Untitled - Opéra de Lyon
Transcription
Untitled - Opéra de Lyon
Pour la présente édition © Opéra national de Lyon, 2010 PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE Livret du compositeur & de Konstantin Chilovski d’après le roman en vers d’Alexandre Pouchkine Scènes lyriques en trois actes & sept tableaux 1879 OPERA de LYON LIVRET 7 11 16 22 84 124 Fiche technique L’argument Les personnages EUGÈNE ONÉGUINE Premier acte Deuxième acte Troisième acte CAHIER de LECTURES 153 166 171 175 178 Alexandre Pouchkine Eugène Onéguine (extraits) Marina Tsvétaeva Les leçons de Tatiana Fédor M. Dostoïevski Tatiana, la femme russe Correspondance de Tchaïkovski Eugène Onéguine est d’une poésie infinie André Lischke Un succès en demi-teintes CARNET de NOTES 182 192 193 195 196 Piotr Illitch Tchaïkovski Repères biographiques & Notice bibliographique Alexandre Pouchkine Repères biographiques & Notice bibliographique Eugène Onéguine Orientations discographiques Illustrations. Dessins de Pouchkine, 1824 Tatiana (Manuscrit de la “Lettre de Tatiana à Onéguine”) Pouchkine & Onéguine sur les quais de la Néva à Saint-Pétersbourg LIVRET Elisaveta Lavroskaia, cantatrice et amie du compositeur, lui suggère en mai 1877 le sujet d’Eugène Onéguine. Dans un premier temps, Tchaïkovski trouve l’idée absurde. Puis, très rapidement, il relit l’œuvre de Pouchkine et élabore le canevas du livret en une nuit. Konstantin Chilovski (1849-1893) se charge de l’adaptation du scénario du compositeur. PARTITION Tchaïkovski commence le travail de composition en juin 1877. L’essentiel de la partition est écrit dans la propriété des Chilovski, dans le village de Glebovo. Le travail fut interrompu par le mariage malheureux du compositeur, et la période dépressive qui avait suivi. La partition fut achevée le 1er février 1878 7 PERSONNAGES LARINA, propriétaire terrienne Ses filles : TATIANA OLGA FILIPIEVNA, la nourrice EUGÈNE ONÉGUINE LENSKI LE PRINCE GRÉMINE LE CAPITAINE, chef de compagnie ZARETSKI TRIQUET, le Français GUILLOT, le valet de chambre Mezzo-soprano Soprano Contralto Mezzo-soprano Baryton Ténor Basse Basse Basse Ténor Rôle muet Paysans, paysannes, invités du bal, propriétaires (hommes et femmes) et officiers 8 L’action se déroule à la campagne et à Saint-Pétersbourg dans les années vingt du XIXe siècle ORCHESTRE 3 flûtes dont 1 piccolo 2 hautbois 2 clarinettes 2 bassons 4 cors 2 trompettes 3 trombones Timbales Harpe Cordes DURÉE MOYENNE 2 heures 20 minutes CRÉATION 17 mars 1879, au Théâtre Maly, Moscou. Direction. Nikolaï Rubinstein Avec Sergueï Guilev (Onéguine), Maria Klimentova (Tatiana), Vassili Makhalov (Grémine), Mikhaïl Miedviediev ( Lenski), Alexandra Levitskaïa (Olga), D.V. Tarkhov (Triquet), Zinaïda Konchina (Filippievna) À noter. Des extraits de l’œuvre sont donnés en décembre 1878 au Conservatoire de Moscou, par les étudiants. CRÉATION en FRANCE 9 7 mars 1895, à l’Opéra de Nice (version en français). Direction musicale. M. Roland Avec Mesdames Brietti (Tatiana), Brazzi (Olga), Resteau (Madame Larina), Bertrand (Filipievna) & Messieurs Labis (Onéguine), Defly (Lenski), Cobalet (Grémine) L’œuvre est donnée en russe pour la première fois en France en mai 1911 par la troupe du Théâtre impérial de Moscou au Théâtre Sarah-Bernhardt à Paris. L’ŒUVRE à LYON 1984 Direction. John Eliot Gardiner / Jean-Paul Penin Mise en scène.Andrei Serban Décors & costumes.Michaël Yeargan Chorégraphie. Kate Flatt Avec Knut Skram / Gilles Cachemaille (Onéguine), Joan Rodgers / Margarita Noye (Tatiana), Dimitri Kavrakos (Grémine), John Graham Hall / Neil Rosensheim (Lenski), Catherine Robbin / Anne Salvan (Olga), Helen Watts (Madame Larina), Krystina Szostek-Radkowa (Filippievna), Antoine David (Triquet), René Schirrer (Zaretski), Jacques Djirikian (Le Capitaine) 2007 Direction. Kirill Petrenko Mise en scène.Peter Stein Décors. Ferdinand Wögerbauer Costumes. Anna Maria Heinreich Éclairages. Duane Schuler / Japhy Weideman Chorégraphie. Lynne Hockney Avec Wojtek Drabowicz (Onéguine), Olga Mykytenko (Tatiana), Michail Scheliomanski (Grémine), Edgaras Montvidas (Lenski), Elena Maximova (Olga), Stefania Toczyska (Madame Larina), Margarita Nekrasova (Filippievna), Christophe Mortagne / Leonard Pezzino (Triquet), Jérôme Varnier (Zaretski), Paolo Stupenengo (Le Capitaine) PREMIER ACTE SCÈNE 1 Fin d’après-midi dans le jardin de MADAME LARINA. Par les fenêtres ouvertes sur la terrasse, on entend ses deux filles, TATIANA et OLGA, fredonner un chant un peu mélancolique. Dehors, MADAME LARINA et FILIPIEVNA, la vieille nourrice, évoquent le passé. (No 1. Duo & quatuor) Dans le lointain, on entend un chœur s’approcher : LES PAYSANS viennent offrir à la propriétaire la traditionnelle gerbe de blé décorée marquant la fin des moissons. TATIANA et OLGA sont sorties pour profiter de leurs chants et de leurs danses. (No 2. Chœur & danse des paysans) Si elles laissent TATIANA rêveuse, ces chansons rendent OLGA heureuse comme une enfant. (No 3. Scène & air d’Olga) TATIANA est pâle, bouleversée par l’histoire d’amour du livre qu’elle lit. Sa mère lui rappelle que dans la vie, il n’y a pas de héros. LES PAYSANS ont pris congé, on annonce l’arrivée du jeune LENSKI. (N o 4. Scène) 11 12 Il est accompagné d’un voisin et ami, ONÉGUINE. LENSKI fait les présentations. ONÉGUINE s’étonne que LENSKI, à l’âme si poétique, se soit épris d’OLGA au « visage rond et rose », plutôt que de TATIANA. LENSKI célèbre les contrastes qui l’unissent à OLGA. Pour TATIANA, l’arrivée d’ONÉGUINE est comme un coup de foudre : « Je sais, je sais que c’est lui ! » OLGA imagine les cancans qui vont naître de la visite d’ONÉGUINE et que la rumeur publique va vite le fiancer à TATIANA. (No5. Scène & quatuor) Promenade au jardin : ONÉGUINE et TATIANA font connaissance, elle lui parle de son amour de la lecture, de son goût pour la rêverie ; LENSKI chante son amour à OLGA avec la fougue un peu exagérée d’un poète. Les deux fiancés se rappellent leur enfance : destinés l’un à l’autre, ils s’aimaient déjà. (No 6. Scène & arioso de Lenski) Le soir tombe, c’est l’heure du dîner. Les deux couples regagnent la maison. De loin, FILIPIEVNA observe TATIANA « humble, les yeux baissés » aux côtés d’ONÉGUINE. La vieille nourrice pressent qu’elle est éprise. (No 7. Scène finale) SCÈNE 2 C’est l’heure du coucher. Dans sa chambre, TATIANA étouffe, angoissée par ce qui lui arrive. Elle demande à la nourrice si elle a jamais été amoureuse. La vieille FILIPIEVNA lui raconte comment elle a été mariée de force. Mais déjà TATIANA ne l’écoute plus. Elle demande du papier et de quoi écrire. La nourrice se retire en lui souhaitant une bonne nuit. (No 8. Introduction & scène avec la nourrice) TATIANA se jette à corps perdu dans l’écriture d’une lettre à Onéguine. Plusieurs fois, elle s’y reprend, s’interrompt puis reprend, y met ses doutes, ses peurs les plus profondes, ses espoirs les plus fous... « Qui es-tu : mon ange gardien ou un tentateur malin ? » Sans se relire, elle signe et cachette. (No 9. Scène de la lettre) Le jour se lève, on entend le pipeau d’un berger. L’aube sereine contraste avec l’angoisse de TATIANA. Elle demande à FILIPIEVNA, venue la réveiller, de faire porter par son petitfils la lettre à Onéguine. (No 10. Scène & duo) SCÈNE 3 Dans le jardin des Larine, on entend les filles de la maison entonner une chanson : « Joli garçon, ne viens pas épier nos chansons... » (No11. Chœur des jeunes filles) Sur un banc, TATIANA attend ONÉGUINE et se reproche de lui avoir écrit, d’avoir perdu toute retenue. EUGÈNE la rejoint, lui dit avoir lu sa lettre avec une certaine émotion, mais lui reproche sa conduite candide. De toutes façons, bien qu’il l’aime « d’un amour fraternel », il rejette l’idée de mariage et de vie à deux ; il lui recommande aussi de mieux se maîtriser : « L’inexpérience peut conduire au malheur ! » TATIANA est brisée. ONÉGUINE lui offre son bras et ils quittent le jardin, tandis qu’on entend l’écho du chœur des jeunes filles: « Ne viens pas épier nos jeux de filles ! » (No 12. Scène & air d’Onéguine) DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1 Le salon des Larine. Bal pour la fête de TATIANA. On s’amuse, on valse. ONÉGUINE danse avec TATIANA et entend au passage les ragots que LES INVITÉS colportent sur son compte : c’est un joueur, un buveur, un franc-maçon, etc. ONÉGUINE, furieux, s’en veut d’être venu, en veut à LENSKI de l’avoir entraîné là. Il décide de se venger en faisant une cour appuyée à OLGA, l’invitant pour toutes les danses. (No 13. Entracte & valse avec scène et chœur) LENSKI s’en irrite et reproche son comportement à OLGA, qui trouve sa réaction ridicule. Pour le punir de sa jalou- 13 sie, elle accepte encore de danser le cotillon avec ONÉLeur querelle est interrompue par l’arrivée de MONSIEUR TRIQUET, un Français qui séjourne au village. En hommage à TATIANA, il lui chante – à l’admiration de tous – une romance composée pour elle, en français. (No 14. Scène & couplets de Monsieur Triquet) ONÉGUINE danse le cotillon avec OLGA puis la ramène à sa place. LENSKI lui fait d’amers reproches. Leur différend dégénère rapidement en querelle. On s’insulte, LES INVITÉS s’approchent, LENSKI demande réparation et provoque ONÉGUINE en duel. (No 15. Mazurka & scène) OLGA rejette toute responsabilité, TATIANA sait que cela va mal finir. LENSKI est inébranlable, ONÉGUINE se sent coupable mais finit par accepter le duel. (N o 16. Finale) GUINE. 16 SCÈNE 2 Petit matin sur un paysage hivernal. En attendant son adversaire, LENSKI, qui pressent sa propre mort, se rappelle les jours heureux de sa prime jeunesse. (No 17. Introduction, scène & air de Lenski) ZARETSKI, ordonnateur du duel, annonce l’arrivée d’ONÉGUINE. LENSKI et ONÉGUINE, chacun pour soi-même, s’interrogent sur l’absurdité de ce duel mais décident d’y aller. On prend les pistolets. Quelques pas, ONÉGUINE tire, LENSKI est tué. (No 18. Scène du duel) TROISIÈME ACTE SCÈNE 1 Le grand salon du palais du PRINCE GRÉMINE à SaintPétersbourg. On y donne un bal. (N o 19. Polonaise) ONÉGUINE, ami du PRINCE GRÉMINE, fait partie des invités. Poursuivi par le sentiment de culpabilité, il a débarqué le jour même d’un long voyage – d’une longue errance – à l’étranger. Il s’ennuie, même dans cette fête brillante. Au bras de son époux, la femme du PRINCE GRÉMINE fait son entrée, très élégante. ONÉGUINE stupéfait reconnaît TATIANA, qui le reconnaît également, très troublée. GRÉMINE annonce à son ami ONÉGUINE qu’il est marié depuis deux ans avec TATIANA, dont il fait un vibrant éloge : elle a changé et illuminé sa vie d’homme déjà âgé. (No 20. Scène, écossaise & air de Grémine) LE PRINCE présente son ami ONÉGUINE à son épouse. TATIANA, très simplement, cache son émotion profonde. Pour ONÉGUINE , c’est le coup de foudre. Il est amoureux fou, « comme un gamin », de TATIANA. (No 21. Scène, arioso d’Onéguine & écossaise) SCÈNE 2 Une salle de réception dans le palais du PRINCE GRÉMINE. TATIANA entre, à la main une lettre reçue d’Onéguine. Sa passion pour lui s’est réveillée, elle en est angoissée et pleure. ONÉGUINE paraît. TATIANA lui rappelle la leçon qu’il lui avait donnée, sa froideur et lui demande la raison de cette soudaine flamme : serait-ce parce qu’elle est devenue une aristocrate et que son mari, par sa brillante carrière militaire, s’est attiré les faveurs de la cour ? Mortifié par cette supposition, O NÉGUINE proteste de la sincérité de son amour pour elle. TATIANA en pleurs lui avoue qu’elle l’aime toujours, mais affirme sa fidélité à l’homme qu’elle a épousé. Malgré les prières d’ONÉGUINE, malgré la passion qu’elle ressent toujours, TATIANA reste ferme et repousse ONÉGUINE. Elle lui dit adieu et sort. ONÉGUINE reste seul, brisé. (N o 22. Scène finale) 16 « On prétend qu’Onéguine n’est pas scénique... Moi, je me contrefiche des effets de théâtre! Si vous en trouvez d’authentiques dans Aïda, par exemple, je vous jure que tout l’or du monde ne pourrait me tenter de composer un opéra sur un sujet pareil ! Je veux des êtres humains et non pas des marionnettes... » écrivait Tchaïkovski. Dès la création, on a fait à Eugène Onéguine le reproche de manquer d’action théâtrale, de reposer sur une intrigue quasi inexistante. Le sous-titre de l’œuvre – « scènes lyriques en trois actes et sept tableaux » – témoigne d’une écriture théâtrale par fragments scéniques, par esquisses, par croquis. Il y a peu d’action peut-être dans Eugène Onéguine, mais il y a la vie même, la vie des âmes, la vie des cœurs et des sentiments. Une vie intense et dramatique, comme dans le théâtre de Tchékhov : sous les apparences de la banalité du quotidien, le tragique. Les protagonistes d’Eugène Onéguine sortent à peine de l’adolescence. Ils ont autour de vingt ans et leur jeunesse marque leurs actions. LENSKI est « ce jeune homme de dixhuit ans à l’abondante chevelure et aux réactions impulsives et originales d’un jeune poète à la Schiller », selon la description du compositeur. En toute chose, il met de la poésie – un jour sans voir OLGA sa fiancée devient l’Éternité ; il revendique une intransigeante pureté dans ses rapports avec la vie, avec les autres, avec OLGA. Il ne peut donc supporter qu’ONÉGUINE fasse la cour à celle qu’il aime. « Jeune poète à la Schiller » certes, mais aussi à la Goethe : c’est à Werther que LENSKI fait penser, dans sa fascination vertigineuse pour la mort, pour sa propre mort et pour l’image de sa bien-aimée venant pleurer sur son urne funéraire. Son parcours est presque suicidaire. Son ami ONÉGUINE est à peu près son opposé : il vit sa vie au jour le jour, non sans ennui et non sans cynisme. Il tient à distance les sentiments dans lesquels LENSKI se complaît. Il sent seulement que TATIANA est une âme poétique, ce qu’il dit à son ami, s’étonnant qu’il ne l’ait pas choisie elle, plutôt que la blonde OLGA. Devant la déclaration d’amour de TATIANA, il s’esquive en lui reprochant sa franchise et sa candeur. Son narcissisme ne lui permet pas d’envisager une vie de couple. Et faire la cour à OLGA n’est pour lui qu’un jeu, une revanche un peu provocatrice et sans conséquences. Le duel que lui propose LENSKI, il l’accepte presque malgré lui, rentrant dans le jeu mortifère de son ami jusqu’à tenir un rôle de meurtrier. Rôle qui l’amènera ensuite à une errance conduite par un fort sentiment de culpabilité. ONÉGUINE ne sort de son cynisme qu’en revoyant TATIANA quelques années après. Il devient alors aussi « amoureux qu’un gamin », passionné et, significativement, il l’exprime sur un thème musical que chantait TATIANA alors qu’elle écrivait sa lettre d’amour ; il devient un amoureux désespéré, sa conversion s’étant opérée bien trop tard : TATIANA est mariée, TATIANA est fidèle. 17 TATIANA LARINA : pour paraphraser Dostoïevski, cela aurait pu être le titre de l’opéra, tant son personnage est le centre de l’œuvre. Tchaïkovski « aime Tatiana comme Pouchkine l’avait aimée – et nous la fait aimer à son tour » (Michel R. Hofmann). Avec ONÉGUINE, TATIANA est le personnage dynamique de l’œuvre ; on y suit son évolution, de la jeune fille qui se réfugie dans ses lectures et dans ses rêves, à la femme mariée, élégante et parfaitement maîtresse d’ellemême. Dans son parcours, TATIANA, malgré ses doutes, malgré ses peurs, est sincère avec elle-même. Elle se jette dans son destin comme à la mer. Brisée par ONÉGUINE, on la retrouve quelques années après, épouse fidèle sinon aimante, épouse loyale, archétype de la femme russe selon Dostoïevski (voir page 173). C’est elle qui décide du destin du héros, elle est le véritable pivot de l’œuvre. 18 « Les chœurs ne doivent pas être un troupeau de brebis comme sur la scène impériale, mais des humains qui prennent part à l’ac tion de l’opéra », demandait Tchaïkovski. Les CHŒURS d’Eugène Onéguine représentent la vieille Russie rurale et populaire, avec ses chants de paysans et ses chansons de jeunes filles. Ils incarnent aussi la société somme toute médiocre qui entoure les protagonistes, et dont les ragots mettent le feu aux poudres et appellent la provocation vengeresse d’ONÉGUINE. Dans ces scènes lyriques, Tchaïkovski dessine également une série de personnages touchants ou pittoresques, qui ont tous leur place dans la dramaturgie de l’œuvre. Il y a la fiancée de LENSKI, OLGA, une jeune fille toute blonde et toute simple, heureuse de vivre. On pourrait se demander ce qu’elle va devenir après la mort de LENSKI : dépressive ou veuve joyeuse ? Il y a le prince GRÉMINE, l’époux de TATIANA, beaucoup plus âgé qu’elle. Il n’intervient au troisième acte que pour présenter son ami ONÉGUINE à TATIANA et pour chanter, avec grande noblesse, l’amour qui illumine la vie et qui touche à tout âge. GRÉMINE, dont les « glorieuses blessures » lui valent les faveurs de la cour impériale, est comme un Mazeppa qui aurait bien tourné : homme de guerre valeureux, touché tardivement par l’amour, il forme avec TATIANA un couple marqué par un amour adulte et loyal. Il y a Monsieur TRIQUET, le Français qui séjourne en Russie et qui chante, en hommage à TATIANA, une romance belle et banale, en français, souvenir d’une Europe volontiers francophone. Il y a ZARETSKI, qui apporte un soin méticuleux – et presque comique – à l’organisation du duel, et qui est bien contrarié qu’ONÉGUINE ait choisi comme témoin son valet de chambre, Monsieur GUILLOT, encore un Français. Et puis il y a les vieilles femmes : MADAME LARINA, mère d’OLGA et de TATIANA et FILIPIEVNA, leur vieille nourrice. Elles représentent le passé et le souvenir. Elles racontent, au fil des scènes, la vie d’autrefois, les mariages arrangés ou forcés, leur résignation et leur consolation : « L’habitude nous tient lieu de bonheur. » Les souvenirs de FILIPIEVNA s’estompent dans sa mémoire – c’est une très vieille dame – et, de toute façon, personne n’écoute vraiment ce qu’elle raconte. Même si TATIANA la questionne sur sa vie amoureuse, la jeune femme, obsédée par son propre amour tout neuf, ne l’écoute qu’à moitié, et ne ménage pas sa vieille tête. Évoquant sa jeunesse, l’homme qu’elle aimait et puis celui qu’elle épousa, MADAME LARINA dessine, dès la première scène, ce que sera le destin de TATIANA : l’histoire des femmes, toujours recommencée. J.S. PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE DEISTVIIE PERVOÏE 22 INTRODUCTION KARTINA PERVAÏA No 1. Duo & quatuor TATYANA I OLGA Slykhali l’vy za rostchei glas natchnoï Peftza lioubvi, peftza svaïei pétchali? Kagda palia f tchas outrenniï moltchali, Sviriéli zvouk ounylyi i prastoï, Slykhali l’ vy?... LARINA Ani païout, i ia, byvalo, V davno prachedchiié gada, Ty pomnich li, i ia pévala. PREMIER ACTE INTRODUCTION Le jardin de la propriété des Larine en fin d’après-midi. Madame Larina et Filipievna, la nourrice, sont assises sous un arbre. Les portes de la maison sont ouvertes sur la terrasse. De l’intérieur, on entend chanter Tatiana et Olga. SCÈNE 1 No 1. Duo & quatuor TATIANA & OLGA Avez-vous entendu, au fond des bois, la nuit Ce chant d’amour, chant mélancolique ? Et le matin, dans les prés silencieux, Le son de la flûte, simple et triste, L’avez-vous entendu ?... LARINA Elles chantent et moi, jadis, Je chantais aussi, Tu te souviens, je chantais. 23 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE FILIPIEVNA Vy byli molady tagda. TATYANA I OLGA Vzdakhnouli l’ vy vnimaïa tikhiï glas Peftza lioubvi, peftza svaïéi pétchali? Kagda v lessakh vy iounochou vidali Vstrietchaïa vzor ievo patoukhchikh glas. Vzdaknouli l’ vy? LARINA Kak ia lioubila Ritchardsona! FILIPIEVNA Vy byli molady tagda. 