1 Une histoire de la tradition orale du Tibet Oriental Le lapin et le

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1 Une histoire de la tradition orale du Tibet Oriental Le lapin et le
Histoires populaires du Tibet oriental
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Une histoire de la tradition orale du Tibet Oriental
Le lapin et le yeti
Il était une fois une mère lapin et une mère yeti1 qui vivaient dans un
village. Chacune avait un petit. Tous les jours, elles partaient
ensemble dans la montagne à la recherche des patates douces. Un
jour, la lapine dit à la mère yeti :
- Mère yeti ! Je viens de trouver une patate douce grosse comme la
tête d’une chèvre !
Voilà que la mère yeti lui répond :
- Cette patate m’était réservée ! Donne-la moi ou je te tue.
La lapine abandonna la patate. Un peu plus tard, elle découvrit une
seconde patate douce, de la taille cette fois d’une tête de mouton.
- Celle-ci aussi m’était réservée ! lui dit la mère yeti. Donne-la moi
ou je te tue.
La lapine n’avait pas le choix. Elle abandonna à nouveau la patate. Un
peu plus tard encore, elle en découvrit une troisième, de la taille
cette fois-ci d’une tête de cheval. Et la mère yeti lui dit :
- Tu ferais bien de me la donner, elle aussi. Sinon, je te tue.
La lapine était au désespoir.
- Mais je dois la rapporter chez moi, pour mon petit.
La mère yeti entra en fureur, se jeta sur la patate, et tua la lapine à
coups de griffes.
La lapine et la mère yeti avaient pour habitude de rentrer ensemble
au village. Ce jour-là, ce ne fut pas le cas. Inquiet, le petit de la
lapine questionna une première bande de lapins qui rentrait :
- Est-ce que vous savez si ma maman va arriver ?
- Elle est peut-être avec la bande qui rentre derrière nous, lui
répondit-on.
Peu après, une seconde bande de lapins se présenta en effet. Le
lapereau posa la même question.
- Elle est peut-être avec la dernière bande, qui arrive derrière
nous, lui répondit-on.
Le lapereau attendit à nouveau, puis interrogea cette dernière bande.
- Ta maman a été tuée par la mère yeti, lui apprit-on.
Et on lui raconta toute l’histoire.
Alors, le lapereau s’assit à cet endroit même et pleura longtemps.
Le lendemain, comme la mère yeti était partie à la recherche de
patates douces, le lapereau vint trouver son petit :
- Est-ce tu voudrais bien jouer avec moi, mon ami ?
- Oh oui ! s’écria le petit yeti en accourant.
Le lapereau l’entraîna au moulin. Là, il lui dit :
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Le Yeti est également appelé abominable homme des neiges. On dit qu’il vit dans
l'Himalaya.
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- Soulève la meule de dessus pour que je puisse lécher la tsampa qui
est restée sur celle de dessous. 2
Le petit yeti souleva la meule de dessus.
- Hmm, qu’elle est bonne ! s’écria le lapereau en léchant son
comptant de tsampa.
Cela fit venir l’eau à la bouche du petit yeti :
- Laisse-moi en lécher, moi aussi !
- D’accord, répondit le lapereau.
Et à son tour, il souleva la meule de dessus.
Mais dès le petit yeti se mit à lécher, il la lâcha. Elle écrasa la tête du
petit yeti.
Inquiet à l’idée que la mère yeti puisse le trouver ici, le lapereau
s’enfuit.
Le soir, quand la mère yeti de retour chez elle apprit que son petit
avait été tué, elle entra dans une fureur terrible. Elle se précipita
chez le lapereau. Mais au moment même où elle allait lui mettre la
main dessus, un berger qui menait son troupeau passa. Le lapereau
courut à lui :
- Oncle berger ! J’avais mon père, dans le temps. Il a été tué par
un faucon. J’avais aussi ma mère. Elle a été tuée par la mère yeti.
Aujourd’hui même, j’ai tué à mon tour le petit du yeti. Est-ce que tu
saurais où je puis me cacher, ou bien vers où m’enfuir ?
- Cache-toi au milieu de mes moutons, lui dit le berger.
Le feu sortant de la bouche et la fumée des narines, la mère yeti
s’adressa à celui-ci.
- Est-ce que tu as vu un lapin avec les oreilles droites et les pattes
courtes ? Si tu me dis que non, je te dévore.
Épouvanté, le berger lança alors :
- Va-t-en, petit lapin ! Cours !
