la grande distribution a prédominance alimentaire - Céreq
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la grande distribution a prédominance alimentaire - Céreq
BULLETIN DE RECHERCHE MARS 1990 SUR L'EMPLOI ET LA FORMATION LA GRANDE DISTRIBUTION A PRÉDOMINANCE ALIMENTAIRE La modernisation rapide du commerce de détail français depuis 25 ans résulte de la diffusion des grandes surfaces à prédominance alimentaire, supermarchés (6 400 unités au 1er janvier 1990) et hypermarchés (au nombre de 798). Ce développement évoque deux images contrastées : dynamisme et efficacité d'une part, mais aussi faibles qualifications et médiocres conditions d'emploi. Dans quelle mesure cette dualité correspond-elle à la réalité ? Quel est l'avenir des grandes surfaces et quelles en sont les conséquences possibles pour l'emploi, les qualifications et la formation ? Un dynamisme économique mal assuré L 'analyse fait apparaître une grande diversité au sein du secteur distribution et conduit à nuancer l'idée que l'on s'en fait habituellement. Les performances économiques sont remarquables : croissance rapide du nombre de magasins et des parts de marché, rationalisation et passage à une distribution de masse, progrès de la gestion informatisée et abaissement des marges et donc des prix payés par le consommateur. Ces résultats ont amené les principales firmes à exporter l'hypermarché à la française (notamment en Espagne et au Portugal). Toutefois, les difficultés rencontrées pour implanter la formule aux Etats-Unis conduisent à s'interroger sur sa pertinence par rapport aux autres pays industrialisés. Ceux-ci n'ont conservé qu'un commerce traditionnel modeste, mais leur distribution moderne est plus spécialisée par type de produits et plus segmentée par catégorie de clientèle. La concurrence se réfère non seulement au prix, mais aussi à une gamme plus large de critères comme le service. Les grandes surfaces ont créé des emplois (croissance de 7,7% l'an de 1983 à 1987), mais cette croissance a été acquise au détriment du petit commerce traditionnel et amplifiée par un recours accru au temps partiel (davantage de personnes employées pour un même nombre d'heures). Pour l'ensemble du commerce de détail (1,6 million en 1987), la croissance de l'emploi'a été assez modeste (8 000 emplois créés par an de 1980 à 1987). A l'initiative des organisations professionnelles et de la Délégation à la Formation professionnelle, le CEREQ a été chargé d'un contrat d'études prévisionnelles sur la grande distribution à prédominance alimentaire. Réalisé avec le concours de l'ADEP, ce travail a été suivi par un comité de pilotage comportant des représentants des entreprises et des organisations syndicales ainsi que des experts. Visant à évaluer les besoins de formation et à suggérer des politiques en conséquence, il a comporté des analyses de données statistiques, de nombreuses enquêtes en entreprises, et aussi des prévisions d'emploi (une première pour le CEREQ) élaborées avec le concours d'un expert de l'INSEE. Des Investigations en Allemagne fédérale, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, au Japon, en Suède et en Suisse fen liaison avec un programme d'études de l'OCDE) ont apporté un éclairage sur d'autres expériences. Le rapport final donne une vue d'ensemble sur les perspectives d'évolution du secteur, des effectifs employés, des recrutements et des qualifications et propose des orientations sur la formation initiale et continue. Ce travail a été réalisé par Catherine Beduwé, Joëlle Lévy, Gérard Podevin et Fabienne Vespérini pour le CEREQ, Richard Bieganski et Frédérique Rychener pour l'ADEP. Les travaux ont été coordonnés par Olivier Bertrand. Les résultats seront publiés prochainement à l'initiative de la Délégation à la Formation professionnelle dans une collection éditée par la Documentation française. Les perspectives d'avenir : concurrence plus dure et spécialisation L 'important développement de la concurrence européenne ne devrait pas remettre en cause le caractère local du commerce alimentaire. Les phénomènes de mutation de la production, de concurrence des pays à bas salaires et de délocalisation qu'a connus l'industrie ne devraient pas l'affecter. Malgré le développement de la vente à distance, le commerce implique le contact avec la clientèle et les contraintes qui s'y rattachent : étendue des horaires et variations du niveau d'activité. Enfin, la diversité des produits et la multiplicité de leurs manipulations rendent l'automatisation très difficile et imposent le maintien d'un certain