usa : puissance militaire discrète en afrique
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DIPLOMATIE N° 20 - novembre/décembre 2014 1 ER lesafriques.com MENSUEL INTERNATIONAL DIGITAL EN AFRIQUE DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : ABDERRAZZAK SITAIL USA : PUISSANCE MILITAIRE DISCRÈTE EN AFRIQUE AMBASSADEUR DOSSIER AVIS D’EXPERT AVIS D’EXPERT POINT DE VUE Interview : S.E. Idrissa Traoré «La Côte d’Ivoire renaît de manière inexorable» USA : puissance militaire discrète en Afrique Interview : Jérôme Pigné Interview : Thomas Snégaroff USA/Afrique : le président Obama a-t-il enfin trouvé sa stratégie ? Washington veut miser sur l’Afrique Les ONG internationales, quel enjeu pour l’Afrique ? DIPLOMATIE Groupe Les Afriques Edition & Communication SA Au capital de 2’657’600.- CHF Siège Social : Rue du Cendrier 24 - 1201 Genève Suisse Président administrateur délégué Abderrazzak Sitaïl Les Afriques Edition & Communication Europe SARL au capital de 160.000 € 75, avenue Parmentier, 75544 Paris Cedex 11 Les Afriques Communication & Edition Maghreb SARL au capital de 1.000.000 DH 219 bis, bd Zerktouni, Casablanca 20330 - Maroc Tél : +212 522 233 477 - Fax : +212 522 233 501 Directeur de la Publication Abderrazzak Sitaïl Rédacteur en chef Les Afriques DIPLOMATIE Ibrahim Souleymane [email protected] Secrétaire de Rédaction : Daouda Mbaye Rédaction : Olivier Tovor, Lomé, Sanae Taleb, Casablanca, François Bambou, Yaoundé, Mohamed Masmoudi, Casablanca, Carlos Laye, Bordeaux, Abdel Malik (AEM), Dakar, Mohamedou Ndiaye, Dakar, Daouda MBaye, Casablanca, Ibrahim Souleymane, Casablanca, Anas Amin, Tunis. Responsable Artistique : Mouhcine El Gareh Maquettiste : El Mahfoud Ait Boukroum Directeur Développement et Marketing : Libasse Ka [email protected] Responsable e-Marketing : Khalid Essajidi Responsable Communication et Marketing : Nada Benayad [email protected] Responsable Abonnement et Distribution : Hasnae Elmadani [email protected] Commercial : [email protected] SOMMAIRE 3 AMBASSADEUR Dans cet entretien, S.E. Idrissa Traoré, ambassadeur de la Côte d’Ivoire au Maroc, aborde les différents volets de la coopération maroco-ivoirienne. Il nous livre également les avancées et les perspectives de son pays depuis la sortie de la crise de 2010-2011. 7 INTERVIEW Dans cet entretien, Jérôme Pigné, doctorant à l’Ehess, l'École des hautes études en sciences sociales, nous livre son analyse sur la stratégie du président Obama pour l’Afrique. Selon lui, Washington pourrait faire profil bas, pour favoriser des échanges d’égal à égal avec les Africains. DOSSIER USA : puissance militaire discrète en Afrique 8 8 INTERVIEW Pour Thomas Snégaroff, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste des ÉtatsUnis, après le sommet de Washington, tenu en août dernier, on pourrait s’attendre à une nouvelle dynamique des échanges commerciaux, mais aussi une plus grande implication militaire des États-Unis en Afrique. 9 NOMINATIONS S.E. Volker Berresheim, nouvel ambassadeur de la République fédérale d'Allemagne, a présenté la copie figurée de ses lettres de créance au ministre togolais des Affaires étrangères et de la coopération, S.E.M. Robert Dussey. Diplomate de carrière, l’ambassadeur Volker Berresheim succède à Joseph Weiss qui était en poste depuis trois ans. Volker Berresheim a notamment été en poste en Pologne et au Royaume-Uni. POINT DE VUE 2 • NOVEMBRE / DÉCEMBRE 2014 5 L’Afrique est désormais devenue un terrain stratégique pour les États-Unis. Approvisionnement énergétique, investissements importants, déploiement militaire, lutte antiterroriste, etc., depuis peu les Américains arrivent en force en Afrique. Crédit photos : © Reproduction interdite sans l’accord écrit de l’éditeur «La Côte d’Ivoire renaît de manière inexorable» DOSSIER 10 Edition internationale S.E. IDRISSA TRAORÉ 5 Abonnements : Abonnement : Tél. : +221 33 889 90 85 E-mail : [email protected] AFP, DR 3 N°20 NOVEMBRE / DÉCEMBRE 2014 Pour tenter de contenir des fléaux tels qu’Ebola, les ONG et autres organisations humanitaires se déploient sur tout le continent. Cette solidarité internationale est certes un enjeu majeur, mais il faut plus de vigilance afin d’éviter les dérapages. THOMAS SNÉGAROFF Washington veut miser sur l’Afrique 10 POINT DE VUE Les ONG internationales, quel enjeu pour l’Afrique ? AMBASSADEUR «La Côte d’Ivoire renaît de manière inexorable» Dans cet entretien, S.E. Idrissa Traoré, ambassadeur de la Côte d’Ivoire au Maroc, aborde les différents volets de la coopération maroco-ivoirienne. Il nous livre également les avancées et les perspectives de son pays depuis la sortie de la crise de 2010-2011. L es Afriques Diplomatie : Excellence, pouvez-vous nous dire quelques mots sur la situation en Côte d’Ivoire, environ quatre ans après la fin de la crise politique ? S.E. Idrissa Traoré : Je voudrais avant tout propos vous remercier pour cette opportunité que vous m’offrez de m’exprimer sur la situation de la Côte d’Ivoire environ quatre ans après la crise post-électorale qu’elle a traversée, une crise consécutive elle-même à une longue décennie de crise politique. Dans cette Côte d’Ivoire, tous les clignotants étaient au rouge, la croissance économique négative, le tissu social disloqué, les infrastructures dégradées et les institutions fortement affaiblies. Cette Côte d’Ivoire-là était au ban de la communauté internationale et était soigneusement évitée par les investisseurs sérieux. Les clivages y étaient exacerbés et les positions tranchées. Le pays renaît de manière inexorable. Sur le plan économique, les acquis sont incontestables. Depuis 2011, le taux de croissance du PIB était en forte régression (-4.7%). Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire enregistre des taux de croissance économique frôlant les deux chiffres (9,8% en 2012 et entre 8 et 9% en 2013). Cette forte croissance est certes essentiellement soutenue par les investissements publics, mais également par la valeur ajoutée créée dans le secteur agricole, les mines, le BTP, l’agro-industrie, les autres industries manufacturières et les services. Le tissu social qui s’était effrité est en train de se reconstituer, car la méfiance a fait place à la confiance retrouvée. La destination Côte d’Ivoire est redevenue très prisée. Cela peut se vérifier par le nombre d’hommes d’affaires reçus en audiences à la chancellerie. Des hommes d’affaires marocains ou européens qui viennent se renseigner sur les opportunités d’affaires ou qui sollicitent des mises en relation d’affaires. Les milieux politiques et d’affaires s’extasient encore de la résilience dont l’économie ivoirienne a fait preuve. Pratiquement à genoux à l’issue de la grave crise postélectorale, elle a réussi en un temps record à redécoller, renouant avec la croissance et lançant de grands chantiers structurants. LAD : On dit souvent que la Côte d’Ivoire est le poumon économique de l’Uemoa. Qu’en est-il du climat des affaires dans le pays ? La Côte d’Ivoire peut-elle constituer une porte d’entrée au marché des pays de la sous-région ? I.T.: La Côte d’Ivoire constitue effectivement un poids économique important pour la sous-région ouest-africaine : elle représente environ 39% de la masse monétaire et contribue pour près de 32% au PIB de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) selon les statistiques 2013 de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (Bceao). Le climat des affaires s’est radicalement amélioré, en témoigne l’afflux massif des investisseurs étrangers. Quelques mesures phares ont été mises en œuvre par notre gouvernement, notamment l’adoption d’un nouveau code d’investissement qui fait la part belle aux investisseurs et qui est l’un des plus attrayants du continent, le guichet unique du commerce extérieur, la création d’un centre de facilitation pour les formalités de création d’entreprise permettant ainsi de créer une entreprise en moins de 24 heures. À cela, il faut ajouter l’assainissement de l’appareil judiciaire et sa restructuration avec la création d’un Tribunal de commerce, la redynamisation de la Cour d’arbitrage, le renforcement des capacités du personnel de l’Administration publique (Trésor, fonction publique, économie et finances), ainsi que la lutte contre le racket et les tracasseries, pour ne citer que ces mesures. Plus qu’une évolution, c’est une révolution qui s’est opérée à ce niveau. Je fais remarquer que l’objectif de mon pays est de réaliser à travers le Plan national de développement, adopté en 2012 pour la période 2012-2015, une croissance forte et soutenue. La Côte d’Ivoire, comme l’attestent la plupart des agences de notation, est passée du rouge à l’orange, et de l’orange au vert. Toutefois, nous avons le triomphe modeste. En effet, le Président Alassane Ouattara nous a appris qu’aucune position n’est définitivement ac- quise et que dans ce monde si mouvant du 21ème siècle, les acquis ont besoin d’être consolidés et renforcés. Aussi, son ambition est-elle de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent à l’horizon 2020. C’est la raison pour laquelle le gouvernement a concentré ses efforts sur les défis majeurs que sont le renforcement de la sécurité, la cohésion nationale, la réconciliation et la paix, enfin l’accélération de la relance économique. Pour toutes ses raisons, la Côte d’Ivoire peut effectivement constituer une porte d’entrée au marché de la sous-région, car, et tous les observateurs avertis en sont convaincus, quand la Côte d’Ivoire va bien, c’est toute la sous-région qui se porte mieux. LAD : Depuis quelques années, on constate une nouvelle dynamique dans les échanges entre le Maroc et la Côte d’Ivoire. Pouvezvous nous parler de l’état des relations entre les deux pays ? I.T. : Comme vous l’avez vous-même constaté avec les visites de Sa Majesté le Roi Mohammed VI en Côte d’Ivoire, la coopération entre la République de Côte d’Ivoire et le Royaume du Maroc se porte très bien. Elle ne date pas d’aujourd’hui, et je puis vous affirmer, d’une part, que le temps n’en a aucunement altéré la qualité et, d’autre part, que son bilan est globalement satisfaisant. La République de Côte d’Ivoire et le Royaume du Maroc ont établi des relations diplomatiques le 16 août 1960. Les représentations diplomatiques ont été ouvertes en 1960 pour le Maroc et en 1965 pour la Côte d’Ivoire. Ces excellentes relations sont régies par des instruments juridiques allant du Traité d’amitié et de coopération du 22 septembre 1973 aux accords signés lors de la dernière visite de Sa Majesté en février dernier à Abidjan. En ce qui concerne le bilan de cette coopération, je peux vous affirmer qu’il est globalement positif. Le Maroc apporte beaucoup à la Côte d’Ivoire surtout en matière de formation. Mais les échanges dans le domaine de la jeunesse et des sports, des médias, du touNOVEMBRE / DÉCEMBRE 2014 • 3 AMBASSADEUR risme et de l’artisanat ne sont pas en reste. Par ailleurs, le Royaume du Maroc prend une part active dans le renforcement des capacités des cadres ivoiriens, à travers des programmes sectoriels de formation continue (agriculture et pêche maritime, gestion portuaire et aéroportuaire, journalisme, etc.). Il s’agit, comme vous le constatez, de relations privilégiées. Relations auxquelles j’ai l’insigne honneur, en ma qualité de représentant du chef de l’État et sous sa haute autorité, de donner le lustre nécessaire afin qu’elles épousent notre ère. LAD : Une synergie est-elle possible sur le plan économique entre les deux pays? S.E. I.T. : J’irai même plus loin, cette synergie est en train d’être mise en œuvre. Je vous signale au passage que les économies marocaine et ivoirienne sont complémentaires. Le Maroc tire l’essentiel de son produit intérieur brut des secteurs secondaires et tertiaires, tandis que l’agriculture constitue la locomotive de l’économie ivoirienne. Mon pays à besoin de développer davantage ses secteurs secondaire et tertiaire, à savoir l’industrie et les services, gages d’un développement durable. Aujourd’hui, l’économie occupe inévitablement la première place dans ce partenariat. En témoignent d’abord la composition de la délégation qui a accompagné Sa Majesté le Roi lors de sa dernière visite en Côte d’Ivoire, en février dernier. Ensuite, le discours que Sa Majesté le Roi a prononcé à l’ouverture du Forum est révélateur de l’importance accordée à l’économie dans les relations entre nos deux pays. Sa Majesté le Roi Mohammed VI a dit et je cite : «Auparavant, la diplomatie était au service de la consolidation des relations politiques. Aujourd’hui, c’est la dimension