usa : puissance militaire discrète en afrique

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usa : puissance militaire discrète en afrique
DIPLOMATIE
N° 20 - novembre/décembre 2014
1
ER
lesafriques.com
MENSUEL INTERNATIONAL DIGITAL EN AFRIQUE
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : ABDERRAZZAK SITAIL
USA : PUISSANCE
MILITAIRE DISCRÈTE
EN AFRIQUE
AMBASSADEUR
DOSSIER
AVIS D’EXPERT
AVIS D’EXPERT
POINT DE VUE
Interview :
S.E. Idrissa Traoré
«La Côte d’Ivoire
renaît de manière
inexorable»
USA :
puissance
militaire discrète
en Afrique
Interview :
Jérôme Pigné
Interview :
Thomas Snégaroff
USA/Afrique : le
président Obama a-t-il
enfin trouvé sa stratégie ?
Washington veut
miser sur l’Afrique
Les ONG
internationales,
quel enjeu pour
l’Afrique ?
DIPLOMATIE
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SOMMAIRE
3
AMBASSADEUR
Dans cet entretien, S.E. Idrissa
Traoré, ambassadeur de la
Côte d’Ivoire au Maroc,
aborde les différents volets de
la coopération maroco-ivoirienne. Il nous livre également
les avancées et les perspectives
de son pays depuis la sortie de
la crise de 2010-2011.
7
INTERVIEW
Dans cet entretien, Jérôme
Pigné, doctorant à l’Ehess,
l'École des hautes études en
sciences sociales, nous livre son
analyse sur la stratégie du président Obama pour l’Afrique.
Selon lui, Washington pourrait
faire profil bas, pour favoriser
des échanges d’égal à égal avec
les Africains.
DOSSIER
USA : puissance militaire discrète en Afrique
8
8
INTERVIEW
Pour Thomas Snégaroff, chercheur à l'Institut de relations
internationales et stratégiques
(IRIS) et spécialiste des ÉtatsUnis, après le sommet de
Washington, tenu en août dernier, on pourrait s’attendre à
une nouvelle dynamique des
échanges commerciaux, mais
aussi une plus grande implication militaire des États-Unis
en Afrique.
9
NOMINATIONS
S.E. Volker Berresheim, nouvel
ambassadeur de la République
fédérale d'Allemagne, a présenté la copie figurée de ses
lettres de créance au ministre
togolais des Affaires étrangères
et de la coopération, S.E.M.
Robert Dussey. Diplomate de
carrière, l’ambassadeur Volker
Berresheim succède à Joseph
Weiss qui était en poste depuis
trois ans. Volker Berresheim a
notamment été en poste en
Pologne et au Royaume-Uni.
POINT DE VUE
2 • NOVEMBRE / DÉCEMBRE 2014
5
L’Afrique est désormais devenue un terrain stratégique pour
les États-Unis. Approvisionnement énergétique, investissements importants, déploiement
militaire, lutte antiterroriste,
etc., depuis peu les Américains
arrivent en force en Afrique.
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de l’éditeur
«La Côte d’Ivoire renaît
de manière inexorable»
DOSSIER
10
Edition internationale
S.E. IDRISSA TRAORÉ
5
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3
N°20
NOVEMBRE /
DÉCEMBRE 2014
Pour tenter de contenir des
fléaux tels qu’Ebola, les ONG et
autres organisations humanitaires se déploient sur tout le
continent. Cette solidarité internationale est certes un enjeu
majeur, mais il faut plus de vigilance afin d’éviter les dérapages.
THOMAS SNÉGAROFF
Washington veut miser sur l’Afrique
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POINT DE VUE
Les ONG internationales, quel enjeu pour l’Afrique ?
AMBASSADEUR
«La Côte d’Ivoire renaît
de manière inexorable»
Dans cet entretien, S.E. Idrissa Traoré, ambassadeur
de la Côte d’Ivoire au Maroc, aborde les différents volets de la coopération maroco-ivoirienne. Il nous livre
également les avancées et les perspectives de son pays
depuis la sortie de la crise de 2010-2011.
L
es Afriques Diplomatie : Excellence, pouvez-vous nous dire quelques mots sur la
situation en Côte d’Ivoire, environ quatre ans après la fin de la crise politique ?
S.E. Idrissa Traoré : Je voudrais avant tout
propos vous remercier pour cette opportunité
que vous m’offrez de m’exprimer sur la situation de la Côte d’Ivoire environ quatre ans
après la crise post-électorale qu’elle a traversée, une crise consécutive elle-même à une
longue décennie de crise politique. Dans cette
Côte d’Ivoire, tous les clignotants étaient au
rouge, la croissance économique négative, le
tissu social disloqué, les infrastructures dégradées et les institutions fortement affaiblies.
Cette Côte d’Ivoire-là était au ban de la communauté internationale et était soigneusement
évitée par les investisseurs sérieux. Les clivages
y étaient exacerbés et les positions tranchées.
Le pays renaît de manière inexorable. Sur le
plan économique, les acquis sont incontestables. Depuis 2011, le taux de croissance du PIB
était en forte régression (-4.7%). Aujourd’hui,
la Côte d’Ivoire enregistre des taux de croissance économique frôlant les deux chiffres
(9,8% en 2012 et entre 8 et 9% en 2013).
Cette forte croissance est certes essentiellement soutenue par les investissements publics, mais également par la valeur ajoutée
créée dans le secteur agricole, les mines, le
BTP, l’agro-industrie, les autres industries
manufacturières et les services. Le tissu social
qui s’était effrité est en train de se reconstituer, car la méfiance a fait place à la confiance
retrouvée. La destination Côte d’Ivoire est redevenue très prisée. Cela peut se vérifier par
le nombre d’hommes d’affaires reçus en audiences à la chancellerie. Des hommes d’affaires marocains ou européens qui viennent
se renseigner sur les opportunités d’affaires
ou qui sollicitent des mises en relation d’affaires. Les milieux politiques et d’affaires s’extasient encore de la résilience dont
l’économie ivoirienne a fait preuve. Pratiquement à genoux à l’issue de la grave crise postélectorale, elle a réussi en un temps record à
redécoller, renouant avec la croissance et lançant de grands chantiers structurants.
LAD : On dit souvent que la Côte d’Ivoire
est le poumon économique de l’Uemoa.
Qu’en est-il du climat des affaires dans le
pays ? La Côte d’Ivoire peut-elle constituer
une porte d’entrée au marché des pays de
la sous-région ?
