Recevabilité du projet de citation des bâtiments du 96 au 138, Rose
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Recevabilité du projet de citation des bâtiments du 96 au 138, Rose
AVIS DU CONSEIL DU PATRIMOINE DE MONTRÉAL Le Conseil du patrimoine de Montréal est l’instance consultative de la Ville en matière de patrimoine. Recevabilité du projet de citation des bâtiments du 96 au 138, Rose-de-Lima A09-SO-02 Adresse : 96-102, 106-116, 120-122, 124, 136-138, rue Rose-de-Lima Arrondissement : Sud-Ouest Reconnaissance : Secteur de valeur patrimoniale intéressante Le Conseil émet un avis à la demande du Service de la mise en valeur du territoire et du patrimoine et conformément au règlement sur le Conseil du patrimoine de Montréal (CPM) 02-136, article 12.1, 3° (codification administrative) concernant : - Tout projet de règlement adopté par le conseil de la ville pour la citation d’un monument historique (visé aux sections III et IV du chapitre IV de la Loi sur les biens culturels). NATURE DE LA DEMANDE Étudier la recevabilité d’une demande de citation à titre de monument historique. Une demande ayant pour objet la citation des bâtiments du 96 au 138, rue Rose-de-Lima a été déposée au Service de la mise en valeur du territoire et du patrimoine par l’association Sud-Ouest-Sauvegarde Culture, représentée par M. Serge Deschamps. « Cette demande s’appuie sur le caractère patrimonial de ces propriétés, leur ancienneté (…) »1. HISTORIQUE DES LIEUX Le rapport d’évaluation de la recevabilité de l’ensemble bâti composé des bâtiments situés aux numéros civiques 96-102, 106-116, 120-122, 124, 136-138, rue Rose-de-Lima, préparé par le Bureau du patrimoine, de la toponymie et de l’expertise (BPTE), contient un historique du site dont le présent avis rappelle les points saillants. 1 Ville de Montréal. Bureau du patrimoine, de la toponymie et de l’expertise. Évaluation de la recevabilité. Demandes de citation des bâtiments situés au 96-102, 106-116, 120-122, 124, 136-38, rue Rose-de-Lima, dans l’arrondissement du Sud-Ouest. 27 août 2009. Édifice Gaston-Miron 1210, rue Sherbrooke Est, Bureau 002 Montréal (Québec) H2L 1L9 514 872-4055 ville.montreal.qc.ca/cpm Ces bâtiments sont situés dans le village de Saint-Augustin, fondé en 1855 et dont le territoire est loti entre 1855 et 1870. Le village de Saint-Augustin ainsi que les agglomérations de Sainte-Marguerite, de Brodie et de Turcot se développent vers 1825, au moment de l’ouverture du canal de Lachine, à proximité du village de Saint-Henri-desTanneries. C’est là que s’installent déjà depuis 1780 des tanneurs, selliers et autres artisans du cuir, au croisement du ruisseau Glen et du chemin Saint-Joseph. En 1859, l’Américain Edward Moseley ouvre une importante tannerie industrielle à l’angle de la voie ferrée et de la rue Saint-Ambroise. Entre 1861 et 1871, la population de Saint-Augustin s’accroît significativement, passant de 300 à 2200 personnes; elle se compose de journaliers, de travailleurs oeuvrant dans la construction ainsi que dans les ateliers voisins. Au cours de cette période, le village de Saint-Augustin se consolide, les quatre rues qui le composent, Rose-de-Lima, Bourget, Turgeon et Saint-Augustin, tracées en 1857, s’étendent jusqu’à la rue Saint-Ambroise. L’industrie du cuir, qui domine pendant toute cette période, est progressivement remplacée par d’autres types d’industries, poursuivant l’évolution de la vocation industrielle de Saint-Henri. Les usines s’implantent au cœur du quartier, choisissant souvent les emplacements qui longent les axes ferroviaires. La municipalité de Saint-Henri sera annexée à Montréal au tournant du XXe siècle. ANALYSE DE LA RECEVABILITÉ DE LA DEMANDE PAR LE BPTE L’énoncé préliminaire d’intérêt patrimonial relatif aux cinq maisons de la rue Rose-de-Lima, préparé par le Bureau du patrimoine, de la toponymie et de l’expertise (BPTE), dans le cadre de l’étude de la recevabilité de la demande de citation, a mis en évidence un ensemble d’éléments de diverses natures qui confèrent des valeurs historique, symbolique, artistique et paysagère à l’ensemble qu’elles constituent. L’énoncé propose une synthèse de leur intérêt patrimonial qui s’exprime par les valeurs suivantes : - « leur valeur historique