FLEURS de GIVRE - Bernard Bouillon

Transcription

FLEURS de GIVRE - Bernard Bouillon
BERNARD BOUILLON
FLEURS de GIVRE
Poésies
1
Bribes
J'ai jeté ma mémoire au flot pour que, passant,
Elle aille me quittant à jamais plus avant ;
Pour qu'unique pour moi je me reste étranger.
Et mes chemins cloutés, creusant, se sont fermés
Aux chocs superposés des pas répercutants,
Où mes mortes ondées s'en furent ressassant
Le posthume sanglot de leur flot prisonnier.
Damnation
Chaque coeur qui tressaille outrepasse mes bornes ;
Chaque regard poignant me perce une autre aiguille ;
Et l'univers cassé qui s'ensanglante informe
Coule à travers mon corps comme une larme vive.
Chaque jour je me suis plus étranger, plus sourd.
Partout la mort me guette et dans l'ombre m'assaille.
Pour absorber la nuit, mes fondements s'entr'ouvrent ;
Le vent qui passe et crie m'arrache les entrailles.
Je sais qu'Elle m'attend au bout d'un précipice ;
Elle me coupera le monde de mon sang,
Comme un départ exagéré de mes organes.
Et ma triste enveloppe ira, se dispersant,
Au sillons qui, sans fin, sous terre s'élargissent,
Nourrir des sommeils froids où les rêves se damnent.
2
Souvenances
La nuit revient.
On mouille mes carreaux.
Un corps, comme un étau,
M'étreint.
Je tombe.
Mais son ombre est plus loin,
Sa main
Qui sombre
Agite un au-revoir :
« Demain ! »
On tisse un cocon noir.
Mes yeux se brouillent.
Plaintif refrain,
Mes démons se répondent,
Leurs orages m'inondent.
Sans fin
Je plonge.
J'ai froid sur le chemin.
J'éteins
Mes songes.
Mon corps s'est engourdi.
Plus rien.
Mes chimères s'enfuient,
La nuit me souille.
3
Flottantes heures.
Avec difficulté,
Dans le vent mon passé
M'effleure,
Gémit
Aux branches de mes mains,
Et meurt.
Je suis
Un saule solitaire
Qui pleure.
Ma vie, dans la rivière,
Aveugle, roule...
4
Adieu
Elle tombait. Un gouffre ébloui comme l'ombre,
Brutal comme la peur, mouvant comme les nombres,
Vers d'inquiétants pays. Triste, brave, blessée,
Belle. Et l'étrange ciel, comme un sol basculé,
Dévorait à plaisir son image sans vie...
Moi qui me suis penché, j'ai vu sa tombe nue
Flottant édulcorée des fruits pharamineux :
C'était un coin de terre au fond des fins perdues,
Et s'en allait pulsée au vol des oiseaux bleus.
Je rendrai mes étés pour un autre au-revoir.
Je me dévêtirai de mes chastes retards
Pour fermer mon image au fléau des hivers.
Intrépide écheveau. J'affranchirai les mers
- N'oublie pas que je t'aime Jusqu'au retour farouche de mon futur pareil.
Ainsi qu'un vieux printemps je m'effilocherai,
Et sur le vent boudeur cloué sur son lit courbe,
- N'oublie pas que je t'aime J'érigerai mon échine au fer des promontoires ;
J'amoncellerai mes doigts au sel rouge des banquises ;
L'océan bourrelé, fêlé, s'épierrera ;
Je bâtirai maniaque au plus bas de l'automne
L'escalier gorgoné de mes caves sonores,
Autour du cercle enfreint des feux ressuscités
Où l'onde éparpillée confond l'enceinte unique.
Je nourrirai ton corps aux taudis des ruelles,
Au bas des marches froides où je hume l'hiver.
Je meurtrirai les cimetières à misère
5
Pour détacher des rocs tes éparses parcelles,
Et viendrai respirer l'amalgame argileux
Où ma semence diamantée durcit les pluies.
Je déconnecterai le dernier soir trop blanc
Où l'étau rauque gelait ton geste démuni.
Je te suivrai au chaud des plus mauvaises vies,
Des plus précieuses nuits,
Où des braises d'ivoire ont des voix d'outre-terre
Et des parfums de pluie...
Un soc de vent s'acharne aux parois aguerries
Du vide laborieux dont les plaines s'entourent :
C'est un bruyant pavois dont les voeux s'amplifient
Comme à murer le dieu qui dort au long des tours.
Il faut mentir encore à la dernière porte.
Je reviendrai t'attendre au pont des âmes mortes,
Où passait insensible, pour un voyage en berne,
Le flot décoctionné des amours riveraines,
Lourd convoi fatigué des vies imaginées.
N'oublie pas que je t'aime.
6
Antiquité
La brume chiffonnée que résurge la terre
Essuie au sol mouillé ses vapeurs calcinées ;
Sur les sommets rancis, des avalanches grincent ;
La bruyère épandue se pâme et s'exténue ;
La rocaille gauchit des fumées dentelées
Que rasent en impacts des sifflements mobiles.
J'entre dans une sylve où mes pas s'enchevêtrent,
Où ma pensée se navre et mon regard se vide.
