu’elle sera seule pour le souper, et qu’Olivier viendra le lendemain matin apprendre auprès d’elle la « fin de l’opéra ».
Commence alors la scène finale. La perspective du choix désempare
la Comtesse. Elle chante le sonnet en s’accompagnant à la harpe et en
est profondément émue. La voix se noie dans un orchestre étourdissant,
l’un de ces tissus opulents, voire touffus dont Strauss a le secret et au
travers duquel seule une voix souveraine peut se faire entendre. Mais
d’où proviennent ses larmes ? Madeleine n’en sait rien ; entre le poète
et le compositeur, elle ne peut trancher. Elle interroge en vain son
miroir sur la fin de l’ouvrage : « Puisse-t-elle n’être pas banale... » Entre
alors le majordome, qui annonce : « Le souper est servi. » C’est par ces
mots (omis dans le cadre d’une exécution de concert) que Strauss prend
congé de cette « friandise pour gourmets culturels », comme il l’appellerait en 1944, et par là même du genre de l’opéra.
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CAPRICCIO
SCÈNE FINALE
GRÄFIN
Morgen mittag um elf! (Sie lacht.) Es ist ein Verhängnis. Seit dem
Sonett sind sie unzertrennlich. Flamand wird ein wenig enttäuscht
sein, statt meiner Herrn Olivier in der Bibliothek zu finden. Und ich?
Den Schluss der Oper soll ich bestimmen, soll – wählen – entscheiden? Sind es die Worte, die mein Herz bewegen, oder sind es die
Töne, die stärker sprechen?
(Sie nimmt das Sonett zur Hand, setzt sich an die Harfe und beginnt,
sich selbst begleitend, das Sonett zu singen.)
Kein andres, das mir so im Herzen loht,
Nein Schöne, nichts auf dieser ganzen Erde,
Kein andres, das ich so wie dich begehrte,
Und käm’ von Venus mir ein Angebot.
Dein Auge beut mir himmlisch-süsse Not,
Und wenn ein Aufschlag alle Qual vermehrte,
Ein andrer Wonne mir und Lust gewährte,
Zwei Schläge sind dann Leben oder Tod.
(Sich unterbrechend)
Vergebliches Müh’n, die beiden zu trennen. In eins verschmolzen
sind Worte und Töne – zu einem Neuen verbunden. Geheimnis der
Stunde. Eine Kunst durch die andere erlöst!
Und trüg’ ich’s fünfmalhunderttausend Jahre,
Erhielte ausser dir du Wunderbare,
Kein andres Wesen über mich Gewalt.
Durch neue Adern müsst’ mein Blut ich giessen,
In meinen, voll von dir zum Überfliessen,
Fänd’ neue Liebe weder Raum noch Halt.
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CAPRICCIO
SCÈNE FINALE
LA COMTESSE
Demain matin à onze heures. (Elle rit.) C’est une fatalité. Depuis le
sonnet, ils sont inséparables. Flamand sera plutôt surpris de trouver
Olivier au lieu de moi, au rendez-vous, et moi ? La fin de la pièce.
Que dois-je faire ? Choisir, décider ? Est-ce le poète qui émeut mon
âme, ou bien est-ce la musique qui parle plus fort à mon cœur ?
(La Comtesse prend en main le manuscrit du poème, s’assied
devant la harpe et commence à chanter en s’accompagnant.)
Je ne sçaurois aimer autre que vous,
Non Dame, non, je ne sçaurois le faire,
Autre que vous ne me sçauroit complaire
Et fut Vénus descendue entre nous,
Vos yeux me sont si gracieux et dous
Que d’un seul clin ils peuvent me défaire
D’un autre clin tout soudain me refaire
Me faisant en deux coups vivre ou mourir.
(S’interrompant)
Peine inutile, chercher à les disjoindre. D’une seule source, paroles
et musique font naître des beautés nouvelles. Mystères de l’heure.
Par leur accord, les deux arts sont sauvés !
(Elle prend de nouveau la harpe et achève le chant du poème)
Quand je serais cinq cent mille ans en vie
Autre que vous, ma mignonne amie,
Ne me ferait amoureux devenir.
Il me faudrait refaire d’autres veines,
Les miennes sont de votre amour si pleines
Qu’un autre amour n’y sçauroit plus tenir.
