La Franche-Comté de Bourgogne, une vieille nation oubliée de l

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La Franche-Comté de Bourgogne, une vieille nation oubliée de l
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Dépôt légal : mai 2004.
Mai 2004. Rédacteur en chef, Balbino Katz.
L’histoire secrète de l’unité de la France
L’unité de la France est aujourd’hui un fait bien établi. En dehors de la Corse, de la Bretagne et du Pays
Basque, où les identités locales ont survécu au centralisme monarchique puis jacobin, les autres régions
semblent se fondre dans un harmonieux ensemble.
Certes, on relève en Savoie, en Alsace, en Normandie, en Catalogne ou en Flandres des velléités identitaires, mais rien d’important.
Curieusement, les ouvrages qui traitent de l’histoire du processus politique qui a conduit à la constitution de ce vaste ensemble hétérogène sont assez
rares. La plupart du temps il s’agit de compilation où
l’on nous apprend que les provinces se sont réunies
dans la joie, les unes après les autres, pour satisfaire
à ce que certains auteurs considèrent comme un dessein divin.
Pourtant, il est faux d’écrire que l’unification
française s’est faite dans la joie et la bonne humeur.
Elle fut le résultat d’une fantastique ambition politique servie par les moyens de la première puissance
européenne.
Connaître la vraie histoire de l’unité française ne
délégitimise pas la France d’aujourd’hui. Il s’agit
aussi d’un devoir de mémoire pour rendre à des provinces françaises leur histoire.
Dans ce but nous vous présentons dans ce numéro une histoire de la Franche-Comté telle que vous
ne l’avez probablement jamais lue.
L’article de notre collaboratrice Anne Le Diascorn va heurter la sensibilité de certains lecteurs.
Voilà pourquoi nos colonnes sont ouvertes à tous
ceux qui souhaitent lui répondre. C’est du débat que
naît la lumière.
Balbino Katz
La Franche-Comté
de Bourgogne
Une vieille nation
oubliée de l’histoire
Anne Le Diascorn
Si les Français connaissent les nationalités irrédentes de l’Hexagone,
Pays Basque, Bretagne et Corse, ils ont tendance à croire que la réunion
des autres régions fut le résultat d’un processus graduel et pacifique,
que les peuples se sont agrégés l’un après l’autre dans l’allégresse.
Ce fut rarement le cas. Nous vous proposons un essai, volontiers polémique,
qui présente une version inhabituelle de l’histoire de la Franche-Comté.
Les lecteurs qui souhaitent participer au débat sont les bienvenus.
L
’ARMÉE française avait investi la petite
ville, dont les cinq mille habitants se
préparent fiévreusement à la défense.
L’émissaire du prince de Condé, précédé d’un
cavalier portant le drapeau blanc, a franchi la
grand’porte et, entre deux haies de spectateurs silencieux et hostiles se dirige vers l’hôtel de ville. Le gouverneur en second, l’attend dans la salle d’honneur, entouré de ses
assesseurs. L’émissaire propose la reddition
pure et simple, avant qu’un seul boulet n’ait
fendu les airs. Tout en parlant, il sème négligemment sur le plancher des louis d’or frappés de la fleur de lys, qu’il puise dans la bourse de soie qui pend à son côté.
Le rouge monte aux joues du second gouverneur, le sieur Claude Dusillet. Il dégaine et
oblige le Français, en le menaçant de son fer
à ramasser une à une les pièces d’or et à les
remettre d’où elles sont venues.
— Ce genre de monnaie n’a pas cours en
Franche-Comté, monsieur. Maintenant, sortez !
La scène se passait à Dole, capitale de la
Comté, le 29 mai de l’an de grâce 1636, en
pleine guerre de Trente-Ans.
Pendant 16 jours, les Dolois résistent à l’armée royale, vingt fois supérieure en nombre.
La population s’est portée au secours de la chétive garnison qui ne peut faire front partout
à la fois. « L’avocat Michontey acquit une
réputation de tireur exceptionnel ». Un autre
avocat, Janot, le conseiller Toitot et le procureur général Brun, deux capucins, les pères
Une histoire maltraitée
L’histoire de la Franche-Comté n’est pas un sujet très en vogue parmi
les historiens français. Pour en savoir plus, nous avons interrogé Paul Delsalle,
un chercheur spécialisé dans la période habsbourgeoise de la Comté.
L’histoire de la Comté
est-elle traitée
comme elle le mérite
par l’université?
revue d’histoire, comme
il y en a en Provence, en
Bourgogne, ou ailleurs.
Les historiens
étrangers
Oui, à l’Université l’hiss’intéressent-ils
toire de la Francheà la Comté?