24 LARINA Nié patamou, chtoby pratchla. No v starinou kniajna Alina, Maïa maskovskaïa kousina, Tviérdila tchasta mnié a niom. FILIPIEVNA Da, pomniou, pomniou. TATYANA I OLGA ... Vy iounochou vidali, Vstretchaïa vzor iévo Patoukhchikh glas... LARINA Akh, Grandison! Akh, Grandison! FILIPIEVNA V to vriémia byl iéstcho jenikh PREMIER ACTE SCÈNE 1 FILIPIEVNA Vous étiez jeune alors. TATIANA & OLGA Avez-vous soupiré entendant cette voix Ce chant d’amour, chant mélancolique ? En croisant, en forêt, le regard sombre D’un jeune homme mélancolique. Avez-vous soupiré ? LARINA Comme j’aimais Richardson ! FILIPIEVNA Vous étiez jeune alors. LARINA Je ne le lisais pas, pourtant. Mais la princesse Aline, Ma cousine de Moscou Me parlait souvent de lui. FILIPIEVNA Oui, je me souviens, je me souviens. TATIANA & OLGA ... En croisant dans la forêt Le regard sombre D’un jeune homme triste... LARINA Ah, Grandison ! Ah, Grandison ! FILIPIEVNA Votre futur vous faisait la cour 25 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE Souprouk vach, no vy paniévolé Tagda metchtali a drougom, Katoryï siérdtzém i oumom Vam nravilsia garazda bolé! TATYANA I OLGA ... Vzdakhnouli l’ vy? Vzdakhnouli l’ vy? LARINA Akh, Ritchardson! Viet’ on byl slavnyï frant, Igrok i gvardiyi serjante! FILIPIEVNA Davno prachedchiié gada! 26 LARINA Kak ia byla vsiegda adiéta! FILIPIEVNA Vsiegda pa modé! LARINA Vsiegda pa modé i k litzou! FILIPIEVNA Vsiegda pa modé i k litzou! TATYANA I OLGA ... Vzdakhnouli l’ vy, Vstretchaïa vzor iévo Patoukhchikh glas, Vzdakhnouli l’ vy? Vzdakhnouli l’ vy? PREMIER ACTE SCÈNE 1 Mais vous ne vouliez pas, Vous rêviez alors d’un autre, Qui à votre cœur, à votre esprit, Plaisait bien davantage ! TATIANA & OLGA ... Avez-vous soupiré ? Avez-vous soupiré ? LARINA Ah, Richardson ! Mais c’était un beau dandy, Un joueur, un sergent de la garde ! FILIPIEVNA Notre temps passe ! LARINA Comme j’étais élégante alors ! FILIPIEVNA Toujours à la mode ! LARINA À la mode et cela m’allait ! FILIPIEVNA À la mode et cela m’allait ! TATIANA & OLGA ... Avez-vous soupiré, En croisant Son regard sombre, Avez-vous soupiré ? Avez-vous soupiré ? 27 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE LARINA No vdrouk bez maiévo saviéta... FILIPIEVNA ... sviézli vniézapna vas k viéntzou! Patom, chtoby rasseïat’ goré... LARINA Akh, kak ia plakala snatchala, S souprougom tchut’ nié razviélas! FILIPIEVNA ... siouda priiékhal Barine vskoré. Vy tout khaziaïstvom zanialis’, Privykli davol’ny stali. 28 LARINA Patom khaziaïstvom zanialas’, Privykla i davol’na stala. FILIPIEVNA I slava bogou! LARINA I FILIPIEVNA Privytchka svyché nam dana, Zaména stchastyiou ana. Da, tak-ta tak! Privytchka svyché nam dana, Zaména stchastyiou ana. LARINA Korssiét, albom, kniajnou Polinou, Stikhof tchouvstvitelnykh tetrat’, Ia vsio zabyla. PREMIER ACTE SCÈNE 1 LARINA Mais soudain, sans rien me demander... FILIPIEVNA ... On vous maria à un autre ! Alors, pour effacer votre tristesse... LARINA Ah, comme j’ai pleuré au début Je manquais de quitter mon mari ! FILIPIEVNA ... Immédiatement c’est ici Que le maître vous amena. Vous vous êtes consacrée à la maison, Résignée, puis apaisée. LARINA Je me suis consacrée à la maison, Résignée, puis apaisée. FILIPIEVNA Dieu merci ! LARINA & FILIPIEVNA Le ciel nous envoie l’habitude, Qui nous tient lieu de bonheur. Oui, c’est ainsi ! Le ciel nous envoie l’habitude, Qui nous tient lieu de bonheur. LARINA Corsets, albums, princesse Pauline, Cahiers de poésies sentimentales, J’avais tout oublié. 29 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE FILIPIEVNA Stali zvat’, Akoulkoï priéjniouï Siélinou i abnavili nakoniètz... LARINA Akh... LARINA I FILIPIEVNA ... na vaté chlafrock i tchepiétz! Privytchka svyché nam dana, Zaména stchastyiou ana. Da, tak-to tak! Privytchka svyché nam dana, Zaména stchastyiou ana. LARINA No mouch, ménia lioubil sierdiétchno... 30 FILIPIEVNA No barine vas lioubil sierdiétchno... LARINA ... Vo vsiom mnié viéril on, Bespiétchno. FILIPIEVNA ... Vo vsiom vam viéril on, Bespiétchno. LARINA I FILIPIEVNA Privytchka svyché nam dana, Zaména stchastyiou ana. No 2. Chœur & danse des paysans PREMIER ACTE SCÈNE 1 FILIPIEVNA La servante, vous l’avez appelée Akoulka et non plus Céline... LARINA Ah... LARINA & FILIPIEVNA ... Robe de chambre et bonnet molletonnés ! Le ciel nous envoie l’habitude, Qui nous tient lieu de bonheur. Oui, c’est ainsi ! Le ciel nous envoie l’habitude, Qui nous tient lieu de bonheur. LARINA Mais mon mari m’aimait vraiment... 31 FILIPIEVNA Mais le maître vous aimait vraiment... LARINA ... Et me faisait vraiment confiance, Sans réserve. FILIPIEVNA ... Et vous faisait vraiment confiance, Sans réserve. LARINA & FILIPIEVNA Le ciel nous envoie l’habitude, Qui nous tient lieu de bonheur. No 2. Chœur & danse des paysans TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE ZAPEVALO Boliat moyi skory nojen’ki So pakhodouchki! KRESTIANI ... Skory nojen’ki so pakhodouchki. ZAPEVALO Boliat maïi biély routchen’ki So rabotouchki! 32 KRESTIANI ... Biéli routchen’ki so rabotouchki. Stchemit maïo retivoïé siérdtzé So zabotouchki! Nié znaïou, kak byt’, Kak lioubiéznava zabyt’! Boliat maïi skory nojen’ki So pakhodouchki! Boliat maïi biély routchen’ki So rabotouchki! Zdrastvouï matouchka-barynia! Zdrastvouï, nacha karmilitza! Vot my prichli k tvaïei milosti, Snop prinesli razoukrachennyi! S jatvaï pakontchili my! LARINA Chto j, i prekrasno, viéssélites’, Ia rada vam. Prapoïté chto-nibout’ paviésséliéi! PREMIER ACTE SCÈNE 1 On entend au loin un chœur qui se rapproche. LE PREMIER PAYSAN Mes p’tits pieds agiles ont mal À force d’avoir marché ! LES PAYSANS ... Ont mal à force d’avoir marché. LE PREMIER PAYSAN Mes p’tites mains blanches ont mal À force d’avoir travaillé ! LES PAYSANS ... Ont mal à force d’avoir travaillé. Mon cœur brûlant a mal D’être angoissé ! Je ne sais quoi faire Pour oublier mon amour ! Mes p’tits pieds agiles ont mal À force d’avoir marché ! Mes p’tites mains blanches ont mal À force d’avoir travaillé ! (Les paysans entrent.) Salut à toi, maîtresse, petite mère ! Salut à toi, notre bienfaitrice ! Nous apportons à votre grâce Une gerbe de blé décorée, La moisson est terminée ! LARINA Bien, c’est parfait, soyez joyeux, Soyez les bienvenus. Chantez-nous quelque chose de joyeux ! 33 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE KRESTIANI Izvol’té, matouchka, Patiéchim baryniou! Nou, diéfki, f krouk Skhadites’! Nou, chto j vy, stanovites’, stanovites’! 34 Ouch kak pa mostou, mostotchkou, Pa kalinovym dassotchkam, Vayinou, vayinou, vayinou, vayinou, Pa kalinovym dassotchkam, Tout i chol prochol détina, Slovno iagoda malina, vayinou... Slovno iagoda malina. Na pletché nessiot doubinkou, Pat paloï nessiot sous volynkou, Vayinou... Pat paloï nessiot volynkou, Pat drougoï nessiot goudotchek. Dagadaïsia, mil droujotchek, vayinou... Dagadaïsia, mil droujotchek. Solntze siélo, ty nié spich li! Libo vyidi, libo vychli, vayinou... Libo vyidi, libo vychli, Libo Sachou, libo Machou, Libo douchetchkou Parachou, vayinou... Libo douchetchkou Parachou, Libo Sachou... Parachen’ka vykhodila, S milym riétchi gavarila: vayinou... S milym riétchi gavarila: «Nié bessout’-ka, moï droujotchek, V tchom khodila, v tom i vychla, V khouden’koï vo roubachonké, PREMIER ACTE SCÈNE 1 LES PAYSANS Avec plaisir, petite mère, Divertissons la maîtresse ! Allons les filles, Faites le cercle ! Qu’attendez-vous, préparez-vous ! (Les filles font une ronde. Olga et Tatiana sortent sur la terrasse.) Sur le pont, un jour, sur le petit pont Sur les planches de noisetiers Vaïnou, vaïnou, vaïnou, vaïnou, Sur les planches de noisetier Beau garçon vint à passer, Délicieux comme une framboise, vaïnou... Délicieux comme une framboise. Sur l’épaule un gros bâton Sous un bras un beau biniou, Vaïnou, vaïnou, vaïnou, vaïnou Sous un bras un beau biniou Et sous l’autre un violon. Devine un peu, ma belle, vaïnou... Devine un peu ma belle. Le soleil s’est couché, tu ne dors pas ! Sors toi-même ou envoie quelqu’un, vaïnou... Sors toi-même ou envoie quelqu’un Envoie Sacha ou Macha, Ou la belle Paracha, vaïnou... Envoie la belle Paracha, Envoie Sacha... La petite Paracha sortit, Causa avec son petit ami : vaïnou... Causa avec son petit ami : « Ne te fâche pas, mon trésor, Je suis venue comme j’étais, Avec mon pauvre chemisier usé, 35 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE Vo karotkaï panijonke, vayinou... V khouden’kaï vo roubachonké, Vo karotkaï panijonké! Nié bessout’ – ka, moï droujotchek...» Vayinou, vayinou, vayinou, vayinou... No 3. Scène & air d’Olga TATYANA Kak ia lioubliou pat zvouki pessen Etikh metchtaïou ounasitza inagda Kouda-ta, kouda-ao daleko! 36 OLGA Akh, Tanya Tanya! Vsiegda metchtaïéch ty! A ia tak nié f tébia, Mnié viésséla, kagda ia piénié slychou. «Ouch kak pa mastou, mastotchkou, Pa kalinovym dassotchkam...» Ia nié spasobna k grousti tomnaï Ia nié lioubliou metchtat’ f tichy. Il’ na balconié, notch’iou tiomnaï, Vzdykhat’, vzdykhat’, Vzdykhat’ iz gloubiny douchy. Zatchem vzdykhat’, kagda stchastlivo Maïi dni iounyié tékout? Ia bezzabotna i chalavliva, Ménia rebionkam vsié zavout! Mnié boudet jyzn’ vsiegda, vsiegda mila, I ia astanous’, kak i priéjdé Padobna viétrenaï nadiéjdé, Rezva, bespiétchna, viésséla! Padobna,... Ia nié spasobna k grousty tomnoï. PREMIER ACTE SCÈNE 1 Et ma petite jupe courte, vaïnou... Avec mon pauvre chemisier usé, Et ma petite jupe courte. Ne te fâche pas, mon trésor... » Vaïnou, vaïnou, vaïnou, vaïnou... No 3. Scène & air d’Olga TATIANA Comme j’aime entendre ces chansons Et flotter, dans mon rêve, Ailleurs, loin, très loin ! OLGA Ah, Tania, Tania ! Tu rêves sans cesse ! Je ne te ressemble vraiment pas, Les chansons me rendent joyeuses. « Sur le pont, un jour, sur le petit pont Sur les planches de noisetiers... » Je ne suis pas faite pour la tristesse, Je n’aime pas rêver dans la solitude. Sur un balcon, la nuit, Soupirer, soupirer, Soupirer de toute mon âme. Pourquoi soupirer alors que, heureux, Les jours de ma jeunesse passent paisiblement ? Je suis insouciante et joyeuse Et l’on me prend pour une enfant ! Ma vie sera douce, toujours douce Et toujours je serai telle que je suis, Confiante, le cœur léger, Espiègle, insouciante et joyeuse. Je ne suis pas faite pour la tristesse Je n’aime pas rêver dans la solitude. 37 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE Il’ na balconié, notch’iou tiomnaï, Vzdykhat’, vzdykhat’, Vzdykhat’ iz gloubiny douchy. Zatchem vzdykhat’, kagda stchastlivo Maïi dni iounyié tékout? Ia bezzabotna i chalavliva, Ménia rebionkam vsié zavout! No 4. Scène LARINA Nou ty, maïa vostrouchka, Viéssiolaïa i riésvaïa ty ptachka, Ia doumaïou, pliasat’ sitchas gatova. Nié pravda li? 38 FILIPIEVNA Tanioucha! A Tanioucha chto s taboï? Ouch nié bol’na li ty? TATYANA Nièt, niania, ia zdarova. LARINA Nou, milyié, spasiba vam za piésni. Stoupaïté k fligueliou! Filipievna, a ty viéli im dat’ vina. Prastchaïté, drougui! KRESTIANI Prastchaïté, matouchka! PREMIER ACTE SCÈNE 1 Sur un balcon, la nuit, Soupirer, soupirer, Soupirer de toute mon âme. Pourquoi soupirer alors que, heureux, Les jours de ma jeunesse passent paisiblement ? Je suis insouciante et joyeuse Et l’on me prend pour une enfant ! No 4. Scène LARINA Eh bien, mon petit oiseau, Joyeuse et gaie comme un pinson, Tu es prête pour la danse, Pas vrai ? Tatiana et Filipievna se mettent un peu à l’écart. 39 FILIPIEVNA Tanioucha ! Hé, Tanioucha, qu’as-tu ? Tu n’es pas malade ? TATIANA Non, Nounou, ça va. LARINA Bien mes amis, merci pour vos chansons. Vous pouvez vous retirer ! Filipievna, qu’on leur verse du vin ! Au revoir, mes amis ! LES PAYSANS Au revoir, petite mère ! (Ils sortent.) TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE OLGA Mamacha, Pasmatrité-ka na Taniou! LARINA A chto? Y vpriam’, moï drouk, Bledna ty otchen’ TATYANA Ia vsiegda takaïa, Vy nié trévojtes’, mama! Otchen’ interiésno to, chto tchitaïou. LARINA Tak attavo bledna ty? 40 TATYANA Da kak jé, mama! Poviést’ mouk sierdiétchnykh Vlioublionnykh dvoukh ménia valnouiét. Mnié tak jal’ ikh, biédnykh! Akh, kak ani stradaïout, Kak ani stradaïout. LARINA Polno, Tanya, byvalo ia, kak ty, Tchitaïa knigui éti, valnavalas’. Vsio éta vymyssel, prochli gada, I ia ouvidela, chto v jyzni nièt guéroïéf. Spakoïna ia. OLGA Naprasno tak i pakoïny! Smatrité, fartouk vach vy sniat’ zabyli! Nou, kak priïédet Lenski, chto tagda? Tchou! Podiézjaiét kto-to, éta on! PREMIER ACTE SCÈNE 1 OLGA Petite maman, Regardez donc Tania ! LARINA Qu’y-a-t-il ? Vraiment ma mie, Tu es toute pâle. TATIANA Comme toujours, Ne t’inquiète pas, maman ! Il est si passionnant, le livre que je lis. LARINA Tu es pâle à cause de lui ? TATIANA Mais évidemment, maman ! Le récit des peines d’amour De ces deux amants m’émeut. Ils me font de la peine, les pauvres ! Ah comme ils souffrent, Comme ils souffrent ! LARINA Assez, Tania, jadis, comme toi, Ces lectures me bouleversaient. Ce sont des fictions. Avec le temps, J’ai compris qu’il n’y a pas de héros dans la vie. Je me suis calmée. OLGA Vous êtes trop calme ! Voyez, vous avez gardé votre tablier ! Et si Lenski arrivait. Chut ! On vient, c’est lui ! 41 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE LARINA I v samom diélé! TATYANA On nié adine... LARINA Kto b éta byl? FILIPIEVNA Soudarynia, priiékhal Lenski barine. S nim gaspadine Onegin. TATYANA Akh, skaréié oubégou! 42 LARINA Kouda ty, Tania? Tiébia assoudiat! Batiouchki, a tcheptchik moï na bakou! OLGA Viélité jé prassité! LARINA Prassi, skariéi, prassi! N o 5. Scène & quatuor LENSKI Mesdames! Ia na siébia vzial Smiélost’ priviést priïatelia. Rékomendouiou vam, Onegin, moï sassiét. PREMIER ACTE SCÈNE 1 LARINA C’est lui en effet ! TATIANA Il n’est pas seul... LARINA Qui cela peut-il être ? FILIPIEVNA Madame, c’est Lenski, le jeune maître. Accompagné de monsieur Onéguine. TATIANA Ah, vite, je me sauve ! LARINA Où vas-tu, Tania ? On va le remarquer ! Ciel, mon bonnet est de travers ! OLGA Fais-les venir ! LARINA Qu’ils viennent, vite, qu’ils viennent ! No5. Scène & quatuor LENSKI Mesdames ! Je me suis permis D’amener un ami Puis-je vous présenter Onéguine mon voisin. 43 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE ONEGIN Ia otchen’ stchastliv! LARINA Pamilouité...my rady vam... Prissiat’té; Vot dotchéri maï! ONEGIN Ia otchen’, otchen’ rat! LARINA Vaïdiomté v komnaty... Il, mojét byt’, khatité na vol’nom vozdoukhé ostatza? Prachou vas. Bez tzeremoniï bout’té, my sossiédi, Tak nam tchinitza niétcheva! 44 LENSKI Préliéstna zdiés’! Lioubliou Ia état sat oukromnyi i ténistyi. V niom tak ouioutno! LARINA Prekrasno! Païdou pakhlapatat’ ia v domé Pa khaziaïstvou. A vy gastiéi zaïmité... Ia sitchas. ONEGIN Skaji, katoraïa Tatyana? PREMIER ACTE SCÈNE 1 ONÉGUINE Je suis très honoré ! LARINA Je vous en prie... Enchantée... Asseyez-vous. Voici mes filles ! ONÉGUINE Enchanté, très honoré ! LARINA Venez dans la maison... Ou peut-être préférez-vous Rester ici, à l’extérieur ? Je vous en prie, pas de cérémonies entre voisins, Pas besoin de formalités. 45 LENSKI L’endroit est délicieux ! J’aime Ce jardin ombreux et retiré. On est si bien ici ! LARINA Très bien ! Pardonnez-moi, dans la maison Je dois m’occuper de quelques affaires. (À ses filles) Occupez-vous de nos hôtes... Je ne serai pas longue. Lenski et Onéguine s’écartent un peu en discutant, Olga et Tatiana sont perdues dans leurs pensées. ONÉGUINE Dis-moi, laquelle est Tatiana ? Je serais très curieux de le savoir. TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE LENSKI Da ta, katoraïa groustna I moltchaliva, kak Sviétlana! ONEGIN Mnié otchen’ lioubapytna znat’. Niéouchto ty vlioublion v Miénchouiou? LENSKI A chto? ONEGIN Ia vybral by drougouiou Kagda b ia byl, kak ty, poet! 46 TATYANA Ia dajdalas’, otkrylis’ otchi! Ia znaïou, znaïou éta on! OLGA Akh znala, znala ia, Chto païavliénié Onéguina proïzviédiot Na vsiékh balchoïé vpetchatliénié, I vsiékh sassiédei razvletchot! Païtdiot dagadka za dagadkoï... LENSKI Akh, milyi drouk... ONEGIN V tchertakh ou Olgui jyzni nièt, Totch-v-totch v Vandikovoï madonnié. Krougla, krasna litzom ana... PREMIER ACTE SCÈNE 1 LENSKI Eh, c’est celle qui est triste Et silencieuse comme Svetlana ! ONÉGUINE Es-tu vraiment épris De la plus jeune ? LENSKI Pourquoi ? ONÉGUINE J’aurais choisi l’autre Si comme toi, j’avais été poète ! TATIANA Finie mon attente, mes yeux s’ouvrent Je sais, je sais que c’est lui ! OLGA Ah je savais, je savais que L’apparition D’Onéguine ferait impression Sur tout le monde, Et que les voisins en parleraient ! Ce sera des suppositions sans fin... LENSKI Ah, mon ami... ONÉGUINE Dans les traits d’Olga, aucune vie, Elle ressemble À une madone de Van Dyck. Le visage rond et rose... 47 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE LENSKI ... Valna i kamen’, Stikhi i proza, liot i plamen’, Nié stol’ razlitchny miéch saboï! TATYANA Ouvy tépiér’ i dni i notchi, i jarkiï, Odinokiï son. Vsio, vsio napomnit obras milyi! OLGA Vsié stanout tolkavat’ oukratkaï Choutit’, soudit’ nié bez grekha! Païdiot dagatka... 48 LENSKI ... valna i kamen’, Stikhi i proza, liot i plamen’, Nié stol’ razlitchny miéch saboï! ONEGIN ... kak éta gloupaïa louna, Na étom gloupom niébosklonié! TATYANA Bez oumolkou, volchebnoï siloï, Vsio boudet mnié tviérdit’ o niom, I douchou jetch lioubvi aghniom. OLGA ... choutit’, soudit’ nié bez grekha, I tanié protchit’ jenikha! LENSKI ... Kak my vzaïmnoï raznatoï! PREMIER ACTE SCÈNE 1 LENSKI ... L’eau et le roc, La poésie et la prose, la glace et le feu Ne pourraient être plus différents que nous. TATIANA Maintenant, mes jours et mes nuits, Mes rêves brûlants et solitaires, Seront pleins de sa chère image ! OLGA Tous vont jaser en cachette Railler, juger, avec malice ! Suppositions sans fin... LENSKI ... L’eau et le roc, La poésie et la prose, la glace et le feu Ne pourraient être plus différents... ONÉGUINE ... comme la lune stupide, Dans le ciel idiot ! TATIANA Incessamment, comme par magie, Tout me parlera de lui, Et mon âme brûlera du feu d’amour. OLGA ... railler, juger avec malice, Le désigner fiancé de Tania ! LENSKI ... Que nos natures contrastées ! 49 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE ONEGIN Krougla, krasna litzom ana... LENSKI Volna i kamen’, liot i plamen’, Stikhi i proza... ONEGIN ... Kak éta gloupaïa louna, Na étom gloupom niébosklonié! TATYANA Vsio boudit mnié tviérdit’ a niom, i douchou... OLGA Païdiot dagadka za dagadkoï, i stanout... 50 LENSKI ... Nié stol’ razlitchny miéch saboï, Kak my vzayimnaï raznatoïou! ONEGIN Ia vybral by drougouiou! TATYANA ... Jetch lioubvy aghniom! OLGA ... Tanié protchit jenikha! No 6. Scène & arioso de Lenski PREMIER ACTE SCÈNE 1 ONÉGUINE Le visage rond et rose... LENSKI L’eau et le roc, la glace et le feu, La poésie et la prose... ONÉGUINE ... comme la lune stupide, Dans le ciel idiot ! TATIANA Tout me parlera de lui, et mon âme... OLGA Suppositions sans fin, et on le désignera... LENSKI ... ne pourraient être plus différents, Que nos natures contrastées. ONÉGUINE J’aurais choisi l’autre ! TATIANA ... Brûlera du feu d’amour ! OLGA ... Comme le fiancé de Tania ! Lenski s’approche d’Olga et Onéguine, nonchalant, de Tatiana. No 6. Scène & arioso de Lenski 51 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE LENSKI Kak stchastliv, kak stchastliv ia! Ia snova vijous’ s vami! OLGA Vtchéra my vidélis’, mnié kajétza! LENSKI O da! No vsioj dién’ tzélyi, dolguiï dién’ Prachol v razlouké. Eta viétchnost’! OLGA Viétchnost’! Kakoïé slovo strachnoïé! Viétchnost’, dién’ adine... 