Quelques jours après le Grand tremblement de terre. Une lettre du

Transcription

Quelques jours après le Grand tremblement de terre. Une lettre du
Tokyo, le 17 mars 2011
Correspondance de Sr Dominique Mitsué, ra
Quelques jours
après le Grand tremblement de terre.
Une lettre du Japon
Le surlendemain de ce grand séisme, c'est-à-dire le
premier dimanche de Carême, une des prières universelles de la
Messe a fait la demande suivante : « Seigneur, nous te
demandons pour tous ceux qui, dans le monde entier, sont en
solidarité avec nous dans cette épreuve. Bénis-les, et accordeleur, à eux aussi, tout ce dont ils ont besoin pour vivre heureux
dans la paix et la sécurité. »
Je commence par cette citation, car elle me paraît typique
de la mentalité japonaise : avant de parler de ses problèmes à
soi, on commence d'abord par remercier l'autre de sa
compréhension et de son aide.
A côté de la date du 11 mars 2011, la dénomination qui
restera dans l'Histoire sera : « Le grand tremblement de terre du
Nord-Est et de l'Est » (du Japon). Tokyo étant situé dans cette
région de l'Est, n'est donc pas, comme le Nord-Est cité en
premier, une zone sinistrée ni contaminée... du moins jusqu'à ce
jour ! Pour tous, bien qu'habitués aux séismes, ce fut une
première expérience, tant par la violence des secousses que par
leur durée exceptionnellement longue.
A ce moment précis, tous les transports en commun de
Tokyo sont restés figés, et chacun des usagers a dû choisir de
rester sur place, ou de tenter l'aventure en essayant de rentrer
chez lui. Par exemple, pour parler des plus proches, deux de
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nos sœurs ont marché pendant cinq heures avant de pouvoir
réintégrer le couvent, tandis qu'une autre y a réapparu le
lendemain à 4h30 du matin. Les marcheurs étaient nombreux,
tandis qu'aux maisons situées sur leur passage, des écriteaux les
invitaient : « Vous pouvez loger ici » ou « Entrez un moment
pour vous reposer, boire du thé... aller au toilettes..; »
Beau jour et belle nuit où tout le monde pensait à tout le
monde.
Les jours suivants, les 12 millions d'habitants de Tokyo
doivent continuer à tenter leur chance : partout, des foules et
des foules, bien rangées par ordre d'arrivée, attendent
indéfiniment les trains, métros, bus, taxis... qui n'ont plus
d'horaire, mais doivent tenir compte d'une quantité de
secousses sismiques qui suivent la première, celle qui a tout
déclenché. Chaque jour, on est « en état de tremblement » si on
peut dire.
Mais ce qui nous a sans doute le plus bouleversé,s via les
media, ce sont sans doute les tsunami(s) destructeurs et
meurtriers. On avait craint que l'un d'entre eux ne s'engouffre
dans la baie de Tokyo, ce qui aurait provoqué brutalement le
gonflement de plusieurs fleuves qui s'y jettent. Repoussés par
la mer, ils auraient envahi les maisons et tout détruit sur leur
passage. Le fleuve Edo (Edogawa) est près d'ici. Le désastre
n'a pas eu lieu. Mais c'est la peur de ce qui pourrait arriver qui
a poussé les gens à se précipiter dans les magasins pour y faire
des provisions exagérées, laissant les rayons complètement
vides.
Et maintenant, c'est la menace d'explosion des réacteurs
nucléaires qui prend la relève. Mais dans Tokyo, la vie est
plutôt calme, chacun faisant ce qu'il a à faire pour le meilleur
fonctionnement de l'ensemble.
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Cependant, ce qui domine dans les réaction du peuple, ce
n'est pas la panique mais plutôt le contrôle, la maîtrise de soi.
Victimes de catastrophes naturelles, comment réagissent
les Japonais ?... Eh bien, en vrais Japonais. Ils n'incriminent ni
Dieu, ni le sort, ni rien, ni personne. « C'est la nature, disent-ils,
il n'y a rien à faire. »
Cette réflexion courante n'est pas du fatalisme, mais une
réaction de sagesse qui sait faire la différence entre ce qu'on
peut changer ou éviter, et ce qui ne peut l'être : séismes,
tsunami(s), typhons... par exemple. On ne se plaint pas de « la
terre » qui nous porte et à laquelle on doit tout. On dira aussi :
quand tout va bien, on aurait tort de croire que cela nous est dû,
comme si on avait des droits sur le monde de la nature. La terre
qui « bouge », même si elle nous malmène, cela aussi c'est
« naturel ». Pourquoi s'en étonner ?... La terre vit !
Je crois qu'une telle conception de soi vis à vis de la
nature, bienfaitrice de l'humanité, est une force qui rejaillit
également dans les rapports entre les personnes : respect,
reconnaissance, patience, silence, courage...
Dans cet esprit, on suit également les directions qui nous
sont données par les media, pour notre vie quotidienne, dans
cette situation d'exception. En premier l'austérité dans la
consommation de l'électricité : n'allumer que le strict
nécessaire, réduire le plus possible l'emploi des appareils
ménagers et autres ; de même pour le chauffage etc... Tout ceci
est vécu dans la conscience d'agir non pour soir, mais pour tous
et avec tous. Dans la rue, les transports en commun ou les files
d'attente, les conversations deviennent souvent des
« partages », genre « révisions de vie ». Par exemple : « On
était trop bien servir, on gaspillait au lieu de respecter chaque
chose. » … « On a vécu comme des enfants gâtés, sans
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remercier suffisamment. » … « Dans l'abondance, on est centré
sur soi sans tenir compte des autres, etc... » Dans le bus,
quelqu'un a même cité Mother Teresa, sans même savoir son
nom : « Le contraire de l'amour n'est pas la haine, mais
l'indifférence. » Et d'ajouter : « Oui, l'indifférence est un grand
mal. Il faut en sortir. »
Les chrétiens ont entendu aussi la voix de l'archevêque de
Tokyo ; il écrit : « Dans l'épreuve que nous traversons, que
l'Église, c'est-à-dire chacun de nous, soit pour tous ceux qui
souffrent : guérisons, consolation et espoir. » A cette occasion,
le Pape a aussi parlé de « la solidarité de la prière ».
Conscientes de notre mission, nous n'envisageons pas, en
tant que communauté, de quitter les lieux. Éventuellement,
chacune restera libre de son choix.
Bon Carême à tous. Nous allons vers Pâques avec nos
nombreux catéchumènes qui recevront le baptême cette Nuit là.
Continuons à être « solidaires dans la prière ».
Merci à Tous.
Sœur Dominique Mitsué Manne, ra
Missionnaire belge au Japon
Tokyo - Japon
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