Les Femmes Héritent des Pagnes, les Hommes Héritent des Champs

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Les Femmes Héritent des Pagnes, les Hommes Héritent des Champs
« Les Femmes Héritent des Pagnes, les Hommes
Héritent des Champs »
La problématique de l’accès des femmes à la terre au Sud Kivu,
en République Démocratique du Congo
Rapport de la recherche
Décembre 2014
Women for Women International UK, 32 – 36 Loman Street, London SE1 0EH
T: +44 (0)20 7922 7765 E: [email protected] W: www.womenforwomen.org.uk
UK Registered Charity No. 1115109
Company Registration No. 05650155
Table des matières
Remerciements
2
Table des sigles
3
Résumé
3
Introduction
8
1. Bref aperçu de la question foncière à l’Est de la RDC
13
1.1. Une question de pouvoir et d’identité
1.2. La situation dans les zones couvertes par l’enquête
1.3. La dimension genre de la question foncière
2. L’accès des femmes à la terre : des droits fonciers secondaires
2.1. La place des femmes dans la tenure foncière traditionnelle
2.1.1. L’exclusion des femmes de l’accès à la terre par le
Kalinzi
2.1.2. Les autres modes d’accès à la terre utilisés
par les femmes
13
15
16
18
18
18
20
2.2. L’impact de la division sexuée du travail: un pouvoir de décision
limité pour le contrôle des ressources
23
2.3. Le manque d’accès aux crédits et aux intrants
25
2.4. Une représentation limitée dans les instances de prise
de décision
27
2.5. Des dispositions légales discriminatoires envers les femmes et un
manque d’harmonisation des textes juridiques
28
3. La place accordée aux femmes dans les initiatives de réforme du système
foncier
3.1. Les interventions de l’Etat Congolais
3.2. Les interventions des organisations non gouvernementales
Nationales et internationales
4. Conclusion et recommandations
32
32
34
38
1
Remerciements
La collecte de données sur le terrain s’est faite sous la supervision de Mambo Bashi, qui a
dirigé une équipe composée d’Aimé Kikalage Shembo Dipachi et Francis Mulomeoderhwa,
superviseurs d’enquête ; Bora Cimongo et Mugili Munyerekana, enquêteurs. Aloys Mateba,
Gédeon Bamuleke et Papson Mwanza, du bureau de WFWI à Bukavu, Sud Kivu, ont joué un
rôle central dans l’organisation et la planification de la recherche et la collecte de données sur
le terrain.
Ce rapport a été grandement enrichi par la relecture et les commentaires de représentants
d’ONGs congolaises travaillant sur les questions foncières au Sud Kivu, à savoir IFDP
(Innovation et formation pour le développement et la paix), ASOP (Action sociale et
d’organisation paysanne, SOFAD (Solidarité des femmes activistes pour la défense des
droits humains), et LDF (Levain des femmes)
Nos remerciements vont également à New Perimeter (DLA Piper) qui a conduit pour WFWI,
une revue de la littérature sur les droits des femmes en République Démocratique du Congo.
Ce rapport a été écrit à l'origine (en français) par Ndeye Sow (conseiller principal Programme Afrique, International Alert). Elle a été commandée par WfWI UK pour mener
la recherche.
This report has been funded by UK aid from the UK government; however the
views expressed do not necessarily reflect the UK government’s official
policies.
2
Table des sigles
AGR
Activités génératrices de revenus
AFEJUCO
Association des femmes juristes du Congo
ASOP
Action sociale et d’organisation paysanne
CAFCO
Cadre permanent de concertation de la femme congolaise
CEDEF
Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination
envers les femmes
CONAFED
Comité national femme et développement
DSEGA
Déclaration solennelle pour l’égalité de genre en Afrique
IFDP
Innovation et formation pour le développement et la paix
LDF
Levain des femmes
RDC
République Démocratique du Congo
REFAMP/RDC
Réseau des femmes africaines ministres et parlementaires de la
République Démocratique du Congo
SOFAD
Solidarité des femmes activistes pour la défense des droits humains
3
Résumé
Ce rapport présente les résultats d’une recherche sur la problématique de l’accès des femmes
à la terre dans la province du Sud Kivu, à l’est de la république Démocratique du Congo.
Cette recherche a été menée par Women for Women International (WFWI) dans le cadre de
son programme de soutien aux droits des femmes pour leur accès à la terre et aux moyens de
subsistance. La préoccupation principale de WFWI était d’identifier la dimension
économique, socio-culturelle, juridique et politique des obstacles à l’accès des femmes à la
terre. Les résultats de l’étude seront utilisés pour renforcer les programmes WFWI à l’est de
la RDC, notamment en matière de renforcement des capacités des partenaires locaux et en
matière de plaidoyer pour la promotion des droits des femmes.
L’enquête de terrain a été conduite auprès de quatre communautés rurales situées dans deux
territoires où WFWI intervient, à savoir celui de Kalehe dans le Kivu montagneux au nord de
la province, et celui d’Uvira, dans la plaine de la Ruzizi, au sud du Sud Kivu. Les principales
personnes interrogées sont des femmes rurales partenaires de WFWI et bénéficiaires de ses
programmes à l’est de la RDC. Mais les entretiens ont aussi été élargis à un nombre restreint
de femmes et d’hommes leaders des communautés concernées ainsi qu’à des informateurs clé
représentant les autorités administratives et coutumières, les ONG travaillant sur les questions
foncières et la promotion des droits des femmes, des agents administratifs des différents
services étatiques en charge de la gestion du foncier.
Les femmes ne constituent pas une catégorie sociale homogène. Elles ont des identités et des
réalités différenciées, façonnées par leur appartenance de classe, leur affiliation ethnique, leur
statut social et économique et leur âge. Ceci en retour détermine leurs expériences et les
opportunités qu’elles ont, concernant la sécurisation de leurs droits fonciers. C’est ainsi qu’en
RDC le problème d’accès à la terre est vécu de manière différente par les femmes, selon
qu’elles vivent en milieu rural, péri-urbain ou urbain ; selon leur statut social, selon qu’elles
soient mariées ou célibataires, et pour les femmes mariées selon le régime matrimonial1.
Comme déjà dit plus haut, cette recherche s’est focalisée sur l’accès des femmes à la terre en
milieu rural.
Les femmes rurales comptent parmi les principales forces productives dans l’agriculture en
RDC, où elles contribuent à hauteur de 50% au secteur agricole et assurent 75% de la
production dans l’économie de subsistance. Elles contribuent aussi de manière significative
aux secteurs formels et informels de la foresterie. Malgré leur énorme apport en terme de
travail dans le secteur agricole, elles continuent de faire l’objet de discriminations concernant
leur accès à la terre et aux ressources et au contrôle de celles-ci.
Pour bien comprendre la problématique de l’accès des femmes à la terre à l’est de la RDC, il
est important de la replacer dans le contexte de la crise foncière complexe et plurielle et des
conflits meurtriers qui continuent de déstabiliser cette partie du pays. La dualité des systèmes
juridiques fonciers coutumiers et légaux, la marchandisation des terres, les dynamiques de
pouvoir et les questions identitaires ainsi que la crise agraire qui caractérisent le secteur
foncier, comptent parmi les principaux facteurs qui contribuent à éroder les droits des
femmes à la propriété foncière.
1
Muhimuzi, E. Accès des femmes à la terre en République Démocratique du Congo, Comité national femme et
développement.
4
Il est vrai qu’aussi bien les hommes que les femmes en milieu rural sont affectés par cette
crise foncière, par la pénurie de terre et le manque d’accès à la propriété foncière. En général,
les terres cultivées par les ménages ruraux sont de petites parcelles ne mesurant pas plus d’1
hectare. Mais, il est important de noter que les hommes et les femmes sont affectés de
manière différente, compte tenu du droit coutumier, des pratiques culturelles traditionnelles et
de certains aspects du droit écrit qui sont profondément discriminatoires envers les femmes et
constituent des obstacles à la sécurisation de leurs droits fonciers.
Les femmes bénéficient de droits fonciers secondaires dans la tenure foncière traditionnelle,
qu’elles détiennent à travers les membres masculins de la famille, généralement l’époux ou le
père. En effet, sous le droit coutumier, les femmes ne peuvent ni accéder directement à la
terre, ni en hériter, ni l’acheter. La coutume place le contrôle de la terre dans les ménages
ruraux, entre les mains du chef de famille légalement défini comme l’homme. Les droits
fonciers coutumiers dérivent ainsi de ceux des hommes.
Dans le cadre de la tenure foncière traditionnelle, les femmes peuvent louer des terres de
manière temporaire sous le mode traditionnel d’accès à la terre appelée Bwassa. La pratique
du Bwassa est répandue parmi les femmes rurales, du fait de la petitesse des champs
familiaux qui ne permet une production suffisante pour couvrir les besoins familiaux. Les
couts locatifs sont élevés et tournent en moyenne autour de 100 dollars américains pour une
parcelle d’un demi- hectare. Ces frais de location s’accompagnent le plus souvent d’un
contrat de métayage, qui comprend deux journées de travail bénévole hebdomadaire au
bénéfice du propriétaire de la parcelle de terre. Ainsi les femmes rurales dans leur grande
majorité, cultivent des terres qui ne leur appartiennent pas directement et sur lesquelles elles
exercent un contrôle et un pouvoir de décision limité. Ceci réduit leur pouvoir d’exercer un
contrôle sur les revenus issus de la production agricole et leur allocation au sein des ménages.
Les droits fonciers des femmes constituent un ensemble. Ceci implique que leurs droits
d’accéder à la terre doit être accompagné du droit d’accéder aux ressources nécessaires afin
de la cultiver de manière efficace. Or dans les zones enquêtées, ces ressources essentielles
telles que le crédit, les semences de qualité, la technologie, l’information et l’accès aux
marchés font cruellement défaut. Les femmes continent d’utiliser des méthodes archaïques
d’exploitation de la terre, ce qui accroît considérablement leur temps de travail en ne leur
produisant qu’une faible rémunération.
La représentation des femmes à tous les niveaux des instances de la gouvernance foncière
est essentielle pour la sécurisation de leurs droits fonciers. En RDC, le manque de
représentation des femmes dans la prise de décision affecte tous les secteurs et pas
uniquement celui de la gouvernance foncière. Il n’y a par exemple aucune femme parmi les
vingt- quatre chefs de chefferie que compte le Sud Kivu. Or les chefs coutumiers jouent un
rôle central dans la distribution et la gestion des terres coutumières rurales. S’il existe des
femmes parmi chefs de groupements et de villages, qui jouent aussi un rôle important dans la
gouvernance foncière coutumière, leur nombre est limité.
L’un des plus grands défis par rapport à l’accès des femmes à la terre réside sans nul doute
dans la législation et les cadres juridiques, aussi bien coutumiers que modernes, qui régissent
les droits des femmes en général et leurs droits fonciers en particulier. Si la constitution
congolaise garantie l’égalité des droits, y compris les droits à la propriété foncière pour tous
sans regard du sexe, les dispositions discriminatoires envers les femmes qui persistent dans
législation congolaise, en particulier dans le code de la famille, combiné à des mesures
5
contradictoires entre les différents textes juridiques et un manque d’harmonisation entre
elles, ne favorisent pas la sécurisation des droits fonciers des femmes.
Depuis la signature des accords de paix de Sun City en 2002 et la proclamation officielle de
la fin de la guerre, le gouvernement congolais a fourni des efforts pour réformer le secteur
foncier. Un certain nombre d’ONG locales sont aussi engagées dans des initiatives
innovatrices pour trouver des solutions à la crise foncière à l’est de la RDC. Mais la place
accordée aux droits des femmes dans les initiatives de réforme du système foncier n’apparait
pas clairement. S’il existe une volonté affichée de prendre en compte les droits des femmes et
d’intégrer une perspective de genre, ceci n’est pas fait de manière systématique par tous les
acteurs impliqués. Or, pour accroitre l’accès des femmes à la terre, la dimension genre doit
être prise en compte dès les premières étapes d’un programme de réforme. Ça n’est qu’à cette
condition que ces initiatives pourront déboucher sur réforme du secteur exhaustive et
inclusive, prenant en compte les intérêts de l’ensemble des congolais.
Recommandations
Ce rapport formule les recommandations suivantes :
Au Gouvernement Congolais
•
Soutenir le développement d’activités génératrices de revenus et l’accès des femmes
aux intrants, à la technologie et au marché.
•
Assurer la vulgarisation au sein des communautés rurales, des textes juridiques
importants relatifs aux droits des femmes et à la gestion du secteur foncier et agricole.
•
Accélérer le processus de réforme et d’harmonisation des textes juridiques en faveur
des droits des femmes.
•
Développer et renforcer la collaboration avec les organisations de femmes de la
société civile qui au niveau provincial au Sud Kivu, travaillent pour la sécurisation
des droits fonciers des productrices rurales et leur participation aux instances de prise
de décision.
Aux organisations de la société civile
•
Faire un audit des initiatives de réforme des systèmes fonciers menées par l’Etat
Congolais et les organisations de la société civile afin de déterminer s’ils prennent en
compte les besoins des femmes et intègrent les questions de genre dans leurs
programmations.
•
Mener un travail de plaidoyer auprès des décideurs politiques, de l’administration
locale et de l’autorité coutumière, afin d’influencer les réformes du secteur foncier en
cours et de s’assurer que les besoins des femmes et la perspective genre sont pris en
compte.
•
Appuyer le développement d’activités génératrices de revenus pour les femmes
rurales des femmes et soutenir leur accès aux intrants, à la technologie et au marché.
6
•
Renforcer le pouvoir de prise de décision et le leadership des femmes concernant une
gestion équitable des revenus des ménages.
•
Organiser des programmes de sensibilisation en direction des hommes, afin de leur
faire prendre conscience de leur part de responsabilité dans les dépenses familiales.
7
Introduction
Dans beaucoup de pays africains d’Afrique subsaharienne, la terre constitue une des
principales bases du pouvoir social et politique et se situe ainsi au cœur des inégalités entre
les sexes dans la répartition et le contrôle des ressources. Ceci est particulièrement vrai à l’Est
de la République Démocratique du Congo (RDC) où les femmes continuent de faire l’objet
de discriminations pour leur accès à la terre et à la propriété et leur contrôle. Ceci, malgré
leur rôle crucial et leur contribution à l’agriculture, au développement rural et à la sécurité
alimentaire.
La capacité des femmes d’accéder à la terre, est entravée par leur statut inférieur au sein des
ménages, des pratiques culturelles et des lois discriminatoires, la pauvreté, la lourdeur de
leurs tâches domestiques et reproductives ; ainsi que par une gouvernance foncière minée par
des années de guerre meurtrières, des tensions ethniques et des législations foncières
complexes et ambiguës.
Ce rapport présente les résultats d’une recherche sur l’accès des femmes à la terre au Sud
Kivu, à l’Est de la République Démocratique du Congo. Cette recherche est menée par
Women for Women International, dans le cadre de son programme de soutien aux droits des
femmes relatifs à l’accès à la terre et aux revenus.