I.T.: La Côte d’Ivoire constitue effectivement
un poids économique important pour la
sous-région ouest-africaine : elle représente
environ 39% de la masse monétaire et contribue pour près de 32% au PIB de l’Union économique et monétaire ouest-africaine
(Uemoa) selon les statistiques 2013 de la
Banque centrale des États de l’Afrique de
l’Ouest (Bceao). Le climat des affaires s’est radicalement amélioré, en témoigne l’afflux
massif des investisseurs étrangers.
Quelques mesures phares ont été mises en
œuvre par notre gouvernement, notamment l’adoption d’un nouveau code d’investissement qui fait la part belle aux
investisseurs et qui est l’un des plus attrayants du continent, le guichet unique du
commerce extérieur, la création d’un centre
de facilitation pour les formalités de création d’entreprise permettant ainsi de créer
une entreprise en moins de 24 heures. À
cela, il faut ajouter l’assainissement de l’appareil judiciaire et sa restructuration avec la
création d’un Tribunal de commerce, la redynamisation de la Cour d’arbitrage, le renforcement des capacités du personnel de
l’Administration publique (Trésor, fonction
publique, économie et finances), ainsi que
la lutte contre le racket et les tracasseries,
pour ne citer que ces mesures.
Plus qu’une évolution, c’est une révolution
qui s’est opérée à ce niveau. Je fais remarquer
que l’objectif de mon pays est de réaliser à
travers le Plan national de développement,
adopté en 2012 pour la période 2012-2015,
une croissance forte et soutenue.
La Côte d’Ivoire, comme l’attestent la plupart
des agences de notation, est passée du rouge
à l’orange, et de l’orange au vert. Toutefois,
nous avons le triomphe modeste. En effet, le
Président Alassane Ouattara nous a appris
qu’aucune position n’est définitivement ac-
quise et que dans ce monde si mouvant du
21ème siècle, les acquis ont besoin d’être
consolidés et renforcés.
Aussi, son ambition est-elle de faire de la Côte
d’Ivoire un pays émergent à l’horizon 2020.
C’est la raison pour laquelle le gouvernement
a concentré ses efforts sur les défis majeurs que
sont le renforcement de la sécurité, la cohésion
nationale, la réconciliation et la paix, enfin
l’accélération de la relance économique. Pour
toutes ses raisons, la Côte d’Ivoire peut effectivement constituer une porte d’entrée au marché de la sous-région, car, et tous les
observateurs avertis en sont convaincus,
quand la Côte d’Ivoire va bien, c’est toute la
sous-région qui se porte mieux.
LAD : Depuis quelques années, on constate
une nouvelle dynamique dans les échanges
entre le Maroc et la Côte d’Ivoire. Pouvezvous nous parler de l’état des relations
entre les deux pays ?
I.T. : Comme vous l’avez vous-même
constaté avec les visites de Sa Majesté le Roi
Mohammed VI en Côte d’Ivoire, la coopération entre la République de Côte d’Ivoire
et le Royaume du Maroc se porte très bien.
Elle ne date pas d’aujourd’hui, et je puis
vous affirmer, d’une part, que le temps n’en
a aucunement altéré la qualité et, d’autre
part, que son bilan est globalement satisfaisant. La République de Côte d’Ivoire et le
Royaume du Maroc ont établi des relations
diplomatiques le 16 août 1960. Les représentations diplomatiques ont été ouvertes
en 1960 pour le Maroc et en 1965 pour la
Côte d’Ivoire. Ces excellentes relations sont
régies par des instruments juridiques allant
du Traité d’amitié et de coopération du 22
septembre 1973 aux accords signés lors de
la dernière visite de Sa Majesté en février
dernier à Abidjan.
En ce qui concerne le bilan de cette coopération, je peux vous affirmer qu’il est globalement positif. Le Maroc apporte beaucoup à
la Côte d’Ivoire surtout en matière de formation. Mais les échanges dans le domaine de la
jeunesse et des sports, des médias, du touNOVEMBRE / DÉCEMBRE 2014 • 3
AMBASSADEUR
risme et de l’artisanat ne sont pas en reste. Par
ailleurs, le Royaume du Maroc prend une
part active dans le renforcement des capacités
des cadres ivoiriens, à travers des programmes sectoriels de formation continue
(agriculture et pêche maritime, gestion portuaire et aéroportuaire, journalisme, etc.).
Il s’agit, comme vous le constatez, de relations privilégiées. Relations auxquelles j’ai
l’insigne honneur, en ma qualité de représentant du chef de l’État et sous sa haute autorité, de donner le lustre nécessaire afin
qu’elles épousent notre ère.
LAD : Une synergie est-elle possible sur le
plan économique entre les deux pays?
S.E. I.T. : J’irai même plus loin, cette synergie
est en train d’être mise en œuvre. Je vous signale au passage que les économies marocaine et ivoirienne sont complémentaires. Le
Maroc tire l’essentiel de son produit intérieur brut des secteurs secondaires et tertiaires, tandis que l’agriculture constitue la
locomotive de l’économie ivoirienne. Mon
pays à besoin de développer davantage ses
secteurs secondaire et tertiaire, à savoir l’industrie et les services, gages d’un développement durable.
Aujourd’hui, l’économie occupe inévitablement la première place dans ce partenariat.
En témoignent d’abord la composition de la
délégation qui a accompagné Sa Majesté le
Roi lors de sa dernière visite en Côte d’Ivoire,
en février dernier. Ensuite, le discours que Sa
Majesté le Roi a prononcé à l’ouverture du
Forum est révélateur de l’importance accordée à l’économie dans les relations entre nos
deux pays. Sa Majesté le Roi Mohammed VI
a dit et je cite : «Auparavant, la diplomatie
était au service de la consolidation des relations politiques. Aujourd’hui, c’est la dimension économique qui prime et constitue l’un
des fondamentaux des relations diplomatiques». Le Président Alssane Ouattara ne dit
pas autre chose quand il engage sa politique
étrangère à se tourner résolument vers l’écodiplomatie. Par ailleurs, je note que les opérateurs économiques des deux pays n’ont pas
attendu les politiques. En effet, depuis 2011,
des institutions et groupes marocains investissent en Côte d’Ivoire.
LAD : Comment voyez-vous l’avenir des relations entre la Côte d’Ivoire et le Maroc ?
