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Comment elles (et lui) sont devenues féministes
Le 01 janvier 2013 par Mathieu Robert
Sur le papier, le Collectif départemental pour les droits des femmes (CDDF) est «un espace d'échanges, de
partage d'analyses et d'élaboration d'outils», comme l'expliquait le communiqué de presse du collectif
distribué lors de sa présentation officielle, le 12 décembre dernier. Un espace d'échange entre militants
féministes issus de syndicats, partis politiques ou associations.
Un mois après sa création, le collectif réunissait déjà un large panel d'organisations samariennes à la gauche
de l'échiquier politique. De la Fédération anarchiste à Europe-Écologie-Les-Verts (EELV). Manquaient à
l'appel, le Partis socialiste (PS), le Parti communiste français (PCF) ou l'association féministe d'éducation
populaire, Femmes solidaires, anciennement Union des femmes françaises (UFF), organisation proche du
PCF.
Mais en revers, la création de la structure témoigne surtout de la difficulté de porter le combat féministe à
l'intérieur des organisations politiques traditionnelles, où être féministe n'est pas toujours une sinécure. «Je me
suis rapidement retrouvée comme étant la féministe de service», témoigne Laurianne Alluchon, l'une des trois
porte-parole, elle-même membre du Collectif national pour les droits des femmes (CNDF) et suppléante du
candidat Front de gauche, lors des dernières élections législatives dans la 2e circonscription de l'Aisne. «On
peut avoir l'impression d'être un peu isolées. On a besoin de se compter.»
«Certains syndicats se disent féministes, mais localement rien est fait»
Pour les porte-parole de ce collectif samarien, il fallait une organisation spécifiquement féministe dans le
département, car les syndicats et les partis politiques locaux ne sont pas exempts du sexisme ordinaire. «On ne
dit pas que tous les syndicats sont sexistes. Certains syndicats se disent féministes, ils sont même membres du
CNDF [Collectif national pour les droits des femmes, ndlr]. Mais localement, il n'y a rien de fait. Même à
l'intérieur des syndicats on retrouve une division sexuée du travail», remarque Audrey Molis, porte-parole du
collectif. «Tout ça manque de réalité.»
Sur le fond, «c'est gauche - extrême gauche. L'idée c'est de placer le féminisme au c?ur de la lutte
anti-capitaliste», situe Laurianne Alluchon. La ligne à ne pas franchir? «On ne défend pas la femme, mais les
droits des femmes», explique Marie Lachambre, également porte-parole du collectif. «Nous n'avons pas une
vision essentialiste de la femme, où les femmes seraient par nature au foyer.»
«Aujourd'hui on se bagarre pour l'égalité réelle, l'application de ce qui a été gagné par le mouvement
féministe», explique Audrey Molis. Et il reste du chemin à faire, comme le rappellent les chiffres de l'Insee.
En 2007, les femmes picardes gagnaient encore, en moyenne 12% de moins que les hommes. Et pour cause,
80% des emplois à temps partiel étaient occupés par des femmes dans la région. Et même lorsqu'elles
occupent les mêmes postes, les femmes sont encore aujourd'hui moins payées.
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«Parmi les salariés qui gagnent moins de 3 fois le Smic, le salaire horaire net d'une femme est en moyenne
inférieur d'un euro à celui d'un homme à catégorie socioprofessionnelle, secteur d'activité, statut d'emploi et
âge similaires», notait l'Insee, toujours en 2007. L'écart de salaire horaire grimpe à 1?20 chez les cadres et
1?10 chez les ouvriers qualifiés.
Depuis la présentation du collectif, le 12 décembre dernier, nous avons rencontré trois militants du CDDF.
Deux femmes et un homme.
Monique Biéri: «Un parcours très classique»
À l'école près de Reims, Monique se souvient qu'elle ne pouvait porter un pantalon qu'à condition de porter
une jupe par dessus. Que son frère jouait aux billes le soir, mais pas elle. Qu'elle se faisait insulter de garce
parce qu'elle lui répondait, à son frère.
Jeune enseignante de lettres dans les années 70, passée de l'école normale d'institutrices, elle a déjà lu Simone
de Beauvoir lorsqu'elle entre dans la vie professionnelle. Mais c'est avec ses collègues, en salle des profs,
qu'elle fait réellement connaissance avec le mouvement féministe.
L'une d'elles connait un «groupe de femmes» et l'y emmène: «On parlait beaucoup. Ce n'est pas pour rien
qu'il y avait un courant qui s'appelait Psychanalyse et politique. Mais ce n'était pas sans conséquences,
puisqu'à cette époque, on nous rétorquait souvent que le féminisme n'était qu'une opinion. C'est moins vrai
aujourd'hui. Le mouvement est plus basé sur des chiffres, je trouve que c'est bien».
