BIALOT Joseph (1923 - ) - Université Paul Valéry

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BIALOT Joseph (1923 - ) - Université Paul Valéry
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BIALOT Joseph (1923 - )
1) Le témoin :
Joseph Bialot est né à Varsovie le 10 août 1923. Varsovie est une ville de Pologne, elle
en est plus particulièrement sa capitale depuis 1596. C'est donc un Juif polonais d'origine, il
arrive en France avec sa famille en 1930, il a donc sept ans. Où ils s'installent dans le quartier
Belleville à Paris.
Il entame de brillantes études mais lorsque la guerre éclate, c'est à dire dès 1940, la
famille Bialot est contrainte à l'exil. Elle va devoir se réfugier d'abord à Pau et dans la région
lyonaise où il devient résistant anti-nazi. Avant d'être placés en résidence surveillée à Nay.
Joseph parvient à se faire embaucher comme apprenti chez un ébéniste, c'est à dire qu'il
fabriquait des meubles à partir d'ébène ou de bois précieux. Grâce à cela, il obtiendra des
papiers car le fils aîné de son employeur va lui en fournir ainsi qu'un certificat de baptême au
nom de son frère cadet. Joseph Bialot devient ainsi Jules-Joseph Souverbielle. Cette nouvelle
identité va le protéger quelques années des contrôles anti-juifs à l'époque où le nazisme est en
plein essor.
Mais, cette protection n'était pas infaillible, en effet, le 24 juillet 1944, alors qu'il est
devenu petit fonctionnaire de Vichy (qui est une commune française du département de
l'Allier et la région d'Auvergne), il a pour fonction de vérifier les masques à gaz, il tombe
dans le piège d'un contrôle d'identité en se rendant à un rendez-vous clandestin. Il est déporté
à Auschwitz en tant que juif, où il passe six mois, il en sera l’un des rares survivants. Pour
résumer le début de sa vie, une phrase simple, l'exil à 7 ans, la déportation à 20 ans.
Joseph Bialot n'a pas eu besoin d'études bien poussées pour apprendre la fragilité d'un
destin. Il aura emprunté de nombreuses voies avant de devenir l'un des meilleurs artisans du
roman noir français, dans lequel il nous dépeint sa déportation à Auschwitz.
En effet, en ce qui concerne l'après guerre, il sera libéré par l'Armée rouge en janvier
1945 et sera de retour à Paris en mai 1945. A évoquer l'Armée rouge, il est important de savoir
que c'est l'armée mise sur pied dans l'ancien Empire Russe suite à la Révolution d'Octobre.
Cette armée est érigée contre l'Armée blanche, afin de combattre la contre-révolution.
Dès son retour à Paris, il rejoindra l'entreprise de ses parents qui s'occupe de prêt à
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porter, dans l'atelier paternel du Sentier, il n'a alors que vingt et un ans. Il passera trente
années dans le négoce du textile comme on tricoterait un pull-over tout en songeant à d'autres
choses. En effet, l'on oublie pas un périple aussi marquant si rapidement. Donc, chaque nuit
s'opère ce retour à Auschwitz, ce retour au cauchemar. Il le dit lui-même, « Il m’a fallu plus
de vingt-cinq ans et une psychanalyse pour réussir à sortir du camp » (Joseph Bialot).
C'est exact, comme nous venons de le voir, il ne se lancera pas de suite dans l'écriture
du compte rendu d'un traumatisme laissé par l'expérience concentrationnaire. Il essaya de
survivre, tenta de raconter l'horreur, des centaines de feuillets seront jetés à la poubelle. Mais
il n'a rien d'un martyr, il est marié et heureux en ménage.
Mais une évolution est opérée dès 1968, le jour où il tentera de prolonger ses études. En
effet, il passera une licence de psychologie à l'Université de Paris VIII, c'est à dire à
Vincennes ainsi qu'une psychanalyse. Ce sera pour lui une révélation, un tournant essentiel de
sa vie car il réussira à estomper les mauvais souvenirs. Même s'il n'obtient pas son diplôme.
Dix ans passèrent, il est alors atteint d'une maladie et ne peut pas bouger de son lit. Ce
fut pour lui l'occasion de se lancer dans l'écriture, « Toute ma violence, toute mon histoire se
sont diluées dans l'écriture » (Joseph Bialot). Son premier roman portera comme titre : Le
Salon du prêt-à-saigner qui obtiendra en 1979 le grand prix de la littérature policière. Puis
s'en suivra de nombreuses écritures dont le témoignage qui est soumis à l'analyse, C'est en
hiver que les jours rallongent.
Pour conclure sur ce témoin, nous pouvons dire qu'il c'est servi tout d'abord de la
psychanalyse puis de l'écriture pour enfin se libérer du traumatisme que laisse les camps de
concentration, il nous le dira lui même, « Je rêve toujours des camps, [nous confie Bialot].
Seulement, quand je m'y vois, je ne suis plus dedans mais dehors ».
A ce jour, Joseph Bialot est encore en vie, il est l'auteur d’une trentaine de romans, il a
fêté le 10 août son 88ème anniversaire.
2) Le témoignage :
L'auteur de cette œuvre est donc Joseph Bialot, à aucun moment il n'a été signalé de la
possibilité éventuelle que l'auteur ait pris un pseudonyme. Bien entendu, on retrouvera dans le
livre un changement d'identité, élément que j'ai précisé précédemment. Mais dès son retour à
Marseille, après sa période concentrationnaire, le 11 mai 1945, il ne se prénommait plus Jules
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Joseph Souverbielle mais retrouvait sa propre identité, grâce à sa « carte de rapatrié » (p. 266).
Ce soupçon de renouveau identitaire, il va le préserver, il restera pour le reste de sa vie,
Joseph Bialot, parisien.