pour leur témoignage du développement du village Saint-Augustin, dont l’histoire est intimement liée aux industries du canal de Lachine ainsi que d’un cadre de vie à caractère villageois qui devient peu à peu plus urbain ; - leur valeur symbolique pour l’attachement des citoyens à un cadre bâti traditionnel et accessible financièrement à un grand nombre de ménages ; - leur valeur artistique pour le caractère vernaculaire des bâtiments qui encadrent la rue et des dépendances qui ceinturent les grandes cours arrière et le soin apporté à la rénovation/restauration du 124, rue Rose-de-Lima ; - leur valeur paysagère urbaine pour leur caractère villageois et la particularité de leurs implantations, comprenant la présence d’arbres matures et de dépendances en cour arrière »2. L’énoncé met en relief les éléments caractéristiques dans lesquels s’incarnent ces valeurs : « Valeur historique : 2 - la proximité du canal de Lachine ; - l’implantation des bâtiments ; - leur volumétrie réduite ; Idem. 2 A09-SO-02 Bâtiments du 96 au 138, rue Rose-de-Lima - la présence de dépendances anciennes ; - l’ensemble de la propriété du 124, rue Rose-de-Lima. Valeur symbolique : - la volumétrie réduite des bâtiments ; - la modestie de leur expression architecturale et de leurs revêtements ; - le faible coût de l’habitat dans ce secteur. Valeur artistique : - la volumétrie réduite des bâtiments ; - la propriété du 124, rue Rose-de-Lima; - son toit à deux versants ; - sa volumétrie ; - ses composantes architecturales ; - son revêtement de bois ; - ses finis intérieurs ; - l’ensemble des dépendances. Valeur paysagère urbaine : - l’implantation des bâtiments ; - leur volumétrie réduite ; - la présence de dépendances anciennes ; - les alignements d’arbres sur rue ; - les arbres matures derrière les maisons. »3 Suite à son analyse des propriétés et des cas comparables dans le secteur, le BPTE conclut que ces bâtiments présentent certes un intérêt patrimonial mais pas un caractère exceptionnel à l’échelle du territoire montréalais, tant individuellement que comme regroupement. Il reconnaît à l’ensemble un intérêt principalement local qui tient aux faits suivants : (1) il témoigne du développement du village de Saint-Augustin ; (2) les citoyens expriment leur attachement pour ce cadre bâti traditionnel ; (3) les bâtiments et leurs dépendances présentent un caractère vernaculaire et des implantations particulières qui leur confèrent un caractère villageois ayant persisté dans le temps. Dans ce contexte, le BPTE ne juge pas opportun de poursuivre la recherche et la démarche de citation. Il est plutôt d’avis que la conservation de ces bâtiments doit se faire à l’aide des instruments dont dispose l’arrondissement du Sud-Ouest, soit la réglementation d’urbanisme et le Plan d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA). 3 Idem. 3 A09-SO-02 Bâtiments du 96 au 138, rue Rose-de-Lima ANALYSE DU PROJET Le 31 août dernier, des représentants du BPTE ont présenté au Conseil du patrimoine de Montréal (CPM) l’analyse et les conclusions du Bureau eu égard à la recevabilité de citer les maisons de la rue Rose-de-Lima. L’analyse qu’a fait par la suite le CPM couvre les points suivants : (1) la pertinence de la citation des maisons à titre de monuments historiques ; (2) des secteurs plus vastes à considérer et des outils de protection à renouveler ou à concevoir et (3) l’implication du citoyen à la base de la protection du patrimoine urbain. 1. La pertinence de la citation des maisons à titre de monuments historiques Le CPM reconnaît, à l’instar du BPTE, que les bâtiments concernés ne présentent pas, individuellement ou comme ensemble, un caractère exceptionnel ; il ne s’agit pas d’éléments qui se distinguent par leur rareté. Au contraire, plusieurs bâtiments de même type existent sur les rues adjacentes et dans le quartier environnant. Aussi, le CPM estime que la citation à titre de monument historique n’est pas appropriée. Cependant, il est d’avis qu’il y a lieu de considérer ces bâtiments comme des témoins significatifs d’une architecture vernaculaire ouvrière qui méritent un soin et une attention particulière. Il constate également que le redéveloppement des quartiers centraux fait peser sur ces milieux fragiles une menace croissante. Aussi, d’autres mesures de protection et de mise en valeur doivent être envisagées. 