De mols écroulements s'escarpent en échelles ;
Des agglutinements inégaux multiplient
Des murmures tachés d'étourdissements blêmes
Et des fanges germées de clapotis rugueux.
Jaunes et sautillants, des effiloche-nuits
Gambadent méprisants de clarté en écho.
Couvert d'un grand regard d'étoile souverain,
C'est le peuple de l'ombre aux surfaces curieuses,
Qui stagne spasmodique et dort à pleine terre,
Et qui respire en croix les ouragans du ciel.
Vieillard au bois rideur, un chêne millénaire
Trône au sommet froid de sa clairière lunaire ;
Ses bras noueux blanchis fouillent son nid de pluie
Et sa barbe de liane est maculée d'argile ;
L'écorce de son front tortueux crisse au souffle
Sec de la nuit ; fourchus, ses cheveux effrontés
Se hersent. Un brouillard de frisson blafard rampe.
7
L'herbe au pré actif du prophète des forêts
Danse, frappant sa verte et pâle sarabande.
Des feuilles grattent les nuages et jacassent.
Les rayons croupis qui se crossent effarés
Sur le lac affluent d'un grondement végétal ;
Et l'ancêtre remue son rire minéral.
Plus loin,
Ivre au vent de la plaine arpentée, je vacille ;
- Un vertige m'imprime au coeur sa glace rouge Et la terre accrochée tombe, écartée d'angoisse ;
Mes doigts fuient ; mes cheveux débattus s'enracinent ;
De moi, mes bras onglés s'élargissent, mêlés,
Et mon corps désaxé tournoie, se décompose,
Filamenteux s'évide et se métamorphose ;
Muré dans mon manège impossible,
Je crie...
Je pars et me disperse où l'univers m'informe.
Hélas ! je suis...
Je suis loin.
Un alarmant regard indéfini me guette.
Dans mon jardin ténu, le sol poudreux crépite
Pour un volcan fiévreux, caverneux, qui gigote.
Triste...
Sous un cristal, je suis le flot creux d'une grève,
Varech d'île au vol flou dont le ressac dérive.
L'étendue m'engloutit sa médulleuse alcôve.
Triste...
Dormant, j'entends l'appel dont se nourrit la pierre,
Des souffles familiers éparpillés en chaînes,
Qui roulent jusqu'au gouffre où mon caveau demeure.
8
Mon dos chenu retient la vie des mille siècles,
Marcheurs à pas comptés, lents, recroquevillés,
Qui vont creusant la terre en empierrant le ciel.
9
Orphée
Des fleurs de vent tombées d'un ciel de pierre
Jonchaient le pied fané du gibet millénaire.
Dans l'éclat noir des statues où roulaient des vertiges,
La lune nue mirait sa demi-rondeur vierge.
Sur la lande ensorcelée
Chassaient des hordes aboyeuses aux dents d'or.
Le guitariste aveugle aux doigts assassinés
Cherchait pour ses yeux morts sur le tombeau des astres
La coupe panachée des pierres à soleil,
Le feu gonflant le long du marbre armé d'orgueil.
Mais les statues d'or faux ne saignaient que pour rire.
De ses doigts émaciés, le calice éclata
En serpents qui, parlant, se muaient en tempêtes,
Et leurs yeux irradiaient le long des horizons.
Sous les masques moirés des planètes hilares,
Orphée s'est pendu.
Ses cheveux étoileront sa potence gelée.
Le vent hume son front ceint de clartés magiques.
La nuit narquoise ouvre un large fossé ferré
Où danse, effrontée, la céleste virgule.
10
Femelle
Elle maraudait, les pieds de boue, le nez d'étoiles,
Cantonnière des cours pierrées de marrons.
Le vent du soir hérissait des orages
A fleur de peau.
Les étoiles du dimanche au travers des murs
Clignaient à pleins regards.
Des bruits de départs sonnaient
Vertigineux comme des baisers ;
Et les maillons des interstices multipliaient l'infini.
Elle est belle. La lune la hèle, coureuse circulaire.
Son corps glorieux s'est épandu, pavé d'yeux ;
Mais le gel a bruni ses seins tachés de mains.
La nuit grivoise s'est gorgée de ses sueurs.
Puis, le froid l'a dénudée au pied des vieux hospices.
Elle couche à présent sur le grabat des puits ;
Les taupes l'éveilleront de leur prurit.
11
Fécondité
La forêt vive,
La forêt ramifiée aux berges dispersées
Inonde
La mer,
La mer lumineuse,
La roulante mouvance bleu dur,
Le long courant courbe moulé dans sa chute immuable,
Etreinte écrasée de ciel.
Je plane à mes forêts chargées de molleurs vierges,
Et mes chemins de sèves folles cascadent multiformes ;
Mes rivières apaisées chassent des blocs sonores
Aux grèves pailletées de la mer incendiée.
12
Accomplissement
Le jour s'ouvrait, cloches de feu ;
Le flux d'un matin monstrueux,
Navrant le délavé de l'heure,
Moulait d'un spongieux flambeau
Les clartés des rêves falots.
Gouttaient soleils dressés en pleurs.
