le maroc du sud « taroudannt - riad le jardin des orangers

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le maroc du sud « taroudannt - riad le jardin des orangers
LE MAROC DU SUD « TAROUDANNT »
PROTÉGÉE PAR SES REMPARTS DE COULEUR OCRE, TAROUDANNT, APPELÉE «LA
PETITE MARRAKECH», SEMBLE AVOIR ÉTÉ OUBLIÉ PAR LES TOURISTES. ENTRER
PAR L’UNE DE SES PORTES, C’EST PÉNÉTRER DANS L’UNIVERS DU SUD
MAROCAIN, AVEC SES COULEURS ET SES PARFUMS. C’EST DÉCOUVRIR LA
DOUCEUR D’UNE AUTRE FACON DE VIVRE
Arriver à la tombée du jour, lorsque les ombres s’allongent déjà le long des remparts, lorsque le
vent se lève et joue avec les sarouels, malmène les hijabs dans la lumière douce. Flâner au hasard
le long des hauts murs de terre et de pisé, voir se découper dans le ciel encore bleu la ligne crénelée
des fortifications et, plus loin, posées sur l’horizon, les neiges du Haut Atlas.
Puis, enfin, attiré par la rumeur qui palpite de l’autre côté, pénétrer dans la ville par l’une des
portes les plus populaires, Bab Talrount, et plonger au cœur de la cité, dans la médina où les
échoppes s’éclairent peu à peu, où les visages des commerçants brûlent d’une lueur ocre, pareils
aux pierres des maisons anciennes, pareils à la flamme des bougies.
Ce qui frappe alors, c’est l’activité de la ville. Mécaniciens et boulangers, volaillers et marchands
de légumes ou de pain travaillent, conversent longtemps avec leurs clients.
Par instant, un éclat de rire, un lnc’h Allah fataliste couvrent le bruit d’une mobylette de passage, le
klaxon d’un petit taxi, les sabots du cheval qui tire la calèche remplie de gens du cru qui préfèrent à
tout autre ce moyen de transport.
Le soir tombe maintenant, et l’incessant mouvement ne faiblit pas. Taroudannt vit aux prémices de
la nuit. Les téléboutiques distillent une lueur bleutée, presque fluorescente, dans l’obscurité. C’est
le sourire d’une jeune fille sous son voile blanc, l’impatience rieuse d’un garçon qui attend son
tour, c’est une autre jeune femme, en pantalon serré, en court tee-shirt et assez maquillée qui
appelle ses amies pour une sortie.
C’est un Maroc antique et moderne, traditionnel et amoureux, impatient devant l’avenir, et qui
prend place sur la scène d’un théâtre naturel, où rien n’est affecté, rien encore frelaté.
Loin de la trépidante Marrakech, Taroudannt a le charme de ces petites villes nonchalantes du
Sud où le voyageur peut se promener à loisir dans la médina (photo) et les souks.
Vous êtes amoureux de Marrakech (que les Marocains eux-mêmes n’appellent plus qu’Arnakech) ?
Passez votre chemin... Taroudannt est une ville, pas un magazine de désign et de décoration pour
bourgeois-bohèmes en mal d’orientalisme chic. Ici, pas d’agence immobilière à chaque coin de rue
de Gueliz, pas de ryads magnifiquement restaurés pour des Français, pas de charmeurs de serpents,
de singes savants, de fakirs et de vendeurs d’eau avec leurs gobelets de cuivre et leurs
accoutrements si pittoresques, pas de cars pleins de touristes non plus.
Taroudannt est de ces villes dont on aimerait qu’elles demeurent secrètes. Juste pour soi et
quelques initiés. Parce que tous les charmes sont fragiles, et même éphémères...
C’est à son histoire, évidemment, que Taroudannt doit son caractère exceptionnel, et sa liberté
aussi. Proche de la vallée du Sous — extrêmement fertile en fruits, légumes et céréales —
Taroudannt fut toujours prospère. C’est-à- dire convoitée...
En trois siècles, elle fut successivement almoravide, almohade, puis mérinide. Pourtant, elle connut
son âge d’or sous l’influence des Saadiens. En 1520, Taroudannt devient la capitale de Mohammed
ech Cheikh. Il en fait son camp fortifié face aux troupes portugaises installées à moins de cent
kilomètres, à Agadir. Mais en même temps, il développe l’industrie sucrière. A la fin du XVIe
siècle, les caravanes font halte à Taroudannt pour faire provisions de coton, de safran, de riz...
Pourtant, Taroudannt tombera sous les attaques de Moulay Ismaïl en 1687. En grande partie
détruite, la ville sombre dans le chaos.
Depuis, Taroudannt reste célèbre pour son esprit rebelle. Son goût de l’indépendance et de la
liberté. Elle le tient du sultan El Hiba. Fils de cheikh, il se lève contre la signature du Protectorat.
Eté 1912, à la tête de ses troupes, il déclare le Djihad contre les Français et part à la conquête de
Marrakech. La tentative avorte, El Hiba doit se replier. II rejoint Taroudannt; d’où il poursuit la
résistance en gagnant les maquis de l’Anti Atlas. En vain. Il meurt en 1919.