En effet, l’accès à la terre et son appropriation, a été identifié comme un défi majeur par les
femmes agricultrices graduées du programme de formation de Women for Women
International (WFWI) en raison du système juridique et social patriarcal prévalant, ainsi que
des attitudes discriminatoires envers les femmes. Les femmes agricultrices ont fait part des
difficultés liées aux droits de propriété et d’accès à la terre et WFWI reconnait que ceci est un
facteur clé au succès à long terme dans l’agriculture. Pour cette raison, WFWI a entrepris
cette recherche, afin d’identifier les obstacles économiques, culturels, juridiques et politiques
à l’accès des femmes à la terre.
Les résultats de cette recherche seront utilisés aux fins suivantes :
• Renforcer le contenu de la formation sur les droits fonciers que les femmes reçoivent
dans le cadre du programme de WFWI en RDC, et alimenter le module sur les droits
fonciers dans le cadre du Programme d’engagement des hommes en RDC ;
• Mener un plaidoyer sur l’accès des femmes à la terre auprès des communautés et des
leaders locaux et nationaux.
Les objectifs de la recherche sont les suivants :
Objectif Global
Améliorer et sécuriser l’accès des femmes à la terre en RDC.
Objectifs Spécifiques
Identifier et acquérir une meilleure compréhension des obstacles économiques, socioculturels, juridiques et politiques à l’accès des femmes à la terre et au contrôle des
ressources ;
8
Renforcer le programme de formation de WFWI sur les droits des femmes d’accéder à la
terre, ainsi que le module de formation développé dans le cadre du Programme d’engagement
des hommes ;
Développer et mener un programme de plaidoyer au niveau communautaire, local et
national ;
Identifier les opportunités et les mécanismes au niveau local pour améliorer l’accès des
femmes à la terre ;
Méthodologie
Cette étude a été menée, en utilisant une approche méthodologique qualitative pour guider un
travail de collecte de données qui a duré deux semaines, du 4 au 17 juin 2014, dans deux
axes principaux au Sud Kivu soit Kalehe dans le Territoire de Kalehe, et Kiliba dans le
Territoire d’Uvira,
Ces deux territoires ont été choisis pour les raisons suivantes :
- Les problèmes fonciers y sont similaires et se traduisent notamment par
l’accaparement et la privatisation des terres, la pression démographique, une
paysannerie sans terre, la pénurie de terres arables, les conflits engendrés par le retour
des réfugiés, les tensions entre agriculteurs et éleveurs, la présence de milices
armées ;
-
Ils sont localisés dans deux aires culturelles relativement différentes (nord et sud du
Sud Kivu) et présentent ainsi certaines spécificités, compte tenu du fait que les
problèmes concernant l’accès à la terre sont avant tout socio-culturels ;
-
Ils affichent entre eux deux, une grande diversité ethnique tel qu’illustré par la
présence, entre autres, de communautés Bafulero, Babembe, Bahutu, Batutsi Batwa,
Bahavu, Batembo, Barongeronge.
-
WFWI travaille avec 2458 femmes comprenant des graduées du programme de
formation et celles en cours de formation, vivant dans ces deux territoires, ce qui
permis de mieux ancrer la recherche dans les réalités locales.
L’équipe de recherche était constituée d’une consultante internationale, un consultant local,
qui a conduit l’enquête de terrain et quatre assistants de recherche (deux superviseurs et deux
enquêteurs). L’équipe de recherche a travaillé en étroite collaboration avec le Bureau de
WFWI à Bukavu.
En préparation de la collecte de données sur le terrain, une réunion de méthodologie de deux
jours regroupant l’équipe de recherche, s’est tenue à Bukavu, au Sud Kivu, les 29 et 30 mai
2014. La première journée fut consacrée à des discussions sur la thématique et sa
contextualisation dans les différents sites de recherche, sur les objectifs et
l’opérationnalisation de l’enquête, ainsi que sur la standardisation des outils de collecte des
données, en l’occurrence le guide d’entretien des focus group (groupes de discussion
focalisés) et la grille d’interview pour les acteurs individuels clé. Pour assurer la fiabilité des
résultats, les outils de recherche ont été testés lors d’une pré-enquête menée dans le
9
groupement de Mumosho, dans le territoire de
d’activités.
Kabare,
où WFWI a un programme
L’enquête de terrain s’est déroulée dans 4 des 38 villages couverts par le programme de
WFWI dans les deux territoires, ainsi que dans la ville de Bukavu. Les villages couverts sont
les suivants : Bushushu et Munanira dans le territoire de Kalehe ; et Rukangaga et Rusabagi
dans le territoire de Kiliba. Les critères de sélection des villages étaient les suivants:
-
-
La densité de population : les villages de Bushushu et Munanira qui font partie du
groupement de Mbinga-Sud, ont une population de 25.397 et 22.906 habitants
respectivement sur une population totale de 138.263 que compte le groupement. Les
villages de Rukangaga et Rusabagi dans la Chefferie de la plaine de la Ruzizi à
Kiliba, ont quant à eux une population 10356 et 3852 habitants, sur une population
totale de 35.754 habitants dans la Chefferie.
Le nombre élevé de femmes associées au programme de WFWI au sein de ces deux
groupements : ces 4villages regroupent le plus grand nombres de graduées du
programme de WFWI et celles en cours de formation.
Huit focus group (groupes de discussions focalisées) dont quatre constitués uniquement de
femmes et quatre mixtes (hommes/femmes) ont été organisés dans les 4 villages sélectionnés.
Les focus group constitués de femmes uniquement, regroupaient entre 12 à 15 personnes, en
majorité des femmes graduées2 des programmes de formation de WFWI ou de femmes en
cours de formation. La composition de ces groupes était complétée par un petit nombre de
femmes n’étant pas partenaires de WFWI et n’ayant pas suivi les formations, choisies dans la
communauté.
Afin de compléter les discussions en focus group, un total de 40 entretiens individuels
approfondis a été mené auprès d’informateurs clés dans les deux axes (Kalehe et Kiliba). Les
personnes touchées étaient issues des catégories socio-professionnelles suivantes :
agricultrices, enseignant(e)s, agents de l’Etat, personnel des ONG, en particulier celles
travaillant sur les questions foncières et la promotion des droits des femmes, autorités
coutumières, autorités religieuses, leaders communautaires. Ces entretiens individuels ont
permis de compléter les informations reçues dans les focus group et de procéder à une
triangulation des informations afin de minimiser les biais.
Dix entretiens individuels additionnels ont été menés à Bukavu, auprès d’acteurs clés
travaillant sur les questions foncières. Il s’agit d’agents du Ministère Provincial de
l’agriculture, de responsables d’associations des droits humains, d’ONG traitant des
questions foncières et un concessionnaire.
Les informations récoltées pendant les focus group et les entretiens individuels étaient
analysés et discutées entre les membres de l’équipe de recherche, lors des réunions qui se
tenaient tous les jours à cette fin.
Concernant l’échantillonnage, un total 160 personnes a participé à l’enquête, dont une
majorité de femmes rurales, engagées dans les programmes de WFWI. Le récapitulatif des
personnes interrogées est présenté dans le tableau ci-dessous.
2
Qui ont suivi pendant une année tous les modules de formation de WFWI et ont terminé la formation.
10
FG femmes
Participantes au
programme de WFWI
Non-participantes au
programme de WFWI
Total
FG mixtes
Femmes leaders
communautaires
et femmes
membres
ordinaires de la
communauté
Hommes leaders
communautaires
et membres
ordinaires de la
communauté
Total
Entretiens individuels
Femmes
Hommes
Total
GRAND TOTAL
Kalehe
Bushushu Munanira
15
10
Kiliba
Rukangaga Rusabagi
10
10
0
5
5
5
15
15
15
15
Kalehe
Kiliba
Bushushu Munanira Rukangaga Rusabagi
Bukavu
Bukavu
0
Total
45
0
15
0
60
Bukavu Total
Bukavu
15
16
31
15
30
14
30
29
60
Kalehe
Kiliba
Bushushu Munanira Rukangaga Rusabagi
9
4
11
16
20
20
Bukavu
Bukavu
2
8
10
Total
13
27
40
160
Une analyse documentaire a aussi était menée, consistant à recourir à différents textes,
documents et ouvrages, ainsi que des rapports d’ONG locales et internationales traitant de la
problématique foncière en RDC et son impact sur les femmes rurales. Des textes juridiques
fondamentaux tels que la constitution de la RDC et le code du travail, ont également été
consultés. Cette revue de la littérature a été complétée par une analyse et revue critique des
instruments nationaux, régionaux et internationaux relatifs à la promotion des droits des
femmes, adoptés, signés ou ratifiés par le gouvernement congolais durant ces trente dernières
années3.
Contraintes et limitations
L’étude s’est limitée à deux territoires du Sud Kivu, situés dans la partie montagneuse
(Kalehe) et dans la plaine (Uvira). Elle n’a pas concerné les Hauts Plateaux (Fizi, Mwenga)
ou les zones forestières où les problèmes fonciers et la gestion coutumière foncière revêtent
des caractéristiques différentes. L’allocation d’un budget plus étoffé pour cette recherche
3
Cette revue des instruments pour la promotion des droits des femmes est compilée dans le document suivant :
Women’s Rights in the Democratic Republic of Congo. Prepared by New Perimeter on behalf of Women for
Women International (UK), March 2014.
11
aurait permis d’accroître son ampleur et son étendue géographique et favorisé l’adoption, de
manière plus systématique, d’une approche comparative des problèmes fonciers et de l’accès
des femmes à la terre dans les différentes zones géographiques où WFWI intervient. Le
temps limité alloué à la collecte des données sur le terrain a également constitué un facteur
limitant pour l’équipe de recherche.
Malgré ces limites, la recherche a néanmoins permis de dégager un certain nombre de
tendances qui donnent une vue d’ensemble relativement complète des problèmes auxquels les
femmes font face pour accéder à la terre et sécuriser leur droits fonciers dans les quatre
communautés enquêtées au Sud Kivu.
Ce rapport est en trois parties :
Le chapitre 1 donne un bref aperçu de la question foncière à l’Est de la RDC, afin d’en
dégager les caractères essentiels et d’en montrer la complexité. Cette partie insiste aussi sur
le fait que la question foncière qui est un des moteurs structurels des conflits à l’Est
comprend également une importante dimension genre qui doit absolument être prise en
compte et intégrée dans les discussions sur la crise de la gestion et de la gouvernance
foncière en RDC.
Le chapitre 2 qui constitue en quelque sort le cœur du rapport, analyse les différents facteurs
qui sont à la base des discriminations envers les femmes concernant leur accès à la terre, en
faisant ressortir le fait que ces facteurs sont d’ordre structurels avec des dimensions
juridiques, culturels, politiques économiques et sociaux.
Le chapitre 3 essaie de localiser la place des femmes dans les nombreuses initiatives de
réformes de la gestion foncière développées par la multitude d’acteurs qui travaillent dans le
secteur, y compris l’Etat congolais et les organisations non gouvernementales locales et
internationales. Il apparaît que certaines de ces initiatives sont novatrices et porteuses.
Cependant, leur examen n’a pas permis de déterminer de manière claire et précise la façon
dont elles intègrent la sécurisation des droits fonciers des femmes.
Le rapport se termine par une conclusion et des recommandations. Certaines de ces
recommandations ont été formulées par les femmes engagées dans le programme de WFWI
et certains des acteurs interrogés dans le cadre des entretiens individuels.
12
1. Bref aperçu de la question foncière à l’Est de la RDC
1.1.
Une question de pouvoir et d’identité
A l’est de la RDC, l’accès à la terre et la gestion foncière ont toujours constitué une
problématique centrale. Les guerres répétées qu’a connu cette partie du pays pendant ces
vingt dernières années ont sapé les fondements d’une gouvernance foncière déjà fragile, et la
question foncière y est devenue l’un des enjeux fondamentaux des conflits et un des facteurs
structurels de l’instabilité4. Certains analystes assimilent les conflits fonciers a une question
d’identité et de pouvoir et identifient quelques- uns des principaux facteurs liés à la question
foncière qui contribuent à la violence et aux conflits comme suit : l’existence d’un grand
nombre de mécanismes de gouvernance foncière différents, la pénurie de terres arables dans
les zones à forte pression démographique, le chevauchement des cadres légaux et la faiblesse
du droit foncier écrit, la concurrence accrue pour le contrôle de la terre entre les élites locales
et la concentration des terres entre les mains d’une minorité qui en découle, la concurrence
entre les communautés autochtones et celles de migrants, l’expansion de l’exploitation
minière artisanale et à petite échelle5.
Il est communément admis que l’un des problèmes majeurs du cadre légal foncier en RDC,
réside dans l’existence d’une multitude de législations foncières et la superposition des
systèmes fonciers coutumiers et légaux, qui a produit un double système d’accès à la terre
coutumier et légal. Cette variété de systèmes et la juxtaposition de statuts légaux, basés sur
des règles, des droits et des obligations différents font qu’il n’y a pas de politique foncière
claire ni de cadre de gestion foncière transparent6. Les politiques de propriété foncière
manquent de cohérence, ce qui fragilise les populations rurales, en particulier les femmes.
Ce manque de cohérence est visible en particulier, dans l’absence de clarté des rôles et
responsabilités des chefs coutumiers qui ont toujours joué un rôle de premier plan dans le
contrôle et la distribution des terres. Beaucoup d’entre eux se sont enrichis et ont perdu de
leur autorité et légitimité en servant d’intermédiaires dans les ventes de terre ou en les
revendant eux-mêmes, le plus souvent aux élites fortunées. On assiste ainsi à une
marchandisation du capital foncier et une privatisation, en grande partie, des biens fonciers
communautaires7. Il est souvent arrivé que les terres aliénées par les chefs et les élites locales
soient déjà occupées par des ménages ruraux, qui se sont ainsi vu dépossédés de leur terre et
perdre l’accès à leur champ8. Cette aliénation des terres coutumières, au détriment des droits
des paysans, souvent les plus pauvres, est particulièrement ressentie dans les zones à forte
densité démographique. Dans le territoire de Kalehé où s’est déroulé une partie de l’enquête,
la densité atteint plus de 400 habitants au kilomètre carré. Dans la plupart de ces zones
surpeuplées, les ménages ruraux disposent de parcelles de terre mesurant moins d’1 hectare9.
4
Sortir de l’impasse : vers une nouvelle vision de la paix à l’est de la RDC, International Alert, Septembre
2012.
5
Mugangu Mataboro, S., La crise foncière à l’Est de la RDC, in l’Afrique des Grands Lacs, Annuaire 20072008 ; Problématique foncière dans la chefferie de Kabaré ansi que dans la zone urbano-rurale de Kasha
(Bukavu), IFDP, 30 novembre 2012 ; Vlassenroot, K., Land issues and conflict in Eastern DRC, SSRC, Conflict
Prevention and Peace Forum, Janvier 2013 ; Huggins, C., Terre, pouvoir et identité, International Alert,
Novembre 2010.
6
Vlassenroot, K., op cit.