2. Des secteurs plus vastes à considérer et des outils de protection à renouveler ou à concevoir Dans ce contexte, le CPM est d’avis qu’on ne doit pas tant s’attacher aux témoins individuels qui subsistent qu’aux ensembles anciens auxquels ils participent, ensembles qui portent encore les traces de leur organisation passée. Ces noyaux villageois, qui sont encore présents dans les quartiers ouvriers, doivent être mieux connus pour que les actions qui visent leur sauvegarde et leur mise en valeur soient plus efficaces. On doit prendre en compte l’ensemble des caractéristiques de leur composition urbaine : mode d’implantation, mode d’occupation de l’espace par les diverses activités, configuration des domaines public (rues, ruelles, passages, places) et privé (bâtiments, cours, plantations…). Aussi, le CPM estime qu’un inventaire de ces milieux anciens à travers l’identification des traces de leur organisation passée devrait être mené systématiquement pour l’ensemble du territoire montréalais. Les limites de ces villages anciens et les traces qui subsistent de ces occupations anciennes devraient également être cartographiées et faire l’objet d’initiatives d’interprétation. Le CPM est aussi d’avis que les moyens usuels de gestion du cadre bâti sont insuffisants pour assurer la conservation et la mise en valeur de ces milieux. Construites au milieu du XIXe siècle, les maisons de la rue Rose-de-Lima sont anciennes. Ce sont des bâtiments de première génération qui ont donné forme à ce quartier ouvrier qui s’étendait le long du canal et des voies ferrées. Les cours souvent intactes et leur sous-sol (ou leur cave) recèlent vraisemblablement des artefacts qui sont en mesure de nous renseigner sur les modes de vie de leurs occupants. Comment encadrer l’évolution de ces quartiers historiques sans les figer ? Comment mettre en valeur les éléments caractéristiques des paysages urbains et les préserver au travers de l’évolution des milieux de vie ? La valorisation de ces éléments modestes qui participent à la composition des paysages de la ville est un aspect critique de l’approche à développer. 4 A09-SO-02 Bâtiments du 96 au 138, rue Rose-de-Lima Dans cette optique, le CPM s’interroge sur le rôle que peut jouer le règlement relatif au PIIA. Il estime qu’il faut plutôt s’orienter vers une convergence de moyens de connaissance, de protection, de sensibilisation et de mise en valeur. Cette convergence devrait sous-tendre le plan stratégique d’attribution de statuts de reconnaissance patrimoniale, en cours d’élaboration. Une telle approche englobante doit conjuguer des actions diverses visant la connaissance des éléments anciens (bâtiments, groupements, traces de la ville) et leur valorisation à travers la diffusion de leur histoire et de leur potentiel de réutilisation. Cette perspective s’inscrit d’ailleurs dans la définition élargie du patrimoine que met de l’avant la Politique du patrimoine de la Ville de Montréal. Le CPM profite de l’occasion pour signaler que la Politique du patrimoine inclut le patrimoine immatériel. Dans cette perspective, la collecte de la mémoire orale du lieu est aussi à considérer pour sensibiliser les collectivités locales et faire en sorte que celles-ci se réapproprient leur patrimoine global, qui va bien au-delà des témoins architecturaux qui subsistent. 3. L’implication du citoyen à la base de la protection du patrimoine urbain Les citoyens sont les premiers concernés par la conservation et la mise en valeur du patrimoine. Ils sont des acteursclés dans le contexte où la notion de patrimoine s’est élargie pour englober un ensemble de réalités qui constituent les milieux de vie. La demande de citation des maisons de la rue Rose-de-Lima est une manifestation de ce désir de protection qui anime certains citoyens de Saint-Henri. Ceux-ci se mobilisent pour sauvegarder ces immeubles modestes qui composent le paysage urbain de ce quartier ouvrier montréalais. Ils conçoivent la citation comme un moyen de s’opposer aux démolitions qui transforment le visage de leur quartier, qui font place à des bâtiments neufs souvent sans rapport avec les caractéristiques du cadre