Un creux d'horizon lobuleux,
Dégradé de fils tapageurs,
Moulait chrysalide en tombeau,
Nous réchauffait de sa frayeur.
Au bas, turbulente pâleur,
Un rire en fabuleux écho
Sonnait frappant rythme de coeur,
Et des tire-d'ailes honteux
S'enfuyaient tout à reculons.
Et j'ai songé pour ton Noël
Des figements ultra-célestes,
Fiévreux d'affolantes senteurs ;
Des pluies chassées des fonds d'Ouest
Où s'achevaient des arcs-en-ciel.
Un ciel s'évadant de nuages
Tombait en poussières stellaires,
Enchassait, montant en mirages,
L'océan d'inverse univers
Qui s'inscrivait de ton image.
13
DIABLERIES
14
Punition
Le diable, dieu moqueur, fainéant, revengeur,
Le diable à qui je ne crois pas, crétin volant,
Impatient suborneur de mes terreurs d'enfant,
Travesti, m'a rejoint sur mon chemin de leurres.
Et son ombre évidée comme un rêve impossible,
Son ombre unijambiste et jambe en l'air pendue
Crie dans ma voix : « Tu mens ! », et ma bouche exigüe
S'enflamme et se fissure en mots incoercibles.
Son doigt exagéré récuse mes viscères,
Et sa main dérisoire affiche sur son dos
Un manteau de mon cuir décollé de mes os.
Rasant la plaine obscène, ânonnant ses tonnerres,
A pieds multipliés sans vergogne je glisse,
Et, cachant mon péché, fuyant, je rapetisse...
15
Dictature
Les impassibles blocs meuvent leur lourd accord ;
Vaporisant les bords d'un souffle excavateur,
Le savant mécanisme aux vibrements sonores
Déroule et multiplie son complexe foreur.
L'infaillible machine où s'informent les corps
Leur octroie pesamment son baiser affuteur ;
Sa pénétrante étreinte imprègne leur effort
Et répercute en eux le sceau des vieilles peurs.
Comme un aigle au-dessus, l'Avion-Roc surveilleur
Déchaîne aux bouts mutins ses regards destructeurs,
Vomit à pleins trottoirs les appétits retors.
Et l'énorme engin tourne et marche sur les corps,
Et s'en va droit roulant sans rompre son retors
Où s'infuse et se tord son lancement hurleur.
16
Multiplication
Reclus de son boudoir scellé,
Assurant sa transe à trôner,
Glorieux où sa fièvre s'émeut,
Il livre d'aise oeuvre précieux.
Son reculons rétroversé,
Creusoir de ses pulposités,
Epanche, abyssal insurgeur,
Le retors serpent reveneur.
Transfigurant l'inverse autel,
Satan, le cul pointant le ciel,
Recueille en baisers faméliques
Les renvasements isocèles,
Pulsoirs de piétés prolifiques
Au tabou reposoir mystique.
17
Remords
Une ombre sort et fait cortège
Sur ses complaintes enfermées,
Et vomit saoule dans la neige
Ses mâles chemins renversés ;
Ses rigueurs tordent ses sanglots,
Rouges de larme et noirs de sang ;
Elle précède son sac d'os
Et sa peau sale envenimant.
S'avance et sans arrêt me vient,
Me tend interminablement
Le tour fluide d'une main
Martelée des échos souffrants.
Et sa voix passée qui m'appelle
Concède un nom indéfini :
« Je viens, tu sais, tu te rappelles,
D'une maison de viergerie ;
Tu signais d'un sang frauduleux
Mes parchemins de damnation. »
L'éclair reproduit de ses yeux
Sur un troussage lisse et rond
Comme un outrage d'enfant-fée
Projette à son ventre singeur
Toutes mes marques simagrées.
Puis, appâtant ses lorgne-coeurs,
Elle retrace ses baisers,
Echancre aux yeux cerne nouveau,
Pioche ses rides enlarvées
18
Et se drape d'un comme-il-faut.
Alors, sans bruit me traversant,
Et moi, sacrebleu ! l'étreignant,
Elle m'imprègne sans faiblir
De son incroyable sourire...
19
Refus
Au retour d'une nuit d'orgie et de mensonge,
Je cherchai pour l'hiver l'abri d'un cimetière,
Entre les murs brûlés de cryptes familières.
Dans le marbre incliné dormaient mes vieux fantômes ;
La pierre avait figé leur tumulte malsain.
Me vint, pores s'ouvrant aux quatre vents perdus,
Unique ondulation de sa bedaine triple,
Le menton couronné du pampre défleuri
D'un vieux verger violé, la Mégère sans borne.
M'exhiba son gros bout velu de tétin rose
Et dit, en rougissant sa roussaille lunaire :
« Je suis ta joie, je suis la déesse et matrone ;
Je suis ton népenthès, ton ambroisie, ton musc,
Ta morsure foireuse et ta morve confite.
Je suis l'ogresse en crue de tes virginités ;
Dans un rebrousse-poil, j'excrois pour une extase
Ton turgide grouillon fustigé à fusion.
Quand dans mon voluptuaire appétit tu nasardes,
Domestiqué d'un pli de ma poitrine énorme,
Mon antique ostensoir, ma crosse à bout fouineur
T'asperge des vapeurs du plateau des fumets
Recuit des perpétuels croupissements obscurs.
