Les dilemmes éthiques de l`informaticien
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Les dilemmes éthiques de l`informaticien
Association professionnelle des informaticiens et informaticiennes du Québec LES DILEMMES ÉTHIQUES DE L'INFORMATICIEN ASSOCIATION PROFESSIONNELLE DES INFORMATICIENS ET INFORMATICIENNES DU QUÉBEC Sylvain Aubut Francine Cormier Esther Ross Février 1994 TABLE DES MATIÈRES Avant-propos................................................................................................................ 2 1. Introduction .............................................................................................................. 3 2. L'informaticien-professionnel..................................................................................... 5 3. L'informaticien-employé ............................................................................................ 7 4. Les dilemmes ............................................................................................................ 9 Maîtrise-d'oeuvre ................................................................................... 9 Pratiques professionnelles....................................................................... 10 Secret professionnel ............................................................................... 11 Responsabilité professionnelle ................................................................ 11 Indépendance d'opinion professionnelle .................................................. 12 5. La contribution d'une corporation professionnelle...................................................... 13 6. Conclusion................................................................................................................ 15 Les dilemmes éthiques de l'informaticien AVANT-PROPOS L'Association professionnelle des informaticiens et informaticiennes du Québec (APIIQ) est une association sans but lucratif, fondée en 1986. Sa mission consiste à "Intervenir dans son champ de compétence pour que l'informatique contribue, de façon efficace et sécuritaire, au développement social, économique et culturel de la société québécoise. Veiller à la formation d'informaticien(ne)s compétents et responsables, et promouvoir une pratique selon des règles d'éthique professionnelle reconnues." Dans cet esprit, l'APIIQ veut réaliser une corporation professionnelle et a déposé une demande en ce sens à l'Office des professions du Québec, en mars 1992. Les objectifs complémentaires à la mission de l'Association sont les suivants: • circonscrire le domaine de l'informatique et le champ d'activités des professionnels de cette discipline, et en maintenir l'intégrité; • assurer la protection du public et des organisations par rapport aux services rendus par les informaticiens; • promouvoir le professionnalisme chez les informaticiens et veiller au respect des règles de l'éthique professionnelle; • veiller à ce que les informaticiens acquièrent une formation de qualité et demeurent au fait des développements; • contribuer à l'avancement de la discipline et à son évolution; • fournir l'expertise professionnelle requise pour alimenter les débats sociaux, économiques et culturels sur l'utilisation des technologies de l'information; • représenter les informaticiens sur toute question où leur compétence et leurs intérêts peuvent être concernés. Note: Dans ce texte, l'emploi du masculin désigne aussi bien les femmes que les hommes. Les dilemmes éthiques de l'informaticien 2 1. INTRODUCTION Comme bien des professionnels, architectes ou comptables par exemples, l'informaticien d'aujour-d'hui oeuvre souvent pour le compte d'une firme de services professionnels, quand il ne travaille pas au sein d'une entreprise ou d'une organisation du secteur public. Il est rarement un travailleur autonome; à preuve, seulement 9% des membres de l'APIIQ se trouvent dans cette situation. C'est donc de la majorité qu'il sera question dans le présent document, soit des salariés. Même s'il n'est pas toujours son propre employeur, l'informaticien présente généralement le comportement d'un professionnel. Son client, autant que son employeur, s'attendent d'ailleurs le plus souvent à ce qu'il agisse comme tel. Dans certaines circonstances, toutefois, on exige de lui un comportement que sa conscience professionnelle réprouve. C'est de cette problématique qu'il sera question dans les pages qui suivent. Pour mieux illustrer les positions que les "acteurs" sont amenés à prendre dans des situations particulières, les comportements décrits seront volontairement placés à deux pôles, que nous associerons à l'informaticien en tant que professionnel ou à l'informaticien en tant qu'employé. De cette