52 LENSKI Da, slovo strachnoïé, No nié dlia moïei lioubvi! ONEGIN Skajité mnié, Ia doumaïou, byvaiét vam Preskoutchna zdiés’ v glouchy, Khatia preliéstnaï, no daliokoï? Nié doumaïou, chtop mnoga Razvlétchéniï dano vam bylo. TATYANA Ia tchitaïou mnoga... ONEGIN Pravda, daïot nam tchtenié PREMIER ACTE SCÈNE 1 LENSKI Quel bonheur, quel bonheur pour moi ! Je vous revois enfin. OLGA Nous nous sommes vus hier, je crois ! LENSKI Oh oui ! Mais tout un long jour Sans vous voir. Une éternité ! OLGA Une éternité ! Quel grand mot ! Une éternité, pour un seul jour... LENSKI Oui, un grand mot, Mais pas pour mon amour ! Olga et Lenski s’éloignent. ONÉGUINE Dites-moi, Je pense que vous devez vous ennuyer Dans cette campagne, certes très belle, Mais loin de tout. Je ne pense pas que vous ayez Beaucoup de distractions. TATIANA Je lis énormément... ONÉGUINE Il est vrai, la lecture donne 53 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE Bezdnou pistchi Dlia ouma i siérdtza, No nié vsiegda sidiét’ nam. Mojna s knigaï. TATYANA Metchtaïou inagda, Bradia pa sadou. ONEGIN O tchom je vy metchtaiéte? TATYANA Zadoumtchivost’ maïa Padrouga at samykh kalybiél’nykh dniéi. 54 ONEGIN Ia vijou vy metchtatelny oujasno, I ia takim kagda-to byl. LENSKI Ia lioubliou vas, Ia lioubliou vas, Olga, kak adna Bezoumnaïa doucha poéta Iéstcho lioubit’ ossoujdéna. Vsiegda, viézdié adno Metchtanié, adno privytchnaïé jélanié, Adna privytchnaïa petchal’! Ia otrok byl taboï plenionnyi, Sierdiétchnykh mouk iéstcho, nié znaf, Ia byl svidiétel’ oumilionnyi Tvaïkh mladiéntcheskikh zabaf. F téni khranitel’naï doubravy PREMIER ACTE SCÈNE 1 Une nourriture abondante Au cœur et à l’esprit. Mais on ne peut pas lire Tout le temps. TATIANA Je rêve parfois, Me promenant dans le jardin. ONÉGUINE À quoi rêvez-vous ? TATIANA Les rêves ont été mes compagnons Depuis mon enfance. ONÉGUINE Je vois que vous êtes une vraie Rêveuse, moi aussi je rêvais, jadis. Ils s’éloignent, Lenski et Olga reviennent. LENSKI Je vous aime, Je vous aime, Olga, comme seul Le cœur fou d’un poète Peut aimer. Partout, toujours, un seul Rêve, un seul et constant désir, Une seule peine constante ! Enfant, j’étais fasciné par toi, Je ne connaissais pas les peines de cœur, Avec une tendre émotion, je regardais Tes jeux d’enfant. À l’abri des feuillages, 55 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE Ia razdelial tvaï zabavy. Akh, ia lioubliou tiébia, Ia lioubliou tiébia, kak adna Doucha poéta tol’ko lioubit’. Ty adna v maïkh metchtaniakh, Ty adno maïo jelanié, Ty mnié radost’ i stradanié. Ia lioubliou tiébia, Ia lioubliou tiébia, i nikagda, nichto: Ni okhlajdaïoustchaïa dal’, Ni tchas razlouki, ni viésiélia Choum nié otrezviat douchy, A sagriétoï diévstviénnym Lioubvi aghniom. 56 OLGA Pat krovam siélskaï tichyny... ... Rasli s taboïou vmiéste my, I pomnich, protchili viéntzy Ouch v ranniém diétztvié Nam s taboï nachy atzy. LENSKI Ia lioubliou tiébia! Ia lioubliou tiébia! Ia lioubliou tiébia! No 7. Scène finale LARINA A, vot i vy! Kouda je diélas’ Tania? PREMIER ACTE SCÈNE 1 J’y prenais part. Ah, je t’aime, Je t’aime comme seul Peut aimer le cœur d’un poète. Je ne rêve que de toi, Tu es mon seul désir, Tu es ma joie, tu es ma peine. Je t’aime, Je t’aime et rien, jamais : Ni l’éloignement, Ni la séparation, Ni le tumulte de la joie, N’apaisera en mon cœur Le feu de l’amour virginal. OLGA Dans la paix de la campagne... ... J’ai grandi avec toi, Et te souviens-tu que nos parents Nous avaient destinés, enfants, L’un à l’autre ? LENSKI Je t’aime ! Je t’aime ! Je t’aime ! No 7. Scène finale Larina et Filipievna sortent sur la terrasse. La nuit est presque tombée. LARINA Ah, vous êtes là ! Mais où est passée Tatiana ? 57 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE FILIPIEVNA Daljno byt’, ou prouda Gouliaiét s gostem; Païdou iéio paklikat’. LARINA Da skaji-ka iéi, Para de v komnaty, Gastiéi galodnykh Papottchevat’ tchem bokh paslal! Prachou vas pajalouité! LENSKI My vsliét za vami. 58 ONEGIN Moï diadia samykh tchesnykh Pravil, kagda nié v choutkou zaniémok, On ouvajat’ siébia zastavil, I loutchché vydoumat’ nié mok, Iévo primiér drouguim naouka. No, bojé moï, kakaïa skouka S bol’nym sidiét’ i dién’ i notch, Nié atkhadia ni chagou protch! FILIPIEVNA Maïa galoupka, skloniv galovkou I glaski apoustif, idiot smirnién’ko, Stydliva bol’no! A i to! Nié priglianoulsia li iéi barine état novyi? PREMIER ACTE SCÈNE 1 FILIPIEVNA Sans doute près de l’étang Se promenant avec notre hôte ; Je vais l’appeler. LARINA Dis-lui de ma part qu’il est temps De rentrer, nos hôtes ont faim, Ils vont partager notre repas, Ce que Dieu nous offre ! Je vous en prie, entrez ! LENSKI Nous arrivons. Onéguine et Tatiana reviennent. ONÉGUINE Mon oncle avait des principes rigoureux, Quand il dut s’aliter, Il força le respect de chacun Par sa fin honorable, Que chacun profite de son exemple. Mais, mon Dieu, quel ennui De veiller nuit et jour au chevet d’un malade, Sans oser s’éloigner d’un pas ! FILIPIEVNA (les suivant de loin) Ma petite colombe va, Humble, tête inclinée, yeux baissés, Elle est terriblement timide ! Je me demande ! Serait-elle éprise de ce nouveau jeune maître ? 59 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE KARTINA VTORAÏA No 8. Introduction & scène avec la nourrice FILIPIEVNA Nou, zabaltalas’ ia! Pora ouch, Tania, rano Tiébia ia razboujou k abiédnié; Zasni skariéi. TATYANA Nié spitza, niania, zdiés’ tak douchna! Atkroï akno i siat’ ka mnié. 60 FILIPIEVNA Chto, Tania, chto s taboï? TATYANA Mnié skoutchna Pagavarim a starinié. FILIPIEVNA O tchom jé, Tania? Ia byvalo, Khranila v pamiati Niémalo starinnykh bylei i Niéby1itz pro zlykh Doukhov i pra dévitz, A nynié vsio temno mnié stalo: Chto znala, to zabyla. Da! Prichla khoudaïa tchéréda! Zachyblo. PREMIER ACTE SCÈNE 2 SCÈNE 2 La chambre de Tatiana, simplement meublée. Tatiana, en chemise de nuit blanche, est pensive. N o 8. Introduction & scène avec la nourrice FILIPIEVNA Bon, j’ai assez bavardé ! C’est l’heure de dormir, Tania Je te réveillerai tôt pour la messe ; Va vite te coucher. TATIANA Je n’ai pas sommeil, Nounou, on étouffe ici ! Ouvre la fenêtre, assieds-toi près de moi. FILIPIEVNA Pourquoi, Tania, qu’as-tu donc ? TATIANA Je m’ennuie, Parlons d’autrefois. FILIPIEVNA Comment, Tania ? Jadis, je connaissais Plein de vieux récits et de contes, Avec des esprits malins Et de belles jeunes filles, Mais ma mémoire est partie : J’ai oublié tout ce que je savais. Oui ! La vieillesse est venue ! Triste. 61 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE TATYANA Rasskaji mnié, niania, Pro vachy staryié goda: Byla ty vlioubléna tagda? FILIPIEVNA I polno, Tania! V nachi liéta my nié slykhali pra lioubof, A to pakoïnitza sviékrof ’ Ménia by soghnala so sviéta. TATYANA Da kak jé ty viéntchalas’, niania? 62 FILIPIEVNA Tak, vidno, bokh viéliél! Moï Vania malojé byl ménia, moï sviét, A bylo mnié trinadtzat liét! Niédiéli dvié khadila svakha K maïei radnié i nakaniétz Blagaslavil ménia atiétz! Ia gor’ka plakala sa strakha, Mnié s platchem kossou raspléli, I s pién’iém f tzerkaf’ paviéli, I vot vviéli v sem’iou tchoujouiou... Da ty nié slouchaïéch ménia? TATYANA Akh, niania, niania, ia stradaïou, Ia taskouiou, mnié tochno, milaïa maïa; Ia plakat’, ia rydat’ gatova. FILIPIEVNA Ditia maïo, ty niézdarova; Gaspot’ pamiloui i spassi! PREMIER ACTE SCÈNE 2 TATIANA Raconte-moi, Nounou, Ton passé : Jeune, étais-tu amoureuse ? FILIPIEVNA Qu’est-ce que tu dis là, Tania ! À cette époque, on ne parlait pas d’amour, Sinon ma feue belle-mère M’aurait chassée de la face de la terre. TATIANA Mais comment t’es-tu mariée, Nounou ? FILIPIEVNA La volonté de Dieu, je pense ! Mon Vania était plus jeune que moi, Ma fille, et je n’avais que treize ans ! Pendant une semaine ou deux La marieuse a harcelé mes parents, À la fin, mon père donna son accord ! Je pleurais d’angoisse, Je sanglotais quand on défit ma tresse de fille Et qu’on m’emmena à l’autel en chantant. J’arrivais dans une famille inconnue... Mais, tu ne m’écoutes pas ? TATIANA Ah, Nounou, Nounou, j’ai mal, Je souffre, je suis malheureuse, ma chérie ; J’ai envie de pleurer. FILIPIEVNA Mon enfant, tu es malade ; Que Dieu nous protège ! 63 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE Daï akrapliou tiébia sviatoï vadoïou. Ty vsia garich. TATYANA Ia nié bal’na, ia... Znaiéch niania... Ia... Vlioubléna... Astaf’ ménia, astaf’ ménia... Ia vlioublena... FILIPIEVNA Da kak-je... TATYANA Padi, astaf’ ménia adnou. Daï, niania mnié pero, Boumagou,da stol pridvin’; Ia skora liagou. Prasti. 64 FILIPIEVNA Pakoïnaï notchi, Tania. N o 9. Scène de la lettre TATYANA Pouskaï paguibnou ia, no priéjdé Ia v aslépitel’naï nadiéjdé Blajenstvo tiomnoïé zavou, Ia niégou jizni ouznaïou! Ia p’iou volchebnyi iad jélaniï! Ménia presliédouiout metchty! Viézdié, viézdié pérédo mnoï Moï iskoussitel’ rakavoï! Viézdié, viézdié, On prédo mnoïou! PREMIER ACTE SCÈNE 2 Laisse-moi t’asperger d’eau bénite. Tu as la fièvre. TATIANA Je ne suis pas malade... Nounou chérie... Je... Suis amoureuse, laisse-moi, laisse-moi... Je suis amoureuse... FILIPIEVNA Mais bien sûr... TATIANA Va, laisse-moi seule. Nounou, donne-moi une plume, Du papier, approche la table ; Je me coucherai bientôt. Pardonne-moi. FILIPIEVNA Bonne nuit, Tania. (Elle sort.) N o 9. Scène de la lettr e TATIANA (agitée mais déterminée) Même si je meurs, je dois d’abord En un brûlant espoir, Éprouver le bonheur inconnu, Goûter l’ivresse de la vie ! Je bois le philtre magique du désir ! Je suis remplie de rêves ! Partout, partout se dresse devant moi Mon funeste tentateur ! Partout, partout, Je le vois. (Elle s’assoit, écrit, puis s’interrompt.) 65 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE Nièt, vsio nié to! Natchnou snatchala! Akh, chto so mnoï, ia vsia gariou... Nié znaïou, kak natchat! «Ia k vam pichou... Tchévo jé bolé? Chto ia magou iéstcho skazat’? Tepiér’ ia znaïou, v vachei volé Ménia prezrién’iém nakazat’! No vy, k moïei niéstchastnoï dolé Kho’t kapliou jalosti khrania, Vy nié ostavité ménia. Snatchala ia moltchat’ khatiéla; Paviér’té, maïévo styda vy nié ouznali b Nikagda, nikagda!» 66 O da, klialas’ ia sokhranit’ v douché Priznanié v strasty Pylkoï i bézoumnoï! Ouvy! Nié v silakh ia vladiét’ svaïei douchoï! Poust’ boudet to, chto byt’ doljno so mnoï! Iémou priznaïous’ ia! Sméliéi! On vsio ouznaiét! «Zatchem, zatchem vy possétili nas? V glouchy zabytava siéliénia Ia b nikagda nié znala vas, Nié znala b gor’kava moutchénia. Douchy niéopytnoï volniénia smiriv, So vriéméniém, kak znat’? Pa siérdtzou ia nachla by drouga, Byla by viérnaïa souprouga I dabradiételnaïa mat...» PREMIER ACTE SCÈNE 2 Non, ça ne va pas ! Je recommence ! (Elle déchire la page.) Ah, qu’est ce qui m’arrive, je brûle... Je ne sais comment commencer ! (Elle écrit, s’arrête, relit.) « Je vous écris, que dire d’autre ? Que puis-je dire de plus ? Je sais à présent qu’il est en votre pouvoir De me punir de votre mépris ! Mais si vous avez une once de pitié Pour mon triste sort Vous ne me repousserez point. J’ai d’abord voulu me taire ; ainsi, Croyez-le, vous n’auriez pas su ma honte Jamais, jamais ! » (Elle s’interrompt.) Oh oui, je me jurai de cacher en mon âme L’aveu de cette passion Folle et brûlante ! Hélas, je ne puis soumettre mon cœur ! Advienne que pourra, je suis prête ! Je dirai tout ! Courage ! Il saura tout ! (Elle reprend l’écriture.) « Pourquoi, pourquoi êtes-vous venu ? Cachée dans ma campagne tranquille, Je ne vous aurais jamais connu, Ni jamais connu cette torture. Le tourment d’un jeune cœur, Le temps, qui sait, l’aurait calmé ? J’en aurais connu un autre J’aurais été épouse fidèle Et mère vertueuse... » (Pensive, elle se lève.) 67 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE 68 Drougoï! Nièt, nikamou na sviéte Nié atdala by siérdza ia! To v vyschniém soujdéno soviéte, To volia niéba: ia tvaïa! Vsia jizn’ maïa byla zalogom Svidania viérnava s taboï; Ia znaïou: ty mnié poslan bogom Da groba ty khranitel’ moï! Ty v snovidiéniakh mnié Y, iavlialsia, niézrimyi, Ty ouch byl mnié mil, Tvoï tchoudnyi vzgliat ménia tamil, V douché tvoï golos razdavalsa. Davno... Nièt éta byl nié son’! Ty tchout’ vachol, ia vmik. Ouznala Vsia abamliéla, zapylala, I v mysliakh molvila: Vot on! Vot on! Nié pravda l! Ia tiébia slykhala... Ty gavaril so mnoï v tichy, Kagda ia biédnym pamagala, Ili malitvoï ouslajdala taskou douchy? Y v éta samoïé mghnaviénié nié ty li, Milaïé vidiénié, V prazratchnaï temnatié mel’knoul, Priniknouv tikho k izgaloviou Nié ty l’ s atradaï i liouboviou Slava nadiéjdy mnié chepnoul? «Kto ty: moï anguel li khranitel’ Ili kovarnyi iskoussitel’? Maïi somniénia razrechy. Byt’ mojét, eta vsio poustoïé, Obman niéopytnaï douchy, I soujdéno sovsiém inoïé...» PREMIER ACTE SCÈNE 2 Un autre ! Non, aucun autre N’aurait reçu mon cœur ! C’est un décret du ciel, C’est la volonté d’en-haut : je suis à toi. Toute ma vie fit le serment De cette rencontre inévitable ; Je le sais : Dieu t’a envoyé à moi Tu me protègeras jusqu’à la tombe ! Tu m’es apparu dans mes rêves, Même inconnu, je te chérissais, Ton regard clair m’emplissait de désir, Ta voix résonnait dans mon cœur, Autrefois... Non ce n’était pas un rêve ! Je t’ai reconnu dès ta venue, Foudroyée, je brûlais, Et me disais : c’est lui ! c’est lui ! Pas vrai ? Je t’ai entendu... Ne m’as-tu point parlé dans le silence, Alors que je visitais les pauvres, Ou que, par la prière, je cherchais L’apaisement de mon âme angoissée ? Et dans ce moment précis, N’était-ce pas toi, chère image, Qui éclaira la transparente nuit, Se pencha doucement sur ma couche, Et avec joie et amour, Me murmura des mots pleins d’espérance ? (Elle se rassied et écrit.) « Qui es-tu : mon ange gardien Ou un tentateur malin ? Détruis mes doutes. Peut-être n’est-ce qu’un rêve vide, L’illusion d’un cœur sans expérience, Et arrivera tout autre chose... » (Elle se lève et marche, songeuse.) 69 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE No tak i byt’! Sud’bou moïou Atnynié ia tébié vroutchaïou, Péret taboïou sliozy liou, Tvaïei zastchity oumaliaïou, Oumaliaïou. Vaabrazi: ia zdiés adna! Nikto ménia nié panimaiét! Rassoudok moï izniémagaïét, I moltcha guibnout’ ia daljna! Ia jdou tiébia, ia jdou tiébia! Iédinym slovam nadiéjdy Siértza ojyvi, Il sonn tijolyi pérervi, Ouvy, zasloujennym, Ouvy, zasloujennym oukoram! Kontchaïou! Strachno pérétchest 70 Stydom i strakhom zamiraïou, No mnié paroukaï vacha tchest’. I smiéla iéi siébia vviériaïou! N o 10. Scène & duo TATYANA Akh, notch minoula, Prasnoulos’ vsio... I solnychka vstaïot. Pastoukh igraiét... Spakoïno vsio. A ia-to! Ia-to... FILIPIEVNA Para, ditia maïo! Vstavaï! Da ty, krasavytza, gatova! O, ptachka ranniaïa maïa! Viétchor ouch kak baïalas’ ia... PREMIER ACTE SCÈNE 2 Qu’il en soit ainsi ! Mon destin Je le pose entre tes mains, En pleurs à tes pieds, J’implore ta protection, J’implore. Penses-y : je suis seule ici ! Personne ne me comprend ! Mes pensées se dérobent, Je dois mourir en silence ! Je t’attends, je t’attends ! Dis le mot qui fera renaître Le plus bel espoir de mon cœur Ou détruis ce rêve oppressant Avec, hélas, le mépris, Avec, hélas, le mépris que je mérite ! Fini ! J’ai peur de me relire. (Elle signe et cachette la lettre.) J’ai peur et j’ai honte, Mais son honneur est ma protection. Et je lui fais confiance ! No 10. Scène & duo TATIANA Ah, la nuit s’achève, Tout s’éveille... Et le soleil se lève Le berger joue du pipeau... Tout est paisible. Et moi ! Moi... FILIPIEVNA (entrant doucement) Il est l’heure, mon enfant ! Debout ! Mais tu es déjà levée, ma belle ! Ô, mon petit oiseau du matin ! J’étais si inquiète hier soir... 71 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE Nou, slava bogou, ty ditia zdarova! Taski natchnoï i sliédou nièt, Litzo tvaïo, kak makov sviét! TATYANA Akh, niania, sdiélaï adaljénié... FILIPIEVNA Izvol’, radnaïa, prikajy! TATYANA Nié doumaï... Pravo... Padazriénié... No vidich... Akh, nié atkajy! FILIPIEVNA Moï drouk, vot bokh tiébié paroukoï! 72 TATYANA I tak, pachli tikhon’ka vnouka, S zapiskaï étaï k Onié... K tamou... K sassiédou, da viéli iémou, Chtop on nié gavaril ni slova, Chtop on... chtop on nié nazyval ménia. FILIPIEVNA Kamou jé, milaïa maïa? Ia nyntché stala bestalkova! Krougom sassiédei mnoga iést’ Kouda mnié ikh i pérétchest’? Kamou jé, kamou jé, ty tolkam gavari! TATYANA Kak niédagadliva ty, niania! FILIPIEVNA Sierdiétchnyi drouk ouch ia stara! PREMIER ACTE SCÈNE 2 Bon, grâce à Dieu, tu vas bien ! Plus trace de ta fièvre d’hier soir, Tes joues sont rouges comme des pivoines ! TATIANA Ah, Nounou, sois gentille... FILIPIEVNA Bien sûr, mon cœur, dis-moi ! TATIANA Ne crois pas... vraiment... ne crois pas... Mais vois-tu... ah, ne dis pas non ! FILIPIEVNA Ma chérie, Dieu m’est témoin ! TATIANA Alors, en secret, envoie ton petit fils, Avec cette lettre chez Oné... chez ce... Chez notre voisin, dis-lui De ne pas dire un mot, De ne pas dire... de ne pas dire mon nom. FILIPIEVNA Chez qui, mon enfant ? Mon esprit n’est plus aussi vif qu’avant ! Nous avons beaucoup de voisins ici, Tu veux que j’aille tous les voir ? Chez qui, chez qui ? Parle clairement ! TATIANA Ce que tu es lente, Nounou ! FILIPIEVNA Ma chérie, je suis vieille ! 73 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE Stara; toupiéiét razoum, Tania; A to, byvalo, ia vastra, byvalo, mnié slovo Barski voli... TATYANA Akh, niania, niania, da tavo li! Chto noujdy mnié v tvaïom oumié: Ty vidich, niania, diélo a pis’mié... FILIPIEVNA Nou, diélo, diélo, diélo! TATYANA Chto noujdy, niania, mnié v Tvaïom oumié! 74 FILIPIEVNA Nié ghniévaïsia, doucha maïa! Ty znaiéch: niépaniatna ia! TATYANA ... K Onéguinou... FILIPIEVNA Nou, diélo, diélo: ia paniala! TATYANA ... K Onéguinou... ... A pis’mom... ... K Onéguinou pachli ty vnouka, niania! FILIPIEVNA Nou, nou, nié ghniévaïsa, doucha maïa! Ty znaiéch, niépaniatna ia!... Da chto j ty snova pabledniéla? PREMIER ACTE SCÈNE 2 Vieille ; mon esprit s’est alourdi, Tania ; Autrefois, autrefois j’étais assez vive Un seul mot des maîtres... TATIANA Ah, Nounou, Nounou, peu importe ! Qu’ai-je à faire de ton esprit : Tu vois, Nounou, c’est cette lettre... FILIPIEVNA Bon, bien, bien, bien ! TATIANA Qu’ai-je à faire, Nounou, De ton esprit ! FILIPIEVNA Ne te fâche pas, mon trésor ! Tu sais : je suis lente. TATIANA ... Chez Onéguine... FILIPIEVNA Bon, bien, bien : je comprends ! TATIANA ... Chez Onéguine... Cette lettre... ... Chez Onéguine envoie ton petit-fils, Nounou ! FILIPIEVNA Bon, bon, ne te fâche pas, mon trésor ! Tu sais, je suis lente !... Ciel ! De nouveau toute pâle ? 