Car je suis la grand-mère insensée des poètes,
Qui porte en lait d'offrande universel inceste ;
J'appâte leur envie percluse et clandestine
Et je l'aiguise au feu de mon noir rissoloir.
Ainsi, inaugurant leur nubile ornement,
Relevés du bouquet des liqueurs intestines
20
Et oints sur mon autel d'impotence menstrue,
Leurs ceps édifieront ma graisse originelle. »
Alors, ses yeux chauffés éclatèrent multiples
Et sa bouche engouffra l'horizon révulsé.
Eperdu, je tranchai cette tête-appendice.
Puis je me déchirai comme un livre fané,
Et m'endormis, chagrin comme un enfant battu,
Sous des porches dorés pleurant en neiges folles.
21
Possession
C'était une rue tronquée, qui s'arrêtait au milieu.
Autour du centre creux s'agitaient
Les cahots erratiques,
Les cohues chaotiques,
Les clairons ronds,
Les roulements dévidés,
Les éclairs rampeurs du ciel menteur,
Des désordres de fils encombrant les angles morts
Qui, gonflant, emplissaient les maisons
Jusqu'aux toits denteleurs de nuages,
Prêts à déborder la ville.
Cela ferait scandale, ma foi.
Moi, je passais indifférent :
Peu me chalait assurément le circulaire énervement.
Le nombril de bitume était percé d'une plaque de bronze,
Fichée tel un anneau dans un nez de marbre,
Qui s'arrondissait en blasphème ;
Et une colonne de fumée grise,
Lourde comme une virgule,
Bobinait un horizon le long des barreaux de la ville.
Et des gens en cercle lorgnaient, guignaient,
goguenardaient.
Des dames enguirlandées vendaient leurs quatre saisons
sur le trottoir.
C'était Noël au lit de la rue.
En badinant me suis penché.
On entendait sous moi des bribes de murmures
22
Qui remuaient dans la fumée,
Des bouffées de rumeurs expirées des fissures.
J'ai soulevé la plaque,
Et descendu l'échelle.
Les gens hilares applaudissaient
En dansant sur la chaussée.
Je ne pouvais garder les yeux ouverts.
C'était un long tunnel taillé dans un miroir,
Forgé pour une chaufferie.
La rumeur s'étageait en cascade,
Enflant comme un orchestre marin.
Le corridor se poursuivit des lieues entières.
On y marchait sur du silence de diamant,
Sans peine, sans fatigue.
Mes paupières s'enfonçaient de plus en plus dans mes
orbites.
Quelque chose rodait.
Au contact de mes mains,
Ma peau moite étincelait électrique
Et mes cheveux tièdes sursautaient.
Ma bouche fermée s'était malgré moi exagérément
agrandie de l'intérieur.
J'arrivai devant une grande porte de métal.
Je cognai,
Mais mon poing s'échappa.
Je hurlai,
Mais ma voix s'éparpilla.
Or, la clef d'or était sur moi
Depuis plus d'une éternité.
23
Et j'ai vu...
Des armées impavides de longs troncs aux visages
fermés,
Sans yeux, sans bouches,
Grotesquement illuminés,
Qui marchaient mécaniques
Vers un navire de cristal à soc de fer ;
Des soleils de corail dans sa voile creuse,
Des éclaboussements d'archipels sur son flanc brut.
Puis des pics décharnés à visages humains,
Statues d'orgueil au front d'étoiles de vent.
Des escaliers de porphyre déversés d'un ciel rouge.
Sous des colonnades d'acier,
Une rivière de chants d'oiseaux.
Un palais s'ouvrait comme un pétale d'ombre chaude.
Quand je touchai le seuil,
Un regard de volcan démasqué me renversa,
Hurlant son feu criard sur le rictus de mes dents froides,
Sur mes yeux élargis,
Sur mon ventre agrippé sans vergogne.
Alors, tout mon corps se détacha de moi.
Quand j'émergeai de la bouche d'égout,
Trois pas d'enfant plus loin,
J'étais rouge et nu,
Et je riais encore.
Nul ne sut déchiffrer mon babil :
On m'appréhenda tel un voleur de billes.
Ou de mandragore.
24
BADINERIES
25
Petites pièces écrites avec un rayon de lune.
Le volcan
« Papa ! Papa ! Viens voir ! Au bout de ton jardin,
Il nous pousse un volcan ! − C'est la bête aux rochers,
Mon fils, qui se nourrit d'enfants ; quand elle a faim,
Sa langue brûle plus qu'un soleil de l'été. »
« Papa ! Je t'en prie, viens ! Cela chauffe les pieds,
Ça fume, souffle et crache ainsi qu'Oncle Jérôme.
− Nul volcan ne vaudra la chaleur du foyer,
Mon fils. Ton innocence est un sacré royaume. »
« Papa, j'ai peur : il mord, il gronde, il éternue,
Sa gueule énorme a pris Jean, le petit voisin ;
C'est un ogre ; à présent, il mange ton jardin... »
Des mers de feu coulaient quand le père accourut ;
Déjà le petit monstre, en ses terribles jeux,
Tonnant sur la colline, escaladait les cieux...