L’œuvre où il dépeindra son vécu concentrationnaire ainsi que la traduction d'une
« mort intérieure », l’œuvre qui est soumis à l'analyse est C'est en hiver que les jours
rallongent . On peut se demander pourquoi un tel titre, cela peut être paradoxal car il a été
déporté en été, en août 1944. Mais Joseph Bialot justifiera ce titre dans son récit, il me parait
donc important de souligner cet élément. En effet, un tel titre est en rapport avec le climat
polonais, lieu où se trouve Auschwitz. Joseph Bialot nous dit à la page 153, « le terrain, le
climat mental s'y prêtaient ». C'est donc, en rapport avec le froid glacial qui est un autre
élément de la dureté de survivre. Donc, l'hiver y est très dur, le climat paraît insurmontable
pour des hommes aussi frêles et dénudés, les jours paraissent interminables. Puis, d'après une
conférence de presse, Joseph Bialot nous explique que c'est en hiver, lorsque le froid glacial
arrive, que les jours paraissent interminables dans le camp, et c'est à chaque hiver qu'il
repense encore plus à cette période de sa vie. De plus, il nous le dit à la page 16, « ça me
reprend chaque hiver », d'ailleurs, ce livre sera publié un hiver.
En ce qui concerne le lieu d'édition, il se fera à Paris, par les éditions de Poche (Points). Il sera
publier en 2002. Comme autre édition, on peut citer l'édition broché (Seuil). Il faut savoir
aussi que Ce récit unique a été réédité en mai 2011 aux éditions de L’Archipel sous le titre
Votre fumée montera vers le ciel, avec un premier chapitre inédit de quarante pages. Dans la
version « points », il n'y a pas de présence de dessin, seulement une image sur la première de
couverture. En effet, on y découvre une représentation d'une carte d'identité de prisonnier
déporté, qui est associée à une photo d'un homme juif. On peut penser que cette carte
appartient à l'auteur et donc que cette photo le représente car sur la quatrième de couverture
on peut lire que cette photo fait partie de la « collection personnelle » de Joseph Bialot.
Ce témoignage est sous forme de récit poignant et se présentent comme un souvenir. En
effet, ce texte est écrit 60 ans après sa déportation et il nous fait part de cet élément en
évoquant le fait que c'est « une envie de témoigner » et qu'il le fera « comme ça vient, comme
tout revient » (page 16). C'est donc des bribes de souvenirs, ineffaçable de sa mémoire qu'il
nous fait part. Lorsqu'on lit le livre, on se rend compte de cet élément car les événements ne
sont pas racontés dans un ordre chronologique, mais cela n'entrave pas la compréhension.
Cependant, parfois, il nous donne l'impression de reprendre des notes d'un carnet. En effet, à
partir de la page 171 (« 8 mai 1945, Naples»), chaque développement est agrémenté d'une
date précise, et cela, jusqu'à la fin du récit et de son arrivée à Paris. Donc parfois, ce livre
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prend l'allure d'un carnet. Cette composition du livre est présente depuis le début de la
libération et le moment où les SS quittent le camps, lorsqu'un soupçon de liberté est apparent,
comme s'il retrouvait la notion du temps et des jours à ce moment là. Alors qu'avant rien de
tous ça ne pouvait être possible. Ils n'étaient pas des hommes, ils n'étaient guidés que par leur
instinct (ils ne pensaient qu'à survivre, à manger). Donc avoir une conscience des jours qui se
suivent était impossible.
En ce qui concerne la mise en forme du témoignage, je l'ai expliqué précédemment
lorsque j'ai évoqué le cursus personnel de l'auteur. En effet, les conditions du témoignage sont
simples, il n'a pas été soumis à la censure, il écrit sont texte en 2002, 60 ans après. Pourquoi
fait-il ce témoignage ? C'est une question que je n'ai pas encore évoqué mais qu'il explique
dès ses premières pages. En 1991, il eut un déclic, c'est en regardant la télévision, qu'une
image a retenu son attention, c'était une photo de barbelés encadrant un ensemble de bâtisses.
Il a reconnu soudainement le camp d'Auschwitz. Puis ensuite, l'appel à « Léa C. » fut un
véritable tournant dans son désir d'écriture. En effet elle lui dit, « les arbres ont poussé après
notre mort ». Donc, Joseph Bialot se lancera dans l'écriture en hommage à ceux qui n'ont pas
su « re-vivre », une fois revenus des « camps de la mort ». Le témoin a donc prévu au
préalable la publication, du moins, c'est une initiative personnelle. De plus, il a une autre
raison de se lancer dans l'écriture de son témoignage. En effet, il énumère dans son prologue
de nombreux récits sur la déportation (« Robert Antelme, André Lacaze »...). Et, pour lui,
aucun auteur n'a su aller au delà de la description de la vie quotidienne des déportés. Ils
décrivent tous les phénomènes sans analyser les causes. C'est ce que Joseph Bialot veut
chercher à faire dans son autobiographie bien que pour lui, « Auschwitz ne peut pas être mis
en mot » (pages 12-13). Donc c'est un écrit qui se rapproche plus du réflexif que du descriptif.
Comme dit précédemment, il y a un prologue de l'auteur lui même où il présente les
causes de l'écrit de son témoignage. Mais un petit texte est cité par le témoin, un écrit assez
dur, « Ne me secouez pas, je suis plein de larmes. » Henri Calet, « Peau d'ours ». C'est un
écrit publié en 1956, à Paris, aux éditions Gallimard. La citation qu'il reprend est écrite par
Calet, deux jours avant sa mort, « C’est sur la peau de mon cœur que l’on trouverait des rides.
Je suis déjà un peu parti, absent. Faites comme si je n’étais pas là. Ma voix ne porte plus très
loin. Mourir sans savoir ce qu’est la mort, ni la vie. Il faut se quitter déjà ? Ne me secouez
pas. Je suis plein de larmes. ». Ce roman, « Peau d'Ours » représente les notes qu'il avait
prises de 1951 à sa mort, en vue d'un roman qu'il n'eut pas le temps d'écrire et qui devait
porter ce titre. Mais elles sont à mettre en relation avec les déportés, survivants qui sortent
d'un enfer et qui n'arrivent pas à s'en défaire. Il fait référence à ce « petit groupe de cadavres
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en sursis restés là par hasard » (page 16). En effet, c'est dans cette situation de désespoir que
certains hommes ou femmes se trouvent. Et, Henri Calet, qui écrira pendant la seconde guerre
mondiale, a réussit à le dépeindre parfaitement grâce à cette phrase explicite qui peut donc
être rapprochée aux survivants déportés.