75 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE TATYANA Tak, niania, pravo nitchévo! Pachli jé vnouka svaïévo! KARTINA TRETIA No 11. Chœur des jeunes filles 76 DIÉVOUCHKI Diévitzy, krassavitzy, Douchen’ki, podroujen’ki! Razygraïtes’, diévitzy, Razgouliaïtes’, milyié! Zatianité piéssenkou, Piéssenkou zaviétnouiou, Zatianité molodtza K kharavodou nachémou! Kak zamanim molodtza, Kak zavidim izdali, Razbéjimtes’, milyié, Zakidaiém vichéniém, Vicheniém, malinoïou, Krasnaïou smarodinoï! Nié khadi padslouchivat’ Piéssen’ki zaviétynié, Nié khadi padsmatrivat’ Igry nachi diévitch’i! Diévitzy, krassavitzy... N o 12. Scène & air d’Onéguine PREMIER ACTE SCÈNE 3 TATIANA Ce n’est rien, Nounou, vraiment rien ! Va, envoie ton petit-fils ! Filipievna prend la lettre et sort. Tatiana s’assied et reste pensive. SCÈNE 3 Le jardin des Larine. No 11. Chœur des jeunes filles LES SERVANTES Jeunes filles jolies, Compagnes aimables et belles ! Venez jouer les filles, Venez danser, jolies ! Chantez une petite chanson Une chanson de chez nous, Pour attirer un garçon Et pour qu’il danse avec nous ! Quand il sera appâté, Qu’il s’approchera de nous Amies, nous devrons filer En lui jetant des cerises Des cerises et des framboises, Et des groseilles rouges ! Ne viens pas pour épier Nos chansons qui sont à nous, Ne viens pas pour espionner Nos jeux de filles ! Jeunes filles jolies... N o 12. Scène & air d’Onéguine 77 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE TATYANA Zdiés on, zdiés on, Iévguéniï! O bojé! O bojé, chto padoumal on, Chto skajet on ? Akh, dlia tchévo, Sténaniou vniav douchy bal’noï, Nié sovladaf sama s soboï, Iémou pis’mo ia napisala! Da! Siérdtzé mnié tépiér’ skazalo, Chto nadsmeiotza nada mnoï Moï soblaznitel’ rakavoï! O, bojé moï! Kak ia niéstchastna, Kak ia jalka! Chagui... Vsio blijé... Da, éta on, éta on! 78 ONEGIN Vy mnié pisali. Nié atpiraïtes’. Ia pratchol Douchy daviértchivoï priznania, Lioubvi niévinnoï izliïania; Mnié vacha iskrennost’ mila! Ana v volniénié priviéla Davno oumolknouvchiié tchouvstva. No vas khvalit’ ia nié khatchou; Ia za niéio vam atplatchou Priznaniém takjé bez iskousstva. Primité j ispaviét’ maïou, Siébia na sout vam atdaïou! TATYANA O bojé! Kak abidno i kak bol’no! PREMIER ACTE SCÈNE 3 Tatiana entre et, fatiguée, se laisse tomber sur un banc. TATIANA Il est là, il est là, Eugène ! Ô Dieu ! Ô Dieu, qu’a-t-il pensé, Que va-t-il dire ? Ah, pourquoi Lui ai-je, écoutant mon cœur, Perdant toute retenue, Écrit cette lettre ! Oui ! Mon cœur me dit maintenant Que mon funeste séducteur Va rire de moi ! Ô mon Dieu ! Que je suis misérable Que je suis lamentable ! Des pas... se rapprochent... Oui, c’est lui, c’est lui ! Onéguine entre. Tatiana se lève et baisse la tête. 79 ONÉGUINE Vous m’avez écrit. Ne niez pas. J’ai lu Cet aveu d’une âme confiante, Le débordement d’un cœur innocent ; Votre candeur m’a ému ! Elle a ranimé en moi Des sentiments endormis depuis longtemps. Mais je n’approuve pas votre conduite ; Mais je vous répondrai Avec la même franchise. Écoutez ma confession, Puis jugez par vous-même ! TATIANA (se laissant tomber sur le banc) Ô Dieu ! Quelle humiliation et quelle douleur ! TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE 80 ONEGIN Kagda by jizn’ damachnim krougom Ia agranitchit’ zakhatiél, Kagda b mnié byt’ atzom, souprougom Priïatnyi jrébiï paviéliél, To, viérna b, kromé vas adnoï, Niéviésty nié iskal inoï. No ia nié sozdan dlia blajenstva, Iémou tchoujda doucha maïa, Naprasny vachy soviérchenstva, Ikh nié dastoyine vovsé ia. Paviér’té, soviést’ v tom paroukoï, Souproujestvo nam boudet moukoï. Ia skol’ko ni lioubil by vas, Privyknouv razlioubliou tottchas. Soudité j vy, kakiïé rozy Nam zagatovil guiméniéi, I, mojét byt’, na mnogo dniéi! Metchtam i godam nièt vazvrata, Nié abnovliou douchy maïei! Ia vas lioubliou liouboviou brata, Lioboviou brata il, mojét byt’, Iéstcho niéjniéi! Il, mojét byt’ iéstcho, iéstcho niéjniéi! Paslouchaïté j ménia bez ghniéva, Sménit nié raz mladaïa diéva Metchtami liokhkiié metchty! Outchites’ vlastvovat’ saboï... ... Niévsiakiï vas, kak ia, païmiot, K bedyé n’eopitnost vedyot! DIÉVOUCHKI Diévitzy, krassavitzy, Douchen’ki, padroujen’ki! Razygraïtes’, diévitzy... PREMIER ACTE SCÈNE 3 ONÉGUINE Si j’avais voulu passer ma vie Au sein du cercle familial, Si le destin m’avait donné le rôle D’un époux et d’un père, Alors, sûrement, c’est vous seule, Que j’aurais choisie comme compagne. Mais le bonheur conjugal ne m’est rien, Il est étranger à mon âme, Vos perfections me sont inutiles, Je n’en suis pas digne. Croyez-moi, je vous assure Que le mariage nous serait une souffrance. Même si je vous aimais, L’habitude tuerait cet amour. Jugez quel épineux lit de roses L’hymen serait pour nous, Et peut-être pour longtemps ! On ne revient pas sur ses rêves ni sa jeunesse, Je ne puis rénover mon âme ! Je vous aime d’un amour fraternel, D’un amour fraternel, Et peut-être un peu plus Et peut-être, peut-être un peu plus ! Écoutez-moi sans colère, Très souvent une jeune fille Échange un rêve pour un autre ! Maîtrisez vos sentiments... ... Tout le monde ne comprendrait pas comme moi. L’inexpérience peut conduire au malheur ! LES SERVANTES (au lointain) Jeunes filles jolies, Compagnes aimables et belles ! Venez jouer les filles, 81 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE ... Razgouliaïtes’, milyié. Kak zamanim molodtza, Kak zavidim izdali, Razbéjimtes’, milyié, Zakidaiém vychéniém. Nié khadi patslouchivat’, Nié khadi patsmatrivat’ Igry nachy diévitchïi! 82 PREMIER ACTE SCÈNE 3 Venez danser, jolies ! Quand le garçon sera appâté, Qu’il s’approchera de nous Amies, nous devrons filer En lui jetant des cerises. Ne viens pas pour épier, Ne viens pas pour espionner Nos jeux de filles ! Onéguine offre son bras à Tatiana. Ils sortent lentement. 83 DEISTVIIE VTOROÏE KARTINA PERVAÏA No 13. Entracte & valse avec scène et chœur 84 GOSTI Vot tak siourpris! Nikak nié ajidali Vaïénnoï mouzyki! Viéssiélié-khot’ kouda! Davno ouch nas Tak nié ougastchali! Na slavou pir! Nié pravda l’, gaspada?... Ouch davno nas Tak nié ougastchali! Pir na slavou, Nié pravda l’, gaspada? Bravo, bravo, bravo, bravo! Vot tak siourpris nam! Bravo, bravo, bravo, bravo! Slavnyi siourpris dlia nas! DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1 Le salon des Larine. Vives lumières. Les jeunes valsent, les vieux observent. No 13. Entracte & valse avec scène et chœur 85 LES INVITÉS Quelle surprise ! Nous n’espérions pas Une fanfare militaire ! Du plaisir, plus qu’il n’en faut ! Ça fait longtemps que Nous ne nous sommes tant amusés ! Une belle fête ! Pas vrai madame ?... Ça fait longtemps que Nous ne nous sommes tant amusés ! Une belle fête ! Pas vrai madame ?... Bravo, bravo, bravo, bravo ! Quelle belle surprise ! Bravo, bravo, bravo, bravo ! Splendide surprise pour nous tous ! TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE POJILYIÉ POMÉSTCHIKI V nachykh pomiéstiakh nié Tchasta vstrétchaiém Bala viéssiolava radostnyi bliésk, Tol’ko akhotoï siébia razvlékaiém, Lioup nam akhotnitchiï gomon i triésk. MAMEN’KI Nou ouch viéssiélié, dién’ tzélyi létaïout Pa diébriam, palianam, balotam, koustam! Oustanout, zaliagout, i vsio atdykhaïout, I vot razvletchenié dlia biédnykh vsiékh dam! MOLODYIÉ DIÉVITZY Akh, Trifon Petrovytch, Kak mily vy, pravo! My tak blagadarny vam... 86 ROTNYI Polnote-s... Ia sam otchen’ stchastliv! MOLODYIÉ DIÉVITZY Popliachem na slavou my! ROTNYI Ia tojé namiéren. Natchniomté-j pliasat’! MAMEN’KI Glian’te-ka! Glian’te-ka! Tantzouiout pijony! Davno ouch para by... Nou, jénichok! DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1 VIEUX MESSIEURS Nous voyons peu dans nos domaines L’éclat joyeux d’un bal splendide. La chasse est notre seul plaisir, nous aimons Son fracas et et son bouillonnement. VIEILLES DAMES Beau divertissement, tout le jour chasser Par monts et par vaux, marais et fourrés ! Ils s’épuisent, s’écroulent au lit, Voilà notre amusement, à nous, pauvres femmes ! JEUNES FILLES (entourant le Capitaine) Ah, Tryphon Petrovitch, Comme vous êtes gentil, vraiment ! Nous vous savons gré, vraiment... LE CAPITAINE Je vous en prie... Le plaisir est pour moi ! JEUNES FILLES Nous aimons tant danser ! LE CAPITAINE J’entends bien en profiter, Alors, allons-y ! Onéguine danse avec Tatiana. Les autres couples les regardent. VIEILLES DAMES (dialoguant par groupes) Regardez ! Regardez ! Les deux pigeons qui dansent ! Il était temps... Quel fiancé ! 87 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE Kak jalko Taniouchou! Vaz’miot iéio v jony... ... i boudiét tiranit’! On, slychno, igrok! On niéoutch strachnyi, soumasbrodit, On damam k routchké nié padkhodit On farmazon, on p’iot adno Stakanom krasnoïé vino! 88 ONEGIN I vot vam mniénié! Naslouchalsia Davol’no ia raznykh spliéten Miérzkikh! Padélom mnié vsio Éta! Zatchem priiékhal ia Na état gloupyi bal? Zatchem? Ia nié prostchou Vladimirou Ouslougou étou. Boudou oukhajivat’ za Olgoï... Vzbéchou iévo poriadkom! Vot ana! Prochou vas! LENSKI Vy obéstchali mnié tépiér! ONEGIN Achipsia, viérno, ty! LENSKI Akh, chto takoïé! Glazam nié viériou! Olga! Bojé, chto so mnoï... DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1 Pauvre Tanioucha ! Il va l’épouser... ... Et jouera les tyrans ! On dit que c’est un joueur ! (Onéguine en passant surprend des bribes de conversation.) Terriblement grossier, un fou, Il ne baise pas la main des dames Un franc-maçon, il ne boit Que du vin rouge, énormément ! ONÉGUINE (à part) C’est ce qu’on pense de moi ! J’en ai Entendu plus qu’assez de ces dégoûtants Papotages ! Bien fait pour moi ! Pourquoi suis-je venu à ce bal idiot ? Pourquoi ? Je rendrai à Vladimir La monnaie de sa pièce. Je ferai la cour à Olga... Il sera furieux ! La voilà ! Puis-je me permettre ? Olga est indécise. LENSKI Vous me l’aviez promise ! ONÉGUINE Tu dois faire erreur ! Onéguine et Olga dansent ; il lui fait une cour appuyée. LENSKI Ah, qu’est-ce que ça veut dire ! Je n’en crois pas mes yeux ! Olga ! Dieu, qu’est-ce qui m’arrive... 89 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE 90 GOSTI Pir na slavou! Vot tak siourpris! Pir na slavou! Vot tak siourpris! Vot tak ougastchénié! Viéssiélié-khot’ kouda! Pir na slavou! Vot tak siourpris! Nikak nié ajidali Vaïénnoï mouzyki! Viéssiélié – khot’ kouda! Ouch davno nas Tak nié ougastchali! Pir na slavou! Nié pravda l’? Bravo, bravo, bravo, bravo! Vot tak siourpris nam! Bravo, bravo, bravo, bravo! Nié pravda l’? Na slavou pir, nié pravda 1’? Da, voïénnoï mouzyki nikak nié ojidali my! Pir na slavou... Viéssiélié-khot’ kouda! Pir na slavou! No 14. Scène & couplets de Monsieur Triquet LENSKI Oujel’ ia zasloujil at vas Nasmiéchkou étou? Akh, Olga, kak jestoki vy so mnoï! Chto sdiélal ia? OLGA Nié panimaïou v tchom vinavata ia! DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1 LES INVITÉS Une belle fête ! Quelle surprise ! Une belle fête ! Quelle surprise ! Quel délice ! Du plaisir, plus qu’il n’en faut ! Une belle fête ! Quelle surprise ! Nous n’espérions pas Une fanfare militaire ! Du plaisir, plus qu’il n’en faut ! Ça fait longtemps que Nous ne nous sommes tant amusés ! Une belle fête ! Pas vrai ? Bravo, bravo, bravo, bravo ! Quelle belle surprise ! Bravo, bravo, bravo, bravo ! Pas vrai ? Une belle fête, pas vrai ? Une fanfare militaire, nous ne l’espérions pas ! Une belle fête ! Du plaisir, plus qu’il n’en faut ! Une belle fête ! No 14. Scène & couplets de Monsieur Triquet LENSKI (s’approchant d’Olga) Ai-je mérité de vous Un tel mépris ? Ah, Olga, comme vous êtes cruelle ! Que vous ai-je fait ? OLGA Je ne comprends pas ce que j’ai fait de mal ! 91 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE LENSKI Vsié èkossèzy, vsié valsy S Onéguinym vy tantzévali. Ia priglachal vas, No byl atviérghnout! OLGA Vladimir, éta stranno, Is poustiakof ty siérdichsia! LENSKI Kak! Iz-za poustiakof! Oujéli ravnodouchno ia videt’ mok Kagda smeïalas’ ty, Kokiétnitchaïa s nim? K tebié on naklonialsia i roukou Jal tiébié! Ia videl vsio! 92 OLGA Vsio éta poustiaki i briéd! Revnouiéch ty naprasna, My tak baltali s nim, On otchen’ mil! LENSKI Dajé mil! Akh, Olga, ty ménia nié lioubich! OLGA Kakoï ty strannyi! LENSKI Ty ménia nié lioubich! Katilion sa mnoï tantzouiéch ty? DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1 LENSKI Chaque écossaise, chaque valse Vous les avez dansées avec Onéguine. Je vous ai invitée, Vous avez refusé ! OLGA Vladimir, c’est ridicule, Tu t’irrites pour rien ! LENSKI Quoi ? Pour rien ? Comment serais-je indifférent Quand tu ris et flirtes avec lui ? Il s’inclinait devant toi Et te pressait la main ! Je l’ai vu ! 93 OLGA Ce sont des sottises absurdes ! Tu es jaloux sans motif, Nous bavardions seulement. Il est très aimable ! LENSKI Aimable, allons donc ! Ah, Olga, tu ne m’aimes plus ! OLGA Que tu es sot ! LENSKI Tu ne m’aimes plus ! Danseras-tu le cotillon avec moi ? TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE ONEGIN Nièt, so mnoï. Nié pravda l’, slovo vy mnié dali? OLGA I sderjou ia slovo! Vot vam nakazanié Za riévnast’ vachou! LENSKI Olga! OLGA Ni za chto! Gliadité-ka! Vsié barychni idout siouda s Triquet. 94 ONEGIN Kto on? OLGA Frantzous, jiviot ou Kharlikova. MOLODYIÉ DIÉVITZY Monsieur Triquet, Monsieur Triquet, Chantez de grâce un couplet ! TRIQUET Koupliète imiéiét ia s soboï. No gdié, skajité, Mademoiselle? On doljen byt’ pérédo mnoï, Car le couplet est fait pour elle ! GOSTI Vot ana! Vot ana! DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1 ONÉGUINE (s’approchant d’eux) Non, avec moi. Vous l’aviez promis, pas vrai ? OLGA Et je tiendrai ma promesse ! (À Lenski)C’est ta punition Pour ta jalousie ! LENSKI Olga ! OLGA (À Lenski )Jamais ! (À Onéguine) Regardez ! Les filles arrivent avec Triquet. ONÉGUINE Qui est-ce ? OLGA Un Français, il vit chez les Kharlikov. JEUNES FILLES Monsieur Triquet, Monsieur Triquet, Chantez de grâce un couplet ! TRIQUET J’ai les couplets ici, avec moi. Mais où est – je pose la question – Mademoiselle ? Il faut qu’elle soit là, devant moi, Car le couplet est fait pour elle ! LES INVITÉS La voilà ! La voilà ! 95 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE TRIQUET Aha! Voilà tzaritza état dién’. Mesdames, ia boudou natchinaït. Prochou tépiér’ mnié nié méchaït. A cette fête conviés, De celle dont le jour est fêté, Admirons le charme et la beauté. Son regard doux et enchanteur Répand sur nous tous sa lueur. De la voir quel plaisir quel bonheur ! Brillez, brillez, toujours belle Tatiana ! Brillez, brillez, toujours belle Tatiana ! 96 GOSTI Bravo, bravo, bravo, Monsieur Triquet ! Koupliét vach prévaskhoden I otchen’, otchen’ mila spiét! TRIQUET Que le sort comble ses désirs, Que la joie, les jeux, les plaisirs Posent sur ses lèvres le sourire ! Que sur le ciel de ce pays Étoile qui toujours brille et luit, Elle éclaire nos jours et nos nuits. Brillez, brillez, toujours belle Tatiana ! Brillez, brillez, toujours belle Tatiana ! GOSTI Bravo, bravo, bravo, Monsieur Triquet ! Koupliét vach prévoskhoden I otchen’, otchen’ mila spiét! DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1 Les invités forment le cercle autour de Tatiana. TRIQUET Aha ! Voilà la reine du jour. Mesdames, je vais commencer. Je vous prie de ne pas m’interrompre. À cette fête conviés, De celle dont le jour est fêté, Admirons le charme et la beauté. Son regard doux et enchanteur Répand sur nous tous sa lueur. De la voir quel plaisir, quel bonheur ! Brillez, brillez, toujours belle Tatiana ! Brillez, brillez, toujours belle Tatiana ! LES INVITÉS Bravo, bravo, bravo, Monsieur Triquet ! Le couplet est charmant Et vraiment joliment chanté ! TRIQUET Que le sort comble ses désirs, Que la joie, les jeux, les plaisirs Posent sur ses lèvres le sourire ! Que sur le ciel de ce pays Étoile qui toujours brille et luit, Elle éclaire nos jours et nos nuits. Brillez, brillez, toujours belle Tatiana ! Brillez, brillez, toujours belle Tatiana ! LES INVITÉS Bravo, bravo, bravo, Monsieur Triquet ! Le couplet est charmant Et vraiment joliment chanté ! 97 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE No 15. Mazurka & scène ROTNYI Messieurs, mesdames, Mesta zaniat’ izvol’té; Sitchas natchniotza katilion! Pajalouité! ONEGIN Ty nié tantzouiéch, Lenski? Tchild Garoldom staïich kakim-ta! Chto s taboï? 98 LENSKI Sa mnoï? Nitchévo. Lioubouious’ ia taboï, Kakoï ty drouk prékrasnyi! ONEGIN Kakavo! Nié ajidal priznania ia takova! Za chto ty douiéchsia? LENSKI Ia douious’? O, nimalo! Lioubuious ia, kak slof Svaïikh igroï i sviétzkoï baltavnioï Ty kroujich golavy i diévotchek smoustchaiéch DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1 Tatiana fait la révérence. Triquet s’incline exagérément et lui remet les couplets. No 15. Mazurka & scène LE CAPITAINE Messieurs, mesdames, À vos places, s’il vous plaît ; Le cotillon va commencer ! Puis-je vous prier ! Onéguine danse avec Olga puis la ramène à sa place. ONÉGUINE Tu ne danses pas, Lenski ? Tu es planté là comme Childe Harold ! Qu’est-ce que tu as ? 99 LENSKI Moi ? Rien. Je t’admire. Quel bon ami tu fais ! Olga s’éloigne, invitée à danser une mazurka. ONÉGUINE Comment ? Je ne m’attendais pas à ce discours ! Pourquoi boudes-tu ainsi ? LENSKI Moi je boude ? Oh pas du tout ! J’admire seulement comment, Avec des mots choisis et le discours D’un homme du monde, tu tournes la tête TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE Pakoï douchévnyi! Vidna, dlia tiébia adnoï Tatiany malo. Iz iioubvi ka mnié Ty, viérna, khotchech Olgou pagoubit’, Smoutit’ iéio pakoï, a tam, Sméïatza nad niéiou jé! Akh, kak tchesna éta!... ONEGIN Chto? Da ty s ouma sachol! LENSKI Prekrasna! Ménia j ty askarbliaiéch, I ménia jé ty zavioch pomiéchannym! 100 GOSTI Chto takoïé? V tchom tam diélo? Chto takoïé? LENSKI Onegin! Vy bol’ché mnié nié drouk! Byt’ bliskim s vami Ia nié jélaïou bol’ché! Ia... Ia préziraïou vas! GOSTI Vot niéojidannyi siourpris! Kakaïa ssora zakipiéla! Ou nikh pochlo nié v choutkou diélo! DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1 Et pertubes l’esprit des jeunes filles ! Apparemment pour toi, Tatiana ne suffit pas. Par amitié pour moi Tu veux encore, sans doute, Séduire Olga, Pertuber son esprit et puis, Ensuite, rire d’elle ! Ah, comme tu es noble !... ONÉGUINE Quoi ? Tu perds la raison ! LENSKI Excellent ! Tu m’insultes Et puis tu me traites de fou ! Tout le monde s’arrête de danser, on entoure les deux hommes. LES INVITÉS Qu’y a-t-il ? Que se passe-t-il ? Qu’y a-t-il ? LENSKI Onéguine ! Vous n’êtes plus mon ami ! Je ne veux plus Être de vos proches ! Je... je vous méprise ! LES INVITÉS Quel coup de théâtre ! Quelle dispute a éclaté ! Il n’ont pas l’air de plaisanter ! 101 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE ONEGIN Paslouchaï, Lenski, ty nié praf! Ty nié praf! Davol’na nam privlékat’ Vnimaniié nachéi ssoraï! Ia nié smoutil, Iéstcho nitchéi pakoï, I priznaïous, jélania Nié imiéiou iévo smoustchat’! LENSKI Tagda zatchem jé ty Iéi roukou jal, cheptal iéi chto-to? Krasniéla, smiéïas’, ana! Chto, chto ty gavaril iéi? 102 ONEGIN Paslouchaï, éta gloupa, Nas akroujaïout! LENSKI Chto za diélo mnié? Ia vami askarblione I satisfaktziyi ia triébouiou! GOSTI V tchom diélo? Rasskajité. Rasskajité, chto sloutchilas’? LENSKI Prosto ia triébouiou, Chtop gaspadine Onegin Mnié ab’iasnil svaï pastoupki! On nié jélaïét étava, I ia prachou iévo priniat’ moï vyzaf. DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1 ONÉGUINE Écoute, Lenski, tu fais erreur ! Tu fais erreur ! Nous avons assez attiré l’attention Avec cette dispute ! Je n’ai perturbé l’esprit de personne, Et, je le dis, Je n’en ai pas l’intention ! LENSKI Alors pourquoi lui as-tu Pressé la main, murmuré quelque chose ? Elle a rougi, elle a ri ! Que lui disais-tu, quoi ? ONÉGUINE Écoute, c’est ridicule, Tout le monde écoute ! LENSKI Qu’est-ce que ça me fait ? Vous m’avez offensé Et je demande réparation ! LES INVITÉS Qu’est-ce qui se passe ? Dites. Dites-nous ce qui est arrivé ! LENSKI J’ai simplement Prié Monsieur Onéguine De m’expliquer sa conduite ! Il ne veut pas, Je lui demande de relever mon défi. 103 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE LARINA O bojé! V nachem domié! Pastchadité! Pastchadité! No 16. Finale LENSKI V vachem domié! V vachem domié! V vachem domié, kak sny zalatyié, Maï diétzkiïé gody tékli! V vachem domié fkoussil Ia vpervyié radast’ tchistaï i sviétlaï lioubvi! No sivodnia ouznal... Ia drougoïé, Ia izvédal, chto jizn’ nié roman, Tchest’ lich zvouk, droujba slova... 104 ONEGIN Na iédinié s svaïei douchoï Ia niédavolén sam soboï. Nad étoï strastiou ropkaï, niéjnaï.. LENSKI ... Poustoïé, Askarbitiel’nyi, jalkiï abmane, Da, askarbitiel’nyi, jalkiï, da, Jalkiï abmane! ONEGIN ... Ia slichkam pachoutil, Niébriéjno! Vsiém siérdtzém Iounachou lioubia, Ia b doljén pakazat’ siébia... TATYANA Patriaséna ia, oum nié mojét DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1 LARINA Ô Dieu ! Dans notre maison ! De grâce ! De grâce ! No 16. Finale LENSKI Dans votre maison ! Dans votre maison ! Dans votre maison, comme un rêve doré Mon enfance s’est écoulée ! Dans votre maison, j’ai goûté Les joies d’un amour pur et serein ! Mais aujourd’hui, j’apprends... autre chose, J’apprends que la vie n’est pas un roman, Que l’honneur n’est qu’un mot, l’amitié n’est qu’un mot... ONÉGUINE Au profond de mon cœur, De moi je suis mal satisfait. Avec cet amour pudique et tendre... LENSKI ... Vide, Un mensonge humiliant, pitoyable, Humiliant, pitoyable, oui, Un mensonge lamentable ! ONÉGUINE ... J’ai été désinvolte, Stupide ! Ce garçon, je l’aime De tout mon cœur, J’aurais dû, avec lui, me montrer... TATIANA Je suis bouleversée, je ne peux 105 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE Paniat’ Iévgiéniïa, Trévojit, ménia trévojit Revnivaïa taska! GOSTI Biédnyi Lenski! TATYANA Akh, terzaiét mnié siérdtzé taska! Kak khalodnaïa tch’ia-ta rouka... LARINA I OLGA Baïous’, chtoby vassliét viéssiéliou, Nié zaviérchylas’ notch douéliou! 