26
Le café
Je suis un bon café. Je suis
L'arôme du logis, la paix
Des coeurs ; mon philtre indéfini
Réveille au palais des secrets.
Je donne aux hommes ma substance ;
Haine et colère à ma caresse
Patientent, et les maux se pansent
En mon insoucieuse ivresse.
Je suis un sourire, et l'amour
N'est pas mon moindre serviteur ;
Pour les coeurs réunis autour,
A l'envi s'entassent les heures.
Parfois on m'observe, et pour moi
Rient ou pleurent de pauvres gens ;
J'en frémis ; à cause de moi
S'écoulent des destins sanglants.
J'ai un maître, et je suis son monde,
Son musc, son ambroisie, sa foi ;
Je prends ses pleurs, ses joies profondes,
Ses feux, − et parfois je le noie.
Je suis un bon café, je suis
Le rayon d'un soleil lointain ;
Je suis un rêve d'infini,
L'espoir des innocents matins.
27
Ver de terre
Un ver de terre,
Avec de grands yeux verts,
Qui erre
Au clair d'éther ;
Un ver.
Ça lève des regards de verre
Pleins de larmes amères,
Un soir d'hiver.
Ça espère
Sous la lune
Pâle.
« Amour, décroche m'en une... »
Et le ver se suicide en pleurant aux étoiles.
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29
Légende
d'un siècle ou deux
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Légende d'un siècle ou deux
Avec mille excuses au grand Victor.
En ces temps reculés où les géants régnaient,
Dans son antre vivait, prophète solitaire,
Un ermite entouré d'un fabuleux mystère.
Un jour, à des mortels il livra ce secret :
« Fils, des nuits agitées tourmentent de Nature,
Comme un enfantement, le sommeil douloureux.
Et ce rêve brûlant me hante depuis peu,
Qui me parle de mort, de peur et d'imposture.
Même conflit pétrit l'humain et le divin.
Quand le flambeau des jours trace son cours changeant,
Son Verbe victorieux parcourt les continents.
Les peuples temporels craignent son vol d'airain.
Pareil à la journée change le cours des âges :
Quand le char du Destin culmine à son zénith,
Le roc pesant frémit, l'onde d'éther s'agite.
L'éternité connaît perpétuel voyage.
Fils, mon âme habitée des courants souterrains
A vu dans son repos l'image surprenante
De trois graines unies en un seul tronc croissant,
Qui renversaient soudain les arbres souverains.
31
Un jour prochain, mortels, des milliers de soleils
Aveuglants, meurtriers, ouvriront dans les cieux
Une immense blessure, et des ruisseaux de feu
Couleront longuement comme un grand sang vermeil.
Les ondes ce jour-là ne seront qu'un brasier,
La glaise brûlera, les airs s'incendieront ;
Comme au premier Néant, les éléments feront
Le Tout sempiternel, créateur et créé ;
La lumière sera semblable aux nuits profondes,
Et la voix gigantesque à l'écho de l'abîme ;
Sept ciels resplendiront d'un nouveau feu sublime ;
Et l'on s'étonnera d'une mort si féconde. »
Le prophète se tut. Il plissa tristement
Son large front pensif, et de ses grands yeux clairs
Il regarda le ciel : « Ainsi va l'univers ;
Toujours l'ombre et le feu s'en vont guerre livrant. »
Et bientôt, sur la voûte émaillée d'astres d'or,
On vit naître – ô prodige – une étoile nouvelle.
Elle semblait venir d'une faille du ciel,
Et sa lumière avait la couleur d'une aurore.
Elle resplendissait d'un inquiétant éclat
Sur la céleste voie. Du sombre firmament
Le visage éthéré blêmissait lentement.
– Dans son antre, ce jour, le prophète expira.
32
En son palais d'azur, Jupiter sommeillait.
Depuis longtemps déjà point n'avait de soucis,
Son foudre faisant loi, de chacun obéi ;
Son domaine infini de la Paix jouissait.
Sur la céleste boue des espaces lointains,
Des traces martelées s'effaçaient lentement,
Les crevasses buvaient des flots bleuis de sang,
Les vestiges derniers du grand combat divin.
Le grand Roi reposait dans son lit de nuées,
Et son souffle apaisé baignait de bouffées tièdes
Les fertiles contrées et les montagnes raides
Où ne chasseraient plus Sirocco ni Borée.
Aux cimes étoilées, la citadelle fière
Retentissait des cris et des joyeux ébats
De mille dieux en fête aux arrogants éclats.
La flûte enchanteresse aux longues notes claires
Du grand Pan aux chants d'or emplissait d'harmonies
L'Olympe délecté des vapeurs de l'encens ;
Des coupes de cristal aux reflets ondoyants
Ruisselaient de nectar, de musc et d'ambroisie ;
Les accords langoureux des harpes sidérales
Ravissaient tous ces coeurs enivrés de senteurs,
Berçant de mélodie et d'effluve enchanteur
Tous ces dieux subjugués de voluptés astrales.
33
Peu à peu s'apaisaient les célestes orgies ;
Nul ne voyait encore, au creux des clartés pâles,
Un visiteur étrange, auréolé d'étoiles,
Sur la voie constellée, loin, marchant sans un bruit.
