Symposium - Espace Numérique de Travail de l`ESPE de Bretagne

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Symposium - Espace Numérique de Travail de l`ESPE de Bretagne
Symposium : « Viabilité et efficacité du travail
enseignant dans la classe »
Inscription dans l’axe n°3 : « Sur le terrain »
Coordonnateurs :
Philippe Veyrunes (CREFI-T, Université de Toulouse 2 le Mirail)
Nathalie Gal-Petitfaux (PAEDI, Université de Clermont-Ferrand)
Discutant :
Frédéric Saujat (UMR ADEF, Université de Provence, IUFM d’Aix-Marseille,
INRP)
Communications :
Nathalie Gal-Petitfaux (PAEDI, Université de Clermont-Ferrand)
Benoît Huet et Jacques Saury (MIP, Université de Nantes)
Philippe Veyrunes (CREFI-T, Université de Toulouse 2 le Mirail)
Olivier Vors (PAEDI, Université de Clermont-Ferrand)
Viabilité des situations de classe et configuration de
l’activité collective
Mots-clefs : Viabilité, configuration, activité individuelle, activité collective, efficacité
expériencée
Ce symposium est fondé sur la convergence de travaux engagés par des chercheurs de
plusieurs équipes (CREFI-T, Toulouse ; PAEDI, Clermont-Ferrand ; MIP, Nantes ; UMRADEF, Marseille), s’intéressant aux situations d’enseignement/apprentissage, et plus
particulièrement à l’activité des enseignants et/ou élèves au cours de leurs interactions en
classe. Il proposera, sur la base de recherches empiriques, des éléments de réflexion
concernant l’efficacité des pratiques enseignantes en s’attachant à comprendre par quelles
formes d’articulation entre l’activité des élèves et celle de l’enseignant se construit in situ
cette efficacité.
Traditionnellement, l’efficacité scolaire est envisagée à l’aune des résultats scolaires
des élèves, considérés comme résultant de variables institutionnelles, curriculaires,
didactiques, pédagogiques, etc. Selon cette conception, un système scolaire efficace est celui
qui permet aux élèves de développer leurs performances scolaires, tenues pour des indices
fiables de leurs apprentissages, c’est à dire de modifications durables de leurs ressources et
compétences. C’est selon cette conception que la demande sociale et politique porte sur une
amélioration de l’efficacité de l’école ou que sont conduites et analysées les évaluations
internationales des systèmes éducatifs (PISA, PIRLS…). Cette conception de l’efficacité est a
priori peu contestable : l’une des missions de l’école est bien de transmettre des savoirs, et le
travail des enseignants vise à produire des effets sur les apprentissages des élèves. Elle a
également été féconde d’un point de vue scientifique, en proposant des analyses de l’efficacité
scolaire en termes de « processus-produit », d’« effet maître » ou d’ « effet établissement ».
De ce fait, elle est porteuse de connaissances indispensables à la compréhension du métier
d’enseignant.
Cependant une telle conception présente également des limites selon différents points
de vue. D’un point de vue épistémologique, elle renvoie à une « naturalisation » des
phénomènes humains et sociaux, considérés comme réductibles à des relations de causalité
linéaire entre variables isolables et contrôlables expérimentalement. Or la complexité de ces
phénomènes incite nombre de chercheurs à recourir à des approches susceptibles de rendre
compte de façon plus adéquate de l’autonomie de ces phénomènes, de leur auto-organisation
et de leur relative indétermination. D’un point de vue empirique, cette conception est
également fondamentalement « hiérarchique » : les causes de l’efficacité sont « descendantes
», allant de l’enseignement vers l’apprentissage. Elle est aussi « individualiste » :
l’apprentissage est conçu comme une transformation individuelle, comportementale et
cognitive, dissociable du contexte social et culturel. Or un ensemble de travaux s’inscrivant
dans des traditions diverses (écologie de la classe, psychologie culturelle, apprentissage situé,
clinique de l’activité, anthropologie cognitive…) ont souligné à quel point l’apprentissage et
l’enseignement étaient indissociables de « systèmes d’activités », de « systèmes éco-sociaux
», de « micro-cultures de classe » ou de « communautés de pratique », et de quelle façon ils
résultaient de processus de co-construction de savoirs, et de négociation collective de
significations partagées. Ces recherches décrivent les situations de classe comme complexes,
situées et indexées aux conditions locales, et l’enseignement comme orienté vers des buts qui
ne sont pas seulement des buts d’apprentissage pour les élèves. Elles montrent que les
enseignants sont aussi (et parfois essentiellement), tournés vers des préoccupations de
maintien de l’ordre et de mise en activité des élèves. Ceci est particulièrement vrai des
enseignants débutants et de ceux, parfois très expérimentés, qui travaillent dans des contextes
difficiles.
L’hypothèse générale de ce symposium est que l’efficacité est liée aussi à la viabilité
des situations de classe, c’est-à-dire à des interactions enseignant-élèves, et élève-élève,
susceptibles de créer un contexte favorable pour l’apprentissage. En d’autres termes, la
question de l’efficacité est examinée sous l’angle des conditions d’instauration d’un tel
contexte collectif d’apprentissage, c’est-à-dire des conditions d’articulation de l’activité de
l’enseignant et de celle des élèves permettant une telle viabilité.
En recourant au « point de vue » des acteurs, les communications montreront que
l’efficacité est aussi liée à leur perception « subjective » des situations de classe. Pour les
enseignants, l’obtention de situations viables renvoie à une « efficacité expériencée », liée,
notamment, à leur possibilité de concilier in situ des exigences d’apprentissage individuel et
collectif, avec des enjeux de confort » d’enseignement, de participation des élèves et de
gestion de leurs différences de « niveau scolaire ». Pour les élèves, les situations de classe
offrent, à partir de la dynamique des interactions, des potentialités d’apprentissage et
contribuent également à rendre ces situations plus ou moins viables pour eux. Enfin, la
dimension collective de l’activité en classe constitue également un filtre d’analyse de
l’efficacité enseignante : selon nous, celle-ci peut se comprendre comme relevant de
configurations particulières de l’activité collective, qui émergent des relations
d’interdépendance entre les acteurs et produisent des formes de travail viables pour eux.
La viabilité de l’engagement des élèves au travail
comme condition à l’efficacité des apprentissages en
Réseau Ambition Réussite.
Olivier Vors
PAEDI – Université Blaise Pascal – Clermont Ferrand
Introduction
« Augmenter l’efficacité de l’éducation prioritaire pour plus d’équité scolaire » est
l’une des dix grandes orientations pour la rentrée 2008 (circulaire 2008-042). Depuis 2005, les
254 collèges les plus en difficulté de France font partie de l’éducation prioritaire 1, ils portent
le label ‘Réseaux Ambition Réussite’ (RAR). Ces établissements sont considérés comme
difficiles au regard de critères social et scolaire. Les indicateurs du niveau social sont
principalement, les catégories socioprofessionnelles des parents, dont plus de deux tiers sont
défavorisées. Le niveau scolaire est indexé au nombre d’élèves ayant redoublé plus de deux
fois à l’entrée au collège et aux résultats des tests d’entrée en 6ème (Décisions de Robien,
2006). La politique éducative de ces établissements relève de ‘l’éducation prioritaire’ qui a
pour mission depuis 1981 de lutter contre les inégalités devant l’école en augmentant
l’efficacité scolaire. La question de l’efficacité est particulièrement d’actualité pour les RAR
qui, après trois ans d’existence, doivent être évalués cette année. Pour les collèges RAR
comme dans les autres collèges, les principaux indicateurs utilisés sont macroscopiques et
quantitatifs, les critères d’entrée en 6ème des élèves sont comparés avec des critères de sortie
de 3ème que sont par exemple le taux de réussite au brevet, le nombre de redoublement en 2d,
l’orientation. L’efficacité d’un établissement se matérialise ici par une plus-value chiffrable
des performances scolaires en mathématiques et en français lors de tests nationaux, tenues
pour des indices fiables des apprentissages des élèves. Elle est définie « comme la capacité de
faire progresser les élèves davantage qu’attendu au vu de leurs caractéristiques lorsqu’ils
entrent dans l’établissement (niveau scolaire, origine sociale, etc.) » (Meuret, 1995). Ici c’est
le résultat qui importe, l’institution a plus de mal à rendre compte du processus, d’aspects plus
qualitatifs et spécifiques tels que les conditions efficaces d’apprentissage en RAR.
En nous intéressant aux recherches scientifiques propres à ces établissements
difficiles, nous allons étudier l’efficacité scolaire du côté de l’apprentissage des élèves en
nous intéressant à leur activité en classe. Nous traiterons de l’efficacité de leurs
apprentissages en RAR en cherchant à comprendre quelle est la nature de leur engagement
dans le travail scolaire.
En RAR, une efficacité des apprentissages liée à la viabilité de
l’engagement des élèves.
En RAR, la plupart des élèves se trouvent en grande difficulté scolaire, c’est l’un des
critères d’attribution du label "ambition réussite". Quelque soit l’enseignement les indicateurs
de performance sont bien en deçà des moyennes nationales : par exemple il y a 20% d’écart
aux tests d’entrée en 6ème. Ces faibles performances stigmatisent le manque d’efficacité des
apprentissages des élèves en RAR dès l’école primaire. Diverses recherches se sont
intéressées aux origines de ce phénomène (Kherroubi & Rochex, 2004, pour une revue).
Millet et Thin (2005) insistent sur l’impossibilité de dégager un facteur d’explication unique.
Ils soulignent que c’est l’enchevêtrement d’évènements familiaux, scolaires, juvéniles qui, par
leurs recoupements mutuels, créent les conditions favorables à la rupture scolaire des élèves.
Parmi ces facteurs rendant instable la situation de travail en classe, deux se retrouvent
fréquemment dans la littérature spécialisée. Le premier concerne la difficulté d’engagement
des élèves dans la tâche scolaire. Souvent ces adolescents se montrent très agités, chahuteurs,
manifestant un grand désir d’agir en vue d’émotions et de sensations immédiates, ils
paraissent peu préoccupés par le travail à effectuer auquel ils n’attribuent aucun sens
(Charlot, 1997). Il arrive même qu’ils refusent de s’engager dans les apprentissages scolaires.
Des recherches montrent que ce refus naît de la concurrence entre la sociabilité de quartier et
la socialisation visée par l’école (Glasman, 2003) ; les conduites individuelles de ces élèves
sont influencées par leur groupe de pairs, et leurs formes de sociabilité vont souvent à
l’encontre de la culture scolaire (Millet & Thin, 2005). En somme, avec ces élèves le simple
investissement dans les apprentissages ne va pas de soi, leur engagement apparaît ici comme
une première condition à l’efficacité des apprentissages.
Le second facteur limitant l’efficacité des apprentissages des élèves est lié à la viabilité
de leur engagement. Ils peinent à rester concentrés sur un travail donné, ils ont une forte
tendance aux décrochages de la tâche scolaire, leur engagement bifurque souvent vers
d’autres activités moins scolaires (Guérin & Pasco, 2006). Ces décrochages incessants
limitent le temps consacré aux apprentissages. Or d’après Berliner (1979) le temps que
chaque élève passe sur la tâche scolaire (appelé l’academic learning time : ALT) est un
prédicateur essentiel de l’efficacité des apprentissages. En éducation physique, le temps
d’engagement moteur est considéré comme le meilleur médiateur des apprentissages (Piéron,
1993/1996). Dans les établissements classés RAR, l’ALT est bien plus faible que dans les
autres, par exemple en gymnastique en cours d’éducation physique le pourcentage d’ALT est
de 7% (Vors & Gal-Petitfaux, 2007) contre 21,9% (Rate, 1980 in Piéron, 1993/1996) dans des
établissements classiques. La question du temps d’engagement en tant que condition
d’efficacité des apprentissages est donc encore plus prégnante dans les RAR.
Ces analyses convergent vers l’idée que les élèves résistent ou ne parviennent pas à
rester engagés durablement dans le travail scolaire prescrit par l’enseignant. Cependant, la
pérennité de cet engagement est une condition de l’efficacité de leurs apprentissages. Aussi,
pouvoir augmenter la durée de leur implication dans une tâche scolaire nécessite d’analyser
les facteurs de rupture et de pérennité. Notre étude cherchera donc à étudier l’activité des
élèves en train de travailler, afin d’identifier les caractéristiques d’un engagement durable
dans la tâche prescrite. Plus précisément, il s’agira de repérer quelle est la forme
d’organisation de leur activité : comment se caractérise le cours de leur activité en classe, et
quels éléments typiques peuvent expliquer les décrochages continus des élèves / ou les
bifurcations continues des préoccupations des élèves en classe.
Une étude de cas en éducation physique : contexte et étude
Pour saisir les conditions efficaces d’apprentissage des élèves dans la classe, nous
étudions la viabilité de leur engagement en nous appuyant sur le cadre théorique de l’action
située (Gal-Petitfaux & Durand, 2001 ; Lave & Wenger, 1991). Nous avons opté pour une
entrée contextuelle dans la classe afin d’analyser la spécificité des situations de classe en
observant les activités telles que les élèves les produisent. D’inspiration anthropologique,
cette approche théorique s’intéresse à décrire finement les actions humaines et à étudier leur
signification. Afin de comprendre les déterminants de l’efficacité des d’apprentissage des
élèves, au lieu de nous baser sur une performance chiffrée, nous sommes appuyés sur la
subjectivité de l’acteur. Notre cadre théorique se fonde sur le présupposé que toute action
humaine contient une part pré-réflexive. Elle retient la subjectivité des acteurs comme
propriété de toute expérience humaine, et elle recourt aux récits d’expérience des acteurs
comme possibilité d’accès à cette signification subjective. Selon cette approche, l’efficacité
n’est pas considérée d’un point de vue extérieur et prescriptif, mais plutôt comme une activité
vécue que nous tentons de comprendre. En faisant verbaliser les élèves, nous aurons accès à
leurs préoccupations, ce qui les pousse à agir, et par conséquent à la viabilité de leur
engagement.
Notre recherche s’est effectuée dans un collège difficile de la banlieue lilloise classé
RAR, avec une classe de 5ème de 20 élèves durant un cycle de six leçons de gymnastique par
ateliers en Éducation Physique (EP). L’organisation spatiale des élèves est typique, les élèves
sont amenés à travailler en petit groupe de cinq dans quatre ateliers : un atelier « Tourner »
avant sur deux plans inclinés pour des roulades ; un atelier « Se renverser » à partir d’un
plinth pour des renversements en appuis manuels ; un atelier « Franchir » à l’aide d’un
tremplin pour des sauts de cheval ; et un atelier « Voler » avec un mini-trampoline pour des
sauts. Les ateliers étaient installés en ligne sur toute la longueur du gymnase. Dans chaque
atelier, l’enseignant avait préparé des fiches misent à la disposition des élèves, elles
contenaient les exercices gymniques à travailler et les critères pour les exécuter correctement.
Ce dispositif contraint les élèves, dispersés en petits groupes, à travailler collectivement, en
autonomie sans une présence physique continue de l’enseignant à proximité (Gal-Petitfaux &
Cizeron, 2005).
L’activité des élèves a été enregistrée à l’aide de micros et de caméras, au cours des six
leçons du cycle. La construction des matériaux s’est faite en deux volets. D’abord, une
description ethnographique des comportements observables des élèves en classe (gestes,
postures, déplacements et communications verbales). Ainsi nous pouvons répertorier les
différents types de comportement des élèves, leur nature, leur durée, leur fréquence ; ce qui
nous donne les indicateurs observables de l’engagement des élèves en tant que premier jalon
de l’efficacité de leur apprentissage. Ensuite, nous avons conduit des entretiens
d’autoconfrontation post-leçons (Theureau, 2006) invitant trois élèves volontaires à décrire
leurs actions en classe. Ils ont explicité ce qu’ils cherchaient à faire à cet instant (leurs
préoccupations), ce qui faisaient signe pour eux dans l’environnement et comment ils
l’interprétaient (leurs perceptions et interprétations), ce qu’ils ressentaient (leurs émotions), ce
qui nous donne les indicateurs subjectifs et vécus de l’efficacité de leur apprentissage. Le
traitement des données s’est opéré en deux temps. Tout d’abord, nous avons reconstitué de
manière fine, le cours d’activité des élèves pour chaque leçon, en mettant en parallèle les
comportements et les verbalisations d’entretien de chacun. Ensuite, par récurrence, nous
avons identifié et analysé les formes typiques d’activité présentes chez tous les élèves.
