Contestation créatrice

Transcription

Contestation créatrice
les débats
du dd,
dans
l’auditorium
du « monde »
à paris,
le 8 décembre
Développement durable
Contestation créatrice
« Entreprendre autrement pour changer le monde », c’est le credo d’une jeunesse qui veut être actrice de son avenir
ILLUSTRATIONS : ISABEL ESPANOL
F
ut un temps où l’on disait « Sous les
pavés, la plage ! » Aujourd’hui, certains jeunes adoptent des moyens
aux antipodes de ceux de Mai 68 pour
remettre en cause l’ordre établi. Ils
créent leur entreprise pour remédier
au réchauffement climatique, aider les exclus, favoriser le rapprochement entre des populations
qui s’ignorent.
Onze d’entre eux viennent exposer leurs projets et réalisations, lundi 8 décembre, à l’auditorium du Monde, à Paris, dans le cadre des Débats
du développement durable (Débats du DD) organisés par Le Monde et McDonald’s, en partenariat avec l’Ecole nationale supérieure des mines de Paris et la chaire développement durable
de Sciences Po.
Ils ont décidé d’« entreprendre autrement
pour changer le monde », thème de cette troisième édition des Débats du DD.
Nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’initiatives
isolées, marginales, menées par des individus
privilégiés du fait de leur classe sociale ou de leur
énergie supérieure à la moyenne. Une étude publiée en octobre par TNS Sofres pour la Fédération des pupilles de l’enseignement public nous a
mis la puce à l’oreille. Si la moyenne des Français
estime que c’est avant tout à l’Etat et à l’école de
faire en sorte que la société soit plus intégratrice,
les jeunes de 18 à 24 ans ne croient plus que faiblement en ces acteurs institutionnels. En revanche,
ils citent les entreprises et les médias comme
« acteurs les plus capables » d’atteindre ce but.
Les entreprises le seront d’autant plus qu’il
s’agira de sociétés nouvelles ayant une vision à
long terme, un esprit collaboratif et citoyen. Ou
d’entreprises traditionnelles, dirigées selon ces
critères, avec des règles de management non plus
fondées sur l’autorité et le contrôle, mais sur la
confiance et la collaboration menées par des
Cahier du « Monde » No 21738 daté Dimanche 7 - Lundi 8 décembre 2014 - Ne peut être vendu séparément
« entrepreneurs d’avenir », ainsi baptisés par Jacques Huybrechts, fondateur du mouvement du
même nom, et participant des débats.
L’innovation, une désobéissance réussie
Ces deux générations d’entreprises ont bien
compris qu’elles avaient besoin l’une de l’autre.
Olivier Kayser, créateur d’Hystra, une société de
conseil en stratégie hybride, en est convaincu depuis longtemps. Ainsi que les autres acteurs du
changement qui participent aux deux tables
rondes des Débats du DD. Qu’il s’agisse d’Ashoka,
réseau de 3 000 entrepreneurs sociaux dans
80 pays, ou de MakeSense, « organisateur d’actions collectives autour de projets d’entrepreneuriat social », qui souhaitent monter des partenariats avec des grands groupes, ou de Christian de Boisredon, dont l’entreprise Sparknews
s’est donné pour mission de faire connaître ces
initiatives dans les médias.
Quelques collectivités territoriales mettent en
place des structures spécifiques pour aider ces
jeunes pousses à émerger et à se développer.
Comme le Solilab de Nantes. Et des institutions
financières se sont créées avec des offres adaptées, qu’il s’agisse de fonds d’investissement tel
Citizen Capital ou de plates-formes de prêts participatifs à l’instar de KissKissBankBank et sa
petite sœur HelloMerci.
« Le futur ne peut être une projection de notre
présent. Car nous ne vivons pas une crise, mais
une métamorphose de notre société », estime
Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, qui doit
introduire les débats. « L’innovation est une
contestation. C’est une désobéissance réussie »,
ajoute-t-il. Pour que, sur les pavés, se créent des
emplois de qualité économiquement viables
pour une société plus harmonieuse. p
annie kahn
2 | développement durable
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DIMANCHE 7 - LUNDI 8 DÉCEMBRE 2014
De jeunes entreprises
engagées
Science, démocratie, réseaux, agriculture, financement, consommation...
L’innovation sociale et sociétale se niche partout. La preuve par l’exemple
I
ls ont un peu plus ou un peu
moins de la trentaine et ont décidé de créer leur entreprise ou
de lancer une association. Pour
améliorer l’environnement, réduire les fractures sociales ou sociétales. Ils sont venus présenter
leurs réalisations et leurs projets
lundi 8 décembre, à Paris, aux Débats du
développement durable.