économique qui prime et constitue l’un des fondamentaux des relations diplomatiques». Le Président Alssane Ouattara ne dit pas autre chose quand il engage sa politique étrangère à se tourner résolument vers l’écodiplomatie. Par ailleurs, je note que les opérateurs économiques des deux pays n’ont pas attendu les politiques. En effet, depuis 2011, des institutions et groupes marocains investissent en Côte d’Ivoire. LAD : Comment voyez-vous l’avenir des relations entre la Côte d’Ivoire et le Maroc ? I.T. : À mon avis, les relations entre la Côte d’Ivoire et le Maroc seront encore plus approfondies, notamment sur le plan économique. Les prémices se font déjà sentir avec le nombre élevé d’hommes d’affaires marocains qui investissent en Côte d’Ivoire dans divers 4 • NOVEMBRE / DÉCEMBRE 2014 S.E. Idrissa Traoré, Ambassadeur de Côte d’Ivoire, a présenté ses lettres de créance à Sa Majesté Mohammed VI, Roi du Maroc. Lundi 15 octobre 2012. Rabat (Maroc). Palais Royal. domaines. La dernière visite de Sa Majesté, en février dernier, accompagné d’une centaine de chefs d’entreprise, a donné le signal pour la relance des relations économiques entre les deux États. Par ailleurs, les accords signés lors de cette visite royale constituent à n’en point douter les jalons et les porteurs de cette relance. Je conclurai en ajoutant que le Président de la République Alassane Ouattara et Sa Majesté le Roi Mohammed VI souhaitent faire de l’axe Rabat -Yamoussoukro un modèle de coopération Sud-Sud. LAD : Pour terminer, les élections présidentielles sont pour bientôt en Côte d’Ivoire, précisément en 2015. Le Président Alassane Ouattara sera-t-il candidat à sa propre succession ? Si oui, pensez-vous qu’il puisse gagner ? I.T. : Lors de son investiture en qualité de président de la République de Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara a indiqué comme priorité sa volonté de repositionner son pays sur l’échiquier international, en faisant de la Côte d’Ivoire un pays émergent à l’horizon 2020. C’est dans cette dynamique qu’à l’occasion de sa dernière visite d’État à l’intérieur du pays et plus précisément dans la région de l’Iffou que le président de la République a sollicité le suffrage des Ivoiriens pour un second mandat en vue d’achever les différents chantiers entrepris. Je voudrais relever qu’en l’espace de trois années, le président Alassane Ouattara a entrepris des réformes structurelles et sectorielles en vue d’améliorer le climat des affaires et le cadre de vie de la population. Sous son impulsion et sa clairvoyance, le gouvernement a ouvert une multitude de fronts pour ne pas dire de chantiers allant des économiques à la réconciliation nationale. Aujourd’hui, chaque chantier connaît une avancée extraordinaire, si ce n’est un succès. Entre autres, il s'agit notamment de la restauration de l’Université, temple du savoir, sur le plan académique ainsi qu’au niveau des infrastructures ; des programmes d’investissements massifs qui sont en cours et qui visent en grande partie à la création d’emplois, notamment des emplois de jeunes; du programme d’urgence présidentiel grâce auquel nous assistons à l’exécution de certaines infrastructures de base : eau, électricité, routes… Des grands chantiers comme les travaux du 3ème pont, la voie express Abidjan-Grand-Bassam qui seront livrés dans moins de six (6) mois ; des grands chantiers en cours, tels que le barrage hydroélectrique de Soubré qui, une fois terminé, sera le plus grand du pays et couvrira largement nos besoins en électricité... Aussi, pour toutes ces actions de développement qui ont permis de repositionner notre pays sur la scène internationale, le président de la République affiche un bilan largement positif. Je pense pour ma part qu’ils sont nombreux les Ivoiriens qui estiment qu’il serait utile de laisser le président de la République poursuivre l’œuvre qu’il a commencée pour le bonheur des Ivoiriens et des amis de la Côte d’Ivoire. En effet, pour la grande majorité de la population ivoirienne, le président Alassane Ouattara a toutes les chances d’être réélu lors des prochaines élections présidentielles en Côte d’Ivoire. Propos recueillis par Ibrahim Souleymane DOSSIER USA : puissance militaire discrète en Afrique L’Afrique est désormais devenue un terrain stratégique pour les États-Unis. Approvisionnement énergétique, investissements importants, déploiement militaire, lutte antiterroriste, etc., depuis peu les Américains arrivent en force en Afrique. a nouvelle stratégie africaine des États-Unis commence à se dessiner. Elle porte autour des affaires et l’approvisionnement énergétique, de la lutte antiterroriste, de la militarisation de l’Afrique, etc. Sur le plan sécuritaire, Washington tente de contrer les menaces terroristes, et sur le plan économique, de contrecarrer cette montée en puissance de la Chine qui inquiète tant les pays occidentaux. Depuis le mois d’août dernier, le président Obama a donné le ton en décidant de convoquer à Washington le premier Sommet USAAfrique de l’histoire. L’évènement qui a enregistré la participation d’une quarantaine de chefs d’État et de gouvernement a été l’occasion pour le président américain Barack Obama de décliner les grands axes de sa nouvelle stratégie en Afrique. En clair, le sommet de Washington a été l’occasion pour les Américains d’annoncer leur retour en force sur le continent. Il est vrai que l’Afrique n’a jusque-là pas beaucoup compté dans la politique américaine et en dépit des premiers actes posés par le président Georges W. Bush avec le lancement de l’AGOA, les relations économiques entre les deux partenaires n’ont pas pris une grande ampleur. De L l’avis de plusieurs observateurs, ce regain d’intérêt des États-Unis pour l’Afrique «n’est pas étranger à l’appétit grandissant des grandes puissances occidentales pour le potentiel confirmé du continent». Même si depuis des années l’Amérique a montré sa volonté de combattre les groupes terroristes en Afrique, le volet militaire occupe désormais une place importante dans sa coopération avec l’Afrique. Militarisation discrète L’Amérique d’Obama est-elle en train de tisser son réseau pour militariser discrètement l’Afrique ? En tout cas, depuis quelques années, tout laisse penser que les militaires américains reviennent en