Résultats : un engagement durable des élèves au travail fondé
sur un faisceau de préoccupations typiques
Les matériaux montrent différentes formes d’engagement des élèves, la seule qui est
stable est fondée sur un système d’activité triadique alternant le jeu, le travail et l’errance. Ce
système d’activité reflète une viabilité de l’engagement des élèves au travail qui est le fer de
lance de l’efficacité de l’apprentissage dans la classe. En comparant les activités individuelles
des quatre élèves, certaines similitudes sont apparues. Les régularités révèlent deux propriétés
typiques : a) le caractère syncopé, morcelé, chaotique de leur activité en classe ; et b) l’aspect
triadique de son organisation.
Une activité fragmentée, révélant une instabilité des
préoccupations de l’élève
Les résultats montrent une activité syncopée, morcelée, chaotique, chez l’ensemble des
élèves étudiés. D’une part, le caractère chaotique de l’activité se manifeste par l’expression
d’un spectre très large de comportements produits pas les élèves au cours d’une séquence de
travail à un atelier gymnique, donnant une impression de désordre, d’une activité discontinue.
D’autre part, les verbatim d’entretien permettent de comprendre que cette structuration
syncopée de l’activité repose sur un changement continu et brutal des préoccupations des
élèves.
Les actions des élèves sont apparues très furtives et instables. L’engagement des élèves
vers la tâche scolaire est peu durable et bifurque souvent. Le temps de travail est composé
d’une somme de séquences courtes et répétées. Prenons l’exemple de deux minutes trente
secondes de l’activité de Soufiane à l’Atelier « Voler » (Figure 1). Cet atelier est constitué de
deux gros tapis de réception, d’un trampoline et d’une fiche explicative des exercices et de
leurs critères de réalisation. En dix minutes, les élèves doivent tester différents sauts : saut
allumette (droit), saut groupé, saut carpé, saut demi-tour, saut tour complet.
Temps
0:06:50
0:07:00
0:07:10
0:07:20
à
0:08:00
0:08:10
0:08:20
Activité
en classe
de
Soufiane
Échoue
dans son saut
½tour.
Engagement de Soufiane
Sa
préoccupation du
moment
(ce qu’il
cherche à faire)
Ses
Ses
perceptions du moment interprétations du
moment
(ce qu’il
remarque dans la
(ce qu’il se
situation, ce qu’il
dit)
ressent)
le
La présence du
Quand
le
au professeur à l’atelier.
professeur est là, je
lui montre le saut.
Montrer
saut demi-tour
professeur.
Faire
l’exercice devant le
professeur.
Remet le
Préparer
le
tapis.
matériel, et attendre
que ça se passe.
Se
Montrer
un
replace et fait un salto tendu pour se
salto tendu.
donner en spectacle
Gary,
et
Discute devant
s’amuser.
avec un groupe
d’élèves proche.
Échoue
dans son saut
½tour.
Sort de
son atelier pour
0:08:30 shooter dans le
tapis que transporte Aris.
Regarde autour
de lui quelque chose à
faire.
Voit
le
Sait qu’il va
professeur partir.
amuser Gary en lui
Aperçoit
un montrant un salto
camarade (Gary) d’une tendu.
autre classe, au fond de
la salle.
Refaire le saut
Le souvenir que
demi-tour, qui est le saut demi-tour est
difficile,
pour
le difficile.
réussir.
S’amuser
Son copain qui
Sait
avec ses camarades en porte un tapis.
qu’avec Aris, il peut
leur faisant un coup en
rigoler.
douce pendant qu’ils
Sait
ont
les
mains
qu’avec ses copains,
occupées.
le jeu c’est de se
faire des coups en
douce.
Temps
Activité
en classe
de
Soufiane
Engagement de Soufiane
Sa
préoccupation du
moment
(ce qu’il
cherche à faire)
0:08:40
Se
Attendre pour
replace, déambule passer
puis attend
Chercher quoi
passivement en
faire en regardant ce
regardant autour
que font ses camarades
de lui.
0:08:50
Fait un
salto tendu vrillé.
0:09:00
Changer
parce que c’est ennuyeux de toujours
faire la même chose
S’amuser
devant ses camarades
en faisant un saut
difficile
Se
S’amuser
avec les autres élèves
de l’atelier
Fait un
concours de sauts.
Faire
un
concours du saut le
plus spectaculaire
0:09:10
Fait le
Faire le saut
saut groupé.
groupé et vérifier qu’il
sait le faire être prêt
lorsque l’enseignant
passera pour vérifier
replace.
0:09:20
Regarde
la fiche de travail.
Demande
au professeur :
"M’sieur, c’est
quoi carpé ?".
Retourner
voir la fiche pour
s’informer des autres
exercices à faire
S’entraîner au
saut carpé, maintenant
qu’il a validé le saut
groupé
Demander au
professeur d’expliquer
ce que c’est un saut
carpé
Ses
perceptions du moment
(ce qu’il
remarque dans la
situation, ce qu’il
ressent)
Voit Mohamed
faire son saut "Karaté".
Sentiment
d’ennui de toujours
exécuter les mêmes
exercices.
Sentiment
d’ennui de toujours
exécuter les mêmes
exercices.
Voit que ses
camarades de son groupe
le regardent.
Ses
interprétations du
moment
(ce qu’il se
dit)
Comprend
que Mohamed veut
rigoler parce qu’il
fait un saut "Karaté".
Découvre
que les exercices
demandés par le
professeur
sont
faciles pour lui.
En déduit
qu’il est donc inutile
de le répéter et qu’il
a donc du temps
pour s’amuser.
Regarde,
en
rigolant,
les
autres
élèves plonger sur les
tapis.
L’avertissement
par le professeur du
temps de travail restant
pour cet atelier (2
minutes).
À compris
que
lorsque
le
professeur annonce
qu’il reste peu de
temps
pour
s’entraîner, il faut
Le saut groupé vite vérifier qu’on
est perçu ennuyeux car sait faire l’exercice.
trop facile.
Considère
que s’il arrive à faire
l’exercice dès le
premier essai, c’est
qu’il est facile et
qu’il est inutile de le
répéter
Sur la fiche est
Il
faut
écrit ce qu’il y a à faire. retourner lire la
pour
Remarque
la fiche
comprendre
ce
qu’il
présence du professeur
faut faire.
dans l’atelier
Si je ne
comprends pas la
fiche, je demande au
professeur
de
m’expliquer.
Figure 1 : Dynamique de l’engagement de Soufiane à l’Atelier « Voler »
Cet extrait de l’activité de Soufiane (Figure 1) fait apparaître une grande variété de
comportements conformes et non conformes aux apprentissages visés : l’élève réalise les
sauts demandés, replace le matériel, discute avec ses camarades, shoote dans un tapis,
déambule, attend sans rien faire, fait des sauts interdits, lit la fiche…
De même, ses préoccupations bifurquent sans cesse, témoignant de son engagement
instable dans la tâche scolaire prescrite par l’enseignant. La Figure 1 montre qu’elles ne
durent en moyenne qu’une quinzaine de secondes. Le cours d’activité de Soufiane est marqué
par la succession de séquences : il cherche à tester le saut demi-tour pour préparer
l’évaluation ; puis, il s’amuse en se mettant en spectacle devant ses camarades par un salto ; il
tente de nouveau le saut demi-tour qu’il vient de manquer pour vérifier sa difficulté ; puis il
s’amuse en embêtant son copain, puis il rigole en groupe à faire un concours du saut le plus
spectaculaire avec les élèves de son atelier ; il prépare l’évaluation, en expérimentant d’abord
les sauts qu’il n’a pas encore testés, puis en regardant la fiche, et enfin en appelant le
professeur.
Au-delà de la diversité des actions produites en une unité de temps, l’engagement des
élèves en classe révèle une organisation typique, stable, de nature triadique.
Un engagement structuré par un faisceau de trois préoccupations
stables
L’engagement des élèves est composé de trois préoccupations récurrentes : de travail, de
transgressions ludiques et d’errance attentiste. D’une part, cette structuration récurrente de
l’activité est repérable aussi bien au plan intra-individuel, qu’au plan inter-individuel. D’autre
part, ces trois séquences sont fortement liées les unes aux autres.
Structuration triadique de l’engagement : travail, transgressions ludiques
et errance
L’engagement de l’élève comporte une organisation séquentielle saillante et stable. Audelà de la diversité importante des comportements de l’élève au cours de la leçon,
l’engagement des élèves se structure de façon pérenne par un faisceau de préoccupations. De
plus, la préoccupation d’effectuer le travail demandé est présente systématiquement de
manière récurrente. L’élève s’engage alternativement dans un faisceau de préoccupations
comportant des séquences où il travaille selon les prescriptions de l’enseignant ; des
séquences déviantes de jeux sociaux où il s’amuse avec ses pairs à se faire des « coups en
douce » ; des séquences d’errance attentiste où il reste immobile, souvent assis ou couché, en
regardant ce qui se passe autour de lui. L’exemple de Mohamed illustre cette organisation
cyclique. Entre 40 minutes 40 secondes et 44 minutes 10 secondes dans l’Atelier « Tourner »,
il alterne entre des séquences de travail, d’errance et de jeu : en arrivant dans l’atelier, il
enchaîne rapidement une série de trois roulades, puis se couche sur le tapis en attentant que
quelque chose se passe, refait une roulade et enfin s’amuse à se jeter sur les tapis avec ses
amis de l’atelier... En trois minutes trente secondes, les préoccupations de Mohamed changent
quatre fois.
Cette structuration triadique de l’engagement est repérable tant au niveau intraindividuel qu’au niveau inter-individuel. Elle est présente au cours des quatre ateliers, et chez
les quatre élèves étudiés. L’engagement des élèves vers le travail scolaire est systématique, et
même s’ils sont animés par la préoccupation de déviance ludique, très vite elle revient à une
focalisation sur les apprentissages prescrits.
Une préoccupation de travail scolaire discontinue mais récurrente
L’engagement des élèves tourné vers le travail scolaire occupe la plus grande partie de
leur temps, 58% des activités totales. Il est caractérisé par les comportements où l’élève
exécute les exercices demandés par l’enseignant. L’analyse de cet engagement fait apparaître
deux caractéristiques marquantes. Premièrement, il n’est jamais très long, l’élève répète
l’exercice demandé durant une trentaine de secondes puis sa préoccupation bifurque. C’est le
cas de Soufiane à l’Atelier « Voler » qui n’effectue qu’une ou deux fois les exercices, s’il
estime les avoir globalement réussit, ou s’il les juge « faciles » pour lui. Deuxièmement,
l’engagement tourné vers le travail est récurrent. Sur l’ensemble de la leçon, il se décompose
sous forme de petites séquences répétées.
Il y a deux principaux facteurs de bifurcation de la préoccupation de travail. Tout
d’abord, les élèves se lassent très vite de la répétition d’un même exercice. Cette résistance à
répéter les exercices gymniques se retrouve chez Megda qui explicite que « c’est ennuyeux de
toujours faire la même chose, je fais d’autres choses pour changer. […] Il faut que ça
change ». À l’atelier « Tourner », elle réalise six fois un même exercice qu’elle considère
comme difficile, mais ces répétitions sont entrecoupées d’autres actions (réaliser un autre
exercice à travailler, jouer à se pousser avec ses camarades, se coucher sur les tapis…).
Ensuite, les comportements du groupe de pairs est un facteur de bifurcation fréquent. Les
entretiens d’autoconfrontation révèlent que lorsque les élèves perçoivent une opportunité de
jeu clandestin, leur préoccupation change rapidement pour s’amuser avec leurs copains : « là,
vite fait, je m’amuse avec lui, avant de passer ». Le cours d’activité des élèves est sans cesse
marqué par ces préoccupations fugaces de se provoquer ou de se mettre en spectacle en
groupe. Celles-ci occupent près d’un tiers du temps des élèves. Elles se caractérisent par des
comportements très rapides dépassant rarement cinq secondes comme par exemple une
poussette au moment ou un camarade s’apprête à faire sa roulade. Ces décrochages ont
toujours lieu entre deux temps de travail. Voyons maintenant ce qui rend viable l’engagement
des élèves, autrement dit ce qui permet de comprendre la stabilité du faisceau de
préoccupations.
Les résultats montrent que ce sont les opportunités de changement qui rendent stable
l’engagement des élèves. La forme d’engagement, constituée d’un faisceau de préoccupations,
est pérenne parce que les élèves alternent entre trois types d’activité. Leurs préoccupations
bifurquent brutalement et constamment durant toute la durée des séances en revenant
systématiquement vers la préoccupation de travailler, c’est ce qui fait tenir le système. Ils
expriment qu’« il faut que ça change », « s’il n’y avait pas ces moments pour rigoler, ça serait
ennuyeux à force, c’est même pas la peine (d’y penser) », « je peux m’amuser un peu si après
je retourne au travail, le prof il dira rien ». C’est l’enseignant qui permet aussi cette viabilité
de l’engagement des élèves en fermant les opportunités de déviances. Sa position, ses
interventions sont particulièrement significatives pour les élèves, systématiquement les élèves
interrogés pouvaient dire où il était, avec quel groupe il intervenait. Lorsque l’enseignant est
là, ou lorsque les élèves sentent que l’enseignant les surveille du coin de l’œil, ils masquent
leur préoccupation de jeu ou bifurquent vers une préoccupation tournée vers le travail.
Discussion : Un faisceau de préoccupations comme condition
à l’efficacité des apprentissages
Nous étude à permis de décrire l’activité d’élèves de RAR comme une activité
fragmentée, révélant une instabilité des préoccupations de l’élève qui se traduit par un spectre
large de comportements furtifs. Au delà de cette diversité, nous avons repéré des régularités
structurées par un engagement composé d’un faisceau stable de préoccupations. Trois
préoccupations (de travail, de transgressions ludiques et d’errance) sont repérables de manière
récurrente aussi bien au plan intra-individuel, qu’au plan inter-individuel. La préoccupation de
travail scolaire est apparue comme dominante et discontinue avec de nombreuses séquences
de travail, courtes, entrecoupées par des bifurcations furtives tournées vers le jeu ou l’errance.
L’analyse a mis à jour les facteurs facilitant et limitant de ces bifurcations. En somme, nous
avons mis en évidence la façon dont les élèves s’engageaient dans le travail en classe de
manière durable. Cet engagement est à considérer comme une condition à l’efficacité des
apprentissages des élèves.
Le caractère contre-intuitif des résultats nous invite à considérer les préoccupations de
déviance ludique et d’errance comme une condition à l’efficacité des apprentissages scolaires
disciplinaires. Deux arguments peuvent être avancés. Le premier consiste à concevoir que le
faisceau de trois préoccupations est une propédeutique aux apprentissages disciplinaires car il
permet l’engagement et le maintien de l’élève dans l’activité proposée par l’enseignant. Ces
trois préoccupations se co-déterminent mutuellement. Les activités sociales ludiques sont en
quelque sorte des catalyseurs pour l’activité de travail. En ce sens, l’efficacité des
apprentissages dans ces milieux difficiles s’appuie sur la viabilité de l’engagement des élèves
considérés comme une potentialité d’apprentissage. Le deuxième argument, nous amène à
définir in vivo ce qu’est l’activité d’apprentissage en RAR. Les élèves dans le cadre de la
classe ont une activité d’apprentissage structurée par une succession de trois séquences : de
travail, de jeux déviants et d’errance. Cela rejoint les recherches de Canal et Gleyse (2004)
qui présentent l’apprentissage en classe comme un équilibre constitué du binôme
ordre/désordre, où les jeux clandestins sont un exutoire permettant au système de se
pérenniser.
Afin d’augmenter l’efficacité de l’enseignement en RAR, une voie de
professionnalisation serait de rentrer dans une approche compréhensive de l’élève. Une
condition efficace d’enseignement pourrait être de prendre en compte le besoin qu’ont les
élèves de décrocher temporairement de la tâche scolaire pour mieux raccrocher par la suite.
Cette tolérance ponctuelle permettra un engagement supérieur et une plus grande quantité de
travail (Allen, 1986). De plus, cette étude peut aider les nouveaux enseignants de RAR qui
culpabilisent et remettent en question leur professionnalité en exprimant leurs difficultés et
leur impuissance face aux comportements imprévisibles de ces adolescents (Monfroy, 2002).
