Marchés publics d`assurance
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Marchés publics d`assurance
Marchés publics d’assurance : Conseiller n’est pas intermédier ! Alain CURTET1 Direction Juridique Groupe MMA Contrat d’assurance - Intermédiation Par un arrêt en date du 10 février 2014, le Conseil d’Etat a jugé que la mission d'assistance et de conseil pour la passation de marchés publics d'assurance échappe à la qualification d'intermédiation en assurance et, par conséquent, peut être attribuée, comme en l’espèce, à un cabinet d’avocats. 1. Conformément aux préconisations présentes dans le guide des bonnes pratiques en matière de marchés publics d’assurances réalisé par le ministère de l’Économie en juin 2008 2 , le service d'incendie et de secours (SDIS) du Doubs avait conclu avec un cabinet d'avocats un marché public de services portant, d'une part, sur une mission d'assistance et de conseil pour la passation de marchés publics d'assurance et, d'autre part, sur une mission d'assistance technique permanente pour toutes les questions relevant notamment de l’assurance des biens, de la responsabilité et des personnels du SDIS. La société ACE Consultants - courtier inscrit au registre des intermédiaires d’assurances saisit alors le juge pour faire annuler l’attribution du marché à un avocat, non inscrit à l’ORIAS, lequel - qui plus est - ne peut exercer d’activité commerciale. Le tribunal administratif de Besançon ayant rejeté sa demande par un jugement en date du 17 novembre 2011, la société interjette appel. Par un arrêt rendu le 28 janvier 20133, la Cour Administrative d'Appel de Nancy annule le contrat considérant que la mission d'assistance et de conseil pour la passation des marchés d'assurance était constitutive, par son objet, d'une activité d'intermédiation d'assurance telle que définie à l'article L. 511-1 du code des assurances, et qu'elle ne pouvait donc être exercée que par un intermédiaire en assurance régulièrement enregistré par l'Organisme pour le Registre des Intermédiaires en assurance (ORIAS). Dans une affaire similaire, la Cour Administrative d’Appel de Marseille allait aussi adopter une solution assez proche en jugeant que « certaines prestations du marché ont pour objet de fournir des éléments qui permettront à la collectivité d’opter pour un contrat d’assurance bien précis et d’en écarter d’autres »4. 2. La Haute Juridiction devait donc se prononcer sur la qualification de cette mission d'assistance pour la passation de marchés publics d'assurance et déterminer s'il s'agissait ou 1 Les vues et réflexions personnelles exprimées dans cet article n´engagent que son auteur et ne peuvent en aucun cas être considérées comme représentant la position officielle de la Société et du Groupe auquel il appartient 2 - lequel précise dans le 2) de sa première partie que « la collectivité peut, en fonction de son importance, de son organisation, des compétences de ses agents, conduire elle-même l’ensemble des travaux nécessaires en amont de la passation des marchés publics d’assurance ou faire appel à un audit ou à un conseil. […] Ces intervenants ne sont pas nécessairement un intermédiaire d’assurances. » 3 - Cour administrative d'appel de Nancy, 28 janvier 2013, 4ème chambre - formation n°3, n°12NC00126 4 - CAA Marseille, 8 avril 2013, n° 10MA01631, SOCIÉTÉ PROTECTAS non d'une activité d'intermédiation en assurance. C’est dans ce contexte que le Conseil d'Etat a pu juger que « … la mission consistant à assister et à conseiller une personne publique afin de lui permettre de passer des marchés publics d'assurance et notamment de sélectionner les candidats dans le respect des dispositions du Code des marchés publics n'a pas pour objet de présenter, de proposer ou d'aider à conclure un contrat d'assurance ou de réaliser d'autres travaux préparatoires à sa conclusion ; qu'elle ne peut ainsi être regardée comme une mission d'intermédiation [en assurance] (…) ».5 3. La distinction opérée pourrait paraître subtile si la Haute juridiction administrative n’avait finalement pas fait une stricte application des textes actuels en la matière. En effet, selon les dispositions combinées des articles L. 511-1 et R. 511-1 du Code des Assurances, l'intermédiation en assurance ou en réassurance est l'activité qui consiste à présenter, proposer ou aider à conclure des contrats d'assurance ou de réassurance ou à réaliser d'autres travaux préparatoires à leur conclusion. Cette activité consiste à « solliciter ou … recueillir la souscription d'un contrat ou l'adhésion à un tel contrat, ou… exposer oralement ou par écrit à