Fauteux contre Diaz Lamich
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Fauteux contre Diaz Lamich
Fauteux c. Lamich (Succession de) 2014 QCRDL 26248 RÉGIE DU LOGEMENT BUREAU DE MONTRÉAL No dossier: 164123 31 20140710 G Date : No demande: 1533560 24 juillet 2014 Régisseure : Jocelyne Gravel, juge administratif GERALD FAUTEUX Locateur - Partie demanderesse c. SUCCESSION GLORIA LAMICH Locataire - Partie défenderesse et ANGELA DIAZ LAMICH Partie intéressée DÉCISION [1] Le locateur requiert l’expulsion d’un occupant sans droit du logement ainsi que l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel. [2] Gloria Lamich était liée par bail du 1er juillet 2013 au 30 juin 2014 pour la location d’un quatre pièces situé au rez-de-chaussée d’un immeuble comportant six logements. Selon la preuve reçue de part et d’autre, les faits suivants ont été établis : [3] La locataire a souffert d’une maladie terminale en septembre 2013. Sa fille, Angela Diaz Lamich a quitté son emploi le 26 octobre 2013 afin d’en prendre soin jusqu’à sa mort, survenue le 28 décembre 2013. [4] Deux voisins entendus ont eu connaissance qu’il y a eu beaucoup d’invités au logement durant les derniers mois de vie de la locataire. Angela confirme que la famille nombreuse de sa mère lui a rendu visite régulièrement. Elle ajoute que deux de ses tantes, résidant au Chili, sont notamment venues visiter sa mère durant les deux derniers mois de sa vie. [5] Les deux mêmes voisins confirment que le logement était inoccupé durant le début de 2014. Par la suite, il y a eu certaines personnes déplaçant boîtes et meubles. Les voisins n’ont pas remarqué la présence de la voiture de leurs nouveaux voisins dans les parages avant la fin février 2014. Ils ont également été témoins qu’il y a eu un déménagement autour du 1er mars 2014. Ils confirment que depuis cette date, le logement est occupé par Angela et son conjoint. [6] Plusieurs membres de la famille de la locataire, dont Angela, ont été absents du Canada de la fin janvier à la fin février 2014 afin de respecter le souhait de la locataire d’être enterrée dans son pays d’origine. Angela explique les longues procédures requises pour transporter les cendres de sa mère au Chili. Elle témoigne que par respect et sens des priorités, elle n’a pas bougé les meubles de sa mère ou déménagé les siens au logement avant sa mort. No dossier: 164123 31 20140710 G No demande: 1533560 Page 2 [7] Angela affirme avoir couché toutes les nuits au logement de septembre 2013 jusqu’à la mort de sa mère. Elle décrit en détail comment elle était la personne ressource auprès des différents intervenants sociaux et médicaux. Elle les accueillait au logement et leur donnait les détails sur l’état de sa mère. Elle déclare avoir habité le logement de sa mère depuis septembre 2013 et d’en avoir fait sa résidence principale avant le décès. Durant l’automne 2013, elle a déménagé au logement au fur et à mesure de ses besoins, ses vêtements, livres et produits d’hygiène personnelle. La locataire souhaitait que sa fille poursuive l’occupation de son logement après sa mort. Désir partagé par Angela qui veut ainsi perpétuer la mémoire de la défunte et poursuivre les réunions de famille dans ce lieu connu. [8] À leur retour du Chili, Angela et son frère ont distribué les biens de la défunte aux différents héritiers. Ce n’est qu’une fois cette tâche complétée que son conjoint, les enfants de ce dernier et les meubles du couple ont pu s’installer au logement. Leurs meubles ont été déménagés le 1er mars 2014, date où ils ont pu résilier leur ancien bail. Elle indique ne pas avoir fait de changement d’adresse avant la mort de sa mère auprès de ses deux seuls fournisseurs de service, soit sa compagnie de téléphone cellulaire dont elle reçoit la facture par internet et son institution bancaire. Elle explique qu’Hydro-Québec et les autres fournisseurs desservant son ancien logement sont au nom de son conjoint. Elle ne possède pas de voiture, ni de permis de conduire. Elle témoigne avoir eu d’autres préoccupations à cette époque. [9] C’est dans ce contexte factuel que le locateur transmettait, un avis de non-reconduction du bail au liquidateur de la succession de la locataire conformément à l’article 1944 du Code civil du Québec prévoyant : « 1944. Le locateur peut, lorsque le locataire a sous-loué le logement pendant plus de douze mois, éviter la reconduction du bail, s'il avise le locataire et le souslocataire de son intention d'y mettre fin, dans les mêmes délais que s'il y apportait une modification. Il peut de même, lorsque le locataire est décédé et que personne n'habitait avec lui lors de son décès, éviter la reconduction en avisant l'héritier ou le liquidateur de la succession. » [10] Cet avis était reçu le 11 février 2014. Le 20 février 2014, le liquidateur répond qu’il conteste cet avis au motif que sa sœur, qui habite le logement depuis septembre 2013, entend se prévaloir