quelle relation animateurs / parents

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quelle relation animateurs / parents
QUELLE RELATION ANIMATEURS / PARENTS ?
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© Dossier : Le journal de l’animation
N ° 15 – janvier 2001
www.info-presse.fr/revue/journal-animation_M4032.htm
La relation établie entre les animateurs et les parents des enfants qu’ils encadrent n’est pas
toujours très sereine. Rapport conflictuel, rivalité, méfiance… Les tensions peuvent prendre
plusieurs formes.
Ce dossier vous permettra de comprendre ce phénomène, et surtout de prendre conscience
que d’autres relations, constructives et bénéfiques à tous les acteurs (parents, enfants,
animateurs), peuvent être mises en place.
Animation : la place des parents et de la famille, par Jacques Trémintin.
Dossier :
• Animateurs/parents : guerre ou paix ?
• La remise en cause de la famille moderne
• Collaboration ou compétition ?
• Rencontre avec Richard Minnier, directeur de CVL
Fiches pratiques :
• La place des parents : pour une refondation des pratiques
• Bibliographie
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Animateurs/parents : guerre ou paix ?
La relation établie entre les parents et les centres de vacances et de loisirs n’est pas toujours
très sereine. Les familles ne se sentent pas toujours très bien perçues par les animateurs et
les animatrices de leurs enfants qui, de leur côté, le leur renvoient bien. On n’est pas loin de
ces rapports potentiellement conflictuels qui existent par ailleurs entre les familles et l’école.
L’auteur
Jacques Trémintin est assistant socio-éducatif dans un service départemental de l’aide
sociale à l’Enfance. Il collabore régulièrement à Lien Social, hebdomadaire destiné aux
travailleurs sociaux, et au Journal du Droit des Jeunes, revue juridique de l’action sociale et
éducative. Sa sensibilité au monde de l’animation est à relier à son expérience comme
directeur de Centre de loisirs et à son engagement aux Francas comme responsable de
stages BAFA et intervenant BEATEP.
Ce n’est pas de l’hostilité. Plutôt une forme de méfiance. On se regarde de travers. D’un
côté, les professionnels se considèrent comme les mieux placés pour savoir comment faire
avec les enfants et cherchent une forme de reconnaissance de leur technicité de la part des
familles. Ces dernières, quant à elles, ressentent une sorte de déconsidération de leur rôle et
de désappropriation de ce qui reste pourtant « la chair de leur chair » !
Pour comprendre ce qui se déroule, nous allons faire appel à un psychosociologue, qui
propose une hypothèse tout à fait féconde pour nous permettre de décoder ce qui se passe
dans notre quotidien, que l’on soit parent ou professionnel.
L’invention de la famille moderne
Reynald Brizais1 explique que la famille moderne telle qu’on la connaît, c’est-à-dire sous sa
forme nucléaire (les deux parents et les enfants), constitue une création historiquement
récente. Son apparition correspond en faite à la période de la Révolution industrielle.
L’industrialisation nécessitant une qualification des salariés, cette exigence impliquera
l’élaboration de l’obligation scolaire. Mais, s’il est un domaine dans lequel la société va tout
particulièrement se mobiliser, c’est bien celui de la nécessaire et incontournable stabilisation
d’une main d’œuvre traditionnellement habituée à errer de place en place au gré de son
humeur.
Il y eut déjà en 1792 la législation pénalisant la vagabondage (et qui n’a disparu d’en 1994 !).
Mais cela ne fut pas suffisant. Afin de fixer l’ouvrier à son lieu de production, moralistes,
médecins hygiénistes, prêtres, instituteurs vont s’engager dans une croisade idéologique
visant à faire le lit de la famille moderne. Divers mouvements contigus permettent que se
réalise cette structuration de fond.
L’amour maternel réinventé
« Les tâches d’instruction, de soins, de garde et de loisirs sont progressivement prises en
charge par les « institutions secondaires » de l’enfance ».
On assiste tout d’abord à la réinvention de la relation mère-enfant : l’amour maternel,
relativisé pendant des siècles pour cause de forte mortalité infantile, revient sur le devant de
1
Maître de conférences en psychologie sociale, Département de Psychologie Université de Nantes.