I.T. : À mon avis, les relations entre la Côte
d’Ivoire et le Maroc seront encore plus approfondies, notamment sur le plan économique. Les prémices se font déjà sentir avec le
nombre élevé d’hommes d’affaires marocains
qui investissent en Côte d’Ivoire dans divers
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S.E. Idrissa Traoré, Ambassadeur de Côte
d’Ivoire, a présenté ses lettres de créance
à Sa Majesté Mohammed VI, Roi du
Maroc. Lundi 15 octobre 2012. Rabat
(Maroc). Palais Royal.
domaines. La dernière visite de Sa Majesté, en
février dernier, accompagné d’une centaine
de chefs d’entreprise, a donné le signal pour
la relance des relations économiques entre les
deux États. Par ailleurs, les accords signés lors
de cette visite royale constituent à n’en point
douter les jalons et les porteurs de cette relance. Je conclurai en ajoutant que le Président de la République Alassane Ouattara et
Sa Majesté le Roi Mohammed VI souhaitent
faire de l’axe Rabat -Yamoussoukro un modèle de coopération Sud-Sud.
LAD : Pour terminer, les élections présidentielles sont pour bientôt en Côte
d’Ivoire, précisément en 2015. Le Président
Alassane Ouattara sera-t-il candidat à sa
propre succession ? Si oui, pensez-vous
qu’il puisse gagner ?
I.T. : Lors de son investiture en qualité de président de la République de Côte d’Ivoire,
Alassane Ouattara a indiqué comme priorité
sa volonté de repositionner son pays sur
l’échiquier international, en faisant de la Côte
d’Ivoire un pays émergent à l’horizon 2020.
C’est dans cette dynamique qu’à l’occasion de
sa dernière visite d’État à l’intérieur du pays et
plus précisément dans la région de l’Iffou que
le président de la République a sollicité le suffrage des Ivoiriens pour un second mandat en
vue d’achever les différents chantiers entrepris.
Je voudrais relever qu’en l’espace de trois années, le président Alassane Ouattara a entrepris des réformes structurelles et sectorielles
en vue d’améliorer le climat des affaires et le
cadre de vie de la population.
Sous son impulsion et sa clairvoyance, le gouvernement a ouvert une multitude de fronts
pour ne pas dire de chantiers allant des économiques à la réconciliation nationale.
Aujourd’hui, chaque chantier connaît une
avancée extraordinaire, si ce n’est un succès.
Entre autres, il s'agit notamment de la restauration de l’Université, temple du savoir,
sur le plan académique ainsi qu’au niveau
des infrastructures ; des programmes d’investissements massifs qui sont en cours et
qui visent en grande partie à la création
d’emplois, notamment des emplois de
jeunes; du programme d’urgence présidentiel grâce auquel nous assistons à l’exécution
de certaines infrastructures de base : eau,
électricité, routes… Des grands chantiers
comme les travaux du 3ème pont, la voie express Abidjan-Grand-Bassam qui seront livrés dans moins de six (6) mois ; des grands
chantiers en cours, tels que le barrage hydroélectrique de Soubré qui, une fois terminé,
sera le plus grand du pays et couvrira largement nos besoins en électricité...
Aussi, pour toutes ces actions de développement qui ont permis de repositionner notre
pays sur la scène internationale, le président
de la République affiche un bilan largement
positif. Je pense pour ma part qu’ils sont
nombreux les Ivoiriens qui estiment qu’il serait utile de laisser le président de la République poursuivre l’œuvre qu’il a commencée
pour le bonheur des Ivoiriens et des amis de
la Côte d’Ivoire. En effet, pour la grande majorité de la population ivoirienne, le président
Alassane Ouattara a toutes les chances d’être
réélu lors des prochaines élections présidentielles en Côte d’Ivoire.
Propos recueillis par
Ibrahim Souleymane
DOSSIER
USA : puissance militaire
discrète en Afrique
L’Afrique est désormais devenue un terrain stratégique pour les États-Unis. Approvisionnement énergétique, investissements importants, déploiement militaire, lutte antiterroriste, etc., depuis peu les Américains arrivent en force en Afrique.
a nouvelle stratégie africaine des
États-Unis commence à se dessiner.
Elle porte autour des affaires et l’approvisionnement énergétique, de la
lutte antiterroriste, de la militarisation de
l’Afrique, etc. Sur le plan sécuritaire, Washington tente de contrer les menaces terroristes, et
sur le plan économique, de contrecarrer cette
montée en puissance de la Chine qui inquiète
tant les pays occidentaux.
Depuis le mois d’août dernier, le président
Obama a donné le ton en décidant de convoquer à Washington le premier Sommet USAAfrique de l’histoire. L’évènement qui a
enregistré la participation d’une quarantaine de
chefs d’État et de gouvernement a été l’occasion
pour le président américain Barack Obama de
décliner les grands axes de sa nouvelle stratégie
en Afrique. En clair, le sommet de Washington a
été l’occasion pour les Américains d’annoncer
leur retour en force sur le continent. Il est vrai
que l’Afrique n’a jusque-là pas beaucoup
compté dans la politique américaine et en dépit
des premiers actes posés par le président
Georges W. Bush avec le lancement de l’AGOA,
les relations économiques entre les deux partenaires n’ont pas pris une grande ampleur. De
L
l’avis de plusieurs observateurs, ce regain d’intérêt des États-Unis pour l’Afrique «n’est pas
étranger à l’appétit grandissant des grandes
puissances occidentales pour le potentiel
confirmé du continent». Même si depuis des
années l’Amérique a montré sa volonté de combattre les groupes terroristes en Afrique, le volet
militaire occupe désormais une place importante dans sa coopération avec l’Afrique.
Militarisation discrète
L’Amérique d’Obama est-elle en train de tisser
son réseau pour militariser discrètement
l’Afrique ? En tout cas, depuis quelques années,
tout laisse penser que les militaires américains
reviennent en Afrique. Certes, l’époque de la
Guerre froide est dépassée, mais la présence militaire américaine se renforce d’année en année
en Afrique. Pour quelle raison ? Telle est la question. En tout cas, on estime entre 5 000 et 6 000
le nombre de soldats américains actuellement
stationnés en Afrique, auxquels viendront
s’ajouter 3 000 soldats récemment annoncés par
Washington pour «lutter contre Ebola». Si la
lutte antiterroriste est le principal motif avancé,
certains y voient des objectifs bien plus stratégiques pour Washignton qui consolide discrète-
ment son dispositif militaire dans cette région.
