LE TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL POUR LE RWANDA ICTR

Transcription

LE TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL POUR LE RWANDA ICTR
1
LE TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL POUR LE RWANDA
ICTR- 98- 44 – T
CHAMBRE N° III
Devant : Juge Denis C.M. Byron, Président
Juge G.Gustave Kam
Juge Vagn Joensen
Greffier : Mr. Adama Dieng
Date : 19 / 10 / 2009
LE PROCUREUR
Contre
JOSEPH NZIRORERA
___________________________________________________ _______________________
D E C L A R A T I O N L I M I N A I R E ( Art. 84 , R P P )
___________________________________________________________________________
_
LE BUREAU DU PROCUREUR
Mr. Don Webster
Mr. Saidou N’Dow
Conseils de la défense de Joseph Nzirorera
Mr. Peter Robinson
Mr. Patrick Nimy Mayidika Ngimbi
Conseils des Co-Accusés
Ms. Dior Diagne Mbaye et Mr. Félix Sow pour Edouard Karemera
Ms. Chantal Hounkpatin et Mr. Frédéric Weyl pour Mathieu Ngirumpatse
2
Monsieur le président,
Honorables juges,
Conformément à l’article 84 du Règlement de procédure et de preuve en vigueur devant le
TPIR, j’ai l’honneur et le devoir de vous présenter la déclaration liminaire de la défense de
Joseph Nzirorera.
1.« Je n’ai tué personne, ni donné aucun ordre de tuer à qui que ce soit…Vous seuls pouvez
me réhabiliter dans la société ». Telles furent les dernières paroles adressées à ses juges au
dernier jour de son procès, le 1er juin 2007, par un accusé devant une autre Chambre que la
nôtre dans le cadre de ce Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR).
2. Pour toute réponse à son innocence clamée tout haut avec espoir d’être réhabilité par la
justice, il a écopé d’une condamnation à perpétuité en décembre 2008. Comme bien
d’autres avant lui, tous des leaders civils et militaires hutu, mis en accusation devant le TPIR
et condamnés à passer le restant de leur vie en prison, sans que leur culpabilité n’ait été
véritablement établie par des preuves sérieuses et crédibles, au-delà de tout doute
raisonnable.
3. Aussitôt après cette condamnation, le régime actuel de Kigali (par la voix de son
gouvernement) s’est félicité de cette nième condamnation à perpétuité, estimant que «
justice avait été rendue » ; le Département d’État américain s’en est réjoui, considérant qu’il
s’agissait « d’une avancée importante de la justice » ; le secrétaire général de l’ONU s’est dit
ravi à l’idée qu’ « un pas important contre l’impunité des responsables les plus sérieux »
venait d’être franchi.
4. Seul le jugement implacable de l’Histoire nous dira demain, dans dix, quinze ou vingt ans
si, aujourd’hui, à travers cette lourde sentence et d’autres qui l’ont précédées devant ce
Tribunal pénal international : a) « justice a été rendue » ; b) «une avancée importante de la
justice » a été réalisée ; c) « un pas important contre l’impunité des responsables les plus
sérieux » du terrible drame rwandais a été franchi. « Responsables les plus sérieux du drame
rwandais » dites-vous ? Pour notre part, nous avons des raisons d’en douter, même sans
attendre le verdict de l’Histoire. « Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose ».
5. Mais avant toutes choses, nous tenons à saluer la mémoire de toutes les victimes du
drame rwandais. Nous déplorons tous ces milliers de morts, Twa, Tutsis, Hutus, militaires et
civils, jeunes et vieux, hommes et femmes, qui ont été tués, assassinés de façon parfois
atroces au cours de ces conflits armés et de ces affrontements intercommunautaires (Hutus
et Tutsis) et intracommunautaires (Tutsis contre Tutsis ; Hutus contre Hutus).
3
6. Aucun homme de bon sens, de cœur et de raison ne saurait cautionner l’idée de
destruction volontaire de la vie d’autrui. La morale la condamne ; le Droit national et
international la condamne. Voilà pourquoi notre système de défense dans la présente cause
ne consistera pas à justifier le massacre des Tutsi simplement par les massacres commis par
le FPR et ses milices Tutsi contre les Hutus. Nous ne nous focaliserons pas non plus, comme
l’a fait le procureur, exclusivement sur la seule et unique question, à savoir : « pourquoi des
Tutsis ont-ils été tués? Combien de Tutsis sont-ils morts ? ». Nous considérons, en effet
qu’une telle approche serait réductrice de la vérité et du mandat du TPIR. Ce mandat nous
oblige tous, avocats, procureurs, juges, face au drame rwandais de 1990 à 1994, à nous
poser cette autre question tout aussi pertinente : « pourquoi des Hutus ont-ils été tués ?
Combien sont-ils morts ? Qui les ont-ils tués ? En considérant que, sauf un choix arbitraire et
partisan opéré à l’avance et dicté par des intérêts extrajudiciaires, rien dans le dossier de ce
drame n’autorise de discriminer les victimes et les bourreaux selon qu’ils seraient Hutus ou
Tutsi.
7. Serions-nous des naïfs, nous qui croyons que le TPIR n’a pas été institué comme un
Tribunal de règlement de comptes politiques contre les Hutus au profit des Tutsis du
Rwanda ?
Serions-nous des naïfs, nous qui croyons que le TPIR a été institué comme un organe
judiciaire appelé à dire le droit, tout le droit et rien que le droit sur le drame rwandais dans
son ensemble ?
Serions-nous des naïfs, nous qui croyons que les juges de ce TPIR doivent accomplir leurs
obligations avec professionnalisme et indépendance face aux pressions de toute nature et
de toutes origines, nationales ou internationales ; face à la propagande et aux idées reçues
véhiculées comme des certitudes, distillées comme des vérités absolues dans l’opinion
publique et dans le conscient collectif par des partisans fanatiques et des associations
corporatistes déclarées ou non, pro-FPR et pro-tutsi?
Serions-nous des naïfs nous qui croyons que les témoignages de quelques rares personnes
intègres finiront un jour par faire triompher la Vérité et la Justice ou, tout au moins,
confondre les préjugés de tous ceux qui ne voient l’épineuse question rwandaise qu’à
travers le prisme du mensonge ou de la passion, et cela au grand dam de la Réconciliation du
peuple rwandais ?
8. La défense de Joseph Nzirorera, dans la présente affaire, entend s’inscrire dans une
démarche logique simple, mais claire : Identifier les Faits ; S’appuyer sur les Faits ; Conclure
en droit et en fait à partir des Faits. Contre l’amalgame, la falsification, les idées reçues, le
mensonge. Dans ce procès, nous avons affaire à des crimes de masse, horribles, mais
commis par des individus (seuls ou en groupe) et non à des crimes d’État commandités par
4
des responsables politiques au sommet de l’Etat, selon un plan ou une entente criminelle
avérée.
9. Que nous révèle un bref rappel de l’histoire et du contexte rwandais ? En effet :
1. Avant le 1er octobre 1990, le Rwanda était un pays connu pour sa stabilité
politique, son esprit de paix et de concorde nationale, retrouvée depuis 1973 entre ses
communautés ethniques Hutu, Tutsi, Twa. En effet : a) Le Rwanda est constitué de
communautés « ethniques » Hutu, Tutsi et Twa, avec une forte bipolarisation
intercommunautaire entre Hutu (85%) et Tutsi (14%) depuis la nuit des temps.
b) Libérée de la suprématie politique et
sociale tutsi en 1959, les leaders politiques hutu ont accédé au pouvoir politique au Rwanda
depuis cette date jusqu’en juillet 1994 avec l’avènement du FPR au pouvoir.
c) En dépit de graves violences
intercommunautaires ayant marqué les années 1960, 61, 62, 63 et plus tard 1973 dont
certains Tutsis eurent à payer un lourd tribut, le coup d’Etat militaire de Juvénal
Habyarimana le 5 juillet 1973 instaura une nouvelle ère de détente et d’entente cordiale
entre les communautés autrefois antagonistes et des horizons nouveaux pour le
développement d’un Rwanda uni, stable, bien considéré et respecté par ses partenaires du
monde ; depuis lors le Rwanda était considéré comme un havre de paix
2. Le 1er octobre 1990, le Rwanda a subi à partir de l’Ouganda voisin une
agression armée d’un mouvement politico-militaire appelé « FPR-APR », mais en réalité
« FPR/APR/NRA ».
10. Malheureusement, à partir de ce 1er octobre 1990, l’agression militaire du FPR/APR/NRA
remettra à zéro tous les compteurs qui marquaient l’évolution de la paix, de l’unité, de la
concorde et du développement au Rwanda. C’est un fait historique de notoriété publique
confirmé par les propos du prêtre Tutsi Justin Kalibwami, témoin privilégié des relations
entre les différentes ethnies du Rwanda durant le régime du Président Habyarimana. Selon
ses termes « La guerre du FPR contre le Rwanda a terni les relations qui existaient entre les
Hutu et les Tutsi alors que celles-ci s’étaient considérablement améliorées depuis
l’avènement de la deuxième République le 5 juillet 1973 et l’instauration du MRND,
Mouvement Révolutionnaire National pour le Développent, le 5 juillet 1975 ».1
1
Justin Kalibwami : Le Catholicisme et la Société Rwandaise, pp 545-556. Dans l’ouvrage de Mrg
André Perraudin intitulé « Un évêque au Rwanda, page 121 », l’évêque reprend in extenso la citation
de cet ancien prêtre tutsi Justin Kalibwami : « Le Tutsi aurait mieux aimé être sous les ordres d’un
Tutsi injuste que d’être commandé par un Hutu honnête. Le Tutsi est bien raciste, on ne saurait jamais
assez le dire. » Voir aussi Livre Blanc, p.105.