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CAPRICCIO
(Sie erhebt sich und geht leidenschaftlich bewegt auf die andere
Seite der Bühne.)
Ihre Liebe schlägt mir entgegen, zart gewoben aus Versen und
Klängen. Soll ich dieses Gewebe zerreissen? Bin ich nicht selbst in
ihm schon verschlungen? Entscheiden für einen? Für Flamand, die
grosse Seele mit den schönen Augen – Für Olivier, den starken
Geist, den leidenschaftlichen Mann?
(Sie sieht sich plötzlich im Spiegel.)
Nun, liebe Madeleine, was sagt dein Herz? Du wirst geliebt und
kannst dich nicht schenken. Du fandest es süss, schwach zu sein, –
Du wolltest mit der Liebe paktieren, nun stehst du selbst in Flammen
und kannst dich nicht retten! Wählst du den einen – verlierst du den
andern! Verliert man nicht immer, wenn man gewinnt?
(zu ihrem Spiegelbild)
Ein wenig ironisch blickst du zurück? Ich will eine Antwort und nicht
deinen prüfenden Blick! Du schweigst? – O, Madeleinel Madeleine!
Willst du zwischen zwei Feuern verbrennen? Du Spiegelbild der verliebten Madeleine, kannst du mir raten, kannst du mir helfen den
Schluss zu finden für ihre Oper? Gibt es einen, der nicht trivial ist?
[HAUSHOFMEISTER
Frau Gräfin, das Souper ist serviert.]
(Die Gräfin blickt lächelnd ihr Spiegelbild an und verabschiedet sich
von diesem graziös mit einem tiefen Knix. – Dann geht sie in heiterster Laune, die Melodie des Sonetts summend,
an dem Haushofmeister vorbei langsam in den Speisesaal.)
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CAPRICCIO
(Elle se lève et, passionnément émue, va de l’autre côté de la scène.)
(songeuse)
Leurs amours se mêlent en moi dans un doux langage de vers en
musique. Dois-je rompre ce tissu fragile ? Ne suis-je pas moi-même
liée ? Auquel offrit la palme ? A Flamand, aux yeux si beaux et aux
propos si tendres, à Olivier, esprit puissant, et aux élans pleins
d’ardeur ?
(Elle s’aperçoit, soudain, dans le miroir.)
Chère Madeleine, que dit ton cœur ? Tu es aimée et ne peux te
résoudre. Tu as trouvé doux d’être faible. Tu as voulu jouer avec
l’amour, et tu es toi-même enflammée, et ne peux te défendre ! Si tu
choisis l’un, tu perds l’autre. Ne perd-il pas toujours, celui qui
gagne ?
(s’adressant au miroir)
Ton œil ironique, tu me regardes, (passionnée) je veux ta réponse et
non ce regard incertain. Tu te tais ? Madeleine, veux-tu te brûler
entre deux flammes ? O toi miroir de mes deux amours, sois-moi
propice et aide-moi à trouver par grâce la fin de leur ouvrage !
Puisse-t-elle n’être pas banale…
[LE MAJORDOME (entre et se tient à la porte)
Madame, le souper est servi.]
(La Comtesse regarde en souriant dans le miroir, fait un signe coquet
à son image à l’aide de son éventail, et prend congé d’elle
avec une gracieuse révérence. Puis, de la plus joyeuse humeur,
fredonnant la mélodie du sonnet, précède lentement le Majordome
dans la salle à manger. Le Majordome, surpris de ce manège,
la suit des yeux étonné, regarde en arrière dans le miroir…)
Livret de Clemens Krauss
Traduction : Gustave Samazeuilh
Columbia / Boosey & Hawkes
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ARNOLD SCHÖNBERG
(1874-1951)
VERKLÄRTE NACHT
[La Nuit transfigurée], op. 4
« Hier soir j’ai entendu votre Nuit transfigurée, et je penserais
pécher par omission si je manquais de vous dire un mot de remerciement pour votre magnifique sextuor. J’avais l’intention de suivre les
thèmes de mon texte dans votre composition ; mais cette idée m’a vite
quitté, tellement j’étais captivé par la musique. »
Dans cette lettre du 12 décembre 1912, le poète Richard Dehmel
témoignait sa gratitude à Arnold Schönberg, qui avait illustré treize ans
plus tôt l’un de ses poèmes. Schönberg composa son op. 4 en septembre
1899 à Semmering, près de Payerbach. Il séjournait dans cette station
de Styrie avec Alexander von Zemlinsky, son aîné de trois ans, qui lui
donnait quelques leçons de composition. La sœur de Zemlinsky,
Mathilde, se trouvait également sur place et Schönberg s’en éprit rapidement. Sous l’emprise de cette passion naissante, il coucha en trois
semaines les grandes lignes de la partition. La version définitive du
manuscrit est datée du 1er décembre 1899.