La création de l’Afrique Africom (United States
Africa Command), le commandement militaire
des États-Unis pour l’Afrique, par le président
George W. Bush en 2007, témoignait déjà de
l’importance stratégique d’une présence militaire des États-Unis en Afrique, au lendemain
des attentats du 11 septembre 2001. Une stratégie qui se confirme avec le renforcement du dispositif militaire américain. La coopération
militaire entre l’Afrique les États-Unis ne date
pas d’aujourd’hui, mais elle connaît actuellement un certain renouveau au nom de la lutte
contre le terrorisme. D’ailleurs, le QG de l’Africom qui était depuis des années basé à Stuttgart
en Allemagne sera très bientôt transféré en
Afrique, probablement au Libéria.
Officiellement, les États-Unis ne disposent que
d’une seule grande base militaire sur le continent qui se trouve à Djibouti. Mais dans les faits,
les soldats américains sont dispersés dans des
petites bases permanentes ou provisoires pouvant servir dans des interventions rapides dans
plusieurs pays du continent. Par exemple, au Niger, les Américains disposent d’une base logistique pour appuyer la surveillance des drones. La
coopération militaire couvre aussi l’envoi régu-
NOVEMBRE / DÉCEMBRE 2014 • 5
lier d’instructeurs ou d’unités réduites. De façon
générale, on peut dire que la présence militaire
américaine reste discrète en Afrique. Selon certains analystes, l’implantation de plus en plus
massive des entreprises américaines qui veulent
tirer profit du boom que connaît le continent
explique ce renforcement des mesures de sécurité. Récemment, le gouvernement américain a
annoncé l’envoi de 3 000 militaires en Afrique,
pour contribuer à «lutter contre Ebola» en
Afrique de l’Ouest. Une initiative qui préfigure la
nouvelle donne géopolitique que représente
l’Afrique pour l’Amérique d’Obama.
Enjeux pétroliers
Embourbés en Irak, moins appréciés en Arabie
saoudite, les Américains ont dû revoir le schéma
de leur approvisionnement énergétique. Sans
oublier que les pays d’Amérique latine sont en
train de basculer vers l’antilibéralisme. Du coup,
l’idée d’abandonner l’Afrique et ses gisements de
pétrole aux seuls adversaires chinois était perçue
comme une erreur géostratégique qui pouvait
leur coûter cher à l’avenir. A l’époque, plusieurs
personnalités américaines (dont le vice-président Dick Cheney et le président du sous-comité
sur l’Afrique au congrès, Ed Royce) avaient souligné l’importance du pétrole africain et la question de la sécurisation du continent. Les
États-Unis se devaient d’atténuer leur dépendance vis-à-vis de leurs sources d’approvisionnement devenues incertaines dans ces régions.
C’est ainsi que l’Afrique a été retenue notamment à cause de ses réserves prouvées qui dépassent 100 milliards de barils. Notons qu’en 2002
les États–Unis produisaient 7,6 millions de barils
par jour pour une consommation estimée à 19,7
millions de barils par jour. Le pays importait
60,1% de ses besoins en brut. Le gouvernement
américain s’était alors fixé pour objectif d’importer, à l’horizon 2015, 25% de sa consommation pétrolière de l’Afrique. Sous l’air Bush,
l’objectif était principalement de sécuriser les intérêts américains en Afrique. Depuis l’arrivée du
président Obama, le spectre de la lutte antiterro-
riste a pris le pas sur le motif de la sécurisation
énergétique, un changement qui a incité les
Américains à revoir leurs pions sur le continent.
Le temps des affaires
La nouvelle stratégie américaine en Afrique
semble s’appuyer fortement sur les affaires.
L’heure est pour le business avec des investissements concrets. Selon le président Obama,
l’objectif des États-Unis est de faire de l’Afrique
un «partenaire fort». Le président américain
avait annoncé lors du sommet de Washington
des investissements de 33 milliards de dollars
comme soutien au continent. Cette enveloppe
inclut aussi bien l’aide publique que les investissements que le secteur privé et les multinationales américaines comptent réaliser et qui
peuvent contribuer au développement socioéconomique de l’Afrique. L’Afrique a jusqu’ici
été marginalisée par les investisseurs américains. En effet, selon les statistiques officielles,
le continent n’attire que 1% des investissements directs à l’étranger (IDE) américains
dans le monde. Les exportations africaines vers
les États-Unis sont principalement dominées
par le pétrole à hauteur de 80%. Selon les détails de la nouvelle stratégie américaine en
Afrique, les États-Unis vont lancer plusieurs
programmes dont la mise en œuvre va nécessiter une enveloppe totale de 37 milliards de dollars d’ici à 2020. Il s’agira d’abord de l’Initiative
pour la sécurité et la gouvernance, qui vise à accompagner six pays du continent (Ghana, Kenya, Mali, Niger, Nigéria et Tunisie) dans la
formation et le renforcement des capacités de
leurs forces de sécurité. Le gouvernement américain s’est également engagé à accorder une
aide financière annuelle de 110 millions de dollars, sur trois à cinq ans, à six autres pays qui
contribuent aux opérations de maintien de la
paix. L’objectif à ce niveau est de faciliter la
mise en place de la Force africaine de réaction
rapide aux crises. Sur le plan économique, en
plus de la probabilité de prolonger l’AGOA, les
États-Unis se sont engagés à soutenir la mise en
LES ÉTATS-UNIS MILITARISENT DISCRETEMENT L’AFRIQUE
Le nombre de soldats américains en
Afrique est estimé entre 5 000 et 6
000, réparti sur 11 pays, auxquels vont
s’ajouter 3 000 militaires qui seront
déployés dans le cadre de la lutte
contre l’épidémie d’Ebola. Notons que
ces derniers seront déployés au Libéria. Les soldats américains sont basés
dans les pays suivants : Libéria, Burkina Faso, Niger, Nigéria, Tchad, Kenya , D j i b o u t i , É t h i o p i e, O u g a n d a ,
Sud-Soudan et Seychelles, à travers
des bases permanentes ou provisoires
6 • NOVEMBRE / DÉCEMBRE 2014
dans ces 11 pays. Bientôt avec les 3
000 soldats qui seront déployés dans
le cadre de la lutte contre Ebola, les
Américains seront presque à égalité
avec les Français, en termes d’effectifs
militaires en Afrique, avec 9 000 soldats pour chacun des deux pays.
Pour comparaison, les 9 000 soldats
français sont répartis dans 11 pays :
Sénégal, Côte d’Ivoire, Mali, Gabon,
Mauritanie, Centrafrique, Burkina
Faso, Niger, Nigéria, Tchad et Djibouti.
