culture - Alia Vox
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culture - Alia Vox
LA LIBERTÉ SAMEDI 20 DÉCEMBRE 2008 Gérald Zbinden et Gary Lucas. DR 36 37 38 39 39 43 MAGAZINE CINÉMA Bergman en très grand format LITTÉRATURE Redécouvrir Albert Camus DVD Deux opéras, un ballet et 500 nations indiennes MUSIQUE La face cachée de Sir Paul McCartney CD Gérald Zbinden invite Monsieur Gary Lucas BEAUX LIVRES Des voyages, des cartes et des lacs 35 CULTURE La musique, espoir de paix Jordi Savall. Les traditions musicales juives, arabes et chrétiennes dialoguent dans le disque «Jérusalem». ELISABETH HAAS c C’est un gros livre, en huit langues, dont l’arabe et l’hébreu, mais qui se trouve au rayon disques. Son titre est emblématique d’une ville trois fois sainte mais rongée par les conflits: Jérusalem. A l’approche de Noël, le message de paix et de dialogue que le musicien catalan Jordi Savall veut transmettre n’en a que plus de force. Pour ce double disque, il a réuni Hispèrion XXI, la Capella Reial de Catalunya et des interprètes d’Israël, de Palestine, d’Arménie, de Grèce, d’Irak, de Syrie, de Turquie, du Maroc et d’Afghanistan, qui font dialoguer les musiques chrétiennes, juives et arabes, témoins de l’histoire tragique de Jérusalem. Des prières aux chants d’exil, des marches guerrières aux lamentations, elles rappellent la fragilité mais aussi l’espoir et le devoir de la paix. Un enregistrement érudit, habité et de qualité remarquable. Par l’envergure de ce nouvel enregistrement, peut-on parler d’aboutissement de vos recherches sur les traditions musicales chrétiennes, juives et musulmanes? Jordi Savall: C’est certainement le projet plus complexe et le plus important, dans ce contexte de conflits autour de ces trois religions. Mais nous avons encore beaucoup de travail. C’est un aboutissement utopique. C’est une façon de réfléchir à l’origine des conflits, aux particularités de ces visions du monde, une façon de sentir la foi, les croyances en un dieu monothéiste, de s’approcher des autres. D’où vient ce besoin de dialogue? C’est un processus qui est lié à notre histoire, à Montserrat Figueras et à moimême. Nous faisons partie d’une culture catalane, espagnole, historiquement liée à cette terre, sur laquelle il y a eu une connivence culturelle, spirituelle et humaine très forte entre le monde arabe, le «La musique est un langage commun. Avec la musique, on ne sait pas mentir, il n’y a pas de malentendus»: Jordi Savall avec son instrument, la viole de gambe. VICO CHAMLA monde juif et le monde chrétien. Nous le portons dans nos gènes, dans notre culture, dans notre langue, notre gastronomie, notre architecture. C’était naturel de trouver les connexions à notre époque avec cette histoire qui est la nôtre. Montserrat Figueras et vous avez été nommés «artistes pour la paix» en juin dernier. Qu’est-ce que représente cette fonction? Nous sommes parfois sollicités pour participer à des événements autour du dialogue et de la paix. Mais c’est surtout une responsabilité générale, que nous vivons chaque jour, à chaque concert. Nous rappelons que la paix passe par le dialogue. Que l’acte de la musique implique ce dialogue essentiel pour la paix. Faire de la musique avec quelqu’un implique de la sympathie, du respect, de l’écoute, de se mettre d’accord sur un diapason. Ce sont aussi des conditions nécessaires au dialogue humain. Quel espoir pour les Israéliens et les Palestiniens de s’entendre? Je pense qu’ils seront obligés de s’entendre. Il n’y a pas d’autre solution. Les Palestiniens sont dans leur pays, les Israéliens aussi. Aucune civilisation ne peut se développer sans le respect et la confiance de l’autre. La haine est destructrice. Il faut qu’un jour le monde prenne conscience de cette chose évidente. J’espère qu’il y aura des gens lucides qui sauront réagir. Il faut des mesures qui permettent à tout le monde d’avoir un développement humain digne. I «Un rituel sacré de l’homme» Depuis quand portez-vous le disque Jérusalem? Jordi Savall: Jérusalem, c’est une ville que nous portons depuis longtemps en