5
11. En ce 1er octobre 1990, le territoire du Rwanda, un État souverain, membre des Nations
Unies et de l’Organisation de l’Unité africaine (devenue plus tard, Union Africaine), a fait
l’objet d’une agression armée, venue de l’Ouganda voisin, menée par le FPR, dit « Front
patriotique rwandais-Inkotanyi », un mouvement politico-militaire formé principalement,
mais pas uniquement, de tutsis rwandais, réfugiés en Ouganda depuis 1960. Des tutsis
rwandais parfaitement intégrés dans la société ougandaise. Beaucoup parmi eux s’étaient
fait recruter dans l’armée, dans l’administration et dans d’autres services publics ougandais.
Comme tels, ils relevaient de l’autorité politique et militaire ougandaise. Les militaires
faisaient partie d’une armée régulière, celle de l’Ouganda, la National Resistance Army
(NRA) qui pourvoyait à leur équipement militaire, veillait à leur discipline et assurait leur
subsistance. Les combattants du FPR, issus de cette armée, avaient obtenu la nationalité
Ougandaise et disposaient, de ce fait, de documents d’identité ougandais. En tant que
militaires de la NRA, les envahisseurs du Rwanda d’octobre 1990 étaient donc sous le
contrôle direct de l’État ougandais qui, par conséquent, est responsable de l’agression
commise par des militaires ou des groupes sous son contrôle.
12. Le Président de l’Ouganda Yowéri Museveni a reconnu que les agresseurs du Rwanda
étaient membres de la NRA, mais qu’ils avaient déserté l’armée. A lui seul, cet aveu du
président Museveni suffit pour impliquer et confirmer la responsabilité de l’Ouganda dans
l’agression contre le Rwanda.2 Il convient, d’ailleurs, d’observer que ces prétendus soldats
déserteurs n’ont jamais encouru aucune sanction. Bien au contraire, ils ont continué de
bénéficier du soutien du Gouvernement de l’Ouganda et des facilités de l’armée
ougandaise. Mieux encore, Ils ont continué de se servir tranquillement du territoire
ougandais comme sanctuaire à partir duquel ils pouvaient mener leurs actions de guerre et
de dévastation contre les populations civiles et les infrastructures économiques du Rwanda.
13. De leur côté, certaines puissances occidentales, notamment, les États Unis d’Amérique,
la Grande Bretagne et la Belgique, plutôt que de dissuader le gouvernement de l’Ouganda
dans son implication et son soutien manifestes à l’agression contre le Rwanda, l’ont
davantage encouragé en décidant elles-mêmes de soutenir à leur tour ceux que les médias
de propagande ont qualifié de « rebelles Tutsi du FPR ». Personne au sein de la communauté
internationale n’a osé condamner cette agression, y compris l’Organisation des Nations
Unies et l’Organisation de l’Unité Africaine.
14. Qu’il s’agisse ou non d’un complot international, ourdi contre le régime Habyarimana,
nous considérons que les Juges de la Chambre d’appel du TPIR, qui ont proclamé, en vue
d’un constat judiciaire, que le conflit provoqué par l’invasion du FPR-NRA était un conflit à
caractère interne et déclaré ce caractère interne « fait de notoriété publique » en se fondant
2
Voir les déclarations des Présidents Kagame et Museveni le 4 juillet 2009 lors de la cérémonie de décoration
du Président Museveni par le Président Kagame pour le rôle de Museveni et de la NRA dans la guerre de
conquête du Rwanda—Sunday Vision 8 July 2009.
6
sur le critère de la territorialité (apparente selon nous) des hostilités militaires, ont
cautionné une erreur d’appréciation gravissime en fermant ainsi la porte à toute possibilité
de débat sur cette question aussi essentielle pour la manifestation de la vérité tant sur
l’origine réelle du drame rwandais que sur les véritables planificateurs et responsables de ce
drame de 1990 à 1994.
15. Les faits parfaitement vérifiables à cet égard, nous enseignent que déjà en 1988, les
Tutsis rwandais de la Diaspora avaient décidé d’attaquer le Rwanda et d’y prendre le pouvoir
par la force. C’était lors de leur congrès tenu à Washington du 17 au 20 août 1988 avec le
parrainage de Roger Winter, à l’époque Directeur de « US Commitee for Refugees ».
16. D’ailleurs, Valens Kajeguhakwa, un membre très influent au sein du FPR, a reconnu
publiquement, dans son ouvrage publié en 2001, que l’invasion du Rwanda par le FPR avait
été minutieusement préparée de l’extérieur avec des ramifications à l’intérieur du pays ;
qu’un vaste réseau d’opérateurs et d’informateurs civils et militaires s’étaient infiltrés
partout au Rwanda jusqu’aux plus hautes instances gouvernementales, dira-t-il, en précisant
que « ces infiltrés étaient placés à l’armée, à la gendarmerie, aux ministères, dans les
principales entreprises publiques et privées, à la Banque nationale du Rwanda, dans les
paroisses, dans les marchés de Kigali, de Butare, de Ruhengeri, de Gisenyi, à l’université de
Butare et à Nyakimana, dans les prisons de Gisenyi et de Ruhengeri ». 3
17.
3. Depuis le début de cette agression armée le 1er octobre 1990 jusqu’en juillet
1994, le Rwanda a vécu sur fond de guerre, allant des concertations politiques avec le
FPR/NRA aux cessez-le-feu et aux violations de ceux-ci ; de la signature des accords dits
d’Arusha aux tentatives de mise sur pied d’un gouvernement de transition à base élargie ; de
l’attentat contre l’avion de Juvénal Habyarimana et l’assassinat de ce dernier à la reprise de
la guerre totale émaillée de massacres de masse et d’autres violences innommables.
18. Cette agression d’octobre 1990, contraire au Droit international public, a introduit le
virus mortel de la guerre au Rwanda. Chaque année, la guerre prenait une nouvelle ampleur
à la suite de nouvelles confrontations armées jusqu’à la victoire militaire finale du FPR/NRA
par les armes, le 17 juillet 1994. Même au-delà et en dehors des frontières du Rwanda, plus
particulièrement en République Démocratique du Congo, les agressions du FPR/APR/NRA
ont fait des millions de victimes. Les statuts du TPIR prévoient pourtant que ces agressions
délictueuses soient poursuivies et punies. Rien n’est encore fait et tout le monde attend.
19. Depuis l’agression d’octobre 1990, l’initiative des hostilités au Rwanda, en 1991, 1992,
1993 viendra invariablement du FPR et toujours avec le soutien actif de l’Ouganda et de son
armée. Ces hostilités seront accompagnées de massacres de populations civiles, de
destructions de biens et de déplacements massifs de populations, singulièrement celles de
3
Valence Kajeguhakwa de la terre de paix à la terre de sans. Et après ? page 203.
7
Ruhengeri et de Byumba. « Malheur à celui par qui le scandale arrive ; mieux aurait valu qu’il
ne fût pas né », dit la sainte sagesse.
20. En 1993, il y avait jusqu’à 1 million de civils déplacés à la porte de Kigali. Le point d’orgue
de cette aventure militaire du FPR/APR/NRA aura pour date le 6 avril 1994 : l’attentat contre
l’avion du président J. Habyarimana et l’assassinat de ce dernier. Avec lui, un autre Chef
d’État, le président du Burundi Cyprien Ntaryamira, lui aussi, comme par hasard de l’ethnie
hutu, sans oublier Melchior Ndadaye, président du Burundi assassiné 6 mois auparavant, lui
aussi comme par hasard de l’ethnie hutu. Ce sont des faits historiques de notoriété publique.
21. Par ailleurs, c’est le 19 juillet 1994, après sa prise du pouvoir, que le FPR a formé son
gouvernement et, qu’en même temps, il a intensifié le nettoyage ethnique contre les
populations civiles hutu restées au Rwanda ainsi que l’avait confirmé le rapport Gersony.
Curieusement, les Nations Unies ont décidé de maintenir sous embargo ce rapport, sans
doute, pour protéger le nouveau régime du FPR au pouvoir, alors que ce nettoyage
ethnique rentrait dans la définition de crimes relevant de la compétence ratione temporis
du Tribunal Pénal International pour le Rwanda.
22. Pire encore, les juges et les procureurs du TPIR ont exclu du domaine d’investigation et
de la compétence du TPIR l’attentat meurtrier du 6 avril 1994 qui a coûté la vie au Président
Rwandais Juvénal Habyarimana et à son homologue du Burundi Cyprien Ntaryamira ainsi
qu’à leurs suites respectives. Qui pourra le comprendre lorsque, par ailleurs, les mêmes
juges et procureurs du TPIR ont considéré que l’assassinat du 1er ministre Agathe
Uwilingimana, celui du président de la cour constitutionnelle Joseph Kavaruganda survenus
le 7 avril 1994, celui du Ministre Landouald Ndasingwa et autres personnalités politiques au
lendemain de la mort du Chef de l’État, relevaient du domaine d’investigation et de la
compétence du TPIR ?