La source d’inspiration littéraire de cette musique à programme, La
Nuit transfigurée [Verklärte Nacht], provient du recueil de Dehmel La
Femme et le Monde [Weib und Welt], publié en 1896. Avant la Première
Guerre mondiale, ce poète jouissait d’un certain prestige pour ses
œuvres mêlant l’érotisme aux conceptions artistiques les plus modernes
(il fut l’un des artisans du Jugendstil).
La Nuit transfigurée est un dialogue entre un homme et sa bienaimée, qui lui avoue attendre un enfant d’un autre ; l’homme la console et
lui assure qu’il fera sien cet enfant. Dans ce poème, Dehmel fait allusion
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à sa propre liaison avec Ida Auerbach, qu’il rencontra alors qu’elle portait déjà l’enfant de son mari, le consul Auerbach. Cette femme issue
d’une famille juive très en vue joua un rôle essentiel au sein du petit
groupe formé par Schönberg et les poètes Dehmel et Stefan George –
c’est pour lui exprimer son amour secret que George avait écrit en 1893
son Livre des jardins suspendus [Buch der hängenden Gärten], quinze
poèmes que Schönberg mettrait en musique en 1908-1909 sous le
numéro d’opus 15.
Le sextuor est construit en cinq grands chapitres enchaînés, dont
chacun prolonge l’émotion d’une strophe du poème. Dans cette structure
complexe, les thèmes sont exposés, développés et réexposés comme dans
un vaste mouvement de sonate, ou plus exactement de rondo-sonate.
Mais on peut y déceler de nombreuses autres architectures. La plus évidente est l’alternance entre les hymnes à la nature, correspondant aux
strophes impaires du poème (la promenade des deux amants au clair de
lune), et les deux épisodes personnels : la deuxième section (l’aveu de
la femme) et la quatrième (où l’homme lui réaffirme son amour).
Le choix de cette forme curieuse – un sextuor à cordes « à programme » – correspondait parfaitement aux préoccupations de
Schoenberg dans sa première période créatrice, où il s’attacha souvent
à brouiller les pistes des genres musicaux. Avant la composition de
l’op. 4, il avait ébauché (et laissé en friches) plusieurs compositions
reposant sur un programme : Hans le chanceux [Hans im Glück], La
Mort du Printemps [Frühlingstod] et Angle mort [Toter Winkel], cette
dernière pièce étant conçue elle aussi pour un sextuor à cordes. En
1903, après avoir envisagé un opéra sur le Pelléas et Mélisande de
Maeterlinck, il choisirait une forme plus ambiguë fusionnant, à la
manière lisztienne, symphonie et poème symphonique. On le vit également donner aux Gurrelieder (1900-1903) le format d’une monumentale
symphonie, puis restreindre sa première symphonie à quinze exécutants (Symphonie de chambre op. 9, 1906) et introduire le chant d’un
soprano dans le genre, abstrait entre tous, du quatuor à cordes (Quatuor no 2, 1907-1908).