Afrique. Certes, l’époque de la Guerre froide est dépassée, mais la présence militaire américaine se renforce d’année en année en Afrique. Pour quelle raison ? Telle est la question. En tout cas, on estime entre 5 000 et 6 000 le nombre de soldats américains actuellement stationnés en Afrique, auxquels viendront s’ajouter 3 000 soldats récemment annoncés par Washington pour «lutter contre Ebola». Si la lutte antiterroriste est le principal motif avancé, certains y voient des objectifs bien plus stratégiques pour Washignton qui consolide discrète- ment son dispositif militaire dans cette région. La création de l’Afrique Africom (United States Africa Command), le commandement militaire des États-Unis pour l’Afrique, par le président George W. Bush en 2007, témoignait déjà de l’importance stratégique d’une présence militaire des États-Unis en Afrique, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Une stratégie qui se confirme avec le renforcement du dispositif militaire américain. La coopération militaire entre l’Afrique les États-Unis ne date pas d’aujourd’hui, mais elle connaît actuellement un certain renouveau au nom de la lutte contre le terrorisme. D’ailleurs, le QG de l’Africom qui était depuis des années basé à Stuttgart en Allemagne sera très bientôt transféré en Afrique, probablement au Libéria. Officiellement, les États-Unis ne disposent que d’une seule grande base militaire sur le continent qui se trouve à Djibouti. Mais dans les faits, les soldats américains sont dispersés dans des petites bases permanentes ou provisoires pouvant servir dans des interventions rapides dans plusieurs pays du continent. Par exemple, au Niger, les Américains disposent d’une base logistique pour appuyer la surveillance des drones. La coopération militaire couvre aussi l’envoi régu- NOVEMBRE / DÉCEMBRE 2014 • 5 lier d’instructeurs ou d’unités réduites. De façon générale, on peut dire que la présence militaire américaine reste discrète en Afrique. Selon certains analystes, l’implantation de plus en plus massive des entreprises américaines qui veulent tirer profit du boom que connaît le continent explique ce renforcement des mesures de sécurité. Récemment, le gouvernement américain a annoncé l’envoi de 3 000 militaires en Afrique, pour contribuer à «lutter contre Ebola» en Afrique de l’Ouest. Une initiative qui préfigure la nouvelle donne géopolitique que représente l’Afrique pour l’Amérique d’Obama. Enjeux pétroliers Embourbés en Irak, moins appréciés en Arabie saoudite, les Américains ont dû revoir le schéma de leur approvisionnement énergétique. Sans oublier que les pays d’Amérique latine sont en train de basculer vers l’antilibéralisme. Du coup, l’idée d’abandonner l’Afrique et ses gisements de pétrole aux seuls adversaires chinois était perçue comme une erreur géostratégique qui pouvait leur coûter cher à l’avenir. A l’époque, plusieurs personnalités américaines (dont le vice-président Dick Cheney et le président du sous-comité sur l’Afrique au congrès, Ed Royce) avaient souligné l’importance du pétrole africain et la question de la sécurisation du continent. Les États-Unis se devaient d’atténuer leur dépendance vis-à-vis de leurs sources d’approvisionnement devenues incertaines dans ces régions. C’est ainsi que l’Afrique a été retenue notamment à cause de ses réserves prouvées qui dépassent 100 milliards de barils. Notons qu’en 2002 les États–Unis produisaient 7,6 millions de barils par jour pour une consommation estimée à 19,7 millions de barils par jour. Le pays importait 60,1% de ses besoins en brut. Le gouvernement américain s’était alors fixé pour objectif d’importer, à l’horizon 2015, 25% de sa consommation pétrolière de l’Afrique. Sous l’air Bush, l’objectif était principalement de sécuriser les intérêts américains en Afrique. Depuis l’arrivée du président Obama, le spectre de la lutte antiterro- riste a pris le pas sur le motif de la sécurisation énergétique, un changement qui a incité les Américains à revoir leurs pions sur le continent. Le temps des affaires La nouvelle stratégie américaine en Afrique semble s’appuyer fortement sur les affaires. L’heure est pour le business avec des investissements concrets. Selon le président Obama, l’objectif des États-Unis est de faire de l’Afrique un «partenaire fort». Le président américain avait annoncé lors du sommet de Washington des investissements de 33 milliards de dollars comme soutien au continent. Cette enveloppe inclut aussi bien l’aide publique que les investissements que le secteur privé et les multinationales américaines comptent réaliser et qui peuvent contribuer au développement socioéconomique de l’Afrique. L’Afrique a jusqu’ici été marginalisée par les investisseurs américains. En effet, selon les statistiques officielles, le continent n’attire que 1% des investissements directs à l’étranger (IDE) américains dans le monde. Les exportations africaines vers les États-Unis sont principalement dominées par le pétrole à hauteur de 80%. Selon les détails de la nouvelle stratégie américaine en Afrique, les États-Unis vont lancer plusieurs programmes dont la mise en œuvre va nécessiter une enveloppe totale de 37 milliards de dollars d’ici à 2020. Il s’agira d’abord de l’Initiative pour la sécurité et la gouvernance, qui vise à accompagner six pays du continent (Ghana, Kenya, Mali, Niger, Nigéria et Tunisie) dans la formation et le renforcement des capacités de leurs forces de sécurité. Le gouvernement américain s’est également engagé à accorder une aide financière annuelle de 110 millions de dollars, sur trois à cinq ans, à six autres pays qui contribuent aux opérations de maintien de la paix. L’objectif à ce niveau est de faciliter la mise en place de la Force africaine de réaction rapide aux crises. Sur le plan économique, en plus de la probabilité de prolonger l’AGOA, les États-Unis se sont engagés à soutenir la mise en LES ÉTATS-UNIS MILITARISENT DISCRETEMENT L’AFRIQUE Le nombre de soldats américains en Afrique est estimé entre 5 000 et 6 000, réparti sur 11 pays, auxquels vont s’ajouter 3 000 militaires qui seront déployés dans le cadre de la lutte contre l’épidémie d’Ebola. Notons que ces derniers seront déployés au Libéria. Les soldats américains sont basés dans les pays suivants : Libéria, Burkina Faso, Niger, Nigéria, Tchad, Kenya , D j i b o u t i , É t h i o p i e, O u g a n d a , Sud-Soudan et Seychelles, à travers des bases permanentes ou provisoires 6 • NOVEMBRE / DÉCEMBRE 2014 dans ces 11 pays. Bientôt avec les 3 000 soldats qui seront déployés dans le cadre de la lutte contre Ebola, les Américains seront presque à égalité avec les Français, en termes d’effectifs militaires en Afrique, avec 9 000 soldats pour chacun des deux pays. Pour comparaison, les 9 000 soldats français sont répartis dans 11 pays : Sénégal, Côte d’Ivoire, Mali, Gabon, Mauritanie, Centrafrique, Burkina Faso, Niger, Nigéria, Tchad et Djibouti. œuvre du gigantesque projet Power Africa, dont le but est de permettre à 60 millions de ménages africains d’accéder à l’électricité. Il s’agit là d’engagements qui restent à concrétiser, mais au vu de l’enjeu pour les entreprises américaines et surtout du rôle géopolitique de l’Afrique, les observateurs s’accordent à dire qu’il y va également des intérêts américains. Obama s’implique également beaucoup dans le programme YALI (Young African Leaders Initiative), qui consiste à former des milliers de jeunes Africains à l’entrepreneuriat. Rivalité avec la Chine L’Afrique est dans l’air du temps. En témoigne l’offensive économique de la Chine en Afrique depuis les années 2000, mais aussi les nombreuses sollicitations à travers le monde des autres pays intéressés par le continent. Qu’il s’agisse de la France, du Japon, de l’Union européenne ou même des nouveaux pays émergents, comme le Brésil, l’Inde ou la Turquie, toutes les grandes puissances veulent faire de l’Afrique leur partenaire privilégié. Mais pour l’heure, il va falloir au pays de l’Oncle Sam de rattraper son retard en Afrique. Actuellement, les États-Unis ne sont que le troisième partenaire économique de l’Afrique, après la Chine et l’Union européenne. Si depuis l’entrée en vigueur de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), en 2006, les échanges entre les deux parties se sont davantage intensifiés, leur valeur reste loin du potentiel que recèle la coopération économique entre l’Afrique et les États-Unis. En 2013, par exemple, les échanges commerciaux entre l’Afrique et la Chine ont totalisé 210 milliards de dollars. Selon les statistiques publiées par le forum de l’AGOA à Addis- Abéba, en août 2013, le total des échanges commerciaux (imports et exports) des États Unis avec l’Afrique subsaharienne est de 72,2 milliards de dollars en 2012 (contre 28,2 milliards de dollars en 2001). Pour favoriser cette dynamique des échanges, les pays africains ont sollicité les autorités américaines, pour reconduire l’AGOA qui arrive à son terme en 2015. Pour rappel, l’AGOA est un programme qui permet aux pays africains éligibles à exporter, sans droits de douane, leurs produits manufacturés vers le marché américain. Dans leur ambition de se hisser au rang de partenaire privilégié de l’Afrique, les ÉtatsUnis vont devoir compter avec la concurrence de plusieurs autres puissances qui se sont bien installées sur le continent. Si avec la Chine, la concurrence s’annonce rude, les États-Unis pourront certainement compter sur des pays alliés comme la France ou la Grande-Bretagne, très présentes aussi en Afrique. Ibrahim Souleymane DOSSIER USA/Afrique : le président Obama a-t-il enfin trouvé sa stratégie ? Dans cet entretien, Jérôme Pigné, doctorant à l’Ehess, l'École des hautes études en sciences sociales, nous livre son analyse sur la stratégie du président Obama pour l’Afrique. Selon lui, Washington pourrait faire profil bas, pour favoriser des échanges d’égal à égal avec les Africains. L es Afriques Diplomatie : Pourquoi le président Obama a-t-il attendu son deuxième mandat pour s’intéresser à l’Afrique ? Jérôme Pigné : L’Afrique malgré un intérêt grandissant de la part de la première puissance mondiale, n’est pas une priorité stratégique de la politique extérieure américaine. Néanmoins, ce regain d’intérêt s’est matérialisé par les visites à l’été 2013 du président américain sur le continent africain, visite pendant laquelle Obama avait promis la tenue du sommet qui a suivi en août 2014. Rappelons également que l’Amérique est le premier pays hors du continent à avoir une représentation permanente au sein de l’Union africaine. Donc, ces relations ne datent pas d’aujourd’hui. C’est un symbole politique et diplomatique fort qu’il faut garder en tête, surtout à un moment où les États-Unis, l’UE et d’autres acteurs internationaux veulent renforcer et mettre en avant la capacité des Africains à subvenir à leurs besoins. LAD : L’offensive économique de la Chine et des autres pays émergents en Afrique est-elle la principale raison de ce regain d’intérêt des Américains pour ce continent ? J.P. : Le rôle joué par la Chine est une raison essentielle. Mais d’autres facteurs entrent en compte. L’ensemble des pays émergents communément appelés BRICS (Brésil, Russie, Inde et Chine, Afrique du Sud) pèse dans la balance. Il s’agit pour Washington de voir l’Afrique comme un continent d’opportunités et d’échanges dans divers secteurs, d’une part. Et d’autre part, c’est de sortir de cette grille de lecture, de ce paradigme sécuritaire infligé à l’Afrique, au lendemain du 11 septembre 2001. J’ajouterai enfin pour nuancer mon propos que dans les faits, l’administration américaine a de réelles difficultés à afficher cette rupture de principe. LAD : Peut-on dire que l’Afrique est devenue une région stratégique pour les États-Unis ? J.P. : L’Afrique ne fait pas partie de ce qu’on pourrait qualifier de haute priorité stratégique pour les États-Unis. Néanmoins, cette région du monde ne laisse plus indifférente l’administration américaine comme de par le passé. C’est une évolution qu’il faut bien noter. Les enjeux sur le continent sont nombreux, complexes et transverses. Le président Obama ne peut pas établir son équation stratégique en politique étrangère sans prendre en compte les nouvelles réalités de l’Afrique. Bien évidemment, certaines régions comme l’Afrique de l’Est ou la Corne de l’Afrique sont plus importantes que d’autres. Mais avec ce qui prévaut au Sahel et l’épidémie du virus Ebola inquiètent l’administration américaine. LAD : Le sommet États-Unis/Afrique, tenu en août dernier, est-il le début d’une nouvelle dynamique entre les deux