3) L’analyse :
En ce qui concerne l'analyse, on peut remarquer que c'est l'auteur qui parle, c'est donc
un récit qui utilise la première personne du singulier, le « je », comme à la page 123, « J'ai été
éperdument amoureux d'elle ». Mais il est important de souligner qu'à de nombreux moments
il utilise le « nous », en effet, Joseph Bialot tend à souligner tout de même dans ses écrits la
présence d'une solidarité. Dès la page 15, lorsqu’il nous présente son œuvre, il parle déjà de
« solidarité organisée ». En effet, dans les camps de concentration se crée des groupes, entre
communautés, âges, races (Polonais, Français, Hongrois...), à l'intérieur de ces groupes se
créent des liens, de vrais liens d'amitiés. Cette alternance entre le « nous » et le « je » prouve
qu'il y a des choses que l'on doit vivre seul, d'autres qui se font grâce aux autres. En effet, à la
page 150 le témoin nous dit, « à notre arrivée », donc il évoque tout un groupe, une masse
qualifiée de sous-hommes qui arrivent. Là, l'assimilation est possible entre tous les hommes,
étant donné qu'ils sont tous vus de façon égalitaire par les nazis, vus comme des « choses »
qui ne sont pas dignes de vivre comme un homme. Le « nous » est aussi utilisé lorsqu'il parle
d'un élément commun à son groupe, ou d'un agissement qu'ils font ensemble, soudés, comme
à la page 143, « nous étions tous subjugués par ce garçon ». Alors que lorsqu’il évoque ses
sentiments ou sa vision personnelle de la situation, la première personne du singulier est de
rigueur vu que c'est une vision personnelle des choses. Il ne s'agit plus du groupe. Nous
évoquerons le groupe ainsi que la solidarité dans le camps dépeinte par Joseph Bialot plus
tard. Mais si l'on compte les occurrences, on remarque que la première personne du singulier
domine, malheureusement, ils sont tous dans la même horreur, la même tristesse mais ils ne
peuvent la vivre que seul. A ce stade là de sous humanité, des liens sont très difficiles à créer,
bien qu'il y en ait qui réussissent à garder un soupçon d'humanité, comme Joseph Bialot ainsi
que de nombreux déportés qu'il rencontrera. C'est ce que nous verrons plus tard lorsque nous
évoquerons les camarades qu'il rencontre.
Nous pouvons maintenant regrouper les principaux thèmes abordés et tout d'abord nous
pouvons évoquer la vision du témoin face à la guerre. Et, c'est assez surprenant mais dans cet
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écrit il ne paraît pas de façon très visibles les ressentiments face à la guerre. Nous parlerons
plus tard des sentiments qu'il aura face à l'autorité, face à ses camarades etc. Mais en ce qui
concerne la guerre, il n'y a pas de véritable développement ou sinon très brièvement. En effet,
il fait une brève allusion au patriotisme des Français qu'il aura pu rencontrer et la totale
incompréhension quand à leur sort. Nous pouvons voir qu'ils ne se voient pas dignes d'être
dans un camps de concentration. En effet, ce groupe de Français pensent tous la même chose,
une « totale soumission à la France, ils se retrouvent nus face au désastre. Ça ne pouvait pas
leur arriver, pas à eux » (p. 59). Donc, ici il montre le patriotisme des Français. Joseph Bialot
lui n'était pas d'origine française, on l'a vu, il est né à Varsovie. Bien qu'il est vécu longtemps
en France, il ne ressort pas dans son écrit des éléments qui feraient penser à un sentiment de
patriotisme de sa part ni à des questionnements sur son pays. La situation dans laquelle il se
trouvait ne laissait en aucun cas la place à du patriotisme et à une réflexion sur le pourquoi il
s'est retrouvé là. Il se contente d'analyser tel ou tel agissement, ou tel ou tel camarade avec
une certaine indifférence pour la guerre qui se produit autour d'eux. C'est exact, pour Joseph
Bialot, leur condition n'est pas digne d'un homme, ce qu'ils ont vécu est si horrible que pour
lui, la guerre à côté d'Auschwitz, ce n'est rien. Et ceci, il nous le dit clairement à la page 137
où il nous dépeint sa vision des choses qui paraît du coup alarmante quand à leur condition
car, « pour un pensionnaire du Lager, la guerre reste une belle chose ». Pour eux, la guerre
reste une condition largement meilleure à celle qu'ils sont en train de vivre.
En ce qui concerne les nouvelles de la guerre, elles sont commentées par rapport à l'évolution
de leur condition. C'est exact, comme dit précédemment, cet écrit est fait grâce à des
souvenirs du témoins, donc les événements ne se trouvent pas dans un ordre chronologique.
Bien sûr, il y nous y dépeint la vie concentrationnaire mais aussi des événements de la guerre
en rapport avec celle-ci. En effet, il nous parle de la libération du camps d'Auschwitz par
l'Armée Rouge le 27 janvier 1945 (p. 73). Donc, il ne parle d'événements de la guerre que
lorsqu’ils sont en rapport avec sa condition. Comme si Auschwitz était à l'écart de tous ces
événements, d'ailleurs, il en parle lui même, c'était une véritable cité dans une cité, avec des
lois différentes mais complètement coupé du reste du monde. Ils n'étaient donc pas au courant
de la guerre, simplement de la tâche qu'ils avaient à faire. Leur seule source d'information
était les conversations qu'avaient les SS entres eux, et ceux qui comprenaient l'Allemand
répétaient aux autres et cela formaient une sorte de rumeur générale répandue dans tout le
camps, il nous en parle lors du débarquement allié, à la page 150, « Il leur suffit d'écouter les
conversations des gardes, de consulter à la sauvette un journal qui traîne […] pour ne plus être
coupé du monde extérieur. ». Donc, il le dit lui même, ils sont à l'écart de toute civilité, de
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toute information. Mais, lorsqu'il évoque la libération, il évoque aussi le débarquement de
l'Armée Rouge en Allemagne. En effet, Joseph Bialot nous dit que « les Russes attaquent dans
le secteur » (p. 150). Les Alliés sont vus ici en libérateurs, en véritables messies inattendus. Et
lors de la libération il nous dit voir « Un soleil de feu d'artifice » (p. 73), montre le véritable
bonheur de cette arrivée. De plus, il nous dira que « La musique de mort a enfin fermé sa
gueule » (p. 163), c'est à dire qu'ils sont enfin libérés de l'oppression nazie. Des termes crus
sont utilisés, comme pour montrer clairement un sentiment qui ne peut pas être dit autrement.