façon, il sera plus facile de percevoir la différence entre les types d'attitudes attendues par l'employeur et par le client. Il est évident que certaines caractéristiques sont communes aux deux profils-types. Mais comme notre but premier est de présenter des éléments difficiles à concilier, nous nous attarderons plutôt à présenter ce qui oppose les deux profils qui se retrouvent dans la même personne. Nous espérons faire voir le dilemme dans lequel un individu peut se trouver placé au quotidien quand il ne se sent pas appuyé dans sa démarche professionnelle. Nous exposerons donc notre perception de l'effet que peut avoir une corporation professionnelle sur l'informaticien autant que sur le client et l'employeur. Les dilemmes éthiques de l'informaticien 3 Il est à noter que l'utilisation du terme "informaticien" suppose pour l'APIIQ, une formation universitaire de premier cycle en informatique. Les dilemmes éthiques de l'informaticien 4 2. L'INFORMATICIEN-PROFESSIONNEL L'informaticien se sent le devoir et la capacité d'agir comme un professionnel d'abord parce qu'il détient des connaissances poussées qui le rendent apte à poser des actes professionnels dans le domaine de l'informatique. Le niveau universitaire atteint par l'informaticien assure en effet un niveau de connaissances pertinent pour un professionnel. L'évolution du domaine étant des plus rapides, il a ensuite l'obligation, s'il veut éviter de voir ses connaissances devenir désuètes, de veiller à son développement, par des activités de formation continue. Au surplus, cette formation se doit d'être ouverte, c'est-à-dire qu'elle ne doit pas se limiter aux compétences requises de lui dans le type de mandat qu'il assume habituellement. Dans le quotidien, il applique les règles de l'art de la discipline, sans qu'on ait besoin de lui dire quoi faire et comment le faire. Il est le répondant, celui qui déterminera les étapes à franchir, les engagements à respecter, de même que les moyens requis pour réaliser ce pourquoi on recourt à ses services. Malgré qu'un code de déontologie ne lui soit pas encore imposé, il se donne des règles de conduite ou il se réfère à un code existant. Il se croit tenu au secret professionnel, même si personne ne l'exige légalement. L'informatique prenant de plus en plus de place dans la vie de tous les citoyens, il se doit d'identifier et d'éliminer, dans la mesure du possible, les risques pour eux de s'en remettre aux systèmes qu'il conçoit, développe, implante, ou entretient. Les systèmes informatisés supportent en effet des activités aussi diverses et importantes que la constitution d'un dossier médical, des transactions financières à la Bourse, la détection d'incompatibilité entre médicaments prescrits, etc. La confiance est donc à la base de ses relations avec son client et son employeur. Les dilemmes éthiques de l'informaticien 5 Il maintient une indépendance d'esprit et d'opinion professionnelle, en même temps qu'il s'oblige à être à l'affût de tout ce qui pourrait améliorer sa pratique. Il est convaincu que sa compétence contribue à faire évoluer la profession, autant par son rayonnement que par le partage de ses connaissances à travers des mandats ou réalisations, qu'à l'occasion d'événements tels que des congrès ou colloques. Il prendra toutes les dispositions requises pour que son client, son employeur et la société en général ne soient pas lésés par son intervention ou sa non-intervention. Il se sent responsable vis-à-vis plusieurs niveaux d'intervenants, même s'il n'est pas encore pointé du doigt par le système professionnel. L'informaticien a une identité professionnelle: il se reconnaît dans les personnes ayant la même formation, oeuvrant dans le même champ de compétences et ayant les mêmes préoccupations éthiques. Les dilemmes éthiques de l'informaticien 6 3. L'INFORMATICIEN-EMPLOYÉ On l'a vu plus tôt, l'informaticien est rarement un travailleur autonome. En tant qu'employé, il a donc des valeurs, attitudes et comportements qui tiennent quelquefois plus de l'employé que du professionnel. Une fois embauché, l'informaticien sera généralement invité à développer ses connaissances de façon spécifique, de manière à assumer les mandats qu'on lui confie le plus souvent. Certains employeurs seront toutefois ouverts à une formation plus étendue, si l'intérêt à court et moyen termes est assez évident. Ces limites posées au développement professionnel, si elles sont compréhensibles, ont pour effet de restreindre la vision de l'individu dans ses interventions et de réduire éventuellement la qualité de celles-ci, si des mesures compensatoires ne sont pas appliquées. Dans le quotidien, l'informaticien-employé applique ses connaissances en se conformant