L`Allemagne qui Bouge

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L`Allemagne qui Bouge
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L'ALLEMAGNE QUI BOUGE
POLITIQUE
CHRONIQUE D'UNE MORT ANNONCÉE
Les Libéraux allemands survivront-ils
à l'année 1996 ?
NICOLAS MOLL
«Q
uiconque écrit aujourd'hui sur les Libéraux, doit commencer
par la formule suivante : il était une fois… ». Cette phrase du
journaliste Heribert Prantl, extraite de la Süddeutsche Zeitung
du 12 novembre 1993, semble, au tournant de l'année 1995/96, plus d'actualité
que jamais. Certes, le FDP a réussi à refranchir la barre fatidique des 5 % aux
dernières élections fédérales du 16 octobre 1994 et à maintenir sa présence
dans le gouvernement de Helmut Kohl. Les spéculations sur sa prochaine disparition n'ont néanmoins pas cessé pour autant – au vu d'une série impressionnante de défaites électorales au niveau régional au cours des deux dernières années.
19/9/93 : élections à Hambourg : 4,2 % (1991 : 5,4 %) – élimination de la
chambre des députés.
13/3/94 : Basse-Saxe : 4,4 % (1990 : 6 %) – éliminé
26/6/94 : Saxe-Anhalt : 3,6 % (1990 : 13,5 %) – éliminé
11/9/94 : Brandenbourg : 2,2 % (1990 : 6,6 %) – éliminé
11/9/94 : Saxe : 1,7 % (1990 : 5,3 %) – éliminé
25/9/94 : Bavière : 2,8 % (1990 : 5,2 %) – éliminé
16/10/94 : Mecklembourg-Poméranie Antérieure : 3,8 % (1990 : 5,5 %) – éliminé
16/10/94 : Sarre : 2,1 % (1990 : 5,6 %) – éliminé
16/10/94 : Thuringe : 3,2 % (1990 : 9,3 %) – éliminé
14/5/95 : Brême : 3,4 % (1991 : 9,5 %) – éliminé
14/5/95 : Rhénanie du Nord-Westphalie : 4 % (1991 : 5,8 %) – éliminé
22/10/95 : Berlin : 2,5 % des voix (1990 : 7,1 %) – éliminé.
Dans cette série noire (à laquelle il faut rajouter l'élimination du FDP du Parlement européen, le parti libéral allemand n'ayant obtenu que 4,1 % aux élections
européennes du 12 juin 94 contre 5,6 % aux précédentes), la seule lueur d'espoir
au niveau régional furent les élections en Hesse le 19 février 1995, où le FDP
réussit à obtenir 7,5 % des voix (7,4 % en 1991) et put ainsi maintenir sa présence au Parlement régional. Mais, même si l'on tient compte de ce résultat, le
bilan de ces deux dernières années est sans appel : sur les 13 dernières élections régionales, 12 ont été fatales au FDP ; si le parti libéral participait à six gouvernements régionaux en 1993 avec quinze ministres, deux ans plus tard il ne
participe plus qu'à un seul avec deux ministres (en Rhénanie-Palatinat dans une
coalition avec les sociaux-démocrates). Sans doute n'est-on pas encore au bout
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de l'hécatombe : tout le monde a aujourd'hui les yeux rivés sur une date qui pourrait bien définitivement sceller le sort des libéraux allemands : le 24 mars 1996.
A cette date auront lieu simultanément trois élections régionales – au BadeWurtemberg, en Rhénanie-Palatinat et au Schleswig-Holstein. Actuellement,
le FDP est représenté dans chacun des trois parlements. Si le parti poursuivait
sa série noire dans ces trois Länder, beaucoup d'observateurs s'attendent à
un éclatement du FDP à Bonn – avec des conséquences directes pour le gouvernement Kohl : celui-ci ne dispose que d'une très courte majorité (dix voix)
au Bundestag et le soutien du FDP est indispensable. L'éclatement de ce dernier signifierait automatiquement la fin de l'actuel gouvernement.
Comment expliquer la crise ?
La crise actuelle du FDP a donc des implications considérables. Comment l'expliquer ? Débutant en 1993, la série des défaites électorales successives coïncide avec l'arrivée à la tête du FDP de Klaus Kinkel, l'actuel ministre des
Affaires étrangères. Il serait pourtant trop simple de vouloir imputer toute la responsabilité de la crise à la personne de Klaus Kinkel – celle-ci n'a fait qu'apparaître au plein jour sous sa présidence.
Le premier problème se situe au niveau des contenus politiques du parti libéral
allemand ; en treize ans de coalition avec la CDU de Helmut Kohl, le FDP a
connu de plus en plus de difficultés à se différencier de son écrasant partenaire ;
s'ensuit un flou identitaire de plus en plus marqué. « On ne peut identifier le FDP
aujourd'hui avec quelque chose de précis » est une phrase qui revient régulièrement depuis quelques années. Cette absence de message politique original
a pu être masqué au début des années 90 grâce à la présence de deux
hommes : d'une part le comte Lambsdorff, président du FDP jusqu'en 1993 et
ancien ministre de l'Économie, dont personne ne conteste la compétence économique – même s'il a trempé dans un grand scandale politico-financier ;
d'autre part et surtout Hans Dietrich Genscher, ministre des Affaires étrangères
depuis 1972, qui incarne cette « Allemagne, dans laquelle le monde a
confiance » (slogan du FDP lors des élections fédérales de 1990). Or ces deux
hommes décident de se retirer du devant de la scène politique en 1991 et 1993
– créant un vide incontestable que leurs successeurs ne réussiront pas à combler. Ni au niveau de l'économie, ni au niveau de la politique extérieure le FDP
ne parviendra désormais à vraiment se démarquer : des quatre ministres de
l'Économie libéraux qui ont succédé à Lambsdorff – Martin Bangemann, Helmut
Haussmann,Jürgen Möllemann et Günther Rexrodt – aucun n'a été vraiment
convaincant ; quant à Klaus Kinkel à la tête du ministère des Affaires étrangères, il subit, plus qu'il n'y contribue, une difficile redéfinition du rôle international de l'Allemagne. En même temps, l'aile gauche du parti (faisant traditionnellement pendant aux libéraux économiques), qui met en avant la protection
des droits de citoyens, poursuit son éclipse amorcée dès le changement de
coalition de 1982. Pendant la campagne électorale de 1994, l'absence de véritables contenus politiques – sauf celui de la défense des intérêts des entre26
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preneurs – ainsi que le manque de réponses originales aux questions que pose
l'Allemagne unifiée sont soulignés par la quasi-totalité des observateurs politiques. Le FDP apparaît essentiellement comme un parti fonctionnel, nécessaire à la victoire de Helmut Kohl – mais sans véritable profil.
Un désarroi en trois épisodes
Cette crise du contenu doublée d'une crise de personnel explique la fragilisation progressive du FDP qui ne sait plus à quel saint se vouer. Trois épisodes
particulièrement significatifs des douze derniers mois sont symptomatiques du
désarroi que connaît actuellement le parti – trois épisodes qui relèvent presque
du théâtre de l'absurde :
1) 11/12 décembre 1994 : Congrès extraordinaire du FDP à Gera (Thuringe).
Alors qu'il devait être l'occasion d'un nouvel élan et que Jürgen Möllemann,
qui a ouvertement défié Kinkel dont il aimerait récupérer la place, a été évincé
deux semaines plus tôt, le congrès tourne au désastre. Pendant son discours,
Kinkel est interrompu par des rires sarcastiques et est ouvertement hué par
certains délégués. Quand le président des « jeunes libéraux » demande, après
le discours de Kinkel, que ce dernier ne soit plus candidat à sa propre succession lors du prochain congrès de juin, il reçoit de gros applaudissements.
Kinkel songe à démissionner immédiatement ; par manque de solution de remplacement et par souci d'éviter une crise au gouvernement – dans une telle
situation, Kinkel n'aurait guère pu rester vice-chancelier et ministre des Affaires
étrangères – Kinkel se laisse convaincre de continuer. Raison de parti et raison
d'État obligent : lors d'un vote de confiance le lendemain, Kinkel obtient une
majorité, mais d'à peine 65 % des voix. Le président du FDP ressort particulièrement fragilisé de ce congrès.
2) Début décembre 1995 : Quelques mois plus tôt, Wolfgang Gerhardt, jusqu'alors président du FDP en Hesse et vice-président au niveau fédéral, à
été élu président du FDP – Kinkel ayant finalement décidé de ne plus se
représenter et de se consacrer au poste de ministre des Affaires étrangères.
Une des premières manœuvres du nouveau président échoue lamentablement : réfléchissant tout haut au remplacement du très pâle Günther Rexrodt
à la tête du ministère de l'Économie, celui-ci – contre toute attente – ne joue
pas le jeu et décide de rester à sa place. Résultats : un ministre ouvertement
désavoué par son chef de parti et un chef de parti dont l'autorité est déjà
mise à mal.
3) Toujours décembre 1995 : une autre manœuvre de Gerhardt atteint son
but – mais laisse plus qu'un arrière goût amer. Alors que pendant deux
congrès ainsi que dans leur programme électoral, le FDP avait clairement
dit non au « Grosser Lauschangriff » (surveillance électronique d'appartements privés pour lutter contre la grande criminalité, projet cher à la CDU et
la CSU), et que le débat sur ce « non » empoisonnait l'atmosphère au sein
du parti, Gerhardt décide d'organiser un « référendum » sur cette question
auprès des membres du FDP. Le résultat – attendu – tombe le 14/12/95 :
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63,6 % des membres se sont prononcés pour l'abandon du « non ». Aussitôt,
la ministre fédéral FDP de la Justice, Sabine Leutheusser-Schnarrenberger,
donne sa démission du gouvernement, de même que Burkhard Hirsch – un
vieux de la vieille – en tant que porte-parole du groupe parlementaire FDP sur
la politique intérieure. Tous les deux avaient préalablement annoncé qu'ils
démissionneraient en cas d'approbation du « Lauschangriff », expliquant qu'ils
ne pourraient défendre cette position en contradiction avec leurs propres
convictions libérales.
Si ces deux derniers épisodes ont contribué à renforcer l'image désastreuse
du parti, ils mettent néanmoins en évidence la volonté de la nouvelle direction
de reprendre les choses en main. Mais vers où la nouvelle direction – à côté
de Wolfgang Gerhardt il faut surtout mentionner le jeune et dynamique Guido
Westerwelle, secrétaire général du parti depuis décembre 1994 – veut-elle
mener le FDP ? Dans les premiers mois de leur règne, ils n'ont aucunement
donné l'impression de disposer d'une véritable vision d'ensemble. Entretemps, la crise du FDP a fait renaître en son sein une tradition nationale et
conservatrice – tradition qu'avait déjà abritée le FDP dans les années 50. Ainsi,
un groupe autour de l'ancien procureur général fédéral Alexander von Stahl
a publié en novembre 1994 un manifeste intitulé « Positions berlinoises pour
une rénovation libérale » ; jugeant que le FDP n'avait « plus aucune chance
en tant que parti libéral de gauche » , ses auteurs y préconisent un virage clair
et net à droite, vers des positions « libérales-nationales » – en se prononçant
par exemple contre le concept de multiculturalisme et contre le féminisme,
contre la monnaie unique européenne et pour l'instauration du « Grosser Lauschangriff ». L'ascension presque ininterrompue du collègue « libéral » autrichien Jörg Haider et ses scores de plus de 20 % ont certainement contribué
à cette renaissance. Mais il serait prématuré de parler de « haidérisation » du
parti. Non seulement parce que la tête du parti s'est clairement distancée de
cette tendance, mais aussi parce qu'il existe une différence conséquente entre
le FDP allemand et le FPÖ de Haider : si ce dernier vit surtout et essentiellement des ressentiments contre le système existant (1), le FDP aime trop ce
système, il fait trop partie de ce système pour s'engager sur cette voie. Il n'empêche: la décision de finalement abandonner le non au « Grosser Lauschangriff » est certainement plus qu'un épisode illustrant la crise du parti ; pour
Sabine Leutheusser-Schnarrenberger il s'agit la d'un « pas décisif pour s'éloigner du concept de l'État de droit libéral ». L'aile gauche du FDP en ressort
encore plus affaiblie qu'elle ne l'était déjà – même si elle n'a pas disparu et
que Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, sa nouvelle figure emblématoire,
est décidée à continuer à se battre pour ses idées au sein du parti.
La nouvelle direction du FDP pourra-t-elle sauver les libéraux du désastre ? Lors
d'éventuelles élections fédérales anticipées, le FDP réussira-t-il, à nouveau, à
franchir la barre cruciale des 5 % ? Nombreux sont les observateurs politiques
(1) L'échec relatif de Haider aux dernières élections autrichiennes a par ailleurs diminué l'attrait qu'il pouvait
exercer sur certaines contrées de l'éventail politique allemand.
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qui jugent qu'une véritable redéfinition de leurs contenus libéraux ne pourra se
faire que si le FDP quitte le pouvoir – il ne faut en effet pas oublier que ce parti
participe au gouvernement sans interruption aucune depuis 26 ans. (2) Mais qui
peut garantir qu'une fois éliminé du parlement fédéral ou de son rôle de
constructeur de majorité, le FDP pourra retrouver son rôle habituel ? Les électeurs pourraient alors se rendre compte que l'Allemagne peut très bien se passer
du FDP – surtout si les Verts poursuivent leur recentrage et réussissent à s'établir
comme le gardien le plus crédible de l'État de Droit libéral.
Il ne faut néanmoins pas sous-estimer la capacité de survie du FDP qui a, au
cours de son histoire, souvent semblé être au bord de l'agonie ; ainsi, après
le virement de bord en faveur de la CDU et le lâchage de Helmut Schmidt en
1982, les libéraux furent au plus bas des sondages, crédités d'àpeine 3 % d'intentions de vote. Quelques mois plus tard, lors d'élections anticipées, ils firent
à nouveau leur entrée au Bundestag avec 7 % des voix. Aussi, aux élections
fédérales du 16/10/1994, le flou identitaire du FDP avait beau apparaître d'une
manière évidente – celui-ci recueillit néanmoins 6,9 % des voix, ses électeurs
sachant que sans cette formation, Helmut Kohl n'aurait guère pu avoir de majorité. Des annonces publicitaires appelant au soutien du FDP jouaient d'ailleurs
à fond sur ce réflexe : « Même si le FDP est actuellement tout sauf convaincant, celui qui veut Kohl comme chancelier doit savoir : ce ne sont que les voix
pour le FDP qui apporteront la victoire. » C'est ce qui continue à faire la force
du FDP, même quand il n'a plus grand chose à présenter : en dépit de ce qu'il
fait, on vote pour lui.