Un tel choix réconciliait par ailleurs deux conceptions contradictoires : celle de Wagner, qui subordonne la logique musicale à des éléments extérieurs, et celle de Brahms, dont on fit par opposition le champion de la musique pure, ne répondant qu’à ses règles intrinsèques. Par
chance, la carrière de Schönberg prit son essor alors que ce débat s’était
émoussé ; La Nuit transfigurée prouve, tout comme Pelléas, qu’il n’eut
jamais à trancher entre deux maîtres qu’il vénérait avec une égale
ardeur. Beaucoup plus tard, en 1950, l’auteur prendrait d’ailleurs soin
de préciser que son sextuor « n’illustre ni action, ni drame, et se borne à
peindre et à exprimer des sentiments humains. En vertu de cela, il
semble qu’[il] puisse être apprécié en tant que musique pure ». Il ajouterait même : « Cela peut faire oublier un poème que d’aucuns, à l’heure
actuelle, trouveront peut-être repoussant. »
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SCHÖNBERG VERKLÄRTE NACHT
C’est paradoxalement sur la base de son respect profond pour la
tradition musicale, né du fait qu’il avait échappé à tout enseignement
académique, que Schoenberg devait bâtir plus tard un langage révolutionnaire, dont l’on mettrait plusieurs décennies à mesurer la portée
véritable. L’influence wagnérienne transparaît notamment dans la tension entre un chromatisme hardi et des plages diatoniques, dans
l’absence presque intégrale de repos sur l’accord parfait, dans l’entrelacs de certains thèmes à la manière de leitmotive. Lorsque Zemlinsky
tenta de faire créer l’œuvre au Tonkünstlerverein de Vienne, il s’entendit répondre par un membre du jury que cela faisait « l’effet de la
partition encore humide de Tristan que l’on viendrait d’essuyer ».
Quant à Brahms, Schoenberg développe sa technique de « variation
évolutive » du matériau, qui fait découler chaque motif du précédent
par divers procédés de dérivation, donnant à la profusion lyrique et
thématique une forte cohérence. La Nuit transfigurée tire également de
nombreux enseignements de deux voies majeures suivies par la
musique à la fin du XIXe siècle : la sonate en un seul mouvement (dont
le modèle absolu était la Sonate pour piano en si mineur de Liszt) et le
poème symphonique.
La Nuit transfigurée fut créée à Vienne le 18 mars 1902 par le
Quatuor Rosé et des musiciens de l’Orchestre philharmonique de
Vienne. Dès 1917, Schönberg en prépara pour l’éditeur viennois
Universal Edition une version pour orchestre à cordes, où il avait ajouté
une partie de contrebasse. La trace la plus ancienne d’une exécution de
cette transcription remonte au 14 mars 1918, au Gewandhaus de
Leipzig. L’orchestration, toutefois, ne satisfaisait pas son auteur, qui
décida de la remanier. L’occasion se présenta fin 1939, lorsque l’éditeur américain Edwin F. Kalmus lui demanda l’autorisation de publier
une nouvelle édition de La Nuit transfigurée. Schönberg accepta à la
condition qu’il s’agisse d’une révision de la version pour orchestre à
cordes. Il apporta de nombreux changements dans les nuances, les
coups d’archet, les articulations, mais également dans les indications
de tempo. Le contrat avec Kalmus ne put se concrétiser, et c’est finalement Associated Music Publishers, à New York, qui publia cette révision en 1943. Dans une lettre du 22 décembre 1942, Schönberg liste
les principales modifications par rapport à l’édition de 1917 : « Cette
nouvelle version [...] va améliorer l’équilibre entre les premiers et les
seconds violons d’une part, les altos et les violoncelles de l’autre, et
rétablira par là même l’équilibre du sextuor d’origine, avec ses six instruments équivalents. »
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SCHÖNBERG VERKLÄRTE NACHT
EMMANUEL KRIVINE
Direction musicale
D’origine russe par son père et polonaise par sa mère, Emmanuel
Krivine s’enthousiasme très jeune pour l’orgue et la musique symphonique. C’est pourtant comme violoniste qu’il débute : premier prix du
Conservatoire de Paris à seize ans, pensionnaire de la Chapelle musicale Reine-Elisabeth, il étudie avec Henryk Szeryng et Yehudi Menuhin
et s’impose dans les concours les plus renommés.
En 1965, sa rencontre avec Karl Böhm à Salzbourg donne un tournant décisif à sa carrière : il délaisse peu à peu l’archet pour la baguette.
Chef invité permanent du Nouvel Orchestre philharmonique de Radio
France de 1976 à 1983, il occupe ensuite le poste de directeur musical
de l’Orchestre national de Lyon de 1987 à 2000. Il a également dirigé
l’Orchestre français des jeunes durant sept ans, revenant à ce poste de
2001 au printemps 2004.
