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Les Acteurs de l’Immobilier
Polémique
Le Congrès National – Brasilia.
Oscar Niemeyer, architecte
brésilien et communiste
Il est décédé le mercredi 5 décembre 1012, à l’âge de 104 ans, dix jours à peine avant
de fêter ses 105 ans. Architecte de génie et créateur prolifique, Oscar Niemeyer a marqué
son époque, tant par ses œuvres – qui ont fini par faire l’unanimité – que par son engagement
politique, qui a fini par tourner à l’obsession et l’a coupé d’une partie de ses admirateurs.
I
l était l’un des plus grands architectes du XXe siècle, l’un des
plus talentueux, mais surtout
l’un des plus originaux et des plus
singuliers. Oscar Niemeyer, décédé le 5 décembre à l’âge de 104
ans, dans sa ville de Rio de Janeiro,
au Brésil, était devenu, depuis des
décennies, une légende vivante de
l’histoire de l’architecture mondiale. Une double vie, en fait, où
l’artiste d’exception n’aura cessé
de côtoyer le militant politique le
plus discipliné et le plus dévoué,
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membre actif et défenseur acharné
du Parti communiste jusqu’à la fin
de sa vie, plus de vingt ans après la
chute de l’Union soviétique.
D’un côté, une imagination créatrice qui a donné naissance à des
œuvres remarquables: la construction d’un quartier de Pampulha
à Belo Horizonte, de 1940 à 1944;
l’immeuble Montréal à Sao Paulo
en 1950; l’école Julia-Kubitschek
à Diamantina en 1951; la création
ex nihilo de la nouvelle capitale
du pays, Brasilia, de 1956 à 1960,
avec Lucio Costa; l’édification du
siège du Parti communiste français, en 1980, à Paris; la Maison de
la culture, deux ans plus tard, au
Havre; le siège du quotidien «L’Humanité», à Saint-Denis, en 1989…
D’un autre côté, un engagement
politique pur et dur, intransigeant,
en faveur du Parti communiste.
C’est en 1945 qu’Oscar Niemeyer
adhère au Parti et il lui restera fidèle jusqu’à la fin, obstinément,
froidement, malgré toutes les
abominations: l’écrasement de la
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Musée Oscar Niemeyer à Curitiba.
révolte ouvrière à Berlin-Est, l’invasion de la Hongrie puis de la
Tchécoslovaquie, la terreur dans
la Chine de Mao, le génocide des
Khmers rouges… En 1962, l’architecte brésilien reçoit fièrement le
Prix Lénine de la paix, la consécration des camarades les plus
alignés, avant de s’exiler tout de
même prudemment, de 1965 à
1970, quand le Brésil se retrouve
sous la coupe des militaires.
Comme son idole Le Corbusier,
de vingt ans son aîné, Oscar Niemeyer rêvait de changer la vie et
de réinventer le monde. Vaste
ambition! Il agit d’abord dans la
pierre ou plutôt le béton, à travers
les formes, les lignes, les courbes,
les espaces, les grands ensembles
urbains et les grands gestes esthétiques. Mais il agit aussi dans
les paroles, dans les déclarations
politiques, les déclarations, les
manifestes, les postures idéologiques. Quand il reçoit le Prix
Pritzker en 1988, le grand archi-
Le Musée d’art contemporain de Niterói,
en face de Rio de Janeiro.
tecte brésilien ne boude pas
cette distinction – contrairement
à Jean-Paul Sartre qui refuse son
équivalent, le Nobel, cette distinction bourgeoise selon lui –
mais il en profite pour réaffirmer
ses convictions communistes.
Comme si l’artiste n’était jamais
tout à fait libre; comme si l’artiste
demeurait toujours, consciemment ou inconsciemment, sous le
regard du Parti…
Jusqu’à la fin, disent ses amis,
Oscar Niemeyer a continué de se
rendre tous les matins à son atelier, à Copacabana, et à faire ce
qu’il devait faire absolument pour
se sentir vivant: créer! Jusqu’à la
fin, cet artiste complet a multiplié
les projets et surfé sur des registres
variés, dessinant un très grand
nombre de bâtiments mais aussi
des bijoux pour la maison H. Stern,
son compatriote, ainsi qu’une chorégraphie pour une danseuse dont
la grâce l’avait séduit. Comment
cet homme à la sensibilité frémis-
sante a-t-il pu être, aussi, un militant communiste sourd et aveugle
à la réalité du monde? Comment
a-t-il pu cautionner, jusqu’au bout,
les régimes les plus brutaux et les
moins respectueux des droits de
l’homme?
Des questions qui, par une
curieuse coïncidence, renvoient
au trentième anniversaire de la
mort d’Aragon, immense écrivain et sinistre militant communiste. Comment le poète parfois
sublime, le romancier émouvant
qui fait l’admiration de Jean d’Ormesson a-t-il pu s’effacer devant
la haine et la férocité du révolutionnaire? «L’éclat des fusillades
ajoute au paysage une gaieté
jusqu’alors inconnue: ce sont
des ingénieurs et des médecins
qu’on exécute». Ces vers du grand
poète, mieux vaut les oublier. Et
mieux vaudrait oublier, aussi, les
égarements d’Oscar Niemeyer. n
François Valle
F É V R I E R – AV R I L 2 013
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