23. Il faut en outre regretter, s’agissant du génocide, des crimes contre l’humanité, des
crimes de guerre et d’autres violations graves du Droit international, que la limitation de la
compétence ratione temporis du TPIR à la seule période allant du 1er janvier 1994 au 31
décembre 1994 ait obéi à des calculs politiques, partisans et non à des considérations de
justice et de droit humanitaire. En effet, cette limitation de la compétence du Tribunal
conduit à garantir l’impunité aux dirigeants du FPR responsables de crimes graves de
violations du droit humanitaire international, de tous les meurtres, assassinats, poses de
mines et d’explosifs, destructions massives de biens et d’équipements collectifs, traitements
humiliants et inhumains de ces milliers de déplacés des préfectures de Ruhengeri, de
Byumba et de Kigali rural commis avant le 1er janvier 1994 et après le 31 décembre 1994;
comme des massacres de Kibeho et ceux commis par les troupes du FPR en RDC ; et l’on
observe que même des tueries, massacres, arrestations massives, exécutions extrajudiciaires
opérées après le 17 juillet 1994, date de la chute du gouvernement rwandais et du départ en
8
exil de ses anciens acteurs, civils et militaires ne présentent aucun intérêt judiciaire aux yeux
du TPIR alors qu’ils ont été perpétrés avant le 31 décembre 1994.
24. En dépit de l’existence des preuves accablantes, notamment celles réunies par le Juge
français Jean Louis Bruguière 4et par le Juge espagnol Fernando Andreu Merelles,5 le
Procureur persiste dans son refus d’engager les poursuites contre le général Paul Kagame et
ses hommes de main impliqués dans l’attentat du 06 avril 1994, qui coûta la vie au Président
Habyarimana du Rwanda et à son homologue Ntaryamira du Burundi, ainsi qu’à leurs suites
respectives et aux coopérants français, membres d’équipage de l’avion présidentiel.
Pourtant, cet attentat est aujourd’hui reconnu par tous les observateurs sérieux et
impartiaux, y compris les experts de l’ONU, comme étant l’élément déclencheur de la
tragédie rwandaise.6 En outre, ces experts ont démontré que le FPR a commis de nombreux
crimes abominables, y compris le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de
guerre. Ces juges et ces experts, des hommes de loi et du droit, ne sont-ils tous que des
idiots ? De bons à rien ? Des chiens qui aboient quand la caravane de l’impunité passe
allègrement ?
25. S’il est vrai qu’à travers sa mission de rendre justice, le TPIR doit contribuer à réconcilier
les Rwandais et à pacifier la région, il est dès lors plus qu’urgent pour cette juridiction
internationale de rechercher la Vérité sur la tragédie rwandaise, la seule capable de
rapprocher les Hutus, les Tutsis et les Twa pour sceller l’unité et la réconciliation de ce
peuple qui a tant souffert. Cela veut dire que le Tribunal doit recouvrer toute son
indépendance et se démarquer désormais de la justice du vainqueur sur le vaincu en
refusant de ne juger uniquement que les personnes appartenant à une seule partie au conflit
et à la seule ethnie hutu. Pour pouvoir se prévaloir d’une justice impartiale et affirmer son
engagement à remplir sa mission de lutte contre l’impunité, le TPIR doit reconnaître que le
FPR, qui s’est toujours présenté comme la victime dans le conflit rwandais est, en réalité, le
véritable architecte des malheurs qui endeuillent le Rwanda et la région des Grands lacs,
depuis bientôt deux décennies.
26. Si les deux parties au conflit avaient été poursuivies comme le prévoient d’ailleurs les
Statuts du Tribunal, les barons du régime FPR réfléchiraient avant de déclarer publiquement
que « si le FPR n’avait pas gagné la guerre, il n’aurait pas obtenu le génocide ».7 Le FPR
n’aurait pas non plus agressé la République Démocratique du Congo, et continuer de le faire
4
17 novembre 2006
6 février 2008
6
Voir Rapport du Rapporteur Spécial de l’ONU René Degni Segui du 28 juin 1994 ainsi que le Rapport
de la Commission des Experts qui a suivi.
7
Dans son discours de circonstance lors de la célébration du 15ième anniversaire du génocide le 11
avril 2009, le Ministre Charles Muligande déclarait ceci : « Nous avons eu la chance de gagner la
guerre qui nous a permis de faire reconnaître le génocide. Sinon, nous serions comme des Arméniens
dont le génocide est toujours contesté parce qu’ils ont perdu la guerre. »
5
9
à ce jour en faisant massacrer impunément des millions de personnes et pillé allègrement les
ressources de ce pays.
27. Si aucun changement radical n’intervient dans la politique actuelle du TPIR, on n’aura pas
tort d’affirmer, à la fin de son mandat, que le Tribunal aura échoué dans sa mission. Ce
constat est aussi partagé par certains participants au récent colloque du TPIR tenu à Genève
du 9 au 11 juillet 2009 et qui ont reconnu que la politique a pris le pas sur la justice au TPIR
avec pour conséquence l’impunité scandaleusement assurée au FPR et la réconciliation
nationale irrémédiablement hypothéquée par la justice du vainqueur.8
28. On entend souvent affirmer, comme pour légitimer les faits et actes de l’agression
d’octobre 1990, que le FPR a dû prendre les armes pour résoudre le problème des réfugiés
rwandais et instaurer la démocratie au Rwanda. Et même le procureur, dans son mémoire
préalable au procès, au §35, a soutenu que (je cite) « …l’introduction du pluralisme politique
au Rwanda en 1991-92 a, dans une large mesure, été la conséquence de l’attaque du FPR ; et
que c’est le processus des négociations avec le FPR qui a conduit à la montée des partis
politiques d’opposition ( fin de citation). Quelle affabulation ! Car, de sa propre initiative, le
Président Habyarimana avait déjà annoncé dès le 15 janvier 1989 les réformes politiques à
opérer dans la gestion du pays dans ce qu’il appela « l’Aggiornamento politique ». C’est dans
ce même contexte qu’il annonça le 5 juillet 1990 l’ouverture officielle du pays au pluralisme
politique.
LA GUERRE RÉVEILLA LES RENCOEURS ETHNIQUES, ENGENDRA LA DIVISION DE LA SOCIETE,
LA GUERILLA, LE CHAOS…
29. Les raisons avancées par le FPR pour justifier son invasion du Rwanda et tirées de la
problématique du retour des réfugiés et de la démocratisation de la vie politique au Rwanda,
n’étaient que des prétextes fallacieux. En effet, tous les spécialistes des questions
rwandaises s’accordent sur le fait que le FPR a attaqué le 1er octobre 1990, alors que le
processus initié par le régime Habyarimana dans les domaines de la démocratisation, des
droits de l’homme et du rapatriement des réfugiés, en cours depuis janvier 1989, avait
trouvé des solutions appropriées aux problèmes posés et plus particulièrement lors de la
rencontre quadripartite (Rwanda-Uganda-HCR-OUA) du 27 au 30 juillet 1990 à Kigali.9 La
vérité est que le FPR n’entendait pas laisser se poursuivre et se renforcer un tel processus au
risque de perdre toute légitimité pour sa lutte armée décidée en 1988, à la Conférence de
Washington.
8
9
Voir entre autre la déclaration du Professeur Filip Reyntjens à ce coloque de Genève.
Voir communiqué final issu de cette rencontre.
10
30. Que l’on ne s’y trompe donc pas : pour le FPR, le seul objectif de son engagement était
de prendre le pouvoir au Rwanda par la force des armes. « Ngiyi Kamarampaka », aimait à
rappeler Paul Kagame à ses hommes, en brandissant son Kalachnikov et en martelant le
fameux slogan maoïste bien connu : « le pouvoir se trouve au bout du fusil ». En effet, issu
d’une ethnie démographiquement minoritaire, Paul Kagame était persuadé que l’accession
au pouvoir lui était démocratiquement fermée dans le cadre des élections démocratiques,
libres et transparentes. Il l’en a été conforté après la défaite de son organisation, en 1993,
lorsque furent organisées les élections locales dans la zone « démilitarisée » et que le FPR fut
battu à plate couture et sans appel. La réaction du FPR à ce scrutin, organisé, en toute
transparence, sous la supervision de la MINUAR, fut l’élimination physique et systématique
de tous les élus qui étaient alors membres du MRND.10 Il s’agit d’un fait de notoriété
publique.