nombre de tâches simples. Malgré ces constantes, on peut considérer comme vraisemblable un sérieux infléchissement du modèle sur lequel s'est faite jusqu'ici la modernisation du commerce, dans le sens : - d'une concurrence se faisant moins avec le petit commerce traditionnel (dont la part continuera à se réduire) et plus entre grandes entreprises modernes, donc d'autant plus aiguë. Elle exigera de nouveaux progrès du marketing, de la logistique et de la gestion informatisée. Ceux-ci seront liés à la généralisation progressive des caisses équipées de scanner fournissant des informations essentielles à la gestion des flux et à l'analyse des ventes ; - d'une différenciation accrue entre les firmes optant clairement pour une stratégie de qualité et de service et celles qui viseront uniquement le prix le plus bas ; - d'une spécialisation et d'une segmentation plus poussées, par type de produit et de clientèle, confirmant l'évolution amorcée récemment avec le développement de grandes surfaces et de chaînes non alimentaires spécialisées ; - d'une diversification des formes de vente : vente à distance, ou "convenience stores" (proposant une diversité d'articles et de services courants sur des horaires étendus). Les prévisions d'emploi et de recrutement Des prévisions sur le niveau de l'emploi à l'horizon 1995 ont été élaborées à partir d'un jeu d'hypothèses concernant la consommation, le partage des parts de marché, la productivité et le recours au travail à temps partiel. En supposant un environnement économique favorable et la poursuite d'une croissance de la consommation, ces hypothèses font ressortir une progression annuelle de l'emploi variant entre 5700 et 13 400 pour la grande distribution alimentaire. Sur les mêmes bases, une estimation des flux de recrutement a été tentée. Elle fait apparaître que, même pour les cadres et à plus forte raison pour les agents de maîtrise, et encore plus pour le reste du personnel, les besoins de renouvellement sont plusieurs fois supérieurs aux besoins découlant de la création d'emplois. L'analyse des facteurs de mobilité et des politiques d'entreprise en matière de recrutement, de renouvellement de main-d'oeuvre et de promotion apparaît donc essentielle. Une tendance à l'élévation des qualifications L 'industrialisation de la préparation des produits alimentaires (viande notamment) peut être un facteur de déqualification : il faudra moins d'ouvriers professionnels en magasin mais plus de vendeurs/préparateurs polyvalents. Pour le reste, la tendance devrait être à l'élévation des qualifications avec : - l'étoffement des services fonctionnels exigeant un encadrement technique plus nombreux, notamment en marketing, logistique et gestion ; - la réduction des tâches manuelles simples et répétitives et des opérations administratives courantes ; - la technicité plus grande demandée aux cadres commerciaux des magasins. Ceux-ci ne seront plus seulement des "bourreaux de travail" toujours sur la brèche ; ils devront être mieux formés à la gestion et surtout au management des hommes. Quant à la qualification du personnel d'exécution, elle sera déterminée par les stratégies des entreprises et par leurs choix d'organisation. Une stratégie de service et de qualité peut privilégier la polyvalence (par exemple : caisse-rayon), l'enrichissement des tâches (responsabilité accrue sur la gestion du rayon) ou la spécialisation (connaissance plus approfondie d'un type de produit). Il serait souhaitable qu'elle offre davantage - MENSUEL fefc-i'-'fi 5 2ëfïï ;';:- de situations intermédiaires entre le grand nombre d'employés non qualifiés et les emplois, beaucoup moins nombreux, de maîtrise et d'encadrement. Le nombre de métiers véritablement nouveaux est limité, même si l'on inclut sous cette rubrique les chargés du développement micro-informatique, les concepteurs de moyens d'information multi-médias et interactifs de la clientèle, les animateurs de centres commerciaux et les vendeurs de nouveaux produits (financiers en particulier). C'est plutôt à une évolution progressive des métiers existants qu'il faut s'attendre. Une proportion croissante d'employés ne se borneront plus à faire de la manipulation de la marchandise : on leur demandera une connaissance plus approfondie des produits et de leurs propriétés, une meilleure qualité d'accueil, d'information et de conseil de la clientèle, une compréhension plus grande des contraintes de la gestion et des circuits d'information, allant de pair avec l'utilisation de plus en plus généralisée de l'informatique (et surtout de la