En ce qui concerne la vision de l'autorité, on peut voir que la plupart du temps, l'autorité
SS n'est pas qualifiée par des noms précis comme ses camarades. Le plus souvent on les
qualifie par leur fonction, comme à la page 51, « la sentinelle », « les kapos et toute la
hiérarchie complice du système SS » (p. 56). En effet, ils n'ont pas de réel lien avec les SS,
simplement un lien de dominant dominé. Et cela se ressent dans les noms qu'il utilise pour les
qualifier. C'est exact, la fonction du SS est toujours supérieure à celle du simple déporté,
qualifié par un numéro. Parfois, il va plus loin, il va qualifier cette autorité comme elle se
voit, comme elle arrive à faire croire à ces hommes ce qu'elle pense être. Joseph Bialot
qualifie un SS en disant, « le surhomme ». A ce moment là du roman, on voit vraiment que
tellement ces hommes étaient rabaissés, vus comme des sous-hommes, ils en arrivent à
percevoir l'autorité comme largement supérieure à leur qualité d'homme. Ils sont
continuellement rabaissés, humiliés, lui même se voit comme un « misérable à moitié nu »
(p. 170). C'est pour cela que, bien que certaines qualifications de l'autorité s'avèrent marquer
la relation dominant / dominé, le témoin ne se passe pas de nous dépeindre réellement ce
qu'était cette autorité. C'est exact, à la page 73 Joseph Bialot nous donne une définition du
Kapo de son block à Auschwitz, comme « une des plus franches crapules que la pègre
allemande est sécrétée », en plus de ça, il possède « un assistant, un nabot ». Donc, bien que le
témoin les qualifie par leur grade ou leur fonction ou encore par une qualification de
dominant (leur rôle étant de dominer), il n'en est pas moins conscient de ce que sont en vérité
ces personnes. Il me paraît possible que lorsqu'il les qualifie de dominant, il les qualifie
comme eux se voient, en réalité c'est la seule vision qu'ils ont d'eux. Plus tard, il va plus loin,
en disant que c'est un « meurtrier sadique ». Là, c'est sûrement une vision réaliste du SS
surveillant les camps, un terme simple, résumant leur manque d'humanité. En effet, si l'on
regarde ce qu'est le sadisme, c'est être un barbare, bourreau, cruel, pervers, tortionnaire et
vicieux. En deux mots, en une seule qualification, il réussit à qualifier toute la bêtise humaine
dont font preuve les SS à Auschwitz.
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Lorsqu'il parle de l'autorité supérieure du nazisme, Hitler, il utilise la qualification
couramment utilisée de « Führer ». Sûrement pour ne pas avoir un soupçon de rapprochement
avec ce personnage en utilisant son prénom. Il le qualifie donc par un terme commun, tous les
lecteurs pourront donc comprendre de qui il s'agit sans pour autant utiliser son nom ainsi que
son prénom, en plus de cela il continue de souligner la supériorité qu'il s'accorde.
Puis, l'on peut venir à la qualification et à la définition de tout un système, le système
nazi. C'est exact, le témoin nous fait part d'une définition poignante sur la nature du nazisme.
C'est à la page 162 qu'il nous dit que ce sont « les adorateurs de la mort, les partisans de
l'eugénisme ». Donc, ici, il qualifie exactement l'idéologie des nazis. Cet élément révèle le fait
que les nazis veulent une qualité dans la population par la sélection d'une race allemande
précise et Joseph Bialot et ses camarades n'en font pas partis. Ils faut donc les retirer du
monde, et ça le témoin en a conscience. Il a aussi en tête le fait qu'il y a la naissance d'une
anthropologie raciale, de l'eugénisme, c'est à dire la naissance d'une théorie et de méthodes
visant à améliorer l'espèce humaine, tout ceci fondé sur la génétique. C'est ce qu'on appelle
l'affirmation de la biologie raciale. Ce qui est intéressant de remarquer, c'est qu'ici, le témoin
fait partie de ceux qui sont qualifiés d'impropres, et il s'en rend compte, car il utilise ce terme
précis « d'eugénisme ». Car, ces camps sont une des preuves du désir de biologie raciale. Suite
à des rafles, des déportations, les camps permettent l'exclusion d'une partie de la population
qui n’est pas digne de vivre auprès des populations jugées comme normales. Mais, les gens
comme Joseph Bialot, jeunes (il a 21 ans lorsqu'il se retrouve dans le camps) peuvent servir à
faire marcher l'appareil nazi. En effet, il les utilise, coupés du monde pour travailler au service
du nazisme. C'est ce qui est différent avec les camps d'extermination, là, leur mort est plus
lente. Mais, cette « supériorité de race » a fait de ces hommes des choses inexistantes,
d'ailleurs lorsque le témoin nous parle d'Auschwitz, il nous dit implicitement le fait qu'à
Auschwitz, il n'y avait pas d'hommes. Pour les SS, il fallait vraiment ne pas avoir de
conscience pour faire de tels agissements, ils ne pouvaient pas être dans leur état normal, être
des humains. Et en ce qui concerne la condition de tous ces déportés, eux non plus ne
pouvaient pas être des hommes, car comment rester un homme lorsqu'on est autant humilié ?
Là est une question fondamentale. En effet, Joseph Bialot nous dit « Je suis réellement devenu
un animal » (p. 90). Donc, cette autorité est si oppressante qu'il en perd toute notion de sa
véritable nature, être un homme. La seule chose qu'il leur restait d'humain était l'hygiène.
C'est exact, à la page 115 il nous dit que « la première rupture d'équilibre n'était autre que
l'arrêt des soins ». Donc, la seule chose qui leur permettait de dire qu'il sont humains, s'ils
l'arrêtent ce n'est que le début de la fin.
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Pour lui, ce que cette supériorité fait doit avoir une cause bien précise, il se pose même
des questions pour connaître cette cause, savoir s'il est possible de la soigner. Comme si c'était
une contagion que les nazis n'avaient pas pu stopper, une contagion qui était plus forte qu'eux.