2
la scène. Après avoir rétabli l’attachement avec l’enfant, la deuxième étape consiste à nouer
le mari à sa femme. Pour ce faire, c’est la notion de couple qui est réactivée, avec le mariage
qui devient l’acte central de la vie familiale.
Si le père prend alors la figure fondamentale de chef de famille, la mère se trouve quant à
elle avec les responsabilités non seulement d’élever les enfants, mais aussi de surveiller la
mari en évitant ses comportements excessifs, et surtout ses velléités d’aller vivre sa vie
ailleurs. Enfin, vient l’invention de la domiciliation. Le domicile, très aléatoire jusqu’alors, est
transformé en foyer autour duquel va se centrer l’individualisation des conditions de vie.
La remise en cause de la famille moderne
Les institutions secondaires
Le processus d’intégration de ce nouveau modèle met un siècle à s’imposer. Mais, à peine
installée, ce que Reynald Brizais appelle la « première institution de l’enfance » commence à
être remise en cause. Les tâches d’instruction, de soins, de garde et de loisirs sont
progressivement prises en charge par ce qu’il nomme les « institutions secondaires » de
l’enfance.
Tout d’abord l’école qui se charge de permettre l’instruction. Pédiatres, puéricultrices
deviennent ensuite les spécialistes de la santé de l’enfant. Les loisirs sont bientôt pris en
charge par des structures extérieures à la famille : clubs sportifs, centres aérés, colonies de
vacances. Bien sûr, ces dispositifs correspondent aussi à une amélioration des conditions de
vie et à une meilleure organisation de la société quant à la prise en charge des enfants.
Faire un lieu et place des parents
Mais ces relais, en se professionnalisant et en se qualifiant, se substituent progressivement
aux compétences initialement attribuées aux familles. En fait, il semble y avoir toujours
quelqu’un qui apparaît mieux placé et plus capable de faire en lieu et place des parents.
S’il ne s’agit pas de remettre en cause les motifs légitimes qui ont concouru à l’émergence
de ces dispositifs auxiliaires, leur généralisation n’en a pas moins abouti à placer sur la
touche les aptitudes familiales. La crise de la famille n’est donc pas un hasard. La démission
dont on l’accuse parfois est aussi liée à sa relégation de la place de pilier de rugby à la
touche voire au vestiaire. Il n’est guère étonnant dès lors de voir naître une forme de
méfiance chez les parents à l’égard de ces professionnels qui, pour être de bonne volonté et
d’une compétence certaine, n’en sont pas moins en situation de compétition à leur égard.
Collaboration ou compétition ?
La formation en cause ?
Comment faire en sorte que les familles et les professionnels de l’enfance puissent
rencontrer en établissant un lien de confiance et de coopération ? la première réponse
situe au niveau de la formation des encadrants de l’animation. Il est toujours étonnant
constater la réponse proposée lors des questionnaires qui sont parfois utilisés en début
stage BAFA
Pour situer les représentations sur le rôle de l’animateur.
se
se
de
de
Il s’agit de choisir sur une liste d’une vingtaine d’items, les trois qui correspondent le mieux à
l’idée qu’on se fait de la fonction et les trois qui en sont les plus éloignés. De façon assez
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systématique, la phrase qui est la plus souvent désignée comme la plus contraire aux tâches
de l’animateur est : « l’animateur entre en relation avec les patents ».
« Les familles ont-elles été habituées à entrer dans le centre en y trouvant leur place ? »
Que, spontanément, de jeunes stagiaires qui sont très proches encore de leur adolescence,
expriment ainsi leur défiance à l’égard des familles n’est pas forcément très étonnant. Mais
quelle place faisons-nous en tant que formateurs pour modifier cette perception ? Peut-être,
tout simplement, est-ce lié à notre propre pratique. Nous sommes très attentionnés (ou du
moins, nous devrions l’être) aux rythmes de l’enfant, à ses droits, à son éveil intellectuel, au
respect de ses potentialités. Et cela est très bien. Mais que mettons-nous en œuvre
exactement pour nous articuler avec les familles ?
Etablir des ponts
Le temps est peut-être venu que nous établissions des ponts avec ces parents, que nous
fassions en sorte qu’ils soient parties prenantes du travail engagé. Certains lecteurs vont
protester, en affirmant que c’est ce qu’ils font parfois. Mais les familles ne répondent pas
toujours présent, loin de là. Combien de réunions qui déplacent une poignée de parents, ou
de sollicitations qui semblent prêcher dans le désert ?