106 ONEGIN ... Nié miatchikam predrassoujdéniï, No moujem s tchest’iou i oumom. GOSTI Biédnyi iounacha! TATYANA ... Ana mnié sjala siérdtzé Bol’na tak, jestoka! ONEGIN Ia slichkam pachoutil Niébriéjna! LENSKI Ia ouznal zdiés, chto... ... Diéva krassoïou Mojét byt’, totchna anguel, mila I prékrasna, kak dién’, DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1 Comprendre Eugène, Je suis tourmentée Par la jalousie ! LES INVITÉS Pauvre Lenski ! TATIANA Ah, mon cœur est déchiré d’angoisse ! Comme si une main de glace... LARINA & OLGA Je crains qu’après tant de joie, La nuit ne s’achève par un duel ! ONÉGUINE ... Insensibles aux préjugés vulgaires, En homme d’honneur et de raison. DES INVITÉS Pauvre garçon ! TATIANA ... s’était posée sur mon cœur Douloureuse, cruelle ! ONÉGUINE J’ai agi Stupidement ! LENSKI J’ai appris que... ... Une jeune fille Peut être douce comme un ange, Belle comme le jour, 107 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE No douchoïou, no douchoïou, Totchna diémon, kavarna i zla! GOSTI Ouchol tépiér’, Vasliét viéssiéliou, Ikh ssora douéliou Akonchit nach dién’? No maladioch tak gariatcha! Pavzdoriat, pasporiat, Sitchas jé déroutza! Pavzdoriat... ... Ikh ssora kontchitza douéliou? No maladioch tak gariatcha! Ani rechaïout vsio splétcha! 108 TATYANA Akh, paguibla ia, paguibla ia! Mnié siérdtzé gavarit, No guibel’ at niévo lioubiézna! Paguibnou, paguibnou, Mnié siérdtzé skazala, Raptat’ ia nié smiéiou, nié smiéiou! OLGA Akh, krof’ v moustchinakh gariatcha, Ani réchaïout vsio splétcha, Bes ssor nié mogout astavatza,.. Doucha v niom riévnast’iou ab’iata, No ia ni v tchom nié vinavata, ni v tchom! LARINA Akh, maladioch tak gariatcha! Ani réchaïout vsio splétcha; Bes ssor nié mogout astavtza,... DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1 Mais dans son cœur, dans son cœur, Méchante et sournoise comme un démon ! LES INVITÉS Faut-il, Qu’après tant de plaisirs, Leur querelle Se termine en duel ? Les jeunes gens sont si bouillants ! Il se disputent, s’insultent, Et puis se battent ! Ils se disputent... ... Et ça se termine en duel ! Les jeunes gens sont si bouillants ! Il n’agissent qu’impulsivement ! TATIANA Ah, je suis perdue, je suis perdue ! Je le sens en mon cœur, Mais j’aime la mort qu’il me donne ! Je suis maudite, maudite, Mon cœur me le dit. Je n’ose pas, je n’ose pas me plaindre ! OLGA Ah, les hommes ont le sang chaud, Ils s’emportent vite, Il ne peuvent éviter la querelle... Son cœur brûle de jalousie, Mais ce n’est pas ma faute, pas ma faute ! LARINA Ah, les jeunes gens sont si bouillants, Ils n’agissent qu’impulsivement ; Ils ne peuvent éviter la querelle, 109 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE Baïous’, chto vasliét vissésiéliou, Nié zaviérchylas’ notch douéliou! Maladioch tak gariatcha! ONEGIN Na iédinié s svaïei douchoï, Ia niédavolén sam saboï... Ia b doljén pakazat’ siébia... LARINA I GOSTI Akh, maladioch tak gariatcha! Bes ssory nié mogout tchassou astatza! Pavzdoriat, pasporiat, Sitchas jé i dratza ani gatovy! 110 TATYANA Akh, zatchem raptat’? Nié mojét on stchastia mnié dat’! Paguibnou, Mnié siérdtzé skazala, Ia znaïou! OLGA Akh, ia ni v tchom nié vinavata! Moustchiny nié mogout Bes ssory astatza. Pavsdoriat, pasporiat.... LENSKI Akh, nièt! Ty niévinna, anguel moï, Ty niévinna, niévinna moï anguel! On nizkiï, kavarnyi. Bezdouchnyi prédatel’! On boudét nakazan! ONEGIN ... Nié miatchikam DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1 J’ai peur qu’après tant de plaisirs, La nuit ne s’achève par un duel ! Les jeunes gens sont si bouillants ! ONÉGUINE Au profond de mon cœur, De moi je suis mal satisfait... J’aurais dû me montrer... LARINA & LES INVITÉS Ah, les jeunes gens sont si bouillants ! Pas un jour sans une querelle ! Il se disputent, s’insultent, Et puis soudain, ils se battent ! TATIANA Ah, pourquoi se plaindre ? Il ne peut me rendre heureuse ! Je suis maudite, Mon cœur me le dit, Je le sais ! OLGA Ah, je ne suis pas coupable ! Les hommes ne peuvent Éviter la querelle. Ils se disputent, s’insultent... LENSKI Ah, non ! Tu es innocente, mon ange, Tu es innocente, innocente, mon ange ! C’est un traître vil, perfide, sans cœur ! Il sera puni ! ONÉGUINE ... Insensible 111 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE Predrassoujdiéniï, Nié pylkim rébionkam No moujem ouch zriélym Ia vinavat! GOSTI Oujel tépiér’, vasliét viéssiéliou, Ikh ssora douéliou Akontchit nach dién’... TATYANA Akh! Paguibnou ia... Raptat’ ia nié smiéiou! OLGA Akh! Krof’ v moustchinakh gariatcha... Ia ni v tchom nié vinovata, ni v tchom! 112 LARINA Akh! Maladioch tak gariatcha… Maladioch tak gariatcha! ONEGIN Naïédinié s svaïei douchoï, Ia niédavolén sam saboï! No diélat’ niétchéva Tépiér’ ia doljén atviétchat’ Na askarbliénia! K ouslougam vachim ia. Davol’na! Vyslouchal ia vas, Bézoumny vy, bézoumny vy! I vam ourok pasloujit k ispravliéniou! LENSKI Itak da zavtra! DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1 Aux préjugés vulgaires, Je ne suis pas un gamin, Je suis un homme. Je m’en veux ! LES INVITÉS Faut-il qu’après tant de plaisirs, Leur querelle Se termine en duel... TATIANA Ah ! Je suis maudite... Je n’ose pas me plaindre ! OLGA Ah, les hommes ont le sang chaud... Mais ce n’est pas ma faute, pas ma faute ! 113 LARINA Ah ! Les jeunes gens sont si bouillants... Les jeunes gens sont si bouillants ! ONÉGUINE Au profond de mon cœur, De moi je suis mal satisfait ! Mais il n’y a rien à faire, Je dois à présent Répondre à l’offense ! Je suis à votre disposition. Assez ! Je vous ai entendu, Vous êtes fou, vous êtes fou ! Vous avez besoin d’une leçon. LENSKI Alors à demain ! TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE Pasmotrim, kto kavo praoutchit! Pouskaï bézoumetz ia, no vy, Vy bestchestnyi sablaznitel’! ONEGIN Zamaltchité, il’ ia oub’iou vas! 114 GOSTI Chto za skandal! My nié dapoustime Douéli miéj nimi, Kravavaï raspravy! Ikh prosta atsiouda nié poustime. Derjité, derjité, derjité! Da, ikh prosta iz domou nié poustime! OLGA Vladimir, ouspakoïsia oumaliaïou! LENSKI Akh, Olga, Olga! Prastchaï naviék! GOSTI Byt’ douéli! DEUXIÈME ACTE SCÈNE 1 Nous verrons qui donnera la leçon ! Peut-être suis-je fou, Mais vous être un ignoble séducteur ! ONÉGUINE Taisez-vous, ou je vous tue ! Onéguine se jette sur Lenski; on sépare les deux hommes; Tatiana est en larmes. LES INVITÉS Quel scandale ! Nous ne leur permettrons pas De se battre en duel, De répandre leur sang ! Ne les laissons pas partir. Retenez-les, retenez-les, retenez-les ! Oui, qu’ils ne quittent pas la maison ! OLGA Vladimir, calme-toi, je t’en supplie ! LENSKI Ah, Olga, Olga ! Adieu pour toujours ! Lenski et Onéguine sortent très vite. Olga s’évanouit dans les bras de sa mère. LES INVITÉS Il y aura un duel ! 115 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE KARTINA VTORAÏA No 17. Introduction, scène & air de Lenski ZARETZKY Nou, chto jé? Kajétza, prativnik vach nié iavilsia. LENSKI Iavitza sitchas. 116 ZARETZKY No vsio jé éta stranna Mnié niémnochka Chto nièt iévo: séd’moï viét’ tchas! Ia doumal, chto on jdiot ouch nas! LENSKI Kouda, kouda, kouda vy oudalilis’, Viésny maïei zlatyié dni? Chto dién’ griadoustchiï mnié gatovit? Iévo moï vzor naprasno lovit: V gloubokaï mglié taïtza on! Nièt noujdy; prav soud’by zakone! Padou li ia, stréloï pranzionnyi, Il’ mima pralétit ana, Vsio blaga; bdiényi ia i sna Prikhodit tchas aprédélionnyi! Blagaslavién i dién’ zabot, Blagaslavién i t’my prikhot Bliesniot za outra loutch dennitzy DEUXIÈME ACTE SCÈNE 2 SCÈNE 2 No 17. Introduction, scène & air de Lenski Paysage d’hiver. Une rivière, un moulin à eau, des arbres. C’est l’aube. Lenski est plongé dans ses pensées. ZARETSKI Que se passe-t-il ? On dirait que votre adversaire ne vient pas. LENSKI Il sera là bientôt. ZARETSKI Mais c’est quand même étrange, À mon sens, Qu’il ne soit pas déjà là : il est presque sept heures ! Je pensais qu’il nous attendait déjà ! (Il s’éloigne.) LENSKI Où, où, où avez-vous fui, Jours dorés de ma jeunesse ? Que m’apporte le jour qui naît ? Je le sonde en vain : Il est empli de ténèbres ! Peu importe : le destin est juste ! Que sa flèche me blesse, me tue, Ou qu’elle m’évite, Tout sera bien ; dormir ou veiller, Toute chose a son heure ! Béni soit le jour de l’angoisse, Bénies aussi soient les ténèbres ! L’étoile de l’aube reluit 117 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE 118 I zaïgraiét iarkiï dién’, A ia, byt’ mojét, ia grabnitzy Saïdou v taïnstviénnouiou sién’! I pamiat’ iounava paèta Paglotyt miédlennaïa Liéta. Zaboudet mir ménia; no ty! Ty!... Olga... Skajy, Pridioch li, diéva krassoty, Slézou prolit’ nad ranniéi ournaï I doumat’: on ménia lioubil! On mnié iédinoï pasviatil Rassviét pétchal’nyi jizni bournoï! Akh, Olga, ia tiébia lioubil! Tébié iédinoï pasviatil Rassviét pétchal’nyi jizni bournoï! Akh, Olga, ia tiébia lioubil! Sierdiétchnyi drouk, jélannyi drouk. Pridi, pridi! Jélannyi drouk. Pridi, ia tvoï souprouk, pridi, pridi! Ia jdou tiébia, jélannyi drouk. Pridi, pridi; ia tvoï souprouk! Kouda, kouda, kouda vy oudalilis’, Zlatyié dni, zlatyié dni maïei viésny? N o 18. Scène du duel ZARETZKY A, vot ani! No s kiém je vach priïatel? Nié razbérou! ONEGIN Prachou vas izviniénia! Ia apazdal niémnoga. DEUXIÈME ACTE SCÈNE 2 Et le jour s’éclaire, Et moi, peut-être vais-je pénétrer Dans l’ombre mystérieuse de la tombe ! Et le souvenir d’un jeune poète S’engloutira dans les eaux tristes du Léthé. Le monde m’oubliera ; mais toi ! Toi !... Olga... Dis-moi, Viendras-tu, ma belle, Verser une larme sur l’urne précoce Et penser : il m’aimait ! À moi seule il dédia L’aurore triste de sa triste vie ! Ah, Olga, je t’aimais ! À toi seule j’ai dédié L’aurore triste de ma triste vie ! Ah, Olga, je t’aimais ! Mon cœur, mon aimée, Viens, viens ; mon aimée ! Viens, je suis ton fiancé, viens, viens ! Je t’attends, mon aimée. Viens, viens ; je suis ton fiancé ! Où, où, où avez-vous fui, Jours dorés, jours dorés de ma jeunesse ? No 18. Scène du duel ZARETSKI (revenant) Ah, les voilà ! Mais avec qui est votre ami ? Je ne le reconnais pas ! Onéguine arrive avec Guillot, son valet, qui porte les pistolets. ONÉGUINE Je vous prie de m’excuser ! Je suis en peu en retard. 119 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE ZARETZKY Pazvolté! Gdié j vach siékoundante? V douéliakh klassik ia, pédante; Lioubliou métodou ia iz tchouvstva, I tchélaviéka rastianout Pazvoliou ia nié kak-nibout’, No v stroguikh pravilakh iskousstva, Pa vsiém prédaniam stariny. ONEGIN Chto pakhvalit’ my vas doljni! Moï sékoundante? Vot on: Monsieur Guillot! Ia nié predvijou vazrajéniï Na predstavliénié maïo; Khot’ tchélaviék on niéizviéstnyi, No ouch, kaniéchna, malyi tchestnyi. 120 ONEGIN Chto j? Natchinat’? LENSKI Natchniom, pajaloui! LENSKI I ONEGIN Vragui! Davno li drouk at drouga, Nas jajda krovy atviéla? Davno li my tchassy dassouga, Trapiézou i mysli i déla Délili droujna? Nynié zlobna, Vragam nasliédstviénnym padobna, My drouk dlia drouga v tichynié Gatovim guibel’ khladnakrovna. DEUXIÈME ACTE SCÈNE 2 ZARETSKI Pardonnez-moi ! Qui est votre témoin ? En matière de duel, je suis un classique sourcilleux ; J’aime la procédure Et ne permets point qu’un homme Soit abattu n’importe comment, Mais selon les strictes règles de l’art, D’après l’antique tradition. ONÉGUINE Soyez-en loué ! Mon témoin ? Le voici : Monsieur Guillot ! Je ne pense pas qu’on fasse Aucun reproche à mon choix ; Il n’est certes pas très connu, Mais c’est un honnête garçon. Guillot salue profondément, Zaretski lui répond froidement. ONÉGUINE Bien ? Commençons-nous ? LENSKI Commençons, je vous prie ! LENSKI & ONÉGUINE (se tournant le dos, attendant) Ennemis ! Depuis quand La soif de sang nous sépare-t-elle ? Y a-t-il si longtemps que nous partagions tout, Repas et pensées et loisirs, Comme des amis ? À présent dans la haine, Comme des ennemis héréditaires, Silencieux et de sang-froid, Nous nous préparons à tuer l’autre. 121 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE Akh! Nié zasméïatza l’ nam, Paka nié abagrilasia rouka, Nié razaïtis’ li palioubovno? Nièt! Nièt! Nièt! Nièt! ZARETZKY Tépiér’ skhadites’! ONEGIN Oubit? ZARETZKY Oubit! 122 DEUXIÈME ACTE SCÈNE 2 Ah ! ne devrions-nous pas éclater de rire Avant de tacher nos mains de sang, Et nous séparer bons amis ? Non ! Non ! Non ! Non ! Zaretski tend un pistolet à chacun. ZARETSKI Maintenant avancez ! Ils avancent. Lenski vise, Onéguine tire, Lenski s’écroule. Onéguine se précipite. Zaretski examine le corps. ONÉGUINE Mort ? ZARETSKI Mort ! Effondré, Onéguine se cache la tête dans les mains. 123 DEISTVIIE TRETIE KARTINA PERVAÏA 124 No 19. Polonaise No 20. Scène, écossaise & air de Grémine ONEGIN I zdiés’ mnié skoutchna! Bliésk i souiéta bol’chova Sviéta nié rassiéïat’ viétchnaï Tamitel’naï taski! Oubif na païédinké drouga, Dajif bes tzéli, bes troudof, Da dvadtzati chesti gadof, Tamias’ bezdiéistviiém dassouga, Bes sloujby, bes jény, bez diél; Siébia zaniat’ ia nié soumiél! Mnoï avladiéla bespakoïstva, Akhota k pérémiénié miést, TROISIÈME ACTE SCÈNE 1 Un bal dans le grand salon d’un palais de Saint-Pétersbourg. 125 No 19. Polonaise No 20. Scène, écossaise & air de Grémine ONÉGUINE Ici aussi, je m’ennuie ! L’éclat de la société, son animation Ne peuvent apaiser mon dégoût Mortel du monde ! J’ai tué en duel mon ami, Je n’ai pas de but, pas d’occupation, J’ai atteint vingt-six ans, Épuisé par le néant du désœuvrement, Sans travail, sans famille, sans emploi ; Je n’ai rien trouvé à quoi me consacrer ! J’étais animé par l’angoisse et Le désir constant de changement, TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE Viés’ma moutchitel’noïé svoïstva, Niémnoguikh dabravol’nyi kriést! Astavil ia svaïi siéliénia, Lésof i nif ouiédiniénié, Gdié akravavlennaïa tién’ Ka mnié iavlialas’ kajdyi dién’! Ia natchal stranstviïa bez tzeli Dastoupnyi tchoustvou adnamou... I chto j? K niéstchastiou maïémou I stranstviïa mnié nadaïéli! Ia vazvratilsia i papal, Kak Tchatskiï, s karablia na bal! 126 GOSTI Kniaguinia Grémina! Smatrité! Smatrité! Katoraïa? Siouda vzglianité! Vot ta, chto siéla ou stala. Bespiétchnaï priélestiou mila! ONEGIN Oujel’ Tatyana? Totchna... Nièt!... Kak! Iz glouchy stepnykh siéliéniï? Nié mojét byt’! Nié mojét byt’! I kak prasta, kak viélitchava, Kak niébriéjna!... Tzaritzei kajétza ana! TATYANA Skajite, kto éta?... ... Tam s moujem? Nié razgliajou. TROISIÈME ACTE SCÈNE 1 Irritant traits de caractère, Bien peu porteraient cette croix ! J’ai quitté ma campagne, La solitude des bois et des prés, Où un spectre ensanglanté Devant moi se dressait chaque jour ! J’ai d’abord voyagé, sans but, Où ma fantaisie me conduisait... Et qu’arriva-t-il ? Pour mon malheur, Les voyages aussi étaient ennuyeux ! Je revins et débarquai, Comme Tchatski, du navire au bal ! Le prince Grémine entre avec Tatiana, très élégante. Elle s’assoit sur un divan. LES INVITÉS La princesse Grémine ! Regardez ! Regardez ! Laquelle est-ce ? Là-bas voyez ! Elle vient de s’asseoir à cette table. Délicieuse de beauté sereine ! ONÉGUINE Est-ce Tatiana ? Certainement... Non ! Quoi ? Du fin fond de son village de la steppe ? Ce n’est pas possible ! Ce n’est pas possible ! Et quelle simplicité, quelle dignité, Quelle aisance !... On dirait une reine ! TATIANA (aux invités qui l’entourent) Dites, qui est-ce ?... ... Près de mon mari ? Je ne le reconnais pas. 127 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE GOSTI Tchoudak pritvornyi, petchal’nyi, strannyi Soumasbrot. V tchoujikh kraïakh on byl... I vot, viérnoulsia k nam tépiér’ Onegin! TATYANA Iévgiéniï? GOSTI On izviéstén vam? TATYANA Sassiét on pa dériévnié nam. O, bojé! Pamagui mnié skryt’, Douchy oujasnaïé valniénié... 128 ONEGIN Skaji mnié. Kniaz’, nié zniaéch ty, Kto tam v malinavam bériété S paslom ispanskim gavarit? GREMIN Aha! Davno j ty nié byl v sviété! Postoï, tiébia predstavliou ia. ONEGIN Da kto j ana? GREMIN Jéna maïa! ONEGIN Tak ty jénat? Nié znal ia ranié! Davno li? TROISIÈME ACTE SCÈNE 1 LES INVITÉS Un singulier personnage, excentrique, bizarre Mélancolique. Il a voyagé à l’étranger... Et à présent, il nous est revenu, Onéguine ! TATIANA Eugène ? LES INVITÉS Le connaissez-vous ? TATIANA Il est notre voisin à la campagne. (À part) Ô Dieu ! Aide-moi à cacher Le terrible trouble de mon âme... ONÉGUINE (à Grémine) Dis-moi, Prince, connais-tu Cette femme à la toque écarlate Qui parle à l’ambassadeur d’Espagne ? GRÉMINE Aha ! Longtemps tu n’as pas fréquenté la société ! Attends, je vais te présenter. ONÉGUINE Oui, mais qui est-ce ? GRÉMINE Mon épouse ! ONÉGUINE Tu es donc marié ? Je ne savais pas ! Depuis longtemps ? 129 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE GREMIN Okala dvoukh liét. ONEGIN Na kom? GREMIN Na Larinaï... ONEGIN Tatianié! GREMIN Ty iéi znakom? ONEGIN Ia im sassiét! 130 N o 20 a. Air du prince GREMIN Lioubvi vsié vozrasty pakorny, Iéio paryvy blagatvorny I iounoché v rastzviété liét Iédva ouvidevchémou sviét, I zakalionnomou osud’boï Baïtzou s siédoïou galavoï! Onegin, ia skryvat’ nié stanou, Bezoumna ia lioubliou Tatianou! Taskliva jizn maïa tekla; Ana iavilas’ i zajgla, Kak solntza loutch srédi niénastia, Mnié jizn’, i moladast’, da, Moladast’, i tstchastié! Sriédi loukavykh, maladouchnykh, TROISIÈME ACTE SCÈNE 1 GRÉMINE Environ deux ans. ONÉGUINE Avec qui ? GRÉMINE Une Larine... ONÉGUINE Tatiana ! GRÉMINE Tu la connais ? ONÉGUINE Je suis un de ses voisins ! 131 No 20 a. Air du prince GRÉMINE L’amour ne se soucie pas de l’âge, Ses joies réjouissent autant Ceux de la fleur de l’âge Dont les yeux s’ouvrent au monde, Que le guerrier aux cheveux blancs, Trempé par l’expérience ! Onéguine, je ne te le cacherai pas, J’aime passionnément Tatiana ! Tristement, ma vie s’écoulait ; Elle apparut et l’illumina, Comme un soleil dans un ciel noir, Me rendant la vie et la jeunesse, oui, La jeunesse, et le bonheur ! Parmi ces enfants gâtés, sournois, TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE Chal’nykh. Balovannykh détiéi, Zladiéiév i smechnykh i skoutchnykh, Toupikh, priviaztchivykh soudiéi, Sriédi kakiétak bagamol’nykh, Sriédi khalopiéf dabravol’nykh, Sriédi vsiédniévnykh, modnykh stzen, Outchtivykh, laskovykh izmién, Sriédi khalodnykh prigavoraf Jestokasiérdoï souiéty, Sriédi dassadnoï poustaty Rasstchotov, dum i razgovorov, Ana blistaiét, kak zviézdza Va mraké notchi, v niébe tchistom I mnié iavliaiétza vsiégda V siïanyi anguéla, V siïanyi anguéla loutchistom. Lioubvi vsié vozrasty pakorny... 