Télécharger l`article - Institut de l`entreprise

Transcription

Télécharger l`article - Institut de l`entreprise
LES LIVRES ET LES IDÉES
Kosovo. A Short History
Par Noel Malcolm
Quelques vérités
sur le Kosovo
HANS STARK
Secrétaire Général du CERFA *
Une histoire exhaustive du Kosovo par l’un des
meilleurs spécialistes européens de l’histoire des
Balkans, qui fait notamment justice de l’exploitation politique des mythes sur le soi-disant « berceau historique » de la nation serbe et la portée
réelle de la bataille du Champ des Merles.
E
(1331-1355), sous le règne duquel
la Serbie avait formé un Empire
éphémère s’étendant du Danube à
la Grèce. Les seconds rejettent
cette argumentation, en insistant
sur leur descendance des peuples
illyriens, dont la présence au
Kosovo est antérieure à celle des
Slaves, mais aussi à celle des colonisateurs romains. En recourant à
des argumentations historiques
d’un autre âge, les dirigeants et intellectuels de l’Europe du Sud-Est
non seulement abusent de l’histoire afin de transposer leur image
d’ennemi du passé au présent mais,
surtout, ils la falsifient en glorifiant
un passé où la nation passe toujours pour la victime et le voisin
pour l’agresseur.
* Comité d’Etude des Relations franco-allemandes.
C’est cette vision des choses que
Noel Malcolm s’efforce de rectifier
à travers son livre 1. Historien,
professeur à l’Université de Cambridge entre 1981 et 1988, Noel
Malcolm est reconnu comme l’un
des plus éminents spécialistes
européens de l’histoire des Balkans. Dans ce nouveau livre 2, il
couvre une période de deux mille
ans, s’étendant de l’époque de la
colonisation romaine jusqu’à la fin
des années 1990 et le début des affrontements armés entre l’armée
serbe et l’UCK, en 1998. Par
conséquent, il s’agit là, sans doute,
de l’unique étude portant sur la to-
L
’éclatement des hostilités en
ex-Yougoslavie, loin d’être dû à
la seule explosion de « haines ancestrales » ou aux effets néfastes
de querelles religieuses et interethniques, s’explique avant tout
par l’héritage communiste, les effets pervers de la propagande et de
la manipulation politique, les difficultés économiques de la transition et, surtout, la quête de modifications territoriales dans un
environnement marqué par la discordance entre frontières ethniques et étatiques. A cela, il
convient d’ajouter les conséquences d’un éveil aussi tardif que
brutal de la conscience nationale,
les accusations réciproques au sujet d’atrocités commises dans le
passé, la discrimination générale
que subissent les populations musulmanes non seulement en exYougoslavie mais, à des degrés divers, dans tous les pays balkaniques
et, par conséquent, l’antagonisme
religieux qui est à l’origine de cette
situation et doit assumer le fait
d’avoir engendré des nationalismes intransigeants.
L’HISTOIRE FALSIFIÉE
tant donné la complexité et
l’évolution mouvante de la
composition ethnique dans les Balkans, il est devenu monnaie courante de « légitimer » le contrôle
exercé sur certaines régions, en
adoptant des critères fondés sur
la situation politique et historique
bien antérieure à l’occupation
ottomane et austro-hongroise du
pays (ou de la région) en question.
En ce qui concerne le Kosovo, son
contrôle est revendiqué autant
par les Serbes que par les Albanais.
Les premiers s’appuient sur le souvenir de la dynastie des Némanjides
et en particulier du Tsar Douchan
1
Noel Malcolm,
Kosovo. A Short
History, Macmillan,
1998, 492 pages.
2
Il est déjà l’auteur
d’un ouvrage,
publié en 1994,
sur l’histoire
de la Bosnie.
Sociétal
N° 27
Décembre
1999
103
LES LIVRES ET LES IDÉES
talité de l’histoire de cette région,
une approche rendue nécessaire
par l’utilisation à des fins politiques
du « mythe » du Kosovo et de la
bataille du champ des Merles dans
la conscience nationale des Serbes.
3
A la suite
des grandes
invasions
barbares
déclenchées
par la poussée
des Huns.
Pour commencer, Noel Malcolm
étudie les noms historiques anciens des localités du Kosovo pour
analyser les liens entre les Illyriens,
présents dans la partie occidentale
des Balkans, et les Albanais d’aujourd’hui. En fait, il admet n’en
avoir trouvé aucun, faute de textes
écrits en illyrien. Toutefois, pour
l’auteur, il n’y a pas de doute quant
à la descendance des Albanais des
peuplades illyriennes, en raison
notamment de la présence d’éléments latins dans la langue albanaise qui témoignent de l’interpénétration albano-romaine dans la
partie occidentale des Balkans
sous l’Empire romain.