micro-informatique). En ce qui concerne plus particulièrement les caissières, la diffusion du scanner les rend plus disponibles pour l'accueil et l'information de la clientèle. L'élévation des compétences et la modification des modes de travail pourraient être associées à une gestion plus participative, déjà amorcée par certaines entreprises. Mais tout ceci suppose une stabilité, une intégration du personnel et des motivations qui sont difficilement compatibles avec les pratiques fréquentes dans la profession en matière de gestion de main-d'oeuvre. EFFECTIFS ET FLUX ANNUELS (estimation moyenne 1967-1988) SORTIES RECRUTEMENTS Cadr» (16000) G lobalement, la grande distribution alimentaire se caractérise par : - sa jeunesse (24,5 % de moins de 25 ans, contre 10,7 % pour l'ensemble de l'économie) ; - sa féminisation : 60 % des effectifs totaux (contre 48%), davantage chez les employés moins qualifiés et considérablement moins dans l'encadrement ; - sa forte mobilité (23,5 % de renouvellement annuel, contre 14,5%) ; - un important recours aux formes particulières d'emploi (les CDD représentent 78 % des recrutements et 11,8 % des effectifs, contre 4 % pour l'ensemble de l'économie); - une forte incidence du temps partiel (22 % contre 12 %), davantage pour les emplois les moins qualifiés, notamment les caissières ; - un faible niveau de rémunération (la rémunération annuelle moyenne dans le commerce de détail alimentaire s'élevait à 69 969 F en 1987, contre 93 037F pour l'ensemble de l'économie, ce qui reflétait d'abord un faible niveau de qualification) ; - un faible niveau de formation initiale : 54,4 % de non-diplômés en 1982 (contre 48,5 % pour l'ensemble) malgré la jeunesse de la main-d'oeuvre. Ce niveau ne paraît pas s'être rapproché de la moyenne au cours des dernières années. Le recrutement des employés se réfère très peu à la formation mais surtout à la personnalité. Réciproquement, les diplômés sont peu attirés par la distribution dont l'image est négative, surtout du fait des horaires ; - un effort de formation continue sensiblement inférieur à la moyenne nationale : 1,79 % de la masse salariale (contre 2,77), 1 583 F ou 7,2 heures par an et par salarié (contre 3 279 F et 14,1 heures). Cet effort concerne essentiellement l'encadrement et notamment la formation des nouveaux chefs de rayon. Les employés ne bénéficient que de quelques jours ou quelques heures de formation initiale et moins encore de formation continue. 2000 1000 Mtttrise (32X0) Forte mobilité et faibles qualifications 6400 Les modes de gestion de la maln-d'oeuvre devront évoluer 2200 I 64000 Employés-Ouvrttrs CDI (272000) COI 145000 CDD 90 000 116000 29 000 CDD Cène estimation a été obtenue par recoupement entre plusieurs sources : bilans sociaux, déclarations des mouvements de main-d'oeuvre, enquête Emploi et données recueillies auprès des entreprises. Elle montre l'importance de la mobilité, le poids des contrats de durée déterminée et le rôle respectif de la promotion interne et des recrutements externes dans la constitution de l'encadrement. C ette image passablement négative doit être nuancée si l'on tient compte de la diversité et de l'évolution récente du secteur. Diversité car on observe d'importantes différences entre firmes du point de vue des politiques de gestion de main-d'oeuvre. Certaines pratiquent un degré élevé de délégation des pouvoirs dont bénéficient notamment les chefs de rayon et parfois aussi les employés et diffusent une culture d'entreprise fondée sur la responsabilité qui contribue à une forte mobilisation du personnel. D'autres ont mis en route des expériences innovantes pour faire face aux variations de charge de travail, certaines sont fondées sur la polyvalence entre caisse et rayon, d'autres sur l'auto-organisation des horaires à la caisse, d'autres encore sur une combinaison de ces deux formules. Ce dernier type d'organisation a pour but d'éviter le recours au temps partiel, considéré habituellement comme inévitable par les directions d'entreprise mais souvent mal ressenti par le personnel dans la mesure où il lui est imposé et n'est accepté que faute d'emploi à plein temps. La diversité peut aussi s'observer à l'intérieur d'une même entreprise car les magasins jouissent d'une grande autonomie dans la gestion de leur main-d'oeuvre. C'est notamment le cas pour le recours aux contrats de durée déterminée, dont l'usage est limité à des remplacements provisoires et parfois étendu pour faire face aux imprévus et pour prolonger la période d'essai. L'idée que les modes de gestion de