31. L’idéologie de « l’accession au pouvoir par les armes » est restée l’unique aiguillon de la
conduite du FPR durant les négociations de paix avec le Gouvernement rwandais. Pour les
dirigeants du FPR, la seule stratégie de négociation acceptable devait répondre au slogan
« Talk and Fight », c’est-à-dire, négocier pour ne pas s’aliéner la sympathie de la
communauté internationale et surtout de ses alliés, mais et, en même temps, continuer la
guerre pour gagner du terrain et se rapprocher de l’objectif final, à savoir la prise du pouvoir
par la force des armes. Pour mieux illustrer cette tactique, il suffit de se référer au scénario
No4 du document de stratégie du FPR : « Environnement actuel et à venir de l’organisation »,
publié dans le livre de l’expert du Procureur André Guichaoua intitulé les crises politiques au
Burundi et au Rwanda, 1993-1994.11 Ce document détaille le plan du FPR de prise du pouvoir
par la force même après la signature des Accords d’Arusha. La lettre datée du mois d’août
1999, que Christophe Hakizabera, un ancien officier de l’APR a envoyé à l’Organisation des
Nations Unies, confirme que Paul Kagame avait bel et bien élaboré ce plan macabre qui
devait conduire le pays au chaos. Le 2 avril 1994, Paul Kagame déclarait au Général Dallaire
que (je cite) « nous étions à la veille d’un cataclysme et qu’une fois enclenché, aucun moyen
ne permettrait de l’arrêter ».12(fin de citation). Le cataclysme annoncé se produira le 6 avril
1994 par l’assassinat de J.Habyarimana, la reprise de la guerre par le FPR et par le chaos qui
s’ensuivra.
32. Dans cet état d’esprit du FPR, avec cette logique permanente de guerre, tout accord
politique (y compris les accords d’Arusha de août 1993), tout accord de cessez-le feu, ne
pouvaient être que factices, sans effets, sans lendemain, sans valeur, et ne pouvaient
apparaître pour le FPR, cette fois ci, que comme des « chiffons de papier ».
10
Voir Rapport sur les massacres dans la sous-préfecture de Kirambo, Préfecture de Ruhengeri, dans
la nuit du 17 au 18 novembre 1993.
11
André Guichaoua, page 656.
12
Roméo Dallaire : J’ai serré la main du diable, page 279.
11
33. D’ailleurs, les faits démontreront que les multiples violations des accords de cessez-lefeu, en particulier celle du 8 février 1993 qui a provoqué des massacres inouïs de population
civiles par les milices et les soldats du FPR, ou encore, la reprise de la guerre à la suite de
l’assassinat du Président Habyarimana, le 6 avril 1994, seront toutes de la responsabilité du
seul FPR/NRA.
Que restait-il au gouvernement légal rwandais de faire ?
34. A la guerre d’agression déclenchée et entretenue par le FPR/NRA, le gouvernement légal
du Rwanda répondra aussi par la guerre, mais plus défensive qu’offensive. Et lorsque
l’adversaire (FPR/APR/NRA) changera de tactique militaire pour recourir aux techniques
d’infiltrations, au déploiement de brigades clandestines, bref à la guerre de guérilla, le
gouvernement légal tentera de lui répondre notamment par l’initiative d’une guerre d’autodéfense civile qui, bien organisée, aurait pu être la seule capable d’affronter une guerre de
guérilla.
35. Le vin ayant été tiré, il fallut donc le boire. Et c’était la guerre. Sur ce fond combiné de
guerre et de guérilla au Rwanda, le FPR/APR/NRA s’emploiera à capitaliser au maximum ses
atouts matériels et ses alliances pour gagner la guerre alors que le Gouvernement rwandais
essayera de maîtriser tout une série de contraintes, auxquelles il avait à faire face, pour
éviter de perdre la guerre. Nous y reviendrons en détails lors de la présentation de notre
preuve.
36. Dès lors, sur quoi le procureur peut-il être fondé pour qualifier, par principe, une défense
militaire commune d’un Etat agressé d’ « entreprise criminelle commune » contre son
agresseur?
37. Qu’attendait-on du gouvernement Habyarimana agressé militairement par la coalition
FPR/NRA ? Se soumettre et se démettre ? Certes, le gouvernement du Rwanda avait le choix
entre se battre ou se rendre par la capitulation. Et ce, dès la 1ère agression du FPR/NRA, le 1er
octobre 1990. Je suis sûr que les parrains et alliés du FPR/APR/NRA auraient sans doute
salué une telle capitulation. Mais, le gouvernement du Rwanda a fait le choix contraire, celui
de se battre pour protéger les institutions républicaines et défendre la population rwandaise
dont il était le seul garant constitutionnel.
Est-ce donc ce choix qui sera considéré comme un crime contre les ambitions de puissance
du FPR/APR/NRA ; un crime de lèse majesté, et plus tard considéré comme une « entreprise
criminelle commune »?
38. Concernant les groupes ciblés par le procureur, notamment les partis politiques, comme
ayant, eux aussi, constitué une « entreprise criminelle commune », est-ce du fait de leur
prise de conscience sur la nécessité d’une unité de « défense politique commune » face au
péril que représentait la prise du pouvoir par le FPR/APR/NRA grâce à la force de ses armes ?
12
39. En effet, certains partis politiques, ceux surtout de l’opposition intérieure à
J.Habyarimana et au MRND, et dont les leaders avaient succombé aux charmes et à la
propagande du FPR sont allés, dans un premier temps, jusqu’à s’allier au FPR par naïveté
politique et par délire illusoire de démocratie ; ces partis ont ensuite fini par découvrir la
face cachée de leur allié. En effet, avant même que l’encre qui avait servi pour sceller leur
alliance à Bruxelles le 3 juin 1992, ne se sèche, le FPR avait effectué un raid militaire
sanglant sur la ville de Byumba, alors que ces partis politiques, ses nouveaux alliés, avaient
convenu avec lui d’un cessez-le-feu immédiat. Et plus tard, ces partis alliés au FPR laisseront
définitivement s’envoler leurs illusions de coopération sincère et pacifique avec le FPR
lorsqu’ils auront appris que le même FPR et son dirigeant Paul Kagame, à l’instar de toute
organisation terroriste, étaient impliqués dans plusieurs attentats et assassinats,13 y compris
dans l’assassinat, le 21 octobre 1993, du premier Président Hutu burundais
démocratiquement élu, Monsieur Melchior Ndadaye, issu du parti FRODEBU qualifié a tort
de parti extrémiste Hutu par le Procureur devant cette chambre. C’était à l’audience du 5
mai 2009 lors du rappel du témoin HH.14
40. Voilà pourquoi, à la suite de ces événements tragiques qui ont montré le vrai visage du
FPR et mis à découvert ses desseins cachés, certains de ces partis d’opposition, confrontés
au choix entre la sauvegarde du régime républicain et le retour au « monarchisme ancien»
dissimulé dans une nouvelle version que portait le FPR dans ses armes et bagages, ont
conclu à la nécessité d’une rupture avec le FPR. Ce qui a provoqué des scissions au sein des
principaux partis d’opposition, le MDR, le PL et le PSD, lesquelles scissions allaient
compromettre la mise en place des institutions de la Transition convenue à l’issue des
négociations de paix d’Arusha. Le FPR prendra prétexte de ces scissions pour renouer avec sa
logique de guerre, faute désormais pour lui de pouvoir compter sur ces partis politiques qui,
dans son calcul, lui auraient permis de disposer d’une large majorité politique à l’Assemblée
nationale et au Gouvernement de transition et de contrôler le pouvoir au Rwanda.
ET LA GUERRE ENGENDRA LE CHAOS…
41. Le 6 avril 1994, dans la soirée vers 20h30, le président J.Habyarimana et son homologue
du Burundi, Cyprien Ntaryamira, ont trouvé la mort à la suite d’un attentat au missile Sam 16
contre l’avion qui le ramenait à Kigali, de retour de Dar es Salaam où venait de se tenir un
important sommet régional sur la Paix. Tous leurs collaborateurs qui les accompagnaient
ont également été tués. Le Président Ougandais Yoweri Museveni, co-planificateur
aujourd’hui avéré de l’attentat avec Paul Kagame, n’a pas tardé à exprimer sa joie et son
soulagement. « It was time to solve the matter », s’était-il aussitôt publiquement exclamé!
13
14
Les assassinats d’Emmanuel Gapyisi et de Félicien Gatabazi étaient l’œuvre du FPR.
Voir interrogatoire du témoin HH par le Procureur le 5 mai 2009.
13
42. Tous les messages du FPR captés par les FAR, le 7 avril 1994, au matin, expriment
l’entière satisfaction pour le succès de l’opération, la cible ayant été atteinte.15 Rappelons ici
que, immédiatement après la signature des accords d’Arusha en Août 1993, Paul Kagame
avait visité toutes les unités de son armée pour les exhorter à n’accorder aucune importance
à ces accords. Il leur déclarait : « Tenez-vous prêts avec vos armes à portée de la main, n’ayez
pas confiance dans ces accords d’Arusha ».16 C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre
son intervention sur les ondes de Radio Muhabura, le 9 avril 1994, dans laquelle il déclarait
caducs les accords de paix d’Arusha. 17
43. Plusieurs preuves documentaires et testimoniales aujourd’hui disponibles même au sein
du Tribunal, confirment que l’attentat du 6 avril 1994 est bel et bien l’œuvre du FPR/NRA.