4
Disons :
« grand prince ».
Ce titre, qui a
un air de famille
avec le
« Mamamouchi »
de Molière,
avait été conféré
par l’empereur
de Byzance,
Manuel Ier
Comnène
(n.d.l.r.).
5
Leur
importance
est toutefois
considérable,
notamment en
ce qui concerne
le chef d’œuvre
architectural
de Gracanica
et le monastère
de Pec, siège du
patriarcat serbe.
Sociétal
N° 27
Décembre
1999
104
l
Le « mythe » du Kosovo
L
∨
de Ras (au nord de l’actuelle Novi
Pazar). Les Serbes ont en effet dû
attendre six siècles avant de
prendre possession de la partie
orientale du Kosovo, de l’Albanie
du Nord, de la Macédoine et de
la Zeta (le futur Monténégro),
tombées entre leurs mains en 1180
sous le règne de Stéphane Nemanja, « grand joupan » de Rascie 4.
Entamée à la fin du XIIe siècle, la
conquête du Kosovo fut achevée
durant le XIVe siècle sous le règne
de Stéphane Douchan, couronné
en 1331. C’est durant cette période que la Serbie médiévale atteint son apogée, en s’étendant du
Danube jusqu’au golfe de Corinthe
et en intégrant la Macédoine, l’Albanie, le Monténégro et le Kosovo
(la capitale de ce vaste ensemble
étant à Skopje). Le centre politique
de la Serbie médiévale était donc
en Macédoine, et non pas au Kosovo, où se trouvait, en revanche, le centre spirituel de
l’église orthodoxe serbe.
La Serbie médiévale se caractérise
a présence d’Albanais dans
alors par une grande richesse arcette partie des Balkans serait
tistique et architecturale, grâce,
donc bien antérieure à celle des
notamment, à la construction de
Serbes – une donnée que ces dernombreux monastères. C’est au
niers ne contestent pas d’ailleurs.
nom de l’héritage de ces derniers
La « démythification » de l’histoire
que la Serbie actuelle revendique le
des Serbes – objectif principal de
contrôle du Kosovo,
l’auteur – doit surappelé berceau histout permettre de La présence
torique, voire parrectifier le rôle du
des Albanais au Kosovo
fois la « Jérusalem »
Kosovo en tant que
de la Serbie. Or,
berceau historique serait bien antérieure
dans le processus de à celle des Serbes... et
comme le souligne
formation de la naNoel Malcolm, c’est
donc le rôle de celui-ci
tion serbe.Ainsi, Noel
la Rascie, et non pas
Malcolm souligne que en tant que
le Kosovo, qui a vu la
parallèlement à l’arri- berceau historique
naissance de la Servée des Serbes (oribie. D’ailleurs, les
de la nation serbe
ginaires de l’actuelle
fameux monastères
Ukraine) dans les Bal- doit être rectifié
serbes ont en grande
kans entre le Ve et le
partie été édifiés en
VIe siècle 3, la région du Kosovo
Rascie et non pas au Kosovo.
tombe d’abord sous le contrôle
C’est notamment le cas des plus
des Bulgares, avant d’être dominée
anciens et des plus grands monaspar Byzance jusqu’à la fin du
tères, ceux de Studenica et de
XIIe siècle. Pendant cette période,
Djurdjevi Stupovi, qui se trouvent
la Serbie a évolué en tant qu’État
en Rascie. Le monastère de
∨
vassal sous le nom de Rascie
Mileseva a été établi près de l’ac∨
(Raska), ayant pour capitale la ville
tuelle frontière bosniaque. Ainsi,
sur les quinze monastères les plus
importants construits sous le
règne de la dynastie des Nemanjides, trois seulement se trouvent
au Kosovo 5.
l
Serbes et Ottomans
C
ontrairement à ce que prétendent les nationalistes
serbes, le début du déclin et de la
disparition de l’Empire serbe ne
datent pas de la défaite contre les
Ottomans sur le Champ des
Merles en 1389, mais, comme le
rappelle l’auteur, de la mort de Stéphane Douchan en 1355. La dynastie des Némanjides disparaît avec
∨
la mort du fils de Stéphane, Uros,
en 1371, date à laquelle les Serbes
essuient une première défaite
contre les Ottomans qui avaient
pris pied en Europe en 1354. À la
veille de la bataille du Kosovo Polje,
la Serbie est constituée par tout
un ensemble de principautés déchirées par des querelles internes.