œuvre du gigantesque projet Power Africa,
dont le but est de permettre à 60 millions de
ménages africains d’accéder à l’électricité. Il
s’agit là d’engagements qui restent à concrétiser, mais au vu de l’enjeu pour les entreprises
américaines et surtout du rôle géopolitique de
l’Afrique, les observateurs s’accordent à dire
qu’il y va également des intérêts américains.
Obama s’implique également beaucoup dans le
programme YALI (Young African Leaders Initiative), qui consiste à former des milliers de
jeunes Africains à l’entrepreneuriat.
Rivalité avec la Chine
L’Afrique est dans l’air du temps. En témoigne
l’offensive économique de la Chine en Afrique
depuis les années 2000, mais aussi les nombreuses sollicitations à travers le monde des autres pays intéressés par le continent. Qu’il
s’agisse de la France, du Japon, de l’Union européenne ou même des nouveaux pays émergents, comme le Brésil, l’Inde ou la Turquie,
toutes les grandes puissances veulent faire de
l’Afrique leur partenaire privilégié. Mais pour
l’heure, il va falloir au pays de l’Oncle Sam de
rattraper son retard en Afrique. Actuellement,
les États-Unis ne sont que le troisième partenaire économique de l’Afrique, après la Chine
et l’Union européenne. Si depuis l’entrée en vigueur de l’African Growth and Opportunity
Act (AGOA), en 2006, les échanges entre les
deux parties se sont davantage intensifiés, leur
valeur reste loin du potentiel que recèle la coopération économique entre l’Afrique et les
États-Unis. En 2013, par exemple, les échanges
commerciaux entre l’Afrique et la Chine ont
totalisé 210 milliards de dollars. Selon les statistiques publiées par le forum de l’AGOA à Addis- Abéba, en août 2013, le total des échanges
commerciaux (imports et exports) des États
Unis avec l’Afrique subsaharienne est de 72,2
milliards de dollars en 2012 (contre 28,2 milliards de dollars en 2001). Pour favoriser cette
dynamique des échanges, les pays africains ont
sollicité les autorités américaines, pour reconduire l’AGOA qui arrive à son terme en 2015.
Pour rappel, l’AGOA est un programme qui
permet aux pays africains éligibles à exporter,
sans droits de douane, leurs produits manufacturés vers le marché américain.
Dans leur ambition de se hisser au rang de
partenaire privilégié de l’Afrique, les ÉtatsUnis vont devoir compter avec la concurrence
de plusieurs autres puissances qui se sont bien
installées sur le continent. Si avec la Chine, la
concurrence s’annonce rude, les États-Unis
pourront certainement compter sur des pays
alliés comme la France ou la Grande-Bretagne, très présentes aussi en Afrique.
Ibrahim Souleymane
DOSSIER
USA/Afrique : le président Obama
a-t-il enfin trouvé sa stratégie ?
Dans cet entretien, Jérôme Pigné, doctorant à l’Ehess, l'École des
hautes études en sciences sociales, nous livre son analyse sur la stratégie du président Obama pour l’Afrique. Selon lui, Washington
pourrait faire profil bas, pour favoriser des échanges d’égal à égal avec les Africains.
L
es Afriques Diplomatie : Pourquoi le
président Obama a-t-il attendu son
deuxième mandat pour s’intéresser à
l’Afrique ?
Jérôme Pigné : L’Afrique malgré un intérêt
grandissant de la part de la première puissance
mondiale, n’est pas une priorité stratégique de
la politique extérieure américaine. Néanmoins,
ce regain d’intérêt s’est matérialisé par les visites à l’été 2013 du président américain sur le
continent africain, visite pendant laquelle
Obama avait promis la tenue du sommet qui a
suivi en août 2014. Rappelons également que
l’Amérique est le premier pays hors du continent à avoir une représentation permanente au
sein de l’Union africaine. Donc, ces relations ne
datent pas d’aujourd’hui. C’est un symbole politique et diplomatique fort qu’il faut garder en
tête, surtout à un moment où les États-Unis,
l’UE et d’autres acteurs internationaux veulent
renforcer et mettre en avant la capacité des Africains à subvenir à leurs besoins.
LAD : L’offensive économique de la Chine et
des autres pays émergents en Afrique est-elle
la principale raison de ce regain d’intérêt des
Américains pour ce continent ?
J.P. : Le rôle joué par la Chine est une raison
essentielle. Mais d’autres facteurs entrent en
compte. L’ensemble des pays émergents communément appelés BRICS (Brésil, Russie,
Inde et Chine, Afrique du Sud) pèse dans la
balance. Il s’agit pour Washington de voir
l’Afrique comme un continent d’opportunités et d’échanges dans divers secteurs, d’une
part. Et d’autre part, c’est de sortir de cette
grille de lecture, de ce paradigme sécuritaire
infligé à l’Afrique, au lendemain du 11 septembre 2001. J’ajouterai enfin pour nuancer
mon propos que dans les faits, l’administration américaine a de réelles difficultés à afficher cette rupture de principe.
LAD : Peut-on dire que l’Afrique est devenue
une région stratégique pour les États-Unis ?
J.P. : L’Afrique ne fait pas partie de ce qu’on pourrait qualifier de haute priorité stratégique pour
les États-Unis. Néanmoins, cette région du
monde ne laisse plus indifférente l’administration américaine comme de par le passé. C’est une
évolution qu’il faut bien noter. Les enjeux sur le
continent sont nombreux, complexes et transverses. Le président Obama ne peut pas établir
son équation stratégique en politique étrangère
sans prendre en compte les nouvelles réalités de
l’Afrique. Bien évidemment, certaines régions
comme l’Afrique de l’Est ou la Corne de l’Afrique
sont plus importantes que d’autres. Mais avec ce
qui prévaut au Sahel et l’épidémie du virus Ebola
inquiètent l’administration américaine.
LAD : Le sommet États-Unis/Afrique, tenu
en août dernier, est-il le début d’une nouvelle dynamique entre les deux parties?
J.P. : Plus qu’une nouvelle dynamique, c’est la
concrétisation d’un intérêt grandissant pour le
continent africain depuis plus d’une décennie.
Et ça ne s’arrête pas là. Il s’agit d’aller de l’avant
dans la relation avec l’Afrique sur des sujets aussi
vastes que complexes, à savoir la sécurité, le climat, le commerce, etc. Les attentes sont grandes
et concernent au-delà des gouvernements, d’autres acteurs comme la société civile. Il y a par
exemple le forum entre Obama et la jeunesse
africaine, en amont du sommet, où le président
américain avait eu un discours fort sur l’importance de la société civile, de la jeunesse, etc.