« Il était une fois le FDP... » Malgré la crise très profonde et particulièrement
menaçante que connaît actuellement le parti libéral allemand , sa disparition
au niveau fédéral n'est donc pas chose acquise. « Totgesagte leben länger »
dit un dicton allemand : « Ceux dont on prédit la mort, vivent plus longtemps. »
Un jour, le Spiegel publiait à la une le titre suivant : « Le FDP est-il superflu ? »
C'était le 9 mars 1955.
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(2) Rappelons que le FDP est même le parti qui a été le plus longtemps au pouvoir en RFA : 39 ans contre 36
pour la CDU et 13 pour les sociaux-démocrates.
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L'ALLEMAGNE
ET LA DÉFENSE EUROPÉENNE
POLITIQUE
Réticences et disponibilité
ALFRED FRISCH
T
andis que le souhait du chancelier Kohl de faire coïncider la réalisation
de la monnaie unique européenne avec une avancée significative de
l'intégration politique est approuvé par une large majorité d'Allemands,
seulement une minorité est consciente du fait qu'une politique étrangère commune n'est guère concevable sans une politique de sécurité et de défense
également communes. Par ailleurs, la nécessité d'une défense valable n'est
point contestée outre-Rhin, où les incertitudes de la situation internationale et
surtout l'inconnue russe suscitent de sérieuses craintes, non seulement dans
le monde politique, mais aussi dans de larges couches de la population. Assez
curieusement cette perception du danger, facilement dramatisé, ne suscite
pourtant aucune véritable volonté de défense. Dans ce cas, la peur n'est ni
bonne, ni mauvaise conseillère. A cet égard, la statistique des objecteurs de
conscience est un indicateur plutôt alarmant. Le nombre des jeunes qui veulent remplacer le service militaire par un service civil – non pas pour des raisons de conscience mais surtout par simple refus du service militaire – s'accroît d'année en année. Il dépasse désormais la moitié du contingent annuel
des appelés. Le nombre de ceux qui resteront disponibles pour le service militaire ne suffira bientôt plus pour fournir le contingent indispensable d'appelés,
même pour une armée à effectif fortement réduit.
La principale motivation de ce comportement n'est pas le pacifisme, mais plutôt le non-engagement. Certes, par moments, des vagues pacifistes déferlent
en Allemagne, principalement animées par des jeunes, mais il s'agit, en général, de réactions épidermiques sans profondeur. La grande masse des Allemands, aussi des jeunes, reste soucieuse de sa sécurité. On veut être protégé,
mais on ne se sent pas personnellement ou nationalement responsable des
problèmes de sécurité. Sans le dire, on pense que c'est l'affaire des autres,
des Américains et à la rigueur aussi des voisins européens occidentaux. La
solution idéale et la plus rassurante est le parapluie américain. L'atlantisme
presque sentimental professé pendant quelques dizaines d'années par le
monde politique et une bonne partie de la population appartient cependant au
passé. Ses deux sources avaient été la peur de l'Union soviétique et la reconnaissance pour une Amérique qui avait largement contribué à la reconstruction
d'une Allemagne presque anéantie par la guerre. Cet atlantisme sentimental
a pratiquement disparu avec la Guerre froide. On a vu en revanche s'amplifier
un anti-américanisme opportuniste, voire primitif, surtout sensible dans la
gauche politique.
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Un atlantisme sécuritaire
L'attachement au Pacte Atlantique et surtout à l'OTAN, son organisation militaire,
toujours sensible aussi bien d'un côté socialiste que dans les partis conservateurs, s'explique principalement – en dehors des cercles dirigeants – par un
besoin élémentaire de sécurité. Un peu ironiquement, on peut comparer l'OTAN
à une compagnie d'assurances contre tous risques extérieurs. Cette approche
rend la réforme de l'Alliance secondaire. Contrairement aux Français, qui se laissent guider par des considérations logiques et insistent sur la nécessité d'une
adptation de l'OTAN à la situation nouvelle ainsi que des relations entre l'Europe
et l'Amérique aux données internationales nouvelles, les Allemands se satisfont
parfaitement des structures existantes, soucieux de ne pas faire quoi que ce soit
qui puisse remettre en cause ou diminuer la garantie de sécurité américaine. Il
importe donc de ne rien faire et de ne rien proposer qui puisse décourager les
Américains ou les inciter à se replier sur eux-mêmes. Le néo-isolationnisme qui
se manifeste actuellement au Congrès américain doit donc inciter les Européens
à une grande prudence. Certains – pas tous – préfèrent se plier à une volonté
américaine de puissance, parfois trop arrogante plutôt que de prendre le risque
de perdre la garantie de sécurité américaine. Ce clivage de certains milieux
influents à Bonn – pas de tous – est plus proche de l'attitude britannique que
des aspirations françaises pour l'Europe et pour l'Alliance atlantique.
Dans ce contexte, la tranformation de l'Union de l'Europe occidentale (UEO)
dans un pilier européen de l'Alliance atlantique sur un pied d'égalité avec les
Américains apparaît aux néo-atlantistes de Bonn comme un vœu pieux dont
on ne souhaite même point la réalisation. Certes, le gouvernement allemand
s'est nettement et à maintes reprises prononcé au cours des dernières années
pour un renforcement de l'UEO, et on ne saurait douter de sa sincérité, mais
certains éléments assez influents ont aussi régulièrement activé en continu les
freins, très soucieux de la primauté, sinon de l'exclusivité, de l'OTAN. La distance maintenue par la France envers l'OTAN servait d'alibi aux sceptiques
qui ne voulaient pas lâcher la colombe atlantique pour un hypothétique moineau européen. Comment construire un pilier européen dans l'Alliance avec
une France qui voulait bien être intégrée dans l'UEO, mais pas dans le système atlantique ? Une stricte concordance stratégique entre les deux organisations apparaissait donc à beaucoup d'Allemands comme un minimum indispensable d'une conception européenne de la défense.
L'OTAN et la France
La distinction faite en France entre l'Alliance, basée sur une étroite et sincère
coopération avec les États-Unis, et l'intégration militaire dans le système de commandement de l'OTAN, n'a jamais été bien comprise en Allemagne. L'Alliance
devait former un tout et être acceptée dans son intégralité pour rester crédible.
La décision de non-intégration de l'Espagne et de la Grèce fut plus facilement
acceptée à Bonn que celle de la France, considérée comme une pièce maîtresse
de la défense de l'Europe. Par ailleurs peu de responsables d'outre-Rhin
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tenaient compte des liens militaires établis par De Gaulle avec l'OTAN immédiatement après le retrait de la France du système intégré. Efficaces et satisfaisants du point de vue américain, ils furent par la suite régulièrement renforcés.
Les Américains avaient donc assez vite estimé que la situation particulière de
la France ne posait en pratique aucun problème majeur à l'Alliance. La GrandeBretagne en revanche insistait toujours à nouveau sur une réintégration, suivie
en cela par les Pays-Bas, le Danemark et plus discrètement par le Portugal. Elle
admit mal l'indépendance de la stratégie nucléaire de la France étant donné que
son propre potentiel atomique était étroitement lié aux Américains et à l'OTAN.
L'alibi de l'OTAN invoqué contre le pilier européen perdit sa justification le 5 décembre 1995, lorsque la France annonça officiellement qu'elle reprenait sa place
dans le Conseil des ministres de la Défense et dans le Comité Militaire de l'Alliance, tout en intensifiant sensiblement ses relations de travail avec les différents
commandements de l'OTAN. Quelques explications données par le ministre français de la Défense, Charles Millon, devant l'Institut des Hautes Études de la défense Nationale le 19 décembre 1995 méritent d'être citées textuellement : « Plus
que jamais, la clarté de notre politique atlantique est la condition de la crédibilité
de notre politique européenne… Il m'a toujours paru évident que notre démarche
en faveur d'une politique de sécurité et de défense dans le cadre de la construction européenne devait s'accompagner d'une attitude claire vis-à-vis de l'Alliance
atlantique… J'ajoute que la décision que nous venons d'annoncer est un point
de départ. Il ne s'agit pas de repousser la limite autrefois fixée à notre participation… Notre objectif, c'est de participer sans a priori au mouvement de rénovation
de l'Alliance à laquelle nous demeurons attachés parce qu'elle reste un lien
essentiel de sécurité entre des pays historiquement proches… L'identité européenne de défense n'est en rien antinomique avec l'Alliance atlantique : elle établit
un lien de sécurité supplémentaire entre les Européens et les Américains… Comment parvenir, d'autre part, à une meilleure harmonie entre la démarche européenne dans le cadre de l'UEO et de l'Union Européenne, et une Alliance atlantique dont tous les membres s'accordent à souhaiter la préservation ? »
La pierre d'achoppement nucléaire
L'hypothèque de l'OTAN étant levée du côté français, la profonde aversion allemande envers le nucléaire semble actuellement bloquer la route vers une
défense européenne commune, inconcevable sans une solide base francoallemande. L'offre d'une inclusion du potentiel nucléaire français – et éventuellement aussi britannique – dans un système européen de sécurité et de défense dans des conditions encore à définir a profondément troublé l'opinion
publique et politique allemande, toutes tendances réunies. On y voyait d'abord
une manœuvre de diversion pour mieux faire accepter par le partenaire les
tests nucléaires dans le Pacifique, doutant ainsi de la sincérité de l'intention
des responsables français de partager à long terme avec les Allemands et les
autres Européens leur symbole de l'indépendance nationale. Peu à peu on
comprenait, cependant, qu'il fallait prendre l'offre au sérieux bien que ses implications pratiques fussent encore imprévisibles.
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La peur est l'élément déterminant de toute réaction allemande envers le nucléaire, qu'il soit civil ou militaire. La décision de la France de maintenir la part du
nucléaire dans la production d'électricité au niveau très élevé atteint, et d'effectuer des recherches coûteuses pour le développement des réacteurs futurs, se
heurte en Allemagne à une incompréhension totale. La pression en faveur de
la sortie du nucléaire civil y est extrêmement forte, malgré les investissements
répétés des producteurs d'électricité, qui ne voient pas comment on pourrait remplacer le nucléaire par les énergies renouvelables et par le charbon, tout en
réduisant l'effet de serre. Que la France maintienne ses recherches dans le
domaine des neutrons rapides et fasse redémarrer le surrégénérateur de CreyMalville au moment où l'Allemagne décide de remplacer son réacteur de
recherche de Kalkar par un parc de loisirs, dépasse l'entendement allemand. On
ne tient nullement compte de l'intérêt fort vif du Japon pour la technique des surrégénérateurs avec des investissements non négligeables, ni des travaux américains dans le même domaine. Pour calmer les appréhensions provoquées
dans la population par le nucléaire civil, les Allemands rêvent de son abandon
dans toute l'Europe. Les importations d'énergie nucléaire de France, notamment
pour l'approvisionnement de la Sarre par la centrale de Cattenom, proche de la
frontière, crée un certain malaise, mais on essaie de cacher ce faux-pas technico-idéologique sous le voile de la discrétion et aussi par l'abandon de la critique
de l'installation de Cattenom, après l'avoir pendant longtemps diabolisée.
Le rejet de l'atome civil, dont les dangers sont considérés comme incomparablement plus grands que l'utilité, ne facilite évidemment pas un mariage francoallemand – même platonique – pour le nucléaire militaire. La série de tests dans
le Pacifique n'a pas arrangé les choses. La gamme des réactions allemandes
s'échelonnait de l'indignation jusqu'à l'incompréhension en passant par la
condamnation morale et l'ironie hautaine. A l'arrière-fond se trouve la conviction
que l'atome militaire est dépassé et que l'objectif de toute politique devrait désormais être un désarmement nucléaire rapide et l'interdiction de toute arme atomique. On se soucie peu du fait que les États-Unis et la Russie ne sont guère
pressés d'avancer sur cette voie, et que d'autres États, peu rassurants, rêvent
de la possession de la bombe. Le raisonnement politique est largement bloqué
dans l'opinion publique par une aversion irrationnelle envers le nucléaire dans
toutes ses variétés. Notons toutefois que les appels au boycottage des produits
français n'ont pratiquement trouvé aucun écho dans l'opinion publique allemande
sans doute parce que l'amitié franco-allemande est entrée dans les consciences.
L'impératif de la coopération
Ce refus du boycottage facilitait au gouvernement de Bonn la navigation délicate entre deux écueils : une opinion politique nettement antinucléaire et la
nécessité d'approfondir les relations franco-allemandes, notamment dans le
domaine militaire. Certains, surtout dans le camp social-démocrate, proposent
la mise à l'écart du nucléaire dans les rapports militaires franco-allemands, en
les limitant au domaine conventionnel. Les premières déclarations des
ministres des Affaires étrangères et de la Défense, Klaus Kinkel et Volker
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Rühe, après l'offre atomique française, allaient, un peu dans le même sens.
D'autres nourrissaient l'espoir que l'idée d'une européisation progressive du
potentiel nucléaire français ne soit pas réellement sérieuse et servît principalement à faire passer la pilule des tests du Pacifique. On se demandait, par
ailleurs, si Paris n'accordait pas la priorité pour la coopération militaire à la
Grande-Bretagne, autre puissance nucléaire européenne. Le président Chirac
n'avait-il pas laissé prévoir une coopération progressivement plus étroite entre
les deux pays ? Il semblait notamment envisager une activation des travaux
d'un groupe de travail pour la coordination atomique, créé il y a quelque temps.
Or, les discussions n'y ont guère fait de progrès. La vieille idée française d'une
répartition des cibles des sous-marins nucléaires pour éviter des doubles
emplois stratégiques et obtenir une plus grande efficacité n'a pas abouti en
raison de l'orientation très pro-américaine des conceptions militaires anglaises.
Le gouvernement britannique a clairement fait comprendre à Paris qu'il ne
voyait pas l'intérêt d'une garantie nucléaire européenne, la garantie américaine
accordée dans le cadre de l'OTAN étant parfaitement suffisante. La France
n'aurait qu'à s'y joindre en intégrant son potentiel nucléaire dans l'OTAN,
comme c'est depuis longtemps le cas pour le potentiel britannique.