des dispositions de l’article 1938 du Code civil du Québec qui prévoit : « 1938. L'époux ou le conjoint uni civilement d'un locataire ou, s'il habite avec ce dernier depuis au moins six mois, son conjoint de fait, un parent ou un allié, a droit au maintien dans les lieux et devient locataire si, lorsque cesse la cohabitation, il continue d'occuper le logement et avise le locateur de ce fait dans les deux mois de la cessation de la cohabitation. La personne qui habite avec le locataire au moment de son décès a le même droit et devient locataire, si elle continue d'occuper le logement et avise le locateur de ce fait dans les deux mois du décès; cependant, si elle ne se prévaut pas de ce droit, le liquidateur de la succession ou, à défaut, un héritier, peut dans le mois qui suit l'expiration de ce délai de deux mois, résilier le bail en donnant au locateur un avis d'un mois. Dans tous les cas, la personne qui habitait avec le locataire au moment de son décès, le liquidateur de sa succession ou l'héritier n'est tenu, le cas échéant, au paiement de la partie du loyer afférente au coût des services qui se rattachent à la personne même du locataire qu'à l'égard des services qui ont été fournis du vivant de celui-ci. Il en est de même du coût de tels services lorsqu'ils sont offerts par le locateur en vertu d'un contrat distinct du bail. » [11] Il annexait à cette lettre, l’avis en ce sens, d’Angela Diaz Lamich, transmis au locateur le même jour. Elle y écrit : «… Par la présente, je vous avise qu’habitant avec ma mère, Gloria Lamich, au moment de son décès le 28 décembre 2013 et ce depuis le 15 septembre 2013, je continuerai par conséquent d’habiter ledit logement en tant que locataire. Par ailleurs, je vous avise également que je renouvellerai le bail relatif au logement en objet lorsque la période courante arrivera à échéance en date du 30 juin 2014. ... » No dossier: 164123 31 20140710 G No demande: 1533560 Page 3 [12] Le locateur soutient en premier pouvoir bénéficier de la présomption de l’article 1948 du Code civil considérant le défaut du liquidateur de la succession de déposer une contestation judiciaire. Cette disposition prévoit en effet : « 1948. Le locataire qui a sous-loué son logement pendant plus de douze mois, ainsi que l'héritier ou le liquidateur de la succession d'un locataire décédé, peut, dans le mois de la réception d'un avis donné par le locateur pour éviter la reconduction du bail, s'adresser au tribunal pour en contester le bien-fondé; s'il omet de le faire, il est réputé avoir accepté la fin du bail. Si le tribunal accueille la demande du locataire, mais que sa décision est rendue après l'expiration du délai pour donner un avis de modification du bail, celui-ci est reconduit, mais le locateur peut alors s'adresser au tribunal pour faire fixer un nouveau loyer, dans le mois de la décision finale. » [13] Le Tribunal ne peut cependant souscrire à cette interprétation de façon mécanique sans dans un premier temps vérifier si la locataire vivait seule ou non à la date de son départ. Les droits du locateur, du liquidateur ou de l’héritier sont subordonnés à ceux de la personne qui habiterait avec le locataire au moment de son décès. Chacun des articles précités émet bien la condition que la mécanique de résiliation de bail dépend du fait que le défunt ait ou non habité seul à la date du décès. Le législateur a voulu donner deux mois de réflexion à une personne habitant avec la personne défunte. Dans ce délai, le locateur, le liquidateur ou l’héritier ne peuvent enclencher un processus de résiliation de bail opposable à un tel occupant. [14] La question préalable en litige est donc la suivante. Est-ce que l’occupante actuelle du logement, Madame Angela Diaz Lemich habitait avec sa mère le 28 décembre 2013? [15] La Cour d’Appel du Québec, dans la cause Vaillancourt c. Dion et als1, a interprété largement le terme « habiter » mentionné aux dispositions légales précitées. Le juge Gagnon énonce ce qui suit : « [40] Dans un autre ordre d’idées, pour prétendre à un droit au maintien dans les lieux loués, l’appelant devait démontrer qu’il était l’occupant du logement à un titre ou à un autre, soit qu’il y avait son domicile, sa résidence ou qu’il y habitait tout simplement. [41] L’article 75 C.c.Q. situe ainsi le domicile d’une personne : « 75. Le domicile d'une personne, quant à l'exercice de ses droits civils, est au lieu de son principal établissement. » [42] L’article 77 C.c.Q. cerne le concept de résidence en ces termes : « 77. La résidence d'une personne est le lieu où elle demeure de façon habituelle; en cas de pluralité de résidences, on considère, pour l'établissement du domicile, celle qui a le caractère principal. » [43] La notion de domicile fait appel à l’intention d’une personne de vivre en un endroit donné; il est le lieu de son principal établissement, l’endroit où la personne est susceptible d’être rejointe. La résidence, qui