bâti existant. L’engagement de ces résidants doit être encouragé et les moyens d’intervention doivent tirer partie de cette volonté d’action du milieu4. Le plan d’urbanisme identifie le territoire visé à la fois comme secteur patrimonial de valeur intéressante et comme devant faire l’objet d’une stratégie intégrée de revitalisation urbaine. À la lumière de ces qualifications, de l’état souvent délabré des bâtiments qui souffrent d’un manque d’entretien et des menaces qui pèsent sur eux, le CPM ne saurait trop insister sur la sensibilisation des propriétaires et le développement d’une conscience des potentiels d’évolution que recèlent ces quartiers ouvriers anciens. La notion de développement durable prend ici tout son sens. AVIS DU CONSEIL DU PATRIMOINE DE MONTRÉAL 1. La recevabilité de la demande de citation des bâtiments du 96 au 138, Rose-de-Lima à titre de monuments historiques À la lumière des informations dont il dispose présentement, le Conseil du patrimoine de Montréal (CPM) est d’accord avec la recommandation du Bureau du patrimoine, de la toponymie et de l’expertise de la Ville de Montréal. Il émet un avis défavorable à la poursuite des démarches de citation des bâtiments du 96 au 138, Rose-de-Lima à titre de monuments historiques. Il recommande par ailleurs de poursuivre la réflexion sur la protection et la mise en valeur de 4 Un excellent exemple des outils issus de la volonté d’action d’un milieu quant à la mise en valeur de son histoire et des traces anciennes qui en témoignent est l’ouvrage publié en 2009 par les Éditions Histoire Québec dans la collection Atelier d’histoire de la Longue-Pointe, et intitulé Boussole pour Mercier (secteur est). Un parcours à travers l’histoire du quartier. 5 A09-SO-02 Bâtiments du 96 au 138, rue Rose-de-Lima ces bâtiments dans une perspective plus englobante et ce, tant sur le plan du territoire à considérer que sur celui des outils de gestion nécessaires à une telle valorisation. Aussi, il n’écarte pas la possibilité de la constitution d’un site du patrimoine dans ce quartier, si les études supplémentaires démontrent l’intérêt de l’attribution d’un tel statut. Il recommande à l’arrondissement du Sud-Ouest, de concert avec les autres acteurs concernés, de tenir compte des analyses qui précèdent dans sa gestion du territoire, en accordant une attention particulière aux anciens noyaux villageois. Enfin, il recommande que, quelle que soit la décision prise quant à la citation, les propriétaires des bâtiments du 96 au 138, rue Rose-de-Lima soient informés des programmes de subvention auxquels leurs immeubles sont éligibles. 2. Le plan stratégique de citation de monuments historiques et de constitution de sites du patrimoine Dans la foulée de cette analyse de recevabilité, le CPM recommande que l’élaboration du plan stratégique d’attribution de statuts de reconnaissance patrimoniale se fonde sur une approche élargie intégrant des moyens de connaissance, de sensibilisation, d’encadrement et d’incitation. Il recommande également que le plan stratégique accorde une attention particulière à la protection et la mise en valeur des anciens noyaux villageois du territoire montréalais en priorisant les lieux les plus menacés. Il estime que cette approche devrait comprendre les études et actions suivantes : - Un inventaire des traces de l’organisation passée des villages anciens montréalais, incluant une cartographie de leurs limites ainsi que des traces qui subsistent de ces occupations anciennes. - Un examen des opportunités et menaces auxquelles sont confrontés ces territoires ainsi que des forces et des faiblesses qui les caractérisent. - Une évaluation et une redéfinition du cadre existant de gestion du cadre bâti en fonction des objectifs de connaissance, de protection, de sensibilisation (notamment des propriétaires) et de mise en valeur de ces anciens villages. - Un soutien à la mobilisation des citoyens autour de l’enjeu patrimonial, se traduisant pour ces derniers en moyens d’agir concrets. Le CPM recommande aussi que cette approche et ces instruments fassent l’objet d’un suivi exhaustif afin d’en évaluer la performance à moyen et à long terme. La présidente, Le 14 septembre 2009. 6 A09-SO-02 Bâtiments du 96 au 138, rue Rose-de-Lima