*Le juge anti terroriste français, Jean Louis Bruguière, un professionnel en la matière, qui a
longuement enquêté sur l’attentat du 6 avril 1994, a conclu ses investigations par une
ordonnance judiciaire de mise en accusation de Paul Kagame et de plusieurs responsables
politiques et militaires du FPR, accusés d’avoir planifié et exécuté l’attentat contre l’avion du
Président Habyarimana et provoqué la mort de deux Chefs d’État et de plusieurs autres
personnes, y compris des citoyens Français.18
* Mme Carla Del Ponte, ancien Procureur du TPIR, avait déclaré auparavant que « si l’on
établit que l’attentat contre l’avion du président J.Habyarimana est le fait du FPR, il faudra
réécrire toute l’histoire du génocide ».19 Le Juge Bruguière lui a donné une réponse claire et
sans équivoque, à ce sujet. Il eût fallu, dès lors, réécrire toute l’histoire de ce « génocide
rwandais » dont parle Carla Del Ponte, encore que, même sans les conclusions du juge
français, l’exercice de réécriture de l’histoire du génocide aurait dû être fait depuis
longtemps. Car une foule d’éléments factuels objectifs permettait d’arriver à cette
conclusion en dépit de l’invraisemblable roman « construit » par l’Accusation du TPIR à
partir de récits fabriqués et arrangés pour les besoins des témoins mis sous pressions et
subornés, sur fond de promesses d’allègement de peines et de fourniture d’aides
substantielles, y compris en argent sonnant et trébuchant. Cela porte un nom en Droit : la
subornation, la corruption de témoins. Nous y reviendrons dans la présentation de notre
preuve.
LES 6 et 7 AVRIL 1994 : LES NUITS NOIRES
15
Voir messages du 7avril 1994 captés par le témoin ZF
Déclaration du 21 avril 2001 de Jean Pierre Mugabe sur l’attentat du 6 avril 1994 confirmée par
Michael Hourigan.
17
Voir Rapport de la Commission Belge, audition d’André Louis, 3 juin 1997.
18
Voir ordonnance du Juge Jean Louis Bruguière du 17 novembre 2006.
19
Carla Del Ponte in Journal Danois Actuelt du 17 avril 2000
16
14
44. Qui aurait dû porter la responsabilité juridique, au sens du Droit pénal, des nuits noires
que le Rwanda a connues notamment les 6 et 7 avril 1994 ? C’est le FPR. Assurément. En
considérant que les tueries, les massacres, les violences graves qui avaient caractérisés ces
nuits n’étaient que des conséquences prévisibles, inhérentes à l’acte originel, l’élément
déclencheur du chaos lui même. L’acte en question, c’est l’abattage de l’avion présidentiel.
45. De l’avis du témoin expert du Procureur Filip Reyntjens « il faut, connaître qui a commis
l’attentat contre le Président ; ce fut l’étincelle…Ceux qui ont descendu cet avion savaient très
bien quelles seraient les conséquences de cet attentat et dans ce cas là porteraient une
responsabilité juridique et je ne dis pas politique, maintenant, mais juridique dans le
génocide. Parce que, sachant très bien quelles seraient les conséquences, ils auraient
déclenché le génocide ».20 (fin de citation).
46. Pour André Guichaoua, un autre témoin expert de l’Accusation : « l’attentat envers
l’avion présidentiel…est certainement un acte décisif qui, à partir de ce moment là, rendait
certainement fatale la suite des évènements…[…] « et je crois que ceux qui ont pris l’initiative
ont effectivement placé les enchères à un niveau très élevé, c’est-à-dire que la mobilisation
politique échappait, en tout cas à une large partie de la classe politique, qui n’était plus en
mesure de peser sur les évènements ou de maîtriser les forces que l’on libérait avec cet
assassinat ».21 (fin de citation)
Monsieur le président,
Honorables juges,
47. Lombroso, ce grand pénaliste et criminologue bien connu, disait : « Un coup, si léger soitil, peut avoir des conséquences graves ; tant pis pour celui qui l’ignore ». Le coup du FPR, le 6
avril 1994 contre l’avion présidentiel, était un coup aux conséquences graves. Tant pis donc
pour le FPR qui ne l’avait pas ignoré et devrait, dès lors, le premier, en porter aujourd’hui la
responsabilité majeure.
48. Car, aussitôt l’avion abattu et la nouvelle du décès du président Habyarimana répandue,
Kigali s’est embrasé et le Rwanda s’est enfoncé dans le chaos.
49. Mais peu avant cela, voici la configuration de la situation à Kigali dans ses données
factuelles importantes :
a) des centaines de milliers de déplacés de Byumba, de Ruhengeri,
et de Kigali rural, par le fait des actes du FPR, étaient aux portes de Kigali, croupissant dans la
misère et le désespoir. Ces populations rwandaises en détresse ne manquaient pas de
20
21
Voir déposition F. Reyntjens devant le TPIR, pp 114-115-Affaire Georges Rutaganda.
Déposition d’André Guichaoua dans l’Affaire Kayishema, transcrit 15 novembre 1997, pp 156-157.
15
partager leur misère avec des centaines de milliers de réfugiés hutus venus du Burundi à la
suite de l’assassinat du Président Melchior Ndadaye.
b) dans son rapport au procès « Militaires I », Mme Alison
Desforges, expert pour le compte de l’Accusation, relève que « Après la signature des
accords d’Arusha, un groupe de soldats prit ses quartiers à Kigali (au CND) ;….Avec la
présence effective des soldats dans la capitale,…certains Tutsis, qui avaient soutenu
auparavant le mouvement de manière discrète, proclamaient ouvertement leur soutien. Des
centaines de jeunes gens se rendirent au siège du FPR où ils suivirent une instruction
politique, et peut-être militaire. D’autres se rendirent à la base FPR de Mulindi au Nord pour
y suivre un entraînement. Certains de ces jeunes gens retournèrent ensuite dans leurs
communautés d’origine où ils furent plus tard identifiés comme des « infiltrés » du FPR
pendant le génocide. ».22
c) Mme Alison Desforges précise, en outre, que : « …le FPR avait
renforcé ses positions en amenant secrètement des armes et plusieurs soldats dans Kigali
pour s’ajouter aux 600 soldats autorisés par les accords d’Arusha. Au début du mois d’avril
1994, le FPR disposait d’environ 600 cellules dans tout le pays, dont 147 à Kigali. Chaque
groupe rassemblait de six à douze membres ; on comptait donc entre 3600 et 7200 personnes
qui avaient déclaré ouvertement ou en privé leur soutien au FPR. La capitale abritait le plus
grand nombre d’entre eux, c'est-à-dire entre 700 et 1400 personnes ».23
50. Quand Kigali est entré en ébullition, cela s’est traduit presque simultanément par :
1) La sortie dans la ville des 600 éléments du FPR installés au CND et l’activation de
toute sa machine de guerre dont des milliers de soldats infiltrés dans la ville de Kigali.
Tous ces militaires ont été aussitôt renforcés par d’autres combattants FPR/NRA
surgis de divers coins du pays et mis en ordre de bataille pour la reprise de la guerre
totale ;
2) La reprise de la guerre en violation des accords d’Arusha et le rejet par le FPR des
propositions de cessez-le-feu faites par le gouvernement rwandais intérimaire mis
sur pied pour combler le vide du pouvoir ;
22
Rapport Desforges 2002, Mil I, page 19 (F) and 13 (E)
Rapport Desforges 2002, Mil I, page 45 (F) and 31 (E). Voir aussi Alison Desforges : Aucun témoin
ne doit survivre, page 214 (F)
23
16
3) L’ultimatum lancé par le Général Paul Kagame pour le retrait immédiat des troupes
étrangères du Rwanda au moment même où le peuple rwandais en avait le plus
besoin.24
4) L’érection de barrages routiers par des groupes de personnes aux horizons et
motivations diverses (militaires, civils, jeunes, adultes, clochards, bandits, désœuvrés,
militants des partis non autrement identifiés et dont l’identification était d’autant
plus difficile que des infiltrés du FPR opéraient en leur sein) ;
5) Les tueries de masse, sans distinction d’âge, de sexe ni d’ethnie ; les violences, les
pillages, les viols, les excès de tous ordres, bref la « chienlit », comme l’aurait dit le
général Charles de Gaulle.
Nous y reviendrons lors de la présentation de notre preuve, singulièrement, au sujet de ces
questions essentielles sur a) la paternité des tueries ; b) l’autorité et le pouvoir sur les
tueurs ; c) la responsabilité de J.Nzirorera, dans ces évènements malheureux de 1990 à
1994.
FALSIFICATIONS, NŒUDS DU MENSONGE, PROPAGANDE…
Monsieur le président,
Honorables juges,
51. Je viens de brosser une large fresque des faits et évènements du drame rwandais de
1990 à 1994, dans leur succession, leur analyse, leur impact sur le comportement des
acteurs politiques et celui des belligérants en lice depuis le 1er octobre 1990 jusqu’en juillet
1994. Sur fond de l’objectivité qui, seule, éclaire les multiples facettes de ce drame
malheureux.
52. La version de l’histoire du drame rwandais, telle qu’elle est convenue aujourd’hui et
acceptée à ce jour par le TPIR, suite à la propagande médiatique et à l’activisme du FPR à
travers ses relais nombreux et variés, ne correspond pas à « l’histoire vraie » de ce drame
de 1990 à 1994. Cette version « falsifiée » répond plus à des impératifs de calculs
politiques cyniques et inacceptables.
