ELLIOT FALL Theatrorama
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ELLIOT FALL Theatrorama
Conte... à rebours Une bonne dose de Tim Burton, un soupçon de Bettelheim prédigéré (pour éviter l’indigestion), une pointe de burlesque mélangé à un zeste de fantaisie, quelques gouttes de poésie pour donner le goût de la guimauve, le tout rehaussé de comédiens bien secoués et vous obtenez un cocktail euphorisant à consommer sans modération. Jean-Luc Revol connait tous les ingrédients pour concocter une comédie musicale bien relevée. Oublié le temps des navets gluants à l’eau de rose (dont on taira le nom par peur de se remettre les airs en tête) et des chanteurs beuglants sur des mélodies gnan gnan qui réduisaient la comédie musicale à un passe-temps d’attardés. La fine équipe du magicien des mises en scène réussies, nous enchante depuis quelques années avec des créations percutantes, du « Cabaret des hommes perdus » à « Non, je ne danse pas ». « La nuit d’Elliot Fall » garde la même recette pour régaler un public boulimique de show bouillonnant. Il était une fois une pauvre fille en train de se végétaliser sur son lit, que seul un prince charmant pourrait sauver d’un baiser pur et désintéressé. La belle au bois dormant des temps modernes est la fille de la richissime Mme Von Lenska. Elle souffre d’une maladie sponsorisée par les magasins Truffaut. Des fleurs lui poussent de partout et vont finir par avoir sa peau (à défaut d’être mises en pot). Le médecin un peu sorcier qui s’occupe d’elle raconte à sa mère une légende qui va les mettre sur la voie d’une guérison possible. Le nom du médicament miracle: Elliot Fall. Il est jeune, il est beau, il est naïf, il a juste besoin d’être guidé. Et ça sera par Préciosa, la conchita du manoir qui est aussi fée à temps partiel. Le road movie féérique dans Moon Island peut commencer. La quête initiatique d’Elliot sera brouillée par le méchant de l’histoire, le Comte Oswald Lovejoy, qui s’amuse à leur tendre des pièges dans lesquels nos deux héros sautent à pieds joints (car ce ne sont pas des flèches non plus). Les personnages de nos contes d’enfance reprennent le pouvoir mais en étant passés de l’autre côté du miroir, sous le regard de nos yeux d’adultes anesthésiés et qui ont perdu l’innocence pour laisser la place à une décadence généralisée (le petit chaperon rouge qui fait le tapin et se transforme en Lova Moor d’un cabaret tenu par les trois petits cochons a remplacé le pot de beurre par de la vaseline). Une histoire complètement folle! En un mot: jubilatoire. Les premières minutes sont balbutiantes. On se demande comment va se mettre en place cette histoire hallucinogène qui part en vrille dans un burlesque qui n’est pas sans rappeler le génialissime Beetlejuice de Burton. L’entrée de Denis D’Arcangelo dans le rôle de Préciosa évapore tous les doutes. Mme Raymonde n’est jamais très loin et embarque le public dans son numéro de charme (et de claquettes va sans dire). Ambiance gothique sur fond de cabaret et personnages de contes délurés, l’histoire écrite par le talentueux Vincent Daenen s’accorde à merveille sur la musique de Thierry Boulanger. Les tableaux s’enchaînent sans temps mort pour former un délicieux conte moderne amoral. A côté des personnages pivot d’Elliot, interprété par Flannan Obé, de Préciosa et d’Olivier Breitman dans le rôle d’Oswald Lovejoy, Sinan Bertrand, Christine Bonnard et Sophie Tellier déclinent des personnages secondaires fabuleusement loufoques. Scène d’anthologie de Cendrillon (Sophie Tellier) devenue une fétichiste du pied et une accro de la pantoufle, sans parler de son show du chaperon très hot qui donne envie de croquer dans sa galette. Irrésistible Sinan Bertrand, félin jusqu’aux bouts des doigts dans son costume de loup garou en quête de chair fraîche. Quant à Christine Bonnard, elle remet le couvert avec son costume de bonne-sœur qui lui allait comme un gant dans la comédie musicale Bonnie and Clyde pour enthousiasmer la salle dans sa composition de fée fofolle. Les costumes chatoyants d’Aurore Popineau enveloppent l’ensemble de féérie (mention spéciale pour les deux ours Snif Snif et Schnouf Schnouf qu’on aimerait adopter chez soi). Mise en scène millimétrée faite de clins d’œil discrets dans un espace scénique judicieusement réparti, le public se laisse entraîner sur les chansons qui oscillent entre pitreries orchestrées et mélo gothique. Le conte ne fait pas retomber en enfance mais donne envie de mettre un peu plus de merveilleux au quotidien. « La nuit d’Elliot Fall »… tombe bien!