LAD : Sur le plan sécuritaire, Washington a
annoncé l’envoi de jusqu’à 3 000 soldats en
Afrique pour la lutte contre Ebola. Doit-on
y voir une militarisation progressive du
continent ?
J.P. : Je ferai deux types de commentaires.
D’abord, quelle que soit la région du monde
concernée, les décisions de Washington, en tant
que première puissance mondiale, sont étudiées avec une attention particulière. Ensuite,
la réponse à Ebola, cela n’est pas spécifique aux
États-Unis, puisque la France aussi procède de
façon similaire. Cette réponse à Ebola est militaro-centrée. Il est tout à fait normal de se poser
certaines questions. Mais de là à parler d’une
théorie conspirationniste, c’est aller bien vite
en besogne. L’Amérique a toujours eu du mal
à s’implanter physiquement sur le continent.
Le cas d’Africom en est la preuve. Puisque Africom a son QG en Allemagne, et pas sur le
continent africain. Dans les salles de décision
qui gravitent à Washington et ailleurs, on est en
droit de se poser la question sur la décision
stratégique, quand on voit la situation actuelle
en Afrique de l’Ouest. Ce n’est pas du cynisme,
mais plutôt de la realpolitik.
LAD : Quels sont les principaux changements attendus concrètement depuis ce
sommet de Washington ?
J.P. : On peut dire qu’il y a une volonté pour
Obama d’inscrire dans la durée l’approche du
«smart power», c'est-à-dire une approche intelligente, globale, indirecte. Il s’agit d’avoir des empreintes minimales et d’essayer de s’inscrire en
rupture avec le passé. L’administration Obama va
essayer de promouvoir une relation d’égal à égal,
favorisant les potentialités économiques, commerciales, l’investissement, etc. Washington va essayer aussi de jouer profil bas au maximum. L’un
des objectifs américains, c’est aussi de diversifier
les partenariats pour sortir du carcan des échanges
gouvernement-gouvernement, pour initier davantage de programmes dans le secteur privé et
également avec la société civile.
LAD : Avant ce sommet, on disait qu’Obama
n’avait pas de stratégie pour l’Afrique. Est-ce
qu’on peut affirmer aujourd’hui que le président américain a enfin trouvé sa stratégie
pour l’Afrique ?
J.P. : La question de la stratégie sur l’Afrique, c’est
plus globalement une question de reformatage de
la politique étrangère américaine depuis
qu’Obama est aux commandes. C’est une politique étrangère avec un certain nombre de
concepts qui concernent l’Afrique et d’autres régions du monde. C’est difficile à évaluer, dans la
mesure où la politique américaine s’inscrit en
rupture avec le mandat précédent et en même
temps, il faut faire face à un certain nombre de difficultés et d’instabilités qui peuvent parfois chambouler les agendas politiques.
Propos recueillis par Ibrahim Souleymane
BIO-EXPRESS
Jérôme Pigné est doctorant à l’Ehess,
l’École des hautes études en sciences sociales, rattaché également à l’Institut de
recherche des Nations unies sur le désarmement (Unidir). Il est diplômé de l’IRIS
(défense, sécurité, gestion de crise) et de
l’université de Lyon III (Clesid), et collabore avec l’Institut Thomas More à Paris.
NOVEMBRE / DÉCEMBRE 2014 • 7
DOSSIER
Washington veut miser
sur l’Afrique
Pour Thomas Snégaroff, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste des États-Unis,
après le sommet de Washington, tenu en août dernier, on pourrait s’attendre à une
nouvelle dynamique des échanges commerciaux, mais aussi une plus grande implication militaire des États-Unis en Afrique.
L
es Afriques Diplomatie : Le sommet
États-Unis/Afrique tenu en août
dernier est-il le début d’une nouvelle dynamique des échanges entre les
deux parties ?
Thomas Snégaroff : C’est une date essentielle, de même que le déplacement d’Obama
en Afrique en mai 2013. L’Afrique pèse relativement peu économiquement pour les
États-Unis. 71 milliards de dollars seulement
d’échanges (pour l’ASS), moins que la Chine,
moins que l’Europe. Mais sur fond de tensions énergétiques mondiales, et surtout de
menaces terroristes, sans oublier toutes les
perspectives encourageantes sur le «réveil»
économique de l’Afrique, le continent noir
ne peut rester en marge de la politique extérieure américaine, aussi bien dans le domaine économique que politique. 80% des
exportations africaines vers les États-Unis
sont du pétrole…
LAD : Pourquoi le président Obama
a-t-il attendu son deuxième mandat pour
s’intéresser à l’Afrique ?
T.S. : Parce que dans l’ordre des priorités, le
shift vers l’Asie orientale était prioritaire. Parce
qu’aussi, mais c’est secondaire, les républicains
étaient prêts à dégainer si Obama mène une
politique proactive en Afrique, ce qui leur aurait permis d’attaquer Obama l’Africain.
BIO EXPRESS
Thomas Snégaroff est spécialiste des ÉtatsUnis, et enseigne à Sciences Po Paris, en
classes préparatoires aux grandes écoles de
commerce et à IRIS Sup». Il travaille sur la
politique étrangère américaine, notamment
les questions de défense et plus largement la
notion de puissance, qui donne lieu à un
cours à Sciences Po «Hard, soft et smart power». Il a publié de nombreux ouvrages, dont
récemment «Bill et Hillary Clinton: le mariage de l'amour et du pouvoir». Il participe
régulièrement au rapport de géopolitique
Antéios (PUF) et rédige le chapitre «Amérique du Nord» de l'Année stratégique depuis l'édition 2013.
8 • NOVEMBRE / DÉCEMBRE 2014
LAD : L’offensive économique de la Chine et
des autres pays émergents en Afrique est-elle
la principale raison de ce regain d’intérêt des
Américains pour ce continent ?
«Sur fond de tensions énergétiques
mondiales, et surtout de menaces
terroristes, sans oublier toutes les
perspectives encourageantes sur
le «réveil» économique de
l’Afrique, le continent noir ne
peut rester en marge de la
politique extérieure américaine,
aussi bien dans le domaine
économique que politique.»
T.S. : Oui, c’est évident, mais la question sécuritaire ne concerne pas spécifiquement les
émergents. Dans ce cas, les États-Unis agissent
en Afrique, car ils y voient l’une des bases arrière du terrorisme international (instabilité
au Sahel, questions des armes de Libye…).
LAD : Quelle place l’Afrique occupe-t-elle aux
yeux des Américains aujourd’hui et dans le
passé ? Peut-on dire que l’Afrique est devenue
une région stratégique pour les États-Unis ?