7
Higgins, C., Terre, pouvoir et identité, op cit.
8
Huggins, C., Terre, pouvoir et identité, op cit.
9
Problématique foncière dans la chefferie de Kabaré ainsi que dans la zone urbano-rurale de Kasha (Bukavu),
IFDP, 30 novembre 2012.
13
Les liens inextricables entre la représentation politique au niveau local et ce que certains
analystes appellent les « territoires ethniques », et la dimension « autochtones » versus
« allogènes » sont aussi une des principales caractéristiques de la crise foncière10. En effet
l’accès à la terre est déterminé avant tout par l’appartenance à une communauté ethnique, à
un clan ou à une famille11. Ceci fait qu’il y a une identification entre la terre et la
communauté ethnique, expliquant les revendications foncières des communautés ethniques et
leurs demandes d’autonomie et de pouvoir politique. En effet, les communautés qui estiment
qu’elles n’ont pas de représentation politique, revendiquent le droit à la propriété foncière
afin de leur permettre d’avoir leur propre chef.12 Pour cette raison « …l’importance de
l’ethnicité en tant que principe organisationnel des institutions politico-administratives des
territoires au niveau local, a été une cause de tension constante et de conflit entre les
différents groupes ethniques mais aussi à l’intérieur de ces communautés13 ».
L’ethnicisation de la question foncière est exacerbée par la question du retour des réfugiés
dans leurs régions d’origine, comme c’est le cas à Kalehe par exemple, où l’arrivée de
réfugiés Tutsi du Rwanda a intensifié les conflits entre les communautés locales et favorisé la
mobilisation de milices armées ethniques. Car c’est en effet lorsque les conflits sont
intimement liés aux questions identitaires avec une dimension inter-ethnique, qu’ils ont
tendance à produire des violences à grande échelle14.
Les droits des agriculteurs et agricultrices sont bafoués dans les zones minières et
d’exploitation du bois par des exploitants protégés par le code minier, le code forestier et les
licences d’exploitation. D’autres types de conflits tels que ceux entre agriculteurs et éleveurs
en raison de la transhumance surtout en cas de pénurie de terres, entre communautés rurales
et grandes compagnies concessionnaires relèvent tous, en grande partie, du manque de
politique foncière cohérent et transparent.
La question foncière ne se résume pas à une question politique ou juridique, mais est
également ancrée dans une crise agraire généralisée à l’Est de la RDC caractérisée par un
accès inégal à la terre en particulier pour les petits exploitants, un manque d’investissement
dans l’agriculture et dans les équipements agricoles modernes et les intrants nécessaires pour
améliorer la production ; un manque d’entretien des infrastructures routières, ainsi que la
dégradation des sols, compte tenu du déclin des méthodes traditionnels de préservation de
celles-ci, y compris la mise en jachère15. Il est important de situer la question foncière dans ce
contexte de crise agraire, qui n’est pas toujours évoquée dans les discussions sur l’accès à la
terre, afin d’en saisir tous les aspects. Comme nous le verrons plus bas, la crise agraire est
certainement un facteur important en prendre en considération dans l’analyse du rapport des
femmes à la terre à l’est de la RDC.
10
Higgins, C., Terre, pouvoir et identité, op cit. ; Mugangu Mataboro, S., La crise foncière à l’Est de la RDC, in
L’Afrique des Grands Lacs. Annuaire 2007-2008 ; Ansoms, A., Claessens, K., Mudinga, E., L’accaparement
des terres par des élites en Territoire de Kalehe, RDC, in L’Afrique des Grands lacs. Annuaire 2011-2012.
11
Huggins, C. Terre, pouvoir et identité, op cit.
12
Huggins, C., op cit.
13
Vlassenroot, K., op cit. Citation traduite de l’anglais au français par nous.
14
Vlassenroot, K., op cit.
15
Huggins, C., op cit.
14
1.2.
La situation dans les zones couvertes par l’enquête
Tous les problèmes mentionnés ci- dessus se retrouvent, à quelques exceptions près, dans les
deux sites ou s’est déroulée l’enquête.
Le territoire de Kalehe, qui comprend six principales communautés ethniques notamment les
Bahavu, Batembo, Barongeronge, Bahutu, Batutsi et Batwa, est devenu un terreau fertile pour
les conflits fonciers. Les communautés rwandophones habitent les hauts plateaux dont les
conditions climatiques sont favorables à leurs activités pastorales qui consistent
essentiellement en élevage de gros bétail, tandis que les autres, occupent généralement les bas
plateaux. Les dynamiques conflictuelles qui résultent de cette cohabitation intra et
intercommunautaire sont étroitement liées aux enjeux autour de l’accès à la terre, en
particulier le problème du recouvrement des droits fonciers des rapatriés tutsi venant du
Rwanda et la question de la répartition du pouvoir administratif et coutumier entre les
communautés. Ce problème d’accès à la terre est considéré comme l’une des raisons de la
prolifération de milices armées communautaires à caractère ethnique au début des années
quatre-vingt-dix. Ceci, dans un contexte d’exacerbation des sentiments d’insécurité foncière
ressentis par les différentes communautés vivant dans le territoire.
Il faudrait aussi souligner que le territoire de Kalehe possède un important potentiel en termes
de ressources minières, avec plusieurs gisements de cassitérite, coltan et or en exploitation
sur le littoral et les hauts plateaux. La découverte de nouveaux gisements d’or et de
wolframite dans certains cours d’eaux en 2011, a contribué à accroître l’exploitation minière
artisanale. Cependant ces nouveaux gisements constituent une source de conflits potentiels
entre les creuseurs dit autochtones, c’est-à-dire ceux habitant les chefferies ou groupements
où se trouvent ces gisements, et les nouveaux creuseurs, n’appartenant pas à ces milieux et
composés le plus souvent des membres de l’autorité militaro-administrative, coutumière et
quelque fois militaire16.
A Kiliba dans le territoire d’Uvira, où l’activité agricole occupe plus de 85% de la population
de la plaine de la Ruzizi, l’importance de la valeur agronomique du sol et les possibilités
d’évacuation des produits agricoles vers les grands centres urbains comme Bukavu, et ceux
du Rwanda et du Burundi voisins, sont autant de facteurs favorables pour le secteur agricole
dans cette zone. Toutefois, l’existence d’une forte pression démographique consécutive à des
mouvements de populations y a renforcé les enjeux liés à l’accès à la terre. D’autre part, la
fertilité du sol, a conduit à une pratique d’accaparement des terres et le développement de
vastes concessions par des élites politiques urbaines ou des commerçants d’Uvira, de Bukavu
et même d’aussi loin que Kinshasa. Ces élites achètent de grandes étendues de terre dans la
plaine qui appartenaient auparavant aux populations locales. Les rapports à la terre
s’organisent ainsi dans un contexte de forte compétition, ce qui explique en grande partie le
nombre élevé de paysans sans terre dans plaine de la Ruzizi.
La plaine de la Ruzizi est aussi le siège d’une compétition foncière et économique farouche
entre les communautés Bafulero et Barundi, ces derniers réclamant une chefferie. Ce conflit a
favorisé la multiplication des groupes armés, qui maintiennent un climat d’insécurité dans la
plaine. Les autres conflits contribuant au climat d’insécurité concernent le retour des réfugiés
16
Conflits fonciers et dynamiques de cohabitation en territoire de Kalehe, Sud Kvu, est de la RDC, APC, en
partenariat avec Life and Peace Institute, 2012.
15
congolais en provenance du Burundi qui revendiquent leurs anciennes parcelles de terre, et
les tensions entre agriculteurs et éleveurs.
1.3.
La dimension genre de la question foncière
La question foncière, en tant qu’un des principaux moteurs et déclencheurs des conflits à
l’Est de la RDC est ainsi multiforme et complexe. Elle comprend aussi une dimension de
genre importante. Car s’il est vrai qu’aussi bien les hommes que les femmes notamment en
milieu rural, sont affectés par la crise foncière, ils le sont de manière différente.
Les femmes, tout groupes ethniques confondus, sont parmi les principales victimes du double
système coutumier et légal d’accès à la terre. En effet, d’un côté les dispositions du droit
foncier coutumier rendent leur accès direct à la terre difficile, notamment en matière
d’héritage et de succession, même si, comme nous le verrons au chapitre 2, la coutume peut
parfois accommoder l’accès à la terre à certaines catégories de femmes. D’un autre côté, bien
que le code foncier n’exclut pas de manière explicite les femmes de la propriété foncière, les
contradictions qui existent
dans la juridiction foncière, combinées au manque
d’harmonisation entre les différents textes juridiques sur les droits des femmes, ainsi que la
persistance de coutumes et pratiques culturelles discriminatoires, rendent difficile la
sécurisation des droits fonciers des femmes, en particulier les femmes rurales les plus
pauvres.
Il est important de noter que, compte tenu de leur position de vulnérabilité par rapport à
l’accès et à la possession de la terre, les femmes connaissent beaucoup de conflits fonciers.
Dans les zones où l’enquête s’est menée, la plupart des agricultrices rencontrées étaient
impliquées dans des conflits fonciers. Le plus souvent ces conflits revêtent un caractère
interpersonnel, liés à des différents concernant les limites de terrain, la divagation des
animaux des éleveurs dans leurs champs, ou le vol de leurs cultures stockées dans les champs
après la récolte. Ces types de conflits qui se règlent souvent par une médiation informelle,
tournent aussi parfois à la violence, en raison de la grande circulation d’armes et la
prolifération des milices qui peuvent être engagées par l’une ou l’autre des parties en conflit.
Les femmes sont généralement les grandes perdantes en cas de conflits plus graves, comme
ceux qui opposent les paysans aux grandes compagnies concessionnaires dans les cas
d’accaparement des terres par ces derniers. Tel est le cas à Kiliba où la compagnie
concessionnaire dénommée « Sucrerie de Kiliba » possède une vaste concession que lui a
cédé l’Etat Congolais. La sucrerie a récupéré des milliers d’hectares de terres que cultivaient
les paysans mais sans les exploiter, les laissant ainsi inutilisées. Des milliers de paysans se
sont de ce fait retrouvés sans terres, y compris de nombreuses agricultrices qui ont perdu les
petits lopins qu’elles louaient pour leurs cultures, ainsi que le champ familial dans lequel
elles sont les principales cultivatrices. Selon des responsables d’organisations locales de
développement interrogés dans le cadre de l’enquête à Kiliba, l’insécurité alimentaire et les
nombreux cas de malnutrition qui sévissent dans le Territoire, seraient en grande partie
causés par la pénurie de terres provoquée par la privatisation et l’accaparement de celles-ci17.
Traditionnellement, les femmes accèdent difficilement aux mécanismes de médiation des
conflits fonciers au niveau communautaire. Ces mécanismes gérés par les chefs coutumiers,
sont généralement dominés par les hommes. Les femmes ne peuvent pas s’y présenter seules,
17
Entretiens individuels approfondis, Kalehe, juin 2014.
16
à car « la femme ne parle pas devant l’homme18». C’est donc par le biais de leurs maris
qu’elles accèdent à ces mécanismes. Ce sont eux qui se présentent devant le comité des sages
pour expliquer la nature du conflit dans lesquels leurs épouses sont impliquées et recueillir le
verdict19. Les conflits fonciers auxquels les femmes en milieu rural font face, sont très peu
voire pas du tout documenté.
Il faut enfin rappeler que ce sont les agricultrices, principales forces productives dans
l’économie rurale de subsistance, qui sont les premières victimes des violences sexuelles en
particulier dans les zones où l’ethnicisation des conflits fonciers provoque la recrudescence
des milices armées. Les femmes qui travaillent la terre seules ou en petits groupes dans des
champs éloignés des villages, constituent des proies faciles pour les bandes armées et les
voleurs de récoltes.20 La dimension sexospécifique de la question foncière, qui est analysée
de manière plus approfondie dans le chapitre suivant, doit absolument être prise en compte
dans les discussions sur la crise foncière en RDC afin de pouvoir lui trouver une résolution
juste et durable.
18
Entretien individuel approfondi, Kiliba, juin 2014.
Groupe de discussion de femmes, Kiliba, juin2014.
20
Le corps des femmes comme champ de bataille durant la guerre en République Démocratique du Congo,
Réseau des femmes pour un développement associatif, Réseau des femmes pour la défense des droits des
femmes et la paix, International Alert, 2004.
19
17
2. L’accès des femmes à la terre : des droits fonciers secondaires
Les femmes comptent parmi les principaux utilisateurs et cultivateurs de la terre en RDC. Il
est estimé que la contribution des femmes au secteur agricole est de 50% et qu’elles assurent
75% de la production alimentaire en milieu rural. Elles contribuent aussi de manière
significative aux secteurs formels et informels de la foresterie21. La vaste majorité des
agricultrices est pauvre et vit dans les zones rurales ou semi rurales, avec une autonomie
financière limitée. Il est important de souligner qu’une grande partie de la population
congolaise vit dans la pauvreté, avec un revenu national brut de 390 dollars américains par
habitant pour les femmes et 499 dollars pour les hommes. La RDC est classée 186eme sur
187 pays sur l’Indice du développement humain du PNUD. Son Indice de développement de
genre est de 0,822, le classant 134eme sur 147 pays22.
Les femmes en zones rurales exploitent des terres qui ne leur appartiennent pas, sur lesquelles
elles n’ont pratiquement aucun contrôle et exercent un pouvoir de décision limité. Dans les
communautés rurales du Sud Kivu où la recherche a été menée en particulier, les femmes
continuent d’être perçues avant tout dans leurs rôles de reproductrices, c’est-à-dire de
« mère » donnant la vie et en charge du bien- être matériel, physique et moral de la famille.
Le travail considérable qu’elles fournissent dans le secteur agricole et l’économie de
subsistance est largement considéré comme une extension de leurs tâches reproductives, et
non comme un travail productif à part entière. Ces perceptions sont renforcées par les
dispositions discriminatoires envers les femmes contenues aussi bien dans le droit coutumier
que dans le droit moderne. A ceci s’ajoute la faiblesse des politiques étatiques pour
l’autonomisation des femmes rurales et la précarité du secteur agricole en raison de la crise
agraire, qui font partie des principaux obstacles à l’accès des femmes à la terre et à la
sécurisation de leurs droits fonciers.
Ce chapitre examine un certain nombre de facteurs qui sont importants pour évaluer et
comprendre la nature des principaux obstacles à l’accès des femmes à la terre. L’analyse
porte en particulier, sur la place accordée aux femmes dans les régimes fonciers traditionnels,
sur les modes d’accès des femmes à la terre, sur la division sexuée du travail aussi bien au
niveau des ménages que dans la production agricole et son impact sur le pouvoir de décision
des femmes, sur l’accès aux ressources, sur les obstacles juridiques à l’accès des femmes aux
droits fonciers et enfin la représentation à la prise de décision.
