French touch - PedroWinter

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French touch - PedroWinter
ART
La " French touch " à l'heure de la relève
1,086 mots
1 avril 2005
Le Monde
LEMOND
26
Français
(c) Le Monde, 2005.
Sous les ors de la Rue de Valois, le 18 février, trônaient des lumières et une sono dignes des soirées
Respect qui, au Queen, emballaient les nuits parisiennes à la fin des années 1990. Le ministre de la culture,
Renaud Donnedieu de Vabres, décorait quelques représentants de la " French touch ", cette vague de DJ et
de musiciens qui ouvrirent les marchés internationaux à la scène électronique française de la fin du XXe
siècle.
Médaille de chevalier des arts et des lettres à la boutonnière, le duo Air (Nicolas Godin et Jean-Benoît
Dunckel), Philippe Zdar (cofondateur de groupes comme Motorbass ou Cassius) et le DJ et producteur
Dimitri From Paris pouvaient méditer sur les oubliés de la cérémonie - pour Etienne de Crécy, Boom Bass
ou St Germain, le ministre promet " une prochaine fournée ". Méditer aussi sur les refus de médailles de
pionniers comme Laurent Garnier ou Daft Punk (pour Pedro Winter, manager de ces derniers, " cette
décoration est un non-sens par rapport à cette culture, à un moment où des soirées sont encore réprimées ").
Réfléchir enfin à l'impact d'un mouvement, son obsolescence - l'expression n'est plus en usage qu'au
ministère - et sa relève.
A l'heure où Daft Punk sort un troisième album, Human After All, fraîchement accueilli en France,
en Espagne et en Allemagne, les espoirs d'une scène électronique hexagonale redescendue de son
piédestal se tournent vers l'efficacité ravageuse de OK Cowboy, premier opus du Dijonnais Vitalic.
" Le terme "French touch˜ a été créé par le magazine anglais Muzik quand celui-ci a choisi, en 1997, de
faire sa couverture sur la scène électronique française ", se souvient Pedro Winter. Pour Philippe Zdar qui,
en 1996, sous le nom de Motorbass, sortait Pansoul, un des premiers albums de house made in France, " ce
qui nous fédérait était notre amour pour la musique et les boucles venues de Chicago ". Sans avoir toujours
les mêmes influences, ces activistes, souvent issus de Paris et de Versailles, se croisaient dans les studios
d'enregistrement. " On se faisait tous écouter nos morceaux, se rappelle Jean-Benoît Dunckel. Chaque
trouvaille de l'un d'entre nous motivait les autres. "
Si un DJ comme Laurent Garnier, ancien résident au club Hacienda de Manchester, avait acquis une
réputation internationale dès le début des années 1990, si son label F Communications, créé avec Eric
Morand, perçait déjà à l'exportation (avec le spectaculaire succès de St Germain et, plus tard, du single
Flat Eric de Mr Oizo), la génération French touch a eu le mérite de donner une image à un genre qui
cultivait une éthique de l'anonymat. " La bonne idée de la "French touch˜, estime l'élégant Dimitri From
Paris, auteur en 1996 de l'album Sacrebleu, a été de concevoir un univers visuel autour de la musique. "
Des vidéastes comme Michel Gondry, Spike Jonze ou Mike Mills viendront ainsi enrichir une vision
musicale dont on ne sous-estimera pas la portée. Considéré dès sa sortie, en 1996, comme un album
révolutionnaire, vendu à l'étranger à plus d'un million d'exemplaires, Homework, le premier opus de Daft
Punk, séduira par son énergie rêche et son art de l'accroche. Le duo formé par Thomas Bangalter et GuyManuel de Homem-Christo est d'ailleurs cité aujourd'hui par nombre de groupes en vogue, à l'instar des
New-Yorkais de LCD Sound System, récemment auteurs du single Daft Punk is Playing at my House.
" SOIRÉES BLINDÉES "
Trop d'imitateurs, un son réduit souvent à une formule (" la disco filtrée "), des déclinaisons caricaturales
ont fini par " transformer la "touche française˜ en insulte ", selon Philippe Zdar. Si des fondateurs comme
Daft Punk ou Air (600 000 exemplaires de leur dernier album, Talkie Walkie, vendus à l'étranger) ont
toujours une importante audience internationale, l'essentiel de la scène française des années 2000 est
retournée dans l'underground. Plus inspirés par le minimalisme allemand que par les paillettes disco, de
petits labels comme Katapult (également magasin de disques parisien) ou Circus Company témoignent d'un
fourmillement créatif, avec des artistes comme Chloé, Ark ou Krikor.
La province a pris le relais d'une " French touch " très parisienne. La région Rhône-Alpes, en particulier,
a enfanté quelques-uns des DJ et producteurs français les plus cotés aujourd'hui à l'étranger, comme
Miss Kittin, Oxia, The Hacker, Agoria ou Vitalic. " Nous avons été nourris par les raves techno quand
les Parisiens s'amusaient dans les soirées house ", explique Michel Amato, alias The Hacker, auteur d'un
succès international, The First Album, en duo avec Miss Kittin, et dont l'album solo, Rêves mécaniques,
publié par Good Life, son propre label, a été distribué dans de nombreux pays. " Notre son est souvent
plus froid, plus minimal. Nous nous définissions en réaction à la French touch, à son côté paillettes et
champagne. Avec Miss Kittin, notre axe passait plus par Berlin que par Londres. " Signé par le label
allemand Gigolo, The First Album a d'abord marché en Belgique, en Espagne et en Allemagne, avant de
toucher l'Angleterre et la France.
Nourri à l'écoute de Jeff Mills et Laurent Garnier, Sébastien Devaud, dit Agoria, n'a pas non plus été
prophète en son pays. " Mon premier maxi, La Onzième Marche, ne s'est écoulé en France qu'à 800
exemplaires ", explique, de retour d'Athènes et de Budapest, ce DJ de 29 ans dont le premier opus,
Blossom, a été sacré meilleur album 2003 par le magazine allemand Groove.
Considérées comme des succès au vue de l'état du marché, les ventes à l'export des albums de Miss Kittin,
The Hacker ou Agoria (environ 50 000 exemplaires chacun) sont loin d'atteindre celles de l'ère dorée de
la " French touch ". " Les maxivinyles peuvent espérer se vendre aujourd'hui à 2 000 exemplaires, dix fois
moins que dans la seconde moitié des années 1990, constate Amato. Les guitares ont fait leur retour, les DJ
ne font plus rêver. "
Agoria croit à un sursaut : " Les disques se vendent mal, mais les soirées sont blindées. Toute une
génération grandit en consommant du numérique, cela devrait avoir un effet sur la musique. " Pour une
seconde vague française ? " Aujourd'hui, les courants se définissent moins par nation, les affinités n'ont pas
de frontières. " Tous espèrent pourtant que le buzz qui accompagne la sortie du premier album de leur pote
Vitalic provoque une étincelle dont ils pourraient profiter.
Stéphane Davet
Indicatif:
Etat des lieux de la scène française électro des années 1990, avec la “French touch”, à
nos jours.

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