T.S. : L’Afrique le devient. Pour preuve, alors
qu’elle était sous commandement des forces
américaines en Europe, désormais, avec Africom, les États-Unis ont un commandement
spécifique en Afrique. Le basculement a été lent,
mais peut être daté d’après le 11 septembre
2001, avec notamment le programme Pan Sahel
pour lutter contre le terrorisme au Sahel. G.
Bush avait aussi fait du pétrole du golfe de Guinée un objectif stratégique pour sortir de la dépendance du pétrole saoudien. Pensons aussi en
2000 à l’AGOA sous Clinton. Donc, pas nouveau, mais pas ancien non plus. En gros depuis
une quinzaine d’années. Dans les années de la
Guerre froide, ils avaient délégué l’Afrique aux
Européens et dans les années 1990, ils s’en
étaient désengagés après le fiasco en Somalie.
LAD : Depuis quelques années, les Américains multiplient les implantations militaires
dans des pays comme le Niger ou le Burkina
Faso. Plus récemment, Washington a annoncé l’envoi de 3 000 soldats en Afrique
pour lutter contre Ebola. Doit-on y voir une
militarisation progressive du continent ?
T.S. : Oui, indéniablement. Si les États-Unis
applaudissent l’intervention française au Mali
selon le principe de «responsabilisation» des
alliés des États-Unis, ils ne font pas suffisamment confiance aux Européens pour ne pas
s’engager dans la région, plus discrètement,
mais fortement. On compte aujourd’hui plusieurs dizaines de milliers de soldats américains en Afrique. Djibouti, Kenya, Seychelles
et Éthiopie accueillent des drones américains
pour frapper les terroristes en Somalie ou au
Yémen. Mais il y aura une douzaine de bases
militaires secrètes en Afrique.
LAD : Quels sont les principaux changements qui pourraient intervenir concrètement depuis ce sommet tenu en août dernier
à Washington ?
T.S. : Une croissance des échanges commerciaux, mais surtout pour Washington la poursuite de leur implication militaire et stratégique
dans la région.
Propos recueillis par Ibrahim Souleymane
A PROPOS DE L’IRIS
L’Institut de relations internationales et
stratégiques (IRIS) est un centre de recherche français traitant des questions
stratégiques, géopolitiques et internationales. Think-tank de renom international, l’IRIS est classé en 2012 au 18ème
rang mondial pour la catégorie Questions internationales et de sécurité du
Global Go-To Think Tanks de l’Université
de Pennsylvanie. L’institut couvre un
spectre très large de questions géostratégiques.
MOUVEMENTS
ET NOMINATIONS
S.E. Cheikh
Niang nommé
ambassadeur
au Japon
S.E. Cheikh Niang
vient d’être nommé
ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République
du Sénégal auprès de
Sa Majesté Akihito,
Empereur du Japon,
en remplacement de
Bouna Sémou Diouf.
S.E. Cheikh Niang est
diplomé de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature
(Enam, actuelle Ena),
section diplomatique.
Avant cette nomination, il a été notamment Consul général à
New York, ambassadeur du Sénégal en
Afrique du Sud, puis
ambassadeur du Sénégal aux États-Unis
d’Amérique.
S.E. Volker Berresheim,
nouvel ambassadeur
d’Allemagne au Togo
S.E. Volker Berresheim,
nouvel ambassadeur de
la République fédérale
d'Allemagne, a présenté
la copie figurée de ses
lettres de créance au ministre togolais des Affaires étrangères et de la
coopération, S.E.M. Robert Dussey. Diplomate de carrière, l’ambassadeur Volker Berresheim succède à Joseph Weiss qui était en
poste depuis trois ans. Volker Berresheim a notamment été en
poste en Pologne et au Royaume-Uni.
S.E. Dominique
Renaux, ambassadeur de France
au Gabon
Nouvel ambassadeur de Turquie à
Madagascar
de la ministre déléguée
auprès du ministre des
Affaires étrangères,
chargé de la Francophonie, Yamina Benguigui. Il
avait occupé plusieurs
fois auparavant le poste
d’ambassadeur, notamment au Togo (20072011), à l’île Maurice
(2004-2007) et au Soudan (2000-2004). Diplômé de Sciences-Po
Paris, de l’Institut national des langues et civilisations orientales
(Inalco-Langues O’), l’ambassadeur Renaux est
également titulaire d’une
maîtrise de droit public et
d’un DES de sciences économiques.
Le nouvel ambassadeur de Turquie S.E.
Volkan Türk Vural a
présenté ses lettres de
créance au président
malgache, le 30 septembre dernier.
«Nous allons renforcer la coopération
entre les deux pays
afin d’apporter des
aides économiques et
sociales. Nous allons
réaliser des projets infrastructurels à Madagascar.», a-t-il
déclaré lors de la rencontre.
S.E. Tièna Coulibaly
nommé ambassadeur
L’agroéconomiste S.E.
Tièna Coulibaly a été
nommé ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Mali auprès
des États-Unis d’Amérique, du Mexique et représentant du Mali
auprès de la Banque
mondiale et du Fonds
monétaire international.
Notons que Tièna Coulibaly a été notamment
ministre de l'Économie,
des finances et du Budget dans les gouvernements de Cheick Modibo
Diarra et de Diango Cissoko en 2012.
Nouvel ambassadeur du Burkina en
Éthiopie
S.E. Bedializoun Moussa
Nebié, ministre plénipotentiaire, a été nommé
ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire
représentant le Burkina
Faso auprès de la République fédérale d’Éthiopie, représentant
permanent auprès de
l’Union africaine et de la
Communauté économique africaine. Avant
cette nomination, S.E. a
été notamment ambassadeur et chargé à l’ambassade du Burkina
Faso, à Genève.
Dominique Renaux, ministre plénipotentiaire,
est le nouvel ambassadeur de France au Gabon.
Avant cette nomination,
S.E. Dominique Renaux
était directeur de cabinet
AGENDA DIPLOMATIQUE
Du 10 au 12 novembre
2014
Conférence mondiale de
l’Unesco à Aichi-Nagoya
au Japon
La prochaine conférence mondiale de
l’Unesco sur l’éducation au développement
durable se tiendra à
Aichi-Nagoya, au
Japon.
Du 11 au 14 novembre
9ème Conférence régionale sur Beijing + 20, à
Addis-Abeba
La neuvième Conférence régionale sur les
femmes (Beijing + 20)
aura lieu du 11 au 14 novembre 2014 à AddisAbeba, en Ethiopie.