2.1. La place des femmes dans la tenure foncière traditionnelle.
2.1.1. L’exclusion des femmes de l’accès à la terre par le Kalinzi
Il existe une variété de systèmes coutumiers fonciers et plusieurs modes d’accession à la
terre au Sud Kivu, dépendant des communautés ethniques et de l’organisation sociale et
culturelle. Le mode d’accès le plus répandu est le Kalinzi23, qui est aussi la forme la plus
classique de la tenure foncière. A l’origine, les rapports fonciers étaient fondés
essentiellement sur le Kalinzi, qui est une redevance foncière que les paysans devaient payer
aux chefs coutumiers locaux pour avoir accès à la terre. Cette redevance était payée soit en
21
Genre et le droit à la terre. Base de données sur la RDC, FAO, 2007.
Rapport du développement humain, PNUD, 2014.
23
Le Kalinzi désigne à la fois le prix du droit de jouissance et la terre sur laquelle s’exerce ce droit. (Voir à cet
effet l’article de Séverin Mugangu Mataboro cité ci-dessus).
22
18
nature (des chèvres ou une partie de la récolte) soit de plus en plus en argent liquide de nos
jours, dépendant de la superficie du terrain et de la qualité du sol. En tant que contrat foncier
traditionnel, le Kalinzi était conçu avant tout comme un « contrat de fraternisation » entre le
chef coutumier qui donnait la terre et le paysan qui la recevait. Il n’était donc pas conçu
comme un simple transfert de propriété. Dans le cadre de ce « contrat de fraternisation », il
était accordé au récipiendaire un droit de jouissance perpétuelle sur la terre. Ceci permettait
de créer entre le chef coutumier et le récipiendaire des rapports sociaux qui étaient des
rapports de pouvoir et de dépendance, permettant à l’autorité coutumière de protéger sa
position sociale et de maintenir le paysan dans un rapport de dominant/dominé 24. Ainsi,
traditionnellement «… le Kalinzi assure la pérennisation d’un système de dépendance
politique et social, structurant les rapports sociaux25 ».
Les femmes sont exclues du Kalinzi. Elles ne peuvent accéder directement à la terre par le
biais de cette tenure foncière traditionnelle. S’il est vrai que la plupart des ménages ruraux
reçoivent des terres par le Kalinzi, la coutume place le contrôle de la terre reçue au niveau du
foyer exclusivement entre les mains du chef de famille, qui est légalement défini comme
l’homme. Ceci fait que les droits fonciers coutumiers des femmes dérivent de ceux des
hommes. Les droits d’accès des femmes à la terre sont ainsi des droits fonciers secondaires,
qu’elles détiennent à travers les membres masculins de la famille, généralement l’époux ou le
père. Le Kalinzi est donc un mode d’accès à la terre patriarcal, qui consacre et renforce les
rapports sociaux inégalitaires, y compris les inégalités entre les sexes.
En outre, sous le droit coutumier, les femmes ne sont pas autorisées à participer directement
aux transactions financières et ne peuvent ni vendre ni acheter un terrain en leur nom propre.
Elles ne peuvent pas non plus hériter d’une terre, sauf à de rares exceptions près26. Cette
dépendance met les femmes qui sortent du cercle familial en raison de veuvage, de divorce ou
de séparation par exemple, dans une position de vulnérabilité et de risque de perdre leur accès
à la terre. Traditionnellement, il existait cependant des soupapes de sécurité pour ces femmes
qui ne bénéficiaient pas de la « protection » d’un homme et dans la plupart des cas, il était
prévu que les systèmes coutumiers leur accordent un accès temporaire à la terre27.
En tant que contrat foncier traditionnel, le Kalinzi a connu d’importantes mutations au fil des
ans, compte tenu de la marchandisation du capital foncier, la pression démographique, la
pénurie et le morcellement des terres, l’aliénation des terres par les autorités coutumières et
les élites locales, entre autres. Les chefs coutumiers en particulier, n’allouent plus de terres à
titre perpétuel, mais comme nous l’avons vu plus haut, s’adonnent à la spéculation foncière
en les revendant au plus offrant, en les mettant en valeur eux-mêmes ou en accordant des
contrats précaires aux paysans. Ces contrats, qui confèrent aux paysans un droit d’usage
précaire sur la terre « permettent la reproduction de rapports quasi-féodaux sur des terres
acquises en vertu du droit moderne28 ».
24
Mugangu Mataboro, S., La crise foncière à l’Est de la RDC, op cit; Problématique foncière dans la chefferie
de Kabaré ansi que dans la zone urbano-rurale de Kasha (Bukavu), IFDP, op cit.
25
Problématique foncière dans la chefferie de Kabare ainsi que dans la zone urbano-rurale de Kasha, IFDP, op
cit.
26
IFDP, op cit.
27
Higgins, C., Terre, pouvoir et identité, op cit. ; Entretien la responsable d’une Shikira (communauté ecclésiale
de base des femmes dans les paroisses catholiques), Kalehe, juin 2014.
28
Mugangu Mataboro, S., La crise foncière à l’Est de la RDC, op cit.
19
Ces mutations de la tenure foncière coutumière ont grandement contribué à éroder les droits
des femmes sur la terre. En particulier, les quelques soupapes de sécurité et la protection
limitée dont bénéficiaient certaines catégories de femmes mentionnées plus haut, ont
progressivement disparues en raison de la pénurie croissante des terres vacantes, les
plongeant dans la pauvreté et la précarité.
2.1.2. Les autres modes d’accès à la terre utilisés par les femmes
Dans les sites où l’enquête de terrain a été menée les femmes rurales, dans leur grande
majorité, cultivent des terres dont elles ne sont pas propriétaires et qui appartiennent à leurs
époux. Ces terres sont acquises par les ménages ruraux à travers le système foncier
traditionnel décrit plus haut. L’accès des femmes à la terre dans le cadre des ménages,
demeure le mode d’accès prévalant pour elles. Il existe néanmoins d’autres mécanismes par
lesquelles certaines peuvent accéder à la terre. Ces mécanismes sont la location temporaire
de terres (Bwassa), l’héritage (Bwimet) ou l’achat (Bugura). Les femmes interrogées à
Bushushu et Munanira, dans le Territoire de Kalehe, ont aussi fait mention de quelques cas de
donation de terres (Bushobole), mais ceci reste très rare29.
Parmi les trois modes d’accession à la terre cités ci-dessus, la location temporaire des terres,
ou Bwassa, reste celui le plus répandue dans les sites enquêtés. Une grande partie des
ménages ruraux ne possède pas de terres ou est propriétaire de petites parcelles qui ne lui
permet pas de cultiver la quantité de produits agricoles nécessaire pour couvrir les besoins
familiaux. Pour cette raison les ménages ruraux et en particulier les femmes au sein de ceuxci, louent, de manière temporaire, des terres qu’elles cultivent pour compléter la production
fournie par le champ familial qu’elles continuent de cultiver, ainsi que pour accroître leurs
revenus. Ces parcelles de terre sont louées dans les endroits où il existe encore des terres
disponibles. Dans les deux territoires enquêtés les femmes louent en général des lopins de
terre dans les vastes plantations relevant du système concessionnaire. Ces plantations qui
appartenaient aux européens30, ont été acquis après leur départ par des politiciens, les églises
ou des particuliers.
Les termes des contrats de location qui sont fixés de manière unilatérale par les gérants des
plantations, ne sont avantageux pour les femmes. Les coûts de location sont élevés pour le
milieu. Un demi- hectare de terre est généralement loué à un tarif de 100 dollars US par an.
Dans des villages comme Kabindi et Mulira, 100 dollars ne permettent de louer qu’une
parcelle de terre de 30 mètres sur 40 pour l’année31. A Munanira, à Kalehe, un champ de 50
mètres sur 25 se loue à 50 dollars, auxquels peut s’ajouter une caisse de bière dont le prix est
de 20 dollars. Ceci fait que la location du champ revient à 70 dollars par an. Dans les zones
où de vastes étendues sont occupées par des concessions et où il existe un nombre important
de paysans sans terres comme c’est le cas dans le Kalehe littoral et les hauts plateaux, ces
frais de location s’accompagnent de contrats de métayage qui incluent deux journées de
travail bénévole hebdomadaire au bénéfice du concessionnaire32. Les discussions avec les
29
Groupe de discussion de femmes de Bushushu et Munanira, Kalehe, juin 2014.
Dans le cadre de la politique de Zairianisation des années 1973-1974, les possessions des Européens au Zaire
ont été nationalisées.
31
Groupe de discussion de femmes de Rukangaga, Kiliba, juin 2014.
32
Entretien individuel approfondi avec des responsables d’associations de droits humains et de développement,
Kalehe, juin 2014. Voir aussi le rapport de APAC intitulé : Conflits fonciers et dynamiques de cohabitation en
30
20
femmes dans les focus group, ont montré que ces frais étaient beaucoup trop élevés pour
elles, d’autant plus que le paiement par tranche n’est pas accepté par les propriétaires terriens.
D’autre part, elles n’arrivent pas toujours à faire face aux frais liés à l’exploitation et à la
culture de leur lopin de terre, y compris la location d’une main d’œuvre masculine pour le
défrichage du champ, l’achat des intrants agricoles ainsi que les dépenses liées à l’entretien
des champs et à la récolte. Ceci explique que certaines d’entre elles louent un champ pour
une année mais n’y cultivent qu’une seule fois33.
Les femmes propriétaires terriennes sont très peu nombreuses dans les zones couvertes par
l’enquête. Celles qui le sont devenu ont soit acheté la terre, soit l’on reçut en héritage.
L’achat de terres par les femmes reste un fait rare compte tenu du fait que ni le droit
coutumier ni le droit moderne ne favorisent totalement l’accès des femmes à la propriété
foncière. En effet, sous le droit coutumier, les femmes ne peuvent acheter de terres. Le droit
moderne, par le biais du code de la famille, ne permet à une femme mariée de mener une
transaction foncière que si celle-ci a obtenu au préalable l’autorisation de son époux. En cas
d’accord de l’époux, un document dénommé « acte de vente » est émis mais pas au nom de la
femme qui achète mais à celui de l’époux. Ce document qui, en dehors du nom de l’époux,
porte également les noms du vendeur et des témoins de la vente, ne sécurise pas les droits de
propriété de l’acquéreur. Cet « acte de vente » qui n’est pas un titre foncier officiel, n’est
donc pas reconnu par la législation moderne. Il ne peut pas non plus être reconnu par le droit
coutumier qui d’abord ne fonctionne pas sur la base de l’écrit, et de surcroit interdit l’achat
de terres par les femmes.
L’achat de terre par les femmes dans les milieux ruraux demeure un acte tabou, considéré
comme une transgression des normes sociales ainsi qu’une violation du droit coutumier. Pour
cette raison, certaines femmes qui disposent de moyens pour s’acheter une terre,
s’abstiennent de le faire de peur d’être stigmatisées par les hommes et même par d’autres
femmes au sein de leurs communautés34. Il est plus facile aux veuves qui en ont les moyens
d’acquérir une propriété, du moins sous le système légal moderne, puisqu’elles n’ont pas à
passer par leurs maris décédés pour obtenir l’autorisation. Ainsi les femmes veuves qui en ont
les moyens peuvent acheter une propriété.
Le mode d’accès à la terre par héritage présente également des défis. Les femmes n’héritent
pas de la terre sous le droit coutumier. Il existe à cet effet un adage qui dit « les femmes
héritent des pagnes et les hommes héritent des champs35 ». Néanmoins des exceptions
existent. Dans certaines communautés, des veuves sont devenues propriétaires de la terre de
leurs défunts époux, mais elles sont soumises à une interdiction formelle de la part de leur
belle famille de revendre la propriété. Ceci fait qu'en réalité, elles ne sont pas tout à fait
propriétaires des biens de leurs époux puisqu’elles ne peuvent pas en disposer librement.
Pourtant, le régime de la communauté des biens est en principe prévalent dans les régimes
matrimoniaux congolais. Sous ce régime, les femmes ont le droit d’hériter de leurs maris en
cas de décès, à condition que le mariage ait été enregistré à l’état civil. Mais beaucoup de
mariages ne sont pas enregistrés pour toute une série de raisons dont l’un des plus important
est le coût élevé des frais d’enregistrement, que beaucoup de ménages ruraux ne peuvent se
teeritoire de Kalehe, Sund Kivu, Est de la RDC. APAC, en partenariat avec Life and Peace Institute, Série des
grands lacs, 2012.
33
Groupe de discussion de femmes de de Rusabagi et Rukangaga, juin 2014, op cit.
34
Groupes de discussions de femmes à Kiliba et Kalehe, juin 2014.
35
Entretien en groupe de discussion focalisé de femmes, Bushushu, Kalehe, juin 2014.
21
permettre d’encourir36. Une autre raison est qu’en général les ménages ne connaissent pas le
droit et les obligations qui régissent le mariage contracté sous le régime de la communauté
des biens. Cette méconnaissance a des conséquences désastreuses pour les femmes,
notamment en cas de divorce où elles encourent le risque de ne recevoir aucune forme de
compensation.
Cependant une très faible proportion de femmes arrive à obtenir des champs par le biais de
l’héritage. Par exemple un père de famille peut décider de donner une parcelle de terre à sa
fille. Mais il existe des normes coutumières qui régissent ce genre d’héritage. D’abord, les
champs dont les femmes héritent sont toujours plus petits37 et moins fertiles que ceux dont les
hommes héritent, ce qui crée parfois des conflits entre frères et sœurs au sein d’une famille.
Dans certaines communautés, les terres dont les femmes héritent sont appelées « Engoloka »,
ce qui signifie : « champ non productif et de mauvaise qualité 38». A Rukangaga, à Kiliba par
exemple, les femmes ne peuvent hériter de bananeraies et des boisements qui sont pourtant
les terres les plus rentables, porteurs de produits qui constituent les principales sources de
revenus. Seuls les hommes peuvent en hériter. Les femmes héritent des champs de manioc et
des rizières39. D’autre part, les femmes qui héritent des terres n’en n’ont pas la possession
totale puisque comme pour le cas des veuves, elles n’ont pas le droit de les revendre. Dans la
plupart des cas, les champs dont les femmes héritent n’ont pas de titres fonciers. Toutes les
transactions sont faites, certes en présence de témoins, mais dans l’oralité. Rien n’est écrit.
Tout se fait de manière orale. Dans ce contexte, il est difficile aux femmes d’obtenir des titres
fonciers officiels et formels, qui leur assurerait un accès véritable à la terre et un contrôle de
celle-ci. Comme l’a dit de manière très claire une des participantes au groupe de discussion
avec des femmes à Bushushu en Territoire de Kalehe :
« … Ici on ne voit pas une seule femme qui peut avoir son propre champ. Sil elle ose en
acheter, le vendeur demande le nom du mari pour qu’on l’inscrive à son nom. Même si c’est
moi-même qui voudrai acheter, je ne peux même pas proposer mon nom au vendeur car il ne
me comprendra pas. Ici on peut trouver un dixième des femmes qui peut avoir hérité quelque
chose de leurs familles biologiques. Nous pouvons donc penser qu’il y a quelques femmes qui
peuvent avoir des champs issus de cet héritage mais avec les noms de leurs maris ou souvent
sans document. Tout reste verbal et parfois sans témoins40 ».