C’est, peut-être, parce que les familles se sont installées dans une répartition des tâches qui
leur semble plus aisée. Submergées par leur travail ou leurs occupations ménagères, elles
profitent que leurs enfants sont accueillis au centre aéré pour vaquer à leurs obligations. Et
puis, quand il s’agit de ressortir pour venir rencontrer ces professionnels, c’est un peu plus
compliqué.
Eviter la disqualification familiale
Mais une autre explication s’impose : se sentent-elles vraiment attendues et accueillies ?
Ont-elles été habituées à entrer dans le centre en y trouvant leur place ? Les institutions qui
se placent peu ou prou dans une logique de suppléance à l’égard des familles doivent définir
clairement la position qu’elles entendent adopter à leur égard. Ce dont il est question, c’est
bien de permettre les possibilités de relais tout en évitant la disqualification familiale.
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Rencontre avec Richard Minnier
Richard Minnier est directeur de la structure Jocari à l’ACCOORD de Nantes dans le quartier
Saint-Joseph de la Porterie. Il s’est engagé dans une démarche participative des parents au
sein du centre aéré. Il nous explique pourquoi.
Journal de l’Animation : Selon vous, quelle place doivent prendre les parents dans l’activité
d’un centre de vacances et de loisirs ?
Richard Minnier : Le centre de loisirs est traditionnellement considéré par les parents
comme avant tout un système de garde pour leurs enfants. Ils souhaitent que ceux-ci soient
accueillis dans de bonnes conditions, qu’ils soient contents de leur journée et ne reviennent
pas avec trop d’écorchures.
Je considère au contraire ces centres comme un service complémentaire de l’école, qui
s’inscrit donc dans la même dynamique fondamentalement éducative. Si l’on revendique une
telle orientation pédagogique, on ne peut que tenir compte de l’avis des parents, qui sont
quand même ceux qui connaissent le mieux leurs enfants. En s’engageant dans une
véritable collaboration avec eux, on se donne les moyens de travailler sur la globalité de
l’enfant, et donc de remplir les objectifs que nous nous sommes fixés dans notre projet
pédagogique.
J.D.A : Comment vous y êtes-vous pris pour concrétiser ce désir d’impliquer ainsi les
parents ?
R.M. : Nous avons pris l’habitude de discuter avec eux. Chaque soir, nous les avons
accueillis avec un café et des petits gâteaux. Ils sentaient qu’ils avaient leur place dans le
centre. L’important était de trouver le juste équilibre entre cette présence que nous
souhaitions sincèrement et ce qui aurait pu dériver sur un envahissement du terrain de jeux
de leurs enfants.
En fait, c’est progressivement que la confiance est née entre nous. Nous leur avons alors
proposé des rencontres pour aborder les questions concernant l’organisation du centre.
Nous avons conçu l’idée de construire une structure de concertation. C’est ainsi qu’est né le
projet du conseil de parents. Sur quatre-vingts familles adhérentes, une dizaine de parents
se sont déplacés dans un premier temps. Ces rencontres ont lieu depuis trois ans au rythme
d’une fois tous les trois mois environ. Nous avons commencé tout doucement en nous
centrant dans un premier temps sur des questions très matérielles plutôt liées à la vie
quotidienne (les modes d’inscription, les problèmes liés à la piscine…).
Mais nous ne souhaitons pas en rester là. Pour nous, les parents ont vocation pour intervenir
sur l’organisation même des activités. Ce dont il s’agit, c’est bien pour les professionnels de
l’animation de rester au plus près des besoins exprimés par la population. Partir du constat
des souhaits des uns et des autres permet de présenter ensuite un panel qui est le plus
complet possible en matière d’animations.
Ainsi, la mise en place des mini-camps intéresse directement les familles. Pourquoi pas les y
associer, y compris au niveau de la préparation budgétaire, afin qu’elles prennent
conscience de la réalité de la gestion d’un tel projet. Mais cela peut concerner aussi par
exemple le choix de privilégier un atelier poney pour les plus petits ou au contraire une
structure passerelle pour les 10-12 ans.