Le nord de la Serbie tombera alors
sous le contrôle du prince Lazare,
la partie méridionale échouant à
son rival et ennemi, Vuk Brankovic.
L’auteur consacre ensuite un chapitre entier à l’affrontement serboottoman de 1389. L’analyse de
l’évolution et des conséquences
politiques à long terme de cette
guerre lui permet de tirer cinq
conclusions diamétralement opposées à celles de l’historiographie
nationale serbe. D’abord, comme
il l’a déjà été dit, le début du déclin de l’État médiéval serbe
commence avec la mort de Stéphane Douchan et non pas avec la
bataille de 1389. Donc ce ne sont
pas les « Turcs » qui sont à l’origine
du dépérissement de la Serbie,
mais les successeurs serbes des
Némanjides. Ensuite, ce n’est pas la
bataille de 1389 qui va achever ce
processus de déclin, mais la chute
de la forteresse de Smederevo,
alors la capitale de ce qui restait de
l’État serbe, en 1459. De même, la
fameuse bataille du Champ des
Merles ne peut se réduire à un
KOSOVO. A SHORT HISTORY
simple affrontement entre Serbes
et Ottomans (et, par conséquent,
entre Orthodoxes et Musulmans)
– ce que se plaisaient à faire les nationalistes serbes afin d’assimiler
les Ottomans musulmans d’autrefois aux Albanais musulmans d’aujourd’hui. En réalité, les troupes de
Mourad Ier comptaient dans leurs
rangs des milliers de Grecs et de
Bulgares, c’est-à-dire des Orthodoxes, tandis que les forces du
prince Lazare comptaient, outre
des Serbes, de nombreux Albanais.
Ces derniers, loin de s’être affrontés en 1389, ont au contraire
combattu ensemble contre l’envahisseur ottoman. Par ailleurs, la
bataille du Kosovo Polje, qui a vu la
mort des deux protagonistes principaux, Mourad Ier et Lazare, ne
s’est pas vraiment achevée par
une défaite, côté serbe, mais plutôt
par une situation de match nul
– qui, en revanche, était plus désastreuse pour les Serbes que pour
les Ottomans. Les premiers, exsangues et beaucoup moins nombreux, étaient durablement affaiblis, tandis que les seconds ont pu
assez facilement reconstituer leurs
troupes et reprendre la conquête
des Balkans. Enfin, Noel Malcolm
souligne également la nécessité de
réviser le mythe de la résistance
héroïque des Serbes contre les
Ottomans, en relevant que ces
derniers auraient peut-être été
battus si le prince Lazare n’avait
pas été trahi par les siens, en particulier par son propre gendre, Vuk
Brankovic, alors maître du Kosovo.
Le fils de ce dernier, Djuradj Brankovic, va jouer un rôle plus néfaste
encore dans l’histoire médiévale
de la Serbie. Celle-ci ne disparaît
pas de la scène balkanique en 1389,
mais continue à exister en tant
qu’État vassal de l’Empire ottoman,
sous le règne de Stéphane Lazarevic, le fils du prince Lazare et ami
personnel et beau-frère de Bayezit,
le successeur de Mourad I er.
A la mort de Vuk Brankovic
(1397), qui avait refusé de devenir
vassal de la Sublime Porte, Baye-
zit 6 confie les règnes de la Serbie
XVIIe siècle, par une cruauté féet du Kosovo à son ami Stéroce envers les « infidèles ». Ainsi,
phane Lazarevic. Lorsque ce
il n’y avait pas d’islamisation fordernier meurt en 1427, le Kosovo
cée, mais des conversions qui se
revient à la famille des Brankovic,
faisaient essentiellement pour des
qui se sont auparavant soumis
raisons politiques (afin d’obtenir
à la volonté musuldes postes civils et
mane. Cette soumis- Autre mythe :
militaires dans l’adsion est allée très
ministration ottola résistance héroïque
loin. En effet, en
mane) et écono1459, confronté au des Serbes contre
miques (la pression
choix entre une al- les Ottomans.
fiscale de plus en plus
liance avec les Honforte pesant sur les
Ces derniers auraient
grois (engagés dans
peuples chrétiens).
une véritable croi- peut-être été battus
Ce n’est qu’après
sade contre les Ot- si le prince Lazare
l’offensive autritomans) et la loyauté
chienne dans les Baln’avait pas été trahi
envers les Ottomans,
kans, consécutive à
Djuradj Brankovic par les siens
la défaite des Turcs à
choisit l’alliance avec
Vienne en 1683 7 que
l’oppression ottomane s’acharnera
ces derniers. Ainsi, à deux reprises,
sur les Serbes et les Albanais.