On revient donc forcément au couple franco-allemand. Les Allemands antinucléaires ne semblent pas encore avoir saisi qu'on ne saurait concevoir une
politique de sécurité commune dans un esprit de solidarité réciproque, si l'un
des partenaires exclut durablement la dissuasion nucléaire. Assez rapidement,
beaucoup d'Allemands reprochaient même à la France de maintenir une préférence nationale et de ne se prêter qu'à une solidarité limitée. On sous-estime
aussi à Bonn la portée européenne de l'offre nucléaire française. Dans la doctrine de défense française officielle, la dissuasion était pendant longtemps
considérée comme un instrument majeur de l'indépendance et de la souveraineté nationale. Le partage envisagé – dont les conditions et les limites restent à définir – est donc un pas important vers une plus grande supranationalité
européenne. Sans tenir suffisamment compte de cette perspective à moyen
terme et à long terme, le ministre des Affaires étrangères Klaus Kinkel justifia
ses réticences par la renonciation allemande définitive à tout armement atomique. Or, selon toute évidence, la décision ultime d'emploi de l'arme nucléaire
restera encore pendant longtemps au pays qui la possède. La garantie concevable de la France aura à cet égard la même limite que celle des États-Unis.
Elle se basera cependant sur une plus profonde solidarité, résultant aussi bien
des données géographiques que de l'acceptation mutuelle d'une communauté
de destin.
Contrairement à de nombreuses opinions sceptiques, les difficultés d'intégration d'un potentiel atomique dans un système de défense commun ne sont pas
insurmontables. Le premier pas serait la création d'un comité de planification
nucléaire franco-allemand ou européen selon le modèle du comité de planification fonctionnant avec les Américains et les Britanniques dans le cadre de
l'OTAN et avec lequel les rapports devront être intenses. Il devrait et pourrait
peu à peu élaborer une stratégie de dissuasion commune avec des engagements irrévocables, aussi convaincants que possible. Un droit de veto contre
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un emploi de l'arme mettant en danger le propre territoire national n'est point
exclu. La crédibilité finale dépendra de la force de la volonté communautaire
et de l'esprit de solidarité.
Progrès franco-allemands
En attendant, la coopération militaire franco-allemande fait des progrès
notables. Le dernier sommet de Baden-Baden peut être considéré comme un
tournant fort positif. La décision de mettre en commun dans le domaine de l'espace le futur satellite optique Helios II et plus tard le satellite radar Horus a
une portée aussi grande que la constitution du Corps européen sous commandement français et allemand. Grâce à l'attitude ferme et déterminée du chancelier Kohl, les multiples efforts américains de détourner Bonn d'une coopération avec la France sont restés vains. Une firme d'outre-Atlantique avait
pourtant offert à l'Allemagne un satellite à un prix défiant toute concurrence.
Le directeur de la CIA a entrepris quatre voyages à Bonn pour convaincre les
Allemands que leur rattachement au système américain des renseignements
militaires leur procurerait au moins autant d'avantages que la coopération avec
la France. Le contrôle ultime du renseignement assure cependant la supériorité stratégique, aussi à l'intérieur d'une Alliance. Le ministre français de la
Défense pouvait donc affirmer que « la participation de l'Allemagne au programme Helios – à côté de l'Espagne et de l'Italie, – manifeste la volonté et
la possibilité de l'Europe de se doter des moyens indispensables à son autonomie stratégique ». (1)
Une deuxième décision de Baden-Baden fut presque passée sous silence. La
France et l'Allemagne feront désormais des propositions communes pour la
réforme des structures de commandement politique et militaire de l'Alliance
pour que soit pris en compte le changement des conditions stratégiques, l'affirmation d'une identité européenne en matière de sécurité et de défense et
la capacité d'action de l'Union Européenne ainsi que de l'UEO. Les deux pays
ne sont jamais allés aussi loin dans le cadre atlantique et européen. On doit
y ajouter la création immédiate d'une nouvelle structure bilatérale pour la
coopération dans le domaine de l'armement, qui disposera d'un statut juridique
et d'un budget. Elle aura la triple tâche de rationaliser les coopérations en
cours, d'intégrer les futures coopérations bilatérales et d'engager des activités
communes en matière de recherche et de technologie. En face de ces progrès
bien réels, on ne peut que regretter que le ministre allemand de la Défense
n'ait pas consenti à l'engagement d'une partie du Corps européen en Bosnie,
souhaité par la France comme une manifestation européenne plus que symbolique… Probablement, les Américains n'auraient pas aimé un tel geste…
(1) Discours du 19 décembre devant l'Institut des Hautes Études de la Défense Nationale cité précédemment.
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Enfin, on doit se demander si ce mouvement vers une véritable solidarité de
défense européenne est irréversible. L'opposition britannique fondamentale
n'est pas à négliger, ni l'enracinement en Allemagne d'un atlantisme sécuritaire
bien qu'historiquement plutôt dépassé. Dans l'autre plateau de la balance, on
trouve le désir évident des États-Unis de réduire leur engagement militaire en
Europe, ce qui les incitera à favoriser la coopération continentale. On aura, en
outre, à tenir compte de l'impasse financière qui impose à tous les Européens
une division du travail raisonnable et efficace dans le domaine militaire. Par
ailleurs, il se tisse peu à peu un réseau d'unités multinationales, surtout au
Sud, qui prendront progressivement le Corps européen comme exemple et
comme guide. Leur coordination conduira peut-être un jour à un ensemble
européen assez structuré. Du côté allemand, on devrait cependant tenir compte du faible désir de l'opinion publique d'assumer dans le cadre de l'Europe la
responsabilité pour sa propre sécurité au moins en partie à la place des Américains. Cette réaction hésitante, pour ne pas dire négative, exigera un sérieux
travail d'éducation et de pédagogie politiques. Le passage probablement inévitable vers une armée de métier ou de volontaires faciliterait cette tâche. ■
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DOCUMENTS
PARIS, BONN ET L'EX-YOUGOSLAVIE :
HISTOIRE D'UN MALENTENDU ?
POLITIQUE
BERNARD BRIGOULEIX
L
e comportement du tandem franco-allemand devant ce qu'on appellera,
pour simplifier, la « question de l'ex-Yougoslavie », n'est pas déjà devenu, quoi qu'on en dise parfois aujourd'hui, un sujet d'étude pour la seule
délectation (morose ?) des historiens, ou, pour parler plus communément, « de
l'histoire ancienne ». Il semble au contraire qu'il s'agisse là d'un problème qui
conserve toute son actualité, et pour une triple raison.
D'abord parce que la pérennité de lapaix, sur le terrain, n'est pas encore garantie, même si certains signes laissent espérer que le pire soit désormais derrière
nous. Ensuite parce qu'il reste, de toute façon, à construire une paix durable,
fondée notamment sur le développement, et que la France comme l'Allemagne, la France avec l'Allemagne, y auront certainement un rôle-clé. Enfin
– pourquoi le nier ? – parce que le conflit de l'ex-Yougoslavie aura servi de
test, à la fois négatif et positif, pour les Européens en général et pour le tandem
franco-allemand en particulier, quant à la future « PESC » (Politique étrangère
et de sécurité commune), et qu'il y a donc inévitablement quelques leçons à
en tirer.
Certes il faut faire la part du double héritage historique. La tentation est grande,
chez bon nombre d'observateurs, d'y voir l'explication centrale, et peut-être
même unique, des différences d'approche que l'on a pu observer entre Paris et
Bonn dans cette affaire, ou cette succession d'affaires. Analyse trop simplificatrice pour n'être pas abusive ; du moins impose-t-elle, parce qu'elle exprime tout
de même une part de vérité, quelques rappels de base.
Rappelons très schématiquement, donc :
- que la France a traditionnellement eu des liens étroits avec la Serbie, comme
État souverain puis à l'intérieur de la Yougoslavie première et deuxième manière. Elle a, en plus, gardé une vieille sympathie, héritée de la Seconde Guerre
mondiale, pour la Yougoslavie de Tito. Un Tito communiste, certes, mais chef
de guerre, grand résistant, et un peu perçu comme le « De Gaulle des
Balkans », d'autant plus qu'il osait braver, si l'on veut, à la manière du Général
à l'égard des Américains, et toutes proportions gardées bien sûr, le grand
« protecteur » soviétique ;
- que l'Allemagne a eu, au contraire, si l'on peut dire (car la contradiction n'existe
précisément qu'à partir du moment où l'on perçoit ces deux alliances comme
antinomiques), des liens historiques privilégiés et presque millénaires avec les
Croates. Ces liens ont pris durant la Deuxième Guerre mondiale une dimension
politico-militaire dramatique, et à l'occasion abominable, qui a ensuite handi-
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capé, probablement, la République fédérale, même si elle s'était bâtie en réaction contre le nazisme, pour établir avec la Yougoslavie de Tito – et même de
ses successeurs – des rapports normaux. Non pas tant sur le plan économique,
mais dans le champ que l'on pourrait qualifier de « psycho-politique ». Et cela
d'autant plus, paradoxalement, qu'elle hébergeait une très importante immigration yougoslave, fortement croate, certes, mais pas exclusivement.
L'Allemagne moderne s'est donc longtemps trouvée déchirée entre son envie,
bien légitime, de reprendre pied politiquement dans une zone de l'Europe où
les États germaniques précédents avaient exercé une très forte influence, et
la nécessité de tenir compte, sans cesse, même si c'était injuste pour la jeune
République de Bonn, des souvenirs terribles que l'Allemagne hitlérienne y avait
laissés.
Différences d'approche
Mais on peut trouver aussi bien des différences d'approche dans l'actuel
contexte diplomatique et militaire franco-allemand. Des différences qui, elles,
n'ont rien à voir avec les Balkans et leur passé tourmenté. Pourquoi ? Parce
que lorsque le conflit éclate (c'est-à-dire en fait lorsque la fédération yougoslave éclate), la France et l'Allemagne n'ont pas du tout la même tradition d'intervention, politique et surtout militaire, sur des théâtres d'opérations étrangers.
Sans doute l'Allemagne est-elle tenue par l'ambiguïté constitutionnelle qui
sera, plus tard, au moins en partie levée, avec la décision de la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe, le 12 juillet 1994, et pense-t-elle encore, à l'époque,
que des éléments de la Bundeswehr ne sauraient intervenir hors des frontières
de la République fédérale. A plus forte raison sur un terrain politiquement aussi
dangereux (politiquement et humainement aussi, en tout cas) que celui de l'exYougoslavie. La France, elle, et sans même parler des habitudes qu'elle a
prises en Afrique en vertu d'accords bilatéraux, ne cesse de fournir aux
Nations-Unies, ou à des opérations ayant reçu l'aval des Nations Unies, des
contingents qui paient parfois un lourd tribut au rétablissement de la paix. On
l'a vu au Liban, dans la guerre du Golfe, au Cambodge, au Rwanda ou ailleurs.
C'est une tradition française. Tenter d'en mesurer la justification ou l'impact réel
serait un autre débat : le fait est que dans leur masse, les citoyens français
ne paraissent par voir d'inconvénient majeur à ce que leurs troupes interviennent sur des théâtres d'opérations extérieurs, y compris quand les intérêts de
Paris ne semblent pas directement en cause.
Dans ce contexte général différent, mais non pas nécessairement opposé, comment vont se comporter, face au drame yougoslave, et les gouvernements des
deux États, et leurs opinions publiques ? Lorsque plusieurs républiques de la
Fédération de Yougoslavie commencent à proclamer unilatéralement leur indépendance, au printemps 1991, les analyses politiques faites à Paris et à Bonn
sont fort différentes, ce qui ne veut pas nécessairement dire antagonistes.
A Paris, on ne veut pas croire à la viabilité de ces nouvelles Républiques autoproclamées, même lorsqu'il s'agit, comme la Croatie ou la Slovénie, d'an38
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ciennes unités politiques authentiques. Le pouvoir d'alors considère toujours
que la Yougoslavie est – et doit rester – un tout. Son premier ministre, Ante
Pavlovic, est reçu en France avec les honneurs, alors qu'il ne gouverne déjà
plus qu'un pays en état de décomposition avancée. Pourquoi ? Sans doute
pour deux raisons au moins : d'une part, la tradition centraliste française, qui
lui fait percevoir comme un recul historique tout éclatement d'un État, même
fédéral ; d'autre part, le fait que cet éclatement dessert au premier chef la Serbie, incontournable leader de l'ancienne Fédération yougoslave, et se manifeste au contraire, en ses débuts, par la sécession de la Croatie, coupable
d'avoir été « oustachie » durant la Deuxième Guerre mondiale.
Dans cette position, la France sera d'ailleurs plutôt soutenue par les Américains, qui, pourtant, constituent, eux, un État fédéral, et qui aujourd'hui acceptent comme fait accompli la division de l'ex-Yougoslavie, et président même
ostensiblement à cette division.
A Bonn, on est au contraire très favorable à ces proclamations unilatérales
d'indépendance. On peut y trouver deux raisons, l'une de fond, l'autre conjoncturelle. La première est que l'éclatement de l'ex-Yougoslavie redonne à l'Allemagne une chance de jouer un rôle diplomatique majeur auprès des anciens
pays communistes ou assimilés, qui ne font d'ailleurs qu'appliquer, en l'espèce,
le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, valeur fondamentale et proclamée comme telle de la… République française. La seconde est plus subtile.
L'exemple de la RDA est encore tout frais. Certes, on pourrait faire valoir qu'il
s'agissait là, au contraire, d'un processus d'unification. Mais une unification qui
ne fait, a contrario, que conforter le soutien apporté à la « sécession » croate
et slovène, puis à toutes les autres : c'est à la fois le triomphe du principe d'autodétermination, et la preuve que l'union des peuples n'est possible que
lorsque les racines sont communes (« Es wächst zusammen, was zusammen
gehört » (1), comme disait Willy Brandt).
Reconnaissance unilatérale des deux Républiques
Cette différence d'approche, à laquelle on pourrait ajouter une certaine sympathie idéologique de principe, de la part de la CDU, à l'égard des orientations
des nouveaux pouvoirs en Croatie et en Slovénie, contrairement à la France
encore mitterrandienne, va se traduire par un célèbre « clash ». Alors que les
ministres des Affaires étrangères des Douze en sont encore à évoquer la
reconnaissance des deux Républiques « à l'issue d'un processus de négociation entre toutes les parties », Bonn procède unilatéralement, le 23 novembre,
à cette reconnaissance. Au grand dam de la plupart de ses partenaires, et à
coup sûr de la France. Il faudra attendre le 15 janvier 1992 pour que cette posi-
(1) « Se réunit par un processus de croissance ce qui a eu la vocation de faire un tout dans l'ordre naturel ».