53. En effet, n’eût été l’idée satanique de vouloir se saisir d’une affaire judiciaire classique
impliquant des délinquants individuels ou agissant en groupe, et d’en profiter pour en plus
24
Voir Brigadier Général Henry Kwami Anyidoho, DCF UNAMIR, in “Guns over Kigali”, pp 32 et 41.
Voir aussi document du 9 avril 1994 au Service Général du Renseignement et de la Sécurité belges
(SGR).
17
imaginer, fabriquer, crédibiliser des scénarios pouvant inculper, dans des crimes de masse,
des hauts responsables politiques, militaires ou des milieux d’affaires hutus bien ciblés afin
de les mettre pour un long temps hors d’état de nuire parce jugés trop gênants pour le
pouvoir actuel en place à Kigali, l’UNDF, cette prison onusienne d’Arusha, aurait accueilli
d’autres pensionnaires que les détenus d’aujourd’hui, en majorité des responsables d’Etat et
exclusivement de l’ethnie hutu.
54. D’où a pu germer cette idée « diabolique » ? Faisons un peu de la géopolitique sur fond
de la géostratégie :
1) Les « faiseurs des rois » en Afrique centrale appartiennent à ce qu’on a coutume de
désigner sous le vocable de « Communauté internationale ». Celle-ci comprend
certains grands États membres du Conseil de sécurité de l’ONU et leurs sous
traitants, anciens colonisateurs, ainsi que de puissants groupes financiers et lobbies
d’affaires intéressés par le contrôle et l’exploitation des riches ressources minières
dans cette partie du Continent africain, spécialement, dans l’ex-Zaïre (RDC).
2) En 1989 et 1990, la chute du mur de Berlin et l’implosion de l’ex-Union soviétique ont
conduit à la révision des anciennes alliances géostratégiques du monde. Les Chefs
d’États africains alliés au bloc occidental ont été priés de se mettre en phase avec le
nouvel ordre du monde qui était devenu aussi le nouvel ordre des « Cours royales et
présidentielles » en matière d’alliances politiques. Sans états d’âme.
3) Un nouveau leadership anglo-saxon a été appelé à gouverner désormais l’Afrique
centrale en remplacement de l’ancien leadership francophone et francophile incarné
notamment par l’ex-Zaïre (RDC) de Mobutu et le Rwanda d’Habyarimana. Le FPR, une
organisation de mouvance anglo-saxonne, fut choisi, positionné, aidé, soutenu pour
jouer le rôle de « garant » de cet ordre mondial nouveau dans la région des Grands
Lacs Africains. Pour ce faire, le FPR devait accéder au pouvoir d’Etat. Désormais et à
cet effet, tout devait lui être facilité. Lorsqu’il aura opté pour la force des armes
comme l’unique voie pour accéder au pouvoir, ses crimes devront être tolérés et
excusés. Au besoin, ces crimes seront banalisés et qualifiés de simples « dommages
collatéraux ». Après sa conquête du pouvoir, la vérité des faits devait être falsifiée,
arrangée et présentée de façon à garantir au FPR l’exercice du pouvoir sans
obstacles. Ses opposants politiques les plus résolus parmi les Hutus, civils, militaires,
hommes politiques, hommes d’affaires et autres intellectuels, devaient être qualifiés
« d’extrémistes » et de « génocidaires » et être mis définitivement hors d’état de
nuire.
4) La MINUAR ayant échoué au Rwanda, la Communauté internationale s’est trouvée
face à sa mauvaise conscience suite aux violents massacres de masse commis au
18
Rwanda. Le drame rwandais qui avait atteint le pic de l’insupportable et provoqué
l’émoi dans le monde, exigeait que les instigateurs et les auteurs des massacres
soient punis. Il a fallut pour l’ONU un geste fort et spectaculaire au regard de ces
deux préoccupations.
55. C’est dans ce contexte que fut créé le Tribunal Pénal International pour le Rwanda, doté
d’un statut somme toute très clair. Excellente décision, faut-il le souligner. Mais les
questions que se poseront ceux (procureurs et juges) qui devaient appliquer les statuts du
TPIR, les voici: 1) qui sanctionner à travers ce Tribunal sans impliquer ni inculper le FPR au
pouvoir ? 2) Comment préserver les acquis du FPR au pouvoir et mettre pour longtemps
hors d’état de nuire ses principaux adversaires politiques hutus, civils et militaires ? Voilà
deux mauvaises questions qui, dans l’application du statut du TPIR, conduiront à des
mauvaises réponses que les juges et les procureurs de cette juridiction internationale seront
amenés à donner au drame rwandais à travers des poursuites pénales sélectives, une
instruction judiciaire exclusivement à charge contre des accusés hutus et des décisions de
justice quelquefois bizarres.
56. Pire, le FPR/APR devenu le « gouvernement rwandais », cobelligérant d’hier, déclencheur
de la guerre, suspect de massacres et de tueries, promis à la reddition des comptes, sera
promu au rang de partenaire du procureur du TPIR. Il participera activement à la « traque »
judiciaire de ses adversaires politiques hutus qu’il n’a pas réussi à liquider par la traque
politique et militaire jusqu’au 17 juillet 1994, date de sa prise du pouvoir au Rwanda.
57. Dans ce même ordre d’idée, des organisations de propagande comme « IBUKA » et
« AVEGA » seront mises à contribution pour « monter » des récits, imaginer habilement des
recoupements avec des faits réels, y coller des noms de responsables hutus, créer une
apparence de cohérence grâce à la formation des acteurs et des conteurs plus ou moins
talentueux qui seront chargés de jouer devant le TPIR le rôle de «faux témoins » de toutes
ces histoires arrangées.
58. Toujours dans le même ordre d’idées, des confusions de toute sorte seront
systématiquement créées et volontairement entretenues au cours des instances judiciaires.
En voici des plus révélatrices parmi d’autres :
1) les Interahamwe za MRND seront délibérément confondus avec des massacreurs et des
tueurs de masse de tout acabit ; tout assassin, massacreur, violeur, tueur au Rwanda sera
appelé « Interahamwe » et tout « Interahamwe » sera indistinctement rattaché au parti
politique MRND. Et la boucle de la responsabilité du MRND comme supérieur hiérarchique
sera bouclée. Nous refusons cette approche simpliste. Même s’il reste vrai que certains
membres du MRND, des jeunes comme des adultes, ont commis des crimes à titre individuel
et les ont avoués. Nous y reviendrons lors de la présentation de notre preuve.
19
2) des miliciens voyous et des vagabonds seront confondus avec les nouvelles recrues des
Forces Armées Rwandaises (FAR) pour les besoins de la guerre ; de même, les entraînements
militaires aux fins de la guerre contre le FPR seront assimilés aux entraînements de milices,
soi-disant pour tuer les tutsis.
3) des catégories de hutu dits modérés et de hutus dits extrémistes seront inventés sans
autre critère que le seul fait d’être pour ou contre l’idéologie du FPR dont le fondement
était la prise du pouvoir par les armes et l’instauration d’une démocratie de façade où le FPR
devait régner sans aucune opposition politique. A noter que personne ne parlera de tutsi
modéré et de tutsi extrémiste.
4) le tissu « Kitenge », un tissu « wax hollandais », populaire et popularisé, sera assimilé à un
uniforme pouvant identifier exclusivement les Interahamwes za MRND alors qu’il était
vendu librement dans le commerce au Rwanda ; qu’il était accessible à tout rwandais et
porté au Rwanda par tout celui qui le souhaitait, sans distinction d’âge, de sexe, de religion,
de parti politique. Mais voilà que l’Accusation n’hésitera pas à considérer le port du
« Kitenge » comme une présomption juris et de jure de la criminalité et de l’appartenance
du porteur au parti politique MRND.
5) la « défense civile » et les barrages feront aussi l’objet de tous les amalgames possibles.
Pourtant, le programme KWSA conclu entre le Gouvernement rwandais et la MINUAR
reconnaissait la nécessité de garder militairement des points sensibles autorisés par la
MINUAR. Ce sont ces barrières connues qui furent renforcées par les FAR immédiatement
après l’attentat, tout comme d’autres furent installées à l’initiative des autorités locales pour
des raisons de sécurité. Nous y reviendrons lors la présentation de notre preuve et nous
parlerons également des barrages sauvages.
DES MAILLONS MANQUANTS ET….TROUBLANTS DE LA CHAÎNE.