Microdon
Le ticket de caisse solidaire
« Si, cerveza, beso » (oui, une bière, un
baiser) étaient les trois mots que PierreEmmanuel Grange connaissait à son arrivée au Mexique pour une mission confiée par une multinationale. Lors de
l’étape cruciale des premières courses,
face à la question inintelligible de la caissière, il répond « si », plus convenable à
son goût que « cerveza », et beaucoup
moins osé que « beso ». Plus tard, il
s’apercevra qu’il a dit oui à l’arrondissement du montant de ses achats à une
somme supérieure au profit d’une
œuvre de charité !
Conquis par cette idée, Pierre-Emmanuel décide de créer la « première entreprise sociale française proposant des
outils de microcollecte de fonds auprès
des consommateurs et des salariés ».
Concrètement, cela consiste à faire un
don de quelques centimes à quelques
euros récupérés sur les factures, les bulletins de paie, les tickets de caisse et les
achats en ligne des personnes le souhaitant. Microdon permet de « diversifier et
d’augmenter les ressources des associations », explique son fondateur.
Microdon a été créé à Paris en 2009 et
aidé par Planet Finance. « Nous avons mis
en place un partenariat avec Franprix, qui
a déployé notre outil, l’Arrondi en caisse, au
profit d’antennes locales de la Croix-Rouge
et du Secours populaire français », dit Pierre-Emmanuel Grange. Environ 300 supermarchés proposent désormais cette
solution et 100 % des dons collectés sont
reversés aux associations partenaires.
Pour ancrer son projet dans la durée,
Pierre-Emmanuel et son équipe ont établi des partenariats avec les principaux
éditeurs de logiciels de bulletins de paie
et d’encaissement, et des institutions financières ou de conseil telles que BNP
Paribas, Accenture, NYSE Euronext.
L’outil, en place dans plus de 30 entreprises, a recueilli près de 1 million d’euros
de dons depuis sa création en 2009.
Microdon a financé ses premières années en levant des fonds auprès des principaux financeurs solidaires et de la
Caisse des dépôts. L’entreprise bénéficie
également du programme PM’up, mis en
place par la région Ile-de-France pour
soutenir le développement des PME innovantes en les aidant pendant trois ans.
Microdon atteint l’équilibre économique grâce à la vente de ses services de
mise en place de programmes solidaires
aux entreprises traditionnelles.
Démocratie ouverte
Participation citoyenne
Directement inspirée de la démarche
d’Open Government lancée par le président Barack Obama aux Etats-Unis, l’association Démocratie ouverte milite
pour de nouveaux modes de gouvernance. Elle promeut ainsi une plus
grande transparence des données publiques, et propose des outils et prestations
pour faire participer les citoyens aux décisions qui les concernent, en recueillant
leurs avis, critiques et suggestions.
Née sous forme de collectif, Démocratie ouverte est désormais une association consacrée à la conception et l’expérimentation de projets d’Open Government Partnership (OGP). Il s’agit d’une
initiative mondiale lancée en 2011 pour
mettre en réseau les Etats s’engageant
dans la voie de l’open government. Cyril
Lage et Armel Le Coz sont à l’origine du
projet en France en janvier 2012. Ils sont
très vite rejoints par d’autres acteurs engagés en France, en Tunisie, au Québec,
en Suisse et en Belgique.
« Il est encore compliqué de trouver des
fonds sur ce qui touche à la démocratie.
Nous surmontons ces difficultés temporairement en nous engageant beaucoup bénévolement. Ce système montre ses limites », explique Armel Le Coz. L’association a aujourd’hui un budget de moins de
25 000 euros et un seul salarié, en emploi
aidé depuis cet été.
Si le financement reste délicat, les projets ne manquent pas : Démocratie
ouverte lance la plate-forme Parlement
& Citoyens, dont le défi est de permettre
à tous d’influer sur la construction des
lois et de mettre à disposition des députés et des sénateurs des outils d’intelligence citoyenne collective. Le programme Territoires hautement citoyens
vise pour sa part à accompagner les collectivités dans les transitions démocratiques locales en laissant beaucoup plus de
place aux citoyens dans la gouvernance
de l’espace public et des biens communs.
Pour Armel Le Coz, « il faudrait créer des
maisons des citoyens partout sur le territoire, transformer le Conseil économique,
social et environnemental [CESE] en maison mère des citoyens ! Ce type d’institution devrait s’ouvrir dans un maximum de
villes et villages en Europe. Ces “tiers-lieux”
citoyens constitueraient un environnement propice à l’entrepreneuriat social et
sociétal ».