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tion devienne celle de l'Union européenne. Entre temps, la divergence francoallemande sur la question est devenue explicite.
Et Paris s'interroge sur les raisons qui ont poussé le vice-chancelier Hans-Dietrich Genscher, encore chef de la diplomatie de Bonn, à ce geste spectaculaire
avec, bien sûr, l'accord du Chancelier, non sans marquer qu'à partir de cette
reconnaissance tout un processus s'enclenche, qui deviendra inévitablement
belliqueux : la reconnaissance de toutes les indépendances (même si la Grèce
bloquera longtemps celle de la Macédoine), donc d'innombrables conflits. A
quoi le gouvernement de la République fédérale répondra, non sans quelque
apparence de bon sens, que ce n'est aucunement cette reconnaissance qui a
fait naître les conflits, mais, au contraire, le maintien tardif et irréaliste de la fiction de l'unité politique, ethnique, religieuse et territoriale de la Yougoslavie. Cela
dit, très vite, le problème va se déplacer de la question croate vers la question
bosno-serbe. Sans doute le problème serbe reste-t-il fortement présent sur le
terrain croate, en raison de la création de la Krajina. Mais c'est, en 1993, en
Bosnie que s'installe pour longtemps l'essentiel du conflit, en raison de l'offensive des Serbes habitant cette République, longtemps totalement appuyés par
Belgrade.
Le changement de majorité gouvernementale, en France, va marquer l'abandon
de ce que beaucoup d'Allemands auront considéré, sans toujours oser le dire,
comme un soutien abusif (en tout cas comme une indulgence, une compréhension excessive) de Paris à l'égard des Serbes. Bonn supporte de moins en moins
bien, en effet, de voir son partenaire mettre un peu tout le monde sur le même
plan, et traiter en « guerre tribale » ce qui est considéré du côté allemand comme
une agression caractérisée des Serbes contre les Bosniaques, notamment avec
la tristement célèbre « épuration ethnique ». Cette attitude française, même s'il
est convenu d'affirmer la continuité de la politique du Quai d'Orsay à travers les
années de cohabitation, reste en réalité très liée au mitterrandisme finissant. Il
faut attendre le lendemain des élections législatives françaises de 1993 pour que
Paris dise clairement que les Serbes sont, en Bosnie, les agresseurs.
Le plan Juppé-Kinkel
A partir de cette déclaration (avril 1993), et sachant que 6.000 casques bleus
français sont déjà déployés en Bosnie, un rapprochement franco-allemand va
pouvoir s'opérer. D'autant plus qu'à Bonn aussi a eu lieu un changement politique : à l'Auswärtige Amt, Klaus Kinkel a remplacé Hans-Dietrich Genscher.
Alain Juppé, son nouveau collègue français, est très convaincu qu'il est urgent
de manifester ce rapprochement franco-allemand avec sujet le drame de l'exYougoslavie : ce sera ce que l'on appellera par la suite le plan Juppé-Kinkel.
De quoi s'agit-il en fait ? Le 8 novembre 1993, les deux ministres des Affaires
étrangères envoient à la présidence de l'UE une lettre dans laquelle ils insistent
sur quatre points :
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- Il faut rechercher une solution globale à l'ensemble des problèmes de l'exYougoslavie (y compris sur le terrain des mini-crises moins spectaculaires :
Voïvodine, Kosovo, Sandjak, etc.) ;
- Il faut assurer l'acheminement de l'aide humanitaire à la Bosnie, au besoin
par la force sous l'égide des Nations-Unies ;
- Il faut que les Serbes fassent des concessions territoriales en Bosnie, en
dépit de leurs conquêtes militaires, moyennant quoi les sanctions de l'ONU
contre la Serbie et son allié monténégrin pourraient être allégées, voire, à
terme, levées ;
- Il faut que la Russie et les États-Unis participent à l'effort de paix des Étatsmembres de l'Union européenne.
France, Allemagne, Grande-Bretagne (très proche de la France politiquement
et sur le terrain, durant toute cette crise, ce qui n'est pas si fréquent), ÉtatsUnis et Russie : c'est ce qu'on appellera le « Groupe de contact », créé le
25 avril 1994, et qui prend peu à peu la relève du tandem Owen-Vance, puis
Owen-Stoltenberg. Au sommet semestriel franco-allemand de Mulhouse, le
31 mai 1994, Helmut Kohl et François Mitterrand peuvent enfin s'affirmer « très
exactement sur la même ligne en ce qui concerne la Bosnie ». Il était temps !
Très vite, la décision de la Cour de Karlsruhe autorisant sans conditions l'emploi des troupes allemandes hors du territoire couvert par l'OTAN achèvera
d'associer l'Allemagne et la France en Bosnie, avec la participation des Tornado de la République fédérale et l'implication de Bonn dans le processus de
surveillance du blocus dans l'Adriatique, sur le Danube, etc.
Aujourd'hui, les États-Unis ont très largement repris les propositions françaises
sur le partage de la Bosnie et les autres projets de règlements en ex-Yougoslavie. Ce qui aura sans doute épargné aux Allemands d'avoir à choisir entre
une fidélité européenne d'autant plus demandée que la France avait, au précédent semestre, la présidence du Conseil européen, et une fidélité au leadership américain sur l'Alliance atlantique.
Il n'empêche que, d'une certaine façon, c'est plus le « réalisme » germanoaméricain, consentant à un partage qui avantage plutôt les Serbes (même s'ils
doivent renoncer à une partie de leurs conquêtes militaires), que la défense
des « grands principes » chers au tandem franco-anglais, qui semble avoir prévalu. Paradoxe formel – doublement même – : c'est aujourd'hui la France qui
pourrait trouver que l'on fait la part un peu trop belle à ces fameux Serbes que,
naguère encore, elle était accusée (et qui pourrait jurer que c'était sans raison ?) de protéger abusivement…
Rôle différent des opinions publiques
Enfin il faut bien mesurer que les opinions publiques des deux pays auront
joué, tout au long de cette crise, un rôle politique fort différent de part et d'autre
du Rhin. D'abord, tout simplement, parce qu'elles ont traditionnellement un
poids spécifique distinct, voire opposé, en matière de politique étrangère. Les
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Allemands sont traditionnellement tournés vers l'international (il suffit, pour s'en
convaincre, de jeter un coup d'œil même superficiel sur leur presse quotidienne ou hebdomadaire de qualité…) et en particulier vers l'Europe, de l'Est et
de l'Ouest. Les Français sont plus « hexagonaux », et, curieusement, sont souvent plus motivés, en matière diplomatique, par le sort de pays relativement
lointains – l'Afrique, le Liban, les Malouines, le Pacifique… – que par ce qui
se passe à leurs portes, ou presque.
Il y a eu en outre, très vite, en France, un sentiment d'indifférence, paradoxale
certes, car indignée, mais indifférence quand même, à l'égard des événements
de l'ex-Yougoslavie. De ce point de vue, ceux qui présentaient ce conflit
comme une succession de guerres d'un autre âge, auxquelles le monde « civilisé » ne comprenait plus rien, et se devait même de ne plus rien comprendre,
ont trouvé des oreilles complaisantes. Et cela d'autant plus que la bienveillance
officielle longtemps affichée à l'égard des Serbes dans le conflit bosniaque
semblait incompréhensible au plus grand nombre… Non sans quelques raisons malheureusement.
Face à une guerre de cette nature, ceux qui ne s'en désintéressent pas ont,
en France, une interrogation essentielle : que pouvons-nous faire sur le plan
militaire ? Avec des réponses qui vont de « rien du tout » à « notre devoir est
d'y aller ». En Allemagne, la question que se pose l'opinion est plutôt, semblet-il : que devons-nous faire sur le plan humanitaire ? Et corollairement : si nous
sommes engagés militairement, comment le monde nous jugera-t-il ? Tout se
passe comme si l'opinion française redoutait un jugement critique sur sa nonintervention éventuelle, et son homologue allemande, au contraire, sur son
intervention.
Cela a conduit les Allemands à mener, tout au long de ce conflit, une action
humanitaire dont beaucoup de Français ignorent non seulement l'ampleur,
mais l'existence. On ne sait pas, chez nous, qu'il y a en République fédérale
près d'un million de réfugiés et immigrés venus de l'ex-Yougoslavie, dont environ la moitié de Croates, mais aussi presque 400.000 Musulmans de Bosnie.
De ce million d'ex-Yougoslaves, la moitié sont arrivés durant le conflit luimême, et coûtent à l'État fédéral, soins médicaux compris, environ 5.000
francs par mois et par personne.
En France, il y a eu un mouvement fort des intellectuels, conduits par des
hommes comme Bernard-Henry Lévy ou Jacques Julliard, en faveur de la Bosnie. Mais ce mouvement aura été, à la fois, profitable et involontairement nuisible à la cause du président Izetbégovic. Profitable parce qu'il aura permis
que, même sous le règne de François Mitterrand, des voix – socialistes ou
socialisantes notamment, ce qui avait évidemment un sens – s'élèvent pour
défendre les Bosniaques contre l'agression serbe. Nuisible, aussi, bien malgré
eux, parce que cette cause sera souvent apparue comme une « querelle d'intellectuels » de plus, un objet de pétition et de manifestations pour grandes
consciences de gauche, au lieu de devenir une grande affaire populaire.
Les intellectuels allemands auront paru, d'après ce qu'on pouvait en lire dans
la presse, moins mobilisés par ce débat-là que par d'autres, qui leur sont plus
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habituels. Cela dit, on aurait tort de sous-estimer la proportion de l'opinion allemande qui s'est montrée favorable, non pas seulement à des opérations
humanitaires, mais à une véritable implication militaire. Au point que le drame
de l'ex-Yougoslavie a provoqué, en République fédérale, un débat corollaire
sur l'OTAN, sur le Service militaire, sur la fonction des Casques bleus, etc.
Tous sujets qui pourront sembler banals aux Français, mais qui, pour des
consciences allemandes, touchent des points extraordinairement sensibles.
L'occasion manquée
La crise Yougoslave n'aurait-elle donc pas été, en définitive, « la » grande
occasion manquée, pour la France et l'Allemagne, de promouvoir sur le terrain
cette politique étrangère et de sécurité commune que les Européens, depuis
le Traité de Maastricht, appellent de leurs vœux ? Et, pour ces deux pays, de
donner l'exemple ?
C'est possible, si l'on s'en tient aux débuts plus que laborieux de la concertation Paris-Bonn sur le sujet. La suite des événements a tout de même montré
que, partant de prémisses différentes, la France et l'Allemagne pouvaient se
retrouver sur la défense et l'illustration d'une politique en principe commune.
Mais ce qui restera frappant, sans doute, pour les historiens, à propos de cette
crise dramatique, c'est de voir à quel point, en cette fin du XXe siècle, un conflit
européen par excellence, on serait même tenté de dire un conflit typique de
la « vieille Europe », celle du début du siècle, de l'attentat de Sarajevo puis
du Traité de Versailles, aura eu besoin, pour trouver sa solution, de la caution
américaine. Si solution il y a…
Dire cela n'est pas plaider contre l'Europe. C'est au contraire montrer combien,
aujourd'hui encore, nous avons besoin de l'Europe politique et combien cette
Europe politique a, et aura, besoin d'un moteur franco-allemand. En ex-Yougoslavie comme ailleurs, l'entente Paris-Bonn aura été la condition non pas
suffisante, sans doute, mais du moins nécessaire – d'un règlement. Que
Washington s'applique aujourd'hui à tirer les bénéfices politiques du courage
de ce tandem – en pleine année électorale américaine et cela n'est évidemment pas neutre – n'ôte rien à ce constat.
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1995 : UN BILAN
HENRI MÉNUDIER
POLITIQUE
M
ême si elle a peu fait les gros titres de la presse internationale en
1995, l'Allemagne n'est pas restée pour autant immobile sur le plan
politique, social et économique ; elle a essayé d'agir sur son environnement international tout en subissant ses contraintes. Cinquante ans
après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le souvenir de l'effondrement du
IIIe Reich était au rendez-vous – un effort de mémoire nécessaire qui ne doit
pas contrarier la réflexion sur l'autre passé totalitaire, celui de l'ancienne République démocratique allemande. La vie politique connaît quelques remous dus
aux controverses sur l'augmentation des traitements des députés et aux changements à la présidence des libéraux (FDP) et des sociaux-démocrates
(SPD). Quatre élections régionales illustrent une fois encore l'instabilité des
coalitions traditionnelles.
La vie socio-économique est surtout marquée par la persistance du chômage
à un niveau élevé et par le début d'un ralentissement économique, avec en
arrière plan une augmentation du déficit des finances publiques. En politique
étrangère la République fédérale réaffirme la priorité de son ancrage à l'Ouest.
Elle accorde beaucoup d'attention à la guerre en Bosnie-Herzégovine ; très
active dans le processus de paix, elle va y envoyer en fin d'année 4.000 soldats pour faire respecter les accords de Dayton – c'est la première fois qu'elle
participe à une opération de cette ampleur. Le nouveau voyage du chancelier
Helmut Kohl en Asie extrême-orientale rappelle une fois encore l'intérêt politique et économique que les dirigeants allemands portent désormais à cette
partie du monde.
La présence du passé
Cinquante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne se
penche encore sur le terrible héritage légué par le IIIe Reich : libération ou
défaite ? Une cérémonie officielle se tient le 26 janvier 1995 à Cracovie
(Pologne), en présence de délégations juives et de représentants de nombreux pays, pour commémorer la libération, par les soldats soviétiques, du
camp de concentration d'Auschwitz. Le président fédéral Roman Herzog
conduit la délégation allemande. A Bonn, le chancelier Kohl déclare qu'Auschwitz représente le chapitre le plus terrible et le plus sombre de l'histoire allemande. Le 12 février, les habitants de Dresde, eux, se souviennent des bombardements anglo-américains qui détruisirent leur ville cinquante ans plus tôt ;
cette cité de 630.000 habitants (en 1939) accueillait alors quelque 500.000
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réfugiés de Silésie et ne présentait aucun intérêt sur le plan militaire. Pour le
président Herzog, ces horreurs ne doivent cependant pas faire oublier les
crimes de l'Allemagne nazie. Le Conseil central des juifs en Allemagne organise
le 27 avril une grande manifestation dans l'ancien camp de concentration de
Bergen-Belsen (au sud de Hambourg) avec des représentants de l'État fédéral.