aux procédures de travail établies dans l'organisation pour laquelle il travaille. Ces procédures prennent la forme de cadre méthodologique, de protocole de travail, de règles de cheminement de dossiers d'analyse, etc. Les valeurs de l'entreprise ou de l'organisation sont très présentes dans son quotidien. Par obligation ou par socialisation, il y adhère et en fait la promotion. L'estime est à la base de ses relations avec son employeur, en fonction de certaines des caractéristiques personnelles et professionnelles de l'informaticien-employé. Il voit généralement ses activités quotidiennes comme un travail à accomplir, plutôt qu'une pratique professionnelle. Les dilemmes éthiques de l'informaticien 7 Il est généralement convaincu de sa contribution au développement de l'organisation et dans le courant de l'exécution de ses mandats. Il s'oblige à être à l'affût de toute information qui pourrait intéresser, voire avoir de la valeur pour son employeur. L'informaticien-employé s'intéresse au bien de l'organisation qui l'emploie. Il y développe un sentiment d'appartenance et il a tendance à s'identifier à son employeur. Les dilemmes éthiques de l'informaticien 8 4. LES DILEMMES Prises une à une, les caractéristiques relatées précédemment sont compréhensibles et acceptables. Mais il arrive que les valeurs de "l'informaticien-employé" prévalent sur celles de "l'informaticienprofessionnel" ou font que l'employeur donnera préséance à ses attentes vis-à-vis un employé plutôt qu'à celles qu'il aurait vis-à-vis un professionnel. Ces circonstances seront décrites à travers des mises en situation correspondant à la réalité de beaucoup d'informaticiens. Il est à noter que ces situations se présentent plus fréquemment, et les contraintes qu'elles comprennent sont souvent accentuées, dans des conjonctures économiques difficiles. Maîtrise-d'oeuvre Un fournisseur de services professionnels a été choisi pour réaliser le développement d'un logiciel. Le client a accepté l'approche de réalisation proposée par le fournisseur dans sa soumission. Or, l'informaticien dont les services sont facturés sur une base horaire, sait très bien qu'une approche différente donnerait les mêmes résultats avec beaucoup moins d'efforts, tout en respectant les objectifs et les contraintes du client. Il se demandera alors s'il doit faire connaître la nouvelle approche au client de son employeur, pour sauver temps et argent au client, alors que cette approche aurait un impact négatif sur les bénéfices à percevoir par son employeur. Les dilemmes éthiques de l'informaticien 9 Pratiques professionnelles Le client est un établissement hospitalier qui désire que son système informatisé soit implanté dans un délai qui ne permet pas que toutes les fonctions du système soient prêtes à temps. En examinant la liste des fonctions du système, le client choisit de reporter à plus tard le développement et l'installation de la fonction de journalisation des transactions d'accès au dossier, alléguant qu'elle n'est pas essentielle au fonctionnement du système. Le chargé de projet étant peu au courant des règles qui prévalent dans le développement de systèmes de cette nature, accepte la demande du client. L'informaticien qui était affecté à la réalisation de cette fonction dans le plan de travail initial, intervient auprès du chargé de projet, mais ce dernier refuse de soumettre à nouveau la question au client. L'informaticien se trouve alors dans une position délicate: on lui demande de transgresser une règle professionnelle afférente au domaine hospitalier. Le client a fait un choix qu'il regrettera à court terme, car il se trouvera dans l'impossibilité d'identifier les personnes qui auront accédé aux dossiers médicaux, alors qu'il s'agit d'une obligation légale et morale pour les dirigeants de l'établissement de santé. En intervenant pour faire changer les priorités, l'informaticien peut détruire la confiance que le client met dans le chargé de projet, tout comme il court le risque de ne pas être cru par le client. L'informaticien donnera-t-il préséance à la règle professionnelle ou à la décision de son chargé de projet? Les dilemmes éthiques de l'informaticien 10 Secret professionnel Un informaticien oeuvre pour le compte d'une firme de consultation. Il a un mandat dans une organisation. Sur les lieux d'exécution de son mandat, il est informé de décisions dont la divulgation à son employeur pourrait permettre à ce dernier de très bien se positionner lors d'une proposition de services à venir. Mais il ne se sent pas autorisé à rapporter ces informations à son employeur, car son code de déontologie lui indique qu'il est tenu à la discrétion dans l'exécution des mandats qui lui sont confiés. Il