Leka
Jouet éducatif pour enfant
autiste
A première vue, l’interaction sociale est
difficile à décoder par une machine. Mais
avec leur première création, les ingénieurs de Leka, jeune start-up installée à
Neuville, dans le Val-d’Oise, sont parvenus à créer un « smart toy robotisé, ludique et interactif », personnalisable, facilitant le lien entre la personne handicapée
et son environnement.
Conçue spécialement pour les enfants
autistes, Moti est une sphère qui stimule
leurs sens grâce à des mouvements autonomes et à l’émission de musique, de
couleurs et de vibrations. Elle a aussi
pour fonction de compiler des données
dont pourront se servir parents, éducateurs et médecins pour mieux cerner le
modèle d’interaction de chaque enfant.
L’idée est venue à Ladislas de Toldi
en 2012 lors d’un cours de design. Elle
s’est concrétisée dans un autre cours, sur
la création d’entreprise. Preuve que le
cadre universitaire peut être propice à
l’émergence d’innovations. Le créateur
de Moti est rejoint plus tard par Marine
Couteau, et ensemble ils créent Leka
en 2013. L’équipe espère démarrer la
commercialisation de son premier produit en 2016.
Les jeunes entrepreneurs ont bénéficié
de l’accompagnement de l’incubateur
Val-d’Oise Technopole, puis du soutien
d’Antropia, l’incubateur social de l’Essec.
Le financement de la jeune entreprise
est assuré par les fonds récoltés lors de
concours et par un prêt d’honneur de
Scientipôle Initiative. Ce prêt à taux zéro,
remboursable sur cinq ans, est destiné
aux entreprises franciliennes innovantes de moins de trois ans d’activité. Pour
la production industrielle à venir de
Moti, Leka espère lever des fonds plus
conséquents.
Selon Ladislas de Toldi, l’ancrage de l’entrepreneuriat social dans le paysage socio-économique en France passe par un
rapprochement avec le monde des
start-up : « Il faut conjuguer la rigueur et
les fonds importants de l’entrepreneuriat
classique porteurs de projets, qui manquent d’impact social, avec l’énergie et la
volonté de changer le monde de l’entrepreneuriat social. »
Naïo Technologies
Le robot est dans le pré
Lors d’une discussion avec plusieurs
agriculteurs en 2010, à la Fête de l’asperge à Pontonx-sur-l’Adour (Landes),
Gaëtan Severac se rend compte d’un problème sérieux : à cause de leur poids et
de leur fragilité, les outils mécaniques de
désherbage dont les agriculteurs ont besoin sont trop difficiles à déplacer. Par
conséquent, les agriculteurs se servent
de désherbants chimiques, fortement
nuisibles à l’environnement. Développer
un robot qui puisse transporter ces
outils d’un endroit à l’autre serait une solution écologique, pense alors le jeune
ingénieur. Il en parle à deux amis d’école,
diplômés comme lui depuis quelques années. Ils montent leurs premiers prototypes dans un garage, avec l’aide du FabLab
de Toulouse, un lieu d’échange d’idées et
de bricolage commun. Des professionnels du milieu agricole, des structures
d’accompagnement telles que l’incubateur Midi-Pyrénées et des représentants
du pôle de compétitivité agricole Agrimip Sud-Ouest Innovation leur prêtent
main-forte. La faisabilité technique étant
prouvée, ils créent leur société en novembre 2011.
L’équipe fait alors du porte-à-porte
chez les agriculteurs pour leur présenter
Oz et Sam, les compagnons-robots qui
diminuent la pénibilité du travail. « Au
début, il était difficile de trouver un financement parce qu’il n’y avait pas encore de ventes, explique Gaëtan Severac,
mais aujourd’hui nous avons pu réunir
730 000 euros grâce au crowdfunding. »
Plusieurs agriculteurs du sud de la
France en sont désormais équipés. Un
partenariat avec la région Midi-Pyrénées
permet en outre à l’entreprise de créer
un laboratoire de recherche pour un
nouvel engin travaillant dans les vignes.
L’entreprise devrait atteindre son équilibre financier en 2016, date au-delà de laquelle l’équipe souhaite se développer à
l’international.
Simone Lemon
Un restaurant
sans gaspillage
Alors que 3 millions de tonnes de fruits
et légumes sont jetés chaque année en
France car jugés inesthétiques ou hors calibre, la future enseigne de restauration Simone Lemon veut minimiser les pertes
alimentaires en utilisant ces ingrédients
« hors normes », achetés chez des producteurs locaux. Elle sera également l’un des
rares restaurants français facturant ses
plats au poids. « Pour consommer selon
son appétit et donc… ne pas gaspiller ! » expliquent les deux cofondatrices, Elodie Le
Boucher et Shéhrazade Schneider.