Il faut dire que l’obtention de titre foncier est un problème général qui touche aussi les
hommes. En principe, les titres fonciers sont délivrés par l’administration locale en charge
des questions foncières. Mais peu de personnes font recours à ses services. Selon les
informateurs rencontrés, le processus d’enregistrement des droits foncier est long, complexe
et couteux. Il implique de nombreux déplacement dans les centres urbains où se trouvent les
bureaux de l’administration foncière, et dans la plupart des cas le paiement de pots- de- vin,
compte tenu de la corruption41. Des chefs coutumiers interrogés à Kalehe, estiment que, dans
leur chefferie, seul 20% des ménages disposent de titres fonciers officiels. Ce sont en général
les grands propriétaires terriens ou des personnes instruites qui ont les moyens d’en acquérir.
36
Davis, L., Democratic Republic of Congo – DRC. Gender Country Profile, 2014.
Dans les sites enquêtés, la taille des parcelles dont les femmes héritent varie entre 25m x 20m ou 25m x 25m.
38
Entretien avec un responsable d’une association de développement, Kalehe, juin 2014.
39
Entretien en groupe de discussion focalisé de femmes, Rukangaga, Kiliba, juin 2014.
40
Groupe de discussion de femmes de Bushushu, Kalehe, juin 2014.
41
Entretiens à Kalehe, juin 2014
37
22
La grande majorité de la petite paysannerie pauvre ne possède que de simples « actes de
vente » qui ne sécurisent pas leurs droits de propriété42.
2.2. L’impact de la division sexuée du travail : un pouvoir de décision limité pour le
contrôle des ressources
L’analyse de la division du travail entre les hommes et les femmes au sein des ménages est
utile pour comprendre l’organisation du travail au sein des ménages et de la production,
définir le statut des femmes au sein des ménages, et déterminer leur pouvoir de décision au
sein de ceux-ci, par rapport au contrôle des ressources.
Le type d’agriculture pratiqué en Afrique sub-saharienne, se caractérise par la culture sur de
petites parcelles de terres et l’utilisation de technologies rudimentaires, de telle sorte que le
travail constitue l’actif le plus important au sein des ménages ruraux43. Le travail des femmes
est essentiel dans l’agriculture en Afrique et en RDC en particulier, comme le montre les
statistiques de la FAO données plus haut, sur l’apport du travail des femmes dans le secteur
agricole et l’économie de subsistance. Mais le travail accompli par les femmes dans le secteur
agricole, ne leur permet ni d’avoir des revenus conséquents pour pouvoir dépasser le stade de
la simple survie économique, ni d’acquérir un pouvoir de décision déterminant pour exercer
un contrôle sur les revenus issus de la production agricole et leur allocation au sein des
ménages.
De manière générale en RDC, les hommes comme les femmes participent à la production
agricole mais leurs responsabilités et rôles dans le procès de production agricole varient
d’une province à une autre et également en fonction des produits cultivés et des tâches à
mener44.
Dans les zones enquêtées au Sud Kivu, l’analyse de la répartition des tâches au sein des
ménages montre que les femmes sont les principales utilisatrices de la terre. Les tâches sont
assez clairement définies. Dans la plupart des cas, les hommes ne cultivent pas la terre. Leur
rôle principal est de s’adonner aux gros travaux de défrichage des champs et de préparation
des sols pour la culture. Les femmes ont un double rôle de productrices et de de
reproductrices. Elles ont la charge des cultures, de la récolte et de la commercialisation des
produits. Il leur incombe de transporter les récoltes des champs au village et ensuite du
village au marché le plus proche. Le transport des produits est un réel défi, en raison du
manque d’infrastructures routières et des moyens financiers limités des femmes. Elles
transportent les produits sur le dos ou à bicyclette, pour celles qui ont les moyens d’en louer.
A ces tâches productives, s’ajoutent celles dites domestiques ou reproductives pour
l’entretien de la famille. Elles consistent, entre autres, à la recherche du bois de chauffe, le
puisage de l’eau, la préparation des repas. Les femmes ont ainsi des journées de travail
beaucoup plus longues que celles des hommes. L’enquête a permis de déterminer qu’en
moyenne les hommes travaillent dans les champs dans les matinées jusque vers 11h ou midi,
et consacrent les après-midi soit à d’autres activités, soit aux loisirs. Les femmes cultivent les
42
Entretiens individuels approfondis avec des chefs coutumiers à Kalehe, juin 2014.
Tsikata, D., Gender, land and labour relations and livelihoods in Sub-Saharan Africa in the era of economic
liberalisation : towards a research agenda, in Feminist Africa, Issue 12, December 2009.
44
Rasaga, C., Kinwa-Muzinga, A., Ulimwengu, J., Gender assessment of the agricultural sector in the
Democratic Republic of the Congo, Discussion paper 01201, Development Strategy and Governance Division,
IFRI, August 2012.
43
23
champs jusqu’en milieu ou début d’après- midi, avant de revenir à la maison pour entamer les
tâches reproductives qui en général les occupent jusque tard dans la soirée. A Kalehe, il est
apparu que beaucoup d’hommes sont de plus en plus réticents à accomplir les tâches de
défrichage et préparation des sols, qui sont de gros travaux considéré dans la coutume comme
leur travail45. Les femmes sont ainsi obligées soit de faire ce travail elle-même, soit de
recourir à une main d’œuvre masculine qu’elles rémunèrent en accomplissant des heures de
travail dans le champ de la personne qui a aidé au défrichage46.
L’enquête a fait ressortir que les femmes possèdent un pouvoir de décision assez important
sur l’utilisation de la terre, dans la mesure où ce sont elles qui en général décident du début
des travaux culturaux, du type de produits à cultiver, de la période des semis, des entretiens
et de la récolte47. Mais ce sont les hommes qui contrôlent la commercialisation de la
production. Les agricultrices interrogées en focus group à Kalehe notamment, ont dit que ce
sont leurs époux qui décident des modalités de vente, de la quantité des produits à vendre, du
prix de vente ainsi que de la répartition des revenus de la vente au sein du ménage48. Les
cultures les plus profitables du point de vue commercial, tel que le manioc, sont
commercialisées directement par les hommes, qui laisseraient aux femmes la vente des
produits de moindre valeur marchande, tels que le haricot, les arachides, la patate douce ou le
soja49.
La majorité des femmes interrogées à Kalehe et Kiliba, s’est plaint de ce qu’elle considère
comme une gestion inéquitable des revenus provenant des récoltes, au sein des ménages.
Dans les sites enquêtés, les principaux postes de dépense des ménages ruraux constituant les
besoins de base sont l’alimentation, la scolarisation des enfants, les soins médicaux et
l’habillement. Il y a aussi des dépenses ponctuelles telles que les contributions aux
cérémonies de mariage ou de deuil. Les femmes disent que c’est presque toujours leurs
revenus, provenant de la vente des produits les moins rentables financièrement, qui sont
affectés en premier lieu à la satisfaction des besoins de base de la famille. A Kalehe par
exemple les femmes interrogées affectent en moyenne 30 % de leurs revenus à la
scolarisation des enfants, 37% à l’alimentation, 13% aux frais médicaux, 13% à l’habillement
et 7% aux cérémonies à caractère social50. A Kiliba, les femmes affectent aussi 30% de leurs
revenus aux frais scolaires, mais seulement 30% à l’alimentation, 5% aux frais médicaux et
15% à l’habillement et les cérémonies familiales. Il faut noter que les femmes à Kiliba
affectent aussi 20% de leurs revenus à la préparation de la prochaine campagne agricole, pour
leur permettre d’acheter des intrants, des produits phytosanitaires, et louer une main d’œuvre
masculine pour les gros travaux de défrichage et de préparation des sols.51
A Kalehe, les femmes ont déclaré que rares sont les hommes qui affectent les ressources
financières qu’ils ont obtenu de la vente du manioc aux dépenses familiales. Selon elles, il
arrive parfois que le mari utilise cet argent pour épouser une autre femme, causant ainsi des
45
La tâche de défrichage est traditionnellement attribuée aux hommes, pour leur permettre d’établir leurs droits
d’usufruit sur la terre.
46
Groupe de discussion focalisé de femmes, Kalehe, juin 2014.
47
Groupes de discussion de femmes, Kalehe et Kiliba, juin 2014.
48
Groupes de discussions de femmes, Kalehe et Kiliba, juin 2014.
49
Groupe de discussions de femmes, Munanira, Kalehe, juin 2014.
50
Groupes de discussion de femmes à Bushushu et Munira, Kalehe, juin 2014.
51
Groupes de discussions de femmes, Rusabagi et Rukangaga, Kiliba, juin 2014.
24
conflits au sein des ménages52. Comme l’a dit une participante à la discussion « Ici chez
nous, les femmes sont en difficulté lorsque l’on approche la période des récoltes. C’est le
début des problèmes avec le remariage des hommes, le concubinage etc…53 ».
Malheureusement, l’équipe de recherche n’a pas pu collecter d’informations auprès de chefs
de famille hommes, sur le pourcentage de leurs revenus qu’ils allouent aux dépenses
familiales. Néanmoins un certain nombre d’informateurs, y compris des hommes, interrogés
durant les entretiens individuels approfondis, ont confirmé l’existence de conflits familiaux
après les récoltes et l’accroissement du nombre de ménages polygamiques.
2.3. Manque d’accès au crédit et autres intrants
Selon la FAO, les femmes ne peuvent utiliser efficacement la terre qui si d’une part elles
peuvent y accéder et d’autre part elles ont accès à des ressources complémentaires
essentielles telles que les services financiers, technologiques et de vulgarisation agricole,
ainsi qu’aux marchés54. L’enquête dans les deux territoires a montré que les femmes
rencontrent des défis énormes pour accéder à ces ressources complémentaires.
Le manque d’accès au crédit dans le secteur agricole au Sud Kivu est dû en grande partie au
fait que les activités agricoles génèrent de faibles revenus. Elles sont donc considérées
comme trop risquées par les établissements de crédit. En 2009, le pourcentage des crédits
accordés au secteur agricole par ces établissements au Sud Kivu, n’était que de 3%55. La
plupart des institutions de micro-crédit choisissent de se concentrer sur les crédits au petit
commerce au détriment de l’agriculture. Les difficultés d’accès au crédit ont été soulevées
par la plupart des personnes rencontrées et pas seulement par les femmes. Selon le Chef de
village à Munanira « L’accès au crédit est un problème ici. Ce sont les commerçants qui
obtiennent des crédits…les crédits sont orientés vers le commerce, alors que la majorité de la
population s’occupe de l’agriculture. Vous comprenez donc que l’accès est difficile pour la
majorité des personnes et donc des femmes56 ».
Pour pallier au manque de crédits, les femmes rurales s’organisent le plus souvent entre elles
dans des groupes de solidarité, tontines ou mutuelles d’entraide, dans le cadre d’un système
d’épargne traditionnel communément appelé « likirimba ». D’autres stratégies mises en place
consistent à travailler collectivement dans les champs de chaque membre et à organiser le
transport collectif des produits lors des récoltes, afin de minimiser les coûts de production57.
La grande majorité des femmes ne possède pas d’outils aratoires performants. Tous les
travaux de culture sont accomplis manuellement à la houe. La petitesse des parcelles (moins
de 1 hectare) et les coûts d’une technologie plus performante constituent des facteurs
52
Selon les enquêtées, la polygamie serait répandue en milieu rural et à Kalehe notamment. Il est intéressant de
noter que les femmes interrogées à Kalehe estiment que le taux de mariages polygames atteint 70%, tandis que
les hommes interviewées l’estiment à 50%.
53
Groupe de discussions mixte (femmes et hommes) à Munanira, Kalehe, juin 2014.
54
Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), Genre et droit à la terre.
Comprendre les complexités, adapter les politiques, Perspectives Economiques et Sociales, Synthèses 8, mars
2010.
55
La femme comme objet d’exploitation socio-économique dans la dynamique des guerres au Sud-Kivu,
International Alert, 2009.
56
Entretien approfondi individuel avec B.T., Chef de village, Munanira, Kalehe, juin 2013.
57
Entretien approfondi avec une directrice d’école, Kiliba, juin 2014.
25
limitants. L’usage des tracteurs en particulier, est couteux. La location d’un tracteur pour
labourer un champ de 1 hectare revient à 50 dollars américains, plus 40 dollars pour le
mazout58. Les agricultrices ont ainsi, pour la plupart, recours à la main d’œuvre locale
masculine pour les gros travaux de défrichage et de sarclage. La main d’œuvre est
généralement utilisée de manière journalière ou ponctuelle, pour des tâches agricoles
précises. Le recrutement d’un journalier varie entre 2000 à 2500 Francs Congolais, ce qui
équivaut à environ 2,2 – 2,7 dollars américains. La superficie travaillée pour cette somme est
de 8 mètres sur 5 mètres mais le prix peut varier, dépendant de la qualité du sol59.
Les semences, surtout celles de qualité, ainsi que les produits phytosanitaires font défaut.
Beaucoup de productrices n’ont pas les moyens de s’offrir les semences améliorées en vente
dans les maisons spécialisées de production des semences. Elles se rebattent sur les semences
de mauvaise qualité vendues à bas prix sur les marchés ruraux60. Certaines peuvent avoir
accès aux semences améliorées fournies par quelques organisations de développement, mais
ces cas sont plutôt rares. Les produits pour fertiliser les sols sont également chers. Ainsi, le
sac de 100 kilogrammes d’engrais DAP coûte 100 dollars américains. Le manque de produits
phytosanitaires pose un réel problème du fait des nombreuses maladies qui attaquent les
plantes, telles que la mosaïque pour le manioc qui est causée par un virus qui réduit
considérablement les rendements des racines; le wilt bactérien pour les bananiers ou le
jaunissement du riz causé par le virus de la panachure jaune du riz (RYMV). L’impact de ces
maladies peut être désastreux pour les productions et la situation socio-économique des
populations rurales. Selon les femmes du groupe de discussion de Rukangaga à Kiliba, les
cossettes de manioc dont le poids peut atteindre plus de 10 kilos, sont maintenues réduites à
la taille d’une racine61. De même, une étude réalisée en 2008 dans la région de Minova, dans
le Territoire de Kalehe, révélait que la présence du wilt bactérien dans la région avait conduit
à une baisse de la production du bananier de 25%, entrainant une augmentation drastique du
prix des aliments de base, atteignant 500% pour le maïs et 320% pour le haricot62.
Le manque d’équipement et d’infrastructures adéquats, rend difficile la transformation des
produits et l’écoulement de la production. Des agricultrices travaillant dans la riziculture dans
le village de Rukangaga à Kiliba par exemple, doivent faire de longues distances pour
transporter leurs récoltes sur le dos, d’abord des champs au village où elles font sécher le riz
au soleil. Le village n’ayant pas d’équipement pour transformer le riz séché en farine, elles
doivent louer des taxi-vélos pour le transporter dans le village voisin qui dispose d’un
moulin, situé à 5 kilomètres de Rukangaga. La location d’un taxi-vélo revient à 3000 Francs
Congolais, soit l’équivalent de 3,5 dollars américains63. L’éloignement des marchés des lieux
de production et les taux élevés des taxes à payer pour pouvoir vendre les produits sur les
marchés des centres urbains, forcent les agricultrices les plus pauvres à écouler leur
production à perte sur place, soit à travers des intermédiaires, soit en vendant elles- mêmes au
bord des routes.