Le lapereau s’enfuit aussi vite qu’il put. Et à nouveau, au moment où
la mère yeti allait le rattraper, il aperçut un gardien de troupeau dont
les chevaux broutaient non loin de là. Il courut à lui.
- Oncle gardien de chevaux ! J’avais mon père, dans le temps. Il a
été tué par un faucon. J’avais aussi ma mère. Elle a été tuée par la
mère yeti. Aujourd’hui même, j’ai tué à mon tour le petit du yeti. Estce que tu saurais où je puis me cacher, ou bien vers où m’enfuir ?
- Cache-toi au milieu de mes chevaux, lui dit le gardien de
chevaux.
Le feu sortant de la bouche et la fumée des narines, la mère yeti
s’adressa à celui-ci.
- Est-ce que tu as vu un lapin avec les oreilles droites et les pattes
courtes ? Si tu me dis que non, je te dévore.
Épouvanté, le gardien cria alors :
- Va-t-en, petit lapin ! Cours !
Et le lapereau s’enfuit à nouveau.
Après avoir longtemps couru, il aperçut un yak sauvage.
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Dans un moulin, le grain dont on tire la tsampa est broyé entre deux grosses
meules de pierre horizontales, en forme de disques, qui frottent l’une contre l’autre.
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- Oncle yak ! J’avais mon père, dans le temps. Il a été tué par un
faucon. J’avais aussi ma mère. Elle a été tuée par la mère yeti.
Aujourd’hui même, j’ai tué à mon tour le petit du yeti. Est-ce que tu
saurais où je puis me cacher, ou vers où m’enfuir ?
- Viens te cacher dans mes naseaux, lui dit le yak.
Et le lapereau grimpa se cacher dans les naseaux du yak. La mère
yeti était aussi en fureur qu’il est possible de l’être.
- As-tu vu un lapin avec les oreilles droites et les pattes courtes ?
Si tu me dis que non, je te dévore, dit-elle au yak.
Furieux à son tour le yak, lui répliqua :
- De quel droit prétends-tu me regarder de haut ?
Et il planta ses cornes pointues dans le ventre de la mère yeti.
Il dit alors au lapereau qu’il pouvait sortir de ses naseaux. Celui-ci
refusa. Le yak lui cria à nouveau de sortir. Le lapereau refusa à
nouveau. Le yak éternua alors rageusement et l’expulsa.
- Je t’ai dit deux fois de sortir. Pourquoi ne l’as-tu pas fait ?
- J’avais froid et faim, répondit le lapereau. Bien au chaud dans tes
naseaux, je me suis endormi.
- Maintenant que j’ai tué la mère yeti, lui demanda le yak,
comment vas-tu remercier ?
- Je vais chanter tes louanges, proposa le lapereau.
L’idée enchanta le yak
- Oh oui, je t’en prie. Fais-le.
Alors, le lapereau déclama.
- La bouche de mon oncle le yak sauvage est une bouche en or. Le
mufle de mon oncle le yak sauvage est un mufle en or. Les yeux de
mon oncle le yak sauvage sont des yeux en or.
Le yak était aux anges.
- Célèbre-moi encore.
- Seulement, dit le lapereau, j’ai froid et faim. Je vais m’installer
dans le terrier que voici et j’y continuerai ton éloge.
Le yak fut en d’accord. Le lapereau entra dans le terrier. Il déclama
alors :
- La bouche de mon oncle le yak sauvage, est une bouche toute
morveuse. Les yeux de mon oncle le yak sauvage sont des yeux tout
crottés. Le mufle de mon oncle le yak sauvage est un mufle tout
morveux.
Le yak entra dans une épouvantable fureur. Il se jeta tête en avant à
toute violence sur l’entrée du terrier. Mais le lapereau était réfugié à
l’intérieur. Il ne fut même pas touché. Le yak, lui, se rompit la
colonne vertébrale, et il en mourut.
Le lapereau s’en fut alors de là, et passa la nuit dans la maison d’un
vieux couple.
- Lapereau, lui dit le vieil homme, il serait mieux pour toi de
travailler quelque peu, plutôt que d’errer de cette façon. Voyons,
qu’est-ce que tu sais faire ?
- Je sais parquer les troupeaux, répondit le lapereau.
Le vieil homme avait du mal à le croire.
- Comment t’y prendrais-tu ?