Au menu, des entrées originales comme
le mélange croustillant de fenouil, poires
et pancetta, des plats complets tel le curry
aux sept fruits et légumes. Le prix est unique, 2,50 euros les 100 g, afin d’attirer un
public plus nombreux et diversifié que celui de la plupart des enseignes « bio » ou
« fait maison ». Ce concept de vente au
poids remporte déjà un franc succès à
l’étranger, notamment aux Etats-Unis, en
Allemagne ou encore au Brésil. Les invendus seront redistribués à des associations
partenaires s’occupant principalement de
sans-abri.
Elodie et Shéhrazade, deux anciennes de
l’Ecole supérieure de commerce de Paris,
se sont réparti les tâches : marketing et
développement durable | 3
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DIMANCHE 7 - LUNDI 8 DÉCEMBRE 2014
voit aussi de réaliser des documentaires
télévisés sur cette première édition, tout
en préparant le Tour 2015.
Station Energy
Des « stations solaires »
en Afrique
Sur les quelque 1,6 milliard de personnes privées d’électricité dans le monde,
plus de 500 millions vivent sur le continent africain. A sa sortie de l’Ecole des
mines de Douai et de HEC, Alexandre
Castel s’est attaché à trouver une solution
à cette situation. Avec deux entrepreneurs déjà expérimentés, Jérôme Brasseur et Patrick Reynaud, il développe Station Energy, une entreprise distribuant
des « stations solaires », dans les zones
rurales d’Afrique subsaharienne, grâce à
un réseau de revendeurs locaux franchisés (Le Monde du 6 janvier 2014). Ces stations solaires alimentent les habitations
en électricité, ainsi que des espaces commerciaux réfrigérés proposés à la location, des pompes, des lampadaires, des
cybercafés, des services de rechargement
de téléphones mobiles. Ce qui permet à
une économie locale de se développer.
Selon le jeune entrepreneur, « un foyer
moyen d’Afrique subsaharienne dépense
l’équivalent de 10 euros par mois pour des
solutions chères et de mauvaise qualité telles que les bougies et les lampes à pétrole
pour l’éclairage, et les piles non rechargeables pour les appareils électriques. Station
Energy propose des solutions durables
pour moitié moins cher ».
Il prévoit également de relier des centres
de santé pour faciliter les campagnes de
vaccination dans les zones les plus reculées d’Afrique. Lancée en 2012, la jeune entreprise compte déjà une dizaine de distributeurs franchisés dans chacun des pays
où elle est installée : Sénégal, Burkina
Faso, Comores et Côte d’Ivoire.
Station Energy, qui emploie 80 personnes, dont cinq en France, vise un chiffre
d’affaires de 1,5 million d’euros en 2014,
cinq fois plus qu’en 2013. p
SoScience
La science avec conscience
PROGRAMME
« ENTREPRENDRE
AUTREMENT POUR
CHANGER LE MONDE »
Journée débat lundi 8 décembre,
de 9 heures à 17 heures dans l’auditorium du Monde. Les débats seront
introduits par Jean-Paul Delevoye,
président du Conseil économique,
social et environnemental (CESE).
« Nouveaux modèles :
comment passer de
l’émergence à l’évidence »
Table ronde, de 10 h à 12 h 40.
Six entreprises présentées par leur
créateur : Leka, Expliseat, Démocratie
ouverte, SoScience, Simone Lemon,
Ticket for change. Avec, pour en
débattre, Amandine Barthélémy
(Essec, Sciences Po, Odyssem),
Christian de Boisredon (Sparknews),
Jacques Huybrechts (Entrepreneurs
d’avenir), Sarah Mariotte (Ashoka),
Christian Vanizette (MakeSense). Et
des étudiants de l’Ecole des mines.
« Quel ancrage durable
au-delà de l’innovation ? »
Table ronde, de 14 h à 16 h 30.
Cinq entreprises présentées par
leur créateur : Spear, Microdon,
Naïo Technologies, Station Energy,
Demain, le film. Avec, pour en débattre, Mahel Coppey (Ville de Nantes),
Olivier Kayser (Hystra), Laurence
Méhaignerie (Citizen Capital), Vincent
Ricordeau (KissKissBankBank),
Delphine Smagghe (McDonald’s
France). Et des étudiants de
Sciences Po.
Entrée libre, sur inscription.
distribution, pour la première, restauration, logistique et développement pour la
seconde. L’incubateur de l’Essec, Antropia,
les a aidées à définir leur business plan. Le
réseau Ashoka les a conseillées pour leur
levée de fonds. Ce qui a amené un certain
nombre de grandes entreprises (LVMH,
Deloitte, Crédit suisse…) à les soutenir en
leur apportant leur expertise. Elles ont obtenu un prêt d’honneur de 20 000 euros
de la part du comité d’investissement
d’Antropia et une subvention de
50 000 euros pour des projets socialement innovants de la région Ile-de-France.