Las du trépignement du cénacle encombré,
Le maître retiré sur le Mont Olympien
Ne daignait se soucier qu'un désordre divin
Ruinât de ses états la céleste Beauté.
La nymphe se plaignait qu'un indiscret satyre
Sans vergogne lorgnât de ses trésors secrets
Les profondeurs cachées. Vénus, elle, rageait
Que Mercure le fier que les astres inspirent
Échappât seul aux traits du preste Cupidon
Qui se désespérait de ce mauvais vouloir.
Vulcain jaloux guignait d'un oeil avide et noir
Le foyer rutilant du fringant Apollon.
Les Enfers contestaient, pleins d'esprits séditieux.
Charon l'avaricieux empilait des défunts
Les oboles d'argent ; il jugeait opportun
De fortune amasser pour acheter les cieux.
Ce fut en ces instants de céleste anarchie
Qu'on s'en vint annoncer à Jupiter repu
Qu'un étrange étranger voulait qu'on le reçût.
D'avoir gravi les cieux, l'audace était impie !
34
Jupiter, revêtu de toges de vermeil,
Quitta non sans fureur son lourd sommeil de roi,
Bâilla, puis ordonna qu'on Céans amenât
Le quémandeur naïf qui troublait son réveil.
« O puissant Jupiter ! Entends ma voix enfin !
Je suis l'oracle immense, et je parle en mes cieux :
L'Olympe est mon vassal ! » Devant tel prétentieux,
Jupiter s'esclaffa d'un grand rire divin ;
Le gigantesque éclat jaillit, retentissant,
Ébranlant l'infini d'énormes soubresauts ;
Le ventre de la Terre, à cet immense écho,
Tressauta longuement de joyeux tremblements ;
La houle suspendue, l'Océan, ahuri,
Déferla brusquement en hilares sanglots,
Secouant la marée, les vagues et les flots,
Engloutissant sous lui soudain quelques pays.
Chacun de s'égayer à la céleste Joie.
Mais l'étranger farouche aux yeux étincelants
Lança son fier défi : « Empereur décadent !
L'impérial univers m'est domaine de droit !
Tremble, grand Jupiter ! Car en un je suis trois,
Je réunis en moi vouloir, pouvoir et science.
Devant ma volonté, tu n'es plus qu'impuissance.
Jupiter, à genoux ! Le monde est sous ma loi ! »
35
Le céleste empereur fronça son noir sourcil,
Et son oeil flamboyant projeta des éclairs ;
De l'ire épouvantées, les nuées reculèrent ;
Devant ce grand courroux, le firmament blêmit,
La Terre s'étrangla dans son hoquet sonore.
Jupiter furibond ceignit son foudre ardent :
« Tu sauras, misérable, imposteur, mécréant,
Que je fus un grand roi, que je le suis encore ! »
L'univers fut alors le théâtre effroyable
D'un conflit sans merci. Le tonnerre gronda
Au sommet de l'Olympe, et l'onde en frissonna ;
Et les chocs forcenés sonnaient épouvantables.
Jupiter maniait son foudre flamboyant,
Mais l'étrange ennemi semblait invulnérable,
Il ébranlait les cieux de ses coups formidables,
Et le feu de partout hurlait en s'abattant.
Dieux ! Que d'efforts perdus ! – Cependant qu'au palais,
Un temps désarçonnée, la Cour se ressaisit :
Comment aider le Maître ? On ne peut pas. C'est dit.
Pourquoi s'embarrasser ? On ne pourra jamais !
Sous des feuilles de myrte invisible et patient,
L'Amour banda son arc : sa flèche roide au coeur
De Mercure embrasé l'étonna de bonheur
Aux blancs pieds de Vénus troublée de ses serments.
Brisant ses fers, Sysiphe en un juron cracha
Son mépris monstrueux, et d'un immense ahan,
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Abattit son rocher sur ses gardiens hurlants,
Puis, récusant les cieux, défia Zeus renégat.
Hercule impétueux, géant concupiscent,
Sur Pégase piaffant soudoyé pour complice,
Sans vergogne enleva Vesta, et, de délice
Ils purent, sur l'Œta, se consumer longtemps.
Lentement, patiemment, sous Terre, les Titans
Démantelaient leurs fers, remuaient leurs montagnes.
Ils surgirent bientôt, d'une vengeuse poigne
Escaladant les cieux. Et Jupiter, pleurant,
Vit son palais brûler dans la nuit dévastée.
Sur le noir canevas démesuré des cieux,
Son destin s'inscrivait dans ces lettres de feu.
Déjà, démesuré, s'avançait l'étranger :
Son oeil étincelait d'une guerrière joie ;
En un éclair il vit la victoire espérée
A portée de son bras. Il se vit couronné,
Et l'ombre constellée du diadème des rois
Sur son céleste front resplendit un instant.
Lors, rassemblant en lui des forces d'infini
Et l'énergie de tout l'univers, il brandit
Vers les cieux horrifiés son glaive flamboyant...
Le choc fut effroyable : un foudre monstrueux
Aux éclairs aveuglants démantela l'azur
Dans l'immense incendie d'un grand soleil obscur.