en 1444 (lors de la bataille de la
Varna) et en 1448, la Serbie a interdit le passage à travers le terl Un pseudo-exode
ritoire serbe aux troupes honn 1690, les troupes autrigroises (commandées par Janos
chiennes se trouvent au KoHunyadi) et à leurs alliés albanais
sovo, où d’après l’historiographie
(sous le commandement de Skannationale serbe, reproduite par la
derbeg), également en révolte
plupart des historiens occidencontre les Ottomans. De plus,
taux, les Autrichiens attisent la réBrankovic a fourni des informavolte des Serbes, qui, brutalement
tions au Sultan ottoman Mourad II,
réprimée, provoque l’exode de
concernant la taille et l’armement
près de 200 000 Serbes du Kodes troupes hongroises et albasovo, emmenés par leur patriarche
naises. Cette double trahison, qui
Arsenije dans la région de l’actuelle
s’est soldée par le retrait de SkanVoïvodine. Or, d’après Noel Malderbeg vers l’Albanie et la défaite
colm, les événements se sont prodes troupes hongroises en 1448,
duits différemment. En fait, les
n’a pas été bénéfique pour les
troupes autrichiennes se seraient
Serbes. Dépourvus d’alliés, ils ont
surtout efforcées de mobiliser les
à leur tour été écrasés par les Otpopulations albanaises, encore en
tomans, qui ont pris le contrôle du
grande partie catholiques à
Kosovo en 1455 et du reste de la
l’époque. Les Serbes, en revanche,
Serbie en 1459.
et en particulier leur patriarche
Arsenije, très méfiant à l’égard des
Ce n’est qu’en 1913 que la Serbie,
Autrichiens, auraient préféré une
devenue autonome en 1830 et inalliance avec Venise, plus tolérante
dépendante en 1878, va récupérer
à l’égard des Orthodoxes. Par
le Kosovo. Auparavant, les Serbes
conséquent, le soulèvement des
vont subir ce qu’ils qualifient de
Albanais et des Serbes n’ayant pu
« joug » musulman. En fait, comme
être coordonné avec l’arrivée des
le soulignent Noel Malcolm et la
troupes vénitiennes et les objectifs
plupart des historiens de nos
des Autrichiens, ces derniers ont
jours, le régime ottoman, qui a
dû battre en retraite, livrant Serbes
beaucoup évolué au gré des
et Albanais à une terrible répressiècles, ne s’est pas caractérisé,
sion de la part des Ottomans.
en tout cas jusqu’à la fin du
E
6
Francisé en
Bajazet, mais il n’y a
qu’un rapport
d’homonymie avec
le fils d’un sultan
du XVIIe siècle dont
la fin tragique
inspirera Racine
(n.d.l.r.).
7
Qui a permis
la libération
de Buda (1686) et
de Belgrade (1688).
Sociétal
N° 27
Décembre
1999
105
LES LIVRES ET LES IDÉES
8
Et s’appuyant
sur des notes
couvrant
une centaine
de pages.
Sociétal
N° 27
Décembre
1999
106
La vengeance de ces derniers a
certes provoqué le départ de dizaines de milliers de Serbes, mais
Noel Malcolm réfute la thèse selon laquelle 37 000 familles auraient quitté le Kosovo sous l’égide
de leur patriarche, Arsenije. Celuici avait en effet envoyé une pétition
à Léopold de Habsbourg, annonçant l’arrivée de « plus de
30 000 âmes » serbes en Hongrie.
Ce détail est d’importance. Selon
l’argumentation de Belgrade, jusqu’en 1690, le Kosovo aurait été
majoritairement serbe. Cette situation n’aurait changé qu’après
l’exode des Serbes, qui aurait été
suivi par l’arrivée massive de populations albanaises s’installant
dans les foyers abandonnés par les
Serbes. Pour Noel Malcolm, cette
vision des choses est erronée. S’il
est vrai que le Kosovo a été repeuplé après les massacres commis par les Ottomans dans les années 1690, l’immigration est restée
faible (ce n’est qu’au début du
XIXe siècle que le Kosovo retrouvera la même densité qu’à la fin du
XVIIe siècle) et n’était pas le fait
des seuls Albanais d’Albanie. Car
à ces derniers s’ajoutent des Valaques, des Monténégrins et même
des Serbes revenant de Hongrie.