Les services de vulgarisation et de développement agricole sont quasi inexistants dans les
zones enquêtées, alors que ces services sont d’une importance vitale pour procurer un appui
58
Groupes de discussion de femmes, Rukangaga, Kiliba, juin 2014.
Entretien approfondi avec M.B., membre d’une ONG, Kiliba, juin 2014.
60
Entretien approfondi avec G.M., Responsable d’une association féminine à Kalehe.
61
Groupede discussion de femmes, Rukangaga,op cit.
62
IR. Ndungo Vigari (DR), La situation du wilt bactérien du bananier dans la region de Moniva. ACF
International Network, 2008.
63
Groupe de discussion de femmes, Rukangaga, op cit.
59
26
technique et vulgariser les techniques agricoles. Certaines personnes rencontrées se sont
plaints du manque ou de l’insuffisance de coopératives agricoles et d’agronomes dans leurs
communautés. L’âge et le manque de renouvellement des rares agents de vulgarisation
agricole en activité, a été soulevé comme un défi majeur : « les villages de Rukangaga et
Rusabagi n’ont qu’un seul agronome. Il est déjà trop vieux et malade d’ailleurs. Ceci pour
dire qu’il n’est pas en mesure d’assurer son travail avec efficacité64 ». Quelques ONG
locales fournissent parfois des formations en vulgarisation agricole. C’est ainsi que certains
groupements de femmes encadrées par APED (Action pour la paix, l’éducation et le
développement) à Kalehe, ont suivi des formations sur le stockage des produits et la
conservation des semences65. Toutes ces difficultés affectent la productivité agricole et
renforcent l’insécurité alimentaire. Malgré le travail considérable fourni par les femmes dans
l’économie de subsistance, beaucoup de ménages ruraux ont du mal à se constituer des actifs
solides pour pouvoir surmonter les périodes de soudure.
Il existe des associations locales de développement et des groupements féminins dans tous
les sites étudiés, mais ils ont très peu de moyens et ne sont pas régis par des textes légaux.
Les associations de développement font un travail d’encadrement des communautés mais
leurs moyens limités ne leur permettent pas d’initier des actions d’envergure. Les principales
activités sont les tontines et l’exploitation agricole communautaire. Il faut noter qu’il n’existe
pas de véritables activités génératrices de revenus (AGR) dans les sites enquêtées, pouvant
contribuer à relever de manière substantielle le niveau de vie des productrices rurales.
2.4.
Une représentation limitée dans les instances de prise de décision
Il est communément admis que la représentation des femmes dans les institutions de la
gouvernance foncière à tous les niveaux est capitale pour la sécurisation de leurs droits
fonciers.
En RDC, le problème de la représentation équitable des femmes dans la prise de décision
affecte tous les secteurs, et pas uniquement celui de la gouvernance foncière. Malgré
l’inscription dans la constitution du principe de parité hommes-femmes dans les institutions
publiques, et l’adoption par le gouvernement congolais de la Déclaration solennelle sur
l’égalité des genres (Protocole de Maputo) les femmes sont très faiblement représentées à
tous les échelons de la prise de décision, en particulier au niveau communautaire. Comme l’a
bien souligné le responsable d’une ONG rencontré à Bukavu : « …au niveau
communautaire, en commençant par le niveau le plus bas, dans les petits comités locaux de
développement s’occupant de l’eau potable, l’électrification rurale, l’assainissement,
jusqu’au niveau de l’administration provinciale tels que l’Assemblée provinciale et les
ministères, la femme n’accède pas aux postes de prise de décision66 ».
Au Sud Kivu, il n’y a aucune femme parmi les vingt- quatre Chefs de Chefferie que compte
la province. La présence de femmes à la tête des Chefferies constituerait une avancée
importante, compte tenu du rôle capital joué par les chefs traditionnel dans l’allocation des
terres et le règlement des conflits fonciers. Les zones enquêtées ont une représentation
minime des femmes dans les instances de prise de décision au niveau communautaire. On ne
64
Entretien approfondi individuel avec K.M., propriétaire terrien et coordinateur d’une association syndicale de
paysans, Kiliba, juin 2014.
65
Entretien approfondi individuel avec G. M., responsable d’une association à Kalehe, juin 2014.
66
Entretien approfondi individuel, Bukavu, juin 2014.
27
compte que deux femmes chefs d’avenue67 à Kiliba et seulement une parmi les quinze chefs
de groupements de Kalehe.
Les femmes ne peuvent non plus siéger dans les conseils de village et les structures
traditionnelles de résolution des conflits fonciers, alors que la RDC a adopté un Plan national
pour la mise en œuvre de la Résolution 1325 du Conseil de Sécurité des Nations Unies , qui
prône l’implication des femmes dans les tous processus de résolutions des conflits et
d’instauration de la paix. Certaines ONG congolaises se mobilisent contre ces pratiques
traditionnelles discriminatoires. C’est ainsi que Action pour la paix et la concorde (APC)Sud Kivu, a établi des structures dénommées Cadres de dialogue et de médiation (CMD),
avec la représentation des femmes comme un principe. Plusieurs des séances de médiation et
de conciliation faites par les CMD à Kalehe, ont été soit présidées par des femmes soit ont
connu une participation active des femmes68. Il est également ressorti de la recherche menée
par APC sur les pratiques et coutumes discriminatoires envers les femmes dans le territoire de
Kalehe que l’un des arguments avancés par certains chefs coutumiers pour justifier
l’exclusion des femmes est que celles-ci ne connaissent rien du droit coutumier et des
questions culturelles et seraient donc naturellement incompétentes pour participer à des
débats portant sur des prescrits coutumiers69.
2.5. Des dispositions légales discriminatoires envers les femmes et un manque
d’harmonisation des différents textes juridiques.
L’un des plus grands défis par rapport à l’accès des femmes à la terre réside sans nul doute
dans la législation et les cadres juridiques aussi bien coutumiers que modernes, qui régissent
les droits des femmes en général et leurs droits fonciers en particulier. Il est reconnu que les
droits fonciers sont régis par des dispositions et des lois imbriquées et souvent contradictoires
ou ambiguës. Ce pluralisme juridique crée des divergences entre les droits constitutionnels,
législatifs et coutumiers, ce qui complexifie d’avantage la question de l’accès des femmes à
la terre70. En outre, certains aspects du droit coutumier sont intégrés dans le droit écrit,
renforçant ainsi les inégalités entre les sexes dans les régimes fonciers.
En théorie, la RDC a un cadre légal composé d’instruments juridiques nationaux, régionaux
et internationaux pour protéger et garantir les droits des femmes et leur accès à la terre.
Par rapport aux instruments internationaux et régionaux, la RDC a ratifié en 1986 la
Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations envers les femmes
(CEDEF) et adopté la Plateforme de Beijing. Ces deux instruments internationaux majeurs
mettent un accent particulier sur les droits fonciers des femmes. La CEDEF affirme que les
époux ont des droits identiques concernant la propriété, y compris pour son acquisition, sa
gestion, et son administration. La convention garantie aussi le droit des femmes à un
traitement égal dans les réformes foncières et agraires. La plateforme de Beijing quant à elle
67
L’avenue est une subdivision administrative dans le cadre de la commune. La commune comprend les
subdivisions administratives suivantes : le quartier, la cellule, l’avenue.
68
Buuma, D., Maliyaseme, S., Bikulongabo, R., Mudinga, E., Les femmes n’héritent pas ici : Hériter et accéder
à la terre : droit des uns, faveur des autres ?, op cit.
69
Buuma, D., Maliyaseme, S., Bikulongabo, R., Mudinga, E., Les femmes n’héritent pas ici : Hériter et accéder
à la terre : droit des uns, faveur des autres ? Etude de cas en territoires de Kalehe et Walikale à l’Est de la RDC,
Action pour la paix et la concorde (APC)- Sud Kivu.
70
Genre et droit à la terre. Comprendre les complexités, adapter les politiques, FAO, mars 2010.
28
urge les états à prendre les mesures nécessaires pour garantir l’accès des femmes aux
ressources économiques et productives et le contrôle de celles-ci.
Au niveau continental et régional, l’Etat congolais a ratifié et adopté trois instruments en ce
qui concerne les droits des femmes, avec des dispositions spécifiques concernant leur accès à
la terre. Ces instruments sont le Protocole additionnel à la Chartre africaine des droits de
l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique71 (Protocole de Maputo),
qui demande aux états signataires d’assurer aux femmes l’accès à la terre et aux moyens de
production alimentaire ; la Déclaration Solennelle pour l’Egalité de genre en Afrique
(DSEGA)72 dans laquelle les états signataires se sont engagés à promouvoir activement
l’application de la législation en vue de garantir les droits des femmes à la terre, à la propriété
et à l’héritage ; et le Protocole de la SADC sur le genre et le développement73 dans lequel les
états se sont engagés d’ici à l’année 2015 au plus tard, à réviser et modifier les lois et
politiques régissant l’accès des femmes aux ressources productives et leur contrôle et de
mettre un terme à toute discrimination envers les femmes et les filles, en ce qui concerne
leurs droits de possession et d’occupation de la terre.
En ce qui concerne la législation nationale congolaise, la constitution de la RDC dans son
article 12 consacre de manière très claire l’égalité des droits pour tous, sans regard du sexe.
Dans l’article 14, il est stipulé que les pouvoirs publics veillent à l’élimination de toutes
formes de discrimination à l’égard de la femme et assurent la protection de ses droits dans les
domaines civil, politique, économique, social et culturel. Ces droits incluent aussi le droit à la
propriété privée et au travail. L’article 14 comporte une autre disposition importante qui
garantit la mise en œuvre de la parité homme-femme dans les institutions. Les droits garantis
par la constitution sont mis en œuvre à travers une série de lois spécifiques notamment le
code de la famille, le code foncier, le code du travail, le code pénal et la loi électorale.
La mise en application effective de ces instruments nationaux, régionaux et internationaux est
rendue difficile en ce qui concerne les droits fonciers des femmes notamment. En effet,
malgré l’adoption du principe de l’égalité des sexes dans la constitution, il continue d’exister
des dispositions discriminatoires envers les femmes dans la législation congolaise, concernant
leurs droits fonciers et civils. Il existe aussi des dispositions contradictoires au sein de
certains textes juridiques nationaux et entre elles, qui sont le fait du manque d’harmonisation
entre les différents textes juridiques concernant les droits des femmes. Le manque
d’harmonisation est aussi notable entre les instruments nationaux pour les droits des femmes
et ceux ratifiés par l’Etat congolais aux niveaux régional et international.
Le code de la famille en particulier, renferme un certain nombre de dispositions
discriminatoires envers les femmes, qui ont une incidence sur leurs droits d’accéder à la terre.
Le code de la famille est particulièrement important pour les femmes car il est l’outil central
pour réguler la sphère privée familiale et les relations entre ses membres, en particulier entre
les époux. Le code repose sur le principe fondamental selon lequel lorsque qu’elle se marie la
femme est sous la tutelle de son époux, qui est consacré chef de famille. A cet effet, l’article
444 du code stipule que le mari est chef de famille, qu’il doit protection à sa femme et que la
femme doit obéissance à son mari. En outre, la femme mariée doit obtenir l’autorisation de
son époux pour acheter une terre ou une propriété, ester en justice, ou ouvrir un code
71
Adopté par l’Union Africaine lors du sommet de Maputo en juillet 2003.
Adopté lors de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union Africaine, Addis Abeba, juillet
2004.
73
Adopté lors du 28eme sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la SADC, Johannesburg, août 2008.
72
29
bancaire. Dans l’article 448, il est inscrit que la femme doit obtenir l’autorisation de son mari
pour tous les actes juridiques dans lesquels elle s’oblige à une prestation qu’elle doit effectuer
en personne. L’article 450 précise que la femme ne peut ester en justice, acquérir, aliéner ou
s’obliger sans l’autorisation de son mari74.
Ces dispositions, qui de fait placent les femmes sous la tutelle de leurs époux, limitent
considérablement leur pouvoir de décision au sein des ménages et dans la vie publique. Elles
sont en contradiction avec la constitution qui garantit les mêmes droits pour tous sans
distinction de sexe. Elles sont également en contradiction avec certains aspects du code
foncier qui, bien que ne contenant pas de dispositions particulières envers les femmes, ne fait
pas non plus de distinction entre les sexes pour acquérir une terre. L’article 49 du code
foncier stipule que la propriété des biens s’acquiert et se transmet par donation, testament,
succession et convention. Ainsi, théoriquement, en se basant sur la loi sur les régimes
fonciers, les femmes possèdent les mêmes droits que les hommes en ce qui concerne l’accès à
la terre, à travers les modes de transmission cités ci-dessus75.
Néanmoins en matière de succession, le code de la famille accorde les mêmes droits aux
enfants des deux sexes, aussi bien ceux nés dans le mariage qu’en dehors du mariage, ou ceux
adoptés. Toutefois ces dispositions sont restrictives, puisqu’elles ne s’appliquent qu’aux
enfants des femmes mariées. Elles ne concernent ni les enfants des femmes célibataires, ni les
enfants issus de mariages polygames qui ne bénéficient d’aucune protection.
Certaines contradictions ou ambiguïtés de la loi sont aussi défavorables aux femmes.
L’article 34 de la constitution en particulier, stipule clairement que la propriété privée est
sacrée et que l’Etat garanti le droit à la propriété individuelle ou collective acquis
conformément à la loi ou à la coutume. La constitution reconnait ainsi que les hommes et les
femmes ont les mêmes droits d’accès à la propriété privée. Cependant compte tenu du fait
que cette disposition fait référence de manière spécifique à la propriété individuelle ou
collective acquise conformément à la coutume, les femmes vont dans la pratique faire face à
des discriminations pour accéder à la propriété privée dans la mesure où dans le droit
coutumier les femmes ne peuvent théoriquement ni hériter de la terre, ni l’acheter76. Ceci est
renforcé par les restrictions contenues dans le code de la famille concernant l’accès à la
propriété individuelle.
Les organisations de droits des femmes et le Ministère du genre travaillent depuis des années
pour une réforme de la législation discriminatoire envers les femmes, en particulier le code de
la famille, ainsi que pour l’harmonisation des différents textes de lois. Le ministère, avec
l’appui technique de certaines organisations de femmes de la société civile, en particulier
l’Association des femmes juristes du Congo (AFEJUCO) a fait un travail de révision du code
et formulé des recommandations pour amender ses dispositions qui sont en contradiction avec
la constitution. Le projet de loi modifiant et complétant le Code de la Famille déposé par le
Gouvernement au cours de la session parlementaire de mars 2014, propose la suppression de
l’autorisation maritale. Le projet de loi, dans son article 330, introduit également une
disposition selon laquelle la monogamie est l’unique forme de mariage utilisée. Si le projet de
loi est adopté, ceci mènera à des changements significatifs au niveau de la prise de décision
au sein des ménages. Cependant, il est probable que même si l’annulation de l’autorisation
74
Code de la famille de la République Démocratique du Congo.