132 No 21. Scène, arioso d’Onéguine & écossaise GREMIN Itak, païdiom, tiébia predstavliou ia. Moï drouk, pazvol’ tiébié predstavit’ Radniou i drouga maïévo, Onéguina. TATYANA Ia otchén’ rada. Vstretchalis’ priéjdé s vami my. ONEGIN V dériévnié! Da... Davno. TATYANA Atkouda? Ouch nié iz nachikh li staron? TROISIÈME ACTE SCÈNE 1 Médiocres, stupides, Ces vauriens ridicules et creux, Ces juges stupides et ignorants, Parmi les coquettes bigotes, Parmi les flatteurs serviles, Parmi l’aimable hypocrisie mondaine, La trahison doucereuse habituelle, Parmi les vanités cruelles Au jugement glacé, Dans ce vide terrible Du calcul, de la pensée, de la parole, Elle brille dans la nuit obscure Comme une étoile dans un ciel pur, Et m’apparaît toujours Comme un ange, Comme un ange auréolé. L’amour ne se soucie pas de l’âge... 133 N o 21. Scène, arioso d’Onéguine & écossaise GRÉMINE Allons, viens, je vais te présenter. (Il le conduit vers Tatiana.) Ma chérie, permets-moi de te présenter Un parent, un vieil ami, Onéguine. TATIANA (avec simplicité) Enchantée. Nous nous sommes déjà rencontrés. ONÉGUINE À la campagne ! Oui... autrefois. TATIANA D’où arrivez-vous ? De notre région peut-être ? TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE ONEGIN O nièt! Iz dal’nikh stranstviï Ia vazvratilsia. TATYANA I davno? ONEGIN Sivodnia. TATYANA Drouk moï, oustala ia! 134 ONEGIN Oujel’ ta samaïa Tatyana, Katoraï ia naiédinié, V gloukhoï, daliokaï staranié V blagom pylou nravaoutchénia, Tchital kagda-ta nastavliénia? Ta diévatchka katoroï ia Préniébrégal v srmiriénnoï dolé? Oujéli to ana byla tak ravnadouchna, tak sméla? No chto sa mnoï? Ia kak va snié! Chto chéviél’noulas’ v gloubinié douchy Khalodnoï i lenivoï? Dasada, souiétnost’ il vnof’, Zabota iounasti lioubof’? Ouvy, somniénia nièt vlioublion ia Vlioublion, kak mal’tchik, Polnyi strasti iounaï. Pouskaï paguibnou ia, no priéjdé Ia v aslépitel’naï nadiéjdé Vkouchou valchebnyi iad jélaniï, TROISIÈME ACTE SCÈNE 1 ONÉGUINE Oh non ! Je suis revenu D’un long voyage à l’étranger. TATIANA Depuis quand ? ONÉGUINE Aujourd’hui. TATIANA (au Prince) Mon ami, je suis fatiguée ! Elle sort au bras de son mari. ONÉGUINE Est-ce vraiment la même Tatiana À qui, en tête-à-tête, Au fin fond d’une campagne, Dans un belle ferveur morale, Je fis jadis un sermon ? La même jeune fille Que j’ai méprisée dans sa simplicité ? Vraiment elle, si sereine, si sûre d’elle ? Qu’est-ce qui m’arrive ? Je dois rêver ! Qu’est-ce qui s’émeut au tréfonds de mon cœur Froid et nonchalant ? Anxiété, vanité ou, une fois encore, Le feu de la jeunesse, l’amour ? Hélas, aucune doute, je suis amoureux, Amoureux comme un gamin, Un gamin enflammé. Que je meure, mais d’abord Dans un espoir brûlant, Il me faut goûter le philtre magique 135 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE Oup’ious’ niésbytatchnoï metchtoï! Viézdié viézdié on prédo mnoï, Obras jélannyi, daragoï! Viézdié viézdié on prédo mnoïou! KARTINA VTORAÏA No 22. Scène finale 136 TATYANA O! Kak rnnié tiajélo! Apiat’ Onegin stal na pouti maïom, Kak prizrak bespastchadnyi! On vzoram oghniénnym Mnié douchou vazmoutil, On strast’ zaglokhchouiou Kak jiva vaskrésil, Kak boutta snova Diévatchkoï ia stala, Kak boutto s nim ménia Nichto nié razloutchalo! TATYANA Davol’no, vstan’té, ia daljna Vam ab’iasnitza atkraviénno. Onegin, pomnité l’ tot tchas Kagda v sadou, v alliéié nas, Soud’ba sviéla i tak smiriénno Ourok vach vyslouchala ia? TROISIÈME ACTE SCÈNE 2 De l’amour, le poison du rêve ! Partout, partout devant moi, Je vois la chère image ! Partout, partout je la vois ! SCÈNE 2 Une salle de réception dans le palais du Prince Grémine. Tatiana entre, une lettre à la main. No 22. Scène finale TATIANA Oh ! Comme je suis angoissée ! Une fois encore, Onéguine croise ma route, Comme un fantôme impitoyable ! Son regard brûlant Trouble mon cœur Et ranime ma passion endormie, Comme si j’étais à nouveau La jeune fille de jadis, Comme si rien Ne nous avait Jamais séparé ! (Elle éclate en sanglots.) Onéguine paraît. Il regarde Tatiana, puis se jette à ses pieds. Calmement, elle lui fait signe de se relever . TATIANA Il suffit, relevez-vous, il me faut Vous parler franchement. Onéguine, vous rappelez-vous cette heure Où, dans l’allée du jardin, Le destin nous réunit et où j’écoutai, Humiliée, votre leçon ? 137 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE ONEGIN O, sjaltes’, sjaltes’ nada mnoïou! Ia tak achibsia, ia tak nakazane! 138 TATYANA Onegin! Ia tagda malojé, Ia loutchché, kajetza, byla! I ia lioubila vas, no chto jé Chto v vachem siérdtzé ia nachla, Kakoï atviét? Adnou sourovast’! Nié pravda i, vam byla nié novast’ Smiriénnoï diévatchki lioubof’? I nyntché... Bojé, styniét krof’, Kak tol’ka vspomniou Vzgliat khalodnyi i étou propaviéd’! No vas ia nié viniou... V tot strachnyi tchas Vy pastoupili blagarodna Vy byli pravy prédo mnoï. Tagda, nié pravda li v poustynié. Vdali ot souiétnaï malvy, Ia vam nié nravilas’; chto j nynié Ménia presliédouiété vy? Zatchem ou vas ia na primiété? Nié patamou 1’, chto v vyschem sviété Tépiér’ iavliatza ia daljna, Chto ia bagata i znatna, Chto mouch v srajéniakh izouviétchen, Chto nas za to laskaiét dvor? Nié patamou i, chto moï pazor Tépiér’ by vsiémi byt’ zamiétchén I mok by v obstchestvié priniést’ Vam sablaznitel’nouiou tchest’? ONEGIN Akh! O bojé! Oujel’, TROISIÈME ACTE SCÈNE 2 ONÉGUINE Oh, par pitié, par pitié, épargnez-moi ! Je me suis tant trompé, je fus tant puni ! TATIANA Onéguine ! J’étais plus jeune alors, Et bien meilleure, je crois ! Et je vous aimais, mais quoi, Quelle réponse trouvai-je Dans votre cœur ? Rien que de glacial ! En vérité, rien de nouveau pour vous Dans l’amour d’une jeune fille ? Aujourd’hui encore... Dieu, mon sang Se glace au souvenir D’une telle froideur, d’un tel discours ! Mais je ne vous en veux pas... Dans ce moment pénible, Vous avez été honorable, Vous avez bien agi envers moi. À l’époque, n’est-il pas vrai, dans cette campagne Éloignée des frivolités du beau monde, Je ne vous plaisais pas ; pourquoi alors Me poursuivre maintenant ? Pourquoi suis-je l’objet de vos attentions ? Se pourrait-il que c’est parce qu’à présent Je fréquente la haute société, Que je suis riche et aristocrate, Et que les blessures glorieuses de mon époux Nous valent les faveurs de la cour ? Ne serait-ce point parce que ma déchéance Serait remarquée de tous Et vous vaudrait la réputation D’un grand séducteur ? ONÉGUINE Ah ! Ô Dieu ! Se pourrait-il 139 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE Oujel’ v malbié maïei smiriénnoï Ouvidit vach khalodnyi vzor Zatiéyi khitrosti prezriénnoï? Ménia terzaiét vach oukor! Kagda b vy znali, kak oujasna Tamitza jajdaïou lioubvi, Pylat’ i razoumom vsiétchasna, Smiriat valniénié v kkravi, Jélat’ abniat’ ou vas kaliéni I, zarydaf ou vachikh nok Islit’ mol’by, priznania piéni Vsio, vsio chto vyrazit’ by mok! TATYANA Ia platchou! 140 ONEGIN Platch’té, éti sliozy Darojé vsiékh Sakrovistch mira! TATYANA Akh! Ststchastié byla tak vazmojna, Tak bliska! Tak bliska! ONEGIN Akh! TATYANA I ONEGIN Ststchastié byla tak vazmojna, Tak blizka! Tak blizka! TATYANA No soud’ba maïa ouch réchéna. I bezvazvratna, ia vychla zamouch, Vy daljny, ia vas prachou ménia astavit’! TROISIÈME ACTE SCÈNE 2 Se pourrait-il, que dans mon humble prière Votre froid regard ne voit rien Que le calcul d’une misérable ruse ? Vos reproches me font souffrir ! Si vous saviez combien il est dur De souffrir de peine d’amour, D’endurer et de ramener sans cesse À la raison la fièvre de son sang, De désirer étreindre vos genoux, Et, pleurant à vos pieds, De répandre reproches, serments et plaintes, Tout, tout ce que je veux exprimer ! TATIANA Je pleure ! ONÉGUINE Pleurez, ces larmes Me sont plus précieuses Que tous les trésors du monde ! TATIANA Ah ! Le bonheur était si proche, Si proche ! Si proche ! ONÉGUINE Ah ! TATIANA & ONÉGUINE Le bonheur était si proche, Si proche ! Si proche ! TATIANA Mais mon destin est tout tracé, Et sans appel. Je suis mariée. Je vous en supplie, vous devez me laisser ! 141 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE ONEGIN Astavit’? Astavit’? Kak!... Vas astavit’? Nièt! Nièt! Paminoutna videt’ vas, Pavsioudou sliédavat’ za vami, Oulybkou oust, dvijénié vzgliat, Lavit’ vlioublionnymi glasami, Vnimat’ vam dolga panimat’ Douchoï vsio vaché saviérchenstva. Pret vami v strastnykh moukakh zamirat’, Blednièt’ i gasnout’: vot blajenstva, Vot adna metchta maïa adno blajenstva! 142 TATYANA Onegin, v vachem siérdtzé iést’ I gordast’, i priamaïa tchest’! ONEGIN Ia nié magou astavit’ vas! TATYANA Iévgeniï! Vy daljny, Ia vas prachou ménia astavit’. ONEGIN O, sjal’tes’! TATYANA Zatchem skryvat’, zatchem loukavit’, Akh! Ia vas lioubliou! ONEGIN Chto slychou ia? TROISIÈME ACTE SCÈNE 2 ONÉGUINE Vous laisser ? Vous laisser ? Comment ? Vous laisser ? Non ! Non ! Vous voir à toute heure, Veiller sur votre seuil, suivre Votre sourire, vos pas, votre regard Avec des yeux amoureux, Vous écouter pendant des heures, saisir En mon cœur votre perfection. (Il saisit sa main qu’il couvre de baisers.) Périr devant vous de souffrances passionnées, Blêmir et mourir : voilà ma joie, Mon seul rêve, mon seul bonheur ! TATIANA (retirant sa main, un peu effrayée) Onéguine, dans votre cœur il y a De l’orgueil et un honneur vrai ! ONÉGUINE Je ne vous laisserai pas ! TATIANA Eugène ! Vous le devez. Je vous prie de me laisser. ONÉGUINE Ô, pitié ! TATIANA Pourquoi le cacher, pourquoi faire semblant, Ah ! Je vous aime ! ONÉGUINE Qu’entends-je ? 143 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE Kakoïé slova ty skazala! O, radast’! Jizn maïa! Ty priéjniéiou Tatianoï stala! TATYANA Nièt! Nièt! Prochlava nié varatyt’! Ia atdana tépiér’ drougomou, Maïa soud’ba ouch rechéna. Ia boudou viék iémou viérna. 144 ONEGIN O, nié gani, ménia ty lioubich! I nié astavliou ia tiébia. Ty jizn’ svaïou naprasno sgoubich! To volia niéba: ty maïa! Vsia jizn’ tvaïa byla zalogam Saïédiniéniïa sa mnoï! I znaï: tiébié ia poslane bogam, Da groba ia khranitel’ tvoï! Nié mojech ty ménia atrinout’, Ty dlia ménia daljna pakinout’ Pastylyi dom, i choumnyi sviét. Tebié drougoï darogui nièt! TATYANA Onegin, ia tviérda astanous’; ONEGIN Nièt, nié mojech ty... ... Ménia atrinout’... TATYANA ... Soudboï drougomou... Ia dana, S nim boudou jit’ i nié rastanous’; TROISIÈME ACTE SCÈNE 2 Quels mots as-tu dits ! Ô joie ! Ma vie ! Tu es la Tatiana d’autrefois ! TATIANA Non ! Non ! Le passé ne revient pas ! Je suis maintenant à un autre, Mon destin est déjà scellé, Je lui serai toujours fidèle. ONÉGUINE Ô, ne me repousse pas, tu m’aimes ! Et je ne te laisserai pas. Tu sacrifies ta vie pour rien ! C’est la volonté du ciel : tu es à moi ! Toute ta vie était la promesse De notre union ! Et sache-le : Dieu m’a envoyé à toi. Je suis ton ange jusqu’à la mort ! Tu ne peux pas me repousser, Pour moi, tu dois laisser Cette maison sinistre, la rumeur du monde. Tu n’as pas d’autre choix ! TATIANA Onéguine, je suis inébranlable. ONÉGUINE Non, tu ne peux pas... ... Me repousser... TATIANA ... Le destin m’a donnée... à un autre, Je vivrai avec lui, je ne le laisserai pas. 145 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE ONEGIN ... Y dlia ménia... ... Daljna pakinout’ vsio vsio... Pastylyi dom i choumnyi sviét! Tiébié drougoï darogui nièt! O, nié gani ménia, maliou! Ty lioubich ménia; ty jizn’ svaïou Naprasna sgoubich! Ty maïa naviék maïa! 146 TATYANA ... Nièt, kliatvy Pomnit’ ia daljna! Glouboka v siérdtzé pranikaiét, Iévo attchaïannyi prizyf No, pyl prestoupnyi padavif, Dolk tchesti sourovyï, Sviastchennyi tchoustva pabejdaiét! Ia oudaliaïous’! ONEGIN Nièt! Nièt! Nièt! Nièt! TATYANA Davol’na! ONEGIN O, maliou: nié oukhadi! TATYANA Nièt, ia tviérda astanous’! ONEGIN Lioubliou tiébia, lioubliou tiébia! TROISIÈME ACTE SCÈNE 2 ONÉGUINE Pour moi... ... Tu dois tout laisser, tout... Cette maison sinistre, la rumeur du monde ! Tu n’as pas d’autre choix ! Ô ne me repousse pas, je t’en supplie ! Tu m’aimes ; tu sacrifies ta vie Pour rien ! Tu es à moi, pour toujours ! TATIANA ... Non, je n’oublierai pas Mon serment ! Au fond de mon cœur, son appel Fait vibrer une corde enfouie. Mais j’ai étouffé une flamme coupable, Mon honneur, mon devoir dur et sacré Sera vainqueur de la passion ! Je vous laisse ! ONÉGUINE Non ! Non ! Non ! Non ! TATIANA C’est assez ! ONÉGUINE Ô, je t’en supplie : ne pars pas ! TATIANA Non, je suis résolue ! ONÉGUINE Je t’aime, je t’aime ! 147 TCHAÏKOVSKI EUGÈNE ONÉGUINE TATYANA Astaf’ ménia! ONEGIN Lioubliou tiébia! TATYANA Prastchaï naviék! ONEGIN Ty maïa! Pazor!... taska!... O jalkiï, jrébiï moï! 148 Translittération révisée par le Centre linguistique franco-russe de Lyon TROISIÈME ACTE SCÈNE 2 TATIANA Laisse-moi ! ONÉGUINE Je t’aime ! TATIANA Adieu pour toujours ! (Elle sort.) ONÉGUINE Tu es à moi ! (Il reste immobile un moment, pétrifié de douleur.) Honte !... Douleur !... Ô mon pauvre destin ! (Il sort rapidement.) 149 CAHIER de LECTURES Alexandre Pouchkine Eugène Onéguine (extraits) Marina Tsvétaeva Les leçons de Tatiana Fédor M. Dostoïevski Tatiana, la femme russe — Correspondance de Tchaïkovski Eugène Onéguine est d’une poésie infinie André Lischke Un succès en demi-teintes ALEXANDRE POUCHKINE EUGÈNE ONÉGUINE Le héros [Chapitres 1 & 2] Sans préambule à l’instant même, Présentons-le tout uniment : C’est le héros de mon roman. Mon camarade Onéguine Naquit, lecteur, à Pétersbourg, Où vous aussi vîtes le jour Et vous brillâtes, j’imagine ; Jadis, j’y flânais, jour et nuit : Mais le climat du nord me nuit. [...] Mon Onéguine est libre, il vole : Coiffé à la dernière école, Vêtu comme un dandy, enfin Il voit le monde, il en a faim. C’est un français irréprochable Qu’il employait dans tous les cas, 153 ALEXANDRE POUCHKINE Dansait fort bien la mazurka Et s’inclinait d’un air affable – Chacun l’aima en le jugeant Aussi charmant qu’intelligent. [...] L’ennui traquait notre Onéguine Dans un village délicieux Où l’homme simple, j’imagine, Aurait cent fois béni les cieux. Son ami [Chapitre 2] Or un nouveau propriétaire Vint s’installer alors tout près, [...] Vladimir Lenski, un poète, Fleur de Göttingue, cœur et tête, Beau, jeune et fort, empli d’ardeur De Kant brûlant admirateur, Des brumes bleues de l’Allemagne Portait les fruits de l’instruction – Des rêves de libération, Une âme d’aigle des montagnes, Un discours vif et ampoulé, De longs cheveux noirs et bouclés. Olga [Chapitre 2] D’Olga dès son adolescence, L’âme encor vierge de souffrir, Il avait vu en innocence Les jeux d’enfants et les plaisirs ; [...] Des yeux bleu ciel, des boucles blondes, Tout en Olga, – ses joues bien rondes, 154 EUGÈNE ONÉGUINE Sa voix, ses moindres mouvements, Vous... Mais n’importe quel roman Nous en présente la peinture, Peinture qui, jadis, m’a plu, Mais dont le charme n’agit plus Et qui m’ennuie outre mesure. Permettez-moi de me tourner Vers Tatiana, sa sœur aînée. Tatiana [Chapitre 2] Oui, Tatiana... Les tendres pages De nos romans n’ont jamais vu Nommer ainsi un personnage* ; Ma foi, ceci est un début. [...] Donc, Tatiana... Ce nom, je l’ose. Ni par le charme de sa sœur, Ni sa fraîcheur au teint de rose Elle n’aurait séduit les cœurs. Sauvage, sombre, silencieuse, Biche des bois, toujours anxieuse, Elle avait l’air parmi les siens, Venue d’ailleurs, surgie de rien. Inapte à plaire, à sourire, elle Ne câlinait pas ses parents, Enfant, avec d’autres enfants, Ne jouait pas à la marelle Mais restait seule à la croisée, Tout absorbée dans ses pensées. * Tatiana est un prénom typiquement paysan, d’un usage, donc, théoriquement impossible en littérature. (NdT) 155 ALEXANDRE POUCHKINE Visite chez les Larine [Chapitre 3] « J’y vais, c’est l’heure. » – On peut savoir Quel est le nom de la retraite Où tu t’enterres tous les soirs ? « Chez les Larine. » – [...] Attends, je sais, Je vois ces gens comme en peinture : Un foyer simple, de chez nous, Hospitalier et tout et tout – Des régiments de confiture, Et les potins jusqu’à la nuit, La basse-cour, le lin, la pluie... [...] Eh quoi, tu pars ? tant pis, mais bon, Dis, à propos, Lenski, peut-on La voir, cette divine idole, Objet de songes et d’écrits, De larmes, de rimailleries ? Présente-moi. – « Vraiment ? » – Parole. « C’est bien. » – Quand donc ? « Viens avec moi, Nous recevoir sera leur joie. » [...] Et les amis s’élancent ; Ils entrent ; on déploie pour eux Ce zèle non sans insistance, L’art de l’accueil de nos aïeux. [...] Mais à l’allure la plus vive, Rentrent chez eux nos deux héros. Prêtons une oreille furtive (Nous le pouvons) à leurs propos. [...] « Et Tatiana, laquelle était-ce ? » 156 EUGÈNE ONÉGUINE – C’est l’autre, enfin, qui est entrée Avec ce masque de tristesse Et s’est assise à la croisée. « Attends, tu aimes la cadette ? » – Pourquoi ? « Moi, si j’étais poète C’est l’autre que j’aurais choisie ; Les traits d’Olga n’ont pas de vie, Comme Van Dyck peint la Madone – C’est bien joli, c’est rose et blond, C’est bête comme l’astre rond Dans ce ciel bête et monotone. » Lenski fut sec en répondant Et ne desserra plus les dents. Et cependant, chez les Larine Ce fut l’événement soudain Que l’apparition d’Onéguine, De quoi distraire les voisins. On vit mystère sur mystère Chacun y fut d’un commentaire – Sourire en coin, bon mot corsé : Tania avait un fiancé. Tatiana en amour [Chapitre 3] Tania prenait d’abord ces fables Avec dépit ; mais en secret C’est une joie comme impalpable Qui malgré elle l’entraînait. L’idée surgit, une heure heureuse Fleurit – elle était amoureuse. [...] Depuis longtemps l’ardente sève Montait, oppressée, en son sein L’âme attendait... juste quelqu’un. 157 ALEXANDRE POUCHKINE Il arriva... Ses yeux s’ouvrirent ; Elle se chuchota : c’est lui ! [...] Tania, Tania, douce rêveuse, À présent, je pleure avec toi ; D’une ombre tyrannique et creuse Tu as choisi d’être la proie. [...] La nuit descend ; la lune brille Sur les cieux sombres et secrets ; Dans les ténèbres des forêts Un rossignol poursuit ses trilles, Et Tatiana, qui ne dort pas, À sa nounou parle tout bas. [...] La voilà seule. Cieux sereins. Elle écrit, penchée sur sa feuille Ne pense plus qu’à Evgueni, Et dans sa lettre désunie Sa candeur vibre et se recueille ; Sa lettre est prête, elle est pliée. « Je vous écris – quoi d’autre à dire ? J’ai tout dit si je vous écris. » Tania ! à qui t’es-tu liée ? Le sermon d’Onéguine [Chapitre 4] D’abord ce fut un long silence, Mais Onéguine s’approcha Et : « Vous m’avez écrit, je pense » Commença-t-il. « Ne niez pas. J’ai lu l’aveu d’une âme pure, Son innocence, sa droiture ; Il m’a paru certes charmant ; Il fit jaillir des sentiments 158 EUGÈNE ONÉGUINE Que bien longtemps j’avais fait taire : Pourtant, mon blâme reste entier, Et je me dois de vous payer Par un aveu aussi sincère ; [...] Vous aimerais-je ? – accoutumé, Je cesserai de vous aimer ; Vous pleurerez ; vos pauvres larmes, Loin de pouvoir toucher mon cœur Accroîtront juste sa fureur ; [...] Vous aimerez encor. Mais quoi... À l’avenir soyez plus sage ; Un autre aurait compris plus mal ; Tant de candeur sera fatal. » Tel fut le sermon d’Onéguine Des larmes lui voilant les yeux, Muette, un poids sur la poitrine, Tania l’écoutait de son mieux. La fête de Tatiana [Chapitre 5] A deux battants s’ouvre la porte – Lenski et Onéguine. « Enfin ! » Crie Larina, « Mon Dieu ! » [...] On fait asseoir les deux amis. Face à Tania – et, pâlissante, Ainsi la lune au jour naissant, Biche harassée, elle est tremblante, Et son regard, s’obscurcissant, Reste baissé ; toute son âme Brûle, elle étouffe, elle se pâme : 159 ALEXANDRE POUCHKINE Les deux amis l’ont saluée. [...] Les nerfs, les crises féminines, Les évanouissements subits Insupportaient mon Onéguine, Lui avaient trop gâché la vie. Quand ce toqué vit les convives, Il fut fâché. Devant la vive Flamme qui avait pris Tania, Baissant les yeux, il enragea ; Il se jura, comme en vengeance De faire bien bisquer Lenski [...] Touchant l’instant de sa vengeance, Evgueni, triomphant d’avance, Va vers Olga, et, tous les deux, Ils dansent tant qu’on ne voit qu’eux. [...] Les gens s’étonnent ; Vladimir, Eberlué, se sent frémir. [...] Il n’y tient plus ; Lenski tout pâle, Vouant la femme et son cœur faux Au diable, exige ses chevaux Et part. Deux pistolets, deux balles – Un point c’est tout ! – Voilà, soudain, De quoi répondre à son destin. Le duel [Chapitre 6] Dorénavant, le doute est vain : Ils se retrouveront au moulin Dès qu’ils verront le jour paraître, Et, là, tous deux, ils viseront La cuisse ou carrément le front. 