Parallèlement, il multiplie les concerts et les tournées avec les
meilleures formations, notamment les Berliner Philharmoniker, les
Bamberger Symphoniker, le London Symphony Orchestra, le London
Philharmonic Orchestra, le Concertgebouw d’Amsterdam, l’Orchestre
national de France, le Chamber Orchestra of Europe, le NHK de Tokyo,
le Boston Symphony, le Los Angeles Philharmonic, le Yomiuri Nippon
Symphony Orchestra, le Scottish Chamber Orchestra, les orchestres de
Cleveland, Philadelphie, St. Louis, Montréal, Toronto, Sydney et
Melbourne, sans oublier le lien privilégié qui le lie à l’Orchestre philharmonique du Luxembourg, dont il est le premier chef invité.
La saison 2003-2004 aura été marquée par la naissance d’un nouvel
orchestre, la Chambre philharmonique, dont Emmanuel Krivine a
accepté avec enthousiasme d’être le chef principal. Créé par un groupe
de musiciens venus des quatre coins de l’Europe, cet ensemble se
consacre à la découverte et à l’interprétation d’un répertoire allant de
l’époque classique et romantique jusqu’à nos jours, choisissant les instruments appropriés à l’œuvre et à son époque. Après les Folles
Journées de Nantes 2004, qui portèrent cet ensemble sur les fond baptismaux, les tournées se sont enchaînées dans les salles et festivals les
plus prestigieux, avec des solistes comme Andreas Staier, Sandrine
Piau, Alain Planès, Véronique Gens et, il y a quelques jours, Don
Giovanni à la Cité de la Musique.
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LES INTERPRÈTES
Nancy Gustafson, soprano
La carrière de Nancy Gustafson se développe sur les plus grandes
scènes mondiales dans les rôles lyrico-dramatiques les plus exigeants.
Aux Etats-Unis, elle a chanté La Bohème, Falstaff, Les Contes d’Hoffmann
et A Midsummer Night’s Dream au Metropolitan Opera de New York ;
Idomeneo, Faust, La Chauve-souris, La Bohème, Les Contes d’Hoffmann
et Falstaff à l’Opéra de San Francisco ; Faust et Les Maîtres chanteurs
de Nuremberg au Lyric Opera de Chicago.
En Europe, elle a été acclamée à Vienne et Munich en Violetta (La
traviata) et en Eva (Les Maîtres chanteurs), rôle qu’elle a également
chanté à la Scala de Milan et à Covent Garden. Elle a incarné en outre
Donna Elvira (Don Giovanni) à Munich et Hambourg et le rôle titre de
Susannah de Carlyle Floyd à Genève. Elle chante fréquemment à
Vienne, dans des rôles comme Alice Ford (Falstaff), Musetta (La
Bohème), Salomé (Hérodiade), Nedda (Paillasse), Ellen Orford (Peter
Grimes), Irene (Rienzi), le Compositeur (Ariane à Naxos), le rôle titre
d’Arabella, Rosalinda (La Chauve-Souris) et Antonia (Les Contes d’Hoffmann). A la Scala, elle a chanté Marguerite (Faust), Arabella, Agathe
(Der Freischütz) et Alice Ford ; à Rome le rôle titre de Rusalka et La
traviata ; à l’Opéra-Bastille la Nouvelle Prieure (Dialogues des carmélites), Marguerite et Hanna Glawari (La Veuve joyeuse).
Nancy Gustafson s’est également fait remarquer comme une interprète exceptionnelle de Janacek. Depuis ses débuts en Katia Kabanova
au Festival de Glyndebourne, elle a repris ce rôle à Vienne et à la
Bastille ; elle a abordé Jenufa à Covent Garden, puis au Châtelet. Elle a
chanté sous la direction de chefs commeAndrew Davis, Colin Davis,
Riccardo Muti, Seiji Ozawa, Simon Rattle, Christian Thielemann.
Parmi ses enregistrements, citons L’Or du Rhin avec l’Orchestre de
Cleveland et Christoph von Dohnányi (Decca), la Deuxième Symphonie
de Mahler avec l’Orchestre philharmonique d’Israël et Zubin Mehta, La
Bohème avec Kent Nagano (ces deux disques chez Teldec), Pavarotti
and Friends 2, Le Tsarévitch et Le Pays du sourire de Lehár chez Telarc
et Hérodiade aux côtés de Plácido Domingo à la Staatsoper de Vienne
avec Marcello Viotti (RCA).