Elle permet de montrer que l’activité de ces élèves en RAR n’est pas totalement imprévisible,
malgré la variabilité extrême des comportements au fil d’une leçon, elle a une organisation
typique structurée. Sachant cela, l’enseignant peut repérer, identifier et interpréter les
comportements des élèves et aussi comprendre leur dynamique articulée autour d’un faisceau
de trois préoccupations que sont le travail scolaire, les jeux déviants et l’errance attentiste.
L’activité des élèves paraîtra ainsi moins obscure et moins inattendue, ce qui pourra rassurer
l’enseignant par rapport à cette « normalité » particulière aux RAR.
Références
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Efficacité des situations d’enseignement /
apprentissage et dynamique collective d’apprentissage :
une étude de cas en éducation physique
Benoît Huet et Jacques Saury
MIP, Université de Nantes
La recherche de l’efficacité de l’enseignement est une question centrale pour tout
système éducatif qui se soucie de l’amélioration du niveau d’instruction des populations et qui
recherche l’équité dans l’accès aux connaissances et aux qualifications professionnelles. Dans
le rapport rédigé pour l’Institut International de Planification de l’Éducation attaché à
l’UNESCO, Anderson (2004) situe clairement sa réflexion sur l’efficacité des enseignants
dans cette perspective. S’appuyant sur les résultats des principales recherches menées dans
une perspective objectiviste, il formule un ensemble de préconisations renvoyant à différentes
dimensions de l’enseignement : conception des unités d’apprentissage, organisation de la
classe, instauration d’un climat et d’une culture de classe permettant l’émergence d’un
environnement favorable à l’apprentissage, etc.
La recherche présentée ici s’inscrit dans une optique différente. Elle aborde la question
de l’efficacité des situations d’enseignement/apprentissage à partir de l’analyse de la
dynamique collective à l’œuvre dans les situations de classe, et non pas à partir de l’utilisation
de critères d’évaluation choisis en fonction d’objectifs, de principes, et d’attentes normatives,
qui fondent toute politique d’éducation., L’hypothèse générale sous-tendant l’approche
développée est celle de la pertinence d’une approche descriptive et compréhensive de la
dynamique des activités développées par les élèves et les enseignants, pour interroger
l’efficacité de dispositifs d’apprentissage mis en place dans le cadre de l’enseignement
obligatoire d’éducation physique et sportive.
Les études qui ont été développées dans le paradigme de l’écologie de la classe ont
montré que l’enseignement ne se réduisait pas à un processus d’influence directe des
dispositifs d’enseignement sur les comportements et attitudes d’apprentissage des élèves
(Doyle, 1986 ; Hastie & Siedentop, 2006). L’analyse des comportements des enseignants
efficaces, telle qu’elle a été envisagée dans le cadre des recherches dites « processus-produit »
(Dunkin & Biddle, 1974), tout comme les études centrées sur les variables du contexte
psychosocial de la classe, et notamment, sur le « climat motivationnel » propice à
l’apprentissage (Ames, 1992), se heurtent en effet aux mêmes limites : elles sous-estiment,
d’une part, la complexité et le caractère indéterminé et contingent des situations de classe, et
d’autre part, l’autonomie fondamentale des acteurs engagés dans ces situations, et notamment
celle des élèves. Or, l’activité des élèves pendant les cours, et l’efficacité de leurs conduites
pour atteindre les apprentissages visés, ne peuvent être compris en négligeant ces dimensions.
Une étude récente menée au sein de notre équipe sur l’activité d’élèves de collège en EPS a,
par exemple, montré que les modes d’engagement des élèves dans les situations
d’apprentissage visant à développer des compétences à « s’opposer à autrui » (au cours d’un
cycle de badminton), n’étaient que partiellement dépendants de la structure (coopérative vs
compétitive) des tâches prescrites par l’enseignant (Saury & Rossard, sous presse). Une autre
étude a montré que l’appropriation individuelle et collective par les élèves de dispositifs de
co-observation (prévoyant l’utilisation d’une fiche d’observation, et la distribution de « rôles
sociaux » d’observateurs et de joueurs) émergeait de la dynamique des interactions entre les
élèves, de la co-construction et de la négociation de significations, au sein des groupes
d’apprentissage, sous des formes pouvant être très différentes de celles attendues dans la
conception de ces dispositifs (Saury, Huet, Rossard et Sève, sous presse).
D’un point de vue théorique, le présupposé selon lequel toute personne engagée dans
une situation est autonome repose sur l’hypothèse que l’autonomie est une propriété
fondamentale de tout système vivant, une capacité à « faire émerger son propre monde » dans
l’histoire d’une interaction continue (ou d’un couplage) avec son environnement (Varela,
1989). Concernant les systèmes sociaux, Maturana & Varela (1994) suggèrent que les
interactions sociales (ou couplages de troisième ordre) font émerger un « monde partagé »
(ensemble de significations, connaissances, éléments de culture, langage, partagés entre les
individus), aussi appelé « domaine consensuel », possédant lui-même une certaine autonomie.
L’émergence de ce domaine consensuel est essentielle en ce qu’elle permet d’assurer la
viabilité et l’intelligibilité de l’activité développée par chaque individu dans son
environnement social et culturel, tout en lui fournissant des ressources pour agir et pour
apprendre, dans le cours de ses interactions sociales.
La prise en considération de la dynamique des interactions sociales entre les élèves
dans l’étude de leurs apprentissages relève d’une tradition déjà ancienne, notamment en
référence aux théories socio-constructivistes de l’apprentissage et du développement, ancrées
dans les travaux de Vygotski (1997), de Bruner (1983) et de Bandura (1986). Cette tradition a
généré diverses recherches empiriques relatives à l’enseignement et à l’apprentissage des
habiletés motrices, centrées sur les apprentissages en dyades, sur les processus de tutorat entre
pairs, ou sur l’efficacité de différentes procédures d’apprentissages coopératifs (pour des
synthèses, voir d’Arripe-Longueville, 2006 ; Lafont & Winnykamen, 1999). Ces recherches
ont largement mis en évidence l’influence (favorable ou défavorable) des interactions sociales
entre les élèves sur leurs apprentissages scolaires ainsi que sur d’autres variables
psychosociales de leur développement (motivation, estime de soi…).
Tout en tenant compte des acquis de ces travaux, la présente recherche s’inscrit dans
une perspective en partie alternative et en partie complémentaire. Elle se réfère au programme
scientifique du « cours d’action » (Theureau, 2004, 2006), qui a déjà donné lieu à une série
d’études sur l’activité collective d’élèves engagés dans des situations d’apprentissage en EPS
(de Keukelaere, Guérin, & Saury, 2008 ; Saury et al., sous presse ; Saury & Rossard, sous
presse). Selon les présupposés de ce programme, toute activité donnant lieu à expérience pour
l’acteur, est indissolublement individuelle et collective, et peut être analysée à deux niveaux
d’organisation complémentaires : celui de l’activité « individuelle-sociale » (i.e., niveau de la
prise en compte d’autrui dans l’activité de chaque acteur), et celui de l’activité « socialeindividuelle » (i.e., niveau des interactions émergeant de l’articulation des activités
« individuelles-sociales »). Dans le programme du cours d’action, ces deux niveaux renvoient
respectivement aux notions de « cours d’expérience », et « d’articulation collective des cours
d’expérience ». C’est sur la base de ces deux objets d’analyse que nous avons conçu l’étude
de l’activité collective au sein d’un groupe de huit collégiens au cours d’un cycle d’athlétisme
en EPS.
Observatoire de l’activité individuelle et collective des élèves
Le cycle d’athlétisme était organisé dans le cadre d’un projet regroupant deux classes
mixtes de Troisième, de 24 élèves chacune. Les deux enseignants avaient conçu ce cycle avec
l’objectif général de permettre aux élèves de « réaliser une performance annoncée dans le
cadre d’un triathlon individuel au terme d’une préparation collective ». Le triathlon
athlétique était composé d’une épreuve de course de haies, d’une épreuve de saut en longueur
et d’une épreuve de lancer du disque. Celui-ci devait être réalisé à l’issue d’un cycle de huit
séances de deux heures hebdomadaires. La classe était divisée en six groupes (hétérogènes en
termes de compétence et de genre) de huit élèves, maintenus stables par les enseignants
pendant toute la durée du cycle. Au cours de chaque séance, chaque groupe pratiquait
successivement chacune des trois spécialités athlétiques dans trois « ateliers » distincts dans
l’espace du stade d’athlétisme. Les objectifs de ces séances visaient à favoriser le
développement de deux sortes de compétences chez les élèves : d’une part, des compétences
athlétiques (e.g., en lancer du disque, « maîtriser la tenue du disque de la mise en action
jusqu’au lâcher »), et d’autre part, des compétences plus générales, dites méthodologiques et
sociales (e.g., mettre en œuvre des situations de co-observation et de coopération au sein des
groupes d’élèves, assumer différents « rôles sociaux » dans l’organisation des tâches de
travail : chronométreur, mesureur, etc.).
L’activité d’un groupe d’élèves volontaires pour participer à cette recherche (huit
élèves : quatre filles et quatre garçons, d’une moyenne d’âge de 14 ans) a été étudiée au cours
de l’intégralité des séances effectivement réalisées au cours du cycle (cinq séances de deux
heures au total). Les comportements des élèves et leurs échanges verbaux au sein du groupe
ont systématiquement été enregistrés à l’aide de deux caméras numériques et de quatre micros
HF, qui équipaient alternativement quatre élèves différents sur huit lors de chaque séance. Les
comportements et interventions de l’enseignant qui guidait et supervisait le travail de ce
groupe sur les différents ateliers ont également été enregistrés grâce à une troisième caméra et
d’un micro HF porté par l’enseignant durant toute les séances. Une copie des documents de
travail mis à la disposition des élèves a également été systématiquement collectée.
A l’issue de chaque séance, les quatre élèves porteurs de micros-HF ont
alternativement participé (une semaine sur deux) à des séances d’autoconfrontation. Ces
séances ont été organisées simultanément par les deux chercheurs coauteurs de cette
communication, s’entretenant respectivement chaque fois avec deux élèves. Il était demandé
aux élèves de se « remettre dans la situation de classe », et de décrire les actions,
communications, focalisations, interprétations et sentiments qui constituaient leur expérience
dans cette situation, en prenant appui sur la visualisation de l’enregistrement audio-vidéo de
leurs comportements au sein du groupe et des événements survenus au cours de la séance.
L’ensemble des données comportementales, des verbalisations en situation et des
verbalisations en auto-confrontation ont été transcrites à l’aide du logiciel Transana,
conformément aux conventions de transcription proposées par Jefferson (1984). L’analyse a
consisté, d’une part, à reconstituer les cours d’expérience de chacun des élèves, et d’autre
part, à repérer et catégoriser les épisodes d’interaction entre les élèves s’organisant autour
d’un thème d’apprentissage particulier (i.e., interactions entre élèves dans lesquelles les élèves
étaient engagés avec des préoccupations d’apprentissage.
Résultats
Les résultats sont présentés dans deux parties, rendant compte, de façon
complémentaire, de formes typiques apparaissant dans les cours d’expérience des élèves, et de
modes typiques d’interactions entre les élèves. La première partie révèle ainsi trois processus
grâce auxquels les activités développées par les différents élèves constituent pour chacun
d’entre eux un ensemble de ressources disponibles pour apprendre. La deuxième section
décrit les différentes formes spontanées de coopération entre les élèves orientées par des
préoccupations d’apprentissage.
L’exploitation de ressources collectives distribuées au sein du groupe
L’analyse des cours d’expériences des élèves révèle trois processus particuliers,
mettant en évidence de quelle façon l’activité des autres élèves offre un ensemble de
ressources significatives pour eux en relation avec des préoccupations d’apprentissage.
Le premier processus concerne la modélisation continue des compétences des autres
élèves. Dès la première leçon, puis de façon récurrente au cours des différentes leçons
observées, les autres élèves du groupe constituent pour leurs camarades des ressources
privilégiées pour apprendre, en relation avec un jugement de pertinence concernant leur
activité et leurs compétences. En effet, l’évaluation des compétences de chacun dans la
spécialité athlétique pratiquée est une préoccupation récurrente des élèves tout au long des
leçons. Cette évaluation est constamment actualisée. Elle conduit les élèves à se tourner vers
ceux d’entre eux qui réalisent les meilleures performances pour obtenir des informations à
caractère technique sur les activités athlétiques travaillées. Par exemple, dans le groupe
observé, la compétence sportive reconnue à deux élèves (Esteban et Pierre), sur la base des
expériences vécues dans les cycles d’EPS précédents, et du niveau de leurs premières
prestations, leur a conféré quasiment immédiatement un statut particulier de « référents » pour
la plupart des autres élèves, lorsqu’il était question d’apprentissages techniques. Ces derniers
ont ainsi sollicité très fréquemment des conseils de la part de ces deux élèves jugés
« experts », ou été particulièrement attentifs à leurs prestations. Cependant, au cours du cycle,
d’autres élèves ont été considérés comme offrant un modèle pertinent de compétence, en
relation avec l’évolution de leurs performances dans l’une ou l’autre des spécialités
athlétiques. A contrario, certains élèves initialement considérés comme experts, ont été
considérés comme des ressources moins « fiables » au cours du cycle, ce qui met en évidence
une activité continue de construction, de validation ou d’invalidation permanente de
connaissances par les élèves à l’égard des compétences des autres.
Le deuxième processus concerne l’exploration des comportements des autres élèves.
La perception de la compétence des autres oriente l’activité d’observation et d’exploration des
élèves dans la situation. Par exemple, deux filles du groupe, Marjolène et Donatienne, ont
expliqué en autoconfrontation à l’issue de la première leçon qu’elles avaient plus
particulièrement observé les élèves qui « le faisaient bien », en l’occurrence Esteban, Pierre et
Baptiste. Cette activité d’observation peut être induite par l’enseignant mais s’exerce
également de façon spontanée au sein du groupe. Au cours de la première leçon lors de
l’atelier consacré au saut en longueur, Marjolène et Donatienne, engagées dans une activité
d’enquête sur la meilleure manière de prendre son élan pour sauter loin tout en respectant la
zone d’élan, ont eu recours à cette observation, afin de mieux comprendre comment organiser
cette phase du saut. Leur observation a ainsi porté sur la façon dont Pierre procédait :
Marjolène : (s’adressant à Donatienne tout en observant Pierre) regarde lui, il
va moins vite... il faudrait...
Donatienne : non c'est qu'il accélère à la fin.
Marjolène : ah oui!
Donatienne : moi je vais faire comme lui tu vas voir.
Marjolène : je vais essayer de copier aussi...
Donatienne : tu vas voir tu vas voir ! (mime une attitude combative).
Cette exploration de l’activité d’autrui est largement partagée par l’ensemble des
élèves. Il peut se faire individuellement ou collectivement et intervient de manière récurrente,
quelle que soit la spécialité athlétique pratiquée.
Le troisième processus concerne la mise en visibilité d’interprétations ou
d’évaluations liées à ses propres prestations ou à celles d’autrui. Au-delà des échanges
portant sur les performances respectives des uns et des autres, que les élèves échangent de
façon récurrente au cours des séances, ils expriment dans de nombreuses situations de façon
ostensible leurs sentiments et impressions relatifs à leurs propres prestations et à celles de
leurs camarades. Par exemple, lors de la deuxième leçon, Vincent a régulièrement exprimé à
haute voix « à la cantonade » sa difficulté à trouver son pied d’appel et à améliorer ses
performances en saut en longueur. Ces commentaires « mis en visibilité » et adressés aux
autres (de façon plus ou moins « ciblée »), accompagnaient dans certains cas la réalisation des
prestations athlétiques elles-mêmes. Par exemple, lors d’un essai en saut en longueur au cours
de la première leçon, Donatienne a spontanément commenté à haute voix ce sur quoi elle se
focalisait pour organiser sa course d’élan, en criant, pendant sa course « alors je cours
lentement pour commencer… et là j’accélère !!! », puis en commentant le résultat de son saut
à l’attention des autres : « eh… j’ai fait mieux !!!! ».