Le choix de certaines options apportant une meilleure qualité peut entraîner l’obligation de
dégarnir d’autres projets. Il est bien que les parents soient associés à ces réflexions. Pour
une association comme la nôtre, qui privilégie les notions de démocratie et de citoyenneté, il
est, en outre, pertinent d’encourager l’expression des familles au sein de son conseil
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d’administration. Tous les espaces de la ville y sont déjà représentés. Nous allons essayer
d’obtenir que notre propre équipement le soit aussi.
Ainsi, les parents qui y seraient délégués interviendraient alors comme porte-parole des
usagers. On est là dans une relation directe tout à fait essentielle entre les élus, qui sont
appelés à prendre des décisions, et ceux qui vont en être bénéficiaires.
J.D.A. : Quelles ont été les réactions des parents ?
R. M. : Certains ont bien réagi, d’autres sont restés plus passifs. Mais je crois que cela
dépend beaucoup du travail de motivation que l’on développe dans leur direction. C’est aussi
une affaire de rencontre entre personnes. Perce que le courant passe bien avec l’animateur
qui leur en parle, ils se mobiliseront d’autant plus facilement. Après, c’est le bouche-à-oreille.
Les trois ou quatre parents qui se sont portés volontaires au départ, et qui constituent le
noyau actif, peuvent en entraîner d’autres.
J.D.A. : Je crois que vous avez aussi conçu un projet un peu plus global…
R. M. : Le quartier où nous intervenons est un peu isolé du reste de la ville. On y trouve un
mélange de couches moyennes et d’un milieu un peu plus populaire. Il compte moins de
5 000 d’habitants, d’où l’idée de concevoir une organisation de type « place de village ».
Nous avons imaginé un projet comme celui du « jardin couvert » déjà expérimenté à Lyon.
Cette idée s’appuie sur la « Maison verte » de Françoise Dolto, qui accueille des jeunes
mamans et leur enfant en présence de psychologues. Là nous avons repris le même
principe sans l’aspect thérapeutique. Il s’agissait de proposer un même lieu qui offrirait à la
fois un espace multimédia, une bibliothèque, un bar, une ludothèque, avec à proximité une
crèche, une école maternelle et un centre aéré.
L’aménagement urbain s’appuyait sur l’idée d’un plateau semi-piétonnier donnant l’aspect
d’un village d’enfants. Les parents pourraient s’y rendre non seulement pour y déposer leurs
enfants, mais aussi pour y vivre un moment avec eux. Possibilité leur serait donnée de
choisir une activité pour leur enfant, et même de passer de l’une à l’autre de ces structures
en cours de journée. Ils pourraient alors d’autant plus y prendre leur place. L’un intervenant
comme bénévole de la ludothèque, l’autre comme éducateur sportif d’un club de foot,
seraient impliqués dans la prise en charge des enfants (y compris des leurs). Les parents
seraient dès lors acteurs en tant que tels, mais aussi au travers des associations cointervenantes qui se retrouveraient autour d’une réelle communauté de vie, véritable espace
commun, multiactivités.
Le centre aéré serait dès lors perçu différemment comme partie intégrante d’un « centre
DES loisirs », laissant ainsi la possibilité aux enfants d’exercer un choix quant à leurs
activités. Parents, professionnels et institutions étaient très intéressés par un tel projet, mais
la municipalité qui finançait a tranché en n’allant pas jusqu’au bout de ce qui était prévu. La
raison est certainement à chercher du côté des investissements déjà importants (puisque
portés des 5 millions initiaux à 9 finalement), et d’un rééquilibrage avec ce qui est prévu en
direction des adultes.
Propos recueillis
Par Jacques Trémintin
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La place des parents : pour une refondation des
pratiques
Réinventer la participation des parents
Traditionnellement, les familles sont concernées par les centres de vacances et de loisirs
surtout en amont (participation aux conseils d’administration des associations gestionnaires)
ou en aval (confection de gâteaux ou tenue de stands à l’occasion de la fête de fin de
centre), en début de journée (quand elles accompagnent leurs enfants) et en fin de journée
(quand elles viennent les rechercher). Mais, il est rare qu’elles prennent une place dans le
cours même de l’activité.
A cela, bien des raisons sans doute. Leur participation bénévole s’oppose à la démarche
professionnelle demandée aux encadrants. Et puis, une méfiance latente existe quant aux
perturbations que ces parents pourraient apporter (manque d’objectivité du fait de la
présence de leur enfant dans le centre, absence de formation…). On est, toutefois, bien
content de les trouver quand il s’agit d’assurer un transport en voiture ou de renforcer
l’équipe en cas de sortie à l’extérieur avec un groupe d’enfants un peu important.