Comté est enseignée,
pour toutes les périodes
historiques, surtout les
Oui, des Belges surtout.
plus anciennes : AntiOn parle souvent de
quité et Moyen Age. Les
Franche-Comté « espaétudiants se familiarignole » mais il serait plus
sent aussi à l’histoire
juste d’évoquer la
comtoise lorsqu’ils élaFranche-Comté « habsborent un « mémoire de
bourgeoise » ; le gouvermaîtrise ». En outre, des
nement était alors à
Paul Delsalle est maître de conférences
cours sont proposés à
Malines puis à Bruxelles,
en histoire moderne à l’université
un large public, bien auet non pas en Espagne.
delà des étudiants, dans
Les archives qui nous
le cadre de l’université ouverte.
intéressent sont à Bruxelles, principalement.
Nous constituons en ce moment un réseau
d’historiens européens sur l’histoire de la
Pourquoi aussi peu d’études sur la Comté
Franche-Comté : les Belges forment le gros du
alors qu’elles fleurissent en Bretagne?
bataillon !
Pourtant l’annexion de la Bretagne
par la France fut à la plus ancienne
et moins sanguinaire.
Peut-on parler de mauvaise conscience
française au sujet de la Comté?
Je ne sais pas. Peut-être parce que le Comtois
est par nature plutôt discret. Des provinces
Je ne pense pas. Je suis même persuadé que les
comme la Bretagne, mais aussi l’Alsace ou la
Français ne connaissent pas la FrancheFlandre, examinent en effet leur passé de
Comté ! Le Jura, oui. Grâce à la géographie.
façon plus approfondie. Je suis frappé aussi par
En outre, pour que les Français aient une
le petit nombre de travaux de première main
mauvaise conscience au sujet de notre prosur l’histoire de la Franche-Comté. Il y a trop
vince, il faudrait qu’ils connaissent son histoire,
d’ouvrages de vulgarisation, qui se répètent et
notamment l’épisode tragique de la Guerre de
se copient, qui colportent sans cesse les mêmes
Dix Ans, avec ses 200 000 morts. Toutefois,
mythes. Je déplore que nous n’ayons pas de
on ne doit pas tous les attribuer aux armées
Polémique
françaises ou suédoises : la peste en
est la principale
responsable.
Les Comtois
d’aujourd’hui
connaissent-ils
leur histoire?
33
Besançon
(le
palais Granvelle à
Bruxelles a été
détruit). Cela dit,
les Granvelle sont
des personnages
qui n’intéressent
plus personne, à
part quelques spécialistes.
Non, pas du tout.
Les étudiants en
Existe-t-il un
histoire,
euxintérêt du grand
La ville de Dole, siège du parlement comtois,
mêmes, ont une
public
gravure de Claude Luc datée de 1553.
très grande ignopour l’histoire
rance du passé de
comtoise?
leur région, du moins au début de leurs
Oui, les ouvrages historiques en témoignent,
études. Ils la découvrent, et avec un réel plaide plus en plus. Le public se presse lors des
sir je crois. Il faut rappeler que l’histoire régioconférences sur l’histoire de la région, du
nale n’est jamais enseignée dans le secondaimoins celui qui a un certain âge, qui cherche
re, ce qui me paraît scandaleux. On a enseià s’instruire, qui « veut rattraper le temps
gné « Nos ancêtres les Gaulois aux Africains »
perdu ». Le public jeune est davantage présent
mais on continue à enseigner François Ier au
sur les chantiers archéologiques, ce qui me
semble bon signe.
lieu de Charles Quint aux Comtois d’aujourd’hui !
Quels sont les deux ou trois
titres d’ouvrages récents
Peut-on dire que la Comté a cessé d’être
que vous recommandez?
un sujet d’histoire après l’annexion?
Non, je ne pense pas. La Franche-Comté a
toujours intéressé les historiens, depuis Cousin (ami d’Erasme) et Gollut. Il est vrai que le
« siècle des Lumière » n’a pas laissé d’œuvre de
premier plan. A la fin du XIXe siècle, Lucien
Febvre a consacré sa thèse à la Franche-Comté
sous Philippe II, très discutable d’ailleurs, très
polémique.
Les noms de grands Comtois comme
les Granvelle ou Boyvin ont-ils survécu
dans la mémoire collective?
Plus personne ne connaît Boyvin ! Granvelle,
oui, à Besançon et à Ornans, surtout. Le
palais Granvelle est un monument célèbre à
Pour compléter la liste de titres que vous
publiez par ailleurs (voir à la page 31), je vous
citerai ceux que j’ai publiés. Vous y trouverez
peu de références bibliographiques dans la
mesure où j’ai surtout exploité des sources
primaires, principalement dans les archives.
La Franche-Comté au temps de Charles Quint,
Paul Delsalle, PuFC (Presses universitaires de
Franche-Comté), Besançon 2001.
La Franche-Comté au temps des Archiducs, Paul
Delsalle, PuFC, Besançon 2002.
La Franche-Comté à la charnière du Moyen
Age et de la Renaissance, Laurence Delobette
et Paul Delsalle, PuFC, Besançon 2004.
Propos recueillis par Balbino Katz