C'est ce que l'on trouve à la page 91 : « Existe-il un sulfamide contre la sottise ? ». Ici, le
témoin ne cherche pas à justifier le nazisme mais plutôt à savoir, à se poser les bonnes
questions, à émettre une réflexion sur les agissements des nazis. Les SS et les kapos sont
englobés dans le même moule, aucun d'entre eux, à aucun moment, ne sera différencié des
autres. Chacun dans sa fonction est identique aux autres, aucune différenciation d'hommes.
Donc, c'est vraiment une contagion de « connerie » humaine (p. 91).
Il évoque à nouveau cette compréhension des actes des SS, en effet, on peut penser à un
dédoublement de la conscience de certains, comme s'ils se cachaient de leur véritables actes.
C'est exact, chaque acte est justifié, même les plus immondes, comme pour se donner bonne
conscience. Joseph Bialot va en relever quelques uns, ce qui permettra d'illustrer mon propos,
« parler de traitement spécial pour ne pas dire extermination » (p. 168). Grâce à cela, ils ont
pu cacher au monde entier leurs agissements car il n'y avait aucune preuve écrite de ce qu'ils
faisaient mais en plus de cela, il n'était pas dit clairement ce que eux même faisaient. C'était
comme si le fait de ne pas le mettre par écrit, de ne pas le nommer clairement permettait de
légitimer leur façon d'agir. Par cette codification des actes, ils avaient peut être moins
conscience de leurs agissements. Joseph Bialot dans sa réflexion arrive à le comprendre, « il y
a eu dédoublement de la conscience chez les nazis » (p. 168).
Après avoir analyser les qualifications de l'autorité, ce que cette autorité voit dans les
déportés puis comment le témoin voit les agissements des nazis, nous pouvons voir si ce
témoin voit le pardon comme possible. En effet, ce témoin sortira du camps et émettra une
réflexion sur ce qu'il a vécu. Donc, 60 ans après, imagine-t-il que le pardon est possible ? Pour
lui, le pardon est impossible. Il pose de nombreuses questions dont les réponses sont
suggérées comme « Pardonner la mort des enfants ? » (p. 178). On ne peut donc pas
pardonner à ces êtres immondes et sans morale toute la souffrance qu'ils ont engendré. Mais, à
plus forte raison, « pour pardonner, il faut d'abord oublier ». Et, nous l'avons dit
précédemment, cette période de sa vie restera ancrée en lui, « impossible oubli ». Donc, bien
que dans son témoignage il essaie de comprendre les agissements de ces hommes, il ne pourra
jamais oublier et pardonner un tel manque d'humanité face à des êtres qui sont égaux à eux. Il
faut le savoir et Joseph Bialot en est conscient, leur but était de « vider l'Europe de tout ce qui
pense, de tout ce qui doute. » (p. 164). Donc, de se séparer, nous l'avons dit de tout ce qui
n'est pas relatif à la théorie de la race allemande.
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Autorité et ennemis sont ici en relation. En effet, l'autorité à laquelle ils obéissent sont
les SS ou les kapos et leur ennemis sont à tous les nazis. Si la haine domine dans son récit ? Je
n'en ai pas eu l'impression. Ce qui est sûr, c'est qu'il nous dépeint les agissements en tentant de
ne pas se laisser dépasser par ses sentiments. Bien que, cela se ressent à certains moments
comme lorsqu'il évoque une possibilité de pardonner. C'est une idée tellement extrême face au
traumatisme qu'il a vécu, que le simple fait qu'il puisse y penser ne fait que ressortir la haine
qu'il a en lui. Cette haine se ressent dans la succession de nombreuses questions sans
réponses, « Pardonner la mort des enfants ? Des vieux ? Des femmes ? [...] » (p. 178). Mais,
la haine à d'autres moments du livre ne transparaît pas. Pourtant, avec toute la souffrance qu'il
a vécu, il réussit à ne faire transparaître que des explications, des descriptions, de son vécu
concentrationnaire. En effet, même lorsqu'il parle de « l'amour véritable », Odette, qu'il
rencontrera à Birkenau, lorsqu'elle se fait frapper, il aurait pu montrer de la haine envers les
agissements des SS, mais il se contente de décrire ce qu'il s'est produit sans laisser
transparaître la moindre émotion pour laisser place à la réflexion. En effet, il utilise une
longue énumération pour décrire la situation, pour montrer la dureté de leur situation, nous
montrer que les nazis s'en prenaient même aux femmes mais c'est tout, il nous dit « Bruit,
gifle, dos, paume, bruit, gifle, sanglot » (p. 126). Ce n'est pas de la haine que le témoin nous
fait ressentir mais il nous montre plutôt la cruauté et la bêtise humaine à ce moment de
l'histoire. Pour prouver encore une fois que la haine ne transparaît pas dans cet écrit, nous
pouvons prendre l'exemple de la page 34. En effet, Joseph Bialot commence par nous décrire
leur arrivée à Odessa, une certaine transition entre Auschwitz (la Pologne) et son retour à
Paris (en France). C'est l'élément transitoire entre emprisonnement et liberté. C'est en cela
intéressant que cet épisode se retrouve au début du roman. Mais ici, ce qui nous intéresse c'est
le moment où le témoin rencontrera les Allemands, après sa période de souffrance. Il devrait
transparaître tout un tas d'émotion, comme ces Polonais qui « crachent au visage des
vaincus ». Mais le témoin nous dit que « j'éprouve, malgré tout une certaine gêne ». Même au
moment où la haine aurait toutes ses raisons d'être, elle y est sûrement, mais il ne la montre
pas dans son écrit. Comme une certaine retenue pour ne faire paraître que les éléments qu'il
juge utile de dire. Et là, la haine ne sert plus à rien, il faut laisser place à la réflexion, à la
compréhension (comme lorsqu'il essaie de comprendre leurs agissements en les expliquant
grâce au dédoublement de leur état de conscience, comme s'ils se cachaient à eux même leur
véritable nature).
Il faut commencer par préciser que nous allons évoquer les camarades que rencontrera
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Joseph Bialot et qu'ils sont clairement identifiés, soit par leur prénom soit quand il s'en
souvient par leur nom et prénom. Il en cite à de nombreux moments, je me contenterai de
relever certains d'entre eux, les plus importants qui sont révélateurs ou permettent une
réflexion sur la vie concentrationnaire.