«Tout ce que je ressentais à trouvé une explication»
Monique Biéri estime avoir le parcours classique de la féministe. Soixante-huitarde, elle a «mûri avec le
féminisme.» «Tout ce que je ressentais quand j'étais jeune a trouvé une explication. J'ai senti que je n'étais
pas bizarre, qu'il y avait une explication à mon mal-être et que je n'étais pas toute seule.» Les groupes de
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femmes, la jeune femme y allait parce qu'elle «trouvait intéressant de discuter.»
Issue d'un milieu ouvrier, son profil tranche dans le milieu féministe rémois. «C'était beaucoup la bourgeoisie.
Moi je suivais, j'ouvrais grand les oreilles. Le féminisme m'a donné un instrument pour analyser. Nous étions
dans une effervescence d'idées, qui donnaient un sens à ce que nous ressentions. Mais il fallait passer le cap
de se dire que l'on est victime, choisir son camp. Moi, étant d'un milieu ouvrier, j'avais déjà choisi mon camp
.»
«Passée les années 80, on s'est mariées, dispersées»
Ses combats n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui. «Contraception, interruption volontaire de grossesse. Je
me souviens avoir manifesté la nuit pour avoir le droit de circuler seule après une certaine heure. À notre
époque, on a beaucoup milité pour les droits civils, aujourd'hui, on lutte plus pour des droits économiques.»
«Passées les années 80, on s'est mariées, dispersées. On a fait nos vies professionnelles et privées. Certaines
se sont investies dans des associations, d'autres dans des partis politiques. À Reims, il n'y avait plus de
groupes de femmes. À partir du moment où l'IVG a été remboursée... Ce problème était réglé.»
Aujourd'hui Monique Biéri est à la retraite. Elle a emménagé dans la Somme il y a six ans, et prend peu à peu
contact avec les milieux féministes samariens, d'abord avec l'association Femmes solidaires. L'année dernière,
elle s'encarte pour la première fois dans un parti politique, chez EELV, pour voter Eva Joly: «Je suis tombée
sur le mauvais cheval», plaisante-t-elle. Et c'est par ce réseau qu'elle entend parler du CDDF.
Pour elle aussi, les organisations politiques ou syndicales ne sont pas un lieu d'expression idéal pour le
féminisme. «À la tête des syndicats, il n'y a que des hommes», note-t-elle. «Nous avons toujours eu l'idée qu'il
fallait se réunir entre femmes pour parler sans que les gens se moquent. J'ai vu la CGT nous demander de
retourner à nos casseroles. J'en garde un mauvais souvenir.»
Audrey Molis: «J'ai toujours été traitée de féministe»
Quand on lui demande comment elle devenue féministe, Audrey Molis hésite. «Il y a plusieurs entrées à cette
question». Il y a sa mère qui «a toujours été dans un discours revendicatif sur son rôle de femme. Lorsque mes
parents ont divorcé, c'était encore peu fréquent, on a essayé de l'en dissuader.»
Ses études de sociologie, où elle s'est penchée sur le mouvement féministe. Un master 1 sur la place des
ouvrières dans la mobilisation autour de l'usine Lip dans les années 70. «Je ne sais pas trop pourquoi j'ai
choisi ce sujet». Puis un master 2 sur la création d'une «commission femme» dans ce même mouvement.
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Et puis il y a le quotidien d'une jeune femme. «J'avais déjà un regard sur les rapports homme-femme avant
mon master». Elle se souvient d'une soirée où un type lui demandé d'aller à la cuisine, «là où est ta place», de
l'enterrement de vie de garçon d'un ami, auquel elle n'est pas invitée. «On me faisait comprendre que j'étais
moins son amie que certains mecs, juste parce que c'était des mecs. Au final, j'ai été invitée, j'étais la seule
fille à la partie de paintball. Ma victoire c'est qu'un type m'a dit: ?T'es moins chiante que tu en as l'air?»
«Mes potes savent qu'ils ne peuvent pas dire n'importe quoi»
Pour elle, le féminisme est un sport de combat: «C'est quotidien d'être renvoyé au fait d'être une femme, c'est
violent. Il faut prendre le temps d'expliquer, mais pas je peux pas le faire h24. Mes potes savent qu'ils ne
peuvent pas dire n'importe quoi. Ça fait bouger leurs lignes».
Et pour cette ancienne présidente de l'Unef à Amiens, les organisations syndicales et politiques sont loin d'être
des sanctuaires pour les féministes. «Je me souviens qu'une militante du PCF m'a expliqué un jour qu'on lui
avait proposé qu'un homme écrive les lettres et qu'elle colle les timbres».
«Mais c'est difficile de poser le débat. Quand on parle de féminisme, tout le monde est d'accord.» Pour elle,
parler de parité n'est pas suffisant: «On ne parle plus d'égalité. Pour moi, la parité, c'est la discrimination
positive. Poser la question en terme numérique ne résout pas la question d'où les femmes se placent dans les
structures et qui prend la parole».