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- Je me rendrai sur cette montagne, dit le lapereau, et pousserai
un grand cri. Après ça, je me rendrai sur cette autre montagne et y
installerai une corde. C’est de cette façon, que je parquerai le
troupeau.
- Tu n’y arriverais absolument pas, conclut le couple.
- Nous n’avons personne pour garder notre enfant à la maison.
Est-ce que tu sais t’occuper des petits ? demanda la vieille femme.
- Bien sûr, répondit le lapereau.
La vieille femme avait elle aussi du mal à le croire.
- Comment t’y prendrais-tu ?
- Je tiendrai l’enfant par la taille, répondit le lapereau, et je lui
dirai : Petit, petit, creuse la terre. Petit, petit, casse cette pierre. Et
maintenant, transporte-la.
- Tu ne peux pas faire ça ! protesta la vieille femme.
- Mais non, je plaisantais, dit le lapereau. Je prendrai l’enfant sur
mes genoux et lui dirai : Bébé, bébé, endors toi. Je te donnerai
toutes les étoiles du ciel et toutes les fleurs de la terre. C’est ainsi
que je prendrai soin de lui.
Le vieux couple était satisfait.
- Tu sais effectivement comment t’y prendre.
Alors, ils partirent tous les deux dans la montagne s’occuper de leurs
animaux, et le lapereau resta pour veiller sur l’enfant.
Et voilà qu’un jour, le lapereau tua l’enfant.
Puis, il le découpa en morceaux et le mit à cuire dans un chaudron. Il
déroula ensuite ses intestins sur le chemin jusqu’à la bergerie. Il
installa enfin un pigeon à la place du bébé, dans le berceau. Alors, il
attendit.
Le soir, en rentrant, les deux vieux découvrirent les intestins
accrochés tout autour de la bergerie. La vieille femme les prit pour
une corde. Aussi les roula-t-elle et les abandonna-t-elle par terre. En
entrant chez lui, le couple demanda :
- Nous avons froid, nous avons faim. Est-ce qu’il y a quelque chose
à manger ?
- J’ai préparé quelque chose dans le chaudron, répondit le
lapereau.
Le couple mangea et dit :
- Ton plat est délicieux.
Un moment après, quand la vieille femme voulut prendre son bébé,
un pigeon s’envola du berceau.
- Mais où est notre petit, demanda-t-elle ?
Alors, le lapereau s’enfuit.
À la suite de cela, il revint tous les jours s’asseoir sur le rocher qui
est en face de la maison du vieux couple et de là il lançait :
- Cette famille mange de la chair humaine. Ils boivent de la soupe
faite à partir de viande humaine. Ils gardent chez eux en réserve des
saucisses humaines !
Il lança tant de calomnies contre eux que, au comble de la fureur, ils
décidèrent de se venger.
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Un matin, ils enduisirent le rocher de colle. Le lapereau ne se douta
de rien. Il s’assit et voilà qu’il demeura collé. Alors le couple s’empara
de lui.
- Nous ne serons pas soulagés tant que nous n’aurons pas tué ce
lapin, convinrent-ils.
- Allez-vous me tuer d’une bonne ou d’une mauvaise façon ? leur
interrogea celui-ci.
- Qu’entends-tu par bonne ou mauvaise façon ? demanda l’homme.
- Le bonne façon serait (de me frapper) la tête avec une énorme
pierre, répondit le lapin. La mauvaise, de faire d’abord un feu tout
autour de moi, et de remplir ensuite mon oreille droite avec de la
poussière, ma gauche avec du tabac. Vous auriez tous les deux un
bâton et vous tiendriez à ma droite et à ma gauche. Et quand je
dirais de frapper, tous les deux me frapperiez et me tueriez. Cela
serait la mauvaise façon.
- Tu es l’incarnation de neuf démons, lui dit le vieux couple. Tu dois
être tué d’une façon cruelle.
Alors, ils s’installèrent comme le lapin avait dit. Quand cela fut fait,
celui-ci leur lança :
- Frappez maintenant.
L’homme et la femme levèrent leur bâton, mais à la même seconde
le lapin secoua violemment la tête. Les yeux de l’homme furent
aveuglés par le tabac, ceux de la femme par la poussière, si bien que
n’y voyant plus, ils se frappèrent l’un l’autre jusqu’à se tuer. Comme
ils avaient allumé des feux tout autour, le rocher chauffa, la colle
fondit, et le lapereau put s’enfuir.
Mais un morceau de sa queue resta collé au rocher. Et c’est depuis
cette époque que les lapins ont la queue courte.
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