Du 17 au 19 novembre
Sommet des infrastructures résilientes au climat à Addis-Abeba
Ce sommet qui se tient
pour la première fois permettra d’examiner les
moyens de relever le défi
dans différents secteurs
concernés par le changement climatique sur le
continent africain, a indiqué l’Union africaine (UA).
Du 20 au 21 novembre
5ème Sommet global de
l’entrepreneuriat à
Marrakech
Le 5ème Sommet global
annuel de l’entrepreneuriat se tiendra à
Marrakech, au Maroc. Le
président américain Barack Obama sera au rendez-vous de cette
grande rencontre dédiée
à l’entrepreneuriat.
Du 27 au 30 novembre
Forum mondial des
droits de l'Homme à
Marrakech
De nombreux invités sont
annoncés pour ces
assises dont : Kofi Annan,
Bill Gates et Navi Pillay,
ancien Haut commissaire
des Nations unies aux
droits de l'Homme.
Du 29 au 30 novembre
15ème Sommet de la
Francophonie à Dakar,
au Sénégal.
Dakar va abriter les 29 et
30 novembre 2014 le 15ème
Sommet de la Francophonie. Cette rencontre réunit
chaque deux ans les chefs
d’Etat et de gouvernement des pays ayant le
français en partage.
Du 1er au 3 décembre
28ème session de l'Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE
à Port Vila
L’Assemblée parlementaire paritaire Afrique
Caraïbes Pacifique Union européenne,
aura lieu à Port Vila
(Vanuatu). Elle sera
précédée par les réunions des commissions
permanentes les 29 et
30 novembre.
Du 2 au 3 décembre
3ème Session du Conseil
des droits de l’homme
à Genève
NOVEMBRE / DÉCEMBRE 2014 • 9
POINT DE VUE
Les ONG internationales,
quel enjeu pour l’Afrique ?
Ibrahim Souleymane
Rédacteur en chef
Les Afriques DIPLOMATIE
Pour tenter de contenir des fléaux tels qu’Ebola, les ONG et autres organisations humanitaires se déploient sur tout le continent. Cette solidarité internationale est certes un
enjeu majeur, mais il faut plus de vigilance afin d’éviter les dérapages.
a multiplication des situations
d’urgence en Afrique : épidémies,
guerres, famine, pauvreté, inondations… attire un nombre incalculable d’ONG et autres organismes de
bonne volonté qui viennent aider les populations, en proie à des situations d’urgence.
Aujourd’hui, le continent est devenu le terrain où toute ONG internationale qui se
respecte doit prendre pied.
Il est clair que l’arrivée massive des ONG internationales et des organismes onusiens contribue à de multiples niveaux au progrès du
continent. Par exemple, ces acteurs influencent
l’émergence et la montée en puissance de la société civile africaine, qui commence déjà à faire
ses preuves, à son tour, en servant de contrepouvoir, à l’instar de la presse libre, en informant, en sensibilisant et en mobilisant les gens
autour de nombreux problèmes de la société
africaine : corruption, santé, démocratie, etc.
Ce foisonnement des ONG et autres agences
de développement commence à susciter de
nombreuses interrogations et inquiétudes.
Dans un domaine aussi peu réglementé, les
responsables africains et les citoyens se doivent de rester vigilants.
L
Scandales à répétition
D’année en année, les acteurs du milieu humanitaire brassent des sommes faramineuses.
Partout sur le terrain, les conditions de vie des
populations n’ont pas beaucoup connu
d’amélioration. Les ONG arrivent à lever des
fonds assez facilement auprès des donateurs
comme les Américains qui sont les plus grands
philanthropes du monde. D’ailleurs, les Américains ont cette tradition qui consiste pour les
riches à donner une partie de leur fortune. Il
suffit de voir juste les sommes octroyées aux
ONG par les grandes fondations qui portent le
nom du donateur qui en est à la base, comme
Carnegie, Rockefeller, Bill Gates, etc.
Sur le terrain, il reste toujours difficile de mesurer l’efficacité des ONG, qui sont souvent
critiquées pour leur manque de transparence.
Ainsi, selon certains observateurs, les fonds de
certaines ONG seraient mal orientés, pour
servir des intérêts personnels, ou pour financer le train de vie de leurs agents, au lieu de
changer la vie des populations sinistrées.
10 • NOVEMBRE / DÉCEMBRE 2014
L’absence ou l’insuffisance du contrôle des
actions humanitaires est d’autant plus importante qu’à maintes reprises des ONG ont
été impliquées dans des scandales en Afrique.
Par exemple, un certain nombre d’ONG ont
été mêlées à des trafics d’enfants, en enlevant
des enfants orphelins sans respecter les lois
des pays en matière d’adoption.
Également, de grands laboratoires pharmaceutiques ont été aussi mêlés à des scandales,
car ils se servaient d’ONG comme intermédiaires, pour accéder aux populations africaines démunies afin de les utiliser comme
cobayes pour tester des médicaments.
Le destin de l’Afrique
dans les mains des Africains
Certes, les activités des ONG et autres organisations humanitaires sont à saluer. Mais les
Africains ne devraient pas compter sur l’assistanat pour améliorer leurs propres conditions. Aucun pays dans le monde ne s’est
développé grâce aux aides des ONG. D’ailleurs, en Afrique, même lorsque de grosses
sommes d’argent sont annoncées, on ne voit
pas suffisamment leur matérialisation sur le
terrain. Le constat est visible. Malgré des décennies d’action sur le terrain, rien ne
change dans le fond, pour les millions d’Africains qui n’arrivent toujours pas à prendre
en charge leurs propres problèmes.
Les ONG et autres agences de développement interviennent non pas comme des
Les ONG et autres agences de
développement interviennent
non pas comme des bâtisseurs,
mais comme des «pompiers»,
pour tenter de limiter les
dégâts. C’est aux Africains de
construire l’Afrique.
bâtisseurs, mais comme des «pompiers»,
pour tenter de limiter les dégâts. C’est aux
Africains de construire l’Afrique.
Cette multiplication des acteurs de l’humanitaire risquerait de créer la mauvaise habitude de
l’assistanat dans l’esprit des populations et des
dirigeants. La solidarité internationale ne doit
pas se substituer au rôle essentiel des États, qui
se doivent d’avoir de vraies politiques d’intervention et de prévention face aux urgences humanitaires répétitives sur le continent. Des
situations qui donnent souvent l’impression
que l’État n’existe pas en Afrique.

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