L'horrible flamme avait broyé le roi des dieux...
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Étoiles, galaxies, temples éblouissants,
S'allumèrent soudain de mille glaces d'ombre
Qui firent rougeoyer d'étranges lueurs sombres
Sur les sept ciels fendus d'où suintait le Néant.
Gigantesques statues, les nébuleuses bleues,
Sur leur socle d'éther, doucement s'affaissèrent ;
A leurs pieds, lentement, de blanches fleurs de pierre
Naquirent du sang d'or qui coulait de leurs yeux.
Et, tandis que le gouffre effrayant des ténèbres
Engloutissait au loin la comète glacée,
L'univers disloqué longtemps retentissait
D'un grand fracas d'airain et de longs cris funèbres.
Là, blêmes et hagards et de terreur transis,
Dieux et divinités, humains, bêtes et plantes
Se taisaient. On ouit alors, tout bas, tremblante,
Une voix murmurer : « Les dieux meurent aussi ?... »
L'épouvante envahit tous les grands coeurs divins :
Neptune replongea, terrifié, dans les flots ;
Phoebus laissa son char et ses ardents chevaux ;
Mercure s'envola, abandonnant soudain
Vénus et Cupidon. Sur Terre, la nouvelle
Fit souffler de l'horreur l'immense vent glacé ;
Elle fit s'envoler les elfes en nuées,
Flèche embrasée au coeur d'un vol de tourterelles.
Le lion lâcha sa proie ; le poisson s'enfonça
Dans les abysses froids, le serpent dans la vase,
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Le loup dans sa tanière ; et sur la plaine rase,
Tout ne fut que désert. Bref, chacun se cacha.
Puis, bientôt, l'infini souleva quelque peu
Le long manteau de nuit dont il s'était voilé ;
Le silence un instant se tut pour écouter,
Et l'astre, en hésitant, ouvrit un oeil, puis deux.
De la mer le visage angoissé de Neptune
Émergea, ruisselant et d'algues maculé ;
Apollon déchira la nuée : terrifié,
Il s'était éclipsé dans l'ombre de la lune.
Se dressant, magnifique, au bord d'un promontoire
De lumière et de feu, majestueux et fier,
Le vainqueur tout-puissant dominait l'univers,
Auguste et généreux, resplendissant de gloire.
A ses pieds s'assemblait, hommages déposant,
Le cénacle tremblant d'une céleste peur ;
Tous ces dieux respiraient une grande terreur.
Son Verbe retentit, impérial, rassurant.
Chacun, craintif et pâle, ouit l'immense écho :
« Divinités, mortels, défunt est Jupiter.
Il gît dans le brasier de ma rouge colère.
Le Néant engloutit ses vestiges royaux.
Ce temps s'en est allé, l'époque saturnale
De la contemplation des Beautés Eternelles.
Que désormais Je sois principe universel,
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Charitable à l'aimant, terrible au déloyal.
Un matin somptueux s'ouvre aux cieux rénovés.
Sur l'Olympe rasé, pour harmonie nouvelle
J'établis mon Eden. En nom de Saint-Michel,
Mars le vaillant soldat en gardera l'entrée.
Au royaume de l'ombre où l'Achéron se perd,
L'âme se purgera du supplice du temps
Pour les péchés mortels. Sous le nom de Satan,
Charon le ténébreux gardera mon Enfer.
Là, les damnés fuyeurs de l'opprobre sacré,
Gémissant dans le feu de mon courroux divin,
Sauront leur destinée comme chute sans fin
D'un Paradis perdu pour prix de leur péché.
Un jour viendra, pourtant, où l'archange Lumière
De mon Verbe clément dira la rédemption.
Alors mourra le monde, et les cieux s'ouvriront.
Satan prendra ma dextre, archange Lucifer.
Mon Pardon magnanime alors viendra baigner
La Terre et l'univers ; du Soleil mon foyer,
Mercure, en Gabriel, céleste messager,
Sonnera le matin du Jugement Dernier. »
Ainsi mourut aux cieux l'ordonnance d'antan ;
Chaque dieu fut un ange aux ailes mordorées,
Et chaque demi-dieu fut saint auréolé.
L'impitoyable Mars obtint un glaive ardent.
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Vénus pensa longtemps. Puis, un jour, on la vit,
Drapée dans sa candeur, voilée de chasteté,
Dédaigneuse à jamais de ses amours passées,
En sa virginité prendre pour nom Marie.
Vulcain, dépossédé, d'une immense colère
Sentit son coeur brûler ; et, d'un geste rageur,
Il jeta, dans la cendre à jamais sans chaleur
De son foyer détruit, les armes de lumière
Que dans un bel élan on l'avait vu forger
Pour le maître nouveau ; et, dans son désespoir,
Ses yeux laissèrent choir de longues larmes noires
Sur le monde à présent bien mal ordonnancé :
Charon, le répugnant nocher du Styx fangeux,
Trônait en demi-dieu dans le brasier nouveau
De son enfer vengeur, adulé du troupeau
Criard et malfaisant de ses suppots chassieux !...
Charon, en fait, près d'un feu d'olivier, songeait,
Flattant sans y penser l'échine fatiguée
D'un dragon pustuleux, son monstre préféré.