Nancy Gustafson a en projet Elektra et La Chauve-souris à Tokyo,
Les Sept Péchés capitaux et Peter Grimes à Vienne et la première mondiale de 1984, opéra de Lorin Maazel, à Londres. En décembre 2002,
elle a reçu le titre de Kammersängerin à la Staatsoper de Vienne.
16
Orchestre de l’Opéra de Lyon
L’Orchestre de l’Opéra est créé en 1983. Premier directeur musical
de l’Orchestre, John Eliot Gardiner reste à sa tête de 1983 à 1989.
Lui succèdent Kent Nagano, Louis Langrée et Iván Fischer.
L’Orchestre a participé à plus de soixante enregistrements audio et
vidéo avec des premières mondiales (Rodrigue et Chimène de Debussy,
La Mort de Klinghoffer de John Adams, Susannah de Carlisle Floyd,
Trois Sœurs de Péter Eötvös), des ouvrages présentés dans des versions
inédites (Salomé de Richard Strauss, Lucie de Lammermoor de
Donizetti) et des opéras rarement enregistrés (L’Etoile de Chabrier,
Dialogue des carmélites de Poulenc, Arlecchino, Turandot et Doktor
Faust de Busoni). L’Orchestre de l’Opéra a reçu la Victoire de la
musique de la meilleure formation lyrique ou symphonique en 1999.
17
LES INTERPRÈTES
ORCHESTRE de L’OPÉRA
Violons 1
Nicolas Gourbeix
Laurence Ketels-Dufour
Lia Snitkovski
Vassil Deltchev
Fabien Brunon
Maria Estournet
Calin Chis
Anne Vaysse
Florence Carret
Frédéric Piat
Magdalena Mioduszewska
Mathieu Schmaltz
Frédéric Angleraux
Anne-Céline Paloyan
Violons 2
Karol Miczka
Frédéric Bardon
Frédérique Lonca
Zorka Revel
Dominique Delbart
Sophie Moissette
Haruyo Nagao
Raphaëlle Leclerc-Gourbeix
Audrey Regnier
Céline Lagoutière
Gaël Rassaert
Anne-Laure Martin
Altos
Ignacy Miecznikowski
Donald O’Neil
Ayako Oya
Kahina Zaimen
Henrik Kring
Clément Schildt
Pascal Prévost
Maud Gabilly
Nagamasa Takami
Katarzyna Losiewicz
Violoncelles
Ewa Miecznikowska-Derbesse
Alice Bourgouin
Andrei Csaba
Henri Martinot
Naoki Tsurusaki
Jean-Marc Weibel
Noémie Boutin
Ludovic Letouze
Contrebasses
Jorgen Skadhauge
François Montmayeur
Richard Lasnet
Benjamin Hebert
Elmina Perrin
Peggy De Cicco
ORCHESTRE de L’OPÉRA
Flûtes
Julien Beaudiment
Catherine Puertolas
Gilles Cottin
Hautbois
Frédéric Tardy
Jacek Piwkowski
Patrick Roger
Clarinettes
Jean-Michel Bertelli
Sandrine Pastor
Christian Laborie
Jessica Bessac
Sergio Menozzi
Bassons
Carlo Colombo
Cedric Laggia
Nicolas Cardoze
Cors
Jean-Philippe Cochenet
Thierry Cassard
Etienne Canavesio
Pierre-Alain Gauthier
Trompettes
Philippe Desors
Pascal Savignon
Luc Delbart
Trombones
Eric Le Chartier
Gilles Lallement
Laurent Fouqueray
(trombone basse)
Tuba
Sergio Finca-Quiros
Timbales
Olivier Ducatel
Percussions
Sylvain Bertrand
Harpes
Sophie Bellanger
Fabrice Pierre
Rédaction
Sophie Gretzel
Conception & Réalisation
Brigitte Rax / Clémence Hiver
Impression
Horizon
OPERA de LYON
OPERA NATIONAL DE LYON
Place de la Comédie 69001 Lyon
Président : Gérard Collomb
Directeur général : Serge Dorny
tél +33 (0) 4 72 00 45 45
fax + 33 (0) 4 72 00 45 46
www.opera-lyon.com
L’Opéra national de Lyon est conventionné par le ministère de la Culture et de la Communication,
la Ville de Lyon, le conseil régional Rhône-Alpes et le conseil général du Rhône.
ORCHESTRE DE L’OPERA DE LYON
2e
SCHONBERG
STRAUSS

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