De plus, la répression ottomane
s’acharne davantage sur les Albanais catholiques (dont la conversion à l’islamisme s’accentue durant le XVIIIe siècle), en raison du
soutien qu’ils ont accordé aux
Autri -chiens, que sur les Serbes
orthodoxes, dont la méfiance visà-vis de Vienne et de Rome n’est
pas un secret pour la Sublime
Porte. Enfin, l’argumentation de
l’historiographie serbe est d’autant
plus pernicieuse qu’elle aboutit à
faire l’impasse sur la révolte des Albanais contre les Ottomans et
qu’elle invente l’existence d’un
complot albano-turc dressé
contre les Serbes, « défenseurs
de la cause chrétienne ». En fait,
elle omet surtout de préciser
qu’en 1690, tout comme en 1389,
Serbes et Albanais ont combattu
ensemble contre l’envahisseur
ottoman.
tif n’est rien d’autre que de pousser les Albanais à l’exil. Selon Noel
Malcolm, plus de 12 000 Albanais
ont
été tués durant cette pé LE TEMPS DES HAINES
riode, tandis qu’entre 90 000 et
i aujourd’hui, la haine est réelle,
120 000 Albanais ont été forcés à
voire sans doute insurmonpartir – l’objectif serbe étant le détable, entre Albanais et Serbes, elle
part de 300 000 Albanais et l’instaln’est en tout cas pas ancestrale,
lation de 470 000 colons serbes. La
mais plutôt récente, s’inscrivant daSeconde Guerre mondiale a brutavantage dans l’histoire mouvemenlement stoppé cette entreprise de
tée du XXe siècle que dans celle
purification ethnique que la Yougodes siècles précédents. L’indépenslavie titiste avait décidé de ne pas
dance de la Serbie s’accompagne
poursuivre. Sous Tito, la situation
d’efforts accrus de la part de Beldes Albanais du Kosovo s’est lentegrade pour étendre son contrôle
ment améliorée, grâce, notamsur le Kosovo. Une ligue albanaise
ment, à l’enseignement de la langue
se constitue alors, demandant au
albanaise dans les écoles primaires
Sultan d’unifier les différentes
et secondaires, à l’ouverture d’une
zones albanaises qui
université à Prishtina
se trouvent sous La haine entre
et à l’instauration
l’emprise de la Sud’un statut d’autonoAlbanais et Serbes
blime Porte, afin de
mie assez substanrésister à la pression n’est pas ancestrale
tielle en 1974 – des
serbe et monténé- mais s’inscrit dans
initiatives qui ont ingrine. En 1913, la
tensifié le dél’histoire mouvementée
question est transéquilibre démograc h é e e n f ave u r de ce siècle
phique aux dépens
de ces derniers. Le
des Serbes. Slobodan
29 juillet, au lendemain de la seMilosevic, dont la carrière politique
conde guerre balkanique (juins’inscrit dans l’exacerbation du najuillet 1913), les grandes puissances
tionalisme serbe, en a grandement
européennes décident, à la deprofité.
mande de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie (qui refusent d’ocLe récit de Noel Malcolm s’arrête
troyer aux Serbes un accès à la
en 1997, à la veille des affrontemer) de donner naissance à un État
ments militaires entre l’armée
indépendant albanais, tout en faiserbe et l’UCK. Riche en détails,
sant des concessions à la Serbie
l’étude de Noel Malcolm ne ré(soutenue par la France et la Ruspond pas à la question qui se pose
sie), qui prend le contrôle sur le Kodepuis 1913, et en particulier desovo. Belgrade profite de cette dépuis la guerre de 1999 : à qui apcision pour intégrer le Kosovo
partient le Kosovo ? En revanche,
quasi automatiquement dans la
il ne laisse aucun doute quant au
Yougoslavie au lendemain de la
fait que ce sont les Albanais qui
Première Guerre mondiale. Cet
constituent, depuis toujours, la maacte, jugé illégal par les Albanais du
jorité au Kosovo, et non pas les
Kosovo, qui demandent leur indéSerbes, et que ce sont les seconds
pendance, s’accompagnera, côté
qui ont fait souffrir les premiers et
albanais, d’actes de guérilla qui
non pas le contraire. Mais surtout,
vont durer plus de dix ans et, côté
Noel Malcolm plaide pour une viserbe, d’une répression qui n’a rien
sion démythifiée de l’histoire du
à envier à celle des Ottomans, de la
Kosovo – et ceci notamment
fermeture de toutes les écoles alpour permettre aux Serbes de
banaises, d’une campagne de coloprendre du recul afin de regarder
nisation et de serbisation, ainsi que
autant l’histoire en face que les
d’actes d’intimidation dont l’objecévénements récents. À cet égard,
l’ouvrage de Noel Malcolm est très
précieux et fait d’ores et déjà référence sur l’histoire des Balkans. l
S