Simone Lemon a réuni près des deux
tiers des fonds nécessaires à son démarrage. A court terme, leur objectif est donc
de lever le tiers manquant, d’obtenir un local à Paris, et de lancer les travaux pour assurer l’ouverture en avril 2015. Sur le long
terme, elles souhaitent « démontrer qu’il
est possible de faire de l’entrepreneuriat
social tout en étant ambitieux et rentable ».
Spear
Crowdfunding coopératif
« Lorsque des épargnants déposent leur
argent dans une banque classique, ils ne
savent souvent pas à quoi cette somme est
utilisée entre la date de son dépôt et celle de
son retrait », explique Nicolas Dabbaghian. En 2011, il a créé Spear à Paris, une
plate-forme de crowdfunding sous forme
de coopérative, avec François Desroziers,
également jeune diplômé. Leur initiative
veut rendre plus transparente l’utilisation
de l’épargne, tout en ayant un fort impact
social, environnemental ou culturel.
Pour atteindre ce but, Spear a choisi de
promouvoir la finance participative au
service de petits projets. L’entreprise joue
en effet un rôle d’intermédiaire entre le
porteur d’un projet en besoin de financement et les personnes prêtes à placer leur
argent.
En plus du taux d’intérêt, Spear a mis en
place un système qui permet à l’épargnant de bénéficier de déductions fiscales
liées à l’investissement dans des PME, car
l’épargnant ne prête pas directement au
porteur de projet, mais achète des parts
sociales de la coopérative.
Les projets proposés sont sélectionnés
en fonction de critères de viabilité économique et d’impact positif sur la société. Spear fait un premier tri. Puis des
banques partenaires (le Crédit coopératif, la Société générale et le Crédit municipal de Paris) décident en dernier ressort,
et déterminent la durée et le taux de
l’emprunt.
Sur le site Internet de Spear, l’épargnant
peut alors choisir quelle somme il souhaite investir dans son projet préféré.
L’épargnant paie 3 % de frais à la plateforme. « Grâce à l’argent des épargnants
de Spear, ses banques partenaires accordent un prêt à taux minoré aux porteurs de
projet », précise Nicolas Dabbaghian.
Depuis sa création, la plate-forme a contribué au financement d’une vingtaine de
projets à hauteur de 2,5 millions d’euros.
Ticket for Change
Des trains pour trouver
sa voie
Tout commence en Inde, en décembre 2012, lorsque Matthieu Dardaillon,
25 ans, embarque pour le Jagriti Yatra,
un voyage en train avec 450 jeunes –
une majorité d’Indiens et une poignée
d’étrangers chanceux –, sélectionnés
parmi 18 000 candidats. Ils parcourent
ainsi 8 000 km pour faire découvrir la
réalité du pays, et rencontrer des personnalités « inspirantes » pour entreprendre. Il s’inspire de cette expérience
pour créer Ticket for Change
(T4Change). Après avoir été incubé à
HEC pendant quatre mois, le projet est
finalement lancé en janvier 2014. En
septembre, 50 jeunes ont rencontré
40 entrepreneurs pionniers, pendant
douze jours dans six villes de France,
parcourant ensemble 3 000 km. Ils ont
pu discuter avec des personnalités engagées en faveur de l’entrepreneuriat
social tel l’écologiste Pierre Rabhi, le directeur général de Danone Emmanuel
Faber, le président de Planet Finance
Jacques Attali, le président du Conseil
économique, social et environnemental (CESE) Jean-Paul Delevoye, ou encore
le cuisinier Thierry Marx, l’ingénieure
Thanh Nghiem et la consultante Marie
Trellu-Kane.
Le projet a un triple but. La sensibilisation d’abord : T4Change cherche à donner une image positive et dynamique de
l’entrepreneuriat social en France et à déclencher une vague d’engagements dans
le pays. Susciter un déclic, ensuite, et
aider des jeunes en quête de sens à trouver leur voie et à mettre leurs talents au
service de la société. Enfin, offrir aux participants un accompagnement personnalisé de dix mois. Chris Delepierre,
24 ans, a ainsi lancé son projet d’entreprise qui vise à utiliser l’impression 3D
pour venir en aide aux aveugles. Alice
Müller, 21 ans, développe un projet d’association proposant à des étudiants
d’accompagner et aider scolairement des
enfants roms, afin de favoriser leur intégration à l’école.