160 EUGÈNE ONÉGUINE [...] Evgueni s’adresse à Lenski : – Donc, on y va ? « Oui, je suppose », Répond Lenski, et chacun part Sur le terrain. [...] Les armes luisent, la baguette Tinte sous le maillet, glissant Au fond du fût à six facettes La balle. Et le chien claque. Un lent Filet de poudre tombe, claire, Au bassinet. [...] Les deux amis s’arment. C’est tout. « Marchez. » Les ennemis s’avancent ; Pour l’instant, ils ne visent pas. Leurs pas sont fermes, froids ; silence ; Ils font les quatre premiers pas, Marches mortelles, assassines. Sur sa lancée, là, Onéguine A entrepris de redresser Son pistolet, sans se presser. Voila cinq pas supplémentaires. Plissant l’œil gauche, alors, Lenski Vise à son tour, mais Evgueni Tire... L’heure a sonné sur terre, Et le poète sans un bruit, Laisse échapper son arme, puis Pose sa main sur son sein gauche Et tombe. Dans ses yeux brumeux, Nulle douleur – la mort qui fauche. [...] Inerte, il gisait là, et pâle, 161 ALEXANDRE POUCHKINE Son front plein d’une étrange paix. Du sein qu’avait troué la balle Le sang en s’écoulant fumait. Voilà encore une seconde, Ce cœur était empli d’un monde, Rêvant, aimant et haïssant, Tremblant de vie, bouillant de sang : C’est comme une maison déserte, Vouée au vide pour toujours, Tout y est calme, triste et lourd. Volets fermés, vitres couvertes De craie. La maîtresse est loin. Où ça ? Dieu sait. Plus trace, rien. Errance voyageuse d’Onéguine [Chapitre 8] Il fut saisi par l’inquiétude, Le besoin de changer d’endroit (Torture certes des plus rudes, Bien peu choisissent cette croix.) Il délaissa son ermitage Et les forêts de son village Où ne cessait de le hanter Le pauvre spectre ensanglanté Et se mit à courir la terre, Toujours en proie au souvenir, Et les voyages, pour finir Comme le reste, le lassèrent ; Il en revint, tant bien que mal, Tel Tchatski, « du navire au bal* ». * Référence au Malheur d’avoir de l’esprit de Griboïedov. Tchatski, le personnage principal, débarque littéralement et se retrouve dans un bal donné par la famille de sa bien-aimée – laquelle, pendant son absence, s’est détournée de lui. (NdT) 162 EUGÈNE ONÉGUINE Soirée chez le prince [Chapitre 8] – Qui est-ce ?... – Et Evgueni se pince. – C’est elle ?... Est-ce possible ?... Non. Quoi ?... du fin fond de sa province ?... [...] Prince qui est-ce, le sais-tu, Cette femme au béret framboise Qui cause avec l’ambassadeur ? « Oui, tu débarques, mon cher cœur... » Répond le prince, et il le toise : « Je te présente dans l’instant. » – Qui est-ce enfin ? « Ma femme. » – Attends... Tu es marié ?... Oui, imagine... » – Avec qui ? « Une Larine. » – Quoi, Tatiana ? « Tu la connais ? » – C’est ma voisine. « Eh bien, splendide », Répond le prince, et il le guide Vers la princesse, le présentant Un vieil ami, presque un parent. Elle a levé les yeux. Peut-être A-t-elle été bouleversée, Abasourdie – mais en pensées Elle n’a laissé rien paraître : Le même ton, la même voix, Un salut affable et courtois. Non, rien qui pût trahir la fièvre, Rougeur, pâleur, brusque souci – Un tremblement au coin des lèvres, Un frémissement des sourcils. Il cherche, il scrute – quoi qu’il fasse, Il ne retrouve plus de trace De la Tania qu’il connaissait. 163 ALEXANDRE POUCHKINE [...] L’enfant si simple, et monotone... Il se sentit rongé au cœur Par sa distance et sa rigueur. [...] Quel rêve étrange l’a saisi ? Dans l’âme qui semblait transie Remue comme une vie nouvelle – Lubie ou rage, ou bien retour De sa folie d’antan – l’amour ? [...] Le long des quais, où a couru Mon Evgueni ? Question risible ; Qui donc, lecteur, ne devina ? Oui, mon toqué incorrigible, Il vole, il court chez Tatiana. Il entre, il est plus blanc qu’une ombre ; Le vestibule est vide et sombre. La salle ; l’autre salle aussi. Une autre porte. Il est saisi, Bouleversé dans tout son être. C’est la princesse... Il s’est figé... Assise, pâle, en négligé, Lisant je ne sais quelle lettre ; Pleurant tout bas, pleurant sans fin, La joue appuyée sur la main. Qui n’eût senti que la détresse Rongeait son âme à cet instant, N’eût reconnu en la princesse Tania, notre Tania d’avant ! [...] « Et le bonheur était si proche, Oui, si possible !... [...] Je suis mariée. Pour vous, il faut 164 EUGÈNE ONÉGUINE S’il vous plaît, me laisser vous-même. Je sais qu’il est dans votre cœur De la fierté et de l’honneur. À quoi bon feindre, je vous aime, Mais j’appartiens à mon époux Et lui serai fidèle en tout. » Elle est partie. Pour Onéguine, Il reste là, tétanisé. À quels yeux noirs, à quelle ruine Son cœur se retrouve exposé ! [...] Et là, notre héros, lecteur, Juste à l’instant de sa douleur, Quittons-le de façon furtive. Pour longtemps, pour toujours. Assez De routes avons-nous tracées Ensemble au cours des ans. La rive Est là. Mes félicitations ! Il était temps, j’ai l’impression. Extraits de Eugène Onéguine, traduit du russe par André Markowicz, © Éditions Actes Sud, 2005 (Intertitres : Opéra de Lyon) MARINA TSVÉTAEVA LES LEÇONS DE TATIANA Un peu plus tard – j’avais six ans, ma première année de musique – à l’école de musique Zograf-Plaskina, passage Merzliakov – on donnait – rien que ce nom ! – une soirée publique pour Noël. Une scène de “La Roussalka”, puis Rognèda et : Transportons-nous dans le jardin Où Tatiana le vit soudain. Un banc. Sur le banc – Tatiana. Entre Onéguine. Il ne s’assied pas. C’est elle qui se lève. Ils restent debout, tous les deux. Mais il n’y a que lui qui parle. Il parle longtemps, tout le temps. Elle, elle ne dit pas un mot. Et je comprends alors que le gros chat roux, et Augusta Ivanovna, et les poupées – tout ça n’est pas l’amour. L’amour, c’est ça : un banc, et ellesur le banc, et lui qui entre, et lui qui parle tout le temps, et elle qui ne dit pas un mot. – Alors, Moussia, qu’est-ce que tu as préféré ? (Ma mère, à la fin.) 166 LES LEÇONS DE TATIANA – Tatiana et Onéguine. – Vraiment ? Pas “La Roussalka”, avec le moulin, le prince et le démon ? Pas Rognèda ? – Tatiana et Onéguine. – Mais comment ça ? Qu’est-ce que tu as pu y comprendre ? Eh bien ! de quoi est-ce que ça parle ? Silence. Ma mère, triomphante : – Ah ! tu vois bien – tu n’as pas compris un mot. C’est bien ce que je pensais. Et à six ans, encore ! Qu’est-ce qui a bien pu te plaire là-dedans ? – Tatiana et Onéguine. – Tu es complètement idiote ! Une vraie tête de mule ! (Se tournant vers le directeur de l’école, Alexandre Léontiévitch Zograf, venu la saluer :) Je la connais ; maintenant, pendant tout le trajet, tout ce qu’elle va trouver à répondre à mes questions, c’est « Tatiana et Onéguine ». Vraiment, elle n’est pas sortable. Pas un enfant au monde n’aurait préféré « Tatiana et Onéguine » : ils auraient tous préféré “La Roussalka” – au moins, ça, c’est un conte, on comprend tout. Je ne sais pas quoi faire avec cette enfant ! – Mais, ma petite, pourquoi donc, « Tatiana et Onéguine » ? (M. Zograf, avec une douceur infinie.) (Moi – le silence. Mais – à pleine voix :) – Parce que c’est – l’amour. [...] Sur le chemin du retour – traîneau glissant, traîneau de nuit – ma mère qui se fâche : « Quelle honte ! Même pas dit merci pour la mandarine ! Amoureuse d’Onéguine, comme une imbécile, et à six ans !... » Pas d’Onéguine, Maman, mais d’Onéguine et Tatiana (et plus de Tatiana, peut-être), des deux ensemble – de l’amour. Jamais, plus tard, je n’ai écrit un de mes textes sans être amoureuse des deux ensemble (d’elle – un peu plus), et pas des deux, mais de leur amour. De l’amour. 167 MARINA TSVÉTAEVA Ce banc où ils ne se sont pas assis se révéla déterminant. Ni à l’époque ni plus tard – jamais je n’ai aimé quand on s’embrasse, – toujours quand on se quitte. Jamais quand on s’assied – toujours quand on va son chemin. Ma première scène d’amour fut toute – non-amour : il n’aimait pas (je comprenais) – il ne s’est pas assis ; c’est elle qui aime, et qui se lève donc. Pas un instant ils n’ont été ensemble, ils ont fait le contraire : il parlait, elle ne disait mot ; il n’aimait pas, elle aimait ; il est parti, elle est restée – soulevez le rideau : elle reste là, elle s’est assise, peut-être, parce qu’elle n’était debout que pour lui – elle s’est donc effondrée, elle restera assise – à tout jamais. À tout jamais, elle est assise sur ce banc. Ma première scène d’amour détermina toutes les autres, cette passion pour l’amour malheureux, impossible – à sens unique. Dès cet instant, j’ai refusé toute idée de bonheur et je me suis vouée – au non-amour. C’était ça, l’essentiel : il n’aimait pas, et elle, elle a aimé ainsi – rien que pour ça, et lui entre tous, lui et pas un autre, parce qu’elle savait, au plus profond, qu’il ne pouvait répondre à son amour. (Cela, je le dis aujourd’hui, mais à six ans je le savais déjà. Aujourd’hui, j’ai appris à le dire.) Ceux qui possèdent le don fatal de l’amour malheureux – l’amour sans la réponse, l’amour pris sur soi seul – ont le génie des dissemblances. Pas que cela – Eugène Onéguine détermina bien autre chose. Si pendant toute ma vie, jusqu’à aujourd’hui même, j’ai toujours écrit – la première, toujours – tendu la main – au diable tous les juges – la première, c’est qu’à l’aube de mes jours, Tatiana dans son livre, à la lumière de la chandelle, la natte détresséesur la poitrine, l’avait, sous mes yeux – fait. Plus tard, quand ils partaient (ils sont toujours partis), je n’ai jamais tendu les mains, je ne me suis jamais retournée : c’est que dans le jardin, alors, Tatiana était restée figée. Statue. 168 LES LEÇONS DE TATIANA Leçon de courage. Leçon de fierté. Leçon de fidélité. Leçon de destin. – Leçon de solitude. * * * Quelle autre nation possède une telle héroïne de l’amour ? – Courage et dignité – amour et constance – clairvoyance et amour. Pas de rancune dans la confession de Tatiana. – Voilà pourquoi la pleine vengeance frappe Onéguine, voilà pourquoi il reste « comme frappé de foudre ». Tous les atouts en main pour se venger ou pour le rendre fou, tous les atouts pour l’humilier, le rendre humus, terre portant ce banc, parquet de cette salle où elle a tout anéanti par cet unique aveu : « Pourquoi feindrais-je ? – Je vous aime. » Pourquoi feindrais-je ? – Mais pour vaincre, pour triompher – sur qui ? C’est à cela, vraiment, que Tatiana ne sait quelle réponse – intelligible – faire : la revoici, debout, dans le cercle magique de la salle, comme alors, – dans le cercle magique du jardin – cercle de son amour à sens unique – sans nul secours, alors, béni, maintenant – alors et maintenant – aimante, jamais ne pouvant être aimée. Tous les atouts en main. Or, elle ne joue pas. Oui, jeunes filles, avouez – les premières, et puis, écoutez les sermons, puis épousez des médaillés couverts de gloire, puis écoutez les confessions, et puis refusez-les – vous serez mille fois plus heureuses que l’autre héroïne, celle qui, ses désirs exaucés, n’a d’autre solution que se coucher sur les rails. Entre la plénitude du désir et l’exaucement de ses désirs, entre la plénitude de la souffrance et le vide du bonheur, mon choix était fait – à l’origine. Mon origine fut – ce choix. Car Tatiana forma aussi ma mère. Quand mon grandpère, A.D. Meyn, lui imposa le choix entre le bien-aimé ou 169 MARINA TSVÉTAEVA lui, elle choisit son père et pas le bien-aimé, puis elle fit un mariage mieux que celui de Tatiana, pour laquelle « Tous les partis se valaient bien. » – Un veuf, deux fois plus âgé qu’elle, père de deux enfants, amoureux de sa première femme. Elle épousa – les enfants et le malheur, aimant, aimant toujours – le refusé, qu’elle ne chercha plus jamais à revoir, et auquel, le retrouvant par hasard à une conférence de son mari, alors qu’il l’assaillait de questions sur sa vie, sur son bonheur, que sais-je – elle répondit : « J’ai une fille d’un an, c’est un très beau bébé, elle est très intelligente, je suis parfaitement heureuse... » (Seigneur, comme elle devait à cet instant, moi le « très beau bébé », le bébé « très intelligent », me haïr – pour n’être pas sa fille – à lui !) Ce n’est donc pas une influence pour toute la vie, cette influence est ma vie même. Sans Tatiana, je n’aurais pas – été. Les femmes lisent les poètes – comme ça. Il est symptomatique que ma mère ne m’ait pas appelée Tatiana – pour m’épargner quand même un peu, sans doute... * * * Depuis l’enfance, je réduis Eugène Onéguine à trois scènes : la chandelle – le banc – le parquet. D’aucuns de mes contemporains y ont vu un magnifique jeu d’esprit, presque une satire. Ils ont peut-être raison, mais je l’ai lu à sept ans... À cet âge où n’existent ni jeux d’esprit ni satires : existent les sombres jardins (le nôtre, à Taroussa), le lit défait et la chandelle (la nôtre, dans notre chambre), les parquets astiqués (celui de notre grande salle), existe l’amour (le mien, celui dans ma poitrine – là). Extrait de Mon Pouchkine, traduit du russe par André Markowicz, © Clémence Hiver éditeur, 1987 FÉDOR M. DOSTOÏEVSKI TATIANA, LA FEMME RUSSE Onéguine arrive de Pétersbourg – nécessairement de Pétersbourg, c’était sans aucun doute une précision indispensable à son poème, et Pouchkine ne pouvait omettre un détail de cette importance dans la biographie de son héros. [...] Au début du poème, il n’est encore qu’à moitié un fat et un mondain, il a trop peu vécu encore pour trouver le temps de se désenchanter entièrement de la vie. Mais déjà commence à le visiter parfois et à le tourmenter « le noble démon d’un ennui secret ». Dans ce coin perdu de province, au cœur de son pays natal, il ne se sent évidemment pas chez lui, ce n’est pas son milieu familier. Il ne sait qu’y faire, il se sent comme un visiteur à son propre foyer. Par la suite, quand il errera avec ennui à travers son propre pays et à travers les pays étrangers, il se sentira encore davantage, en homme incontestablement intelligent et incontestablement sincère qu’il est, étranger à luimême jusque parmi les étrangers. Il est bien vrai qu’il aime 171 FÉDOR M. DOSTOÏEVSKI tout comme un autre sa terre natale, mais il ne lui fait pas confiance. Il a certes entendu parler aussi des idéaux qu’elle nourrit, mais il ne croit pas en eux. Il ne croit qu’à la totale impossibilité d’un travail quel qu’il soit sur le sillon natal, et ceux qui croient à la possibilité de ce travail – ils étaient peu nombreux alors comme aujourd’hui – il les regarde d’un air de raillerie attristée. Il a tué Lenski par simple hypocondrie, peut-être, qui sait, par nostalgie bilieuse d’un idéal de vie... c’est tellement dans nos cordes que c’est vraisemblable. Telle n’est pas Tatiana ; elle, c’est un être ferme, solidement campé sur son sol. Elle est plus profonde qu’Onéguine, et assurément plus intelligente que lui. Son seul généreux instinct lui suffit pour pressentir où et en quoi réside la vérité, ce qui ressort bien du motif final du poème. Peut-être même Pouchkine aurait-il mieux fait d’intituler son poème du nom de Tatiana plutôt que de celui d’Onéguine, car elle est sans conteste le héros principal. Elle est un type positif et non négatif, elle est le type de la beauté positive, elle est l’apothéose de la femme russe, et c’est elle que le poète a destiné à exprimer la pensée de son ouvrage dans la scène célèbre de la dernière rencontre de Tatiana et d’Onéguine. [...] Et la voici qui dit fermement à Onéguine : Je vous aime, à quoi bon ruser ? Mais je suis l’épouse d’un autre, Et je lui resterai fidèle. C’est en femme russe qu’elle a prononcé ces mots, c’est son apothéose. Elle résume la vérité du poème. [...] Si elle a refusé de le suivre, bien qu’elle lui ait dit ellemême « je vous aime », est-ce parce que, « femme russe » (et non point méridionale ou française quelconque), elle ne serait pas capable d’une démarche audacieuse, elle n’aurait pas la force de briser ses chaînes, elle ne serait pas de taille à sacrifier les prestiges des honneurs, de la richesse, de la mondanité, des conventions de la vertu ? Non, la femme russe sait 172 TATIANA LA FEMME RUSSE être audacieuse. La femme russe suit hardiment la voie qui est celle de sa foi, et elle l’a prouvé. Mais elle est « l’épouse d’un autre, et elle lui reste fidèle ». Et à qui donc, à qui est-elle fidèle ? À quels devoirs ? Est-ce donc à ce vieux général qu’elle ne peut pourtant pas aimer puisqu’elle aime Onéguine, et qu’elle n’a épousé que parce que sa mère «l’en suppliait et l’en conjurait en pleurant », alors qu’il n’y avait dans son âme offensée et blessée que désespoir, nulle espérance et nulle lumière ? Oui, elle est fidèle à ce général, son mari, homme d’honneur qui l’aime, qui la respecte et qui est fier d’elle. Sa mère a bien pu la supplier, c’est elle, et personne d’autre qu’elle, qui a donné son consentement, c’est elle et elle-même qui lui a juré d’être sa loyale épouse. Qu’importe qu’elle l’ait épousé par désespoir, il est maintenant son époux, et sa trahison le couvrirait de honte et d’opprobre et le tuerait. Or, peut-on fonder son bonheur sur le malheur d’autrui ? [...] Que peut être un bonheur fondé sur le malheur d’un autre ? Imaginez, s’il vous plaît, que vous entrepreniez d’édifier les destinées humaines en vous donnant pour but de rendre les hommes heureux, de leur donner finalement la paix et la tranquillité ; et imaginez en même temps qu’il faille pour cela, nécessairement et inéluctablement, mettre au supplice ne serait-ce qu’un seul être humain, et plus encore, qu’il ne soit même pas tellement digne d’intérêt, que ce soit même un être ridicule aux yeux de tel ou tel, non pas quelque Shakespeare, mais tout simplement un honnête vieillard, le mari d’une femme jeune en l’amour de laquelle il croit aveuglément sans rien connaître de son cœur, et qui l’aime, la respecte, est fier d’elle, heureux par elle et sans méfiance. Et qu’il suffise de le couvrir de honte, de le déshonorer et de le faire souffrir pour pouvoir bâtir votre édifice sur les larmes de ce vieillard déshonoré ! Consentiriez-vous à être l’architecte d’un édifice bâti sur de telles fondations ? Voilà la question. [...] 173 FÉDOR M. DOSTOÏEVSKI Dites, Tatiana pouvait-elle prendre une autre décision, elle dont l’âme est si élevée et dont le cœur a tant souffert. Non, la décision de sa pure âme russe est celle-ci : « Qu’importe, qu’importe que je sois seule privée de bonheur, qu’importe que mon malheur soit infiniment plus grand que celui de ce vieillard, qu’importe enfin que jamais personne, ni ce vieillard non plus, ne connaisse mon sacrifice et ne le mesure, mais je ne veux pas être heureuse en faisant le malheur d’un autre ! » Il y a là une tragédie et elle se consomme, il y a là une barrière qui ne saurait être franchie, il est trop tard et Tatiana a éconduit Onéguine. Extrait d’un discours du 8 juin 1880 à la séance solennelle de la Société des Amis de la littérature russe Publié dans Journal d’un écrivain, 1880 Traduction de Gustave Aucouturier Bibliothèque de la Pléiade, © Gallimard Eugène Onéguine est d’une poésie infinie CORRESPONDANCE de TCHAÏKOVSKI Tchaïkovski à son frère Modest 18 mai 1877 La semaine dernière, j’étais chez Lavroskaïa. La conversation porta sur les sujets d’opéra. Son imbécile de mari disait les pires inepties et proposait les sujets les plus invraisemblables. Lavroskaïa ne disait rien, se contentant de sourire avec indulgence. Soudain elle dit « Et si vous preniez Eugène Onéguine ? » L’idée me parut invraisemblable et je ne répondis rien. Puis, étant aller dîner tout seul dans une auberge, je repensai à Onéguine et, en y réfléchissant, je commençai à trouver l’idée de Lavroskaïa acceptable. Elle commença même à m’enthousiasmer et, vers la fin du repas, ma décision était prise. Je courus chercher le livre de Pouchkine. Je le trouvai non sans mal, rentrai à la maison, le relus avec émerveillement, et passai une nuit sans sommeil, dont le résultat fut un charmant scénario sur un texte de Pouchkine. Le lendemain, j’allai chez Chilovski, qui est en train d’adapter mon scénario à toute allure. [...] 