nous. Il y a plus de dix ans, elle a été à l’origine de la naissance d’Alia Vox: l’ambiance extraordinaire, l’émotion de la ville, le mélange d’ancien, de moderne, de conflits, de paix, nous a donné, à Montserrat Figueras et moimême, envie de faire quelque chose de fou aussi, fonder notre propre maison d’édition. Nous avions toujours Jérusalem dans notre esprit. Mais l’occasion s’est présentée en 2007 quand la Cité de la musique, à Paris, nous a demandé d’organiser un nouveau projet sur les trois religions monothéistes. Dans vos précédents projets dédiés à Don Quichote, François Xavier, Christophe Colomb, vous donniez déjà beaucoup de soin au livre qui accompagne les disques... Il faut prêcher par l’exemple. Si on parle de dialogue, de respect des autres cultures, il ne faut pas obliger un Italien à lire les textes en français ou en anglais. Nous avons des limites, mais nous essayons de traduire les textes dans les langues des pays où nous sommes présents. Est-ce aussi une manière de montrer une originalité dans le marché difficile du disque? C’est une façon de faire comprendre que la musique n’est pas seulement une chose qu’on télécharge sur internet et qu’on écoute parce qu’on appuie sur un bouton. La musique fait encore partie d’un rituel sacré de l’homme. La musique est un acte spirituel qui nous met en contact avec des créateurs géniaux d’autres époques. Donner à cet acte une forme de beauté, un contenant qui soit à la hauteur d’un contenu, c’est indispensable. Ce qui ne nous empêche pas de mettre nos projets à disposition sur des sites de téléchargement. Mais nous essayons de faire passer le message que la musique n’est pas seulement du son, mais un contexte visuel, avec des peintures et des textes qui permettent d’avoir une vision globale de l’Histoire et de réfléchir de manière plus profonde. Vous défendez une vision optimiste de la musique, qui a un pouvoir de dialogue et de paix. N’est-ce pas une utopie? Non. Le programme de Jérusalem en est la preuve. Sur scène, nous sommes quarante musiciens, Palestiniens, Israéliens, Arméniens, Afghans, Européens... Ce n’est pas une utopie. Nous sommes capables de le réaliser. Mais nous sommes dans un monde où nous avons pris l’habitude de vivre dans notre petit coin. Nous voyons ce qui s’y passe, nous regardons la télévision, lisons le journal, mais nous espérons que «les autres», ceux qui sont placés en haut, vont résoudre tous nos problèmes. Je pense que nous vivons un moment de l’Histoire de l’humanité, où il faut que chacun d’entre nous réagisse. Les problèmes essentiels du XXIe siècle ne seront jamais résolus si chaque homme ne prend part de manière active à la résolution des problèmes, n’abandonne sa coquille et ne réagisse avec responsabilité et conséquence. Chacun doit montrer dans sa vie, son entourage, qu’il est pour la paix, pour le dialogue, pour la justice, qu’il est sensible, qu’il compatit, qu’il s’intéresse aux autres. La musique, c’est une des premières choses que nous pouvons faire. C’est un exemple de rapprochement. La musique est un langage commun. Avec la musique, on ne sait pas mentir, il n’y a pas de malentendus. EH DISCOGRAPHIE «Jérusalem» > Le nouveau disque de Jordi Savall, Jérusalem, La Ville des deux Paix: la Paix céleste et la Paix terrestre, est gravé en qualité super audio CD, Ed. Alia Vox, distr. Disques Office. Le label Alia Vox > Montserrat Figueras et Jordi Savall ont présenté leur propre label en 1998. > Dans la veine des livres CD, ils ont déjà publié Don Quichote de la Mancha, Romances y Musicas; Christophorus Columbus, Paradis Perdus; Francisco Javier, La Route de l’Orient. > Et parmi la riche discographie et les rééditions, voici quelques coups de cœur: Lux Feminae, par Montserrat Figueras, un hommage à la musique de 900 à 1600 qui célèbre la femme; La Folia et Altre Follie, variations sur cette célèbre ligne de basse; Haendel, Water Music et Music for the Royal Fireworks; la B.O. du film Tous les matins du monde, avec des pièces de Marais, Sainte-Colombre, Couperin et Lully, un des grands succès de Jordi Savall. EH