Les trois processus décrits mettent en évidence de quelle façon les comportements et
les performances des autres élèves du groupe offrent à chaque élève – dans certains cas en
relation avec les rétroactions de l’enseignant – des indices leur permettant à tout moment de
construire des interprétations à propos de ce qu’il y a à faire, et comment. Ils permettent à
chaque élève de construire un ensemble de ressources distribuées au sein du groupe, afin de
s’adapter aux « problèmes d’apprentissage » auxquels ils sont confrontés.
Formes spontanées d’interactions entre les élèves orientées par
des préoccupations d’apprentissage
L’analyse fait apparaître cinq formes d’interactions entre les élèves du groupe, en
relation avec des préoccupations liées à un thème d’apprentissage particulier.
La première forme d’interaction articulait l’activité d’élèves dont la préoccupation
était de guider ou d’aider l’apprentissage d’un (ou plusieurs) autre(s) élève(s) (se posant ainsi
spontanément comme « tuteurs »), et celle d’élèves dont la préoccupation était de prendre en
compte les conseils et aides apportées pour préparer l’essai suivant (acceptant ainsi une
position de « tutorés »). Ces interactions étaient le plus souvent dyadiques, mais concernaient
parfois trois ou quatre élèves. Elles débutaient soit à l’initiative des « tuteurs », soit à la suite
d’une demande d’aide adressée par un élève à un de ses camarades qu’il jugeait plus
compétent. L’exemple suivant, extrait de l’analyse de la séquence de saut en longueur de la
première séance, illustre cette forme d’interaction. Il concerne une interaction entre, d’un
côté, Esteban et Pierre, et de l’autre Marjolène et Donatienne, après que cette Marjolène ait
sollicité un conseil de la part des premiers concernant l’organisation de sa course d’élan :
Marjolène (s’adressant aux autres élèves situés dans la zone d'élan) : comment
vous faites pour pas mordre ? Moi obligé je...
Esteban : c'est parce toi tu cours trop vite avant ! T'as pas le temps de le voir
venir ! (…)
Marjolène : oui c’est clair !
Pierre : tu cours doucement au début et t’accélères à la fin !
Marjolène : ah oui !
Esteban (3’ plus tard) : en fait, ce qu'il faut c'est commencer à accélérer à la
ligne blanche là, c'est sûr (désigne du doigt une ligne sur la piste) Tu cours doucement
au début et t’accélères à la fin
Marjolène : ouais
Au cours des essais suivants, Marjolène et Donatienne ont manifestement cherché à
suivre les conseils prodigués par Esteban et Pierre, en débutant leur course lentement, pour
l’accélérer dans les derniers mètres avant la planche d’appel. Lors de l’autoconfrontation,
elles ont respectivement confirmé que cette intervention les avait aidées à étalonner plus
efficacement leurs courses d’élan (Marjolène : « ben en fait y'avait une ligne blanche un petit
peu avant heu... la ligne qui faut pas dépasser là, et que c'était à partir de cette ligne-là qu'il
fallait accélérer… » ; Donatienne : « parce que nous ils nous voyaient [Esteban et Pierre], ils
nous voyaient partir vite dès le début donc... ils nous ont dit... (…) ben partir d'abord
doucement et... à partir de la ligne blanche comme elle disait [Marjolène] et ben accélérer un
grand coup pour la ligne (…) ouais ben moi ça a mieux marché » ; Marjolène : « oui moi
aussi »).
La deuxième forme d’interaction émergeait sous deux variantes. Elle articulait, soit (a)
l’activité d’un élève dont la préoccupation était de solliciter une aide de la part d’un ou de
plusieurs autres élèves, sans que celui-ci ou ceux-ci ne s’engagent dans une démarche d’aide
(négligeant la sollicitation qui leur était adressée, et poursuivant des préoccupations
distinctes) ; soit (b) l’activité d’un élève dont la préoccupation était de proposer spontanément
une aide à un autre élève sans que celui-ci ne la prenne en compte en tant que telle. Dans les
deux cas, cette forme d’interaction était marquée par le caractère « unidirectionnel » de l’offre
ou de la demande d’aide. Par exemple, au cours de la séquence de lancer du disque de la
première séance, Donatienne, qui était sur le point de lancer, se retourna vers Marjolène, en
attente de lancer derrière elle :
Donatienne : mais quand tu le lâches, tu fais comment avec ta main ?
Marjolène : je le lâche pas ! (rires)
Donatienne : ah ah, tu le lâches pas ! (rires)
Marjolène : tu le lâches pas ! (rires)
La réponse de Marjolène sur le mode de la dérision a clôturé cette interaction sans
satisfaire les attentes d’aide de la part de Donatienne.
La troisième forme d’interaction articulait l’activité d’élèves dont les préoccupations
étaient de rechercher conjointement une solution à un « problème d’apprentissage »
particulier. Elle peut-être conçue comme une co-élaboration de solutions visant à aider chacun
des protagonistes à s’adapter à la tâche d’apprentissage. Celle-ci est illustrée par l’interaction
suivante, survenue entre Donatienne et Marjolène au cours de la première séance, concernant
l’organisation de la course d’élan en saut en longueur :
Donatienne : (attendant de s'élancer pour sauter) mais je vais trop mordre moi,
j'arrive pas à calculer mes pas pour la ligne…
Marjolène : ouais mais à mon avis il va falloir faire un plus petit pas, le
dernier, ou un grand pour... je sais pas...
Donatienne : ouais mais ça... ah non pas un grand !
Marjolène : ben si t'es trop loin tu vas pas faire deux petits pas, tu fais un
grand pas non ? non j'sais pas...
Donatienne : ouais mais si tu fais un grand pas après ça va te ralentir…
La quatrième forme d’interaction articulait l’activité d’élèves conjointement engagés
dans la co-construction d’interprétations à propos de leurs essais respectifs. Cette coconstruction s’appuyait en particulier sur la « mise en visibilité » et le partage mutuel de
jugements, perceptions ou interprétations relatives à leurs propres performances (ou de celles
des autres élèves observés), et/ou à leurs difficultés ou interrogations faisant suite à leurs
essais pratiques. Une interaction de ce type est illustrée par l’exemple suivant, entre Esteban
et Pierre, à la suite de leur premier essai respectif en saut en longueur :
Pierre : j'ai pris trop d'élan... sinon j'aurais pas mordu...
Esteban : moi moi j'en ai fait un, j'arrive bien à atterrir comme il faut
Pierre : c'est pas marrant moi je...
Esteban : en fait c'est tu lances tes jambes vers l'avant et après tu (mime le
geste) au début t'avait fait le même que moi sinon... sauf que t'arrive pas à bien
t'équilibrer
Pierre : ouais moi j'ai atterri comme ça là (montre)... j'ai atterri comme ça,
enfin j'ai posé mon pied en arrière et je suis retombé comme ça (mime une chute sur le
dos)
Esteban : ouais en fait t'as à moitié sauté vers l'avant et après t'as... (mime le
déséquilibre arrière en riant).
La cinquième forme d’interaction prenait la forme d’un conflit d’interprétation
explicite. Elle se caractérisait par l’articulation des activités de deux élèves ayant chacun pour
préoccupation de convaincre l’autre du bien-fondé de son interprétation ou de la solution qu’il
a élaborée afin de répondre à un problème d’apprentissage particulier. L’exemple d’un tel
conflit d’interprétation est fourni par une interaction entre Esteban et Pierre lors de la
séquence de lancer du disque de la première séance, à propos du « bon sens de rotation » du
disque lors du lancer, dont un extrait est présenté ci-dessous :
Professeur : dans quel sens il tourne ton disque ? Dans le sens des aiguilles
d'une montre ou dans le sens inverse ?
Esteban : inverse
Pierre : dans le sens des aiguilles d'une montre il tourne !
Esteban : non inverse ! (…) là là… ouais je donne un coup pour qu'il tourne
comme ça (fait un mouvement dans le sens inverse aux aiguilles d'une montre)
Pierre : faut pas ! Faut pas… il tourne comme ça (montre à Esteban une
rotation dans le sens des aiguilles d'une montre)
Esteban : mais non il l'a dit l'autre fois que c'était sens inverse !
Pierre : comme ça là (fait à nouveau tourner un disque en le lançant et le
rattrapant devant lui, dans le sens des aiguilles d’une montre)
Esteban : mais non, justement non !
Pierre : mais si ! Il faut pas rabattre comme ça (montre une rotation du bras
avec un enroulé de la main dans le sens inverse aux aiguilles d'une montre) (…) tu
pars comme ça, comme j'ai fait... tu pars comme ça, hop et t'as le truc qui part comme
ça (démontre le mouvement du bras et du disque)
Esteban : ouais mais là c'est le prof il... (…) ben il nous avait dit le sens
inverse l'autre fois !
Pierre : bon... mais j'ai préféré mon lancer au tien hein ! (Pierre était l’élève
qui avait établi à ce moment la meilleure performance du groupe).
Trois aspects de la dynamique de ces interactions apparaissent particulièrement
remarquables. Le premier concerne la variabilité de leur nombre d’occurrences et de leur
fréquence en relation avec certains éléments de la situation, pesant comme contraintes sur les
interactions entre élèves : (a) les ateliers correspondant aux trois spécialités athlétiques (les
interactions entre élèves « centrées sur l’apprentissage » étaient, par exemple, plus
nombreuses dans les ateliers de lancer du disque en comparaison de l’activité des élèves dans
les autres ateliers ; (b) la fréquence des interventions de guidage des apprentissages au sein du
groupe par l’enseignant ; (c) la nature du « problème » d’apprentissage posé (e.g., trouver le
« bon sens de rotation » du disque par rapport au bras pour lancer efficacement).
Le deuxième concerne la variabilité de la composition des dyades (ou petits groupes
d’élèves) au sein desquelles émergent ces différentes formes d’interactions au cours du cycle
d’EPS : nos résultats font apparaître que si certaines dyades (mettant notamment en jeu des
relations amicales privilégiées entre les élèves) manifestent des interactions récurrentes au
cours du cycle, d’autres sont plus temporaires, reflétant une variabilité de la participation de
chaque élève aux activités du groupe.
La troisième concerne enfin les variations de « statut » des élèves dans leurs
interactions, notamment dans les interactions de « tutelle » spontanées (statuts de tuteur vs
tutoré). Ceux-ci pouvaient passer de situations « d’aide » à des situations « d’être aidé(e) »
(ou de « demandeur d’aide »), dans le cadre d’interactions dissymétriques « temporaires », en
relation avec le développement de leur activité (e.g., l’acquisition de nouvelles
connaissances), la nature des objets de l’interaction (e.g., faire tourner le disque dans le « bon
sens » au lancer le disque ; étalonner sa course d’élan en saut en longueur), et l’histoire
particulière des relations entre les élèves (e.g., relations amicales, participation commune à
des activités extrascolaires, etc.).
Dynamique collective d’apprentissage et efficacité de
l’enseignement
Ces résultats sont de nature à interroger la question de l’efficacité des situations
d’enseignement-apprentissage sous un angle original. En effet, l’analyse de l’activité
collective des élèves révèle, parmi l’ensemble des interactions sociales entre les élèves
pendant le cycle (toutes ne s’organisant pas autour de préoccupations d’apprentissage),
l’émergence de multiples formes d’interactions coopératives spontanées, orientées par des
préoccupations d’apprentissage des protagonistes.
Le nombre et la variété de ces interactions semblent dépendre de la structure des
dispositifs d’apprentissage prescrits par les enseignants : l’organisation spatiale des ateliers
(fournissant des occasions plus ou moins riches de co-observation et de communication entre
les élèves), la nature des « problèmes d’apprentissage » posés (habiletés athlétiques plus ou
moins propices à des activités réflexives collectives), la stabilité de la composition des
groupes d’apprentissage tout au long du cycle (offrant la possibilité à chacun de construire
progressivement des connaissances plus fiables à l’égard des « ressources distribuées » dans
le groupe), l’hétérogénéité de la composition des groupes (en termes de niveau et de genre), la
définition d’un objectif d’équipe (préparer une épreuve de triathlon athlétique inter-groupes),
contribuent vraisemblablement à créer des configurations d’activités collectives porteuses de
« potentialités » plus ou moins riches pour les apprentissages des élèves.
Cependant, ces dispositifs ne prescrivent, en tant que tels, ni les activités
d’exploitation par chaque élève des ressources distribuées au sein du groupe, ni les
interactions coopératives dans les activités d’apprentissage. Celles-ci se développent de
manière relativement autonome et indéterminée, dans l’histoire d’une appropriation
individuelle et collective des dispositifs, en révélant – tout en contribuant à le créer – leur
« potentiel de ressources pour apprendre ».
En nous appuyant sur cette analyse, nous avançons l’idée qu’une des conditions
permettant d’accroître l’efficacité de leur enseignement pourrait être, pour les enseignants,
d’exploiter ces formes spontanées d’activités coopératives entre les élèves et la connaissance
des conditions privilégiées d’émergence de ces activités, comme des « ressources »
susceptibles de leur permettre de concevoir de réelles « situations d’aide à l’apprentissage »
de leurs élèves. Cette idée rejoint partiellement les présupposés sous-jacents aux multiples
procédures d’apprentissage coopératif, ou d’apprentissages « entre pairs », ou encore
« assistés par les pairs », conçues pour offrir des conditions sociales d’acquisition favorables
aux apprentissages scolaires. Elle s’en distingue cependant du point de vue des modalités de
prescription des tâches coopératives, ainsi que de la définition des statuts (e.g., expert vs
novice) caractérisant les élèves, ou des rôles sociaux (e.g., tuteur vs tutoré) devant être
assumés par ceux-ci. Certes, il a été montré, dans le cadre de dispositifs quasi-expérimentaux
(et plus récemment dans des conditions de classe entière), que les élèves assumant les rôles
prescrits de tuteurs et de tutorés, tiraient mutuellement des bénéfices en termes
d’apprentissage, des situations en dyades dissymétriques ou de « tutorat réciproque entre
pairs » (e.g., d’Arripe-Longueville, 2006 ; Ensergueix, Lafont, & Cicero, 2006 ; Legrain,
d’Arripe-Longueville, & Gernigon, 2003). Ces travaux apportent une contribution essentielle
à la compréhension des conditions d’efficacité de l’enseignement. Ils sont par ailleurs
étroitement articulés à des recherches d’ingénierie pédagogique particulièrement stimulantes.
Pourtant, deux arguments essentiels nous incitent à proposer une approche différente de la
façon de mettre les interactions sociales entre élèves et les dynamiques d’activités collectives
« au service » des apprentissages.
Le premier argument est d’ordre empirique. Notre étude montre que les élèves mettent
spontanément en jeu des modalités d’interactions dont les formes peuvent s’apparenter à
celles qui sont décrites en termes d’imitation-modélisation (Lafont, 2002), de co-élaboration
et de conflit socio-cognitif (Doise et Mugny, 1981), ou encore de relation de tutelle (d’ArripeLongueville, 2006), etc. Cependant, elle révèle aussi la variabilité de ces interactions : les
« statuts » relatifs des élèves (experts vs novices) ainsi que les « rôles sociaux » (tuteur vs
tutorés) qu’ils assument dans le cadre de ces interactions, varient au sein des différents
réseaux d’interactions dans lesquels les élèves s’engagent, et ils varient également en fonction
du développement de l’activité de chaque élève du groupe. Ils sont ainsi en perpétuelle
redéfinition, ce qui autorise le développement de trajectoires de participation et
d’apprentissage singulières. L’efficacité du dispositif résiderait ici non pas dans la pertinence
de rôles sociaux soigneusement prescrits, mais dans la quantité et la variété des opportunités
d’interactions relatives aux objets d’apprentissage, offertes aux élèves dans l’histoire de leur
activité collective commune.
Le deuxième argument est d’ordre théorique. La promotion « d’apprentissages
coopératifs » adossée à un postulat d’autonomie des acteurs (et des collectifs) suppose à nos
yeux une vision « proscriptive » plutôt que « prescriptive » des conditions de la coopération
entre les élèves pour apprendre, c’est-à-dire, visant à concevoir des situations délimitant des
« espaces de possibles » propices au développement d’interactions favorables aux
apprentissages, sans que celles-ci ne soient étroitement prédéfinies.