D'autres manifestations du souvenir se déroulent au printemps à Neuengamme
(près de Hambourg), à Buchenwald (près de Weimar), à Ravensbrück et à
Sachsenhausen (au nord de Berlin) et à Dachau (près de Munich).
Se souvenir de quoi et comment ? Les millions de personnes assassinées à
Auschwitz ne doivent pas faire oublier les autres camps de concentration dans
la partie de la Pologne alors occupée par l'Allemagne nazie (Generalgouvernement) comme ceux de Belzec, Chelmno, Lublin, Madjanek, Sobibor, pour
ne citer que les plus importants. Le président polonais Lech Walesa se fait critiquer pour avoir considéré Auschwitz surtout comme un symbole des souffrances polonaises, sans se référer aux victimes juives.
Le 28 avril, le Bundestag et le Bundesrat commémorent ensemble à Bonn, la
fin de la Seconde Guerre mondiale ; le nouveau ministre polonais des Affaires
étrangères Vladislav Bartoszewski prononce une allocution remarquée (1).
Une cérémonie officielle au théâtre du Schauspielhaus, à Berlin, réunit le 8 mai
les représentants de l'Allemagne et les plus hauts dignitaires des pays alliés,
victorieux en 1945. François Mitterrand fait à cette occasion un discours personnel très émouvant, le dernier avant de quitter le pouvoir. Le chef du gouvernement russe, Viktor Tchernowyrdine, plaide pour un système de sécurité
paneuropéen et « non aligné ».
Le passé de la RDA
L'autre passé totalitaire, celui de l'Allemagne communiste, tient la justice en
haleine. Le 13 février, la Cour administrative fédérale (Bundesverwaltungsgericht) à Berlin décide que les expropriations de terrains opérées en 1949 à
Berlin-Est ne peuvent être annulées. (2)
Agé de 87 ans et devenu complètement sénile, Erich Mielke, l'ancien chef de
la Stasi (Staatssicherheit : Sécurité d'État, c'est-à-dire la police politique) est
rendu le 1er août à la liberté après cinq ans et demi de détention préventive.
En octobre 1993, il avait été condamné à six ans de prison pour avoir assassiné deux policiers en 1931. La procédure engagée contre Mielke au sujet des
personnes abattues le long du Mur de Berlin est arrêtée depuis novembre
1994 en raison de son état de santé. Plus aucun des grands dirigeants de l'ancienne RDA ne se trouve encore en prison.
(1) Voir Documents N° 2-95, p. 63.
(2) Cette décision correspond à l'engagement pris par la RFA envers l'URSS en 1990. Des spécialistes
affirment que ce texte est devenu caduc du fait de l'implosion de l'URSS. En tout état de cause il ne
s'opposait pas au versement de dédommagements.
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Dans un procès en appel, le Tribunal régional de Dresde durcit cependant le
9 août 1995 après cassation d'un verdict antérieur par la Cour de justice fédérale (Bundesgerichtshof à Karlsruhe) les peines prononcées contre Hans
Modrow, SED puis PDS, responsable du SED du district de Dresde puis chef
du gouvernement de RDA de novembre 1989 à avril 1990 ; accusé d'avoir falsifié les résultats des élections municipales de mai 1989, il est condamné à
neuf mois de prison avec sursis et à 5.000 DM d'amende.
Le premier procès contre Alexandre Schalck-Golodkowski, l'homme chargé de
faire entrer des devises en RDA et de négocier des contrats commerciaux avec
les Occidentaux, débute le 1er septembre à Berlin ; la question est de savoir
s'il n'a pas abusé de ses fonctions pour se livrer, dans un but d'enrichissement
personnel, à des affaires illégales avec la complicité d'hommes d'affaires et
d'hommes politiques. Dans deux affaires délicates, les tribunaux donnent raison
à d'anciens citoyens de la RDA. Le 23 mai, la Cour constitutionnelle fédérale
(Bundesverfassungsgericht) décide que les agents de la RDA, qui ont exercé
des activités d'espionnage au détriment de la RFA en restant sur le territoire
de la RDA, ne peuvent pas être condamnés. Des poursuites ne sont envisageables que s'ils ont agi directement sur le territoire ouest-allemand. Du même
coup, la peine de six ans de prison avec sursis infligée le 6 décembre 1993 à
Markus Wolf, l'ancien chef de l'espionnage de la RDA, est levée. La Cour fédérale de justice décide le 15 septembre, dans un jugement de principe, que les
anciens juges et procureurs de la RDA ne peuvent pas, en règle générale, être
sanctionnés pour avoir poursuivi des personnes qui essayaient de s'enfuir à
l'Ouest (les Republikflüchtlinge selon la terminologie officielle de la RDA) ou des
contestataires du régime, à condition qu'ils s'en soient tenus aux textes en
vigueur dans l'ancien État communiste.
Le parquet de Berlin dépose plainte le 9 janvier 1995 contre les anciens
membres du Bureau politique du SED en raison de leur responsabilité pour les
coups de feu mortels tirés le long du Mur de Berlin et pour les mines posées
le long de la frontière interallemande. Les accusés ne sont cependant pas arrêtés ; il s'agit de Horst Dohlus, Kurt Hager, Günter Kleiber, Egon Krenz, Erich
Mückenberger, Günter Schabowski et Harry Tisch (ce dernier, ancien président
de la Confédération « Libre » des syndicats de RDA, le FDGB, meurt à Berlin
le 18 juin). Il avait déjà été condamné pour s'être emparé pour son usage personnel d'objets acquis à l'étranger ou en RFA avec de l'argent public de la RDA.
LES ÉVÉNEMENTS POLITIQUES
La vie des institutions
La politique gouvernementale en 1995 semble davantage préoccupée par la gestion que par le souci des initiatives spectaculaires. Cependant une affaire embarrassante revient en cours d'année tel un boomerang sur le gouvernement. La police bavaroise avait arrêté le 10 août 1994 à Munich un Colombien et deux
Espagnols en provenance de Moscou, qui transportaient 363 grammes de plu7
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tonium, utilisables dans des usines produisant de l'énergie atomique. Ces trois
hommes sont condamnés le 17 juillet 1995 à des peines de prison de plusieurs
années. Début avril, l'hebdomadaire de Hambourg, Der Spiegel, révèle que le service d'espionnage allemand (le Bundesnachrichtendienst dont le siège se trouve
à Munich-Pullach) aurait mis lui-même en scène cette contrebande pour obliger
la Russie à des mesures de contrôle plus sévères. En mai, une commission d'enquête parlementaire est mise en place au Bundestag. L'affaire rebondit à la midécembre lorsqu'un document du ministère des Affaires étrangères mentionne
l'implication du BND. Coordonnateur des services d'espionnage et de contreespionnage à la chancellerie, le ministre d'État Bernd Schmidbauer, CDU, se trouve de ce fait dans une situation délicate. L'affaire se poursuivra en 1996.
La querelle sur l'augmentation du traitement des députés du Bundestag
occupe une bonne partie de l'année. Le Bundesrat, dominé par le SPD, refuse
le 13 octobre la solution proposée par le Bundestag d'aligner automatiquement
les indemnités parlementaires sur le traitement des juges fédéraux les plus élevés (3). Le Bundestag décide finalement le 8 décembre, par 463 voix contre
146 et 19 abstentions de faire passer progressivement le traitement de base
imposable de 10.336 DM à 12.875 DM en 1998. A ce traitement s'ajoutent une
somme forfaitaire pour les frais liés aux activités du député (5.978 DM), des
subventions pour le paiement des assistants et des avantages en nature (gratuité des voyages sur les lignes de la Bundesbahn, les chemins de fer allemands, par exemple).
Après des années de démarches administratives, malgré l'opposition du
chancelier Kohl, mais grâce au soutien de la présidente du Bundestag, Rita
Süssmuth, le couple d'artistes, Christo et sa femme Jeanne-Claude, obtient
l'autorisation d'envelopper, fin juin, début juillet, l'énorme bâtiment du Reichstag à Berlin dans une toile de couleur argentée sans demander de subvention
publique pour une opération qui coûtera quelque 15 millions de DM. Le résultat est si fascinant que des centaines de milliers de visiteurs viennent admirer
ce chef-d'œuvre insolite dont les images font le tour du monde. Dépouillé de
cette parure extraordinaire mais provisoire, le Reichstag est ensuite confié
aux entreprises chargées de le rénover totalement pour accueillir le Bundestag vers 1998. Les travaux sont dirigés par un architecte britannique, Sir Norman Foster.
Les partis
Des résultats défavorables aux élections régionales de Brême et de Rhénanie
Nord-Westphalie, le 14 mai, eux-mêmes révélateurs de difficultés internes aux
partis, précipitent des changements à la tête du FDP et du SPD. Klaus Kinkel, ministre des Affaires étrangères, annonce dès le 18 mai sa démission de
la présidence fédérale du FDP ; au congrès de Mayence, le 10 juin, il est rem-
(3) C'est à peu de choses près la réglementation qui s'applique en France. Elle évite aux députés d'avoir à
voter périodiquement une augmentation de leur propre indemnité.
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placé par Wolfgang Gerhardt, président du FDP de Hesse depuis 1982 et viceprésident du parti depuis 1985. Aucun autre groupe politique n'a changé aussi
souvent de président.
L'autorité et les orientations politiques de Klaus Scharping, président fédéral du
SPD depuis juin 1993, sont elles aussi fortement contestées par Gerhard Schröder, ministre-président de Basse-Saxe, et Oskar Lafontaine, ministre-président
de Sarre. Selon les sondages, les intentions de vote en faveur du SPD passent
en dessous de la barre des 30 % sur le plan fédéral (le SPD a eu 36,4 % aux
élections fédérales de 1994). Le 31 août, Rudolf Scharping démet Gerhard
Schröder de ses fonctions de porte-parole économique du parti. A la fin de septembre, le directeur fédéral administratif du SPD, Günter Verheugen, considéré
comme co-responsable de l'affaiblissement du SPD, présente sa
démission ; il sera remplacé par le ministre du Travail de Rhénanie du Nord-West
phalie, Franz Müntefering, SPD. Le 24 octobre, Rudolf Scharping est renouvelé
dans ses fonctions de président du groupe parlementaire SPD au Bundestag.
Cependant quelques semaines plus tard au congrès fédéral du SPD à Mannheim, il fait un discours peu applaudi. Oskar Lafontaine soulève au contraire
l'enthousiasme des délégués. Il se présente à la présidence du parti et l'emporte facilement le 16 novembre par 321 voix contre 190 à Rudolf Scharping
qui rétrograde au poste de vice-président fédéral du SPD et conserve la présidence du groupe parlementaire au Bundestag. L'élection surprise d'Oskar Lafontaine est interprétée comme un virage à gauche du parti qui sera sans doute plus
ouvert aux coalitions avec les Verts et peut-être même avec le PDS dans les
nouveaux Länder.
La petite histoire retiendra aussi que la dernière épouse de Willy Brandt, Brigitte Seebacher-Brandt, a démissionné du SPD en janvier 1995. Outre les
désaccords idéologiques, les divergences portaient sur l'autonomie par rapport
au parti de la Fondation Willy Brandt, chargée de gérer l'héritage intellectuel
et politique de l'ancien chancelier. Brigitte Seebacher-Brandt avait auparavant
provoqué une vive polémique en affirmant que des dirigeants du SPD auraient
fait disparaître des documents prouvant que Karl Wienand, ancien député
fédéral SPD et directeur administratif du groupe parlementaire, aurait eu des
activités d'espionnage au profit de la RDA. Wienand est l'accusé unique d'un
procès portant sur des faits ou reproches, qui dure depuis des mois et se poursuivra encore en 1996.
Le PDS, successeur de l'ancien parti communiste SED, confirme le 29 janvier Lothar Bisky à la présidence du parti, poste qu'il occupe depuis janvier
1993. Sahra Wagenknecht, l'animatrice de la plate-forme communiste (Kommunistische Plattform, KPF) – extrême gauche néo-stalinienne – n'est pas
réélue au comité directeur où sa présence entretenait des doutes sur la sincérité de l'engagement démocratique du PDS.
Le 21 avril, le Tribunal régional de Karlsruhe (Landgericht) condamne à deux
ans de prison ferme le président du parti d'extrême-droite NPD (Nationaldemokratische Partei Deutschlands - Parti national-démocratique d'Allemagne), Günter Deckert, qui s'est rendu coupable d'incitation à la haine et au
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racisme. La Cour de Justice fédérale avait cassé un jugement précédent, trop
clément, fort critiqué à l'époque en Allemagne et à l'étranger.
Le FDP attire de nouveau l'attention en fin d'année par son hostilité au projet
du gouvernement fédéral, soutenu par le SPD, qui autoriserait l'installation
clandestine de matériel d'écoute électronique dans les appartements privés
de personnes soupçonnées d'activités criminelles. Lors d'un référendum interne organisé à la mi-décembre et auquel participent 42 % des adhérents du
FDP, la majorité des votants (63,6 %) se prononcent en faveur de ce texte,
35,7 % sont contre et 0,7 s'abstiennent. Pour le faire aboutir il sera nécessaire
de modifier l'article 13 de la Loi fondamentale qui garantit l'inviolabilité du domicile des personnes privées. Cependant Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, FDP, ministre fédéral de la Justice depuis 1992, hostile à ce projet,
donne sa démission le 4 décembre. Elle est remplacée par Edgar
Schmidt-Jorzig, FDP, professeur de droit constitutionnel à l'Université de Kiel,
député fédéral depuis 1994 seulement ; Burkhard Hirsch, figure ancienne et
respectée du libéralisme allemand de gauche depuis des décennies au Bundestag, porte-parole du groupe parlementaire FDP pour la politique intérieure,
démissionne également de cette fonction. Après ces deux départs, l'aile
gauche du FDP est affaiblie. Les rumeurs de décembre concernant une éventuelle démission de Günter Rexrodt, FDP, ministre fédéral de l'Économie, peu
heureux dans la gestion de sa charge, ne se confirment pas.
Élections régionales
Les élections régionales sont une fois encore le révélateur de l'évolution des
rapports de force entre les partis et contribuent pour une bonne part aux changements dans la direction du FDP et du SPD.