aura alors le choix entre le secret professionnel et l'intérêt de son employeur. Responsabilité professionnelle Un informaticien se rend compte que la personne chargée d'effectuer les tests d'ensemble du système qu'il a développé, n'a pas les habiletés et les compétences pour le faire. Cette personne représente les utilisateurs du nouveau système et l'acceptation du système par elle, dégagera l'employeur de l'informaticien de toute responsabilité. L'informaticien sait qu'il pourrait compenser pour les faiblesses du représentant des utilisateurs, mais que cela lui demanderait du temps que son employeur n'est pas prêt à investir. Légalement, sa responsabilité s'arrêtera là où s'arrête celle de son employeur. Mais peut-il laisser passer une telle situation sans rien faire pour protéger les investissements du client? Les dilemmes éthiques de l'informaticien 11 Indépendance d'opinion professionnelle Un informaticien est à l'emploi d'une firme spécialisée en services-conseils, qui détient une licence exclusive de distribution d'un logiciel de système. La firme demande à ses conseillers de promouvoir ce logiciel. Or, il se présente une situation où l'un des conseillers de la firme recommande à son client d'acquérir le logiciel de sa firme. Son collègue, employé de la même firme, est présent lors de l'énoncé de la recommandation, mais il sait qu'un autre produit, vendu par un concurrent, répondrait mieux aux besoins du client et cela, à moindre prix. Les dilemmes éthiques de l'informaticien 12 5. LA CONTRIBUTION D'UNE CORPORATION PROFESSIONNELLE La présence d'une corporation professionnelle changerait le cours des événements décrits précédemment. En effet, l'incorporation professionnelle aurait des conséquences positives sur les pratiques professionnelles des informaticiens. En voici quelques-unes. L'existence d'un code de déontologie serait connue de tous; s'il y était forcé, le professionnel pourrait l'invoquer pour refuser de poser certains gestes qui y seraient contraires. Le sachant reconnu comme professionnel, l'interlocuteur (client ou employeur) de l'informaticien admettrait plus facilement sa compétence à donner un point de vue qui viendrait en contradiction avec ses intérêts immédiats. Plus d'informaticiens seraient regroupés autour de valeurs telles que l'éthique, la compétence et la responsabilité, ce qui étendrait leur application, pour le bien de tous: • le citoyen qui disposerait de mécanismes de protection et d'information; • le client et l'employeur qui auraient une garantie de compétences minimales et de recours en cas de préjudice; • l'informaticien qui pourrait plus facilement développer et maintenir des valeurs professionnelles porteuses d'avenir. Le professionnel pourrait se référer à des pratiques professionnelles documentées et il disposerait de conseils et de soutien dans les situations délicates qui peuvent se présenter. La protection du public serait alors sous la responsabilité d'une entité bien identifiée à laquelle le citoyen pourrait se référer pour plainte et pour information sur un professionnel ou sur les pratiques reliées à la profession. Les dilemmes éthiques de l'informaticien 13 Contrairement à une association professionnelle, une corporation a certains pouvoirs concernant la pratique de ses membres, ce qui lui permet d'intervenir au besoin; malheureusement, la régle- mentation est encore un incitatif plus puissant que la volonté individuelle. L'identité professionnelle serait alors plus facile à développer et ferait équilibre à l'identification à l'employeur. Plus d'informaticiens se feraient un devoir de contribuer à l'évolution de la profession. Les dilemmes éthiques de l'informaticien 14 6. Conclusion Une association professionnelle telle que l'Association professionnelle des informaticiens et informaticiennes du Québec, peut déjà faire progresser les pratiques professionnelles de ses membres dans le sens de l'éthique, de la responsabilité et de la compétence. C'est d'ailleurs ce qu'elle fait dans les limites imposées par un regroupement volontaire. Ces limites sont liées: • au nombre d'informaticiens membres par rapport à ceux qui pratiquent la profession, en ayant ou pas les compétences requises, • à l'application volontaire des règles produites à l'intention des membres (exemple: code de déontologie), • à la crédibilité relative des interventions d'une association par opposition à une corporation. L'incorporation professionnelle n'est pas une panacée. Mais elle peut fournir des outils autant au citoyen qu'à l'informaticien pour que les pratiques professionnelles soient plus saines et se laissent moins dominer par des contingences financières et politiques. Les dilemmes éthiques de l'informaticien 15