Avec un budget initial de 600 000 euros, T4Change compte aujourd’hui une
équipe de sept personnes, âgées de 25 à
33 ans. Elle prépare le lancement du
MOOC « Devenir entrepreneur du changement » prévu pour février 2015. Pour
permettre au plus grand nombre de personnes de bénéficier du programme pédagogique et des conseils des 40 pionniers qui participent au projet. Elle pré-
SoScience entend mettre la recherche
scientifique au service de l’innovation
sociale, soutenir la recherche et le développement des entrepreneurs sociaux,
en les aidant à concevoir un produit innovant ou un procédé de développement. L’idée, née lors d’une discussion
entre amis fin 2011, est mise en œuvre
l’année suivante.
Des chercheurs impliqués dans SoScience travaillent par exemple avec Faso Soap,
entreprise du Burkina Faso qui intègre
des principes actifs antimoustiques dans
les savons pour lutter contre le paludisme. D’autres, de jeunes ingénieurs,
mettent au point des fours propres pour
l’entreprise indienne Prakti Design. Une
troisième équipe conçoit un tapis de jeu
pour intégrer les enfants aveugles au
Guatemala. Entre autres.
En lançant son projet, Mélanie Marcel,
24 ans, cofondatrice du projet avec Eloïse
Szmatula, 25 ans, n’avait pas l’impression
de choisir de devenir entrepreneure : elle
souhaitait « juste que l’idée devienne réalité ». L’entreprise bénéficie aujourd’hui
du soutien de partenaires importants,
comme le réseau d’entrepreneurs sociaux Ashoka, l’incubateur de l’Ecole supérieure des sciences économiques et
commerciales (Essec) Antropia, le réseau
de femmes European Professional Women’s Network, le soutien aux projets
L’Echappée volée, le programme de mentorat Moovjee, et l’observatoire d’innovation sociale Noise.
SoScience participe activement à des
groupes de réflexion sur la recherche, tel
De l’innovation en Europe, dirigé par le
mathématicien Cédric Villani. Mélanie
Marcel a créé le groupe de travail Réseau
recherche responsable. « Nous travaillons aussi avec des entreprises plus
classiques pour lancer des programmes
d’innovation responsable en interne »,
explique-t-elle. Selon la jeune entrepreneure, « le plus important n’est pas de
monter une boîte, mais de faire preuve
d’un esprit d’initiative fort et de croire en
ses idées, même si l’on rejoint la fonction
publique ou le secteur privé. C’est ce qui
peut faire avancer une structure, quelle
qu’elle soit, start-up ou non ». p
hajar benmoussa,
nicola grellmann,
tais niffinegger, desire zongo
avec amandine barthélémy
4 | développement durable
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DIMANCHE 7 - LUNDI 8 DÉCEMBRE 2014
« Un rare succès de crowdfunding »
| Grâce aux dons collectés sur la plate-forme de financement participatif KissKissBankBank, Cyril Dion
réalise, avec Mélanie Laurent, le film « Demain », qui s’intéresse aux initiatives d’entrepreneurs écologistes et humanistes
témoignage
E
n janvier 2007, Pierre Rabhi, pionnier de l’agriculture biologique et
expert en sécurité alimentaire,
m’avait demandé de mettre sur
pied un mouvement autour de ses
idées, un mouvement en faveur
d’un nouveau modèle de société fondé sur l’écologie et l’humanisme, ce qui allait devenir le
mouvement Colibris. J’assistais alors à de nombreuses conférences pour me faire une idée de
ce que la sphère écologique proposait en France.
Rapidement, il m’est apparu que la plupart des
acteurs passaient beaucoup de temps à expliquer ce qui n’allait pas dans notre société, à décrire par le menu les catastrophes qui nous attendaient, mais que personne, ou presque, ne
cherchait à mettre bout à bout les solutions que
nous connaissons déjà pour élaborer une vision cohérente et désirable du futur. Or, il me
paraissait difficile de demander à la majorité
des gens d’abandonner leurs habitudes, leurs
repères, sans leur proposer de perspectives…
L’idée du film Demain venait de germer.
« A la fin de la campagne,
nous avions réuni
pour notre long-métrage
près de 445 000 euros,
apportés par environ
10 500 donateurs »
Il fallut attendre fin 2010 pour que je commence à l’écrire et à le faire connaître. Le projet
suscitait généralement un certain enthousiasme, mais personne ne semblait disposé à y
investir de l’argent ou de l’énergie. Jusqu’à la
rencontre avec Mélanie Laurent, à l’automne
2012. Nous nous étions connus fin 2011, à l’occasion d’une campagne de Colibris, et lorsque je
lui ai proposé de coréaliser le film, elle n’a pas
mis plus d’une dizaine de secondes à accepter.
Et elle s’est immédiatement mise au travail.