la main-d'oeuvre devront évoluer est suggérée par l'exemple des autres pays industrialisés dans lesquels les entreprises commerciales s'inquiètent de plus en plus du manque de main-d'oeuvre. Elles cherchent à y parer en attirant de nouvelles catégories (minorités ethniques, handicapés, retraités) et en proposant de meilleures conditions d'emploi et de nouvelles perspectives d'évolution professionnelle. Cette préoccupation n'existe pas jusqu'ici en France pour les employés du fait de la situation de l'emploi ; mais elle est déjà très forte pour l'encadrement. De manière générale, beaucoup d'entreprises manifestent une prise de conscience du rôle des ressources humaines dans la compétitivité et donc de la formation, d'où des efforts d'organisation de la formation en entreprise et une tendance au rapprochement avec le système éducatif. Conséquences pour la formation A ucune formation initiale ne prépare spécifiquement à la grande distribution malgré l'importance de ses recrutements. Mais il s'est instauré depuis quelques années une collaboration étroite entre les milieux professionnels et l'Education nationale. Elle a conduit à une rénovation des diplômes commerciaux, dans le sens d'une meilleure adaptation aux besoins de la grande distribution, facilitée par le jeu des mentions complémentaires. Le centre de ce dispositif est constitué par le baccalauréat commerce-services, dont la première promotion a commencé sa scolarité en 1989. S'adressant principalement à la grande distribution, cette formation paraît bien répondre aux besoins du secteur dans la mesure où elle cherche à équilibrer trois pôles (gérer, vendre et entreprendre) et où elle est fondée sur l'alternance - les entreprises attachant une grande importance à l'expérience concrète du monde professionnel. On peut surtout espérer que cette formation de niveau IV résoudra en partie le problème de l'encadrement dont le nœud est le recrutement des chefs de rayon. Traditionnellement les chefs de rayon venaient de la promotion interne et n'avaient reçu qu'une formation initiale réduite. A partir du moment où le profil traditionnel du "gros travailleur" qui paie de sa personne tout en étant un bon acheteur est remplacé par celui de l'animateur/organisateur/gestionnaire, un niveau de formation plus élevé devient nécessaire. Aussi beaucoup d'entreprises ont-elles commencé à recruter au niveau "bac + 2", complété par une formation maison, principalement pratique (différentes institutions assurent des formations spécialisées de ce type). Mais le décalage avec le niveau du personnel en place est une source de problèmes et les conditions d'emploi (horaires et travail du samedi) dissuadent beaucoup de jeunes de s'orienter vers ce secteur et d'y rester, malgré les possibilités offertes liées au renforcement des services fonctionnels et à la professionnalisation de l'encadrement commercial. Une réponse consisterait à féminiser davantage l'encadrement dans un secteur où les femmes représentent déjà la majorité des effectifs et une large proportion des étudiants, mais où elles sont généralement cantonnées dans des emplois faiblement qualifiés. Autre réponse, le développement des recrutements au niveau du baccalauréat professionnel mais aussi des CAP et des BEP rénovés pourrait offrir des possibilités d'étoffer les recrutements de niveau intermédiaire, de diversifier les profils et de mieux équilibrer formation initiale et expérience professionnelle. Cette évolution, ainsi que le développement souhaité de la formation en alternance, impliquent une amélioration radicale des conditions d'accueil en entreprise des stagiaires. Au lieu d'être affectés à des tâches de production, les stagiaires devraient être suivis par des cadres compétents et spécialement formés, tout au long d'un programme de stage consacré à des tâches formatrices. Les mêmes remarques s'appliquent aux formations en cours d'emploi, actuellement en pleine extension, mais encore très axées sur l'encadrement et pas toujours intégrées dans un ensemble cohérent comportant des étapes. La reconnaissance des acquis et le passage entre formations en entreprise et formations complémentaires scolaires ou universitaires pourraient être mieux assurés. Olivier Bertrand Reproduction autorisée à condition expresse de mentionner la source. Dépôt légal n° 49-459 Administration CEREQ, 9 rue Sextius Michel, 75015 PARIS. Tél. : 45.75.62.63 Direction de la publication : Yves LlCHTENBERGER • Rédaction : Service de la Communication, F ranci ne LE NEVEU Commission Paritaire n° 1063 ADEP ISSN 0758 1858