Il y a l'exemple de Simon, il se retrouve dans le camps après avoir perdu toute sa
famille. C'est un épisode malheureusement presque normal. Une grande partie des déportés
sont les seuls survivants de toute une famille, les femmes et les enfants ayant droit au gazage
immédiat. Simon lui, vivra dans le camp aux côtés de Joseph Bialot, il nous en parle
longuement, ils sont ensemble à Odessa et entrent ensemble sur Paris. À Odessa, Joseph nous
parle de la situation dans laquelle se trouve Simon, il fait partie de ceux qui sont « écorchés »
(p. 27), seuls. Sa tristesse nous dit-il se traduit par « un silence presque permanent ». C'est
avec ce personnage de Simon que l'on retrouve la fraternisation, le soutien que peut nous
apporter un camarade dans de tels moments. Ainsi que le ressenti d'un homme qui réussit à
sortir du camp vivant, qui est libre mais seul. La liberté, mais à quel prix ? En effet, c'est grâce
à ce personnage que l'on peut reprendre l'expression du témoin, à la sortie des camps, à la
libération, ils ne restent que « des morts vivants » (p. 264). C'est un terme dur mais qui
montre qu'à leur sortie, leur malheur, leur vécu est si pesant qu'ils sont peut être vivant de
l'extérieur mais ils n'existent plus intérieurement. Et ça, tous les camarades vivants le
ressentent, tous sans exception. D'ailleurs, la phrase de fin de son roman est : « Salut les
ombres ! » (p. 281). Ces ombres sont ceux qui depuis qu'ils sont rentrés des camps survivent,
ne sont plus des êtres humains mais plutôt airent entre la vie et la mort. Ils ont survécu au
pire, mais n'ont plus la force de continuer à vivre. D'ailleurs, à la fin de son roman, il fait une
allusion à des déportés qui se sont donnés la mort et tente de l'expliquer. Tous ces éléments
sont en rapport, la sortie des camps, la libération, mais libération ne veut pas dire qu'ils sont
libres intérieurement. Ils sont libres d’aller où bon leur semble, mais certains n'ont plus
d'endroit où aller, ont été tellement humiliés et traumatisés qu'ils ne retrouveront jamais leur
véritable liberté. La seule solution que certains ont trouvé fut le suicide. Et, la raison que
Joseph Bialot donne à un tel acte, « ne parler qu'à soi mène toujours à l'autodestruction »
(p. 280). De plus, le traumatisme est tel que chaque est assimilé aux morts possible au Lager,
comme s'ils n'arrivaient pas à se défaire de cette souffrance et qu'ils ne pensent qu'à ça, tout le
temps, même dans leur mort. On a l'exemple de Primo Levi (auteur de Si c'est un homme),
« jeté dans le vide comme ceux qui se jetaient sur les barbelés électrifiés ». Comme si, depuis
leur sortie du camp, ils étaient mort et que leur mort ne pouvait être qu'en relation avec le
Lager. Puisque nous évoquons les pertes de camarades, nous pouvons parler avant d'évoquer
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la solidarité, de la répétition d'une certaine suite à l'explication de leur rencontre, « Je ne l'ai
jamais revu » (comme à la page 161 lorsqu'il nous parle de « Chatt »). Donc, cette répétition
de cette même phrase permet de montrer le nombre important de morts dans ces Lager et que
même si Joseph Bialot est encore en vie pour témoigner de son vécu, de nombreux hommes
sont morts.
Pour évoquer la solidarité entre détenu qui nous est dépeinte dans ce roman il suffit de
prendre l'exemple « d'Adolphe Dahan » (p. 102 / 103), en effet, grâce à son acte, on voit
l'entraide, la solidarité entre Juifs et surtout le partage. Des notions que dans un camps de
concentration on a tendance à oublier. Il nous est expliqué que ce jeune Juif français réussit,
grâce à sa nouvelle fonction de coiffeur (fonction où il est « nourri correctement »), à obtenir
des gâteaux et le jour du nouvel an, il va voir Joseph Bialot et lui « tend un cadeau impérial,
un petit-beurre ». La moindre chose est vue comme exceptionnelle. D'un détail, tout un long
paragraphe de sensation est présent. Mais ce détail est exceptionnel mais il nous permet de
voir que ces hommes bien que rabaissés en tant qu'animaux, apparaissent encore comme avoir
une humanité à la différence des soldats SS.
En ce qui concerne la femme au Lager, il en fait une allusion dans son roman, on l'a vu
précédemment avec Odette. Il fait une éloge de cette femme vue comme un rayon de soleil et
l'oppose totalement dans sa description avec les voyageurs du « Fantôme-Express » (p. 113),
qui qualifie les déportés dans le train qui les mène à Auschwitz, train qui n'est composé que de
personnes sans qualité d'hommes, qui selon eux n'existent pas, sont des « fantômes ». Cette
femme vient briser la routine, va à l'encontre de tous ces « visages identiques par l'érosion de
la fatigue, de la famine, de la crasse, de la peur. ». C'est une brève parenthèse, qui nous
montre le point de vue de Bialot sur la présence des femmes au Lager, « les femmes ne
devaient pas avoir accès à cette planète de braise » (p. 122). En effet, elles sont vues comme
des êtres fragiles, d'une beauté exceptionnelle, douces, en totale opposition avec les camps.
Donc, elles ne correspondent en aucun cas au profil. C'est une incompréhension totale face à
leur possible présence dans les camps.
Pour conclure sur les camarades, on peut citer Joseph Bialot qui nous dit que « L'égalité
n'existait qu'au stade final : le crématoire » (p. 159), comme si tous étaient différents mais
qu'ils aspiraient obligatoirement à un même destin, la mort. Ils finiront tous par devenir les
« cendres humaines » des nazis. Tous ces camarades déportés auront la même fin, sauf de
véritables exceptions comme Joseph Bialot ou Simon, qui nous le savons en sortiront vivant.