175 PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI Tu auras du mal à croire à quel point je suis enthousiasmé par ce sujet. Je suis tellement heureux de me débarrasser de toutes ces princesses éthiopiennes, de ces pharaons, de ces empoisonnements, de toute cette emphase. Eugène Onéguine est d’une poésie infinie. Je reste cependant lucide, je sais qu’il y aura peu d’effets scéniques et peu d’action dans cet opéra. Mais la poésie de l’ensemble, l’aspect humain et la simplicité du sujet, servis par un texte génial, compensent largement ces défauts. Tchaïkovski à son frère Modest Glebovo, le 9 juin 1877 Peu importe que mon opéra soit peu scénique et manque d’action. Je suis amoureux de l’image de Tatiana, je suis émerveillé par les vers de Pouchkine. Il est vrai que l’on ne peut imaginer conditions plus favorables à la composition que celles dont je jouis ici. J’ai à ma disposition une maison entière, parfaitement meublée, et lorsque je travaille, je ne vois personne, excepté Aliocha. [...] J’ai déjà écrit le deuxième tableau du premier acte (Tatiana avec la nourrice) et j’en suis fort satisfait. L’essentiel du premier tableau est prêt également. Tchaïkovski à Karl Albrecht, inspecteur de la musique des théâtres impériaux 15 décembre 1877 Voilà ce qu’il me faut pour Onéguine : 1) des chanteurs de moyenne force mais bien préparés et sûrs d’eux-mêmes ; 2) des chanteurs qui sachent jouer tout simplement tout en jouant bien ; 3) il me faut une mise en scène sans luxe, mais qui corresponde rigoureusement à l’époque à laquelle se passe l’action (c’est-à-dire les années 1820) ; 4) les chœurs ne doivent pas être un troupeau de brebis comme sur la scène impériale, mais des humains qui prennent part à l’action de l’opéra ; 176 EUGÈNE ONÉGUINE EST D’UNE POÉSIE INFINIE 5) le chef d’orchestre ne doit pas être une machine, ni même un musicien à la Napravnik dont le seul souci est qu’on joue bien do et non do dièse. [...] Pour rien au monde je ne donnerai Onéguine à la direction de Saint-Pétersbourg ni à celle de Moscou. Et s’il se fait qu’on ne peut pas le jouer au Conservatoire, alors qu’on ne le joue nulle part. Tchaïkovski à sa mécène Madame von Meck 28 décembre 1877 Je pense à mon opéra. Où trouverai-je cette Tatiana, que Pouchkine avait imaginée et que j’ai essayé d’illustrer musicalement ? Où prendrai-je l’artiste qui se rapprochera un tant soit peu de l’Onéguine idéal, de ce froid dandy imprégné jusqu’à la moelle des os des bonnes manières mondaines ? Où prendra-t-on Lenski, ce jeune homme de dix-huit ans à l’abondante chevelure et aux réactions impulsives et originales d’un jeune poète à la Schiller ? Le ravissant tableau de Pouchkine sera terriblement avili lorsqu’on l’aura transporté sur la scène et livré à la routine, aux traditions absurdes et aux vétérans qui n’hésitent pas à jouer les jeunes filles de seize ans et les adolescents imberbes. Tchaïkovski à Nikolaï Rubinstein 11 février 1878 J’ai totalement fini l’opéra. Maintenant, je recopie simplement le livret et, dès que tout est prêt, je l’envoie à Moscou. Extraits recueillis dans Tchaïkovski au miroir de ses écrits d’André Lischke, © Fayard, 1998 ANDRÉ LISCHKE UN SUCCÈS EN DEMI-TEINTES La création d’Eugène Onéguine eut lieu le 17 mars 1879 au Théâtre Maly de Moscou, devant une salle bondée, dans l’interprétation des élèves du Conservatoire, sous la direction de Nikolaï Rubinstein. L’effectif orchestral et choral était relativement modeste : 32 musiciens et 48 choristes – 28 femmes et 20 hommes. Tout ne se passa pas sans quelques accrocs – les étudiants eurent beau faire preuve de plus de fraîcheur que les vieux routiers des Théâtres impériaux, ils déployèrent aussi moins de métier. Dans une lettre à Madame von Meck du 19 mars, Tchaïkovski relata les moments essentiels et les angoisses de la première représentation, qui s’était plutôt moins bien passée que les répétitions. Le passage dangereux du premier acte, le quatuor vocal, avait été raté à cause d’une défaillance de l’interprète du rôle d’Olga. Onéguine et Lenski ne plurent guère. Les applaudissements allèrent surtout à Klimentova, interprète de Tatiana, aux couplets de Monsieur Triquet, à Grémine et aux chœurs du premier acte. Mais au total, on put cependant parler d’un succès réel. 178 UN SUCCÈS EN DEMI-TEINTES Les comptes rendus furent divers et plutôt positifs, quoique la plupart s’accordant sur le peu d’effets scéniques et surtout sur la qualité douteuse du livret et l’inadaptation à la musique de certains passages du texte. Laroche, dans les Moskovskie Vedomosti[Nouvelles de Moscou] du 22 mars, fit observer : « On sent assez nettement, dans l’opéra, que le texte poétique a été malmené et il faut tout le talent, toute l’inspiration de P.I. Tchaïkovski pour nous le faire accepter, ou plutôt oublier. » Son article s’avéra pourtant l’un des plus élogieux et des plus justes que ce musicographe versatile écrivit sur son ami : « Dans peu de ses œuvres antérieures Tchaïkovski aura été autant lui-même que dans Eugène Onéguine. [...] La générosité mélodique jaillit de chaque page de la partition : les magnifiques cantilènes (surtout dans les parties vocales de Tatiana, de Lenski et de Grémine) nous font oublier que nous vivons à la fin du XIXe siècle, époque où l’invention mélodique, selon un verdict général, est totalement tarie. [...] Une douceur veloutée, une sorte de lumière vespérale élégiaque imprègne toute l’œuvre. » Allant dans le même sens, le critique Levenson dans les Rousskie Vedomosti[Nouvelles russes] déclara : « L’œuvre de M. Tchaïkovski, malgré son absence de vie dramatique, deviendra certainement une des pièces les plus populaires de notre répertoire d’opéra, grâce à un sujet national et à une musique ravissante. » Extrait de Piotr Illitch Tchaïkovski © Fayard, 1993 CARNET de NOTES Piotr Illitch Tchaïkovski Repères biographiques & Notice bibliographique — Alexandre Pouchkine Repères biographiques & Notice bibliographique — Eugène Onéguine Orientations discographiques PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI REPÈRES BIOGRAPHIQUES HISTOIRE TCHAÏKOVSKI 1840. Le règne du tsar Nicolas Ier dure depuis 15 ans. 1840. Naissance le 7 mai à Votkinsk. Son père est gentilhomme, ses ancêtres avaient combattu à Poltava. Son grand-père maternel est le marquis d’Assier émigré en Russie pendant la Révolution française. 1848. Révolutions en Europe. Fondation de la II e république en France. 1849. Kossuth proclame l’indépendance de la Hongrie. 1852. Fondation du Second Empire. 1854. Guerre de Crimée : France et Angleterre contre la Russie. 1855. Avènement du tsar Alexandre II. 1858. Les serfs appartenant à la couronne russe sont affranchis. 182 1845. Sa mère lui donne ses premières leçons de piano. 1850-1859. Études de droit à Saint-Petersbourg. 1852. Il assiste à une représentation de Don Giovanni qui détermine sa vocation musicale. TCHAÏKOVSKI & SON TEMPS MUSIQUE LETTRES, ARTS & SCIENCES 1840. Schumann, Dichterliebe. 1840. Naissance de Zola, de Rodin, de Monet. Poe, Histoires extraordinaires. 1841. Naissance de Chabrier et de Dvorák. 1842. Glinka, Ruslan et Ludmilla. 1842. Publication des Âmes mortes de Gogol. 1844. Naissance de Rimski-Korsakov. 1848. Mort de Chateaubriand. 1849. Mort de Chopin. 1852. Mort de Gogol. Tourgueniev, Récits d’un chasseur. 1854. Naissance de Leos Janácek. 1857. Naissance du Groupe des Cinq : Balakirev, Borodine, Cui, Moussorgski, Rimski-Korsakov. Mort de Glinka. 1859. Ostrovski, L’Orage. 183 PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI REPÈRES BIOGRAPHIQUES HISTOIRE 1861. Abolition totale du servage en Russie. TCHAÏKOVSKI 1862. Entre au Conservatoire de Saint-Pétersbourg. 1863. Insurrection polonaise écrasée par la Russie l’année suivante. 1867. Publication en Allemagne du premier livre du Capital de Karl Marx. 1868. Naissance du futur Nicolas II, dernier tsar de Russie. 1870. Guerre franco-prussienne. Naissance de Vladimir Illitch Oulianov (Lénine). 184 1868. Création de la Première Symphonie “Rêves d’hiver” à Moscou sous la direction de Nikolaï Rubinstein. 1869. Création au Bolchoï de son premier opéra, Le Voiévode. Rencontre Franz Liszt. TCHAÏKOVSKI & SON TEMPS MUSIQUE LETTRES, ARTS & SCIENCES 1860. Naissance de Mahler. 1860. Naissance de Tchekhov. 1862. Dostoïevski, Souvenirs de la maison des morts. 1863. Berlioz, Les Troyens. 1864. Naissance de Richard Strauss. 1863. Naissance du metteur en scène Konstantin Stanislavski. 1865-1869. Tolstoï, Guerre et Paix. 1866. Naissance de Vassily Kandinsky. 1867. Rimski-Korsakov, Sadko. 1867. Mort de Baudelaire. 1868. Naissance de Maxime Gorki. Dostoïevski, L’Idiot. 1869. Mort de Dargomijski et de Berlioz. 185 PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI REPÈRES BIOGRAPHIQUES HISTOIRE TCHAÏKOVSKI 1871. Défaite de la France. La Commune de Paris est écrasée dans le sang. 4 septembre : proclamation de la IIIe République. 1875. Création du Premier Concerto pour piano et orchestre à Boston, sous la direction de Hans von Bülow. 1876. Séjourne à Paris où il retrouve son ami Saint-Saëns et rencontre Massenet. Assiste au premier festival de Bayreuth. Premier contact épistolaire avec Madame von Meck qui deviendra son mécène. 1877. Guerre des Balkans. 186 1877. Mariage avec A. Milioukova. Échec conjugual et dépression du compositeur. TCHAÏKOVSKI & SON TEMPS MUSIQUE LETTRES, ARTS & SCIENCES 1871. Verdi, Aïda. 1872. Naissance d’Alexandre Scriabine. 1872. Monet, Impression, soleil levant. Nietzsche, La Naissance de la tragédie. 1873. Naissance de Serge Rachmaninov et de Fédor Chaliapine. 1873. Rimbaud, Une saison en enfer. Tolstoï, Anna Karénine. 1874. Moussorgski, Boris Godounov. Naissance de Schönberg. 1875. Bizet, Carmen. Mort de Bizet. Naissance de Ravel. Inauguration du Palais-Garnier. 1876. Premier festival de Bayreuth. Wagner, La Tétralogie. 1876. Bell invente le téléphone, 1877. Edison invente le phonographe. 1878. Dvorák, Danses slaves. 187 PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI REPÈRES BIOGRAPHIQUES HISTOIRE TCHAÏKOVSKI 1879. Naissance de Iossif Vissarionovitch Djougachvili (Josef Staline). 1879. Création d’Eugène Onéguine par les élèves du Conservatoire de Moscou. 1881. Assassinat du tsar Alexandre II par l’organisation populiste “La Volonté du peuple”. 1880. Création à Moscou du Capriccio italien. 1881-1882. Pogroms contre les Juifs en Russie. 1884. Création de Mazeppa au Bolchoï. 1889. Premier emprunt russe lancé en France. 1890. Au Mariinski de Saint-Pétersbourg, création de La Dame de pique. 1891-1893. Tournées aux États-Unis, en Allemagne, en Suisse, en Italie, en Belgique. 188 TCHAÏKOVSKI & SON TEMPS MUSIQUE LETTRES, ARTS & SCIENCES 1881. Mort de Moussorgski. 1881. Mort de Dostoïevski. 1882. Naissance d’Igor Stravinski. 1882. Naissance de James Joyce. 1883. Naissance de Webern et de Varèse. 1883. Pavlov passe sa thèse de doctorat en médecine. Mort de Karl Marx. 1885. Naissance d’Alban Berg. 1885. Mort de Victor Hugo. 1887. Mort de Borodine. 1887. Naissance de Marc Chagall. Tchekhov, Ivanov. 1889. Rimski-Korsakov, Schéhérazade. 1890. Création posthume du Prince Igor de Borodine. 1890. Naissance de Boris Pasternak. 1891. Naissance de Serge Prokofiev. 1891. Naissance d’Ossip Mandelstam. 189 PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI REPÈRES BIOGRAPHIQUES HISTOIRE TCHAÏKOVSKI 1892. Création de Casse-Noisetteau Mariinski de Saint-Petersbourg. 1893. Tchaïkovski dirige lui-même la création de la Sixième Symphonie “Pathétique”. Il meurt du choléra neuf jours plus tard. 190 TCHAÏKOVSKI & SON TEMPS MUSIQUE LETTRES, ARTS & SCIENCES 1892. Naissance de Marina Tsvétaeva. 1893. Verdi, Falstaff. 1893. Émile Zola, Le Docteur Pascal, dernier volet des Rougon-Macquart. Naissance de Maïakovski. 191 PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE Du compositeur PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI. Voyage à l’étranger, Collection Les Inattendus, Le Castor astral, 1993. Tchaïkovski au miroir de ses écrits, textes choisis, traduits et présentés par André Lischke, Fayard, 1998. Sur le compositeur MICHEL . R. H OFFMAN. Tchaïkovski, Collection Solfèges, Seuil, 1959. GUY ERISMANN. Tchaïkovski, l’homme et son œuvre,Seghers, 1964. NINA BERBEROVA. Tchaïkovski, Actes Sud, 1987. ANDRÉ LISCHKE. Piotr Illitch Tchaïkovski,Fayard, 1993. Sur Eugène Onéguine Eugène Onéguine, L’Avant-Scène / Opéra, no 43, 1982. 192 ALEXANDRE POUCHKINE REPÈRES BIOGRAPHIQUES 1799. Le 26 mai, naissance à Moscou d’Alexandre Sergueiévitch Pouchkine. Son père est d’une vieille famille de la noblesse. Sa mère est l’arrière-petite-fille de l’Africain Hannibal, filleul du tsar et dont Pouchkine fera le héros de son roman Le Nègre de Pierre le Grand. 1811. Il entre au lycée de Tsarskoïé Siélo qui prépare les jeunes des familles nobles au service de l’État. 1814. Première publication d’un texte de Pouchkine, À un ami poète, dans la revue Le Messager de l’Europe. 1817. Entre au service du ministère des Affaires étrangères. Commence son poème Rouslan et Ludmila 1820. Il est envoyé en exil administratif en Ukraine à la suite de la publication de poèmes jugés séditieux (Liberté, Le Village). 1822. Publication du Prisonnier du Caucase. 1824. Révocation de Pouchkine du service de l’État et exil près de Pskov. 1825. Publication du premier chapitre d’Eugène Onéguine. Pouchkine termine Boris Godounov. 1826. Après l’avènement de Nicolas 1 er, Pouchkine est autorisé à vivre à Moscou, sous étroite surveillance. Le tsar, qui le reçoit, s’est institué son censeur personnel. 1827. Est autorisé à vivre à Saint-Pétersbourg. 193 ALEXANDRE POUCHKINE REPÈRES BIOGRAPHIQUES 1828. Écrit Poltava. 1829. Voyage dans le Caucase et en Arménie. 1830. Après plusieurs interdictions et quelques aménagements, publication de Boris Godounov. (« Le tsar l’a lu avec plaisir », fait savoir Benkendorf, chef du corps des gendarmes de Moscou.) 1831. Mariage avec Natalia Gontcharova qui a seize ans. Réintégration au ministère des Affaires étrangères. 1832. Naissance de sa fille, Marie. 1833. Publication de l’intégralité d’ Eugène Onéguine. Élu membre de l’Académie russe. Naissance de son fils Sacha. 1834. Publication de La Dame de pique dans la revue Le Cabinet de lecture. 1835. Publication du Conte du Coq d’or. Naissance de son fils Grégoire. 1836. Naissance de sa fille Nathalie. Publication de La Fille du Capitaine. 1837. Provoque en duel Georges d’Anthès qui faisait à sa femme une cour insistante depuis plusieurs mois : Pouchkine est blessé le 27 janvier. Il meurt le 29. (D’Anthès, émigré français qui servait dans l’armée russe est destitué et expulsé. Sous le Second Empire, il sera sénateur et président du conseil général du Haut-Rhin.) 194 ALEXANDRE POUCHKINE NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE Sur l’écrivain JEAN-LOUIS BACKÈS. Pouchkine par lui-même, Le Seuil, 1966. Pouchkine, Hachette, 2000. ABRAM TERTZ [alias ANDRÉ SINIAVSKI]. Promenades avec Pouchkine, traduit du russe par Louis Martinez, Collection Pierres vives, Le Seuil, 1976. MARINA TSVÉTAEVA. Mon Pouchkine suivi de Pouchkine & Pougatchov, traduits du russe par André Markowicz, Clémence Hiver éditeur, 1987, 2010. HENRI TROYAT. Pouchkine, biographie, Perrin, 1999. Revue Europe no 843 : Pouchkine, 1999. Œuvres de Pouchkine Eugène Onéguine : - édition bilingue, traduction de Marc Semenoff et Jacques Bour, Aubier, 1979. - traduction d’André Markowicz, Actes-Sud, 2005. Boris Godounov / Écrits autobiographiques / Proses diverses / Récits en prose (dont La Dame de pique, Le Nègre de Pierre le Grand, La Fille du Capitaine...), Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1973. Dans le collection Classiques slaves des éditions L’Âge d’homme : Œuvres poétiques(2 volumes) / Œuvres en prose, drames, romans (1 volume) / Le Talisman / Eugène Onéguine. Correspondance en français, Ombres, 2001. 195 EUGÈNE ONÉGUINE ORIENTATIONS DISCOGRAPHIQUES BORIS KHAÏKIN Orchestre & Chœurs du Théâtre du Bolchoï de Moscou Evgeni Belov (Onéguine), Galina Vichnievskaïa (Tatiana), Sergueï Lemeshev (Lenski), Larissa Avdeyeva (Olga), Ivan Petrov (Grémine), Valentina Petrova (Larina), Evgenia Verbitsakaïa (Filipievna), Andrei Sokolov (Triquet) Mélodyia – 1955 MSTISLAV ROSTROPOVITCH Orchestre & Chœurs du Théâtre du Bolchoï de Moscou Yuri Mazurok (Onéguine), Galina Vichnievskaïa (Tatiana), Vladimir Atlantov (Lenski), Tamara Siniavskaïa (Olga), Alexander Ognitsev (Grémine), Tatiana Tugarinova (Larina), Larissa Avdeyeva (Filipievna), Sergueï Vlassov (Triquet) EMI – Melodyia – 1970 JAMES LEVINE Orchestre de la Staatskapelle de Dresde Chœurs de la Radio de Leipzig Thomas Allen (Onéguine), Mirella Freni (Tatiana), Neil Shicoff (Lenski), Anne Sofie von Otter (Olga), Paata Burchuladze (Grémine), Rosemarie Lang (Larina), Ruthild Engert (Filipievna), Michel Sénéchal (Triquet) DG – 1989 SEIJI OZAWA Orchestre philharmonique de Vienne Chœurs de l’Opéra de Vienne Wolgang Brendel (Onéguine), Mirella Freni (Tatiana), Peter Dvorsky (Lenski), Rohangiz Yachmi (Olga), Nicolaï Ghiaurov (Grémine), Gertrud Jahn (Larina), Margarita Lilowa (Filipievna), Heinz Zednik (Triquet) Enregistrement public réalisé en 1988 ORFEO – 2004 196 NOTES COLLECTION OPÉRA de LYON BÉLA BARTÓK Le Château de Barbe-Bleue, 2007 LUDWIG VAN BEETHOVEN Fidelio, 2003 ALBAN BERG Wozzeck,2003 Lulu, 2009 GEORGES BIZET BENJAMIN BRITTEN Djamileh, 2007 Curlew River, 2008 Le Songe d’une nuit d’été, 2008 Mort à Venise, 2009 EMMANUEL CHABRIER DIMITRI CHOSTAKOVITCH CLAUDE DEBUSSY PASCAL DUSAPIN Le Roi malgré lui, 2005, 2009 Moscou, quartier des cerises,2004, 2009 Pelléas et Mélisande, 2004 Faustus, The last night, 2006 PETER EÖTVÖS Lady Sarashina, 2008 GEORGE GERSHWIN Porgy and Bess, 2008 PHILIP GLASS GEORG-FRIEDRICH HAENDEL HANS WERNER HENZE Dans la colonie pénitentiaire, 2008 Alcina, 2006 L’Upupa & le triomphe de l’amour filial, 2005 TOSHIO HOSOKAWA Hanjo, 2008 LEOS JANÁCEK Jenufa, 2005 Kátia Kabanová, 2005 L’Affaire Makropoulos, 2005 FRANZ LEHÁR MICHAËL LEVINAS FRANK MARTIN CLAUDIO MONTEVERDI La Veuve joyeuse, 2006 Les Nègres, 2004 Le Vin herbé,2008 L’Orfeo, 2004 Le Couronnement de Poppée,2005 COLLECTION OPÉRA de LYON WOLFGANG AMADEUS MOZART La Flûte enchantée, 2004 Cosi fan tutte, 2006 Les Noces de Figaro, 2007 La Clémence de Titus, 2008 Don Giovanni, 2009 JACQUES OFFENBACH Les Contes d’Hoffmann, 2005 La Vie parisienne, 2007 FRANCIS P OULENC La Voix humaine, 2007 GIACOMO PUCCINI Il Tabarro, 2007 SERGE PROKOFIEV Le Joueur, 2009 Manon Lescaut, 2009 JEAN-PHILIPPE RAMEAU KAIJA SAARIAHO SALVATORE SCIARRINO JOHANN S TRAUSS R ICHARD STRAUSS IGOR STRAVINSKY TAN DUN PIOTR ILLITCH TCHAÏKOVSKI Les Boréades, 2004 Émilie, 2010 Luci mie traditrici, 2007 La Chauve-Souris, 2008 Ariane à Naxos, 2005 The Rake’s Progress, 2007 Tea, 2004 Mazeppa, 2006, 2010 Eugène Onéguine, 2007, 2010 La Dame de pique, 2008, 2010 MICHEL VAN DER AA G IUSEPPE VERDI After Life, 2010 Falstaff, 2004 La Traviata, 2009 R ICHARD WAGNER Lohengrin, 2006 Siegfried, 2007 KURT WEILL Le Vol de Lindbergh, Les Sept Péchés capitaux,2006 ALEXANDER VON ZEMLINSKY Une tragédie florentine, 2007 Chargé d’édition Jean Spenlehauer Remerciements Éditions Clémence Hiver Conception & Réalisation Brigitte Rax / Clémence Hiver Impression Imprimerie Lussaud Opéra national de Lyon Saison 2009/10 Directeur général Serge Dorny OPÉRA NATIONAL DE LYON Place de la Comédie 69001 Lyon Renseignements & Réservation 0.826.305.325 (0,15 e/mn) www.opera-lyon.com L’Opéra national de Lyon est conventionné par le ministère de la Culture et de la Communication, la Ville de Lyon, le conseil régional Rhône-Alpes et le conseil général du Rhône. ISBN 978-2-84956-050-1 Dépôt légal : avril 2010 ACHEVÉ d’IMPRIMER au printemps 2010 pour les représentations de d’EUGÈNE ONÉGUINE à l’Opéra national de Lyon dans une mise en scène de PETER STEIN & sous la direction musicale de KIRILL PETRENKO