Une telle conception ne prétend pas qu’il suffirait pour l’enseignant de « faire
travailler les élèves en groupes » pour faire émerger – en raison des propriétés d’autoorganisation de ces groupes – des formes efficaces de travail. Elle suppose au contraire le
développement chez les enseignants de capacités à identifier, orienter, guider, encourager,
voire instrumenter par la mise à disposition des élèves d’outils médiateurs, des formes subtiles
d’activités coopératives dans le cadre d’apprentissages collectifs, tout en reconnaissant leur
relative indétermination et leur contingence.
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L’efficacité de l’enseignant dans le maintien d’une
activité collective d’étude dans une classe Ambition
réussite : le cas de leçons d’EPS
Nathalie Gal-Petitfaux
Laboratoire PAEDI, Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand
Introduction
En 1981, l’objectif officiel de la politique des zones d’éducation prioritaires (ZEP) en
France est "la lutte contre l’échec scolaire et les inégalités sociales devant l’école", "la
démocratisation de la formation scolaire" (circulaire du 01/07/1981). En 1990, le texte de la
première "relance " des ZEP rappelle qu’il s’agit de "promouvoir la réussite de tous les élèves
et particulièrement dans les zones défavorisées" (circulaire du 01/02/1990). En 2006, une
nouvelle « ambition réussite » est affirmée par un troisième plan de relance de l’Education
prioritaire, consistant à doter les établissements les plus en difficulté de moyens
supplémentaires au service d’une meilleure efficacité pédagogique. Depuis la rentrée 2006,
256 réseaux « Ambition réussite », rassemblant chacun un collège et des écoles primaires,
bénéficient de moyens renforcés : mille professeurs expérimentés référents, et trois mille
assistants pédagogiques pour accompagner les enseignants dans leur travail. Ces
établissements scolaires classés "Réseau Ambition Réussite" (RAR) sont répertoriés sur une
liste arrêtée par le ministre, à partir de critères nationaux : plus de deux tiers de catégories
socio-professionnelles défavorisées, résultats de 20 points inférieurs à la moyenne aux
évaluations à l’entrée en sixième, retards scolaires supérieurs à deux ans à l’entrée au collège,
nombre de parents bénéficiaires du RMI, nombre d’enfants ayant des parents non
francophones.
Ce descriptif atteste d’une volonté politique de renforcer les dispositifs structurels
pour améliorer l’efficacité pédagogique dans ces établissements et, par voie de conséquence,
favoriser la réussite des élèves. Des recherches ont d’ailleurs permis de caractériser le profil
d’efficacité de ces établissements ZEP fabriquant de la « réussite scolaire ». Toutefois, si les
facteurs structurels de l’efficacité, ainsi que des indicateurs de l’efficacité pédagogique au
sein de l’école ou du collège, sont clairement identifiés, les indicateurs pouvant caractériser
l’efficacité de l’intervention en classe de ces « maîtres réussissants » restent insuffisamment
développés, manquent de précision (Chauveau, 2000) ou de diffusion publique (e.g., Colloque
Quelles évolutions de la professionnalité enseignante en Education prioritaire et dans les
réseaux Ambition réussite ?, mars 2008). L’objectif de ce colloque récent était justement de
faire le point sur l’état des recherches sur le travail enseignant en RAR, dans la classe et en
dehors de la classe, afin d’étayer la formation des enseignants confrontés à ces milieux
difficiles. Les débats scientifiques étaient fédérés autour de deux questions centrales :
Comment former et accompagner les enseignants pour a) qu’ils travaillent avec d’autres
professionnels (enseignants ou pas) dans la classe, dans l’établissement, dans le réseau et b)
pour qu’ils accompagnent eux-mêmes les élèves dans l’acquisition des savoirs ? Ces
questions montrent que la gestion de la classe, c’est-à-dire le maintien au travail du collectifclasse avec un accompagnement des apprentissages, est une difficulté réelle du travail
enseignant, nécessitant même de recourir à des solutions de co-intervention.
L’étude empirique présentée s’inscrit dans ces questions. Elle étudie l’activité en
classe d’enseignants d’Education physique et sportive (EPS) expérimentés exerçant dans les
milieux difficiles de l’éducation prioritaire, en RAR, avec des élèves a priori non enclins à
s’engager durablement dans une activité d’étude. Elle cherche à identifier les modalités
d’intervention par lesquelles ils réussissent seuls, à rendre viable une activité collective de
travail dans la classe, condition d’un accompagnement possible et efficace des apprentissages
individuels.
L’efficacité d’une école ZEP ou celle du travail
enseignant ? Un conflit de critères
Grâce aux recherches et aux études statistiques, une série importante de données
permettent de mieux apprécier l’ampleur de la réussite dans les établissements relevant de
l’Education prioritaire. Une étude comparative entre collèges populaires " performants " (en
français et mathématiques) et collèges " peu performants " avait déjà permis de dégager un
profil de collège efficace dans les quartiers de type ZEP : " Une taille plutôt modeste, un style
de vie scolaire plutôt convivial, une bonne discipline et un bon climat, des exigences fermes,
une forte exposition à l’apprentissage, des dispositifs de soutien importants, des pratiques
pédagogiques innovantes et une direction attentive à la cohérence de ces pratiques " (Grisay,
1990). Une autre recherche a mis en évidence un même profil d’efficacité, en français et en
mathématiques, pour les écoles élémentaires ZEP qui " fabriquent de la réussite " (Chauveau,
2001 ; Chauveau et Rogovas-Chauveau, 1995). Les résultats des études relatives à l’efficacité
pédagogique ont, elles, permis de mettre en évidence plusieurs indicateurs permettant de
dresser un portrait-robot approximatif des maîtres efficaces en ZEP (Chauveau, 2000) : ceuxci ont des attentes positives à l’égard des élèves ; des exigences fermes ; un style pédagogique
à la fois rigoureux et souple ; ils se centrent sur les savoirs et ils consacrent leur temps aux
apprentissages scolaires ; ils accordent une large place à la participation des élèves, et à un "
bon climat " ; ils expriment des attentes plutôt positives à l'égard des élèves. D’autres études
se centrant sur l’organisation sociale et pédagogique de l’établissement montrent que la
réussite des élèves est liée aussi aux facteurs suivants : un bon climat mais avec une discipline
" souple ", un enseignement " innovant ", une " ouverture " sur l’extérieur, l’ancienneté des
maîtres, la présence d’un directeur " moteur " ou d’intervenants " supplémentaires ", une
stabilité et solidarité des maîtres (Chauveau et Rogovas-Chauveau, 1995 ; Van zanten, 1997).
Enfin, des études se centrant directement sur les performances indiquent qu’une ZEP sur trois
environ a obtenu une amélioration sensible des résultats scolaires tandis que dans d’autres – la
moitié – aucune progression n’est visible.
Cette variabilité des résultats inter-établissements met en évidence la difficulté
conceptuelle de définir précisément ce qu’est l’efficacité en ZEP (Chauveau, 2000). Cinq
arguments sont avancés par la littérature pour expliquer cette complexité et la difficulté à
pouvoir généraliser les résultats de ces " écoles de la réussite ". Premièrement, les caractères
communs à ces écoles ZEP efficaces doivent être pensés comme un tout (Grisay, 1990) : ces
facteurs, considérés isolément, ne peuvent pas être en soi des facteurs d’efficacité
pédagogique ; ce qui compte, c’est l’association de plusieurs d’entre eux. Deuxièmement, les
études ne permettent pas toujours de distinguer parmi les facteurs d’efficacité, ceux qui
relèvent de conditions favorisant l’efficacité pédagogique, de ceux qui relèvent des effets du
fonctionnement pédagogique, e.g., le " bon climat " (Chauveau, 2000). Troisièmement, le
profil d’efficacité des ZEP qui a été identifié, a porté jusqu’ici essentiellement sur le français
et les mathématiques (Van zanten, 1997). Quatrièmement, ces indicateurs de l’efficacité
pédagogique en milieu populaire sont insuffisants pour comprendre comment les enseignants
réussissent en classe avec leurs élèves. Selon Chauveau (2000), le processus interactif
d’enseignement/apprentissage ne se réduit pas à ces aspects structurels ou quantitatifs ; les
composantes qualitatives du fonctionnement pédagogique d’une classe en situation de réussite
sont, eux aussi, à repérer. Cinquièmement, la définition de l’efficacité en RAR devient
problématique selon qu’on la regarde dans ses dimensions objectives ou subjectives. Saujat
(2008) invite à prendre au sérieux cette dimension subjective du travail enseignant dans les
établissements difficiles, notamment le fait que l’enseignant : est placé dans une " charge
psychique " très lourde ; doit organiser et réorganiser le travail des élèves en fonction
d’imprévus continus dans la classe ; trouver les compromis entre " ce qu’on lui demande " et "
ce que ça lui demande " pour ne pas trop souffrir ; gérer les conflits de l’activité entre " faire
son travail " et " bien faire ". Dans ce cadre, faire du bon boulot repose sur une perception
subjective et devient de plus en plus controversé, générant des conflits de critères pour évaluer
ce qu’est l’efficacité dans le contexte spécifique Ambition réussite.
Les conditions de viabilité d’une classe au travail en réseau
ambition réussite
Une des particularités des élèves concernés par l’éducation prioritaire est qu’ils
répondent aux caractéristiques d’élèves difficiles et en difficulté scolaire. Cette double
difficulté se traduit par des comportements typiques, expliquant fortement la difficulté du
métier d’enseignant (Van zanten, 1997). Les études s’intéressant aux caractéristiques
saillantes du comportement scolaire des élèves ont signalé : un fort absentéisme, des
incivilités récurrentes (Amigues & Kherroubi, 2003) ; une forte tendance à décrocher des
tâches scolaires prescrites (Guérin & Pasco, 2006) ; un comportement paradoxal en classe,
tantôt perturbateur, tantôt passif voir apathique (Monfroy, 2002 ; Vors & Gal-Petitfaux, en
révision) ; des conduites individuelles fortement influencées par des groupes de pairs (GalPetitfaux & Vors, sous presse ; Millet & Thin, 2005 ).
D’autres études se sont intéressées plus particulièrement aux relations entre l’activité
de l’enseignant et celle des élèves (e.g., Kherroubi & Rochex, 2004). Elles montrent que
l’instauration d’une activité collective de travail durable dans la classe ne va pas de soi (Vors
& Gal-Petitfaux, en révision). Elle est une épreuve laborieuse pour l’enseignant, occasionnant
une dépense d’énergie importante, une fatigue et une usure provoquées par les problèmes de
discipline (Carraud, 2006). La fragilité de la situation collective s’explique notamment par les
contraintes contradictoires très fortes qui pèsent sur les enseignants et qui génèrent chez eux
des tensions permanentes. Ainsi, la gestion de la classe, l’instauration des conditions
collectives de travail, est l’une de ces épreuves difficiles : « faire tenir un certain nombre
d’élèves le temps voulu dans un lieu précis et dans des conditions de communication à peu
près acceptables n’est plus alors le point de départ de la situation scolaire mais un de ses
objectifs » (p. 39-40).
Les études précédentes soulignent l’importance des conditions permettant une viabilité
d’une activité collective scolaire. Plusieurs d’entre elles traitent des conditions de viabilité du
système enseignant-élèves dans la classe. Elles montrent qu’il est essentiel de parvenir à
instaurer et à stabiliser un format d’organisation des interactions enseignant/élèves et
élève/élève pour pouvoir structurer une activité collective de travail viable. Ces recherches
étudient les organisations scolaires en tant que configuration (Vincent, 1994), c’est-à-dire un
ensemble de relations d’interdépendance entre les individus qui prend une forme stable et qui
émerge de leurs relations. La cohérence d’une activité collective tient au fait que les acteurs se
trouvent engagés dans des formes typiques d’interaction, qui coordonnent et cadrent leurs
actions (Marchive, 2003 ; Veyrunes, Gal-Petitfaux et Durand, 2007). Ces études relatives à
des classes ZEP montrent notamment que l’instauration d’un cadre de l’action collective dans
la classe, c’est-à-dire une forme d’organisation stable des interactions dans la classe, joue un
rôle fondamental sur : l’instauration et le maintien d’un ordre relativement viable dans la
classe ; et sur les conditions de diffusion des savoirs, grâce à un code commun de
significations, la construction d’une expérience scolaire commune, condition de l’édification
d’une communauté scolaire. Toutes ces études s’intéressant aux formes scolaires des
interactions dans la classe ou dans l’école plus largement. Elles soulignent que tout
enseignement, ou apprentissage, est un construit collectif c’est-à-dire inséparable d’un
contexte collectif de travail. Ces formes scolaires sont des ressources pour que les élèves,
contraints de travailler avec d’autres, apprennent et se construisent comme élève et comme
personne. Etudier une activité collective consiste alors à identifier par quelle structure les
individus sont reliés, c’est-à-dire repérer le processus d’élaboration de formes d’interactions
sociales structurant l’activité collective en classe.
Cadre théorique et méthode
L’approche retenue est celle du cadre théorique et méthodologique du « cours
d’action » (Theureau, 2003, 2006), qui s’inspire notamment du courant de recherche
l’ « action/cognition située » et de ses fondements théoriques en anthropologie (Gal-Petitfaux
& Durand, 2001 ; Suchman, 1987). Ce cadre renvoie à trois postulats : (a) l’activité est située,
c'est-à-dire qu’elle est un accomplissement pratique indissociable du contexte dans lequel elle
prend forme, et doit être étudiée in situ ; (b) toute activité humaine est de nature
idiosyncratique : elle est vécue, au sens où elle est expérience et génératrice de sens pour
l’acteur ; et les interactions entre l’acteur et son environnement concernent, dans cet
environnement, ce qui est sélectionné par lui comme étant pertinent, à chaque instant, pour
son organisation personnelle ; (c) toute activité est à la fois individuelle et sociale parce que
l’individu est pris dans des interactions avec autrui et dans une culture. L’activité collective
est alors à étudiée selon ces deux angles individuel et social : d’une part, elle est regardée en
tant qu’expérience individuelle subjective ; d’autre part, elle est appréhendée en tant
qu’expérience individuelle-sociale, au sens où autrui appartient à la conscience préréflexive
de l’acteur (Theureau, 2006). Selon ces postulats, le cours d’action s’attache à décrire le
niveau de l’expérience qui est significatif pour l’acteur engagé activement dans un
environnement physique et social déterminé, c’est-à-dire montrable, racontable et
commentable par lui à tout instant de son déroulement (Theureau, 2006).
L’étude porte sur l’enseignement de la gymnastique par un professeur expérimenté
d’Éducation Physique : il intervient auprès d’une classe de 5e de 22 élèves jugés très difficiles
par l’équipe pédagogique, dans un collège Réseau ambition réussite, durant un cycle de 6
leçons. Pour chaque leçon, la classe est divisée en quatre ateliers de travail : « Voler » ;
« Franchir » ; « Se renverser » ; « Tourner ». Les ateliers sont installés sur toute la longueur
du gymnase, et les élèves disposent de fiches d’exercices à travailler à chaque atelier.
La méthode a consisté à rendre compte de l’expérience individuelle-sociale de
l’enseignant, c’est-à-dire de ses actions en classe et des significations qu’il attribuait à ses
propres actions et à celles des élèves. Quatre leçons de gymnastique ont été étudiées, selon
trois étapes. La première étape a procédé, à partir d’enregistrements audio-visuels, à une
description ethnographique (Coulon, 1988) des comportements en classe de l’enseignant : ses
gestes, postures, déplacements et communications verbales. La deuxième étape a recueilli les
significations de l’enseignant à propos de ses actions, grâce à des entretiens
d’autoconfrontation : il était invité à expliciter, pour une séquence donnée, ses intentions (ce
qu’il cherchait à faire à ce moment), ses interprétations (les connaissances et raisonnements
qu’il mobilisait pour interpréter la situation) et ses perceptions (ce qu’ils remarquaient chez
les élèves) (Theureau, 2006). La troisième étape a procédé à la mise en correspondance de ces
deux types de matériaux, afin de comprendre l’intervention de l’enseignant.
Résultats
Les résultats révèlent l’existence d’une configuration typique des interactions entre
l’enseignant et les élèves, attestant d’une efficacité de l’enseignant pour engager le collectif
d’élèves dans une activité de travail relativement durable au cours des leçons : malgré
certaines agitations, les élèves travaillent sans qu’une perturbation majeure vienne rompre la
dynamique de travail. Par des interactions typiques, l’enseignant réussit à coordonner in situ
ses actions et celles des élèves, et à créer les conditions d’obtention d’une activité collective
studieuse dans la classe. Trois modalités typiques d’intervention de l’enseignant caractérisent
ce format des interactions dans la classe : a) une centration sur les apprentissages, au moyen
de pratiques d’ostension ; b) une dissimulation de l’activité de surveillance pour laisser aux
élèves une marge d’action plus autonome ; c) une tolérance contextuelle aux transgressions
ludiques des élèves.