parties? J.P. : Plus qu’une nouvelle dynamique, c’est la concrétisation d’un intérêt grandissant pour le continent africain depuis plus d’une décennie. Et ça ne s’arrête pas là. Il s’agit d’aller de l’avant dans la relation avec l’Afrique sur des sujets aussi vastes que complexes, à savoir la sécurité, le climat, le commerce, etc. Les attentes sont grandes et concernent au-delà des gouvernements, d’autres acteurs comme la société civile. Il y a par exemple le forum entre Obama et la jeunesse africaine, en amont du sommet, où le président américain avait eu un discours fort sur l’importance de la société civile, de la jeunesse, etc. LAD : Sur le plan sécuritaire, Washington a annoncé l’envoi de jusqu’à 3 000 soldats en Afrique pour la lutte contre Ebola. Doit-on y voir une militarisation progressive du continent ? J.P. : Je ferai deux types de commentaires. D’abord, quelle que soit la région du monde concernée, les décisions de Washington, en tant que première puissance mondiale, sont étudiées avec une attention particulière. Ensuite, la réponse à Ebola, cela n’est pas spécifique aux États-Unis, puisque la France aussi procède de façon similaire. Cette réponse à Ebola est militaro-centrée. Il est tout à fait normal de se poser certaines questions. Mais de là à parler d’une théorie conspirationniste, c’est aller bien vite en besogne. L’Amérique a toujours eu du mal à s’implanter physiquement sur le continent. Le cas d’Africom en est la preuve. Puisque Africom a son QG en Allemagne, et pas sur le continent africain. Dans les salles de décision qui gravitent à Washington et ailleurs, on est en droit de se poser la question sur la décision stratégique, quand on voit la situation actuelle en Afrique de l’Ouest. Ce n’est pas du cynisme, mais plutôt de la realpolitik. LAD : Quels sont les principaux changements attendus concrètement depuis ce sommet de Washington ? J.P. : On peut dire qu’il y a une volonté pour Obama d’inscrire dans la durée l’approche du «smart power», c'est-à-dire une approche intelligente, globale, indirecte. Il s’agit d’avoir des empreintes minimales et d’essayer de s’inscrire en rupture avec le passé. L’administration Obama va essayer de promouvoir une relation d’égal à égal, favorisant les potentialités économiques, commerciales, l’investissement, etc. Washington va essayer aussi de jouer profil bas au maximum. L’un des objectifs américains, c’est aussi de diversifier les partenariats pour sortir du carcan des échanges gouvernement-gouvernement, pour initier davantage de programmes dans le secteur privé et également avec la société civile. LAD : Avant ce sommet, on disait qu’Obama n’avait pas de stratégie pour l’Afrique. Est-ce qu’on peut affirmer aujourd’hui que le président américain a enfin trouvé sa stratégie pour l’Afrique ? J.P. : La question de la stratégie sur l’Afrique, c’est plus globalement une question de reformatage de la politique étrangère américaine depuis qu’Obama est aux commandes. C’est une politique étrangère avec un certain nombre de concepts qui concernent l’Afrique et d’autres régions du monde. C’est difficile à évaluer, dans la mesure où la politique américaine s’inscrit en rupture avec le mandat précédent et en même temps, il faut faire face à un certain nombre de difficultés et d’instabilités qui peuvent parfois chambouler les agendas politiques. Propos recueillis par Ibrahim Souleymane BIO-EXPRESS Jérôme Pigné est doctorant à l’Ehess, l’École des hautes études en sciences sociales, rattaché également à l’Institut de recherche des Nations unies sur le désarmement (Unidir). Il est diplômé de l’IRIS (défense, sécurité, gestion de crise) et de l’université de Lyon III (Clesid), et collabore avec l’Institut Thomas More à Paris. NOVEMBRE / DÉCEMBRE 2014 • 7 DOSSIER Washington veut miser sur l’Afrique Pour Thomas Snégaroff, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste des États-Unis, après le sommet de Washington, tenu en août dernier, on pourrait s’attendre à une nouvelle dynamique des échanges commerciaux, mais aussi une plus grande implication militaire des États-Unis en Afrique. L es Afriques Diplomatie : Le sommet États-Unis/Afrique tenu en août dernier est-il le début d’une nouvelle dynamique des échanges entre les deux parties ? Thomas Snégaroff : C’est une date essentielle, de même que le déplacement d’Obama en Afrique en mai 2013. L’Afrique pèse relativement peu économiquement pour les États-Unis. 71 milliards de dollars seulement d’échanges (pour l’ASS), moins que la Chine, moins que l’Europe. Mais sur fond de tensions énergétiques mondiales, et surtout de menaces terroristes, sans oublier toutes les perspectives encourageantes sur le «réveil» économique de l’Afrique, le continent noir ne peut rester en marge de la politique extérieure américaine, aussi bien dans le domaine économique que politique. 80% des exportations africaines vers les États-Unis sont du pétrole… LAD : Pourquoi le président Obama a-t-il attendu son deuxième mandat pour s’intéresser à l’Afrique ? T.S. : Parce que dans l’ordre des priorités, le shift vers l’Asie orientale était prioritaire. Parce qu’aussi, mais c’est secondaire, les républicains étaient prêts à dégainer si Obama mène une politique proactive en Afrique, ce qui leur aurait permis d’attaquer Obama l’Africain. BIO EXPRESS Thomas Snégaroff est spécialiste des ÉtatsUnis, et enseigne à Sciences Po Paris, en classes préparatoires aux grandes écoles de commerce et à IRIS Sup». Il travaille sur la politique étrangère américaine, notamment les questions de défense et plus largement la notion de puissance, qui donne lieu à un cours à Sciences Po «Hard, soft et smart power». Il a publié de nombreux ouvrages, dont récemment «Bill et Hillary Clinton: le mariage de l'amour et du pouvoir». Il participe régulièrement au rapport de géopolitique Antéios (PUF) et rédige le chapitre «Amérique du Nord» de l'Année stratégique depuis l'édition 2013. 