Pourtant, d’autres secteurs de l’enfance ont su inventer des pratiques de participation de ces
parents. Ainsi, malgré une méfiance là aussi latente au sein de l’Education nationale, l’école
maternelle a su aménager, en certains endroits, des structures passerelles où les plus petits,
âgés de 2 ans, sont accueillis par des équipes mixtes composées d’enseignants,
d’éducatrices de jeunes enfants (présentes dans les crèches et haltes-garderies) et de
parents.
On évoquera aussi les clubs sportifs, qui s’appuient sur des dizaines de milliers d’éducateurs
sportifs le plus souvent parents eux-mêmes d’enfants engagés dans les compétitions qu’ils
encadrent.
On pourrait tout autant imaginer des modalités de participation tout à faut originales dans le
milieu des CVL. Les animatrices et animateurs qui démontrent chaque jour leur créativité
quant aux activités qu’ils mettent en place seraient tout en fait en capacité d’aménager la
place des parents. Ce qui manque le plus, c’est peut-être la conviction de la pertinence de
cette possibilité ainsi que la volonté de l’appliquer. Quelles pourraient être les formes prises
par un telle démarche ? Nous proposons ici huit projections qui, pour n’être qu’imaginaires,
n’en sont pas moins réalistes et out à fait concrétisables pour qui veut s’en donner la peine.
Certaines d’entre elles sont d’ailleurs déjà à l’œuvre, preuve que l’évolution est déjà
engagée.
Au départ, il y aurait sans doute bien des réticences à faire tomber, tant du côté des
professionnels que des familles. C’est toute une culture à réorienter… A chacun de décider !
Un père parmi les maternelles
Dans cet accueil pour les 4-6 ans, l’arrivée de la petite Gwénaëlle (5 ans) suit tous les matins
le même scénario. L’enfant entre avec son papa, mais se met à hurler dès l’instant où celuici fait mine de la laisser. Rien n’y fait : la directrice, l’animatrice d’accueil, celle qui s’occupe
des activités manuelles, toutes ont usé leur patience pour tenter de rendre cette séparation
la moins douloureuse possible. Jusqu’au jour où la directrice a une idée. Elle en a parlé la
veille au père, lui proposant de prendre un peu plus de temps avec sa fille.
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Ce jour-là, l’enfant arrive, avec la même angoisse. Mais, cette fois-ci, son papa ne se
contente pas de la laisser dans le hall d’accueil. A son grand étonnement, il franchit la porte
de la salle d’activités et se mêle aux animatrices et aux enfants pour commencer à participer
aux animations. Ce monsieur si sérieux avec son costume et sa cravate se prend bien vite
au jeu. Petit à petit, sa fille se détache de lui et se mêle à ses petits camarades. C’est à
peine si elle l’entendra lui dire au revoir, absorbée qu’elle est déjà par ses activités.
Les animatrices ont commencé par voir d’un mauvais œil l’irruption d’un père ainsi sur leur
territoire et leur univers. Puis, elles se sont habituées à ce rite qui permettait chaque matin
de calmer l’enfant, finalement à peu de frais.
Une découverte multiethnique
Le centre aéré est implanté au cœur d’un quartier dit « difficile ». On n’y compte pas moins
de 23 nationalités. Les enfants qui y sont accueillis sont de toutes les couleurs et arrivent
avec des vêtements chatoyants en provenance des quatre coins du monde. Le directeur,
conscient du rôle intégrateur de sa structure, a décidé de profiter de la richesse que
constituait cette multiplicité culturelle.
Il a donc lancé une semaine à thème portant sur « les cuisines du monde ». A cet effet, il est
allé rencontrer les amicales des Sénégalais, des Vietnamiens, des Turcs, etc. Il leur a
proposé de venir au centre pour animer avec des groupes d’enfants des ateliers de cuisine
basés sur l’art culinaire de leur pays d’origine. Pendant toute une semaine donc, les enfants
ont tourné sur plusieurs demi-journées, apprenant à confectionner le tajine (Maroc), les
nems (Vietnam), les accras de morue (Antilles), le tandori de poisson (Inde), etc. Les parents
qui, jusqu’alors, se sentaient en difficulté face à la culture de leurs pays d’accueil, purent
avec fierté montrer leur savoir-faire et les connaissances qu’ils possédaient, mais qu’ils ne
diffusaient pas, les considérant comme secondaires et finalement peu utiles à l’intégration de
leurs enfants.