Traitement des déviances en classe par une centration sur les
apprentissages
Une des caractéristiques des interactions maître-élèves observées au cours des leçons
est la faible fréquence des interventions de l’enseignant visant à rétablir l’ordre dans la classe,
alors que les élèves sont enclins à être agités et indisciplinés. Les observations mettent en
évidence une configuration typique des interventions verbales de l’enseignant auprès des
élèves. Ce format des interactions repose sur deux traits saillants et récurrents dans le mode
d’adressage aux élèves. L’enseignant intervient souvent sur le travail à faire, plutôt que sur les
déviances et la gestion de l’ordre. Son intention est alors de montrer aux élèves qu’en
travaillant et en écoutant ses conseils, ils progressent ; et que ce progrès vécu va les inciter à
s’engager davantage dans le travail demandé. Cette invitation au travail, explicite pour les
élèves, correspond finalement à un mode détourné de traitement des déviances dans la classe
qui, lui, reste masqué et implicite pour les élèves.
L’analyse des communications de l’enseignant en classe montre que, malgré la
présence continue d’agitations de certains élèves dans les ateliers, l’enseignant se focalise et
intervient sur les élèves qui travaillent. Bien qu’il remarque de façon récurrente des
comportements déviants chez des élèves cherchant la plaisanterie ou se donnant en spectacle
par des acrobaties gymniques non-conformes, ses interventions ne consistent pas à relever ou
faire observer publiquement par les élèves, ces écarts de conduite : paradoxalement, le
contenu de ses communications ne porte pas systématiquement sur une interdiction, une
sanction ou un avertissement, sauf dans des cas extrêmes de déviances, mais vise au contraire
à indiquer aux élèves une préoccupation tournée vers ce qu’il y à travailler. L’exemple, qui
suit, vise à illustrer cette modalité typique dans l’intervention de l’enseignant, celle d’un
contournement des déviances en classe par une centration des élèves sur les savoirs à acquérir.
Actions et communications de
Verbatim de l’entretien entre l’enseignant (EG) et le
l’enseignant (EG) en classe
chercheur (CH)
A la 28e min. de la leçon 2, EG est à
l’atelier « Se renverser ».
-
Anthony
CH : Anthony, il t’appelle pour faire un saut type catch, mais
tu le regardes pas ?
l’interpelle : Regardez,
EG : Oui je fais exprès, car ces élèves, ils cherchent toujours à
M’sieur ! Vous connaissez le catch ? Regardez
faire les intéressants, donc je ne les regarde pas pour leur montrer que
une prise de catch !
ça, ça ne m’intéresse pas (ce type de comportement). Je lui dis "ça ne
m’intéresse pas" ; c’est comme si je lui disais : “Moi ce qui m’intéresse
- EG détourne regard vers un élève
qui travaille à côté et dit : ça, ça ne m’intéresse
pas ! Puis il se met à conseiller l’autre élève
c’est le travail donc si tu veux que je m’occupe de toi, fait quelque chose
qui m’intéresse". Et comme ils aiment bien qu’on s’occupe d’eux, c’est
à lui de voir !
s’exerçant laborieusement au renversement
sur le plinth.
CH : Donc, tu le laisses gérer…
- EG le conseille tout en lui montrant
EG : Moi, j’interviens sur les contenus et pas sur
le geste et en l’aidant : pour faire un
l’organisationnel parce que c’est l’essentiel. Je me force à revenir sur
renversement, tu dois être droit comme un
les contenus parce que les élèves ça les intéresse. Ils disent "ah ben oui,
bâton, sinon ça ne marche pas.
je savais pas le faire et j’ai écouté le professeur et maintenant ça va
mieux". Donc quelque part, ils progressent et derrière j’ai moins de
- Juste après, Anthony, après avoir
exécuté son saut de catch sur le tapis voisin, se
met à faire un des exercices prescrit par
l’enseignant ; il reprend ses tours de passage
dans
l’atelier
successifs.
et
enchaîne
trois
essais
problème de comportement parce qu’ils sont intéressés. (…) C’est dans
l’intérêt général, s’ils ne progressent pas, je sens très vite que ça va
devenir très pénible après dans la classe.
Cet épisode de classe montre que la focalisation de l’enseignant sur les savoirs est une
condition de l’engagement collectif des élèves au travail. L’enseignant crée efficacement, par
ce type d’intervention, une dynamique d’activité collective en lien avec le travail prescrit.
Mise en visibilité publique des acquisitions attendues au service
d’une communauté d’apprentissage
Nous venons de montrer que les interventions de l’enseignant étaient structurées par
une forme typique d’interaction avec ses élèves consistant à traiter les déviances en classe par
une centration des élèves sur les acquisitions attendues. Un deuxième trait typique du format
de ses interventions est leur caractère ostensible, lui permettant là encore de neutraliser
certaines activités déviantes et de construire une activité collective d’étude dans la classe. Par
la mise en visibilité publique de corrections et de conseils individualisés pour apprendre, il les
rend publiques et les met à disposition de tous. Il parvient ainsi à concerner les élèves sur le
travail et à leur montrer qu’ils ont tous son soutien pour apprendre. Il réussit à construire
progressivement une dynamique collective de travail dans les ateliers, et de proche en proche
dans la classe, en raccrochant pas à pas les élèves décrocheurs.
Actions et communications de l’enseignant (EG) en
Verbatim de l’entretien entre l’enseignant
classe
A la 45e min. de la leçon 5, après avoir aidé une élève
pour le renversement en appui manuel, EG quitte brusquement
(EG) et le chercheur (CH)
CH : C’est curieux, là, on dirait que tu pars
brutalement, l y a avait quelque chose de particulier ?
l’atelier et se diriger vers l’atelier « Tourner ». En arrivant, il
interpelle tout fort les élèves et les questionne. En même temps
qu’il leur parle, il pose délicatement sa main sur l’épaule de
l’un d’eux (Tony) pour l’inviter à faire l’exercice.
- EG : Alors, ici, qu’est-ce qui s’est passé ?... Est-ce
que vous avez réussi ce qui était demandé ?
- EG (à Tony) : Tony, approche-toi !
EG : Là, oui, je sentais que ça tournait plus à
côté… j’avais vu que les garçons se chahutaient depuis
un petit moment et je ne les voyais plus passer…
CH : Mais tu leur dis rien quand tu arrive
vers eux ?
EG : Non, c’est vrai, je n’ai pas besoin de
leur dire que c’est pas bien ce qu’ils font (…) pour
- EG (regard orienté vers les autres élèves, doigt tendu
moi, c’est pas la peine de faire preuve d’autorité si tu
dirigé vers Tony qui est déjà prêt en position accroupie sur le
peux l’éviter… En plus si tu veux vraiment les rappeler
plinth) : Attention, on se place bien au départ, vous vous
à l’ordre à chaque fois,et ben t’as pas fini ! (…) Moi,
rappelez à quoi on doit faire attention ?
ce que je veux, c’est qu’il voit que ce qui m’intéresse
c’est leur travail, au moins qu’ils me montrent qu’ils
- Julie répond (inaudible)
- EG (pointe son doigt en direction de Julie tout en
essaient de travailler ; et ça je le souligne.
CH : Je le souligne, ça veut dire quoi ?
regardant les autres élèves, et valide tout fort sa réponse : oui,
d’accord pour tout le monde ? menton poitrine… pour bien
EG : Ben, que j’insiste dessus…
protéger sa nuque.
CH : C’est pour ça que tu montres à chaque
- EG : Tony, à toi !
- EG pointe son doigt, bras tendu, vers Tony qui
fois avec le doigt, quand il y a quelque chose de bien ?
EG : Euh, oui peut-être avec le doigt, en tous
rentre la tête et s’élance pour la roulade en contre-bas. A voix
cas je les focalise sur le travail que j’ai demandé et je
haute et très fort, il valide positivement la prestation de Tony,
leur dis si c’est OK ou pas
tout en maintenant le doigt pointé vers lui et en s’adressant aux
autres. : Regardez ! C’est bien ça ! Hein, ça c’est pas mal ça !
CH : et tu leur dis à un ou à tous, parce
qu’on a l’impression que tu parles souvent à
Oui ?
l’ensemble
- EG invite une autre élève qui se place rapidement en
position pour passer. Alors qu’elle enroule sa tête et s’élance,
EG attire le regard des autres élèves vers elle tout en la pointant
du doigt, bras tendu. Il s’exclame tout fort : Ouais ! voilà, c’est
EG : Ah oui, ça c’est important si tu veux
que ça reprennes (le travail), là le centre d’intérêt
c’est plus tout à fait moi en fin de compte, je peux faire
partie des spectateurs, faire partie du rond, mais je suis
ça !
plus au centre là, je regarde avec tout le monde, c’est
- Une autre élève s’avance ensuite passer. Pendant
qu’elle s’élance, EG s’exclame tout fort en regardant les autres
pas sur moi qu’ils doivent être attentifs, c’est sur ce qui
ce passe et ce qu’ils ont à faire ensemble.
élèves : Oui, c’est pas mal ça, hein ? C’est bien ce qu’elle fait
là !
- Les élèves de l’atelier se mettent ensuite à défiler les
uns après les autres pour passer. EG reste à proximité pendant
une vingtaine de secondes et dit : C’est parfait, mentonpoitrine, on y pense à chaque fois !. Puis, il quitte l’atelier.
Cet épisode de classe montre que l’enseignant double sa focalisation sur les savoirs
par une mise en visibilité publique de ce qu’il y a à apprendre, lui permettant ainsi de
raccrocher (ou maintenir) plus efficacement au travail les élèves qui s’en détournent
ponctuellement. Il recourt à des pratiques ostensives : il use alors simultanément des registres
de la gestualité et de l’oralité, pour contraindre une bifurcation de l’attention dispersée de
certains élèves et concentrer l’attention collective sur le travail . Par exemple dans l’extrait
précédent, il pointe fermement et ostensiblement le doigt tendu dans la direction de élève pour
indiquer, et montrer à tous, le point positif à considérer ; par une dissociation du geste bras
tendu (pointant un aspect qualitatif de la prestation d’un élève) et de son regard (dirigé vers le
reste du groupe), il rend public pour tous les savoirs à acquérir ; par l’usage d’un ton fort,
audible par des élèves relativement éloigné de lui, il attire l’attention collective sur ses
propos ; enfin, par l’emploi récurrent du « on » impersonnel, du « vous » ou de « tout le
monde », il commet un acte directif dirigé vers le collectif, lui permettant de ré-évoquer les
acquisitions attendues pour tous. Ces actes ostensifs, dirigés sur ce qu’il y a à apprendre,
servent de ciment à l’instauration d’une activité collective studieuse et une communauté
d’apprentissage dans chaque atelier, et par extension, dans la classe. L’enseignant construit en
permanence l’attention collective des élèves sur ce qu’il y a à apprendre, grâce à : une mise en
visibilité spatiale, corporelle et orale, de ce que les élèves doivent savoir ; une association
systématique entre une consigne d’apprentissage et une action corporelle particulière (geste,
accentuation tonale, position spatiale, direction du regard) pour impliquer les élèves ; une
instruction collective, conduite simultanément pendant des interventions individualisées. De
ce mode typique d’adressage mixte (individuel-collectif et oral-gestuel), émerge un format
particulier d’interaction, au service d’une activité collective dans la classe.
Masquage du contrôle des déviances comme facteur d’adhésion
collective au travail
Les différents ateliers gymniques sont répartis dans un gymnase de grande dimension.
Leur espacement impose à l’enseignant une surveillance continue de l’ensemble de la classe.
Cette activité de contrôle reste le plus souvent masquée aux yeux des élèves, afin de ne pas
leur donner l’impression qu’il exerce un « flicage » en épiant leurs moindres faits et gestes. Il
prend alors une position reculée en se mettant à l’écart des ateliers pour observer : il veille
d’abord à ce que les élèves travaillent bien à leur atelier respectif, qu’ils ne circulent pas entre
les groupes ; il observe que les élèves ont bien compris le travail à faire. A d’autres moments
il « entre » de façon impromptue dans les ateliers pour créer une proximité spatiale avec les
élèves les plus indisciplinés, ou ceux qui se mettent en retrait pour ne plus travailler, ou
encore pour aider ceux qui travaillent mais qui sont en difficulté. Il veille volontairement à ne
pas rendre publique aux élèves son intention d’avertissement ou de sanction ; au contraire,
lorsqu’il sent que la situation est relativement contrôlable, il cherche à donner l’impression
qu’il relâche la pression de la supervision, même si ce n’est qu’un illusion. Il sait que l’excès
de réprimande est vécu par eux comme une agression personnalisée à laquelle ils répondent
par l’agressivité.
Actions et
Verbatim de l’entretien entre l’enseignant (EG) et le chercheur (CH)
communications de l’enseignant
(EG) en classe
A la 47e min. de la
CH : On te voit souvent circuler, tu vas à un atelier, tu t’arrêtes, tu repars…
leçon 4, EG s’est positionné en
retrait par rapport aux ateliers.
Il regarde travailler les élèves de
loin. Puis, il se rapproche d’un
atelier en circulant autour, sans
intervenir verbalement. A la 57e
min., il circule à nouveau dans
EG : Ben là, je me place par rapport aux élèves ; déjà systématiquement,
j’évite de les avoir trop souvent dans le dos car ces élèves, ils en profitent. Donc je me
place souvent là, à l’extérieur, c’est-à-dire pas trop collé à l’agrès sinon je ne vois plus
rien… Ce que je veux moi, c’est pouvoir observer l’ensemble…. Mais des fois aussi, je
me mets en retrait pour me faire oublier, car s’ils sentent que tu es tout le temps à les
fliquer, ils se mettent à l’écart et c’est fini.
le gymnase pour visiter deux
CH : C’est fini, ça veut dire quoi ?
ateliers
contigus ;
puis
s’arrête auprès d’un groupe.
il
EG : ça veut dire qu’avec ce public, si tu étais hyper rigide là-dessus (en
empêchant toutes autres activités), tu te postes là… devant eux.. et que tu les surveilles,
ils vont faire un passage, deux passages, puis ils vont te dire "ah, M’sieur, c'est
barbant, je veux plus rien faire". (…) Alors il faut arriver à les surveiller sans les
surveiller directement en fait… c’est-à-dire sans trop le faire voir
Cet épisode de classe montre que l’enseignant, dès qu’il le peut, évite d’affronter
directement les écarts de conduite des élèves : plutôt que d’intervenir directement et
publiquement par des rappels à l’ordre pour contrer à chaque instant ces écarts, il les laisse
s’exprimer dans une limite contrôlée pour permettre que ces déviances légères s’autorégulent
d’elles-mêmes. Tant que les élèves ne transgressent pas de façon exagérée et durable les
règles du travail, il intervient alors de façon détournée en masquant sa surveillance : en
laissant croire qu’il ne les voit pas ; par une occupation habile de l’espace et une orientation
stratégique de son corps. Cette activité de surveillance, diffuse et secrète, lui permet d’éviter
des conflits en évitant de braquer les élèves qui se sentiraient persécutés ; et elle participe à la
construction d’une activité collective de travail dans la classe.
Tolérance aux transgressions ludiques, source d’engagement des
élèves et de confort d’enseignement
Une des caractéristiques des leçons d’EPS observées est que les élèves y produisent de
manière récurrente des actions déviantes, mais qui restent très fugaces et imbriquées dans leur
activité de travail. La plupart sont des actions sociales de jeu. La tolérance de l’enseignant à
certaines de ces activités favorise l’engagement collectif des élèves dans le travail et devient
paradoxalement, dans certaines limites, une condition de leurs apprentissages. Pour lui, cette
marge de liberté d’action, même déviante, laissée aux élèves est une condition pour que par la
suite, ceux-ci s’engagent dans l’exercice prescrit et maintiennent leur adhésion sans se
« mettre à l’écart ».