Women’s rights in the Democratic of Congo, op cit.
76
Women’s rights in the Democratic Republic of Congo, prepared by New Perimeter on behalf of Women for
Women International (UK), March 2014.
75
30
maritale tel que proposé est acceptée par le parlement, cette révision ne remettra pas en cause
le statut de l’homme comme chef de famille77.
La plupart des personnes interrogées dans les focus group de femmes et les focus groups
mixtes ne connait pas ou à une connaissance très limité du droit congolais, en particulier des
textes juridiques importants qui contiennent des dispositions relatives aux droits fonciers des
femmes. Pour beaucoup de femmes ces questions sont éloignées de leurs réalités
quotidiennes. Lors d’un des entretiens en focus group de femmes à Kalehe une participante a
répondu à la question posée en ces termes : « … nous ne connaissons pas ces histoires, on en
entend parler ». Dans le groupe, seules les femmes qui avaient un minimum de niveau
d’instruction ont déclaré avoir entendu parler de la constitution et de certains autres textes
juridiques, mais sans en connaitre le contenu. Le code de la famille a été cité comme étant
plus connu que la constitution78. Le droit coutumier est également méconnu, même si les
femmes dans les groupes étaient bien au fait des pratiques culturelles discriminatoires envers
elles. Ce manque de connaissances des questions juridiques les empêchent de faire entendre
leurs voix et d’améliorer leurs conditions d’accès à la terre.
77
78
Davis, L., Fabbri, P., Ilot Muthka, A., Democratic Republic of Congo, Gender Country Profile, op cit.
Entretien en groupe de discussion focalisé, Bushushu, Kalehe, juin 2014.
31
3. La place accordée aux droits des femmes dans les initiatives de réforme
du système foncier
De nombreux acteurs nationaux et internationaux travaillent sur les questions foncières, dans
le souci de réformer le système juridique foncier et la gouvernance foncière. Ces acteurs sont
le plus souvent des institutions étatiques, certaines agences des Nations-Unis en particulier
UN-Habitat, des ONG locales et internationales. Dans le cadre limité de cette recherche, il
n’a pas toujours été aisé de déterminer de manière précise la place accordée aux besoins et
préoccupations des femmes et à l’intégration d’une dimension genre dans les interventions. Il
apparaît cependant que s’il existe une volonté affichée de prendre en compte les droits des
femmes et la dimension genre, ceci n’est pas fait de manière systématique par tous les acteurs
impliqués. Une étude plus approfondie serait nécessaire pour avoir des informations plus
précises sur ces interventions et aussi déterminer si les différents intervenants disposent de
l’expertise et des moyens requis pour intégrer la dimension de genre dans leurs programmes.
Au vu de ceci, nous nous contenterons dans cette partie de passer en revue quelques- unes
des initiatives menées par certains des acteurs mentionnés, en dégageant, chaque fois que cela
sera possible, la place accordée spécifiquement aux droits des femmes.
3.1. Les interventions de l’Etat Congolais
A la suite des accords de paix de Sun City signés en 2002 et la fin officielle de la guerre à
l’Est de la RDC, le gouvernement congolais a fourni des efforts pour règlementer le secteur
foncier. Plusieurs lois importantes telles que le code agricole, le code forestier et le code
minier ont été réformé dans le but de réguler le régime foncier. Ces réformes, bien qu’ayant
eu des incidences certaines sur le régime foncier, ont aussi été critiquées d’abord parce
qu’elles ont été menées de manière ponctuelle et non systématique, et aussi parce qu’elles
contenaient des dispositions contradictoires concernant les droits de propriété et d'usage.79
Depuis 2011, il existe une volonté renouvelée de la part de l’Etat d’entreprendre une réforme
des politiques et du régime foncier plus appropriée, en phase avec ses ambitions de
développement socio-économiques pour le pays. L’Etat s’est aussi engagé à réduire les
conflits fonciers à l’Est. C’est dans ce contexte que s’est tenu, en juillet 2012, un important
séminaire national sur la réforme foncière, organisée par le Ministère des affaires foncières en
partenariat avec ONU-Habitat80. Le but de cet important séminaire national était d’une part
de promouvoir un cadre de dialogue inclusif entre les différentes parties prenantes afin
d’arriver à un consensus sur le processus de la réforme foncière, et d’autre part d’identifier
les défis, les opportunités et les contraintes d’une politique de gestion foncière efficace. Le
séminaire devait aussi adopter une feuille de route détaillée pour assurer un processus de
réforme foncière participatif et consensuel sur le court et long terme «…basé sur les
principes de participation, de décentralisation, de respect de l’environnement, des droits de
l’homme, des droits des femmes et des minorités ».81 Il a également été convenu au cours du
79
Huggins, C., Terre, pouvoir et identité, op cit.
Vlassenroot, K., Dealing with land issues in conflict in Easter Congo : towards an integrated participatory
approach. Report on the seminar held in Brussels on 20 – 21 September 2012.
81
République Démocratique du Congo, Ministère des Affaires Foncières, Réforme foncière, Document de
programmation, Kinshasa, mai 2013.
80
32
séminaire, qu’une nouvelle politique foncière ainsi qu’une révision de la loi générale sur la
propriété de 1973 s’avérait nécessaire82.
La manière dont les droits fonciers des femmes sont pris en considération dans ces différentes
initiatives, n’apparaît pas clairement. En RDC, les politiques nationales de promotion des
droits des femmes et de l’égalité des sexes, sont menées par le Ministère du genre, de la
famille et de l’enfant, qui a développé une Politique nationale genre, une Stratégie nationale
contre les violences sexuelles basées sur le genre et un Plan national pour la mise en œuvre
de la Résolution 1325. Le ministère a mis en place tout un dispositif de mise en œuvre de ses
politiques. C’est ainsi que des points focaux genre ont été placés au niveau de chaque
ministère, dans un souci de s’assurer que la transversalité du principe de l’égalité des sexes
est prise en en compte dans les politiques sectorielles. Ils ont aussi été établis au niveau
provincial pour soutenir la mise en œuvre de la Politique Nationale Genre et représenter le
Ministère à tous les niveaux de l’administration nationale et provinciale. Au Sud Kivu, des
comités genre ont été installés au niveau des quartiers dans la ville de Bukavu. Ce dispositif
national et provincial, est complété par un Groupe thématique genre en charge d’identifier les
lacunes en matière de politiques d’égalité des sexes83.
Dans la Politique nationale genre, le manque d’accès des femmes à la terre est mentionné très
clairement, comme l’un des principaux défis à l’autonomisation des femmes en milieu rural.
Le plan stratégique qui accompagne la politique contient des stratégies et des actions de
renforcement du pouvoir économique des femmes et des hommes, notamment à travers un
plaidoyer pour la révision du code foncier, du code minier et du code forestier, en tenant
compte des besoins spécifiques des femmes et des hommes. Il est aussi proposé de créer des
institutions financières et d’investissement pour les femmes84. Le volet du plan stratégique
consacré à l’amélioration de la participation citoyenne et politique des femmes renferme
entre autres, des actions de plaidoyer auprès du parlement pour obtenir la révision des
dispositions légales discriminatoires encore présentes dans les textes de loi, la vulgarisation
des textes légaux favorisant l’égalité et l’équité de genre, l’implantation de cliniques
juridiques dans chaque chef- lieu et district ainsi qu’au niveau des entités décentralisées85. Le
ministère a depuis des années la révision et l’actualisation du code de la famille dans ses
objectifs et comme mentionné dans le chapitre précédent, le projet de loi modifiant et
complétant le code de la famille a été introduit au parlement.
L’impact du travail du ministère et par- delà le des politiques de l’Etat congolais en matière
de promotion des droits des femmes n’est pas toujours évident. La grande majorité des
personnes enquêtées à Kalehe et Kiliba, pense que l’implication de l’Etat dans la sécurisation
des droits fonciers des femmes est très faible et que l’Etat ne joue pas son rôle. Certaines
personnes ont exprimé des opinions assez virulentes, telles que « les gens sont abandonnés à
eux-mêmes » ou encore « l’Etat est inexistant ici »86.
82
République Démocratique du Congo, Ministère des Affaires Foncières, Réforme foncière, op cit. Voir aussi
Vlassenroot, K., Land issues and conflict in Eastern DRC. Prepared for the DRC Affinity Group, SSRC, January
2013.
83
Davis, L., Fabbri, P., Ilot Muthaka, A., Democratic Republic of Congo- DRC. Gender country profile, 2014.
Commissioned by the Swedish Embassy in collaboration with DFID, the European Delegation and the Embassy
of Canada in Kinshasa.
84
Stratégie nationale d’intégration du genre dans les politiques et programme, Ministère du genre, de la famille
et de l’enfant, 2013.
85
Stratégie nationale d’intégration du genre, op cit.
86
Entretiens individuels approfondis et entretiens en groupe de discussion à Kalehe et Kiliba, juin 2014.
33
Un des facteurs majeurs qui explique ce manque d’impact, réside en grande partie dans le
manque de moyens dont le ministère dispose. Une évaluation organisationnelle et
institutionnelle de son fonctionnement menée en 2013, a montré qu’il n’avait pas les
capacités requises pour mener à bien son mandat. Les points focaux genre installés dans les
ministères n’ont ni les ressources financières ni l’expertise technique appropriées pour
travailler de manière efficace. En outre, au Sud Kivu, certains acteurs pensent que les
politiques gouvernementales sont élaborées selon une approche du sommet vers la base, ce
qui limite leur application et leur appropriation au niveau provincial87.
Les programmes de stabilisation et de reconstruction pour l’Est du Congo, conduits par le
gouvernement congolais et la MONUSCO (Mission des Nations Unies pour la stabilisation
en RDC), intègrent la question foncière. Au Sud et au Nord Kivu, le programme
gouvernemental STAREC (Stabilisation et reconstruction de l’est de la RDC) soutient la
création de comités locaux et permanents de conciliation. Ces comités ont été établis en partie
pour prévenir et résoudre les conflits fonciers, en coordination avec les autorités
provinciales88. Cependant, la dimension genre de la question foncière et la sécurisation des
droits fonciers des femmes, ne sont pas clairement articulées dans les stratégies de
stabilisation, contrairement à la lutte contre les violences sexuelles qui est le cinquième pilier
du plan de stabilisation.
3.2. Les interventions des organisations non gouvernementales locales et internationales
Les ONG locales sont sans conteste, les acteurs les plus actifs et les plus innovants dans les
interventions sur les questions foncières et ceci aussi bien au sud qu’au nord Kivu où les
problèmes fonciers se posent avec acuité. En conséquence, cette section mentionne aussi les
actions développées par quelques-unes des ONG travaillant sur les questions foncières au
Nord Kivu. Certaines de ces actions sont similaires à celles des ONG du Sud Kivu, mais
d’autres sont différentes et particulièrement innovantes, ce qui pourrait conduire à des
échanges d’expériences fructueux entre les ONG locales des deux provinces. Les initiatives
des ONG aussi bien au sud qu’au nord Kivu, sont généralement focalisées dans trois
domaines précis.
Le premier est celui la médiation foncière communautaire et la réconciliation autour des
conflits fonciers, où l’on dénote le plus grand nombre d’intervenants. La majorité des conflits
traités sont des conflits fonciers opposant les membres d’une même famille, ou des litiges
concernant les limites de propriété. Certaines médiations s’adressent également aux conflits
occasionnés par le retour de réfugiés ou de déplacés qui revendiquent leurs droits à la terre89.
L’enquête a montré qu’un nombre relativement important de femmes est impliqué dans les
conflits fonciers, notamment ceux ayant trait aux limites parcellaires. En outre, un certain
nombre d’organisations de femmes au Sud Kivu sont engagées dans la médiation
communautaire sur les questions foncières.
Le deuxième domaine d’intervention concerne les aspects liés à la gouvernance foncière.
Face au problème de la gestion des terres coutumières, l’idée est d’aider les communautés et
en particulier les petits propriétaires terriens, à cadastrer leurs terres et obtenir des titres
87
Davis. L. et al, Democratic Republic of Congo-DRC. Gender Country profile 2014, op cit.
Vircoulon, T., Liégeois, F. Inventer une politique dans un Etat faille. Le défi de la sécurisation des droits
fonciers dans l’Est du Congo. Note de l’Ifri, Programme Afrique subsaharienne, avril 2012.
89
Vlassenroot, K. Dealing with land issues and conflict in Eastern Congo, op cit.
88
34
fonciers90. Au Sud Kivu, des ONG congolaises telles que Innovation et formation pour le
développement et la paix (IFDP) et Action sociale et d’organisation paysanne (ASOP) sont
en train d’expérimenter un modèle de gestion foncière décentralisé à base coutumière où ils
proposent la délivrance par les chefs coutumiers d’un document servant de certificat intitulé
« Titre foncier coutumier », pour sécuriser les terres des paysans. ASOP et IFDP comptent
des femmes parmi leurs groupes cibles91. Une autre organisation, Action pour la promotion et
la défense des personnes défavorisées (APRODEPED) a quant à elle proposé la mise en place
de registres fonciers coutumiers92. Il existe des initiatives similaires au Nord Kivu, où
l’organisation Aide et action pour la paix (AAP) a préconisé l’adoption de « plans fonciers
ruraux », ce qui est aussi un système de cadastrage simplifié. Tandis que le Forum des amis
de la Terre (FAT) a conçu un code de bonne conduite des chefs coutumiers relatifs aux
questions foncières93.
Les analyses sur ces initiatives de réforme de la gestion des terres coutumières, ont montré
leur envergure et importance mais aussi leurs limites. Elles ne sont pas faciles à mener et
elles n’aboutissent pas toujours, car elles nécessitent de s’engager dans des processus qui
peuvent s’avérer coûteux. D’autre part, compte tenu des intérêts locaux en jeu, il est arrivé
que des chefs coutumiers fassent un travail de sape de ces programmes, de crainte que ceuxci n’érodent leur pouvoir. De même, certains programmes de ce type ont entrainé la
multiplication des conflits fonciers dans quelques- unes des zones pilotes, notamment entre
membres d’une même famille ou entre voisins94. Il serait aussi important de déterminer si ces
projets prennent en compte et intègrent dans leurs programmes les besoins des femmes et les
questions de genre, ce qu’il n’a pas été possible de faire dans le cadre limité de cette
recherche.