Aux lueurs du brasier, son oeil noir rougeoyait.
Un jour, il le savait, il serait Lucifer,
Archange, presque Dieu ! Mais lui, malin esprit,
Digne de contempler éthers et infinis,
Il soufflait dans la braise et les vapeurs d'Enfer !
Il regrettait la mort du fidèle Cerbère,
Le farouche gardien d'Erèbe ténébreux.
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En pensant à ce monstre implacable et hideux,
Ses yeux glauques parfois fondaient en pleurs amers...
Mercure, lui, ravi de ses nouvelles ailes,
Planait insoucieux au clair des galaxies,
Et caressait la queue des comètes transies,
Éternuant au flux des poussières rebelles.
Mais un jour, par mégarde, il se pencha au bord
Mouvant mais tentateur d'un abîme cosmique.
Et, se prenant soudain d'un vertige mystique,
D'une aile laissa choir un brin de plume d'or.
En son trouble il crut voir que prenant son élan,
Elle s'illuminait vers de nouveaux rivages,
Inscrivant derrière elle un mystérieux message.
Qui lirait cette phrase ? En quel lieu ? En quel temps ?
Alors Dieu le manda dans son Eden. Il lui dit :
« Mercure-Gabriel, archange annonciateur,
Mon féal, mon enfant, voici venir ton heure.
Tu vas pouvoir clamer un mystère... inédit.
En mon Livre, il fut mis de ma sainte Écriture
Que la Vierge par moi dût être visitée.
Dis-lui que mon Esprit va bientôt l'habiter.
Tu connais mieux que moi son aimable nature,
Porte-lui mon message, et que ma Sainteté
La pénètre et féconde en ton intermédiaire.
Puis qu'elle cherche aux cieux ta plume de lumière
Qui guidera ses pas vers un nouveau foyer.
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Va, descends sur la Terre, et proclame Noël :
Que Vénus en Marie fasse naître la paix. »
– Déjà, d'elle, en Jésus, Cupidon s'enfantait...
« Une résurrection », annonça Gabriel...
Ce qui, conçu, dit-on, du Saint-Esprit de Dieu,
Conférait à l'enfant un tiers de l'Un sacré.
Puis il se fit mortel pour mieux ressusciter
Et retrouver des cieux le chemin périlleux.
Dès lors régna nouvel ordre dans l'Absolu,
Triumvirat d'un Dieu dans sa triple Unité,
Le Père étant son Fils et le Saint Messager,
Et l'enfant d'une Vierge immaculée conçue.
Mais la Paix s'étiola. On vit un beau matin
D'effroyables conflits : Saint-Michel et Satan...
Dieu furieux, en menace aux deux belligérants,
D'un nouveau Prométhée jeta verbe divin...
Prométhée ! A ce nom il répondit un cri.
De la voûte des cieux l'obscure immensité
Se fondit en un feu d'ardente éternité,
Et le vent du silence au fond de l'infini
Se figea, et vomit son hurlement de mort.
De la terre embrasée jaillit un bras horrible ;
Des ténèbres glacées sortit alors, terrible,
Brandissant vers le ciel le glaive de son sort,
L'HOMME !
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Appendice
L'homme démesuré sillonnait des aurores
Où, du bord craquelé d'horizon sidéral,
Un soleil bleu se gerce en déroutant fanal.
Il regardait les feux sanglants maculés d'or.
Il voyageait ainsi depuis des millénaires.
Sa main avait empreint des mondes effrayants.
Ayant vaincu la mort, l'espace, et puis le temps.
Ayant même oublié ce qu'on appelait « Terre ».
Dans sa nef élancée, près d'une galaxie
Où dans l'énorme enfer des forges qui palpitent
Un monstrueux foetus astral parfois s'agite,
Le céleste titan se dévorait d'ennui.
Il lisait un vieux conte, et vit sa main trembler.
Mais face à son hublot, le sol se rapprochait,
Celui d'une planète aux fabuleux secrets.
Il atterrit sans bruit sur ce sol irisé.
Un peuple l'attendait, dans la plaine assemblé.
Mais quel étrange foule ! Ici, point d'élégance,
De corps gracieux, de front hautain d'intelligence...
Peuple rampeur, difforme, à corps multipodé,
Et qui l'applaudissait comme un grand voyageur
De retour au pays... Aux yeux, mille facettes
Brillaient de gentillesse en harmonie parfaite.
Des millions d'animaux l'acclamant en vainqueur !
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Puis l'un d'eux s'approcha. Du bout de son antenne,
Il effleura son casque. Alors dans le cerveau
De l'homme abasourdi jaillit un flot de mots
Dont les accents formaient une voix surhumaine :
« Nous t'attendons depuis plusieurs millions d'années.
Nous devinions qu'un jour ton modeste intellect
Te hisserait au rang de nous autres, insectes.
Voici l'oeuvre accomplie, digne de figurer
Dans les livres sacrés. Car après l'araignée,
L'abeille et le bourdon, la fourmi, le cloporte,
Enfin l'humain rejoint la céleste cohorte. »
Et le surhomme, alors, se sentit fatigué.
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