culture - Alia Vox

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culture - Alia Vox
LA LIBERTÉ
SAMEDI 20 DÉCEMBRE 2008
Gérald Zbinden et
Gary Lucas. DR
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MAGAZINE
CINÉMA Bergman en très grand format
LITTÉRATURE Redécouvrir Albert Camus
DVD Deux opéras, un ballet et 500 nations indiennes
MUSIQUE La face cachée de Sir Paul McCartney
CD Gérald Zbinden invite Monsieur Gary Lucas
BEAUX LIVRES Des voyages, des cartes et des lacs
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CULTURE
La musique, espoir de paix
Jordi Savall. Les traditions musicales juives, arabes et
chrétiennes dialoguent dans le disque «Jérusalem».
ELISABETH HAAS
c
C’est un gros livre, en huit langues, dont
l’arabe et l’hébreu, mais qui se trouve au
rayon disques. Son titre est emblématique d’une ville trois fois sainte mais
rongée par les conflits: Jérusalem. A l’approche de Noël, le message de paix et de
dialogue que le musicien catalan Jordi
Savall veut transmettre n’en a que plus
de force. Pour ce double disque, il a réuni
Hispèrion XXI, la Capella Reial de Catalunya et des interprètes d’Israël, de Palestine, d’Arménie, de Grèce, d’Irak, de
Syrie, de Turquie, du Maroc et d’Afghanistan, qui font dialoguer les musiques
chrétiennes, juives et arabes, témoins
de l’histoire tragique de Jérusalem. Des
prières aux chants d’exil, des marches
guerrières aux lamentations, elles rappellent la fragilité mais aussi l’espoir et
le devoir de la paix. Un enregistrement
érudit, habité et de qualité remarquable.
Par l’envergure de ce nouvel enregistrement, peut-on parler d’aboutissement de
vos recherches sur les traditions musicales
chrétiennes, juives et musulmanes?
Jordi Savall: C’est certainement le projet
plus complexe et le plus important,
dans ce contexte de conflits autour de
ces trois religions. Mais nous avons encore beaucoup de travail. C’est un aboutissement utopique. C’est une façon de
réfléchir à l’origine des conflits, aux particularités de ces visions du monde, une
façon de sentir la foi, les croyances en
un dieu monothéiste, de s’approcher
des autres.
D’où vient ce besoin de dialogue?
C’est un processus qui est lié à notre histoire, à Montserrat Figueras et à moimême. Nous faisons partie d’une culture catalane, espagnole, historiquement
liée à cette terre, sur laquelle il y a eu une
connivence culturelle, spirituelle et humaine très forte entre le monde arabe, le
«La musique est un langage commun. Avec la musique, on ne sait pas mentir, il n’y a pas de malentendus»: Jordi Savall avec son instrument, la viole de gambe. VICO CHAMLA
monde juif et le monde chrétien. Nous
le portons dans nos gènes, dans notre
culture, dans notre langue, notre gastronomie, notre architecture. C’était naturel
de trouver les connexions à notre époque avec cette histoire qui est la nôtre.
Montserrat Figueras et vous avez été nommés «artistes pour la paix» en juin dernier.
Qu’est-ce que représente cette fonction?
Nous sommes parfois sollicités pour
participer à des événements autour du
dialogue et de la paix. Mais c’est surtout
une responsabilité générale, que nous
vivons chaque jour, à chaque concert.
Nous rappelons que la paix passe par le
dialogue. Que l’acte de la musique implique ce dialogue essentiel pour la paix.
Faire de la musique avec quelqu’un implique de la sympathie, du respect, de
l’écoute, de se mettre d’accord sur un
diapason. Ce sont aussi des conditions
nécessaires au dialogue humain.
Quel espoir pour les Israéliens et les Palestiniens de s’entendre?
Je pense qu’ils seront obligés de s’entendre. Il n’y a pas d’autre solution. Les
Palestiniens sont dans leur pays, les Israéliens aussi. Aucune civilisation ne
peut se développer sans le respect et la
confiance de l’autre. La haine est destructrice. Il faut qu’un jour le monde
prenne conscience de cette chose évidente. J’espère qu’il y aura des gens lucides qui sauront réagir. Il faut des mesures qui permettent à tout le monde
d’avoir un développement humain
digne. I
«Un rituel sacré de l’homme»
Depuis quand portez-vous le
disque Jérusalem?