Les élections régionales en 1995 (%)
Länder
Particip.
CDU
FDP
SPD
Verts
Rep.
Autres
Hesse
66,3
39,2
7,4
38,0
11,2
2,0
2,3
68,6
32,6
3,4
33,4
13,1
0,3
64,0
37,7
4,0
46,0
10,0
0,8
68,6
37,4
2,5
23,6
13,2
2,7
19.02
Brême
17,3 (1)
14.05
R. N-W.
1,5
14.05
Berlin
20,5 (2)
22.10
(1) Dont 10,7 % pour la liste Arbeit für Bremen und Bremerhaven (Travail pour Brême et Bremerhaven).
(2) Dont 14,6 % pour le PDS. (2,1 % à l'Ouest et 36,3 % à l'Est).
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Des tendances assez convergentes se dégagent de ces élections. La participation baisse dans les quatre cas. La CDU progresse dans trois Länder, sauf en
Hesse. Le FDP maintient son groupe parlementaire en Hesse mais il disparaît
dans les trois autres Länder ; il n'est plus représenté que dans quatre Länder sur
seize – ce qui crée une nouvelle situation politique. Le SPD recule dans les quatre
Länder. Les Verts, au contraire, progressent partout, le PDS conforte son avance
à Berlin-Est avec 36,3 %, contre 23,6 % à la CDU et 20,2 % au SPD. Deux coalitions sortantes sont reconduites, celle du SPD et des Verts en Hesse, sous la
direction de Hans Eichel (SPD), et, seulement fin janvier 1996, celle de la CDU
et du SPD à Berlin, dirigée par Eberhard Diepgen (CDU) ; en Hesse, un Vert
(Rupert von Plottnitz) devient, pour la première fois en Allemagne, ministre de la
Justice. A Brême, la coalition sortante SPD-Verts, formée en 1991, s'était rompue
avant l'élection, le ministre régional de l'Environnement, Ralf Fücks (Verts) voulant, sans autorisation préalable du gouvernement, transformer une partie du territoire en espace naturel protégé. Aux élections anticipées du 14 mai, SPD et CDU
obtiennent presque le même résultat et forment pour la première fois une grande
coalition, dirigée par un nouveau chef du gouvernement, appelé Präsident des
Senats, Henning Scherf, SPD ; Klaus Wedemeier, le chef du gouvernement sortant avait démissionné après la défaite du SPD. Le partenaire CDU d'Henning
Scherf est Ulrich Nölle, un banquier ; le SPD gouverne Brême, seul ou avec une
coalition, depuis 1945. En Rhénanie du Nord-Westphalie, Johannes Rau, SPD,
perd la confortable majorité absolue qu'il détenait depuis plusieurs législatures
et doit former, pour la première fois, une coalition avec les Verts.
Maire CDU à Francfort-sur-le-Main
En Hesse, l'élection d'un maire CDU à Francfort-sur-le-Main a provoqué une petite sensation. Après la rupture de la coalition SPD-Verts, à la mi-mars, et la démission d'Andreas von Schoeller, maire SPD depuis 1991, la candidate de la CDU,
Petra Roth, a gagné avec 51,9 % la première élection directe du maire de
Francfort, contre le maire sortant (45,9 %), le 25 juin. Cinquième ville d'Allemagne après Berlin, Hambourg, Munich et Cologne, Francfort-sur-le-Main comptait 660.000 habitants en 1994. A l'exception de Berlin (dirigée par Eberhard Diepgen, CDU), de Francfort et de Stuttgart (dirigée par Manfred Rommel, CDU), neuf
des douze villes de plus de 500.000 habitants sont dirigées par le SPD. De façon
générale le SPD domine les villes de plus de 100.000 habitants ; comme il dirige
dix gouvernements régionaux sur seize et qu'il participe à quatre gouvernements
de grande coalition dirigés par la CDU (il n'est absent qu'en Bavière et en Saxe).
Toutefois la CDU a récemment conquis plusieurs villes moyennes de Hesse,
naguère solidement tenues par le SPD.
La vie des Länder
D'autres évolutions significatives se produisent dans les Länder. Au SchleswigHolstein, l'affaire Uwe Barschel rebondit en éclaboussant le SPD. Craignant
de perdre les élections régionales du 13 septembre 1987, le ministre-président
sortant, Uwe Barschel, CDU, avait essayé de discréditer son rival SPD Björn
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Engholm, par des moyens peu honnêtes. Contraint à la démission après l'élection, il avait été retrouvé mort dans la baignoire d'une chambre d'hôtel à Genève, les conditions du décès n'ayant jamais été clairement élucidées. La commission d'enquête parlementaire réunie à Kiel a révélé que les dirigeants
régionaux du SPD avaient été informés beaucoup plus tôt qu'ils ne l'avaient
dit au début sur cette opération de déstabilisation et que certains d'entre eux
avaient même contribué à manipuler un des hommes de paille. Il semblerait
aussi que la Stasi aurait pu jouer un certain rôle dans cette affaire qui comporterait des ventes d'armes. Björn Engholm avait dû démissionner de la présidence fédérale du SPD, en 1993, lorsque ces ambiguïtés commencèrent à
se manifester.
Les gouvernements de Berlin et de Brandebourg ont signé le 27 avril un
Traité d'État qui prévoit leur fusion pour former le Land de Berlin-Brandebourg
Ein Land im Sicht (1)
A propos de la fusion entre le Land de Brandebourg et Berlin
Le 5 mai 1996, les habitants de Berlin et du Brandebourg vont être appelés à se prononcer sur l'opportunité et sur la date d'une fusion entre leurs deux Länder. Ce vote
est l'aboutissement d'un long processus de négociations politiques au niveau local
et fédéral en vue de concrétiser une décision préconisée par le traité d'unification du
31 août 1990. Après avoir reçu le soutien en octobre 1992 de la conférence des
ministres-présidents et en août 1994 du Bundestag et du Bundesrat, la Chambre des
Députés de Berlin et le Landtag de Brandebourg ont entériné le 22 juin 1995 le « Traité de reconfiguration » entre les deux régions (Neugliederungs-Vertrag). Ce traité qui
aménage une période de transition entre le référendum et les premières élections au
Parlement commun ne pourra être appliqué qu'après avoir reçu l'aval d'au moins un
quart des personnes habilitées à voter dans chacun des Länder (selon le quorum défini). En cas de vote positif, il n'existera plus, à partir de 1999 ou de 2002 – selon la
décision des électeurs – qu'un seul Land, le Land de Berlin-Brandebourg avec Potsdam pour siège du gouvernement et du Parlement.
Vox Populi, vox dei ? A bien des égards, le débat qui s'est engagé, dans un contexte
malheureusement troublé du côté berlinois par trois mois laborieux pour constituer
le Sénat (gouvernement) à l'issue de l'élection du 22 octobre 1995 rappelle au spectateur français, au-delà des différences évidentes, l'époque du référendum de Maastricht. L'élite politique se voit en effet confrontée au défi de faire accepter un instrument
juridique et administratif par le biais d'arguments principalement rationnels à une
population encore secouée dans ses repères identitaires par la réunifcation allemande
et qui réagit souvent de façon fort émotionnelle, voire passionnelle.
Le résultat du référendum permettra d'apprécier si un projet politique porté par une
vision d'avenir aura permis de surmonter le passé de quarante ans de guerre froide
et de cinq ans d'unification. A cette occasion, nous présenterons l'histoire de ce traité
et de la campagne du référendum et commenterons les implications de la solution
choisie par les électeurs.
Sophie Lorrain
(1) Terre en vue.
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dont Potsdam serait la capitale. Les parlements régionaux des deux Länder
ont accepté le principe de la fusion à la majorité des deux tiers. Les habitants
des deux Länder décideront de l'avenir de ce projet par un référendum prévu
le 5 mai 1996. Ils décideront également de la date de la fusion (1998 ou 2002).
Le 9 juin, Heinz Eggert, CDU, ministre régional de l'Intérieur en Saxe, présente
sa démission car il est accusé de harassement sexuel par d'anciens collaborateurs masculins. Agé de 49 ans, père de quatre enfants, cet ancien pasteur
avait été persécuté par la Stasi. Militant de Neues Forum, il avait adhéré à la
CDU en octobre 1990 ; il fut élu vice-président fédéral de la CDU deux ans
plus tard. Eggert, n'a cessé de protester contre ses accusateurs qui n'ont fait
l'objet d'aucune suite judiciaire.
Le 8 novembre, la Basse-Saxe, gouvernée par une coalition SPD-Verts, est
le premier Land à introduire pour les élections communales le droit de vote
pour les jeunes à partir de 16 ans.
La Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe a provoqué une mini-révolution en Bavière en décidant, le 10 août, que la croix ou le crucifix dans les
écoles publiques, prévus par le paragraphe 13 du règlement scolaire bavarois, contrevenaient à la liberté de croyance et de conscience ainsi qu'au droit
des parents en matière d'éducation. Les dirigeants de l'Église catholique et de
la CSU et quelque 30.000 personnes manifestent le 23 septembre à Munich
contre ce jugement
Après une interruption de plus de onze cents ans, Hambourg redevient début
janvier le siège d'un archevêché. Le premier évêque de Hambourg (à l'époque
Hammaburg), chassé par les Vikings en 845, n'avait jamais été remplacé. Ludwig Averkamp, précédemment évêque d'Osnabrück, s'installe maintenant
dans l'Église Notre-Dame (Marienkirche) dans le quartier Saint-Georges, élevée au rang de cathédrale. Ce nouveau diocèse (l'Allemagne en compte à présent 27) ne regroupe que 410.000 catholiques bien qu'il comprenne le Land
de Hambourg, celui du Schleswig-Holstein et le Mecklembourg (sans la Poméranie antérieure).
SOCIÉTÉ ET CULTURE
Syndicats et grèves
Quelques changements se produisent dans la direction des fédérations industrielles qui forment la Confédération allemande des syndicats (DGB). Le 13
février, Herbert Mai est élu avec 74,7 % des voix à la présidence du Syndicat
des Services publics et des Transports (Öffentliche Dienste und Transport,
ÖTV) ; il succède à Monika Wulf-Mathies qui a pris ses fonctions de commissaire européenne à Bruxelles, dans la nouvelle équipe dirigée par Jacques Santer, après le départ de Jacques Delors ; Herbert Mai était jusqu'alors à la tête
de la fédération régionale de l'ÖTV en Hesse. En septembre, Hermann Rappe,
l'un des responsables les plus en vue du syndicalisme allemand, renonce, pour
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DOCUMENTS
des raisons d'âge et de santé, à la présidence de la Fédération de la Chimie,
du Papier et de la Céramique ; il est remplacé par Hubertus Schmoldt.
L'Allemagne, le pays du consensus social, n'est pas pour autant épargnée par
les conflits sur les salaires, mais ceux-ci se dérouleront bien autrement qu'en
France. En mars la fédération de la métallurgie (IG Metall) et le patronat
conviennent, après des grèves d'avertissement en Bavière, d'augmenter de
4 % les salaires des 3,5 millions de salariés de cette branche en Allemagne
de l'Ouest. Un autre conflit de six semaines dans le commerce de détail aboutit
à une augmentation d'environ 3,4 % pour les 2,3 millions de salariés de cette
branche.
Télévision publique
Fin février, les chefs des gouvernements de Bavière (Edmund Stoiber, CSU)
et de Saxe (Kurt Biedenkopf, CDU) proposent une refonte des structures et
missions de la société de radio-télévision qui forme la première chaîne
(l'ARD) en regroupant les établissements publics régionaux. Ils proposent de
réduire de onze à six le nombre des offices régionaux et de ne diffuser que
des programmes régionaux, seule la Deuxième chaîne de télévision allemande (ZDF) diffuserait un programme national. Cette opération, destinée à réduire le rôle dominant de l'Office de radio-télévision de Cologne (WDR), a fait long
feu. Après de vives controverses entre la CDU-CSU et les partis d'opposition,
les chefs des gouvernements régionaux ont finalement donné une garantie
pour le maintien, l'existence et le développement de l'ARD et de la ZDF
(deuxième chaîne publique) jusqu'à la fin de l'année 2000. Il n'en demeure pas
moins que les chaînes privées continuent à grignoter régulièrement les parts
de marché de la radio-télévision publique.
L'Église d'en Bas
L'Église catholique n'échappe pas à la contestation ; lors du premier référendum en Allemagne, organisé le 19 novembre par des catholiques critiques
regroupés dans l'initiative « Nous sommes l'Église » (Wir sind Kirche) près de
1,5 million de catholiques sur les 28 millions que compte le pays se prononcent pour des réformes. Les principales exigences portent sur l'abolition
du célibat des prêtres et sur l'accès des femmes aux fonctions de prêtre. De
façon générale, la morale sexuelle de l'Église, définie par le Vatican, ne correspond plus à la réalité vécue par les chrétiens. Les contestataires demandent aussi que les évêques soient élus sur un mode plus démocratique. L'Église institutionnelle commence par rejeter cette initiative qualifiée d'« inutile »
par Rita Waschbüsch, présidente du Comité Central des catholiques, la principale organisation laïque en Allemagne, mais le Comité central des catholiques accepte ensuite de discuter avec les responsables de l'initiative devant
le succès de celle-ci. Il en va de même des évêques dont le porte-parole,
l'évêque de Mayence Mgr Lehmann, reçoit les initiatives et transmet leurs voix
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au Vatican. Une initiative semblable s'est développée en Autriche, sans toutefois y devenir majoritaire. (4)
La nouvelle législation
La nouvelle législation en matière d'interruption volontaire de grossesse
est entrée en vigueur le 1er octobre 1995. Après de longues controverses,
le Bundestag avait adopté cette réglementation le 28 juin, par 486 voix contre
145 et 21 abstentions. Une harmonisation des textes était rendue nécessaire
par la réunification car les dispositions spécifiques de la RDA étaient beaucoup
moins restrictives que celles de la République fédérale. Les députés ont dû
respecter les recommandations de la Cour constitutionnelle fédérale. L'IVG est
toujours considérée comme un délit, sauf en cas de viol, de maladie grave de
la mère ou en cas d'autorisation donnée au cours des douze premières
semaines de la grossesse. Dans ce dernier cas, la femme doit se faire
conseiller par un médecin au moins trois jours avant l'intervention. Ce texte
met fin à un va-et-vient législatif et judiciaire qui se poursuivait depuis de
longues années.