Le terme «féministe» lui pose encore question. Déformation professionnelle pour cette thésarde en sociologie.
«Je travaille sur le fait que les ouvrières ne se reconnaissent pas dans le terme féministe, parce que pour elles,
le féminisme, c'est l'inversion des rapports de pouvoir. Le féminisme est devenu une insulte, c'est dur de se
reconnaître comme féministe. Mais maintenant que je milite au CDDF, je n'ai plus le choix de me dire ou non
féministe.»
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«Se retrouver entre femmes pour se dire que l'on est pas folles»
Pour elle, le CDDF est un retour au militantisme. «Ça m'intéresse de voir ce qui s'y passe. Je remets un pied
dans le champs militant, c'est assez épanouissant.» Elle souhaite «discuter des lignes». «Je n'ai pas forcément
de grille militante sur le féminisme, plutôt une approche scientifique. J'ai envie d'être dedans au moment où
c'est discuté».
Sur la présence d'hommes au comité, elle est positive. «C'est important de se retrouver entre femmes pour
partager ce que l'on vit, se dire que l'on est pas folles, d'avoir des temps non-mixtes, y compris pour les
hommes. Mais c'est important aussi qu'ils soient avec nous dans le mouvement.»
Loïc Terlon: «Le féminisme est une question de base»
«Au départ, je n'avais pas pris conscience de l'importance de la question féministe. J'étais plus préoccupé par
les questions sociales.»
Loïc vit entre Paris et Amiens. Journaliste pour la presse magazine parisienne, il habite à Amiens avec sa
compagne et son fils de trois ans.
Lorsqu'il est encore étudiant à Amiens en LEA, Loïc «gravite» autour des organisations, sans en être adhérent.
«Je donnais des coups de mains à l'Unef, ou au PS. Jusqu'ici je portais un regard assez pessimiste sur les
partis. Mais dernièrement, j'ai adhéré au Parti de gauche [membre du Front de gauche, ndlr]. La dynamique
de la campagne présidentielle m'a donné envie d'y participer.»
Depuis quelques temps, le féminisme est devenu un enjeu important pour Loïc: «Mon prisme c'est la
république et l'anti-capitalisme. Pour un anti-capitaliste, le féminisme est une question de base. Le
capitalisme a besoin de points d'appui pour assoir sa domination. En précarisant les femmes, il crée un
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dumping social énorme. C'est la moitié de la population! Comme je suis devenu de plus en plus
anti-capitaliste, la question féministe s'est posée de plus en plus fortement.»
«En défendant le droit à l'IVG, je défends ma liberté»
En tant que «républicain», il pose que «la question de l'égalité est centrale. Je ne supporte pas les attaques
contre la république. La première liberté c'est de pouvoir disposer librement de son corps.»
Pour lui, les «intégristes qui manifestent devant un hôpital contre l'IVG» ne doivent pas être considérés
comme un «point du débat»: «En attaquant l'IVG, ils attaquent le principe de liberté en général. Ils font la
promotion d'un certain type de société, et l'IVG n'est qu'un point d'attaque. En défendant le droit à l'IVG, je
défends ma liberté.»
En intégrant le CDDF, Loïc Terlon veut apprendre: «J'y participe d'abord par acquis de conscience, parce
que j'ai mis du temps réaliser l'importance du féminisme. Mais j'y vais aussi pour prendre du grain à moudre.
Sur tous les problèmes que l'on rencontre et contre lesquels on lutte au Parti de gauche, les femmes sont en
première ligne. Je veux m'imprégner de ça pour que ça devienne une matrice. Et puis je veux faire avancer le
collectif.»
«Il faut aussi que les hommes s'émancipent»
Le féminisme, Loïc Terlon le vit comme un engagement politique: «Je me bats contre tous les privilèges,
toutes sortes de privilèges. Et il ne s'agit pas, quand on est privilégié, de se dire, mes petits privilèges, je les
conserve.» Mais aussi personnel: «J'ai lu que 80% des tâches ménagères étaient faites par les femmes, j'ai
trouvé ça incroyable. C'est vrai qu'on a tous tendance à se reposer sur l'autre. Alors dans la vie de tous les
jours, il faut éviter de reproduire ça. Aujourd'hui j'en suis presque à faire un planning.»
Et la tâche est immense: «Mon gosse m'a dit un jour pendant que je faisais la vaisselle, que c'était pour les
filles. Il y a un gros travail d'éducation à faire. Il faut expliquer, toujours expliquer. Quand il voit un
catalogue de jouets, il me dit ?ça c'est pour les filles?. Et il a trois ans. Tout est fait pour nous mettre dans des
petits cases. Il faut aussi que les hommes s'émancipent du modèle dans lequel on les colle, sinon on ne s'en
sortira pas»
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