8 • NOVEMBRE / DÉCEMBRE 2014 LAD : L’offensive économique de la Chine et des autres pays émergents en Afrique est-elle la principale raison de ce regain d’intérêt des Américains pour ce continent ? «Sur fond de tensions énergétiques mondiales, et surtout de menaces terroristes, sans oublier toutes les perspectives encourageantes sur le «réveil» économique de l’Afrique, le continent noir ne peut rester en marge de la politique extérieure américaine, aussi bien dans le domaine économique que politique.» T.S. : Oui, c’est évident, mais la question sécuritaire ne concerne pas spécifiquement les émergents. Dans ce cas, les États-Unis agissent en Afrique, car ils y voient l’une des bases arrière du terrorisme international (instabilité au Sahel, questions des armes de Libye…). LAD : Quelle place l’Afrique occupe-t-elle aux yeux des Américains aujourd’hui et dans le passé ? Peut-on dire que l’Afrique est devenue une région stratégique pour les États-Unis ? T.S. : L’Afrique le devient. Pour preuve, alors qu’elle était sous commandement des forces américaines en Europe, désormais, avec Africom, les États-Unis ont un commandement spécifique en Afrique. Le basculement a été lent, mais peut être daté d’après le 11 septembre 2001, avec notamment le programme Pan Sahel pour lutter contre le terrorisme au Sahel. G. Bush avait aussi fait du pétrole du golfe de Guinée un objectif stratégique pour sortir de la dépendance du pétrole saoudien. Pensons aussi en 2000 à l’AGOA sous Clinton. Donc, pas nouveau, mais pas ancien non plus. En gros depuis une quinzaine d’années. Dans les années de la Guerre froide, ils avaient délégué l’Afrique aux Européens et dans les années 1990, ils s’en étaient désengagés après le fiasco en Somalie. LAD : Depuis quelques années, les Américains multiplient les implantations militaires dans des pays comme le Niger ou le Burkina Faso. Plus récemment, Washington a annoncé l’envoi de 3 000 soldats en Afrique pour lutter contre Ebola. Doit-on y voir une militarisation progressive du continent ? T.S. : Oui, indéniablement. Si les États-Unis applaudissent l’intervention française au Mali selon le principe de «responsabilisation» des alliés des États-Unis, ils ne font pas suffisamment confiance aux Européens pour ne pas s’engager dans la région, plus discrètement, mais fortement. On compte aujourd’hui plusieurs dizaines de milliers de soldats américains en Afrique. Djibouti, Kenya, Seychelles et Éthiopie accueillent des drones américains pour frapper les terroristes en Somalie ou au Yémen. Mais il y aura une douzaine de bases militaires secrètes en Afrique. LAD : Quels sont les principaux changements qui pourraient intervenir concrètement depuis ce sommet tenu en août dernier à Washington ? T.S. : Une croissance des échanges commerciaux, mais surtout pour Washington la poursuite de leur implication militaire et stratégique dans la région. Propos recueillis par Ibrahim Souleymane A PROPOS DE L’IRIS L’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) est un centre de recherche français traitant des questions stratégiques, géopolitiques et internationales. Think-tank de renom international, l’IRIS est classé en 2012 au 18ème rang mondial pour la catégorie Questions internationales et de sécurité du Global Go-To Think Tanks de l’Université de Pennsylvanie. L’institut couvre un spectre très large de questions géostratégiques. MOUVEMENTS ET NOMINATIONS S.E. Cheikh Niang nommé ambassadeur au Japon S.E. Cheikh Niang vient d’être nommé ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République du Sénégal auprès de Sa Majesté Akihito, Empereur du Japon, en remplacement de Bouna Sémou Diouf. S.E. Cheikh Niang est diplomé de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (Enam, actuelle Ena), section diplomatique. Avant cette nomination, il a été notamment Consul général à New York, ambassadeur du Sénégal en Afrique du Sud, puis ambassadeur du Sénégal aux États-Unis d’Amérique. S.E. Volker Berresheim, nouvel ambassadeur d’Allemagne au Togo S.E. Volker Berresheim, nouvel ambassadeur de la République fédérale d'Allemagne, a présenté la copie figurée de ses lettres de créance au ministre togolais des Affaires étrangères et de la coopération, S.E.M. Robert Dussey. Diplomate de carrière, l’ambassadeur Volker Berresheim succède à Joseph Weiss qui était en poste depuis trois ans. Volker Berresheim a notamment été en poste en Pologne et au Royaume-Uni. S.E. Dominique Renaux, ambassadeur de France au Gabon Nouvel ambassadeur de Turquie à Madagascar de la ministre déléguée auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé de la Francophonie, Yamina Benguigui. Il avait occupé plusieurs fois auparavant le poste d’ambassadeur, notamment au Togo (20072011), à l’île Maurice (2004-2007) et au Soudan (2000-2004). Diplômé de Sciences-Po Paris, de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco-Langues O’), l’ambassadeur Renaux est également titulaire d’une maîtrise de droit public et d’un DES de sciences économiques. Le nouvel ambassadeur de Turquie S.E. Volkan Türk Vural a présenté ses lettres de créance au président malgache, le 30 septembre dernier. «Nous allons renforcer la coopération entre les deux pays afin d’apporter des aides économiques et sociales. Nous allons réaliser des projets infrastructurels à Madagascar.», a-t-il déclaré lors de la rencontre. S.E. Tièna Coulibaly nommé ambassadeur L’agroéconomiste S.E. Tièna Coulibaly a été nommé ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Mali auprès des États-Unis d’Amérique, du Mexique et représentant du Mali auprès de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Notons que Tièna Coulibaly a été notamment ministre de l'Économie, des finances et du Budget dans les gouvernements de Cheick Modibo Diarra et de Diango Cissoko en 2012. Nouvel ambassadeur du Burkina en Éthiopie S.E. Bedializoun Moussa Nebié, ministre plénipotentiaire, a été nommé ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire représentant le Burkina Faso auprès de la République fédérale d’Éthiopie, représentant permanent auprès de l’Union africaine et de la Communauté économique africaine. Avant cette nomination, S.E. a été notamment ambassadeur et chargé à l’ambassade du Burkina Faso, à Genève. Dominique Renaux, ministre plénipotentiaire, est le nouvel ambassadeur de France au Gabon. Avant cette nomination, S.E. Dominique Renaux était directeur de cabinet AGENDA DIPLOMATIQUE Du 10 au 12 novembre 2014 Conférence mondiale de l’Unesco à Aichi-Nagoya au Japon La prochaine conférence mondiale de l’Unesco sur l’éducation au développement durable se tiendra à Aichi-Nagoya, au Japon. Du 11 au 14 novembre 