Actions et
Verbatim de l’entretien entre l’enseignant (EG) et le chercheur (CH)
communications de l’enseignant
(EG) en classe
À la 27e min. de la
CH : Là, tu les regards, donc tu as vu qu’ils s’amusaient ; et tu laisses faire ?
leçon 3, un élève de l’atelier
« Tourner
»
réalise
EG : Oui, là oui… s’il n'y avait pas ces jeux, ces temps d’amusement et que
deux
roulades sur un plan incliné,
puis s’assoit sur le tapis. En
s’asseyant, il s’aperçoit que le
tapis se met à glisser. Très vite,
il improvise un concours de
glissades avec deux camarades
c'était « roulade, roulade ! », ça ne les intéresserait pas et ils se mettraient de côté.
Donc plutôt que de les voir ne rien faire, je préfère qu'il y ait une partie travail et une
partie jeu. Si je disais aucune activité parallèle, aucun travers, ils diraient : "oh, si
c'est ça, je fais rien" et tu les verrais vite décrocher (…) Tu ne ferais que ça, tu
passerais ton temps à réprimander ! pour moi, c’est pas concevable de travailler dans
ces conditions, t’es bien obligé de composer.
de son atelier. Après avoir tenté
CH : Et donc, pour toi, il vaut mieux les laisser chahuter ?
toute sorte de glissades, le
groupe retourne de lui-même au
travail
environ
une
minute
après avoir commencé à jouer.
De loin, EG les surveille du coin
de l’œil, tout en s’occupant
d’élèves à un autre atelier.
EG : Non, je ne dis pas qu’il faut encourager leurs jeux. Ce que je veux dire,
c’est que ces gosses… continuellement ils se taquinent, ils s’embêtent… ça peut
d’ailleurs vite dégénérer ; mais quand ça reste dans des proportions acceptables, et que
c’est pas méchant, je laisse faire (…) c’est aussi leur soupape de sécurité, tu vois là
Soufiane et son groupe, ils s’amusaient puis d’eux mêmes, ils se sont remis au
travail ».
Cet extrait montre que ces activités parallèles ne remettent pas en cause l’engagement
de la classe au travail, au contraire, elles l’entretiennent en lui permettant de se poursuivre.
Ces amusements ont lieu entre deux temps de travail et, pour l’enseignant, ils vont souvent
s’estomper d’eux-mêmes par lassitude des élèves. Cette tolérance de l’enseignant caractérise
un autre aspect typique de la forme des interactions qu’il construit dans la classe, et elle
contribue à rendre viable une activité collective de travail chez les élèves. C’est parce que les
élèves peuvent justement décrocher furtivement du travail prescrit, dans un seuil-limite, que
cette activité collective devient pérenne.
Discussion
Cette étude s’est intéressée à l’efficacité du travail d’un enseignant d’EPS expérimenté
avec des élèves difficiles dans une clase Ambition réussite. Elle cherchait à comprendre
comment l’enseignant réussit à construire et rendre viable un système d’interactions dans la
classe, propice à maintenir durablement ce collectif d’élèves au travail et à les faire apprendre.
Elle a investiguée l’efficacité de l’enseignant en tant qu’efficacité expériencée, c’est-à-dire à
partir des actions qu’il accomplissait réellement en classe et de la perception subjective qu’il
en avait quant à leurs effets sur l’activité individuelle et collective d’apprentissage. Le recours
à une description ethnographique, complétée par des entretiens d’autoconfrontation, a permis
d’identifier des modalités typiques d’intervention par lesquelles l’enseignant coordonne entre
elles les activités des élèves et configure la viabilité d’une activité collective studieuse dans la
classe : a) un processus dynamique, associant un masquage de ses préoccupations de contrôle
des déviances avec une mise en visibilité publique de ses préoccupations d’apprentissage ; et
b) une tolérance contextuelle aux transgressions des élèves.
Les pratiques de masquage et d’ostension observées chez l’enseignant se sont avérées
être un moyen efficace pour coordonner les actions dans la classe et construire une
communauté d’apprentissage. Premièrement, l’alternance, par l’enseignant, d’activités de
mise en visibilité publique des acquisitions attendues et d’activités de dissimulation du
contrôle de la discipline, n’est pas aléatoire. Ces activités de nature contradictoire émergent au
fil de la leçon et sont construites par l’enseignant au service de la configuration d’une activité
collective studieuse viable dans la classe. Par ces pratiques d’ostension (Matheron & Salin,
2002), l’enseignant produit des « accounts » (Coulon, 1988 ; Suchman, 1987), c’est-à-dire une
mise en visibilité pour autrui de ce qu’on est en train de faire. Ces accounts participent à
circonscrire pour les élèves ce qu’il y a à faire. Il favorise la construction d’interactions
viables dans la classe qui participent à l’installation d’une intelligibilité mutuelle (Salembier
& Zouinar, 2004). Deuxièmement, les résultats de l’étude invitent à relever l’importance de la
dimension interactive du travail enseignant. Au-delà de la mise en activité d’élèves pris
comme individualités, enseigner consiste à faire advenir et tenir un comportement collectif de
classe tourné vers une activité studieuse. La configuration d’une activité collective viable
n’est pas qu’un préalable requis en début d’une leçon, mais sa précarité (tout particulièrement
dans les classes Ambition réussite) impose à l’enseignant de la reconstruire en permanence.
Cet aspect rejoint les problématiques actuelles qui invitent à concevoir une classe comme une
communauté d’apprentissage (Lave & Wenger, 1991) : l’efficacité des apprentissages est
alors envisagée en tant qu’intégration et participation des élèves à une communauté ; et
l’efficacité de l’enseignant en tant que compétence à créer des liens qui unissent les membres
de la classe par le partage d'idéaux et de savoirs nécessaires pour pouvoir travailler ensemble.
L’étude présentée soulève une autre question préoccupante en lien avec l’efficacité
pédagogique dans les classes en milieu difficile : celle de la mise à l’épreuve de l’éthos de
l’enseignant quant à l’usage de son autorité en classe. L’enseignant expérimenté observé évite
d’entrer dans une relation autoritaire stigmatisée qui aurait pour effet d’exclure la construction
d'un véritable rapport à l'autre, et de nuire à l’installation d’une activité collective de travail.
Houssaye (1996) montre que la relation d'autorité, et l’excès d’autorité pédagogique en classe,
peut dans certains cas devenir nuisible à la construction de la socialisation scolaire.
L’autoritarisme est souvent source d’incompréhension et d’hostilité de la part des élèves. Pour
autant, accepter que le problème de l’autorité du maître en classe puisse éclairer la question
du rapport des élèves au savoir et au groupe classe, ne suffit pas pour comprendre comment
les enseignants parviennent à travailler leur autorité en classe. Les résultats de cette étude
permettent d’ouvrir quelques pistes de compréhension. La première souligne le fait que
l'utilisation répétée ou abusive du pouvoir de sanction afférent à l'autorité peut contribuer
paradoxalement à son affaiblissement. Elle met aussi à jour la nécessité pour les enseignants
d’installer des compromis incontournables pour éviter l’émergence de conflits ouverts et
menaçants pour leur autorité. Pour Thin (1999), ces concessions viennent heurter l'ethos de
nombreux enseignants confrontés à la question de l'acceptabilité morale des conduites
déviantes de ces élèves, mais elles deviennent une nécessité vitale pour qu’ils réussissent à
« faire » leur travail dans une zone de tensions acceptable.
Enfin, cette étude met en évidence que la mise en place d’une activité collective de
travail efficace en contexte Ambition réussite repose sur la configuration de formes scolaires
de travail singulières dans les classes (Vincent, 1994). Par exemple ici, la viabilité des leçons
d’EPS étudiées est liée à une forme scolaire intégrant un mode de gouvernance distribuée
dans la classe (Paquet, 1995), où l’autorité et la transmission des savoirs sont partagées et
négociées à tout instant entre maître et élèves
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Viabilité et efficacité du cours dialogué : exemple en
géographie, à l’école primaire
Philippe Veyrunes
CREFI-T – Université de Toulouse ; UT2
Le cours dialogué est un format d’enseignement ancien, que l’on rencontre dans de
nombreux systèmes éducatifs, des disciplines scolaires variées et à tous les niveaux
d’enseignement. Il a été décrit sous le nom de recitation script (Mehan, 1979). Des travaux en
situent l’origine au milieu du 19ème siècle et montrent sa grande vitalité et sa persistance à
travers le 20ème siècle (Doyle, 1986 ; Hoetker & Ahlbrand, 1969). Il a été caractérisé comme
une forme prototypique d’interaction publique en classe, selon trois temps : une initiation
(question du professeur), une réaction des élèves (recherche de la réponse) et une réaction du
professeur (fréquemment sous la forme d’une évaluation). Ces trois temps s’enchaînent
rapidement, selon un rythme moyen de 2 à 3 échanges par minute (Hoetker & Ahlbrand,
1969). Ce format a évolué dans le temps, tout en conservant la structure classique : il a été
utilisé jusqu’aux années 1920-30 pour « faire réciter » la leçon apprise dans le manuel, puis
pour la présentation de contenus, la vérification du travail et le contrôle de l’ordre dans la
classe (Doyle, 1986 ; Mehan, 1979). Le cours dialogué reste aujourd’hui une forme
d’enseignement qualifiée d’interactive : l’enseignant sollicite et s’appuie sur la participation
orale des élèves, selon une organisation parfaitement ritualisée. Celle-ci est structurée par un
système de règles strictes, bien qu’implicites, qui régissent l’alternance des questions et des
réponses, la distribution de la parole et les modes de validation (Hoetker & Ahlbrand, 1969).
L’enseignant pose des questions qui appellent généralement une réponse unique et factuelle.
Lorsqu’il obtient la bonne réponse, il pose une nouvelle question ; si la réponse proposée n’est
pas celle attendue, il interroge un nouvel élève et si la réponse suivante est erronée, il finit par
donner lui-même la bonne réponse.
La vitalité de ce format pédagogique apparait paradoxale compte tenu des critiques
sévères dont il a fait l’objet (Doyle, 1986 ; Hoetker & Ahlbrand, 1969). Dès 1912, Stevens
(cité par Hoetker & Ahlbrand, 1969) pointait ses principaux inconvénients : une forte
demande d’attention vis-à-vis des élèves, le fait que l’enseignant fait l’essentiel du travail, la
survalorisation du rôle de la mémoire, le caractère très collectif de cet enseignement, la
priorité à des visées de monstration et de contrôle du savoir par rapport à celle d’acquisition et
d’usage et Doyle (1986) notait la faible participation des élèves. Aussi Hoetker & Ahlbrand se
demandaient-ils déjà en 1969: qu’est-ce qui fait le succès de la recitation ? A quels « survival
needs » des professeurs répond-elle ? Dans le monde francophone peu d’études s’intéressent
au cours dialogué (Chautard et Hubert, 1999 ; Hersant, 2004) et ces questions nous semblent
toujours d’actualité.
Cette contribution interroge ces « survival needs » pour les enseignants, mais aussi
pour les élèves. Elle s’appuie sur une étude empirique, conduite dans le cadre de
l’anthropologie cognitive située, portant sur l’activité d’une enseignante et d’élèves de CM2
lors de leçons de géographie. Premièrement, elle cherche à décrire la dynamique signifiante
de l’activité en classe en accordant une place centrale aux significations et au vécu des acteurs
au cours de leur activité. Deuxièmement, notre approche propose un niveau d’analyse appelé
"configuration de l’activité collective" (Durand, Saury, Sève, 2006 ; Veyrunes & GalPetitfaux, sous presse) jugé comme pertinent pour comprendre les conditions, la nature et la
qualité de l’échange entre le professeur et les élèves dans la classe et les possibilités
d’apprentissage offertes aux élèves. Troisièmement, elle pose à partir de cette perspective
théorique, la question de l’efficacité du cours dialogué. Elle argumente que a) la viabilité de
cette configuration de l’activité collective et b) la perception que les enseignants ont de
l’intérêt, de la difficulté et de l’efficacité de leur travail (une « efficacité expériencée »)
contribuent à expliquer la pérennité du cours dialogué.
Approche de l’action en classe
Notre étude adopte l’approche du “cours d’action” (Theureau, 2004) qui repose sur
trois présupposés principaux. Le premier énonce que la situation de l’acteur et ses actions
individuelles émergent d’un couplage « acteur – environnement » (Maturana & Varela, 1987).
La situation ne peut donc être décrite indépendamment de l’action : l’action délimite la
situation qui, à son tour, exerce une contrainte sur l’action. La situation de l’acteur est donc
constituée des éléments du contexte pertinents pour son action du fait de ses intentions ou
intérêts du moment. Selon le deuxième présupposé le collectif et l’individu ne s’opposent pas
comme deux entités distinctes. Les individus sont séparés organiquement mais des formes de
relation les unissent localement en fonction des situations. Ces formes ne résultent ni de
l’action individuelle, ni de décisions ou règles préalables à l’activité ; elles émergent selon des
processus d’auto-organisation à partir de la multitude des interactions entre individus. Ces
formes offrent des potentiels d’action permettant aux acteurs d’atteindre les buts qui sont les
leurs. Les déplacements de piétons (Helbing, Molnár, Farkas & Bolay, 2001) ou la formation
de la « ola » (Farkas, Helbing & Vicsek, 2002) illustrent ces phénomènes qui commencent à
être étudiés dans les recherches en éducation (Veyrunes & Gal-Petitfaux, sous presse) Selon
le troisième présupposé, l’activité est sémiotique au double niveau individuel et collectif.
L’acteur est fondamentalement engagé dans la construction d’un « monde propre » et
l’activité collective se configure en fonction de la signification qu’il attribue à son action.
Analyser les configurations nécessite donc de prendre en compte les significations que les
acteurs accordent à leur environnement. Cette analyse doit être conduite par le chercheur dans
un double mouvement, articulant les points de vue des acteurs, et s’en extrayant pour adopter
un autre point de vue, celui de l’observateur. Cette épistémologie se traduit par la description
et l’analyse de trois niveaux enchâssés de l’activité : l’activité individuelle, l’activité
interindividuelle et l’activité collective.
Analyse de l’activité à trois niveaux
En cohérence avec ces présupposés l’activité individuelle est analysée dans ce qu’elle
a de significatif pour l’acteur, c’est à dire ce qui est « montrable, racontable et commentable
par lui » (Theureau, 2004). L’action est conçue comme un flux dénommé « cours
d’action », consistant en un enchaînement d’actions tenues par le faisceau des préoccupations
locales des acteurs. La méthode d’analyse consiste à « déconstruire » le cours d’action afin
d’en identifier les composantes pour ensuite « reconstruire » l’organisation du cours d’action.
Les composantes du cours d’action utiles pour notre étude sont : (a) l’engagement de l’acteur
dans la situation, c'est-à-dire l’ensemble des préoccupations et des émotions qui orientent son
activité à chaque instant et (b) les éléments significatifs perçus à chaque instant, par l’acteur
dans la situation. Au niveau de l’activité interindividuelle, les cours d’action individuels sont
articulés lorsque l’activité d'un acteur est liée à celle d’un autre acteur par des phénomènes
d’interdépendance. L’activité d’un acteur est alors analysée en tant qu’elle est significative
pour un autre acteur selon ses préoccupations du moment. Puis sont décrits les phénomènes de
convergence et de divergence entre les préoccupations et comportements de l’enseignante et
ceux des élèves. Les comportements pris en compte chez un acteur sont ceux perçus par un
autre acteur et significatifs pour ce dernier. Au troisième niveau, les configurations de
l’activité collective (Durand, Saury & Sève, 2006 ; Veyrunes, Gal-Petitfaux, sous presse)
émergent de la multitude des interactions entre plusieurs acteurs. La notion de configuration
permet d’analyser la viabilité des interactions : les configurations sont viables lorsque les
comportements des inter-actants manifestent un niveau de coordination qui permet une
convergence suffisante des préoccupations et des comportements des acteurs : dans la classe,
une configuration est viable quand les comportements des élèves correspondent globalement à
ce qu’attend l’enseignant et lui permettent d’actualiser ses préoccupations, et lorsque les
préoccupations et les comportements de l’enseignant laissent ouverts des possibles pour que
les élèves développent leurs propres préoccupations.