un souscripteur ou un adhérent éventuel, en vue de cette souscription ou adhésion, les conditions de garantie d'un contrat ». En pratique, le nœud gordien va désormais résider pour la collectivité dans la définition même de l’objet du marché à confier : Si la mission d’assistance à la maitrise d’ouvrage n’intègre pas des prestations qui seraient susceptibles de relever de l'intermédiation en assurance, n’importe quel professionnel (qu’il ait ou non la qualité d’intermédiaire en assurances) peut donc être candidat à ces marchés d’assistance et de conseil pour aider la collectivité ; A l’inverse, si les missions d’assistance et de conseil pour la passation de marchés publics d’assurance contiennent des prestations relevant de l’intermédiation, les marchés en question ne doivent alors être confiés qu’à des intermédiaires d’assurance (agents d’assurance, courtiers, mandataire d’intermédiaires) immatriculés à l’ORIAS. Par conséquent, cette décision impose désormais que le pouvoir adjudicateur définisse correctement son besoin en assistance pour passer un marché public d’assurances. Et c’est bien en fonction de l’analyse des prestations attendues du prestataire qu’il conviendra, dans le cadre de la procédure de mise en concurrence, de préciser ou non si la qualité d’intermédiaire en assurance est obligatoire ou non. Et attention aux erreurs qui pourraient s’avérer fatales … 4. Maintenant que la plus haute juridiction administrative a donné son interprétation, malheureusement contraire à la position donnée par la Direction des Affaires Juridiques du Ministère de l’Economie et des Finances, la situation est certaine mais n’est pas forcément pérenne. En effet, depuis le 3 juillet 2012, la Commission européenne a présenté des mesures visant à établir un cadre réglementaire efficace, cohérent et harmonisé afin de renforcer la protection des consommateurs de produits et services financiers au sein du marché unique. Si la directive 5 - Conseil d'Etat, 10 février 2014, 7ème et 2ème sous-sections réunies, n°367262, SELARL Cabinet Henri Abecassis, n° 367262 actuelle 2002/92/CE sur l’intermédiation (appelée couramment IMD1), avait pour but une harmonisation a minima des règles applicables dans les pays membres, la révision (Insurance Mediation Directive 2 ou IMD2) de cette directive IMD1 emporte plusieurs modifications importantes dont celle du périmètre. Si la directive IMD1 précise qu’elle s’applique que « … aux personnes dont l'activité consiste à fournir à des tiers des services d'intermédiation en assurance en échange d'une rémunération qui peut être pécuniaire ou revêtir toute autre forme d'avantage économique convenu et lié à la prestation fournie » (§11), elle affirme également qu’elle « ne devrait pas s'appliquer aux personnes ayant une autre activité professionnelle, par exemple les experts fiscaux ou comptables, qui donnent des conseils en matière de couverture d'assurance à titre occasionnel dans le cadre de cette autre activité professionnelle » (§12). Et l’article 2 §3 de la directive IMD1 précise à propos de la définition de l’intermédiation en assurance que « Ne sont pas non plus considérées comme une intermédiation en assurance les activités consistant à fournir des informations à titre occasionnel dans le cadre d'une autre activité professionnelle pour autant que ces activités n'aient pas pour objet d'aider le client à conclure ou à exécuter un contrat d'assurance, la gestion, à titre professionnel, des sinistres d'une entreprise d'assurance ou les activités d'estimation et de liquidation des sinistres ». Dans le cadre des discussions en cours à propos de la refonte de la directive IMD1, cette exception pourrait demeurer même si le Amendements du PARLEMENT EUROPEEN à la proposition de la Commission Européenne souhaiterait de son côté élargir le champ d’application de la future directive IMD2 en excluant la simple fourniture « d’informations introductives » et souhaitant qu’elle s’applique « … aux personnes dont l'activité consiste à fournir des informations sur un ou plusieurs contrats d'assurance ou de réassurance en réponse à des critères sélectionnés par un client via un site web ou par d'autres moyens, ou un classement de produits d'assurance ou de réassurance, ou une remise sur le prix d'un contrat, lorsque le client est en mesure de conclure directement un contrat à la fin du processus » Dans ce contexte, le débat tranché aujourd’hui pas le Conseil d’Etat pourrait exister à nouveau avec la prochaine directive IMD2 dont le champ d’application pourrait donner à nouveau lieu à discussions et donc à contentieux.