Internet plus fort que la Poste
Ce camp dans le Massif Central s’est donné pour objectif, outre la découverte des volcans,
une initiation à Internet, avec au terme de la première semaine, la construction d’un site par
un animateur spécialisé. Mais qui dit Internet, dit interlocuteurs (pour les courriers ou les
boîtes de dialogue). Aussi, avant de partir, la directrice s’est associée avec la maison de
quartier d’où sont originaires les enfants de ce camp. Celle-ci a mis à disposition un microordinateur branché sur la Toile. Tous les soirs, à partir de 17 h, les parents que le désiraient
ont pu, avec l’aide d’un emploi-jeune formé à cette technique, consulter le site, prendre
connaissance du journal quotidien réalisé par leurs enfants, laisser des messages et en
recevoir.
Un peu méfiants au départ face à une technologie qui leur semblait bien mystérieuse, les
parents ont boudé l’activité. Les premiers qui se sont risqués ont été enchantés.
Puis, le succès aidant, il a fallu installer un second terminal pour faire face à la demande. De
l’autre côté, comme on s’en doute, les enfants ont pris le pli bien plus vite, devenant en peu
de temps de véritables internautes.
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Correspondant de camp
Les parents s’étaient plaints de la façon dont les mini-camps qui se déroulaient sur trois jours
ou une semaine s’étaient passés. Des enfants étaient revenus très fatigués, en affirmant
qu’ils n’avaient pas pu dormir la nuit, des affaires avaient disparu ou avaient été volées. Le
directeur, conscient de cette défiance, soumit à son conseil d’administration l’idée qu’un
parent volontaire devienne correspondant de camp. Cela consisterait à participer à la
préparation de ces mini-séjours. Traditionnellement, le directeur s’y rendait une ou deux fois
au cours de son déroulement. Là, il leur proposait de l’accompagner.
Au début, cette idée fut perçue d’un côté (CA) comme de l’autre (équipe d’animation) comme
une tentative de contrôle. Il fallut toute la force de conviction du directeur pour arriver à
abaisser les défiances. La dizaine de mini-camps prévus dans l’été se déroula comme
convenu. Au dernier moment, certains parents ne purent être présents. Mais dans
l’ensemble, la collaboration fut appréciée par les uns et les autres, au point que la pratique
s’institua. Et ce qui était apparu au premier abord un peu saugrenu devint les années
suivantes une habitude de fonctionnement.
Quand les parents présentent leur métier
Le centre aéré avait souhaité proposer aux enfants une découverte du milieu économique
dans lequel ils vivaient. Pour ce faire, l’équipe d’animation décida de contacter les familles et
de les solliciter. Des relances furent nécessaires. Puis la directrice se déplaça auprès de
certains parents dont les métiers lui semblaient particulièrement intéressants. Finalement,
trois familles acceptèrent de jouer le jeu.
Une fermière consacra une fin de matinée à montrer ce qu’elle faisait chaque jour : devant
les enfants ébahis, elle se remit à traire une vache à la main (depuis longtemps, cela se
faisait à la machine) et les emmena dans le poulailler pour ramasser les œufs. La visite se
termina par l’inévitable clapier aux lapins (les enfants purent prendre dans leurs bras et
caresser la nichée née quatre semaines auparavant).
Deux jours plus tard, c’est un parent, patron d’un petit supermarché, qui reçut à son tour un
groupe. Il lui fit visiter ses ateliers boulangerie et boucherie. Puis, chacun des enfants put
passer sur une caisse enregistreuse, pouvant « en vrai » jouer « à la marchande ». Cela se
termina par un goûter offert dans la cuisine du personnel. Troisième destination de la
semaine : la mairie, avec comme guide la maman qui y travaillait en tant que secrétaire.
Toutes ces rencontres furent l’occasion d’un grand concours de dessin.