Jordi Savall: Jérusalem, c’est
une ville que nous portons depuis longtemps en nous. Il y a
plus de dix ans, elle a été à l’origine de la naissance d’Alia Vox:
l’ambiance
extraordinaire,
l’émotion de la ville, le mélange
d’ancien, de moderne, de
conflits, de paix, nous a donné,
à Montserrat Figueras et moimême, envie de faire quelque
chose de fou aussi, fonder notre
propre maison d’édition. Nous
avions toujours Jérusalem dans
notre esprit. Mais l’occasion
s’est présentée en 2007 quand
la Cité de la musique, à Paris,
nous a demandé d’organiser un
nouveau projet sur les trois religions monothéistes.
Dans vos précédents projets
dédiés à Don Quichote, François
Xavier, Christophe Colomb, vous
donniez déjà beaucoup de soin au
livre qui accompagne les disques...
Il faut prêcher par l’exemple. Si
on parle de dialogue, de respect
des autres cultures, il ne faut
pas obliger un Italien à lire les
textes en français ou en anglais.
Nous avons des limites, mais
nous essayons de traduire les
textes dans les langues des pays
où nous sommes présents.
Est-ce aussi une manière de montrer une originalité dans le marché
difficile du disque?
C’est une façon de faire comprendre que la musique n’est
pas seulement une chose qu’on
télécharge sur internet et qu’on
écoute parce qu’on appuie sur
un bouton. La musique fait encore partie d’un rituel sacré de
l’homme. La musique est un
acte spirituel qui nous met en
contact avec des créateurs géniaux d’autres époques. Donner à cet acte une forme de
beauté, un contenant qui soit à
la hauteur d’un contenu, c’est
indispensable. Ce qui ne nous
empêche pas de mettre nos
projets à disposition sur des
sites de téléchargement. Mais
nous essayons de faire passer le
message que la musique n’est
pas seulement du son, mais un
contexte visuel, avec des peintures et des textes qui permettent d’avoir une vision globale
de l’Histoire et de réfléchir de
manière plus profonde.
Vous défendez une vision optimiste de la musique, qui a un pouvoir de dialogue et de paix.
N’est-ce pas une utopie?
Non. Le programme de Jérusalem en est la preuve. Sur scène,
nous sommes quarante musiciens, Palestiniens, Israéliens,
Arméniens, Afghans, Européens... Ce n’est pas une utopie.
Nous sommes capables de le
réaliser. Mais nous sommes
dans un monde où nous avons
pris l’habitude de vivre dans
notre petit coin. Nous voyons ce
qui s’y passe, nous regardons la
télévision, lisons le journal,
mais nous espérons que «les
autres», ceux qui sont placés en
haut, vont résoudre tous nos
problèmes. Je pense que nous
vivons un moment de l’Histoire
de l’humanité, où il faut que
chacun d’entre nous réagisse.
Les problèmes essentiels du
XXIe siècle ne seront jamais résolus si chaque homme ne
prend part de manière active à
la résolution des problèmes,
n’abandonne sa coquille et ne
réagisse avec responsabilité et
conséquence. Chacun doit
montrer dans sa vie, son entourage, qu’il est pour la paix, pour
le dialogue, pour la justice, qu’il
est sensible, qu’il compatit,
qu’il s’intéresse aux autres. La
musique, c’est une des premières choses que nous pouvons faire. C’est un exemple de
rapprochement. La musique
est un langage commun. Avec la
musique, on ne sait pas mentir,
il n’y a pas de malentendus. EH
DISCOGRAPHIE
«Jérusalem»
> Le nouveau disque de
Jordi Savall, Jérusalem,
La Ville des deux Paix:
la Paix céleste et la Paix
terrestre, est gravé en
qualité super audio CD,
Ed. Alia Vox, distr.
Disques Office.
Le label Alia Vox
> Montserrat Figueras
et Jordi Savall ont présenté leur propre label
en 1998.
> Dans la veine des
livres CD, ils ont déjà
publié Don Quichote de
la Mancha, Romances y
Musicas; Christophorus
Columbus, Paradis Perdus; Francisco Javier,
La Route de l’Orient.
> Et parmi la riche discographie et les rééditions, voici quelques
coups de cœur: Lux
Feminae, par Montserrat Figueras, un hommage à la musique de
900 à 1600 qui célèbre
la femme; La Folia et
Altre Follie, variations
sur cette célèbre ligne
de basse; Haendel,
Water Music et Music
for the Royal Fireworks;
la B.O. du film Tous les
matins du monde, avec
des pièces de Marais,
Sainte-Colombre, Couperin et Lully, un des
grands succès de Jordi
Savall. EH