59. La chaîne, dit-on, n’est forte que de son plus faible maillon. Le déroulement de ce procès,
depuis 10 ans, devant le TPIR ne semble pas interpeller outre mesure ni l’Accusation, ni les
Chambres sur des maillons manquants et troublants de la chaîne de l’histoire du drame
rwandais :
1) l’absence au dossier judiciaire des enquêtes dites « spéciales » sur les
crimes commis par les membres du FPR ainsi que les émissions de « Radio Muhabura » du
FPR, créée avant la RTLM ; ce qui aurait permis d’évaluer à sa juste portée la responsabilité
des uns et des autres dans la tragédie rwandaise et dans « l’incitation à la haine ethnique » ;
20
2) l’embargo décidé par l’ancien Procureur Louise Arbour sur des parties
dignes d’intérêt du rapport Hourrigan et du Rapport Gersony, chargés de clarifier des pans
entiers du drame rwandais, au-delà de sa face visible et convenu aujourd’hui comme
« judiciairement correcte » ;
3) le refus des chambres du TPIR de considérer l’attentat contre l’avion d’un
président de la République, en l’occurrence Juvénal Habyarimana et sa suite, assassiné dans
la nuit du 6 avril 1994, comme relevant de la compétence ratione temporis du Tribunal, et
en même temps le zèle des mêmes Chambres à traiter, enquêter, juger sur l’assassinat, le 7
avril 1994, au matin, d’un 1er ministre, Agathe Uwilingiyimana et d’autres membres de son
cabinet ou d’un haut magistrat de la Cour constitutionnelle, Joseph Kavaruganda, en
considérant que leurs cas à eux relevaient bien de la compétence du TPIR. Or, le premier
Procureur du TPIR Richard Goldstone avait reconnu pour sa part que l’attentat du 6 avril
1994 qui a coûté la vie au Président Habyarimana et à sa suite rentrait bel et bien dans la
compétence du TPIR.
4) la non prise en compte, dans l’appréciation du drame rwandais, de la
dimension de « GUERRE » avec toutes ses conséquences désastreuses, notamment les
dysfonctionnements, voire les paralysies administratives et judiciaires du gouvernement
rwandais. Car, d’octobre 1990 à juillet 1994, la guerre a sévi sans relâche au Rwanda. Quel
est ce système judiciaire, quelle est cette logique de justice qui ne saurait intégrer dans sa
démarche globale de recherche de la vérité et de la justice, cette donnée « guerre » qui est
à l’origine de toutes les dérives que l’on déplore ?
60. Un Tribunal, quelque soit le système juridique qui le régit (civil law ou common law…)
n’est pas, de notre point de vue, une usine de production des jugements à la chaîne, mais
une œuvre humaine de justice et de vérité. Dire le droit est, en plus, une affaire de bon sens,
de cohérence, de vérité dans le respect de la règle du droit et celui de l’éthique de la
profession de magistrat ; dans le respect de la robe que porte-le juge comme un symbole de
son autorité, de sa neutralité, de sa rigueur dans l’exercice de son métier. Aujourd’hui, 15
ans après la tragédie rwandaise, nous sommes convaincus et nous déclarons solennellement
qu’aucune œuvre de justice digne de ce nom ne peut sortir des chambres du TPIR si, dans
son élaboration, la vérité est étouffée.
Monsieur le président,
Honorables juges,
61. Pour nous résumer, nous réaffirmons que :
a) Entre le 1er octobre 1990 et le 17 juillet 1994, le gouvernement du Rwanda était en
guerre contre le FPR/NRA, une force politico-militaire d’origine ougandaise, composée
notamment d’anciens réfugiés rwandais.
21
b) Cette période de guerre fut émaillée de plusieurs tentatives de
cessez-le-feu marquées aussi par de violations de ceux-ci ; jusqu’à la signature des
« Accords d’Arusha » en Août 1993 censés permettre la mise en place des Institutions de
Transition à Base Elargie au FPR dont la finalité était l’organisation des élections générales,
libres, transparentes, démocratiques.
c) Ces Institutions n’ont pas pu être mises en place à cause du FPR et
en dépit de la prestation de serment, le 5 janvier 1994, de Juvénal Habyarimana, comme
président de la République sur la base des dits accords.
d) Le 6 avril 1994, le président J.Habyarimana fut assassiné à la suite
d’un attentat contre son avion de retour de Dar es Salam en Tanzanie où il était parti pour
une mission de paix.
e) Aussitôt après ce drame, le Rwanda s’enfonça dans le chaos, les
violences, les tueries ; le FPR annonça la caducité des accords d’Arusha et la reprise de la
guerre totale pendant que les responsables politiques rwandais annonçaient l’institution
d’un gouvernement intérimaire chargé de poursuivre avec le FPR le processus défini selon
l’esprit des Accords d’Arusha tout en veillant à la sécurité collective de tous.
f) Malgré les offres de cessez-le-feu du Gouvernement intérimaire et
des FAR, le FPR est resté intransigeant en poursuivant la guerre jusqu’à la chute du
gouvernement intérimaire le 17 juillet 1994, et s’empara du pouvoir d’Etat par la force des
armes, sur fond des tueries, des violences, de la désolation des populations rwandaises.
62. Notre position sur ce drame est claire : 1. les tueries, les violences, les massacres, les
pillages, aussi amples, atroces et déplorables eussent-ils été, doivent s’inscrire dans
l’histoire du drame rwandais comme des crimes de masse commis par des individus, seuls
ou en groupe, dans la logique des affrontements intercommunautaires et
intracommunautaires hutu-tutsi, suite à l’abattage de l’avion présidentiel par le FPR le 6
avril 1994. Ils ne sont pas des crimes planifiés et commandités par des responsables
publics au pouvoir, opérant dans un système de criminalité d’Etat à travers la hiérarchie
institutionnelle de l’Etat contre l’ethnie tutsie sur l’ensemble du territoire rwandais.
2. La responsabilité pénale, notamment celle
de Joseph Nzirorera dans la présente affaire ne saurait résister à toute analyse impartiale ;
d’abord en ce que aucun acte ni comportement devant apparaître, dans le chef de
l’accusé, comme s’inscrivant dans un projet, dessein ou objectif individuel ou commun
consistant en l’élimination des Tutsis en tant que groupe ethnique, n’a été identifié par le
procureur, au-delà de tout doute raisonnable ; ensuite en ce qu’il sera démontré que les
incriminations factuelles retenues par l’Accusation résultent des récits volontairement soit
altérés, soit arrangés, soit habilement ajustés, soit carrément fabriqués par des témoins à
22
charge commis à cet effet, instruits, entraînés, récompensés et donc subornés dans le seul
but de nuire à l’accusé.
3. De même, le recours par l’Accusation à la
notion de la responsabilité du supérieur hiérarchique sera malvenu en l’espèce, étant
donné qu’il lui faudra établir a) que l’accusé était réellement un « supérieur » des tueurs
et non seulement qu’il avait une notoriété ou une « autorité « (morale) sur une zone 25 de
sa région ; b) que les auteurs des crimes étaient ses « subordonnés » sur qui il avait les
capacités matérielles de prendre des sanctions étant donné que l’influence générale (si
influence il y avait) dont l’accusé pourrait être crédité ne suffit pas à satisfaire cette
exigence26 .
63. Il sera, en effet, démontré par la défense de J.Nzirorera qu’il n’existait pas de lien de
subordination entre Monsieur Nzirorera et les tueurs du Rwanda, y compris même parmi
eux les vrais Interahamwe za MRND ; et il entretenait encore moins ce type de relations
avec des voyous, des violeurs, des pilleurs, des infiltrés du FPR qui pillaient, tuaient,
violaient, notamment à Kigali, Ruhengeri, Gitarama, Kibuye, Butare, Gisenyi et qui sont
désignés tous, indistinctement, après le 6 avril 1994, comme des « interahamwes » ;
rattachés globalement et abusivement au MRND.
LES ACCUSATIONS DU PROCUREUR CONTRE JOSEPH NZIRORERA.
D’abord qui est Joseph Nzirorera ?
64. Joseph Nzirorera est un Ingénieur Civil des Constructions issu de la première promotion
de l’Université Nationale du Rwanda, en octobre 1975. Sa première affectation à l’université
nationale à Butare fut très éphémère car dès janvier 1976, il commença sa carrière au
Ministère des Travaux Publics et de l’équipement à Kigali.
65. Joseph Nzirorera est un « Monsieur », comme on dit. Un « gentleman ». Un grand
commis de la République Rwandaise. Il a servi son pays avec conviction, patriotisme. En
effet, depuis le mois de juillet 1976, il fut nommé Directeur Général des Ponts et Chaussées
au Ministère des Travaux Publics et de l’Équipement.
66. Du 29 mars 1981 au 9 juillet 1990, il a servi comme Ministre des Travaux publics, de
l’Énergie, devenu le département des Travaux Publics, de l’Énergie et de l’Eau à partir du 15
janvier 1989.
25
26
Jugement Semanza, §404.
Jugement Cyangungu §628 ; jugement Semanza §401.
23
67. Du 9 juillet 1990 au 30 décembre 1991, il fut Ministre de l’Industrie, des Mines et de
l’Artisanat. À partir de ce 30 décembre 1991, Joseph Nzirorera n’exerce plus aucune fonction
politique et/ou administrative. Il se retrancha dans sa vie privée se contentant de ses
propres affaires et de sa fonction de député au CND.
68. A l’éclatement de la guerre, le 1er octobre 1990, Joseph Nzirorera était donc titulaire du
département de l’Industrie, des Mines et de l’Artisanat. Le jour de l’invasion du FPRInkotanyi, Joseph Nzirorera était en mission à l’île de Chypre.
69. Alors qu’il était Ministre des travaux publics, Monsieur Nzirorera a été élu au Parlement
Rwandais en décembre 1981 (dénommé alors Conseil National de Développement ou CND
en sigle) comme représentant de la circonscription électorale de la préfecture de Ruhengeri.