Nous pouvons donc parler de la violence concentrationnaire, ce qui provoquera par la
suite leur « Mort intérieure ». Dès le début de son roman, Joseph Bialot nous dit « J'ai envoyé
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Dieu se promener dans les nuages de cendre humaine » (p. 23). Donc, vu la violence, le
traumatisme qu'ils ont vécu, Dieu ne pouvait pas être là. Mais, peut être que Dieu existe ou
n'existe pas. Là n'est pas la question, puis à se demander si Dieu était là, on peut aussi se
demander où était l'homme ? Là se trouve toute la réflexion de Joseph Bialot. C'est en ce sens
qu'il parle des camps, c'est pour montrer que l'homme ne pouvait pas être là vu les
événements. On commencera par évoquer la définition des camps de concentration, des Lager.
En effet, elle se trouve à la page 153, « uniformes, discipline SS, travail de bagnard, absence
de soins médicaux, sous alimentation, violences physiques, humiliations constantes,
crématoires ». Dans cette énumération, on retrouve toutes les caractéristiques épouvantables
qu'un déporté subira. Pour mieux comprendre la violence, il faut d'abord la définir. C'est ce
qu'il fait dans cette citation. La comprendre, c'est impossible, mais il cherche plutôt des
éléments de compréhension que nous avons vu précédemment (cf. dédoublement de
conscience du SS). La dure réalité d'Auschwitz est celle-ci, de la violence gratuite, au nom du
caractère impur de l'être que les SS ont en face d'eux, parfois des abus de leur fonction, mais
étant donné que la violence est légitimée, il n'y a aucune limite. D'ailleurs, Joseph Bialot nous
dit qu' « Auschwitz bat ses records de production de cendres humaines » (p. 77). Tout ceci,
dans un même but, la suppression, l’annihilation d'une race jugée impure. Tout est fait pour
humilier, rabaisser le déporté, le pyjama (tous les mêmes), le numéro tatoué sur son corps (il
perd toute humanité, on ne le nomme plus, il possède un numéro), le rasage de tous les poils
et cheveux. Cet épisode est raconté en une page, il me semble que c'est raconté très
rapidement comme si, ce traumatisme était encore présent, l'humiliation encore ressentie.
Lorsqu'il est dans le camp, il nous le dit lui même, il faut « s'adapter ou mourir, pas d'autre
issue » (p. 55). Il montre bien que les déportés n'ont pas le choix, pas d'autres alternatives.
L'état d'esprit qu'il faut avoir, Joseph Bialot le comprend très vite, il nous en parle dès qu'il
aborde ces premiers jours au camp, « rage, rancœur, réagir, désespoir, réagir vite ». En
quelque sorte, pas de place pour les états d'âme, il faut vite les oublier et réagir, avancer sans
réfléchir, comme des machines. Ce qui les entraîne dans une spirale infernale qui les détruit
intérieurement, nous l'avons vu lorsqu'on a évoqué les camarades. Tous les déportés lorsqu'ils
sortent de cet enfer, non pas par la cheminée mais par la véritable sortie, ils ne sont plus
vivants, ils ont « l'esprit fendu, l'âme brisée » (p. 279). Dans cette phrase, on voit que la
reconstruction va être difficile, sûrement aussi difficile que leur expérience dans le camp. En
effet, Auschwitz reste seul lieu où l'on pouvait vivre et mourir en même temps. Et au moment
de la libération, le traumatisme reste présent. Il nous le dit lui même, « la joie reste cadenassée
par un avenir immédiat que l'on ne peut prévoir » (p. 221) car « être libéré ne signifie pas être
libre » (p. 226). Même à la sortie du camps, ils restent prisonniers de leur passé, de leurs
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souvenirs. Il me paraît important de citer la première phrase d'un écrit que Joseph Bialot fait à
son retour en France, « Nous sommes tous morts au Lager, tous » (p. 277). Donc, les
survivants autant que les morts ne sont plus là, leur âme, leur dignité sont restées à Auschwitz,
ils sont vides de l'intérieur. C'est ce que Joseph Bialot essaie d'expliquer tout en montrant qu'il
faut se reconstruire bien que leur avenir soit incertain. Il écrit pour tous ces hommes, ces
« ombres ».
Nous pouvons donc voir les facteurs de ténacité évoqués dans ce document ainsi que
ceux de démoralisations. En ce qui concerne les facteurs de ténacité, on peut parler de la
cigarette. Elle était autorisée, il fallait soit avoir des bons (principe des bons-points dans les
camps, assez paradoxal) soit échanger un bon contre un ticket de repas ou autre bien. Pour les
fumeurs, et mêmes les non fumeurs, la cigarette représente ce bonheur éphémère, celui qui
durant l'espace de sa consommation permet de s'évader, de penser à autre chose que la vie
dans laquelle ils sont entraînés de force. Une évasion courte, mais à quel prix ? Ce facteur qui
leur permet de tenir grâce au fait qu'il leur fait penser à autre chose peut aussi devenir un
facteur de perte, de mort. En effet, « j'ai vu un nombre de gros fumeurs échanger leur vie (leur
ration de pain) contre des cigarettes » (p. 188). Ils préfèrent donc connaître le bonheur
éphémère, continuer une pratique qu'ils faisaient dans leur vie passée, au moment où ils ne
connaissaient pas la déportation plutôt que de manger la minuscule ration qui leur était
accordé. Absurde ou justifié ? Tout dépend de quel côté l'on se place, mais il faut savoir que
tous ces hommes étaient persuadés d'une chose, leur mort imminente. L'autre facteur de
ténacité que l'on peut évoquer est l'espoir, c'est exact, bien que toutes ces personnes sont
démoralisées, l'espoir est humain, et elles continuent d'espérer à la libération. Cet espoir de
libération se concrétise lorsque la rumeur sur l'arrivée de l'Armée Rouge à Auschwitz se fait
savoir. Et, il nous dit « un mot magique fait de terreur et d'espoir fou : Évacuation ! ». C'est la
concrétisation de tout cet espoir accumulé durant des mois, des années, tout dépend les
détenus. En ce qui concerne l'arrière, les familles, ce n'est pas tellement un facteur de ténacité
dans le cas des déportés. En effet, souvent, la famille est dans le même cas que l'homme
détenu, ou la plupart du temps, elle s'est faite raflée en même temps que le mari et il est donc
conscient qu'ils se sont fait gazer. L'espoir de retrouver sa famille est bien mince. Mais cet
espoir, Joseph Bialot est bien l'un des seuls à l'avoir eu et c'est ce qui le fera tenir aussi, c'est
lorsqu'il a reçu de sa mère une lettre, la veille de son anniversaire. Il gardera toujours en tête
cet élément, toujours dans l'espoir de retrouver sa famille en vie, ce qui se produira.