Méthode
Cette étude a été conduite au cours d’une année scolaire, dans une classe de CM2, en
ZEP, comptant 18 élèves. Sept séances de géographie, d’une durée d’environ 45 minutes
chacune, ont été filmées à raison d’une par mois, pendant une année scolaire. L’enseignante,
en fin de carrière, était très expérimentée. Une observation de type ethnographique a été
conduite. Les séances ont été enregistrées au moyen d’une caméra numérique placée sur pied,
en fond de classe effectuant seulement des mouvements panoramiques. A la suite de chaque
séance, l’enseignante ainsi que des élèves ont été autoconfrontés au film de la séance. Ces
entretiens se sont déroulés immédiatement après la séance, durant l’interclasse (pour
l’enseignante) et en début d’après-midi (pour les élèves). Le film de la séance leur a été
montré. Un questionnement du chercheur visait à les amener à « montrer, commenter et
raconter » ce qu’ils faisaient, ressentaient ou percevaient et à éviter des explications et
généralisations. Six élèves ont participé à ces entretiens, tantôt ensemble, tantôt par groupes
restreints. Ils ont été choisis en collaboration avec l’enseignante sur la base de plusieurs
critères : hétérogénéité des niveaux scolaires, aisance dans les relations avec les adultes, parité
entre les sexes, accord des parents. Le traitement a consisté en cinq étapes. Etape 1 : Mise en
correspondance des données dans un tableau à deux volets (Tableau 1). Le Volet 1 concerne
l’observation des activités en classe ; le Volet 2 présente les transcriptions verbatim des
entretiens en autoconfrontation. Etape 2 : Identification : (a) des préoccupations et émotions
de l’enseignante et des élèves, à partir des réponses à la question suivante : Quelle(s) est
(sont) la (les) préoccupation(s) de l’acteur à l’instant étudié ? Que ressent-il ? et (b) des
éléments significatifs dans la situation, à partir de la question : Qu’est-ce qui est significatif à
l’instant t pour l’acteur, dans la situation ? Etape 3 : Mise en correspondance des cours
d’actions de l’enseignante et des élèves par repérage des convergences/divergences entre
préoccupations et comportements. Etape 4 : L’étude qualitative a été complétée par une étude
quantitative, permettant la mise en évidence des éléments de régularité de l’activité
individuelle-collective. Elle a porté sur (a) l’activité individuelle (fréquence des
préoccupations et actions individuelles ; longueur moyenne des réponses des élèves) ;
distribution des tours de parole entre les élèves (nombre d’élèves qui prennent la parole au
cours d’une séance) et (b) l’activité interindividuelle (nombre moyen d’échanges
questions/réponses par minute ; taux de convergence-divergence des préoccupations et
comportements de l’enseignante et des élèves). Etape 5 : A partir de ces éléments les
caractéristiques de la configuration de l’activité collective ont été mises en évidence.
L’activité individuelle et interindividuelle en classe
L’activité individuelle de l’enseignante et des élèves
Trois patterns des préoccupations de l’enseignante ont été repérés : faire participer les
élèves (n = 81 ; 26.21%) ; faire trouver (n = 91 ; 29.44%) et valider-invalider (n = 66 ;
21.35%). Les éléments significatifs documentés étaient relatifs : (a) aux comportements des
élèves conformes à ses attentes (n = 67 ; 47.85 %) (Ex : la réponse attendue donnée par
Serge) ; (b) aux comportements des élèves non conformes à ses attentes (n = 12 ; 8.57 %)
(Ex : Alexandre est distrait) ; (c) à des souvenirs d’éléments de connaissance nécessaires pour
la leçon (n = 28 ; 20.00 %) (Ex : la manière de reporter les données sur le graphique dessiné
au tableau) ; (d) aux difficultés rencontrées par les élèves lorsqu’ils essayaient de répondre
aux questions (n = 33 ; 23.57 %) (Ex : Yamina a du mal à placer un point sur le graphique).
Le Tableau 1 illustre un moment de « questionnement adressé ». Lors de la Séance 5,
l’enseignante souhaitait amener Halima à indiquer ce qu’elle avait retenu des photographies
observées, représentant entre autres l’une un hôtel avec piscine, l’autre la Cité de
Carcassonne. L’enseignante lui posait une série de questions. Elle cherchait ainsi à obtenir la
participation d’une élève éprouvant des difficultés particulières, s’exprimant rarement et dont
elle pensait qu’elle pouvait répondre à la question. Ses préoccupations étaient : faire
participer une élève qui éprouve des difficultés en français ; amener Halima à expliquer ce
qu’elle a retenu de son observation des photographies (Tableau 1).
Tableau 1 : Observations en classe et verbalisations en autoconfrontation (Séance 5 ;
Min. 10)
Volet 1 : Observations en classe
Actions
Verbalisations
L’enseignante, devant le
Enseignante : Bon alors
tableau, interroge Halima. aujourd'hui, on va
commencer l'étude des
Les autres élèves ont la
paysages touristiques.
Est-ce que tu peux nous
tête penchée vers le
document.
dire quelque chose, toi,
Halima ? Est-ce qu'il y a
Yamina, Selim et Henri
une photographie qui a
retenu un petit peu plus
parlent discrètement.
ton attention ?
Halima répond
Halima : oui
Enseignante : laquelle ?
Halima : cité de Ca… de
Casa… de Carcassonne
Volet 2 : Verbalisations en autoconfrontation
Des élèves
De l’enseignante
Yamina : moi, j'ai pensé à ça, Chercheur : c'est
directement ! (désigne du doigt la Halima ?… qu’est-ce
photo de la piscine)
que tu attends ?
Chercheur : et alors, qu'est-ce que tu Enseignante : Halima, il
pensais ?
y a encore la barrière de
Yamina : à la piscine, là, la langue, […] Elle
directement !
s'investit beaucoup, elle
Selim : moi aussi !
travaille beaucoup. […]
Henri : moi aussi ! Après, elle me Je suis sûre qu’il y a
disait combien de mètres ça faisait ? quelque chose qui a
Yamina : moi j'avais posé comme retenu son attention
question : combien de mètres elle parmi ces
faisait, à ton avis, la piscine et il m'a photographies.
répondu 40 !
Lors de phases de questionnement à la cantonade, l'enseignante posait le plus souvent
les questions fermées, avec la préoccupation de « faire trouver » et de « faire participer » les
élèves. Elle attendait souvent une réponse ou même un mot précis et, tant qu’elle ne l’obtenait
pas, elle poursuivait le questionnement. Les éléments significatifs étaient les réponses des
élèves, leurs difficultés à répondre ou les connaissances attendues. Le questionnement était
accompagné systématiquement d’évaluations sous forme de validation ou d’invalidation,
généralement très rapides et implicites. Pour invalider une réponse, l’enseignante interrogeait
un autre élève, sans rien ajouter ; elle reformulait la question afin de solliciter une autre
réponse ; elle laissait ainsi entendre que la réponse fournie n’était pas celle attendue. Il en était
de même pour la validation : l’enseignante posait la question suivante, laissant entendre que la
réponse qui venait d’être fournie était la bonne.
Deux patterns des préoccupations des élèves ont été repérés : satisfaire les attentes de
l’enseignante (n = 196 ; 51.85%) et se distraire (n = 136 ; 35.97%). Les émotions
(essentiellement crainte et inquiétude) (n = 46 ; 12.16%) représentent les autres occurrences.
Ces préoccupations traduisent la « double vie » des élèves : une « vie d’élève » et une « vie
parallèle ». D’une part ces derniers ils répondaient aux questions posées, faisaient les
exercices demandés, lisaient des textes ; d’autre part ils discutaient avec leurs voisins, jouaient
ou pensaient à ce qu’ils allaient faire plus tard. Les éléments significatifs perçus
étaient relatifs : (a) aux questions et demandes de l’enseignante (n = 150 ; 58.59 %) (Ex : la
question posée sur la population de Toulouse) ; (b) à des objets leur permettant de se distraire
(n = 64 ; 25.00 %) (Ex : la disponibilité des crayons de couleur pour jouer) ; (c) à des
éléments de connaissance liés aux questions posées (n = 32 ; 12.50 %) (Ex : la hauteur des
barres du graphique) ; (d) à divers éléments de la situation (n = 10 ; 3.90 %) (Ex : le retard
pris dans la réalisation du graphique).
L’activité interindividuelle
Quatre patterns de convergence – divergence ont été repérées et quantifiées à partir des
occurrences d’articulation des cours d’action individuels (Tableau 2) : (a) les préoccupations
de l’enseignante et des élèves et les comportements d’élèves significatifs pour l’enseignante
convergeaient (convergence manifeste) ; (b) les préoccupations convergeaient mais les
comportements significatifs des élèves divergeaient avec les préoccupations de l’enseignante
(convergence a minima) ; (c) les préoccupations divergeaient mais les comportements
significatifs des élèves convergeaient avec les préoccupations de l’enseignante ; (divergence a
minima) ; (d) les préoccupations et les comportements significatifs des élèves divergeaient
(divergence manifeste).
Tableau 2 : Modes d’articulation des cours d’action de l’enseignante et des élèves
(a) Convergence manifeste
(b) Convergence a minima
n = 86 (52.44 %)
n = 46 (28.05 %)
(c) Divergence a minima
(d) Divergence manifeste
n = 24 (14.63 %)
n = 8 (4.88 %)
(a + b) = 132 (80.49 %)
(c + d) n = 32 (19.51 %)
La convergence était manifeste (a) lorsque par exemple, l’enseignante voulait faire
trouver une réponse aux élèves et que ces derniers fournissaient la réponse attendue : ils
avaient des préoccupations studieuses et satisfaisaient aux demandes de l’enseignante. La
convergence était a minima (b) lorsque par exemple, un élève cherchait à répondre mais
demandait la réponse à sa voisine alors que l’enseignante attendait que les élèves répondent
seuls. La divergence était a minima (c) lorsque par exemple, un élève masquait son envie de
sortir en récréation au moment où l’enseignante lui demandait de passer au tableau pour
compléter le schéma. La divergence était manifeste (d) lorsque par exemple, l’enseignante
demandait d’observer silencieusement un document photographique et qu’elle repérait un
élève en train de bavarder avec son voisin.
Dynamique et configuration de l’activité collective
L’activité collective se développe selon une forme qui émerge des actions de
l’enseignante et de chaque élève et de leurs interactions, selon des conditions liées à la
succession, au rythme et à la nature des questions, des réponses et des évaluations.
Les questions sont nombreuses, posées en « rafale » (moyenne = 3.10 questionréponse / min.), permettant à un grand nombre d’élèves d’intervenir. Le questionnement est
souvent d’ordre factuel, portant sur des éléments qui figurent directement sur les documents
fournis aux élèves. Les phases de questionnement à la cantonade, peu contraignantes pour les
élèves qui participent peu, sont de loin les plus fréquentes (ex. : 114 questions sur 132 au
cours de la Séance 2). Des « ruptures de phase » se produisent, par exemple lorsque les
questions deviennent plus difficiles : elles entraînent alors des difficultés de réponse pour les
élèves et contraignent l'enseignante à apporter des aides. Du point de vue de l’enseignante, la
fréquence, la nature et le niveau de difficulté des questions contribuent à maintenir
l’implication et la participation des élèves, à assurer l’avancement du travail et à maintenir
l’ordre dans la classe. Du point de vue des élèves, la dynamique du questionnement leur
permet d’actualiser des préoccupations studieuses tout en développant parallèlement des
préoccupations masquées, par exemple en bavardant avec leur voisin. Les réponses données
par les élèves sont généralement très courtes (longueur moyenne = 3.30 mots). Cette brièveté
et la souplesse des règles d’attribution de la parole contribuent à entretenir la dynamique des
interactions par question-réponse dans la classe ; elle autorise parallèlement des décrochages
ponctuels chez les élèves, sans pour autant affecter la fluidité du mode de questionnement. La
distribution des tours de parole entre les élèves est très inégale : lors d’une séance, un élève
totalise 19 prises de parole contre une au plus pour 7 élèves. Cette inégale distribution permet
d’éviter les tensions : certains élèves refusent de participer, par timidité, ignorance ou
désintérêt et l’enseignante ne les sollicite que rarement. Les validations et invalidations des
réponses des élèves par l’enseignante prennent des formes diverses. Leur rapidité et leur
dimension implicite contribuent à la dynamique du questionnement : elles n’occasionnent pas
de rupture du flux des questions et des réponses. L’enseignante valide brièvement ou, plus
souvent, de manière implicite en passant à une autre question. De même, elle invalide
fréquemment en posant la même question à un autre élève, signifiant par là que la réponse
proposée est inexacte. De fait, les validations et invalidations explicites sont rares.
La combinaison de ces trois paramètres (rapidité des échanges question – réponse et
des validations, facilité relative des questions), permet l’émergence d’une configuration de
l’activité collective dont la forme est globalement stable au cours de la leçon. Elle ouvre des
possibles pour la convergence et la divergence des préoccupations et des comportements.
Mais les cas de divergence manifeste sont rares : de nombreuses préoccupations de distraction
des élèves sont masquées. Leurs comportements divergents restent discrets et échappent à
l’enseignante qui exprime très peu de préoccupations relatives au maintien de l’ordre. Le
cours dialogué permet d’une part l’actualisation des préoccupations « vitales » de
l’enseignante, celles qui sont au cœur du métier : maintenir l’ordre dans la classe, obtenir une
participation active des élèves et leur faire trouver les bonnes réponses (Doyle, 1986 ; Durand,
1996) et d’autre part l’actualisation de préoccupations et comportements qui permettent aux
élèves de concilier leur « vie d’élève » et leur « vie parallèle » (Allen, 1986).
« L’efficacité » du cours dialogué
Le croisement de données qualitatives et quantitatives permet de généraliser,
prudemment, les résultats de cette étude. Les configurations d’activité telles le cours dialogué
sont récurrentes : elles émergent, se stabilisent et se reproduisent régulièrement lorsque les
conditions sont favorables. En dépit des critiques récurrentes dont il fait l’objet, le cours
dialogué semble toujours tenir une place importante dans l’enseignement, en France et
ailleurs, même si les recherches manquent sur le sujet. En outre, nos résultats semblent
confirmer la relative efficacité du cours dialogué en termes d’apprentissages des élèves, même
si notre étude ne portait pas sur cette question. La dynamique collective décrite ne semble pas
favoriser a priori la conceptualisation, les inférences ou la généralisation et l’implicite des
validations et invalidations contribue à la faible institution des connaissances.
Sans contester la vision traditionnelle de l’efficacité scolaire, envisagée en termes de
résultat de l’enseignement, la prise en compte de la dimension collective du travail en classe
et de l’« efficacité expériencée » par les acteurs nous parait apporter des éléments permettant
de reconsidérer cette question de l’efficacité. Selon ces critères, l’efficacité du cours dialogué
réside dans la viabilité de la configuration, liée à un mode de contrôle qui permet à
l’enseignante de maintenir tout à la fois l’ordre et la participation des élèves dans une classe
considérée comme difficile. La mise en activité et l’engagement collectif des élèves est l’un
des indices d’un cours dialogué réussi : à cette aune, au cours des leçons étudiées, la
participation des élèves satisfaisait largement l’enseignante. Ces élèves de ZEP, pour
beaucoup en difficulté scolaire, participent régulièrement, cherchent à répondre aux questions
posées, suivent globalement le cours ou font mine de le faire. L’efficacité ainsi conçue, réside
aussi pour l’enseignante dans l’obtention d’un comportement acceptable et de réponses
satisfaisantes de la part des élèves.
Dans le contexte de crise qui est celui de l’école aujourd’hui en France et ailleurs, une
conception renouvelée de l’efficacité semble pertinente à plusieurs titres. En soulignant son
caractère contextuel, notamment son inscription temporelle au cours de la leçon, est mis en
évidence le fait que l’efficacité n’est pas un caractère stable, propre à l’enseignant et qu’elle
varie sans doute, pour un même enseignant, en fonction des contextes d’action, des
disciplines, des élèves et des leçons. En la considérant sous l’angle des contraintes du travail
enseignant, dont le maintien de l’ordre en classe et la mise en activité des élèves constituent
les assises indispensables à la transmission des connaissances, est éclairée une dimension trop
ignorée des réformateurs de l’école qui occultent trop fréquemment les conditions de la
transmission des savoirs. En s’intéressant à la dimension expériencée de l’efficacité, cette
étude met en évidence le fait que les enseignants peuvent souvent se satisfaire à bon droit de
situations de classe qu’ils perçoivent comme réussies parce que les élèves y sont calmes et
participent activement.
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