peut selon les circonstances se trouver au domicile, est l’endroit où une personne vit ordinairement. On dira de cette personne qu’elle réside habituellement à un endroit donné. » [16] Dans cette cause, la Cour d’Appel reconnaissait cependant que des visites régulières et bienveillantes de l’appelant au logement de sa mère, alors qu’il louait le logement voisin, ne pouvaient le qualifier de résident du logement. Bien qu’il s’agisse, tout comme en l’instance, d’un enfant ayant pris soin régulièrement de sa mère en perte d’autonomie, les faits particuliers de cette cause, sont loin d’être similaires à celle sous étude. L’appelant et la défunte se voisinaient ainsi depuis de nombreuses années tout en maintenant des lieux de résidence séparés. Bien que visitant quotidiennement sa mère, l’appelant retournait quotidiennement coucher dans son logement voisin. Il maintenait donc un lieu d’habitation différent à celui de sa mère à la date de son décès. [17] Le Tribunal conclut donc à la lumière de ces définitions et interprétations qu’une personne n’a pas besoin d’avoir établi son domicile au logement pour bénéficier des dispositions de l’article 1938 C.c.Q. précité. Il est également possible qu’une personne possède plusieurs lieux de résidence. Il faut cependant établir qu’au moment du décès, sa résidence principale était le logement. Il faut qu’à cette date, le logement ait été son lieu de résidence habituelle. Notons que contrairement à d’autres situations, le législateur n’exige pas de temps minimum de cohabitation. Il s’agit donc d’une question de faits. 1 2010 QCCA 1499. No dossier: 164123 31 20140710 G No demande: 1533560 Page 4 [18] En l’instance, le Tribunal conclut qu’Angela Diaz Lemich avait sa résidence habituelle au logement de sa mère en date du 28 décembre 2013 sans toutefois y avoir encore transféré son domicile légal. Le Tribunal accepte son témoignage sincère et détaillé à l’effet qu’elle y a tout d’abord séjourné comme aidante naturelle. Elle produit son relevé d’emploi confirmant que la fin de son emploi, le 24 octobre 2013, se qualifiait de congé de compassion pour prendre soin de sa mère. Elle produit également une facture d’un équipement médical qu’elle témoigne avoir acquis pour alléger les souffrances de la locataire et qui a été livré à son nom au logement. [19] Par contre, au fil du temps, elle a décidé d’en faire sa nouvelle résidence principale avec l’accord de sa mère et pour les raisons personnelles et familiales crédibles qu’elle a décrites. La famille de la défunte a eu de nombreuses rencontres au logement. Gloria témoigne avoir développé un attachement particulier au lieu lui rappelant sa mère. En décidant de s’établir au logement au cours de l’automne de 2013, elle s’est donnée la mission de perpétuer les habitudes de sa mère de rassembler la famille dans un lieu convenant mieux que son ancien logement à ce type de rencontres. [20] Bien que les témoins du locateur entendus aient également été crédibles, les faits rapportés sont conciliables à la situation juridique décrite. À l’automne, il y avait beaucoup d’invités au logement, venus faire leurs derniers adieux à la locataire. Il est jugé vraisemblable dans ce contexte, que ces voisins n’aient pas nécessairement conclu qu’une personne spécifique habitait avec la locataire. Il est également jugé vraisemblable qu’on n’ait pas vu régulièrement le véhicule du conjoint de la locataire qui lui n’habitait pas le logement à cette époque. [21] Après le décès, il n’est pas nié qu’il n’y a pas eu beaucoup d’activités dans le logement, le temps d’organiser les funérailles, l’enterrement à l’étranger, la liquidation des biens et l’organisation du déménagement de la famille d’Angela. C’est cependant l’époque où la voiture du conjoint de cette dernière a été remarquée de façon plus fréquente. La famille a finalement déménagé son domicile au logement le 1er mars 2014. Le Tribunal conclut qu’Angela conservait toujours sa résidence au logement, bien qu’absente du Canada pour l’enterrement de sa mère et affairée à préparer son déménagement définitif. [22] Vu ce qui précède, le Tribunal conclut qu’Angela Diaz Lamich, qui habitait depuis peu avec la locataire à la date de son décès, en a poursuivi son occupation par la suite. Elle a donc valablement donné l’avis nécessaire lui permettant d’obtenir en sa faveur, la cession légale du bail. L’avis de nonreconduction de bail donné par le locateur à la succession ne lui est donc pas opposable. Étant locataire en titre, elle a valablement notifié son intention de reconduire le bail à compter du 1er juillet 2014. Elle ne peut donc pas être qualifiée d’occupante sans droit. POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL : [23] REJETTE la demande du locateur. Jocelyne Gravel Présence(s) : Date de l’audience : la mandataire du locateur Me Besner, avocate du locateur la mandataire de la locataire la partie intéressée 17 juillet 2014