En ce qui concerne les facteurs de démoralisation, certains sont ambigus, c'est pour cela
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que je vais citer le facteur de la faim en transition entre démoralisation et ténacité. En effet, la
faim est présente dans le camp vu que c'est une des caractéristiques du Lager, « la sousalimentation ». C'est exact, la famine peut être un grand facteur de démoralisation dans le sens
où l'homme ne peut pas vivre bien longtemps lorsqu'il n'est pas assez nourri puis c'est une
souffrance quotidienne, le témoin nous le dit, ils ne pensent qu'à une chose, « arrêter le
hurlement que l'on traîne en soi : manger » (p. 80). Donc, vu de cet angle là, la faim est plutôt
un facteur démoralisant. Mais, Joseph Bialot continu dans cette évocation de la famine, et
nous dit « la faim est en effet une formidable gomme qui efface tout ce qui vous entoure et
vous empêche de regarder en vous même » (p. 80). Donc, lorsqu'on arrive quelques lignes
plus bas et que l'on trouve cette explication, la faim devient par son côté démoralisant, un
facteur de ténacité. C'est exact, la faim les fait tellement souffrir qu'ils ne peuvent pas penser à
autre chose qu'à ça. Donc, c'est ce qui les fait tenir, leur instinct devient plus fort, c'est ce que
les SS veulent les faire devenir, de vrais animaux. De par le manque de nourriture, ils en
arrivent à ne penser qu'à ça, du coup à ne plus penser du tout. Ensuite, comme véritable
facteur démoralisant, les maladies, et dans les camps, celle qui les handicape le plus, la
chiasse. Il y a même un block qui est réservé à ces malades, ce qui prouve son aspect
démoralisant, « block 19. Section chiasse-et-mort » (p. 166). Ils assimilent la maladie à la
mort. Dans les facteurs démoralisants, on peut y ajouter le climat hivernal, les coups, les
humiliations constantes, mais ceci, nous l'avons largement évoqué précédemment.
Joseph Bialot, est un des seuls rescapés à s'intéresser à la vie après le camps. À ce qu'il
devient après, car nous l'avons vu précédemment, la période de reconstruction est tout aussi
difficile que celle des camps. En effet, à la sortie du camp, il évoque son ressenti, c'est plutôt
ambiguë et ce sont plutôt des sentiments contradictoire, entre soulagement, peur et gloire.
Mais il n'est aucunement question de sentiment de libération, « je n'éprouve aucune euphorie,
seulement un dégoût immense tempéré par un sentiment confus de triomphe » (p. 225). La
souffrance est tellement grande qu'ils ne peuvent pas effacer le traumatisme simplement en
quittant les murs dans lesquels ils étaient enfermés. La liberté n'est pas acquise simplement en
franchissant une simple muraille, bien qu'elle permette un sentiment de « triomphe ».
Pourquoi ? Sûrement car pour une fois, les déportés se retrouvent dans une situation de
supériorité face au nazisme, en effet, il est vaincu. Cela en dit beaucoup sur la suite, il est
difficile de se réjouir quand après une guerre, on ne sait pas ce que l'on va retrouver. Puis, le
chemin reste long jusqu'en France. Ces hommes sont changés, ils ne sont plus les mêmes, ils
airent comme des âmes perdues, ils ont perdu toute notion de vie, « la tendresse, personne ne
savait plus ce que ça voulait dire » (p. 46). Après le camp, il faut survivre, essayer de se
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raccrocher au soupçon de vie qu'il leur reste, mais il nous le dit lui même, à leur sortie il ne
sont plus que « des atomes de solitude cherchant un repère de vie, un jalon d'espoir ». Cette
citation nous montre le fait que ces hommes sont perdus, ils n'ont plus aucune notion des
choses, ils sont perdus dans l'immensité du monde, perdus face à un avenir incertain, de ne
pas savoir ce que les déportés vont trouver en arrivant, une famille ? Une maison vide ?
Personne ne le sait, c'est « la hantise de ce que nous allons retrouver » (p. 262). C'est un doute
constant qui les suivra de leur entrée au camps jusqu'à leur retour chez eux (pour ceux qui
avaient encore l'espoir). En plus du doute, ils n'ont aucun avenir en vue, ils ne possèdent plus
la plupart plus rien, c'est le drame de la déportation, « ce train bizarre ne possède la moindre
perspective d'avenir » (p. 262).
Pour Joseph Bialot, son devenir en sera un des meilleurs, en effet, peu de déportés
auront la chance de retrouver une famille en arrivant, il est conscient de cet élément. Mais en
plus de cela, il est important de souligner à nouveau ce 11 mai 1945, jour où il obtient « sa
carte de rapatrié » (p. 266), où il reprend son nom, Joseph Bialot, et où il retrouve un caractère
humain, élément qu'il avait perdu depuis son entrée dans les camps. Il ne possédait plus un
numéro de matricule mais son nom et son prénom. C'est le début de la longue reconstruction
que tous les survivants déportés connaîtront, certains n'en verront jamais le bout comme dit
précédemment.
En conclusion, nous pouvons voir que ses récits respirent le vécu. Joseph Bialot réussit
à nous amener vers ce qui reste de l'homme quand il n'y a plus d'humanité et au delà de la
peur, de la vie fantôme, une chaleur dans la relation aux autres. Bien qu'il essaya de
comprendre les rouages des camps et de leur organisation, il se heurte au fait que : « il n'y a
rien à comprendre dans un monde incompréhensible » (p. 157). Donc, il essaye d'expliquer
des agissements mais finalement, tout ceci ne peut pas être compris car pour lui, il y règne la
« déraison ».
Il nous raconte sa descente aux enfers en déportation, mais aussi le voyage douloureux
qu'il entreprend après la libération des camps, autant mental que physique. Une partie
rarement évoquée de cet enfer.
Laura BLASQUEZ (Université Paul-Valéry Montpellier III)