Pendant l’automne 2013, nous avons réuni
quelques dizaines de milliers d’euros auprès de
mécènes privés, qui nous ont permis de faire un
premier tournage à La Réunion. A partir de ces
images, nous avons pu élaborer un teaser de
deux minutes. Et, subitement, tout a changé.
Nos interlocuteurs voyaient ce que nous voulions faire et des distributeurs se sont intéressés
au projet. Quelques semaines plus tard, nous
avons rencontré Philippe Martin, alors ministre
de l’écologie [du développement durable et de
l’énergie], qui s’enthousiasma pour Demain, et
nous suggéra de le sortir au moment du Sommet mondial sur le climat de décembre 2015, où
journalistes, militants et politiques du monde
entier seraient réunis. Mais, pour y parvenir, il
nous fallait tourner pendant l’été et, malgré un
Mélanie Laurent et Cyril Dion, qui ont coréalisé le film « Demain ».
PHILIPPE QUAISSE/PASCO
préengagement de Mars Films, nous avions
toujours très peu d’argent. C’est alors que vint
l’idée d’un financement participatif.
Accompagnés par l’équipe de la plate-forme
de financement participatif KissKissBankBank,
nous avons passé plusieurs semaines, début
2014, à élaborer la campagne. Nous avions fait le
pari de réunir 200 000 euros en deux mois. A
quelques heures du lancement officiel, j’étais
mort de trouille. L’échec enverrait un très mauvais signal et serait susceptible de décourager
de futurs partenaires et spectateurs. Le soir,
nous avions organisé une fête chez nos amis de
Veja, dans leur boutique de vêtements éthiques.
Près de 300 personnes étaient venues nous soutenir. Nous avions disposé des ordinateurs pour
qu’elles puissent donner en ligne et partager
messages et photos sur les réseaux sociaux. Le
site était ouvert depuis 14 heures, le rendezvous était à 19 heures, et à 23 heures nous avions
atteint près de 57 000 euros… Nous n’arrivions
pas à y croire. Nous avions, en tout et pour tout,
fait un post sur la page Facebook de Colibris et
sur celle de Pierre Rabhi. La réaction avait été
immédiate et une déferlante s’abattait sur le
site de KissKissBankBank, dont l’équipe était
aussi éberluée que nous. Après trois jours, nous
avions dépassé l’objectif. Nous étions à la fois
stupéfiés et transportés. A la gratitude se mêlait
un immense sentiment de responsabilité envers ces personnes qui nous accordaient une
confiance aussi franche et immédiate.
Nous avons pu tourner presque tout l’été,
avons régulièrement documenté nos pérégrinations sur les réseaux sociaux et à la fin de la
campagne, le 26 juillet, nous avions réuni près de
445 000 euros apportés par environ 10 500 donateurs. La France n’ayant quasiment jamais
connu de tels succès dans le crowdfunding, on
nous demande régulièrement quelles en ont été
les recettes, avec l’idée de pouvoir les reproduire.
A vrai dire, je ne sais pas si nous-mêmes pourrions reproduire quoi que ce soit. Il semble que
notre association avec Mélanie ait été un facteur
favorable. Nous apportions, chacun dans un domaine, une compétence crédible. Il est certain
que les sept années passées à rassembler la
communauté des Colibris ont été déterminantes. Mais c’est avant tout le projet qui a rencontré un très large écho. Encore plus important
que ce que nous pouvions espérer. En trois
jours, nous avons juste eu le temps de partager
la vidéo de campagne et n’avons pu mettre en
œuvre aucune stratégie. Nous sommes arrivés
au bon moment avec un projet qui faisait sens
pour une communauté de personnes que nous
avions la possibilité d’activer. Et nous avons eu
la chance que la magie opère. Nous sommes désormais en montage, la sortie est prévue en novembre 2015, et nous faisons tout pour nous
montrer à la hauteur de l’enthousiasme que
nous avons suscité… p
cyril dion
Cyril Dion est le cofondateur du mouvement
Colibris
Des sièges plus légers pour des avions moins polluants
Les fauteuils conçus par la jeune entreprise française Expliseat réduisent de 5 % les émissions de CO2 des appareils
S
amedi 6 décembre, l’Airbus A321
d’Air Méditerranée décollant de
Monastir (Maroc) pour Paris aura
relâché dans l’atmosphère 5 % de
CO2 de moins que d’habitude. Et il en sera
désormais ainsi chaque fois que cet
avion sera utilisé. Après un an de rotation, le bénéfice pour l’environnement
sera similaire à celui qui résulterait de la
plantation de 45 000 arbres. La compagnie aérienne française a en effet équipé
l’appareil de sièges trois fois plus légers
que les fauteuils standards, parce que fabriqués en fibres de carbone et de titane,
et non plus en acier ou en aluminium.