De nombreuses femmes en Allemagne se sentent lésées par la décision de
la Cour de justice européenne qui, le 17 octobre, condamne les quotas pour
les femmes sur le plan professionnel (nécessité de réserver un certain pourcentage de postes pour ces dernières). Le lendemain, le congrès fédéral de
la CDU rejette aussi, à quelques voix près, l'introduction de quotas en faveur
des femmes dans ce parti ; les quotas devaient leur assurer, comme cela se
pratique déjà au SPD, un certain pourcentage de sièges dans les assemblées
élues et dans les instances dirigeantes du parti.
Lutte contre l'extrémisme
L'extrémisme de droite et de gauche est un phénomène marginal en Allemagne
mais qui mérite vigilance en raison des excès du passé et des débordements
auxquels il peut conduire. La lutte contre l'extrémisme se manifeste de différentes façons en 1995. Fin février, le ministre fédéral de l'Intérieur, Manfred Kanther, CDU, interdit l'organisation révisionniste d'extrême-droite, Freiheitliche
Arbeiterpartei (FAP, parti libertaire des travailleurs), qui comptait 430 membres.
Une organisation néo-nazie, la Nationale Liste (NL, liste nationale) est interdite
le même jour par les autorités de Hambourg – les gouvernements à Bonn ou
dans les Länder peuvent prendre de telles décisions quand il ne s'agit pas de
partis politiques. De nouvelles organisations d'extrême-gauche se sont également manifestées au cours des derniers mois de l'année.
En mars 1994, un incendie criminel avait visé la synagogue de Lubeck ; le 13
avril 1995, quatre des auteurs présumés – des jeunes de 20 à 25 ans – sont
condamnés à des peines de prison comprises entre deux ans et demi et quatre
(4) Cf. la page 74 de la rubrique Brèves de ce numéro.
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ans et demi. Le 7 mai, la même synagogue est une nouvelle fois la cible d'une
tentative d'incendie criminel. Au même moment est inaugurée à Berlin la nouvelle synagogue qui a fait l'objet de travaux de restauration importants ; elle
est le centre spirituel de la plus grande communauté juive d'Allemagne qui
compte quelque 10.000 personnes.
L'incendie criminel d'une maison habitée par des Turcs à Solingen, en juin
1993, avait provoqué la mort de quatre femmes et d'une enfant – toutes de
nationalité turque, suscitant une grande émotion en Allemagne et à l'étranger.
Un des incendiaires a été condamné à quinze ans de prison, ses trois complices à dix ans chacun.
Le néo-nazi américain Gary Lauck, extradé du Danemark vers l'Allemagne le
5 septembre, est détenu à la prison de Hambourg dans l'attente de son procès.
Chef du NSDAP/AO (Aufbau Organisation) aux États-Unis, il inonde l'Allemagne de matériel de propagande révisionniste, pro-nazi et antijuif, imprimé
dans son pays.
Au chapitre de la lutte contre l'extrémisme de gauche figure la condamnation
par le Tribunal régional supérieur (Cour d'appel - Oberlandgericht) du BadeWurtemberg, de la terroriste de la Fraction Armée Rouge Sieglinde Hofman
à la détention à vie ; elle avait participé à l'enlèvement et à l'assassinat du président du patronat allemand, Hanns Martin Schleyer (en 1977) et à l'attentat
contre le général Haig qui était à l'époque commandant en chef de l'OTAN. Il
s'agit là cependant de l'héritage d'un extrémisme ancien qui n'a guère de lien
avec les groupuscules actifs d'aujourd'hui.
L'Allemagne est confrontée à des séries d'attentats perpétrés sur son territoire par des Kurdes en lutte contre le gouvernement turc. Le ministre fédéral de l'Intérieur dissout le 2 mars après des incendies criminels visant des
agences de voyages turques, le « Bureau d'information du Kurdistan », installé
à Cologne ; de leur côté, les autorités bavaroises mettent fin aux activités de
plusieurs associations kurdes qui soutenaient le Parti kurde des travailleurs
(PKK), lui-même interdit. Quelques jours plus tard, le ministre fédéral de l'Intérieur ordonne l'expulsion, momentanément bloquée pour des raisons juridiques, de plusieurs Kurdes en direction de la Turquie ; des Länder SPD s'opposaient à cette mesure. Une nouvelle vague d'attentats contre des intérêts
turcs en Allemagne (agences de voyage, restaurants et centres culturels)
reprend en juillet et en août ; elle est attribuée aux militants du PKK.
Faits de société
En janvier, le Tribunal administratif supérieur (Cour d'Appel administrative Oberverwaltungsgericht) de Lüneburg autorise le transport de déchets radioactifs de la centrale de Philippsburg en Bade à l'entrepôt provisoire de Gorleben (Basse-Saxe) ; ces transferts, entourés par une protection policière
impressionnante, provoquent fin avril les protestations de milliers de personnes
hostiles à l'énergie nucléaire.
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DOCUMENTS
La Cour de Justice fédérale (Cour de Cassation) interdit en juillet une publicité
du fabricant italien de vêtements Benetton qui, sur une affiche, utilisait le tampon
« HIV positif » appliqué sur le postérieur dénudé d'une personne.
Début août, les « journées du chaos » (Chaostage) à Hanovre dégénèrent en
batailles de rue avec de nombreux blessés du côté des policiers et des punks.
ÉVÉNEMENTS CULTURELS
Fin mars, le président de la République fédérale Roman Herzog et le chancelier
Kohl se rendent à Saulgau, en Haute Souabe, pour fêter le centième anniversaire d'Ernst Jünger (né le 23 mars 1895 à Heidelberg) ; l'auteur d'Orages
d'acier (1920), de Sur les falaises de marbre (1939) et de bien d'autres livres a
également reçu les visites d'Helmut Kohl avec François Mitterrand. Le dernier
livre de Günter Grass, Ein weites Feld (Un vaste champ), publié fin août par le
Steidl Verlag traite notamment, et sur un ton très critique, de l'Allemagne réunifiée ; il est très mal accueilli par la critique qui lui reproche ses faiblesses littéraires et par des lecteurs de droite. Le pape de la critique littéraire allemande,
Marcel Reich-Ranicki, lui consacre un article incendiaire dans Der Spiegel. En
fin d'année, les ventes du livre dépassent déjà les 250.000 exemplaires. (5)
Le Prix de la Paix des Libraires allemands, remis le 15 octobre à Francfortsur-le-Main lors de la 47e Foire du Livre à Annemarie Schimmel, 73 ans, provoque de vives controverses car cette orientaliste n'aurait pas condamné avec
assez de vigueur aux yeux de certains la fatwa (la peine de mort) prononcée
en Iran contre l'écrivain Salman Rushdie, ni les violations des droits de l'Homme ou la répression de la femme dans le régime islamiste. Elle a été vigoureusement défendue par le président Roman Herzog lors de la remise du prix.
Le 24 mars, l'UNESCO inscrit Quedlinburg sur la liste du patrimoine culturel
mondial. Cette petite ville millénaire, d'environ 30.000 habitants, près de Halle
(Saxe-Anhalt), compte des Églises moyenâgeuses importantes et un couvent
célèbre. Elle a joué un rôle important dans la culture allemande du temps des
Ottoniens (Xe siècle).
Début décembre, les ministres de l'instruction publique et des cultes (Kultusminister) des Länder décident que la réforme de l'orthographe allemande, discutée depuis une dizaine d'années, entrera en vigueur le 1er août 1998, mais elle
sera finalement de portée limitée. La dernière grande réforme remonte à 1901.
ASPECTS ÉCONOMIQUES
L'année économique 1995 avait commencé dans la morosité avec l'entrée en
vigueur de nouveaux impôts et taxes pour financer la réunification ; elle semblait
(5) Lire à ce sujet l'article de Hansgerd Schulte en p. 111 de ce numéro.
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DOCUMENTS
se développer de façon plutôt favorable, mais elle s'est terminée avec des résultats décevants concernant la croissance, l'endettement public et le chômage.
Croissance ralentie
Selon les indications publiées le 11 janvier 1996 par l'Office fédéral des statistiques à Wiesbaden, le produit intérieur brut (PIB) allemand n'augmente en 1995 que de 1,9 % (par rapport à l'année précédente) contre 3 %
attendus par le gouvernement fédéral. Cette augmentation est moins forte
que celle de 1994 (+ 2,9 %). Après avoir connu une relative euphorie à cause
de la réunification, le PIB, qui affichait des taux de croissance de + 5,7 %
en 1990, de + 5 % en 1991 et de + 2,2 % en 1992, tombait à - 1,2 % en 1993
pour remonter à + 2,4 % en 1994. L'augmentation de + 1,9 % du PIB en 1995
se répartit entre + 1,5 % à l'Ouest (contre + 2,4 % en 1994) et + 6,3 % à l'Est
(contre + 8,5 % en 1994). La croissance est plus forte à l'Est qu'à l'Ouest
mais cette situation ne doit pas faire perdre de vue le fait que l'écart économique entre les deux Allemagnes reste considérable. Le PIB par habitant
des Länder de l'Ouest est encore deux fois supérieur à celui de l'Est, bien
que les salaires dans les nouveaux Länder atteignent déjà 70 % de ceux qui
sont versés à l'Ouest. Contrairement au Gouvernement fédéral qui annonçait
un taux de croissance du PIB de + 2 % en 1996 (déjà corrigé à + 1,5 % à la
fin du mois de janvier 1996), l'Institut de Conjoncture de Berlin DIW retient
l'hypothèse de 1 % seulement.
Conséquences de l'unité allemande
L'unification a fait passer, selon les dernières statistiques de la Bundesbank,
la part de l'Allemagne dans le produit intérieur brut des sept principaux pays
industrialisés du monde de 11 % à presque 12 %. Toutefois, lorsqu'on compare le produit intérieur brut par habitant, on constate que l'Allemagne a glissé dans l'Union européenne à la suite de l'unification du deuxième rang
après le Luxembourg à la sixième place. Quant aux nouveaux Länder, leur
production globale par habitant a à peine dépassé en 1994 celle de la Grèce
et du Portugal. Notons, cependant, que le retard à l'Est du revenu par habitant par rapport aux habitants de l'Ouest de l'Allemagne a diminué des deux
tiers à 43 % entre 1990 et 1994. Grâce à la forte réduction du nombre des
salariés en Allemagne de l'Est, la productivité par personne employée a progressé en Allemagne entre 1990 et 1994 de 3,5 % par an. Le nombre des
personnes actives s'est parallèlement réduit entre 1950 et le premier
semestre de 1995 de 5,5 % dans l'Allemagne unifiée. Durant la même période, le revenu brut des salariés a progressé de 7 % par an, soit deux fois
plus que la productivité. Depuis l'unification, les salaires sont passés à l'Est
des deux cinquièmes de la moyenne allemande globale aux trois quarts,
mais la productivité seulement des deux tiers à environ la moitié.
Alfred Frisch
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Le ralentissement de la croissance freine les rentrées fiscales. En 1995, le
déficit public atteint 3,6 % du PIB (contre 2,7 % en 1994) ; la faute en incomberait aux collectivités locales et aux Länder qui se seraient plus endettés que
prévu. L'Allemagne ne rejoint donc pas le critère de 3 % fixé par le traité de
Maastricht pour le passage à l'union monétaire.
Les chiffres de l'emploi se dégradent également avec 3.791.000 chômeurs
en décembre 1995 (contre 3.560.000 en décembre 1994). Le chômage augmente tant à l'Ouest (8,7 % en décembre contre 8,2 % en novembre) qu'à l'Est
(14,9 % en décembre contre 14 % en novembre). La barre des quatre millions
de chômeurs devrait être dépassée en janvier 1996. Selon les experts, si l'on
tient compte du chômage caché et des programmes de traitement social pour
les sans-emploi, le chômage touche en réalité d'ores et déjà quelque 5,5 millions de personnes.
Un pacte pour l'emploi
Pause provisoire de la croissance ou mini-récession ? Les conjoncturistes
pensent que la situation allemande devrait s'améliorer à partir du printemps
1996 à condition que les exportations se maintiennent à l'actuel niveau
élevé. En attendant, le débat sur la lutte contre le chômage et pour la création d'emplois gagne en intensité. Le 1er novembre, Klaus Zwickel, président
de la puissante fédération du Syndicat de la Métallurgie (IG Metall) propose
une Alliance pour l'Emploi (Bündnis für Arbeit) pour laquelle il s'engage
de son côté à modérer les revendications salariales. Les rémunérations
n'augmenteraient pas plus que l'inflation, à condition que le patronat promette de créer 300.000 emplois dans le secteur industriel au cours des trois prochaines années. Il faudrait aussi augmenter de 5 % par an le nombre des
places d'apprentis et embaucher 30.000 chômeurs de longue durée. Klaus
Zwickel demande en plus que les entreprises ne procèdent pas à des licenciements économiques et que le gouvernement ne diminue pas les aides
pour les chômeurs. Les femmes dans l'ancienne RDA et les personnes de
plus de 55 ans sont particulièrement touchées. Pour les chefs d'entreprise,
c'est le coût élevé du travail qui explique le chômage et le manque de compétitivité allemande ; aussi demandent-ils une réforme du système social car
les charges sociales pèsent trop fortement sur les coûts salariaux et faussent
le jeu de la concurrence. Face à l'offensive des syndicats et à la dégradation
de la situation socio-économique, le chancelier Kohl promet à la fin de l'année 1995 d'ouvrir un nouveau dialogue avec les partenaires sociaux et de
présenter à la fin du mois de janvier 1996, un « programme d'action pour la
croissance et l'emploi ».
L'augmentation du nombre de demandeurs d'emplois, l'essoufflement de la
conjoncture et l'aggravation des déficits poussent le SPD à critiquer davantage
le Gouvernement fédéral accusé de favoriser l'offre au détriment de la demande et de trop privilégier la stabilité monétaire. Pour le chef du gouvernement
de Basse-Saxe, Gerhard Schröder, redevenu en décembre porte-parole économique du SPD (après avoir été évincé par Rudolf Scharping), l'État devrait
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aller jusqu'aux limites de ses capacités d'endettement ; il recommande de
mettre en œuvre un programme de grands travaux tout en allégeant les
charges qui pèsent sur les entreprises. Schröder a toujours manifesté un certain scepticisme à l'égard de la monnaie commune.