D’autres initiatives de réforme de la gouvernance foncière coutumière, incluent celles
entreprises par le Syndicat de défense des intérêts paysans (SYDIP) du Nord Kivu, qui s’est
engagé dans un travail de formalisation, codification et écriture des coutumes en matière
foncière. Cette codification a permis à SYDIP de confectionner un contrat d’exploitation des
terres coutumières et un code de bonne conduite pour les chefs traditionnels en matière de
gestion des terres au Nord Kivu. Le but du code est de clarifier les rôles des chefs
traditionnels en matière foncière et ainsi contribuer à jeter les bases d’une réelle collaboration
entre eux et l’administration provinciale95. Ce code, qui a été soumis en examen au niveau de
l’Assemblée provinciale, est certainement l’un des rares textes qui pose de manière claire le
principe de l’égalité des sexes concernant l’accès à la terre, aux ressources et à leur contrôle
dans le contexte coutumier. En effet, son article 22 stipule que « Tout chef coutumier doit
s’interdire et interdire toutes mesures discriminatoires qui empêchent aux femmes d’accéder
aux ressources naturelles et notamment la terre. Il doit par conséquent prendre des mesures
incitatives pour que les femmes accèdent à la terre96 ».
Le troisième type d’intervention se situe au niveau des politiques et au niveau législatif. Les
interventions incluent la vulgarisation du code foncier et des cadres juridiques connexes, mais
90
Vlassenroot, K., Dealing with land issues in conflict in Eastern DRC, op cit.
Entretiens individuels approfondis avec des représentants d’IFDP et ASOP, Bukavu, juin 2014.
92
Virculon, T., Liégeois, F., Inventer une politique publique dans un Etat failli, op cit.
93
Virculon, T., Liégeois, F., Inventer une politique publique dans un Etat failli, op cit.
94
Vlassenroot, K., Dealing with land issues in conflict in Eastern DRC, op cit
95
Virculon, T., Liégeois, F., Inventer une politique publique dans un Etat failli, op cit.
96
Virculon, T., Liégeois, F., op cit.
91
35
aussi des activités de plaidoyer pour la réforme de ces textes.97 Parmi les initiatives de
plaidoyer de réforme des textes, il convient de mentionner celles menées par la Fédération
des organisations de production agricole du Congo (FOPAC) et SYDIP, en rapport avec les
négociations qui ont abouti à l’élaboration du code agricole. Leurs doléances et
recommandations liées au code agricole, ont été définies dans le cadre de différentes
consultations populaires au Nord Kivu et ensuite présentées aux décideurs. Ainsi, et à la suite
d’intenses négociations, certaines des préoccupations clés des paysans ont pu être intégrées
au code agricole98.
Un certain nombre d’ONG locales travaillent de manière plus directe dans la promotion des
droits des femmes, dans le cadre de programmes de formation, information et sensibilisation.
A Kiliba, le Centre de développement intégré de l’enfant rural (CEDIER) donne des
formations sur les droits fonciers des femmes, sur l’importance de l’enregistrement du
mariage à l’état civil et sur la répartition des biens entre époux en cas de divorce.
L’organisation fait aussi de la sensibilisation pour un changement des comportements et des
mentalités. Action pour la paix et la concorde (APC) et l’Association des femmes des médias
(AFEM) offrent aussi des programmes de formation et sont activement impliquées dans le
plaidoyer pour les droits des femmes, par le biais d’émissions radiophoniques notamment.
Certaines ONG internationales sont actives à Kalehe, en particulier International Emergency
and Development Aid (IEDA) qui travaille dans le domaine de la protection et gère une
clinique juridique. IEAD fait de la sensibilisation pour le changement des comportements et
des mentalités. D’autres organisations internationales telles que Women for Women, Action
Aid, ou ACORD (Agency for Cooperation and research in Development) ont des
interventions similaires. Action Aid, qui a mené une recherche au Nord et au Sud Kivu sur
l’accès des femmes à la terre et à son contrôle en 2007, travaille depuis lors avec des
organisations locales sur ces questions99. ACORD se focalise sur les questions concernant les
moyens de subsistance, la sécurité alimentaire et les droits des femmes, notamment dans la
province du Bandundu100.
Il faut également mentionner l’important travail de plaidoyer pour les droits des femmes, y
compris la sécurisation de leurs droits fonciers, accompli au niveau national par des
organisations comme Comité national femme et développement (CONAFED), Cause
Commune, Cadre permanent de concertation de la femme congolaise (CAFCO), Réseau des
femmes africaines ministres et parlementaires de la République Démocratique du Congo
(REFAMP/RDC) ; ainsi que par le Caucus des femmes congolaises pour la paix au niveau
provincial au Sud Kivu. Depuis la signature des accords de Sun City en 2002, ces
organisations travaillent pour une représentation des femmes plus égalitaire dans la prise de
décision à tous les niveaux, pour une réforme du code de la famille et pour l’harmonisation
des différents textes de loi concernant les droits des femmes.
Un certain nombre de personnes interrogées sur les sites de la recherche, ont noté quelques
évolutions positives concernant la possibilité pour les femmes d’acheter, de vendre ou
d’hériter d’une terre. Ces évolutions sont attribuées à l’important travail de sensibilisation des
97
Vlassenroot, K., op cit.
Sortir de l’impasse : vers une nouvelle vision de la paix à l’est de la RDC, International Alert, septembre
2012.
99
Women’s rights in the Democratic Republic of Congo. Prepared by New Perimeter on behalf of Women for
Women International, March 2014.
100
Women’s rights in the Democratic Republic of Congo, op cit.
98
36
ONG et des églises pour la promotion des droits des femmes, mais aussi à l’impact de
l’instruction. La majorité des personnes interrogées ont souligné le rôle crucial de
l’instruction dans ces évolutions. Dans les communautés où la recherche s’est menée, les
femmes instruites disposeraient d’une plus s grande marge de manœuvre pour acheter ou
hériter d’une terre. Ainsi à Kalehe, les femmes qui ont pu acheter des terres sont des femmes
instruites, qui ont été sensibilisées par les ONG et sont devenues leaders dans la
communauté101. De manière plus générale, au niveau de la province du Sud Kivu, les cas de
femmes qui ont pu hériter d’une terre sont plus fréquents dans les centres des groupements et
dans les parties des groupements qui se trouvent à proximité des grands centres urbains
comme Bukavu qui contient un grand nombre d’écoles, ou alors le long des routes nationales
ou des routes très fréquentées. Cette proximité contribue au désenclavement de ces
groupements, les mettant en contact avec certaines formes de modernité qui influencent leur
mode de vie102.
Selon d’autres, ces évolutions restent limitées malgré le travail des ONG. D’après un
informateur rencontré à Kiliba « L’évolution des droits fonciers des femmes n’est pas
remarquable ici, peu importe les efforts fournis par les associations pour la sensibilisation sur
les droits humains103 ».
101
Entretien individuel approfondi avec un représentant du Mwami, Kalehe, juin 2014.
Problématique foncière dans la chefferie de Kabare ainsi que dans la zone urbano-rurale de Kasha (Bukavu),
IFDP, op cit.
103
Entretien individuel approfondi avec K.M., coordinateur d’une association syndicale paysanne, Kiliba, juin
2014.
102
37
Conclusion
Le caractère inégalitaire de l’accès aux droits fonciers est un important facteur dans la
reproduction des inégalités entre les sexes, et la perpétuation de la pauvreté féminine en
milieu rural à l’Est de la RDC. Il est un aussi un des facteurs qui contribue à l’insécurité
alimentaire et à la malnutrition. L’indice de la faim dans le monde de 2011, plaçait la RDC
parmi les pays les plus sévèrement touchés par la faim et la malnutrition.
La sécurisation des droits fonciers des femmes à l’Est de la RDC se heurte à plusieurs
grandes problématiques qui revêtent une dimension à la fois socio-culturelle, juridique,
économique et politico-sécuritaire. La question foncière en RDC, est étroitement liée aux
dynamiques de violence et de conflit. Quoique la distribution des terres rurales continue
d’être en grande partie l’apanage des chefs coutumiers locaux, la multiplication des
transactions commerciales sur la terre indique que le système foncier à l’Est de la RDC serait
en train de passer d’un système foncier coutumier à un système de marché foncier104. Ce
contexte de marchandisation des terres, qui a conduit à un accroissement considérable du
nombre de paysans sans terres, constitue une menace directe pour les productrices qui voient
s’éroder leur faible emprise sur la terre et qui perdent en même temps les droits fonciers
secondaires qu’elles acquièrent au sein des ménages ruraux.
L’accès aux droits fonciers des femmes est étroitement lié à la nature inégalitaire des rapports
sociaux de sexe en RDC et au statut de subordination des femmes dans la société congolaise.
Les déterminants de l’inégalité des sexes sont ancrés dans les pratiques culturelles et
coutumières patriarcales et les cadres juridiques discriminatoires envers les femmes. Les
droits des femmes dans le secteur fonciers ne peuvent être dissociés de leurs droits en tant
que citoyennes dans les autres secteurs de la société. Ainsi, la persistance de dispositions
discriminatoires dans le code de la famille notamment ainsi que le manque d’harmonisation
dans la législation congolaise, constituent autant d’obstacles à la sécurisation de l’accès des
femmes à la terre.
Les droits fonciers des femmes constituent un ensemble, ce qui veut dire qu’ils ne se limitent
pas à la définition formelle et légale des droits accordés105. L’égalité d’accès à la terre pour
les femmes signifie non seulement qu’elles puissent être propriétaires de la terre, mais aussi
qu’elles aient la capacité et les ressources nécessaires pour l’exploiter de manière efficace.
Ceci implique qu’elles puissent avoir un accès équitable au transport, au crédit, aux intrants
de qualité, aux marchés ainsi qu’aux services technologiques et de vulgarisation.
L’accès des femmes à la terre ne peut être sécurisé que si une dimension genre est prise en
compte dès les premières étapes des processus de réforme foncière. L’Etat congolais a
proclamé sa volonté de réformer le secteur foncier et réduire les conflits autour de la terre de
manière participative, en initiant un dialogue entre les différentes parties prenantes.
Cependant rien ne montre que les femmes agricultrices et les milliers de paysans et paysannes
sans terre, aient été véritablement intégré dans ce processus de consultation. Les réformes du
secteur foncier en RDC et les décisions concernant la relance de la politique agricole, doivent
être menées et prises de manière concertée, en y associant de manière égale les hommes et les
femmes qui travaillent et utilisent la terre.
104
105
Higgins, C. Terre, pouvoir et identité, op cit.
La parité hommes-femmes dans les régimes fonciers. Etudes sur les régimes fonciers, 4, FAO, 2003.
38
Les personnes interrogées dans le cadre de l’enquête ont formulé un certain nombre de
souhaits présentés ci-dessous, pour assurer la sécurisation des droits fonciers des femmes.
Ces souhaits s’adressent à l’Etat congolais et à Women for Women.
A l’Etat Congolais :
•
•
•
•
•
•
Prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à l’insécurité liée aux conflits armés.
Décourager le morcellement des terres et de la propriété familiale
Réduire les frais d’obtention du titre foncier, afin d’en assurer l’accès facile pour tous.
Promouvoir l’autonomisation des productrices rurales en facilitant leur accès au crédit
et en initiant des activités génératrices de revenus gérées par les femmes ellesmêmes. Pour cela, il faudrait amélioration leur participation à la prise de décision et
faciliter leur accès aux postes de responsabilité.
Procéder à la révision et mise à jour du code de la famille et à sa vulgarisation, ainsi
qu’à la vulgarisation du code foncier.
Prendre des mesures pour les femmes puissent avoir les mêmes droits que les
hommes, notamment en matière d’héritage et de scolarisation.
A Women for Women International:
•
•
•
•
Intensifier les séances de formations liées à l’accès de la femme à la terre dans les
différentes associations encadrées par WFWI et les étendre à d’autres.
Envisager des formations mixtes hommes-femmes pour améliorer l’efficacité de
l’approche.
Mener un plaidoyer à tous les niveaux pour que la femme se sente autonome, puisse
jouir de ses biens et diminuer sa vulnérabilité.
Renforcer les associations locales existantes et les accompagner pour l’obtention des
documents légaux (statuts etc., en vigueur en R.D.C. et de financements pour leurs
actions en vue d’améliorer l’accès des femmes à la terre
Recommandations
Ce rapport formule les recommandations suivantes
Au Gouvernement Congolais
•
Promouvoir le développement de programmes d’activités génératrices de revenus
pour les femmes rurales et garantir leur accès aux intrants, à la technologie et au
marché.
•
Assurer la vulgarisation au sein des communautés rurales des textes juridiques
importants relatifs aux droits des femmes et à la gestion du secteur foncier et
agricole. La connaissance des textes juridiques, est un aspect essentiel pour que les
femmes puissent connaître et comprendre leurs droits. Ce travail de vulgarisation
pourrait se faire en utilisant des supports visuels et des boîtes à images pour faciliter
la compréhension de ces textes.
39
•
Accélérer le processus de réforme et d’harmonisation des textes juridiques en
faveur des droits des femmes : en particulier le Code de La famille, en examen devant
l’Assemblée nationale depuis le mois de mars 2014.
•
Développer et renforcer la collaboration avec les organisations de femmes de la
société civile qui au niveau provincial au Sud Kivu, travaillent pour la sécurisation
des droits fonciers des productrices rurales et leur participation aux instances de
prise de décision. Pour ceci il serait important de renforcer les capacités et l’expertise
des points focaux genre établis au niveau provincial, ainsi que ceux du Ministère
provincial du genre, de la famille et de l’enfant, afin qu’ils puissent travailler de
manière effective avec les organisations de la société civile.
Aux organisations de la société civile
•
Faire un audit des initiatives de réforme des systèmes fonciers menées par l’Etat
Congolais et les organisations de la société civile : afin de déterminer s’ils prennent
en compte les besoins des femmes et intègrent les questions de genre dans leurs
programmations. Cet audit devra aussi déterminer si aussi bien l’Etat que les
organisations de la société civile travaillant sur les questions foncières disposent de
l’expertise et des moyens requis pour intégrer la dimension de genre dans leurs
programmes de manière effective et efficiente, et comment leur procurer une expertise
technique dans ce domaine en cas de besoin .
•
Mener un travail de plaidoyer auprès des décideurs politiques, de l’administration
locale et de l’autorité coutumière : tels que le parlement provincial, les chefferies et
les différents services étatiques provinciaux en charge des questions foncières, afin
d’influencer les réformes en cours et de s’assurer que les besoins des femmes et la
perspective genre sont pris en compte.
•
Appuyer le développement de programmes d’activités génératrices de revenus pour
les femmes rurales et soutenir leur accès aux intrants, à la technologie et au
marché.
•
Renforcer le pouvoir de prise de décision des femmes concernant une gestion plus
équitable des revenus des ménages: ceci pourrait être fait en initiant des
programmes l’alphabétisation pour adulte ou en renforçant ceux qui existent déjà, afin
de renforcer le leadership des femmes au sein des ménages ruraux et dans la
communauté de manière générale.
•
Organiser des programmes de sensibilisation en direction des hommes afin de leur
faire prendre conscience de leur part de responsabilité dans la participation aux
dépenses familiales : pour permettre une répartition plus équitable des dépenses des
ménages entre les hommes et les femmes.
40

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