La jeunesse des inventeurs explique paradoxalement cet exploit. A la différence
des trois acteurs qui se partagent environ
90 % du marché – le français Zodiac
Aerospace, l’américain B/E Aerospace et
l’allemand Recaro –, eux ne sont pas du
métier, et n’appartiennent pas à une entreprise dont il faut rentabiliser les investissements passés. Ils avaient toute liberté
pour concevoir un nouveau siège. « Nous
sommes partis d’une feuille blanche »,
explique Jean-Charles Samuelian, directeur général et cofondateur d’Expliseat, la
société qu’il a créée en mars 2011 avec
deux amis, Vincent Tejedor et Benjamin
Saada. Ils avaient alors entre 23 et 25 ans,
et étaient encore étudiants. Vincent était
à l’Ecole normale supérieure, Benjamin à
l’Ecole nationale supérieure des mines de
Paris, et Jean-Charles à l’Ecole nationale
des ponts et chaussées. Trois amis originaires de Marseille. Benjamin et JeanCharles se connaissent depuis l’enfance.
Ils ont rencontré Vincent au lycée Thiers,
en classe préparatoire scientifique.
Douze brevets, 600 essais
Personne ne leur avait passé commande. « Il y a cinq ans, après un vol catastrophique, Benjamin est venu nous voir, Vincent et moi, raconte Jean-Charles Samuelian. Il fallait faire quelque chose pour
améliorer le confort médiocre des voyages
en classe éco. Nous nous sommes rendu
compte que les sièges étaient technologiquement désuets, alors que l’avion est une
invention magnifique. »
Les deux élèves ingénieurs et le scientifique de la bande – Vincent Tejedor a reçu
le Prix Le Monde de la recherche universitaire en 2013 pour des travaux sur les
trajectoires, non pas des avions, mais de
vésicules lipidiques qui circulent dans
nos cellules – se sont donc attelés à résoudre le problème : concevoir un siège
d’avion léger, facile à entretenir et confortable. « Nous nous sommes inspirés de
la chaise translucide de Starck, raconte
M. Samuelian. Nous avons lu les
1 000 pages des normes de sécurité concernant les sièges d’avion, qui doivent résister aux crashs, au feu, être industriellement irréprochables, ce qui nous a amenés à déposer douze brevets. On a repris
nos bouquins de mécanique, ouvert les
portes des labos de nos écoles, contacté
d’anciens élèves, comme Christian Streiff
[ancien des Mines et ex-PDG de PSA et
d’Airbus], qui ont mis nos idées à l’épreuve
et investi plusieurs millions d’euros dans
la société. L’aventure leur plaisait. »
Le développement du siège a pris trois
ans, dont de nombreux mois consacrés à
plus de 600 essais. En mars, il obtenait la
certification de l’Agence européenne de
sécurité aérienne (AESA), et, en juillet,
celle de la Federal Aviation Administration (FAA) pour les Etats-Unis, ce qui
leur assure l’agrément partout dans le
monde.
Rentable dès 2014 ?
Leur premier modèle de siège est destiné aux avions de type mono-couloir
pour court-moyen-courriers, soit 75 %
des vols, explique le jeune entrepreneur.
Outre Air Méditerranée, la Compagnie
africaine d’aviation a signé un contrat
pour équiper quatre de ses avions, dont
deux sont déjà livrés. Deux autres compagnies aériennes, basées respectivement au Moyen-Orient et en Asie, ont
passé commande. D’autres seraient sur
le point de signer. Ce qui pourrait permettre à Expliseat d’être rentable dès
2014 et « en tout cas, en 2015 », affirme
M. Samuelian.
Le bureau d’études est situé à Paris et
hébergé par Agoranov, un incubateur de
la ville et de la région Ile-de-France. La fabrication est confiée à des équipementiers du secteur automobile et aéronautique. L’assemblage se fait à Toulouse. « Au
début, aucun industriel français ne nous
parlait. Nous avons réalisé nos premiers
prototypes en Allemagne, aux Etats-Unis
et en Grande-Bretagne, ce qui nous a freinés au démarrage. Mais dès les premières
preuves de concept, les entreprises françaises nous ont ouvert leurs portes », se souvient M. Samuelian, mettant en lumière
ce mal français bien connu qu’est le manque de confiance des entreprises tricolores envers les jeunes sociétés innovantes
du pays.
Expliseat compte aujourd’hui 20 personnes et continue de recruter. « Tous
nos bénéfices sont réinvestis. Notre objectif est de devenir le numéro un mondial du
marché du siège de classe éco d’ici à
2017 », affirme M. Samuelian. La feuille
de route est claire : continuer d’innover,
élargir la gamme, ouvrir des filiales à
l’étranger. p
annie kahn

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