Parents animateurs d’atelier
Le centre aéré se tenait au cours de l’été dans les locaux scolaires. Cela n’était jugé idéal
par personne, mais la commune ne disposait pas d’autres locaux plus adéquats. Alors, on
faisait avec ce qu’on avait. Les parents avaient bien investi le temps scolaire, l’institutrice en
place les ayant sollicités sur les temps du samedi matin consacrés aux activités d’éveil.
Les animatrices des tout-petits proposèrent aux mères que le désiraient de venir les aider.
Mais pour éviter que cela ne ressemble quand même trop à l’école, elles suggérèrent que
les familles reçoivent les enfants chez elles par petits groupes de cinq ou six.
L’une, qui disposait d’un petit tout de potier put ainsi mettre en place une séance d’initiation à
cette technique. L’autre, fin cordon bleu, proposa une activité cuisine et plus particulièrement
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pâtisserie, pour le plus grand plaisir des petits gourmands. La troisième avait aménagé un
« nid douillet » dans son grenier. Elle y accueillit un groupe d’enfants pour un après-midi
conte.
Cette expérience fut réussite au point que rendez-vous fut pris entre tous les participants
pour l’année suivante, en vue de son renouvellement.
Des parents au conseil
Le centre aéré a décidé de fonctionner à partir d’une consultation régulière du groupe
d’enfants. Fort de 175 participants répartis en quatre unités, chaque vendredi, le même
scénario se renouvelle à l’identique. Une heure avant la fin de la journée, une rencontre
regroupe tous les enfants d’une même unité et la parole leur est donnée quant à la façon
dont s’est déroulée la semaine (activités proposées, relations entre les enfants ou avec les
animatrices et animateurs).
L’équipe de direction a aussi souhaité associer les familles à cette démocratie interne. Elle a
donc proposé à un parent volontaire, différent chaque semaine, d’être présent chaque jour
dans le quart d’heure qui précède le départ des enfants et d’aller vers les familles pour
recueillir leurs remarques, critiques et suggestions. En fin de semaine, ce même parent est
présent à la rencontre avec la directrice, deux animatrices et les huit enfants délégués.
Pendant longtemps, avant la mise en place de ce système, les parents avaient été conviés à
une rencontre à la fin des deux mois d’activité, mais les améliorations proposées ne
pouvaient pas se concrétiser et pour cause. Il avait été envisagé une rencontre plus
fréquente au cours de la saison. Mais cela semblait difficile de mobiliser si souvent les
familles.
Ce système de parents délégués semblait donc plus adapté, du moins c’est ce qu’espérait
l’équipe de direction. Les premières années, ce fut difficile d’obtenir des volontaires. Mais à
force de patience et de persévérance, le système s’est finalement bien mis en place.
Aujourd’hui, il fonctionne parfaitement et fait l’unanimité parmi tous les intervenants, parents,
enfants et animateurs.
Le journal de la semaine
L’un des papas est journaliste. Il a accepté de venir parler de son métier aux enfants. C’est
ainsi qu’est née l’idée d’un journal qui serait confectionné chaque semaine et adressé aux
parents. C’est la photocopieuse de la mairie qui est utilisée. Présentation des activités
passées, annonce de celles à venir, page des poètes, le dessin d’enfant de la semaine,
informations à destination des familles. Ça a été le succès immédiat. Les parents
appréciaient ainsi de savoir ce qui se passait avec leurs enfants.
Puis, une première maman a posé des questions : on lui a répondu dans ce qui est devenu
dès lors la rubrique des lecteurs. Depuis, chaque semaine, l’équipe répond aux
interrogations que peuvent avoir les familles. Cela porte sur le trousseau à emporter en minicamps, les plaintes de vol ou de perte de vêtement, la fourniture ou non de goûter pour
l’après-midi… Les remarques des parents sont prises en compte et font l’objet de réponses
qui peuvent profiter à tout le monde.
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Un même objectif pour tous
Le monde de l’animation peut faire sa place aux familles. Il suffit juste d’en être convaincu et
de le vouloir. Il le fait d’ailleurs déjà en de nombreux endroits. L’enfant ne peut qu’être le
principal bénéficiaire de cette collaboration, qui ne doit être ni une fusion, ni une confusion,
juste une reconnaissance de la place de chacun et une articulation entre toutes et tous
autour d’un même objectif : faire grandir l’enfant dans les meilleures conditions pour
qu’advienne un adulte responsable et épanoui.
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