Le recul de la croissance en 1995 est dû aussi pour une bonne part à la
forte appréciation du Deutsche Mark par rapport aux monnaies des
principaux partenaires commerciaux de l'Allemagne (+ 6 % selon les
experts) ; devenus plus chers, les produits allemands trouvent moins d'acheteurs sur les marchés étrangers. Les hausses de salaire, supérieures à l'augmentation de la productivité en 1995, et l'influence des taux élevés en 1994
ont contribué à ralentir la croissance, fortement dépendante de la conjoncture
internationale.
La volonté de dialogue des syndicats allemands peut s'expliquer aussi
par le recul considérable du nombre de leurs adhérents. De 1991 à 1995,
IG Metall, la plus importante des composantes de la Confédération allemande
des syndicats (DGB), a perdu un cinquième de ses adhérents (elle en a encore
2,8 millions et reste le premier syndicat du monde). Les pertes totales du DGB,
qui regroupe encore 9,8 millions d'adhérents, sont du même ordre (- 20,5 %).
Ce recul se traduit par une baisse des rentrées financières du DGB (322 millions de DM en 1992 et 300 millions en 1995, selon les estimations) qui reçoit
12 % des cotisations recueillies par les syndicats de base.
POLITIQUE ÉTRANGÈRE DE DÉFENSE
L'Allemagne unie essaie de s'habituer à son nouveau rôle sur le plan international. Lors du 125e anniversaire de la fondation du ministère des Affaires étrangères, le 15 janvier 1995, le ministre Klaus Kinkel a rendu hommage à la « performance historique » de la politique extérieure allemande depuis 1945. Après
la période national-socialiste, l'Allemagne a su regagner la confiance du monde ;
l'aide qu'elle a reçue de l'extérieur pendant ces années difficiles lui créée aujourd'hui de nouvelles responsabilités. L'Allemagne se doit par exemple de contribuer à aplanir la voie des pays d'Europe centrale et orientale vers l'Union européenne ; elle doit être prête également à faire participer ses soldats à des
opérations de paix sous l'égide de l'ONU. En mars, dans un discours pour le quarantième anniversaire de la fondation de la Société allemande de Politique étrangère, le président de la République, Roman Herzog, annonce la « fin du voyage
sur le marchepied » ; l'Allemagne appartient désormais « au concert des
grandes démocraties » et doit assumer un rôle plus actif en politique extérieure.
Le 1er juin, l'ambassadeur, Detlev zu Rantzau assume, pour la première fois
depuis l'entrée de l'Allemagne à l'ONU, la présidence du conseil de sécurité de l'ONU, comme membre non permanent (6).
(6) Les historiens se rappelleront le comte Ulrich de Brockdorff Rantzau qui fut le premier ministre des Affaires
étrangères de la République de Weimar et plus tard artisan d'un rapprochement avec la Russie soviétique. Et
aussi le comte Josias de Rantzau maréchal de France et adversaire de Mazarin (N.d.l.R.).
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Paris-Bonn et l'Europe
La fin du mandat présidentiel de François Mitterrand en mai 1995 et l'entrée
en fonction du nouveau président de la République Jacques Chirac amorcent
une nouvelle étape dans les relations franco-allemandes. Est-ce que le
« couple » Chirac/Kohl fonctionnera aussi bien que le couple Mitterrand/Kohl ?
François Mitterrand a pris congé de ses amis allemands de façon très émouvante lors des manifestations du cinquantième anniversaire de la Seconde
Guerre mondiale, au Schauspielhaus à Berlin, le 8 mai. Par le contenu et le
ton de son discours, il a montré à quel point la relation franco-allemande était
devenue essentielle pour lui. La volonté d'aller de l'avant est certes assez évidente pour Jacques Chirac, même le démarrage s'avère parfois laborieux. La
reprise des essais nucléaires français dans l'atoll de Mururoa a jeté un coup
de froid dans les relations entre les deux pays, même si le chancelier Kohl est
resté modéré dans ses réactions. Le 65e sommet franco-allemand, tenu à
Baden-Baden le 7 décembre, fut un peu éclipsé par l'ampleur et la durée des
grèves qui paralysaient au même moment Paris et une partie de la France. Il
a cependant abouti à un accord d'importance majeure pour la construction du
satellite d'observation franco-allemand Helios.
L'Union européenne poursuit en 1995 une route quelque peu chaotique.
L'Autriche, la Finlande et la Suède sont devenues le 1er janvier membres de
l'Union qui passe ainsi de 12 à 15 membres, en attendant de recevoir éventuellement au tournant du siècle les uns après les autres les pays de l'Europe centrale et orientale. A partir de la fin du mois de mars, sept pays de l'Union, dont
l'Allemagne, appliquent l'Accord Intergouvernemental de Schengen qui supprime
les contrôles frontaliers systématiques – la France, elle, a renforcé les siens
(temporairement ?) en raison des attentats terroristes dont elle a été victime au
second semestre 1995. L'argumentation française pour ralentir l'application de
Schengen a paru quelque peu spécieuse aux autres signataires. Dans les aéroports les contrôles sur les arrivées d'Allemagne et les départs vers ce pays ont
été successivement abolis, rétablis et à nouveau supprimés.
C'est sur la pression allemande que la future monnaie unique européenne
sera appelée Euro et non pas Ecu comme l'avaient souhaité Valéry Giscard
d'Estaing et Helmut Schmidt ; ainsi en décide le Conseil européen de Barcelone, le 15 décembre. L'engagement très fort d'Helmut Kohl en faveur de la
monnaie unique a d'autant plus de poids qu'une bonne partie des faiseurs
d'opinion et de l'opinion en Allemagne se montrent hostiles à la monnaie
unique, ou ne cessent pour le moment de demander de nouvelles garanties
ou le report à plus tard des échéances.
Russie et Asie
Après des mois d'hésitation la Russie accepte, à la fin du mois de mai, l'initiative de l'OTAN « Partenariat pour la paix » qui veut ouvrir une nouvelle
ère dans les rapports entre l'Alliance atlantique et Moscou. En Allemagne on
regrette cependant généralement que l'URSS continue à s'opposer à l'entrée
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des pays d'Europe centrale et orientale dans l'Alliance Atlantique ; le « partenariat pour la paix » avait été lancé le 10 janvier 1994 dans le but de développer la coopération militaire Est/Ouest dans le cadre de la politique de sécurité
européenne.
Dans les rapports avec l'Asie, on relève surtout en 1995 l'audience accordée
pour la première fois par Klaus Kinkel, ministre des Affaires étrangères, au Dalaï
Lama, le chef spirituel des Tibétains. A la mi-novembre, le chancelier Kohl entreprend un voyage de dix jours en Asie (Chine, Vietnam et Singapour) pour y affermir la présence allemande sur des marchés considérés comme essentiels pour
l'avenir ; sa visite d'une unité militaire chinoise provoque de vives critiques. L'Allemagne et le Vietnam se mettent d'accord sur les conditions du retour dans leur
pays d'origine de 40.000 Vietnamiens qui vivent en République fédérale – un
grand nombre d'entre eux travaillaient naguère en RDA en compensation de l'aide fournie au Vietnam lors de la guerre contre les États-Unis.
Le 10 novembre, le Bundestag émet un vote hostile à l'invitation faite au
ministre iranien des Affaires étrangères de venir à Bonn pour participer à
une conférence sur l'Islam organisée par Klaus Kinkel ; le président iranien
Rafsandchani avait quelques jours auparavant présenté l'assassinat du chef du
gouvernement israélien, Yitzhak Rabin, comme une « vengeance de Dieu ». Du
même coup, le ministre allemand des Affaires étrangères a préféré repousser
à plus tard la conférence. Un certain nombre de députés CDU avaient voté à
cette occasion avec les oppositions de gauche contre le ministre libéral.
Conférences internationales
L'Allemagne est présente aux grandes conférences internationales de l'année
1995. Elle participe le 11 mars à Copenhague au Sommet social mondial
qui réunit 118 chefs d'État et de gouvernement ; mais les déclarations d'intention de lutte contre la pauvreté faites à cette occasion ne sont pas très
convaincantes. Une Conférence mondiale sur le Climat est organisée par
l'ONU, fin mars/début avril, à Berlin. Elle adopte des mesures pour la protection du climat qui sont considérées par les défenseurs de l'environnement
comme décevantes. Madame Claudia Nolte, la jeune ministre de la Famille,
des Personnes âgées, des Femmes et de la Jeunesse représente le gouvernement fédéral à la Conférence mondiale des femmes, organisée par
l'ONU à Pékin, du 4 au 15 septembre ; le programme d'action adopté, jugé
fort insuffisant par les organisations féministes, demande la protection des
droits de la femme au même titre que les droits de l'Homme et une véritable
égalité entre les deux sexes.
Les cérémonies pour le 50e anniversaire de la fondation de l'ONU s'achèvent le 25 octobre à New York avec les représentants de 185 États. Le chancelier n'a pas voulu se déplacer pour une simple photo de famille et un discours de quelques minutes ; l'opposition au Bundestag lui reproche à cette
occasion « son arrogance, sa maladresse et son désintérêt », alors que les
autres responsables des grands pays étaient tous venus à New York.
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La paix en Bosnie-Herzégovine
La République fédérale s'est engagée en 1995 dans les interventions militaires
en Bosnie-Herzégovine. De passage à Bonn, à la mi-janvier, le secrétaire
général de l'ONU, Butros Butros Ghali, l'invite à participer davantage aux missions de paix de l'ONU. Fin juillet, l'armée de l'air allemande (Bundesluftwaffe)
envoie à Piacenza, au nord de l'Italie, quatorze avions Tornado pour renforcer
la force d'intervention rapide de l'ONU ; pour la première fois dans l'histoire
de la Bundeswehr des soldats allemands sont envoyés dans une région
en guerre, hors du territoire de l'OTAN. Ces avions interviennent à partir du
30 août pour des opérations d'observation mais sans procéder à des tirs.
L'Allemagne participe aux négociations sur la paix en Bosnie qui se déroulent
à Dayton (États-Unis) en octobre et novembre. Elle accepte d'envoyer un
contingent de 4.000 « soldats de la paix » sur les 60.000 prévus au total, placés sous le commandement de l'OTAN pour faire respecter le cessez-le-feu
et assurer la reconstruction du pays. L'accord de paix définitif est signé à Paris
le 14 décembre. Au congrès des Verts, à Brême, début décembre, une forte
minorité autour de Joschka Fischer, président du groupe parlementaire au
Bundestag, se prononce pour l'envoi de la Bundeswehr en Bosnie. Le
6 décembre, le Bundestag donne son accord par 543 voix contre 107 et 6 abstentions. Les 107 voix contraires se répartissent ainsi : 1 CDU, 55 SPD, 29
PDS (tous les députés présents) et 22 Verts (mais 22 ont voté « pour » malgré
les recommandations du congrès de Brême).
Problèmes de la Bundeswehr
Le débat sur l'état et le rôle de la Bundeswehr tient une place importante en
1995. La réforme de la Bundeswehr, rendue nécessaire par la réunification et
la mutation des rapports Est-Ouest, prévoit une réduction du nombre des
« sites militaires » qui s'élèvent actuellement à 734 (19 seront dissouts et 28
réduits à une taille plus modeste). La réorganisation distinguera entre les
forces de réaction pour les périodes de crise (environ 50.000 hommes) et les
forces principales de défense. A partir de 1996, la Bundeswehr sera réduite
de 31.600 hommes et ne comptera plus que 340.000 soldats, dont 234.000
pour l'armée de terre (qui va perdre 23.400 hommes).
Depuis le mois de mai, une femme, Claire Marienfeld (député CDU, élue sur la
liste de Rhénanie du Nord-Westphalie) assure pour la première fois la fonction
de commissaire parlementaire auprès des armées (Wehrbeauftragte) ; elle
remplace Alfred Biehle (CSU) qui assumait cette responsabilité depuis avril 1990.
Le commissaire remplit les fonctions de « médiateur » auprès des militaires.
La Bundeswehr fête le 40e anniversaire de sa fondation le 27 octobre à
Bonn, par une retraite aux flambeaux, sur les pelouses du Hofgarten, en face
de l'université, accompagnée par des manifestations d'hostilité de quelque
2.000 jeunes contestataires. Ce même Hofgarten avait été au début des
années 1980 le théâtre des grandes manifestations pacifistes. Le président
de la République et quelque 1.800 invités participaient à cette cérémonie.
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Comme la retraite aux flambeaux (Zapfenstreich) remonte à 1813, les contestataires reprochent à la Bundeswehr de renouer avec les traditions du militarisme prussien. (7) Dans son allocution, le chancelier Kohl se prononce pour
le maintien du service militaire obligatoire ; le lendemain, le Bundestag décide
de le réduire de douze à dix mois, à partir du 1er juin 1996.
A la surprise générale, la Cour constitutionnelle fédérale décide le 15 mars que
les sit in pacifiques devant des installations militaires ne constituent pas
des actes de violence et ne peuvent pas être poursuivis au titre de contrainte
illégitime. Le 7 novembre, la même Cour confirme son jugement très controversé sur la citation de Tucholsky : « Les soldats sont des assassins » (Soldaten sind Mörder). Cette affirmation ne doit pas donner lieu à des poursuites
judiciaires quand elle est utilisée comme une critique générale contre le système militaire et l'appareil de guerre ; elle n'est passible d'une sanction pénale
que si elle vise des soldats pris individuellement.
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Ils sont morts en 1995
09/02 : Eugen Loderer, ancien président de la Fédération syndicale de
la Métallurgie (74 ans)
15/03 : Wolfgang Harich, philosophe et publiciste contestataire estallemand (71 ans)
26/03 : Hans Joachim Friedrichs, journaliste à la télévision (68 ans)
10/04 : Günter Guillaume, ancien espion de RDA (68 ans)
26/04 : Egon Franke, ancien député et ancien ministre SPD (82 ans)
18/05 : Sabine Sinjen, actrice (52 ans)
18/05 : Gustav Lübbe, éditeur (77 ans)
18/06 : Harry Tisch, ancien président des « syndicats » de la RDA, FDGB
(68 ans)
29/09 : Gerd Bucerius, co-fondateur et éditeur de la Zeit,
ancien député CDU (89 ans)
18/12 : Konrad Zuse, le « père » de l'ordinateur (85 ans).
(7) L'année 1813 a vu la levée en masse de volontaires pour la libération du territoire allemand du joug napoléonien, on peut difficilement en faire le symbole du « militarisme prussien » . (N.d.l.R.)
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