9ème Conférence régionale sur Beijing + 20, à Addis-Abeba La neuvième Conférence régionale sur les femmes (Beijing + 20) aura lieu du 11 au 14 novembre 2014 à AddisAbeba, en Ethiopie. Du 17 au 19 novembre Sommet des infrastructures résilientes au climat à Addis-Abeba Ce sommet qui se tient pour la première fois permettra d’examiner les moyens de relever le défi dans différents secteurs concernés par le changement climatique sur le continent africain, a indiqué l’Union africaine (UA). Du 20 au 21 novembre 5ème Sommet global de l’entrepreneuriat à Marrakech Le 5ème Sommet global annuel de l’entrepreneuriat se tiendra à Marrakech, au Maroc. Le président américain Barack Obama sera au rendez-vous de cette grande rencontre dédiée à l’entrepreneuriat. Du 27 au 30 novembre Forum mondial des droits de l'Homme à Marrakech De nombreux invités sont annoncés pour ces assises dont : Kofi Annan, Bill Gates et Navi Pillay, ancien Haut commissaire des Nations unies aux droits de l'Homme. Du 29 au 30 novembre 15ème Sommet de la Francophonie à Dakar, au Sénégal. Dakar va abriter les 29 et 30 novembre 2014 le 15ème Sommet de la Francophonie. Cette rencontre réunit chaque deux ans les chefs d’Etat et de gouvernement des pays ayant le français en partage. Du 1er au 3 décembre 28ème session de l'Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE à Port Vila L’Assemblée parlementaire paritaire Afrique Caraïbes Pacifique Union européenne, aura lieu à Port Vila (Vanuatu). Elle sera précédée par les réunions des commissions permanentes les 29 et 30 novembre. Du 2 au 3 décembre 3ème Session du Conseil des droits de l’homme à Genève NOVEMBRE / DÉCEMBRE 2014 • 9 POINT DE VUE Les ONG internationales, quel enjeu pour l’Afrique ? Ibrahim Souleymane Rédacteur en chef Les Afriques DIPLOMATIE Pour tenter de contenir des fléaux tels qu’Ebola, les ONG et autres organisations humanitaires se déploient sur tout le continent. Cette solidarité internationale est certes un enjeu majeur, mais il faut plus de vigilance afin d’éviter les dérapages. a multiplication des situations d’urgence en Afrique : épidémies, guerres, famine, pauvreté, inondations… attire un nombre incalculable d’ONG et autres organismes de bonne volonté qui viennent aider les populations, en proie à des situations d’urgence. Aujourd’hui, le continent est devenu le terrain où toute ONG internationale qui se respecte doit prendre pied. Il est clair que l’arrivée massive des ONG internationales et des organismes onusiens contribue à de multiples niveaux au progrès du continent. Par exemple, ces acteurs influencent l’émergence et la montée en puissance de la société civile africaine, qui commence déjà à faire ses preuves, à son tour, en servant de contrepouvoir, à l’instar de la presse libre, en informant, en sensibilisant et en mobilisant les gens autour de nombreux problèmes de la société africaine : corruption, santé, démocratie, etc. Ce foisonnement des ONG et autres agences de développement commence à susciter de nombreuses interrogations et inquiétudes. Dans un domaine aussi peu réglementé, les responsables africains et les citoyens se doivent de rester vigilants. L Scandales à répétition D’année en année, les acteurs du milieu humanitaire brassent des sommes faramineuses. Partout sur le terrain, les conditions de vie des populations n’ont pas beaucoup connu d’amélioration. Les ONG arrivent à lever des fonds assez facilement auprès des donateurs comme les Américains qui sont les plus grands philanthropes du monde. D’ailleurs, les Américains ont cette tradition qui consiste pour les riches à donner une partie de leur fortune. Il suffit de voir juste les sommes octroyées aux ONG par les grandes fondations qui portent le nom du donateur qui en est à la base, comme Carnegie, Rockefeller, Bill Gates, etc. Sur le terrain, il reste toujours difficile de mesurer l’efficacité des ONG, qui sont souvent critiquées pour leur manque de transparence. Ainsi, selon certains observateurs, les fonds de certaines ONG seraient mal orientés, pour servir des intérêts personnels, ou pour financer le train de vie de leurs agents, au lieu de changer la vie des populations sinistrées. 10 • NOVEMBRE / DÉCEMBRE 2014 L’absence ou l’insuffisance du contrôle des actions humanitaires est d’autant plus importante qu’à maintes reprises des ONG ont été impliquées dans des scandales en Afrique. Par exemple, un certain nombre d’ONG ont été mêlées à des trafics d’enfants, en enlevant des enfants orphelins sans respecter les lois des pays en matière d’adoption. Également, de grands laboratoires pharmaceutiques ont été aussi mêlés à des scandales, car ils se servaient d’ONG comme intermédiaires, pour accéder aux populations africaines démunies afin de les utiliser comme cobayes pour tester des médicaments. Le destin de l’Afrique dans les mains des Africains Certes, les activités des ONG et autres organisations humanitaires sont à saluer. Mais les Africains ne devraient pas compter sur l’assistanat pour améliorer leurs propres conditions. Aucun pays dans le monde ne s’est développé grâce aux aides des ONG. D’ailleurs, en Afrique, même lorsque de grosses sommes d’argent sont annoncées, on ne voit pas suffisamment leur matérialisation sur le terrain. Le constat est visible. Malgré des décennies d’action sur le terrain, rien ne change dans le fond, pour les millions d’Africains qui n’arrivent toujours pas à prendre en charge leurs propres problèmes. Les ONG et autres agences de développement interviennent non pas comme des Les ONG et autres agences de développement interviennent non pas comme des bâtisseurs, mais comme des «pompiers», pour tenter de limiter les dégâts. C’est aux Africains de construire l’Afrique. bâtisseurs, mais comme des «pompiers», pour tenter de limiter les dégâts. C’est aux Africains de construire l’Afrique. Cette multiplication des acteurs de l’humanitaire risquerait de créer la mauvaise habitude de l’assistanat dans l’esprit des populations et des dirigeants. La solidarité internationale ne doit pas se substituer au rôle essentiel des États, qui se doivent d’avoir de vraies politiques d’intervention et de prévention face aux urgences humanitaires répétitives sur le continent. Des situations qui donnent souvent l’impression que l’État n’existe pas en Afrique.