A Taroudannt, le grand marché a lieu tous les dimanches, à l’extérieur des remparts. Les
paysans et nomades descendent alors de leurs montagnes pour vendre fruits, légumes, épices,
chèvres, moutons, vaches...
Cependant, Taroudannt garde de son passé mouvementé un esprit particulier. Une sorte
d’indépendance, d’audace de vivre, d’humour aussi. Longtemps réfractaire à la monarchie,
délaissée par le roi, elle a su ne compter que sur elle. De là, probablement, sa belle unité. Car l’on
ne viendra pas à Taroudannt pour les beautés ou le raffinement de son architecture. Hors les
remparts, rien ne retient vraiment l’attention.
Mais il faut absolument aller à Taroudannt pour sa vie même. Pour se perdre au hasard des ruelles
couleur pastel. Croiser le sourire d’un enfant, d’une jeune fille au visage tenu dans un foulard.
Suivre les hommes jusqu’à l’entrée de la mosquée, acheter un pain brûlant dès sa sortie du four,
échanger quelques phrases dans un arabe ou un berbère de pacotille avec un passant curieux et
indulgents se régaler des cornes de gazelle de la pâtisserie Oumnia, déguster un thé à la menthe à la
terrasse d’un café populaire et entendre les hommes massés à l’intérieur se passionner par dizaines
pour un match de football espagnol, voir leur visage levé vers le poste, baignant dans une lumière
verdâtre, indistincte, et toujours ces sourires qui sont la marque de la ville.
Il n’y a rien à faire de particulier à Taroudannt. Sauf l’essentiel : se laisser vivre. Se laisser gagner
par le fluide particulier de la cité, lâcher prise, et se fondre au milieu de la population.
S’abandonner. Traîner longtemps place An-Nasr avant de plonger dans le souk berbère où les
odeurs d’épices — qui sont le vrai parfum des voyages — vous assaillent.
C’est là qu’officie, au 101, rue des Epices, Moharned Jaaf. La trentaine, brun, les yeux vifs, ce
jeune Berbère vend des herbes médicinales, des épices et quelques gris-gris. Pattes de lapin, peaux
de hérisson supposées chasser le mauvais œil. Dans son échoppe minuscule, il prodigue ses
conseils, ses recommandations. Ici, les épices ne sont pas teintées artificiellement. Elles arrivent
des jardins alentour. Rien de spectaculaire, mais une infinie sincérité et une vraie gentillesse. A
l’image de la ville entière.
Ainsi, Mohamed n’hésite pas à aller acheter pour vous un collier d’ambre, une couverture ancienne
afin de vous la céder «au vrai prix marocain». Ce souk à taille humaine se dévoile à chaque pas. Le
soleil filtre par les canisses ajourées, saisissant une scène, fixant l’éclat de couleur d’un sarouel aux
teintes pâles. Menuisiers, potiers, spécialistes du cuir et des babouches travaillent au son des
mélodies d’Oudaden, s’interpellent, discutent un moment avant de retrouver leur établi, de
retourner à leur boutique.
Le souk berbère, où le soleil filtre à travers les canisses ajourées. On y trouve colliers d’ambre,
herbes médicinales, épices, ou encore gris-gris divers (pattes de lapin, peaux d’hérisson...).
Place Al Alouyine, où les Roudanis aiment se retrouver, la terrasse du Café des Arcades est un lieu
d’observation sans égal. Toute la vie de Taroudannt s’y affiche. Les femmes se rassemblent entre
elles, se croisent à la sortie du hamman Shifa tout proche. Les hommes se tiennent longuement la
main, le temps d’une conversation. Une carriole menée par un âne déterminé se fraie son chemin et
dépasse un taxi pris au milieu de la foule qui traverse la rue. Et tout cela dans une lumière
somptueuse, un dégradé d’ocre et de rouge, de parme et de mauve. Une parfaite harmonie...
Un bonheur de vivre à Taroudannt que l’on retrouve le dimanche à l’extérieur des remparts de la
ville. C’est jour de marché aux légumes et au bétail. Les nomades sont descendus de la montagne.
La foule se presse dans les allées désordonnées. Les couleurs vous sautent tout à coup au visage,
les parfums, les odeurs aussi. Les appels des hâbleurs, les cris des chèvres, des moutons et des
vaches... Un veau résiste un peu à l’idée d’entrer à l’avant d’une antique Peugeot 504. Les badauds
s’esclaffent devant le spectacle. Taroudannt vibre d’une énergie vitale et simple.
Voilà, rien d’autre en somme. Qui pourrait définir le charme particulier d’une vraie ville? Et
comment dire l’impression que l’on éprouve ici d’être au cœur du Maroc du Sud ?
Faire une longue escale à Taroudannt, c’est cesser d’être un touriste pour devenir un voyageur.
Ecouter enfin, en voyant le soleil décliner sur les remparts ce proverbe berbère qui affirme :
«Voyager ajoute à sa vie ».
STÉPHANE GUIBOURGÉ
Texte et photos extraits de l’article « Ambiance Sud à Taroudannt »
Revue Télérama – Ulysse Numéro n°102

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