la justice pour les survivantes du Pérou

Transcription

la justice pour les survivantes du Pérou
Violences sexuelles
RMF 27
n comprendre pourquoi si peu de
femmes et de filles abusées dénoncent
leurs agresseurs : leur silence ne doit
pas être interprété comme preuve de
l’absence de violences sexuelles ;
n s’assurer que les programmes de
réintégration prennent les dispositions
nécessaires pour la sensibilisation aux
infections transmises sexuellement, pour
des tests pour le VIH, pour les soins
médicaux et pour les médicaments ;
n donner de l’appui aux femmes et aux
filles qui ont donné naissance suite aux
violences sexuelles durant leur période
avec les forces armées : il faut se rendre
compte qu’elles auront possiblement des
sentiments ambigus envers leurs bébés.
y Reconciliación de la Colombie (www.
cnrr.org.co). Luisa Maria Dietrich (Luisa.
[email protected]) est conseillère
sur les sexospécifités et le DDR auprès
de l’International Organisation for
Migration Colombia (www.oim.org.co).
Gunhild Schwitalla (Gunhild_schwitalla@
yahoo.com) est spécialiste de résolution de
conflits à l’Université des Andes à Bogotá
et conseillère sur les sexospécificités auprès
de la Comisión Nacional de Reparación
1 (en anglais) www.ictj.org/en/news/press/release/1094.
html
2 ELN (Ejército de Liberación Nacional) et le FARC
(Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia).
La justice pour les survivantes du Pérou
par Flor de María Valdez-Arroyo
Le Pérou a pris des mesures pour venir en aide aux femmes
survivantes de violences sexuelles durant le conflit armé dans
leur quête de justice et de réparation mais l’absence d’une
perspective sexospécifique et culturelle pour mettre en place
les mécanismes appropriés met le processus en danger.
Manta est une communauté rurale isolée
de Huancavelica, une région pauvre
des Andes du Pérou. Selon le Rapport
final de la Commission péruvienne
de vérité et de conciliation (CVR)1,
Manta a enduré des violences sexuelles
systématiques pendant l’insurrection de
1980-2000 menée par Sendero Luminoso
(un mouvement de guérillas maoïste)
et le Mouvement révolutionnaire Tupac
Amaru. Les victimes principales étaient
les femmes sans éducation et les jeunes
filles des communautés rurales des
montagnes, parlant le quechua ou d’autres
dialectes locaux qui ont toujours été
traditionnellement mises en marge par
l’état et la société civile. Il y avait une
base militaire à Manta pendant tout le
conflit. Selon la CVR, la majorité des
violences sexuelles ont été commises par
des membres des forces armées – qui avait
comme rôle de protéger la population
civile. Les crimes étaient souvent perpétrés
durant des incursions de l’armée sur
les maisons de personnes soupçonnées
d’activités subversives et lorsque les
femmes venaient à la base demander des
renseignements sur des parents détenus.
La plupart des femmes gardent le silence
sur les violences sexuelles subies – à cause
de la honte ou de la peur des réactions
de leur famille et/ou de leur partenaire.
Collectivement, la communauté nie
l’existence de violences sexuelles répandues
et insiste que la majorité des contacts sexuels
entre les femmes et les soldats étaient
consensuels. Elles refusent d’admettre les
conclusions de la CVR parce qu’elles ne
veulent pas devenir ‘le village des violées’.
Les femmes qui cherchent la justice peuvent
être accusées de mentir afin d’obtenir une
compensation ou des bénéfices sociaux.
La pression sociale est si intense que, à un
moment, uniquement les femmes qui avaient
été déplacées par le conflit ou qui avaient
volontairement quitté leur communauté
pouvaient s’exprimer et réclamer la justice.
S’il existe de l’impunité durant et après les
conflits, les crimes de violences sexuelles
contre les femmes auront lieu. Le Rapport
final de la CVR devait être le point de
départ d’un processus légal de réparation
pour toutes les victimes des violations
de droits humains, y compris celles de
violences sexuelles dans le contexte du
conflit armé au Pérou. Elle a proposé un
plan de réparation au Parlement péruvien
et a offert des exemples – y compris Manta
- en vue de poursuites judiciaires.
Toutefois, trois ans après la soumission du
rapport, peu de choses ont été accomplies.
L’obstacle principal à la justice pour les
femmes de Manta est l’échec de la part du
Code pénal péruvien à définir les violences
sexuelles durant les conflits comme un
crime contre l’humanité. Par conséquent,
les violences sexuelles ne font l’objet que
de poursuites pour viol simple, plutôt
que comme arme de guerre, et les choix
de peines sont moins sévères et assujettis
aux limitations statutaires. Les juges et
les procureurs péruviens sont réticents à
appliquer les lois internationales normales
pour combler ce vide. Après tant d’années
et malgré toutes les preuves soumises,
aucune action judiciaire n’a débuté à Manta.
En 2006, le Congrès péruvien a adopté
une loi visant à mettre en application un
plan de réparation pour toutes les victimes
des conflits armés. Cependant, seulement
les femmes ayant survécu à un viol
peuvent faire demande à une réparation.
Aucune autre forme de violences sexuelles
– l’esclavage sexuel, la prostitution forcée,
la nudité forcée et les avortements forcés
subis par les femmes de Manta - ne
sera prise en considération. Les femmes
associées aux rebelles sont expressément
exclues. Les violences sexuelles formaient
partie de la stratégie utilisée par tous
les acteurs envers les femmes. Alors que
l’armée utilisait l’humiliation et la torture,
les rebelles contrôlaient les femmes et les
utilisaient comme combattantes, aides
ménagères et partenaires sexuels pour leurs
leaders. Un autre problème est que toutes
les survivantes doivent être inscrites au
registre officiel des victimes. Cependant, il
n’existe aucun recours pour s’assurer que
leurs témoignages seront recueillis avec
délicatesse et de manière confidentielle.
De plus, l’inclusion au registre dépend
de la possession de documents d’identité
tels qu’un certificat de naissance que la
plupart des survivantes des environnement
ruraux, surtout les femmes autochtones,
ne sont pas en mesure de fournir.
Faute de directives plus claires et
de volonté politique affirmée, les
survivantes de violences sexuelles
au Pérou perdent toujours dans leur
quête de justice et de réparation.
Flor de María Valdez-Arroyo travaille
pour DEMUS Estudio para la Defensa y
los Derechos de la Mujer, Lima (www.
demus.org.pe). Courriel: valdez.fdm@
pucp.edu.pe. Une version plus longue
de cet article se trouve en ligne sur:
http://terra.rezo.net/article486.html
1. Comisión de la Verdad y Reconciliación www.cverdad.
org.pe
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