Il a été réélu en 1983 et en 1988. En juillet 1994, peu avant le départ en exil en juillet 1994,
Monsieur Nzirorera a été désigné par ses pairs comme Président de l’Assemblée Nationale
Intérimaire
70. Au sein du MRND, parti unique, Joseph Nzirorera était membre du Comité Central du
MRND de juin 1986 à mai 1991, la veille de l’avènement du multipartisme.
71. En mai 1991, Joseph Nzirorera a quitté ses fonctions de membre du Comité Central du
MRND et le 30 décembre de la même année, il a quitté le gouvernement et ce, à la veille de
la formation du 1er cabinet multipartite dirigé par le Premier Ministre Sylvestre Nsanzimana.
Il est resté membre du parlement qui cessera de légiférer après la signature des accords
d’Arusha, le 4 août 1993. Il est à noter qu’a partir du mois de mai 1991—date de sa
démission du Comité Central—jusqu’au 28 avril 1992, date de son élection au sein du Comité
National du MRND, Joseph Nzirorera était un simple militant au sein du MRND, ne siégeant
dans aucun organe central du MRND rénové, le Mouvement Démocratique Républicain pour
la Démocratie et le Développement, créé le 5 juillet 1991. Il a été élu Secrétaire National du
MRND lors du congrès national tenu à Kigali du 3 au 4 juillet 1993.
72. Tel est brièvement le profil de ce grand homme politique et homme d’État rwandais qui
ne mérite, en aucune façon, les insultes et la condamnation du Procureur avant son
jugement. A cet égard, je demande formellement au procureur de retirer le § 138 de son
mémoire préalable au procès où, sans aucune preuve, il traite gratuitement Mr Nzirorera de
(je cite) : « un homme qui s’est bâti une réputation de brute et de fripouille. Et que d’origine
moins que modeste, il a réussi à force de ruse, d’application et de vol à amasser des avoirs
privés considérables » (fin de citation). Ces propos malveillants du Procureur sont à la lisière
de l’injure publique ; en tout cas, ils ne correspondent pas à l’idée que je me suis toujours
faite personnellement du respect que tout Procureur doit à un accusé qui, jusqu’à sa
condamnation définitive et irrévocable, jouit de la présomption d’innocence et mérite des
égards de la part de tous, du procureur y compris.
24
73. Dans l’Acte d’accusation, modifié six fois par le procureur (la dernière modification
datant du 3 avril 2008), M. Nzirorera est poursuivi sur la base de sept chefs
d’accusation pour lesquels il plaide non coupable:
a) Chef 1: Entente en vue de commettre le génocide. Nous y reviendrons lors de notre
présentation de la preuve que notamment sur les prétendues réunions tenues à
Mukingo, chez la mère de Nzirorera ou ailleurs, en vue de tuer les Tutsis.
b) Chef 2: Incitation directe et publique en vue de commettre le génocide. Nous en
ferons la démonstration contraire lors de la présentation de notre preuve. De même
sur les entraînements des Interahamwe, le jugement Kajelijeli de la Chambre deux
ayant conclu que rien ne prouvait que l’entraînement reçu par les Interahamwe
avant le 6 avril 94 visait l’élimination des Tutsis.
c) Chef 3 et 4: Crime de génocide ou complicité de génocide. Nous y reviendrons tant il
est vrai que Joseph Nzirorera n’y est concerné ni par l’un, ni par l’autre.
d) Chef 5 : Crime de viol. Quelle grave accusation, quand le Procureur reconnait luimême que Joseph Nzirorera n’a personnellement ni violé ni ordonné à personne de
violer, mais qu’il doit être tenu responsable de tous les viols commis au Rwanda !
e) Chef 6 et 7: Extermination constitutive de crimes contre l’humanité ; Violations des
Conventions de Genève (art.3) et du Protocole additionnel. Nous y reviendrons tant
l’ensemble de cette question est liée à la détermination de la paternité des tueries,
au-delà de tout doute raisonnable et de la responsabilité du supérieur hiérarchique
qui suppose pour le supérieur un rapport de hiérarchie avec le subordonné et pas
seulement un pouvoir d’influence sur lui.27
CONCLUSION.
Monsieur le président,
Honorables juges,
74. Je suis sur le point d’en finir avec ma brève déclaration liminaire. A ce stade, je suis
frappé par une évolution perceptible du TPIR au moins sur un point. Le voici : lors de mon
intégration dans l’équipe de défense de J.Nzirorera en 2005, il était presque interdit de
prononcer le mot « FPR » à l’audience, encore moins de l’incriminer. Le tabou semble
aujourd’hui être dépassé.
27
Voir jugement Cyangungu, jugement Semanza op.cit et jugement Akayesu.
25
75. Néanmoins, je continue de m’ interroger sur la permanence, à ce jour, de cette idée
reçue d’un FPR perçu encore comme «l’ange gardien et le père Noël » du peuple Rwandais ;
d’un FPR « enfant de cœur, victime et martyr expiatoire» de la guerre qu’il a lui-même
conçue, planifiée, provoquée, entretenue et gagnée ; d’un FPR à qui il faut, par tous les
moyens, même en y associant le TPIR, garantir un long règne politique paisible et tranquille
sur le Rwanda et sur l’Afrique centrale, notamment, par la mise hors d’état de nuire, pour
une longue durée, de ses adversaires politiques potentiels hutus, civils et militaires de
l’ancien « régime Habyarimana ». Mais comme disaient les Athéniens de la Grèce
antique : « Panta Rei… », Tout passe…
76. Seule l’Histoire nous dira, dans dix, quinze ou 20 ans si mon oracle d’aujourd’hui, sans
jouer les Cassandres, est juste et jouit bien des faveurs de ce Dieu Tout Puissant, dont la
puissance est au dessus de tout et de tout le monde ; ce Dieu de Vérité devant qui tout
genoux fléchit. D’autant que le procureur lui-même, devant cette chambre a reconnu (je le
cite):
a) « que le meilleur moyen de rendre justice est de traiter de la preuve avec beaucoup de
sérieux ;
b) « que avec nos témoins (dit le procureur), nous voulons restreindre la définition des
auteurs pour que la Chambre soit convaincu que les miliciens qui ont attaqué ces victimes
avaient un lien direct, tangible avec les accusés du fait qu’ils appartenaient à l’aile jeunesse,
du fait qu’ils étaient sous le contrôle, le pouvoir à travers la structure hiérarchique qui s’est
développé jusqu’après la période du 6 avril 1994 » (fin de citation). Ces propos du procureur
ont été tenus lors de la conférence de mise en état devant cette Chambre le 1er Août 2007.
77. A l’audience du 17 avril 2008, toujours devant cette Chambre, le procureur déjà arrivé à
la fin de sa preuve, a demandé à la Chambre de lui permettre de rappeler trois témoins
supplémentaires, faute de quoi, a-t-il reconnu,(je cite) « il n’aura pas apporté la preuve de la
culpabilité de J.Nzirorera au-delà de tout doute raisonnable » (fin de citation). Dans sa
décision du 19 avril 2008, la Chambre lui a refusé le rappel de ces témoins. Nous en sommes
là à ce jour. En clair, il n’est pas parvenu à établir la responsabilité pénale de JNzirorera audelà de tout doute raisonnable.
78. Aujourd’hui, les connaissances sur le drame rwandais de 1990- 1994 ne sont plus celles
que vous et nous avions lors de l’institution du TPIR en 1995. Des révélations nouvelles, des
témoignages sérieux et crédibles, des recherches et analyses diverses, des publications
d’historiens, d’hommes de science et de culture, bref, une autre face de la médaille a été
découverte. Tout est mis sur la table. Tout est à la portée de tous. Demain, devant le tribunal
de l’histoire, personne ne pourra dire qu’il n’en était pas au courant ou qu’il aurait, dans
cette affaire, continué de penser, d’agir et de décider sous la pression de X ou de Y. Nul ne le
croira ; nul ne l’acceptera.
26
79. Le 15 octobre 2007, devant l’Assemblée générale des Nations Unies à New York et
intervenant sur l’intégrité des procès en cours au TPIR, le président de ce Tribunal a dit (je
cite) : « …selon la crédibilité ou l’équité des procédures de jugements utilisées, on dira si le
TPIR a échoué ou a réussi » (fin de citation).
80. Avant lui, Robert Jackson, chef procureur à Nuremberg, avait déclaré dans sa conclusion :
(je cite) « Nous ne devons jamais oublier que la base sur laquelle nous jugeons ces accusés
sont des documents sur lesquels l’Histoire va nous juger ; et essayer de mettre les accusés
dans une situation difficile, c’est nous y mettre nous aussi. » (fin de citation).
81. Si horribles et insoutenables eussent été les évènements du Rwanda, Joseph Nzirorera
n’est coupable d’aucun crime, ni de crimes de masse ni de crimes à titre individuel ou
comme supérieur hiérarchique de qui que ce soit, ni de crimes de guerre, ni de crimes contre
l’humanité. Il en fera la démonstration lors de la présentation de sa preuve.
J’ai dit et je vous remercie.
Arusha, le 19 octobre 2009
J. Patrick Nimy Mayidika Ngimbi,
Avocat aux Barreaux de Bruxelles et de Kinshasa,
Avocat, Co-conseil au TPIR.